Chapitre 3. La subsistance
p. 53-78
Texte intégral
Dans certains pays, la population semble être sous la contrainte, c’est-à-dire que le peuple a été habitué peu à peu à vivre de la plus petite quantité de nourriture possible. Il dut y avoir des périodes dans ces pays quand la population augmenta de manière permanente sans augmentation concomitante des moyens de subsistance. La Chine semble correspondre à cette description. Si l’on prête foi aux rapports qui nous en parviennent, les classes inférieures du peuple sont habituées à vivre de la plus petite quantité de nourriture imaginable et se réjouissent de consommer des abats putrides que des ouvriers européens ne mangeraient pas au prix de leur vie... Une nation dans cet état doit nécessairement être sujette aux famines.
Malthus, An Essay on the Principle of Population, 1798 (trad. C. Le Blanc).
L’héritage malthusien
1Pendant des siècles, les voyageurs européens visitant la Chine ont commenté la pauvreté et la densité de la population chinoise (Lach et Van Kley, 1993)1. On ne sera donc pas surpris si les premiers économistes occidentaux, y compris Malthus, ont associé ces deux phénomènes2. En termes malthusiens, la Chine du XVIIIe siècle était peut-être le modèle de surpopulation et de pauvreté le mieux documenté. D’une part, la densité de la population, en nombre d’habitants par acre cultivé, était parmi les plus élevées des grandes nations3 ; d’autre part, la consommation d’énergie et de denrées alimentaires par personne semble avoir été parmi les plus basses au monde4. En conséquence, la taille moyenne de l’homme chinois était considérablement inférieure à celle du paysan européen de la même époque5.
2La population de la Chine, en dépit de niveaux aussi bas, commença paradoxalement un processus soutenu de croissance exponentielle à partