Les « bataillons fertiles »
Sexe et citoyenneté dans le Japon impérial
p. 275-301
Remerciements
Je remercie Livia Monnet qui m’a invitée à présenter cet essai pour publication dans ce volume. Je remercie aussi Evelyn Schulz et Eduard Klopfestein, de l’Université de Zurich, et Celeste Brusati pour ses commentaires pertinents. Les traductions du japonais sont les miennes. Robertson (1999b) contient une version plus courte de cet article.
Texte intégral
1Le 27 janvier 1935 paraissait dans le Journal des femmes (Fujo Shinbun), publication de tendance modérée, un article anonyme dénonçant l’exclusion des femmes de la « définition officielle de la citoyenneté ». Le ton de cet article était plus direct et plus politisé que les critiques sociales et politiques habituelles de la presse japonaise d’aujourd’hui.
La définition officielle du citoyen [kokumin] n’inclut pas les femmes [fujin]. Non seulement empêche-t-on les femmes de voter et de se présenter aux élections, mais encore reçoivent-elles seulement 1 % des fonds gouvernementaux destinés à l’éducation publique. Par conséquent, la plupart des écoles pour les femmes sont des écoles privées. En outre, « femme » est une catégorie marquée. À moins qu’on y ajoute des préfixes démontrant qu’on parle de femmes [tels que fujin, joshi, ou onna], des termes comme médecin [ishi], journaliste [kisha] ou vendeur [ten’in] désignent exclusivement des hommes, en dépit de la signification théoriquement neutre de ces termes et des occupations qui leur correspondent. En conséquence, si les gardiens du statu quo favorisant les hommes [danshi hon’i] ne distinguent pas entre les citoyens [kokumin] et les citoyens de sexe féminin [joshi no kokumin], alors ils devraient absolument spécifier qu’au moins la moitié des citoyens [kokumin] sont des femmes et que les femmes donnent naissance à tous les citoyens (« Kokumin no hansū jogai », 1935).
2Quatre ans avant la parution de cet article, un projet de loi accordant le droit de vote aux femmes avait été rejeté à la Diète et l’État1 avait mis en place un programme social de militarisation soutenue à la suite de l’invasion de la Mandchourie (l’Incident de Mandchourie) en septembre 1931. En 1925, une loi avait donné le droit de vote aux hommes de 25 ans et plus, mais les femmes ont dû attendre la Constitution de 1945, après la fin de la Seconde Guerre mondiale, pour obtenir ce droit. Le Journal des femmes attire l’attention sur cette représentation inégale des hommes et des femmes dans la Constitution de Meiji telle qu’encodée dans le terme kokumin ou « citoyen2 ».
la notion de citoyen
3Le terme kokumin fut inventé dans les années 1880 au moment où les idéologues de Meiji consacrent leur énergie (même si leur effort n’a pas toujours mené à un consensus) à la création d’une idéologie nationale pour leur nouvel État-nation, cette communauté imaginée qu’était le « Nouveau Japon » (shin Nippon ; voir Gluck, 1985). Le « vieux « Japon était représenté comme l’antithèse de la nouvelle nation. Dans le vieux Japon, des clans et des seigneuries en guerre les uns contre les autres depuis des siècles avaient été pacifiés sous l’hégémonie militaire héréditaire du clan Tokugawa, qui avait alors occupé la plus haute fonction publique, celle de shogun, pendant 250 ans, de 1603 à 1867. Le shogunat des Tokugawa n’a jamais éliminé l’ancienne Maison impériale, utilisant plutôt l’aura mystique de l’empereur pour asseoir sa légitimité sociale et politique. Les forces proimpériales entrèrent en conflit avec le shogunat vers le milieu du XIXe siècle et elles en sont sorties victorieuses. L’émergence du Japon comme nouvel État-nation avec des visées internationales fut marquée en 1867 par la restauration, sous le nom de règne de Meiji, de l’empereur à une position politique dominante à l’intérieur d’un cadre parlementaire. Le nouvel État s’est donné comme tâche la mise en place d’une armée forte et centralisée et l’établissement d’institutions sociales fondamentales, de façon à maintenir son propre pouvoir et à protéger le pays contre l’impérialisme des Occidentaux.
4Les Japonais ne tardèrent pas à mettre en place leur propre projet impérialiste, en commençant par l’annexion d’Okinawa en 1879, à laquelle s’ajoutèrent par la suite l’acquisition de Taiwan et de la péninsule de Liaodong en 1895, l’annexion de la Corée en 1910 et, plus tard, entre 1942 et 1945, l’occupation d’un vaste territoire s’étendant des Iles Salomon à la frontière de la Birmanie et de l’Inde, et de la Nouvelle-Guinée aux Aléoutiennes. Le Nouveau Japon peut alors se définir comme un État colonisateur anticolonial.
5À l’intérieur, la restauration de Meiji entraîne des réformes sans précédent : l’instauration de la conscription universelle pour les hommes et l’institutionnalisation par le Code civil de la monogamie, mais dans le cadre de la famille patriarcale, famille qui fut alors définie, et non pas l’individu, comme la plus petite entité juridique de la société. Un des éléments-clés de l’idéal de la monogamie fut l’invention en 1875 du rôle des femmes comme « bonnes épouses et mères admirables » (ryōsai kenbo), une définition qui demeure encore aujourd’hui fermement ancrée dans le statu quo. La monogamie était un idéal asymétrique, car les hommes mariés pouvaient entretenir des concubines, jusqu’à ce que ce système soit aboli dans les années 1880 ; les hommes pouvaient aussi fréquenter sans remords les maisons de geishas et les bordels. La prostitution fut abolie officiellement en 1958, mais elle continue de se pratiquer ouvertement.
6Voilà donc quelques-uns des facteurs qui ont donné forme à la construction de la citoyenneté dans le Nouveau Japon. Les kokumin, littéralement « les membres de l’État-nation », constituaient l’État-nation impérial, mais ils n’y participaient pas tous de la même façon, et surtout pas de façon égale. À partir du milieu des années 1930, kokumin est devenu un préfixe omniprésent, servant de modificateur de façon analogue au terme « femme » tel que présenté dans l’article du Journal des femmes. La lecture des revues et journaux de l’époque permet de voir les usages suivants : kokumin seishin (l’esprit du citoyen), kokumin dōtoku (la morale du citoyen), kokumin fuku (les vêtements du citoyen), kokumin bunka (la culture du citoyen), kokumin seikatsu (la vie quotidienne du citoyen), et même kokumin taishu (la masse des citoyens). Cependant, à moins de précisions additionnelles avec des préfixes désignant les femmes, comme le mentionne le Journal des femmes, le terme kokumin désigne exclusivement les hommes. On peut ainsi trouver dans les médias des premières décennies du XXe siècle des expressions telles que joshi no kokumin fuku (les vêtements des citoyens de sexe féminin) ou fujin no kokumin dōtoku (la morale des citoyens de sexe féminin), cette dernière expression ajoutant simplement une autre connotation à l’expression ancienne fujin dōtoku (morale des femmes).
7La restauration de Meiji généra l’État-nation et la catégorie de citoyen, mais dès le départ elle exclut les filles et les femmes des conditions et pratiques de la citoyenneté qui constituèrent les garçons et les hommes en tant que membres à part entière du Japon nouveau. L’Etat tenta plutôt d’inculquer aux femmes une identité collective fondée sur leur prétendue spécificité en tant que femmes japonaises, résumée de façon trompeuse dans l’expression « bonnes épouses, mères admirables ». Les femmes ont donc été définies et constituées exclusivement sur la base de leur sexe et de leurs rôles de genre, à l’intérieur d’une idéologie dominante de monogamie hétérosexuelle imposée, mais appliquée de façon asymétrique3.
8À ce moment de notre démonstration s’impose une explicitation de l’idéologie dominante, c’est-à-dire une explicitation des définitions hégémoniques de ce qui était vu comme naturel, définitions auxquelles s’opposait l’éditorial du Journal des femmes cité plus haut. Trop souvent, les idéologies dominantes sont considérées comme synonymes de la « culture » et sont présentées comme naturelles, comme « la façon dont les choses se passent » dans un pays ou une aire culturelle donnée. Le Japon semble être un de ces pays ou aires culturelles qui ont longtemps été imaginés en des termes réducteurs, par exemple dans la propagande américaine du temps de la guerre qui présentait les Japonais comme un peuple homogène : « Photos tirées du même négatif » (Know Your Enemy, Japan, 1945). Il va de soi que plusieurs idéologues japonais, en particulier les plus nationalistes, ont inventé et diffusé la même image d’une société homogène – d’un « peuple d’une seule ethnie » (tan’itsu minzoku) pour citer les propos de Nakasone Yasuhiro, premier ministre dans les années 1980. L’image du Japon que je présente ici n’est pas celle d’une culture hors du temps, mais bien celle d’une culture historiquement située, qui contredit les stéréotypes japonais et occidentaux du Japon comme société homogène dans laquelle chacun connaît et accepte sa place et son rôle. Mon objectif est donc de dénaturaliser l’idéologie et de mettre à jour son caractère illogique.
la citoyenneté au féminin
9L’article du Journal des femmes fait allusion à plusieurs sortes ou conditions de citoyenneté qui sont reconnues dans la littérature théorique sur la citoyenneté : civile, sociale, nationale, culturelle et sexuelle. Les idéologues de Meiji s’approprièrent sélectivement les contributions scientifiques occidentales de leur temps portant sur l’économie politique et le contrat social. Des ouvrages comme On the Subjection of Women (1879) de John Stuart Mill, Social Statics (1977) de Herbert Spencer et Differences of Sex (1878) de Sheldon Amos figurent parmi les traités produits par des auteurs (masculins) anglophones qui furent lus, traduits et adaptés par des universitaires et activistes politiques japonais et qui influencèrent le débat sur la représentation civique et le rôle sociopolitique des femmes. Les idéologues greffèrent les propos de ces ouvrages et d’autres du même type aux anciennes doctrines japonaises et chinoises – spécialement le confucianisme – de la hiérarchie sociale et de la division sexuelle du travail pour en produire une nouvelle synthèse.
10De la même façon, les universitaires japonais d’aujourd’hui citent souvent les ouvrages de leurs collègues européens ou américains pour définir leurs propres positions intellectuelles au sujet de ces débats anciens sur la citoyenneté et le nationalisme – par exemple, ils font appel fréquemment à Foucault, tout comme leurs collègues américains (mais c’est moins le cas en France). Ainsi, le débat japonais sur la citoyenneté reproduit les dimensions internationales du discours sur la citoyenneté et sur la division sexuelle du travail. Bien que nous devions toujours tenir compte du contenu et des conditions historiques de l’emprunt culturel, nous ne pouvons postuler son caractère unidirectionnel et coercitif. S’ils sont souvent inégaux, comportant quelquefois des conséquences désastreuses, les échanges culturels sont plus complexes que ne le laissent supposer les oppositions dichotomiques du type nous-les autres, Occident-Orient, Nord-Sud. De la même façon, nous devons aussi tenir compte des nuances ou des résonances différentes de concepts ou d’institutions apparemment semblables et partagés, comme la citoyenneté.
11Trois des six sortes de citoyenneté présentées dans l’article du Journal des femmes ont été analysées par Thomas H. Marshall (1976), l'un des principaux théoriciens de la sociologie de la citoyenneté, qui débuta dans les années 1940 et dont les ouvrages sont très souvent cités. Marshall souligne l’émergence historique s’étalant sur plusieurs siècles de ces trois types de citoyenneté. Selon lui, la citoyenneté civile est apparue au XVIIIe siècle autour des droits « nécessaires à la liberté individuelle, comme les droits de propriété, de liberté personnelle et de justice ». La citoyenneté politique, développée surtout au XIXe siècle, « comporte le droit de participer à l’exercice du pouvoir politique ». La citoyenneté sociale est une construction du XXe siècle et elle porte sur « le droit du citoyen à la sécurité économique et sociale » (van Steenbergen, 1994 :2). Pour Marshall, l’émergence de la citoyenneté sociale signifie « la fin de l’histoire de la citoyenneté » dans la mesure où l’affirmation des droits sociaux, donnant une base sociale au statut formel de citoyen, a permis aux citoyens d’exercer leur droit de pleine participation à la communauté nationale (van Steenbergen, 1994 : 3).
12Des analystes ont suggéré qu’il serait plus utile de concevoir que ces trois sortes de citoyenneté forment, au moins depuis le XXe siècle, un « ensemble de cercles concentriques » coexistants (Dahrendorf, 1994 : 13). Le schéma optimiste et téléologique de Marshall a aussi été critiqué comme trop « britannique » en ce qu’il laisse de côté ou ignore d’autres possibilités de citoyenneté en dehors du cadre de la nation et dans différentes sociétés (van Steenbergen, 1994 :4). Plusieurs autres sortes de citoyenneté sont identifiées et analysées actuellement à l’intérieur et en dehors du monde académique comme, entre autres, les citoyennetés néorépublicaine, culturelle, raciale, de genre, eugénique, locale, globale, européenne, asiatique, du tiers-monde, internationale, écologique, même « électronique » (terme inventé à Singapour en 1999) – tous des termes complexes et plurivoques (van Steenbergen, 1994 ; Evans, 1993). Certains de ces types existaient déjà au début du XXe siècle au Japon.
13L’auteur anonyme de l’article du Journal des femmes soutient que la définition officielle de la citoyenneté est erronée parce que les femmes, à l’inverse des hommes, ne sont pas constituées en tant que citoyennes. Elle avance que, dépourvues des droits de la citoyenneté civile, politique et sociale, les femmes sont groupées dans une catégorie identitaire, celle de « femme ». Bien que, en pratique, les différences de classes empêchaient la mise en place d’une identité collective de la catégorie « femme », l’idéologie androcentrique dominante soutenait que les inégalités de classe étaient sans conséquence et ne remettaient pas en question la construction homogène de la féminité. La raison en est que le caractère unique et singulier de la féminité était invoqué comme fondement de certains niveaux et certaines sortes de participation civile et sociale, à la place d’une égalité fondamentale de tous les citoyens. D semble bien que, avant la Constitution de 1945, la pratique officielle de définition de la citoyenneté en ce qui concerne les femmes au Japon était de préciser leur exclusion de la sphère publique et non d’idéaliser leur inclusion (voir Evans, 1993 : 55-56).
14Les femmes japonaises du début du XXe siècle n’avaient pas le droit de vote ou le droit d’organiser des manifestations politiques, ce qui leur aurait permis de devenir des citoyennes compétentes pouvant participer pleinement à la culture officielle de l’État-nation, c’est-à-dire à la culture des citoyens, kokumin bunka. Les femmes étaient néanmoins recrutées pour participer à des pratiques communautaires et à des collectivités sociales officiellement sanctionnées, comme les associations de quartier ou les associations patriotiques qui, après l’Incident de Mandchourie de septembre 1931, furent de plus en plus contrôlées par l’État militaire4. Cependant, ces activités patriotiques ne signifiaient pas la constitution des femmes en tant que citoyennes ayant des rôles civils et politiques, au contraire, elles se rapprochaient dans leur concept de la prostitution légale, acceptée et sanctionnée par l’État comme nécessaire au maintien de la « moralité publique ». On estime qu’en 1925, dix ans avant la parution de l’article du Journal des femmes, « une jeune femme, sur trente et une femmes âgées de 18 à 29 ans, travaillait comme prostituée » dans l’un ou l’autre des bordels légaux situés partout à travers le Japon, mais surtout dans les grandes villes, les villes portuaires et les bases militaires (Garon, 1997 : 94). La plupart des prostituées étaient recrutées dans les familles de paysans pauvres, qui représentaient près de 80 % de la population agricole à cette époque, la grande majorité formant une sorte de sous-classe.
15D’après le Journal des femmes, le seul type de citoyenneté auquel les femmes avaient directement accès, en vertu de leur anatomie, était la citoyenneté sexuelle, sous sa forme reproductive et non sous sa forme récréative : pour citer les propos de l’article, « les femmes donnent naissance à tous les citoyens ». De par leur capacité pour la reproduction dans le contexte de l’hétérosexualité monogame – condition de la respectabilité, les femmes japonaises pouvaient participer à la sphère publique et à la culture nationale en tant que citoyennes compétentes – c’est-à-dire à travers leur fécondité. Par opposition, les femmes non mariées et les femmes mariées sans enfants étaient présentées dans les médias de masse, la publicité et les expositions sur l’hygiène publique comme pathologiques et antisociales. Elles étaient décrites comme paresseuses, plus portées à un vieillissement précoce et sujettes à des déséquilibres hormonaux (voir « Bijin ni naru kotsu », 1939 : 190). La sexualité des lesbiennes inquiétait aussi les idéologues gouvernementaux, non pas par une sorte d’homophobie de nature religieuse, mais parce que les relations homosexuelles entre femmes étaient considérées comme un rejet de l’idée de la bonne épouse et de la mère admirable, une idée fondée sur l’hétérosexualité et la reproduction. On ne retrouve pas d’équivalent chez les hommes, c’est-à-dire l’idée d’un bon époux et d’un père rempli de sagesse, et, historiquement, les hommes japonais, spécialement ceux de la classe des guerriers ou samouraï, pouvaient sans contrainte (à l’intérieur de leur classe) avoir des relations sexuelles entre hommes (chez les samouraïs, l’homosexualité était vue comme supérieure à l’hétérosexualité) tout en ayant une épouse et des concubines. Les pratiques sexuelles fluides des hommes (et non celles des femmes) ne posaient pas de problème (du moins jusque dans la période de l’après-guerre, et là, seulement en public et non en privé, jusqu’à très récemment5). La citoyenneté sexuelle des femmes, au contraire, n’était pas vue comme organique, à l’instar de celle des hommes, mais était fondée sur un ensemble flou de pratiques et d’identités officiellement sanctionnées et rationalisées, mythifiées mais contradictoires, sur lesquelles était établi le statu quo. Le rôle des femmes en tant que bonne épouse et mère admirable servit à réifier la reproduction et la domesticité tout en « donnant », ironiquement, aux prostituées licenciées la capacité de participer à la sphère publique.
citoyenneté consommatrice et eugénique
16On peut identifier deux autres types ou conditions de la citoyenneté féminine du début du XXe siècle : la citoyenneté « consommatrice » et la citoyenneté « eugénique ». Ces deux types forment dans le cas des femmes deux côtés de la même médaille et chevauchent partiellement la citoyenneté sexuelle. La citoyenneté eugénique constituait une sorte de condensé de la citoyenneté sexuelle en ce que l’eugénisme ou la « reproduction sélective » était l’objectif idéal que devaient viser les relations hétérosexuelles monogames. De même, la consommation constituait à la fois un type et un thème pour la « citoyenneté féminine » au début du XXe siècle. Les femmes japonaises étaient des consommatrices avisées bien avant d’obtenir le droit de vote ou celui de se présenter aux élections. La consommation étant liée de façon inextricable au corps et à son amélioration cosmétique, nutritionnelle et vestimentaire, l’État et le secteur commercial naturalisèrent le lien entre les citoyennetés sexuelle, consommatrice et eugénique. Ainsi, les idéologues, qui voulaient limiter l’identification de la sexualité et de la consommation à la bonne épouse effacée et à la mère sage et modeste, en charge de la gestion de la famille patriarcale, dénonçaient la soi-disant Femme nouvelle aux tendances radicales (atarashii onna), qui lisait les traités féministes et libéraux, et la Fille moderne (Modern Girl ou moga) rebelle – la jeune Japonaise délurée –qui montrait ses excès matériels et individualistes de façon flamboyante, les considérant comme sources de désordre social (voir la figure 1).
17Si nous concevons la citoyenneté comme étant une « caractéristique nécessaire du projet de modernité » (Turner, 1994 :155), alors le grand magasin constituait la sphère publique dans laquelle les femmes pouvaient explorer leurs obligations de citoyenneté, une des plus importantes étant celle de consommer. L’inventeur du grand magasin dans les terminus des gares de trains, Kobayashi Ichizō (1873-1957), exerça une grande influence dans la transformation des femmes en consommatrices averties. Kobayashi mit sur pied en 1913 le Théâtre de musichall Takarazuka consistant entièrement de femmes et qui, entre autres choses, fournit un cadre pour sa vision d’un « nouveau capitalisme » pour le Japon (voir Robertson, 1998). Entrepreneur averti, Kobayashi occupa le poste de p.-d.g. de corporations comme la Société d’éclairage électrique de Tōkyō, la Société de métaux légers de Tōkyō, les grands magasins Mitsukoshi et la Société de cinéma Tōhō, parmi bien d’autres sociétés au Japon, en Corée et en Chine. Il fonda aussi le consortium Hankyū (chemin de fer et grands magasins) ; il fut ministre du Commerce et de l’Industrie en 1940-1941 et de nouveau ministre dans le premier cabinet d’après-guerre.
18Même avant la première performance du Takarazuka en 1914, Kobayashi avait organisé, dans le complexe – nommé Paradise – du théâtre à Takarazuka, près d’Osaka, une exposition de produits de consommation adressée aux femmes (Kumano, 1984 :6-7). Cette exposition devait servir à stimuler la consommation parmi les femmes et donner aux habitantes de la région urbaine de Kansai, qui ne se déplaçaient que très peu en dehors de leur domicile ou de leur localité, une occasion légitime de prendre les trains de la Société Hankyū, appartenant à Kobayashi, de descendre et de déambuler dans ses grands magasins des gares, avant de se rendre à l’exposition. Dans ses efforts pour susciter l’intérêt et s’assurer la loyauté des consommatrices, Kobayashi ira même jusqu’à abaisser le plancher des trains pour en faciliter l’entrée et la sortie. En outre, en 1923, il organisa un concours dans lequel les femmes proposèrent des couleurs pour les trains de Hankyū et votèrent pour la couleur de leur choix (« Fujin muki no shinshiki densha o tsukuru », 1923). Le marron foncé (qui ne doit pas être confondu avec la couleur impériale) l’emporta et cette couleur orne encore les trains de Hankyū aujourd’hui. Quelques années plus tard, en 1937, Kobayashi installa un institut de beauté moderne, une école de beauté et une maison de la culture réservée aux femmes dans le théâtre Nippon Gekijō, un de ses nombreux théâtres à Tōkyō.
19Kobayashi, en plus de s’assurer la fidélité de sa clientèle féminine, cherchait à créer une sorte de présence de type théâtral chez les femmes qui fréquentaient son théâtre : chaque femme pouvait devenir une star bien coiffée et bien habillée, à condition de triompher sur sa propre scène familiale (« Nippon gekijōnai biyōin, fujinkaikan no tanjō », 1937). Il n’est pas surprenant alors que Kobayashi ne voulût pas de Nouvelles Femmes féministes (qu’il voulait resocialiser) et surtout pas de Filles modernes iconoclastes parmi sa clientèle, ses employés, ses acteurs et le public de ses théâtres. Selon lui, les moga, en particulier, n’étaient pas des consommatrices averties mais des flâneuses décadentes et non féminines qui se perdaient dans le spectacle de la métropole : le problème, c’est que les moga allaient dans les grands magasins pour flâner, alors qu’il fallait y aller pour acheter, ce qui constituait une occasion de lier l’économie domestique au secteur capitaliste privé et à l’État. Les moga présentaient un danger par leur présence même et par leurs pratiques qui montraient au grand jour les limites et les contraintes que les conventions et l’idéologie de genre posaient pour la vie des femmes (Gleber, 1997 :74).
20Le théâtre et le spectacle du capitalisme de consommation se confondent dans le hall du grand théâtre de Takarazuka, complété en 1924 et reconstruit en 1935 après un incendie dévastateur plus tôt cette même année. De chaque côté de la structure géante – et c’était de même dans le théâtre de Tōkyō –, il y avait des restaurants et des magasins de souvenirs. Il n’est alors pas surprenant que plusieurs commentateurs firent l’analogie entre le théâtre, avec ses montages de juxtapositions d’images et d’événements, et les grands magasins tout autour, avec leur contenu varié, dont les campagnes de publicité insistaient sur la dramaturgie spectaculaire de la consommation (Iizuka, 1930 : 44 ; Takaoka, 1943 :195). Kobayashi répondit à ses critiques en démontrant comment un endroit de production pouvait aussi se transformer en endroit de consommation. Sur la scène de Takarazuka, les décors somptueux et les lieux étrangers ou tirés du passé donnaient aux spectateurs une vision accessible et – c’est important – contrôlée de ce que pouvaient signifier le capitalisme et la culture commerciale en termes de spectacles, de plaisir et de désirs. Les « masses de citoyens », et en particulier les femmes, devenaient des consommateurs et les biens offerts, de la performance théâtrale aux souvenirs, se transformèrent en éléments du mécanisme non seulement de la citoyenneté féminine mais aussi, comme on pourrait l’avancer, de la citoyenneté japonaise elle-même (Iwahori, 1972 ; Ōtsuka, 1989 ; voir Evans, 1993 : 5)6.
21« Jusqu’à l’affranchissement des femmes dans la Constitution de l’après-guerre, la citoyenneté féminine au Japon [...] fut conçue comme liée à la consommation, ce qui contribua à tisser une relation tenace entre les femmes et la culture commerciale » (Robertson, 1998 :154 ; voir aussi Silverberg, 1991). En outre, aux yeux des idéologues non féministes, y compris Kobayashi, le mariage monogame et la maternité formaient le seul contexte légitime de la citoyenneté féminine et consommatrice. Selon l’idéologie dominante de complémentarité (et non d’égalité) des relations dans la famille, les hommes (maris) étaient responsables de la production de biens et les femmes (épouses) s’occupaient de la consommation de ces produits. Les femmes qui agissaient de leur propre autorité en dehors du contexte de la famille ou en dehors du contexte du mariage étaient considérées par l’État comme une anomalie dangereuse pour la société. Peu de femmes purent s’affirmer et réussir uniquement grâce à leur propre force dans cette société7.
22Les propos de Beatrix Campbell au sujet des femmes anglaises des années 1980 (et en réalité de toutes les femmes britanniques) s’appliquent également aux femmes mariées japonaises du début du XXe siècle : « Les citoyens devaient se réaliser non pas en tant qu’êtres sociaux, à travers la politique, mais à travers la consommation » (Campbell, 1987 : 159 ; cité dans Evans, 1993 : 6 ; voir aussi Ōtsuka, 1989 :14-21). Ironie cruelle, au moment où les civils japonais, dans les années 1940, commençaient à sentir les effets néfastes de la guerre, l’État lance une campagne contre le luxe – « une mobilisation spirituelle du peuple » – avec comme objectif de réformer le soi-disant penchant des femmes pour la consommation ostentatoire (« New Order of Living », 1940). Également, un spectacle de Takarazuka, approprié pour l’époque, intitulé La bataille est menée ici aussi (Tatakai wa koko ni mo, 1943), présentait les filles et les femmes comme des matérialistes incorrigibles – résultat disait-on de l’infection par les « microbes » anglo-saxons – qui se devaient de changer leurs pratiques égoïstes pour assurer la victoire du Japon dans la guerre (Robertson, 1998 :154).
23L’État militariste exploita aussi le lien entre la citoyenneté de consommation et la citoyenneté eugénique, cette dernière s’exprimant aussi en termes de « sang pur » (junketsu) et de la nécessité concomitante de l’« hygiène mentale » ou de la pensée correcte. Les appels au sang pur et à l’hygiène mentale faisaient partie de l’« hygiène raciale » (minzoku eisei), au cœur du mouvement eugénique japonais (Robertson, 1997 et 2000b). En bref, le mouvement eugénique japonais (qui comprenait une diversité de projets et de stratégies) émerge à la fin du XIXe siècle quand l’État-nation adopte une politique d’internationalisation et d’impérialisme. Le mouvement avait pour objectif, littéralement, de « faire croître » le peuple japonais qui, selon les médecins et les idéologues japonais, était constitué de gens plus petits et moins robustes que leurs concurrents euro-américains. Mais l’aile dominante du mouvement eugénique adopta rapidement comme programme le maintien de la « pureté du sang » du peuple japonais grâce à la sélection soignée des époux. S’ajoutent à cela, dans le programme du mouvement eugénique, l’insistance sur les sports, sur l’exercice physique, sur une diète prétendument occidentale forte en gras et en protéines, sur la revitalisation spirituelle, etc. (Robertson, 2000b).
24À cause de leur rôle comme instrument de reproduction biologique, au sens littéral du terme, les femmes furent impliquées d’une manière plus stricte et plus rigoureuse que les hommes dans le discours et les institutions de l’eugénisme et de l’hygiène raciale. Cette implication est claire dans le Nouveau Japon impérialiste où une attention spéciale était portée, dans les discours civils sur l’eugénisme, à l’amélioration du corps des femmes, évalué et mesuré selon l’esthétique physique de « la beauté du corps en santé » (kenkōbi). En règle générale, l’armée avait la responsabilité d’améliorer le corps des hommes alors que des organisations privées et civiles, appuyées par l’État, s’occupaient de l’amélioration de celui des femmes.
25Plusieurs concours de « beauté du corps en santé » eurent lieu dans les années 1930, y compris les concours de Miss Japon de 1931 et 1934, dont l’objectif était de localiser à travers le Japon des femmes ordinaires (et non des célébrités) dont le corps reflétait l’idéal eugénique et les proportions promues par l’État (voir Robertson, 2000a). Les concours de Miss Japon furent commandités conjointement par le quotidien national Asahi Shinbun et par les grands magasins Takashimaya. Un des juges du concours de 1931, Yasui Hiroshi, gynécologue et eugéniste de renom, se félicitait de ce que « les concurrentes supérieures venant de tous les coins du Japon donneraient naissance à une deuxième génération splendide » (« Konpakuto », 1931 : 17). Le choix du nom de Miss Japon pour de telles « femmes supérieures » accentuait la relation étroite entre l’eugénisme et la citoyenneté de consommation dans le Nouveau Japon.
26Des photos de Miss Japon étaient publiées largement dans les revues et les journaux à travers le Japon et utilisées pour des publicités de cosmétiques. La réification de Miss Japon comme type physique auquel toutes les femmes japonaises devaient aspirer – avec l’aide, si nécessaire, de maquillages « à l’allure naturelle » – s’est opérée grâce aux produits de consommation. Une publicité, par exemple, présentait Miss Japon, avec un air plutôt sévère, au moment de son élection. Le texte, sous la forme d’un communiqué de presse, donnait en détail les différents cosmétiques – crème hydratante, crème de corps, fond de teint, mascara, fard, rouge à lèvres – quelle avait utilisés pour en arriver à la « beauté idéale féminine », autrement qualifiée de « beauté moderne, naturelle d’un corps en santé » (voir la figure 2). En plus de Miss Japon, des filles et des femmes étaient utilisées dans les campagnes publicitaires pour promouvoir l’hygiène buccale, la nutrition, les sports et les soins du corps, car l’objectif premier de l’eugénisme était d’arriver à un corps féminin en santé capable de donner naissance.
27Juste au-dessus du « communiqué de presse » au sujet de Miss Japon se trouvait une publicité illustrée par une femme, clairement une Africaine, aux lèvres distendues (voir le haut de la figure 2). Les publicités pour un produit appelé Harunā, un « tonique nutritionnel » présenté comme un « purificateur de sang », inventé en Europe et adapté à la diète japonaise, montraient souvent des femmes d’Afrique ou d’Amazonie. Ce tonique prétendait guérir les problèmes dermatologiques et aider à développer une peau lisse et claire et une chevelure noire et soyeuse. Ce que cette publicité présentait en sous-entendu, c’était la différence entre Miss Japon (et par extension toutes les femmes japonaises) et la femme africaine, une différence aussi diamétralement opposée que celle entre les visages blanc et noir du symbole de Harunā. Deux ans plus tard, une autre publicité de Harunā montrait une femme masai avec un texte qui « expliquait » que la peau foncée venait d’un « sang impur ». Le texte admettait le fait que les définitions de la « beauté naturelle » variaient selon les cultures, mais il utilisait les conclusions du darwinisme social au sujet du caractère séduisant de la peau blanche, tant vantée par le folklore japonais, par le mouvement eugénique et par les publicités de cosmétiques8
28Des médecins qui se trouvaient sur les lieux des concours encourageaient les participantes au concours de Miss Japon, dont on admettait quelles étaient des modèles nationaux de « beauté d’un corps sain », à adopter des pratiques nutritionnelles et hygiéniques progressistes afin de réaliser leur potentiel reproductif supérieur. On attribuait à la « supériorité de leur sang » les proportions idéales de leur corps malgré leur ignorance de la nutrition et de l’hygiène ; mais on avançait que les nouvelles habitudes et pratiques apprises sur les lieux du concours leur permettraient de réaliser leur potentiel eugénique complet et celui de leurs enfants (« Konpakuto », 1931 :17). Yasui Hiroshi, le gynécologue et juge du concours de Miss Japon, recommandait aux jeunes femmes entre 17 et 23 ans d’adopter une diète « occidentale » comprenant de la viande, des légumes frais et du pain ; il était d’avis qu’un régime de riz et de légumes marinés ne comportait pas assez de valeur nutritive et entraînait de grandes variations de poids. Il les encourageait aussi à dormir huit heures par jour, à faire régulièrement des exercices et à s’adonner aux sports dans leur routine quotidienne. L’habillement n’a pas non plus échappé à l’attention de Yasui : il conseillait aux jeunes femmes de porter surtout des vêtements de style occidental et, lorsqu’elles mettaient un kimono, d’attacher les multiples ficelles et ceintures de façon lâche et non pas serrées comme à l’accoutumée. En bref, la scène et le spectacle médiatique du concours de Miss Japon constituaient une voie par laquelle on enseignait aux jeunes Japonaises comment penser, conditionner et parer leur corps9.
29Dans les articles et avis sur la beauté alliée à un corps sain, il y avait une critique implicite des idées traditionnelles dominantes sur la féminité et des pratiques populaires sexuées considérées dangereuses pour la santé du « corps du peuple ». Par exemple, c’est principalement pour mettre en place les conditions de développement de femmes plus grandes et plus fortes, qui pourraient mettre au monde des bébés en plus grand nombre et en meilleure santé, que le ministère de l’Éducation rendit les sports obligatoires dans le cursus scolaire des écoles de filles. Au début des années 1930, les gouvernements locaux avaient déjà mis en place des centres de préparation au mariage où on dispensait des conseils de nature sexologique et eugénique, principalement aux clients de sexe féminin. Ces centres contribuaient aussi à la sélection de maris eugéniquement adaptés à ces femmes (Furuya, 1935 ; Okada, 1933)10. Le gynécologue Yasui Hiroshi avait lui-même ouvert une telle clinique de « mariage eugénique » (yūsei kekkon) et il notait que l’amélioration de la qualité des citoyens passait non pas par une reproduction prolifique mais par la « propagation et la multiplication des enfants de bonne qualité » (yoiko o umeyo, fuyaseyo). Il affirmait aussi que « le premier souci serait de se marier avec un époux sélectionné sur les bases de l’eugénisme national » (kokumin yūsei) et donc, de cette façon, « d’améliorer la race japonaise » (Yasui, 1940 : 15).
30Yasui critiquait sévèrement la pratique alors fréquente au Japon de se marier avec des consanguins ou avec d’autres personnes reliées par le « sang », surtout des cousins de premier ou de second degré, et il essaya d’informer le public au sujet des relations entre la génétique (le « sang ») et certaines maladies ou déformations congénitales. À cette époque, le mot « sang » était utilisé dans deux sens métaphoriques interreliés : comme hérédité partagée et comme « essence raciale ». Les deux sens se rejoignaient dans les politiques de l’État impérial contre le croisement des races. Les centres d’aide eugénique avaient pour mission d’enlever à la famille, qui avait tendance à inclure des personnes liées par le « sang » parmi les conjoints potentiels, la responsabilité d’arranger les mariages et de la transférer à des organes de l’État s’occupant de I’« eugénisme » du peuple et de la tâche concomitante de créer une famille japonaise supérieure (Robertson, 2000b ; Yasui, 1940 :14).
31À partir des années 1930, l’État et ses agences commencèrent à commanditer des expositions publiques sur le thème de l’eugénisme national. Une « exposition sur l’hygiène féminine » (fujin eisei tenrankai) eut lieu au musée de la Croix-Rouge à Tōkyō en novembre 1931, suivie, quelques années plus tard, en mai 1936, par une « exposition sur la naissance » (osan no tenrankai ; Tanaka, 1994 : 218). Ce n’est probablement pas un hasard si la séquence des expositions suivit celle des rôles « officiels » de sexe et de genre pour les femmes : en premier lieu, une bonne épouse, puis une mère admirable. Plusieurs autres centres d’eugénisme, financés par le ministère du Bien-être public, furent ouverts par la suite, certains localisés dans les grands magasins pour mieux attirer l’attention des femmes, celles-ci constituant la clientèle visée étant donné que la citoyenneté féminine était définie en termes de reproduction réussie. Dans les expositions se profilait aussi la commercialisation de la citoyenneté sexuelle et eugénique à travers la présentation et la promotion d’un style de vie hygiénique et des produits de consommation nécessaires pour y arriver.
32Les femmes constituaient la cible des conseils sur l’eugénisme et certaines d’entre elles étaient formées pour les diffuser. Au Japon comme aux États-Unis et en Angleterre, « les femmes étaient considérées comme spécialement aptes au travail de terrain en eugénisme. Les membres des deux sexes prenaient pour acquis que les thèmes principaux de l’eugénisme étaient du domaine des femmes » (Paul, 1995 : 55). Sous les auspices de l’Association féminine d’hygiène du Grand Japon (Dainippon fujin eiseikai), mise sur pied par le secteur privé en 1887, les femmes étaient désignées comme responsables de la formation de tous en hygiène familiale et en amélioration de la race, dans ce dernier cas en essayant d’éradiquer la pratique courante des mariages consanguins (Fujino, 1998 : 388-389)11.
33Le ministère du Bien-être louait publiquement les femmes prolifiques, se référant à elles à la fin des années 1930 en tant que formant un « bataillon fertile » (Yokoyama, 1994 : 60-61 ; voir la figure 3). De cette façon, les femmes – ou du moins leurs organes reproductifs – étaient conscrites pour le service militaire. Les familles nombreuses étaient semblablement appelées « familles fertiles », kodakara ikke, et le gouvernement en honora 1907 en 1943 (« Kodakara ikke no sōryoku atsumete », 1943). De telles expressions, insistant sur la reproduction, donnaient corps à des structures historiques et socioculturelles telles que la famille, l’armée et l’État-nation – ce que manifeste le terme kokutai ou « corps de la nation » – en s’appropriant le corps et les capacités reproductrices des femmes postpubères. Pour les femmes mariées, la sexualité était présentée comme quelque chose de purement – et, selon l’idéal, eugéniquement – reproductif et le gouvernement prohibait toute forme de contrôle des naissances, y compris l’avortement provoqué (Dower, 1986 :270-277 et 358, note 18 ; Takagi, 1993 :47). Il va de soi que des préservatifs étaient distribués dans les « maisons de confort » (ianjo) où se trouvaient les esclaves sexuelles issues des classes inférieures du Japon, de l’Asie de l’Est et des îles du Pacifique ; là, des avortements étaient aussi provoqués afin d’empêcher les grossesses considérées comme eugéniquement mauvaises car provenant du « mélange du sang12 ».
34L’État concevait l’hygiène mentale, ou le contrôle de la pensée, comme un aspect important à la fois de l’hygiène raciale et de la société de consommation, car, comme les ressortissants des colonies de la nation, les Japonais ordinaires devaient être colonisés mentalement et assimilés par le kokutai du Nouveau Japon. La consommation ne devait pas tomber dans l’ostentation égoïste, mais devait éclairer la place symbolique centrale (mais non égale à celle des hommes) des femmes en tant que classe s’occupant d’une économie domestique eugéniquement saine. On peut illustrer cette insistance sur l’hygiène mentale et sur le contrôle de la pensée dans le Japon du temps de guerre à l’aide d’une caricature parue en mai 1942 dans cette revue officielle de l’humour, Manga (voir la figure 4). On y voit une femme à genoux, avec un visage ressemblant à ceux des estampes du ukiyoe du XIXe siècle, mais habillée d’une jupe et d’un chemisier. Elle se peigne en enlevant de ses cheveux les éléments pathogènes du Nouveau Japon, éléments anglo-américains représentés sous la forme de pellicules avec des noms comme le luxe, l’égoïsme, l’hédonisme, l’individualisme, le culte de l’argent, l’égotisme et les « pensées anglo-américaines ». Le texte accompagnant le dessin se lit comme suit : « Enlevez les “pellicules” qui collent à vos cheveux ; enlevez de votre esprit les idées et pensées anglo-américaines13 » (Dower, 1986 : 191).
conclusion : l’inégalité légitimée
35De la même façon que le discours sur le développement physique des filles et des femmes faisait allusion au développement des garçons et des hommes, de même le développement mental des filles et des femmes était vu comme le baromètre du tempérament national et l’indice du progrès de l’hygiène des garçons et des hommes. On endoctrinait les femmes pour qu’elles deviennent de bonnes épouses, des mères admirables et des consommatrices averties connaissant les technologies domestiques et sanitaires. Le grand magasin servait de lieu public, sanctionné officiellement, où le spectacle du capitalisme national pouvait être strictement dirigé et orchestré. Quand les conditions de la vie quotidienne dans la période de guerre commencèrent à se détériorer, les grands magasins devinrent les gardiens de la frugalité et leur obligation patriotique fut alors de redéfinir la situation de citoyenneté consommatrice des femmes. La grand magasin Takashimaya, celui qui avait commandité les concours de Miss Japon dans les années 1930, organisa des expositions sur la « façon de vivre en temps de guerre » qui dénonçaient la consommation ostentatoire comme un problème essentiellement féminin, dangereux et antijaponais et qui faisaient la promotion de l’idéal d’une femme frugale, économe, pratique, efficace et en pantalon (voir la figure 5).
36L’auteur anonyme de l’article du Journal des femmes cité en introduction avait insisté sur l’exclusion des femmes de la définition officielle du citoyen (kokumin) et avait plaidé pour leur inclusion parmi les citoyens sans le qualificatif de « féminin ». Les conditions et les limitations de la citoyenneté « féminine » montraient clairement aux femmes que la citoyenneté était à la fois l’agent et le résultat d’une inégalité légitimée. Je termine donc avec cette réflexion qui servira de point de départ à une autre étape de mon examen du problème de la sexualité et de la citoyenneté, une étape qui aura pour objet le discours sur la citoyenneté dans l’après-guerre, et en particulier la façon dont celui-ci a été modulé par le discours sur les droits civils et sur les droits de l’homme et comment il a été détourné par l’économie matérialiste de consommation et l’industrie du sexe.
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Notes de bas de page
1 J’utilise le mot « État », au singulier, comme une chose-en-soi, pour ne pas alourdir le texte. Je suis d’accord avec Corrigan et Sayer (1985 : 2-3) quand ils présentent « l’État » pas simplement comme un « organe de coercition » ou comme un « dispositif bureaucratique », mais comme un ensemble d’organismes (lieux, technologies, institutions, ministères) qui, collectivement, mais non pas sans contradictions internes, définissent et reproduisent l’idéologie dominante ou le statu quo.
2 Le terme kokumin fut inventé spécifiquement pour définir le « peuple » comme l’ensemble des citoyens du nouvel État-nation. Bien que les mots shimin (littéralement « habitant de la ville ») et kōmin (le public) sont souvent traduits en anglais par le terme « citizen » (citoyen), le premier connote la résidence (comme Burger en allemand) et le second, la société civile. Il y a dans l’histoire sociale et politique du Japon de multiples mots pour désigner « le peuple » qui correspondent à différents courants idéologiques.
3 Théoriquement, le sexe, le genre et la sexualité désignent des phénomènes différents, bien qu’ils soient souvent traités comme synonymes dans le langage populaire. « Sexe » (sei) désigne à la fois un acte physique (mais pas limité aux relations hétérosexuelles) et le corps physique caractérisé par les organes sexuels féminins ou masculins – ou les deux, à des degrés variables, dans le cas des personnes qui participent des deux sexes – et par leurs fonctions, comme les menstruations, l’éjaculation du sperme et l’orgasme. Le « genre » (sei no sei, jendā, rashisa) fait référence aux conventions historiques socioculturelles de comportement, habillement, voix, gestuelle, etc. attribuées aux hommes et aux femmes. La « sexualité » comporte des aspects en commun avec le sexe et le genre, mais elle se réfère spécifiquement au domaine du désir et du plaisir érotique, un domaine plus complexe et plus varié que la sexualité hétérosexuelle (Robertson, 1998 : 17).
4 La Loi sur la police de l’ordre public, votée en mars 1900 (et modifiée en 1922 et 1926), dirigée principalement contre les groupes antigouvernementaux, comportait l’exclusion des femmes des activités politiques, le terme « politique » étant ici défini d’une manière inclusive et imprécise.
5 En relation à cela, un article exceptionnellement progressiste dans le numéro de la mi-mars du Japan Times International, journal habituellement conservateur, notait que, selon un sondage non officiel, 40 % des Japonais de plus 15 ans étaient homosexuels (certains avancent des pourcentages encore plus haut). La raison du silence à ce sujet ne vient pas de tabous divers, mais du fait que cette statistique était admise sans discussion. L’article remarque aussi que la société japonaise a été « indulgente » et même « ouvertement encourageante » à l’égard des rapports sexuels entre mâles (Shoji, 1999).
6 Sur ce point, la notion de la citoyenneté comme étant liée à la consommation et vice versa a été défendue récemment en Grande-Bretagne sous le mandat de Margaret Thatcher comme premier ministre : la citoyenneté était présentée comme donnant aux citoyens « la liberté de faire des choix bien informés au sujet des biens et services de haute qualité » (Evans, 1993 :5).
7 Yoshiya Nobuko (1896-1973), romancière et essayiste très populaire, qui vécut ouvertement pendant 50 ans avec sa partenaire, constitue une exception notoire. Yoshiya avait un revenu élevé, ce qui en a fait une des personnes les plus riches (et les plus taxées) du Japon, mais, comme elle le dit, sa fortune et sa renommée n’ont pas entraîné l’égalité dans la citoyenneté selon la Constitution (Robertson, 1999a).
8 Il importe ici de ne pas confondre l’éloge de la peau blanche avec une anglophilie inconditionnelle. Historiquement, la blancheur de la peau dénotait des statuts particuliers à la cour et dans les classes ou les occupations ; en outre, elle a dénoté un statut racial, démarquant les Japonais « blancs » des autres asiatiques à la peau plus foncée. Au début du XXe siècle, une prolifération de débats au sujet des supposées origines aryennes et de la « blancheur » relative des Japonais contribua au discours sur l’eugénisme (Oguma, 1995 : 172-185).
9 La campagne de la « beauté du corps sain » des années 1930 se poursuit aujourd’hui dans les industries du bodikon (conditionnement physique) et du esute (esthétisme) dont le chiffre d’affaires s’élève à plusieurs milliards de yen (voir « Kore de kirei ni narimashita », 1998).
10 Présageant la campagne étatique de l’eugénisme, un premier centre ouvrit ses portes à Tōkyō au printemps 1933, à une époque ou les hygiénistes faisaient des pressions sur le gouvernement pour une législation eugénique comprenant la Loi de la stérilisation (Furuya, 1935 ; Okada, 1933).
11 Les enseignements de l’Association d’hygiène féminine et les expositions d’hygiène connurent une application pratique, bien que sournoise, à partir de 1892 quand les premières agences de détectives privés (kōshinjo) ouvrirent leurs portes avec comme mandat d’enquêter sur le passé, l’ascendance et le degré de parenté des conjoints potentiels (Fujino, 1998 : 391-393).
12 À ce sujet, j’émets l’hypothèse que le rôle central de l’État dans la mise en place et le maintien du système d’esclavage sexuel appelé « femmes de confort » ne se limitait pas au contrôle de l’appétit sexuel des soldats, mais servait aussi à imposer l’hétérosexualité exclusive parmi les soldats dont l’interdépendance et les interrelations étaient très fortes dans la vie quotidienne (voir Maruki, 1930).
13 « Atama ni kobiritsuiteiru fuke o otorinasai ».
Auteurs
Professeur titulaire au Département d’anthropologie de l’Université du Michigan. Parmi ses nombreuses publications, on note deux livres récents : Native and Newcomer : Making and Remaking of a Japanese City (1994/1991) et Takarazuka : Sexual Politics and Popular Culture in Modern Japan (1998), parus tous deux chez University of California Press. Ses recherches actuelles portent sur les discours et pratiques de la sexualité, la race et l’ethnicité ainsi que sur la citoyenneté au Japon au XXe siècle.
Professeur titulaire et directeur du Département d’anthropologie de l’Université de Montréal. Il est aussi attaché au Centre d’études d’Asie de l’Est de la même institution. Parmi ses publications récentes, on note Le Japon contemporain : une économie nationale, une économie morale (Montréal, Presses de l’Université de Montréal, 1992) et « Watsuji Tetsurō, la modernité et la culture japonaise » (publié dans Anthropologie et sociétés, 22 (3), (1998). Ses recherches actuelles portent sur l’impact des écrits philosophiques et politiques des penseurs japonais du « dépassement de la modernité » (1930-1945) sur les discours contemporains sur la culture japonaise, et sur les relations entre économie et culture au Japon à la fin du vingtième siècle.
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Mythe et philosophie à l'aube de la Chine impériale
Études sur le Huainan zi
Charles Le Blanc et Rémi Mathieu (dir.)
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Les Chinois vus par les Occidentaux de Marco Polo à nos jours
Jonathan D. Spence
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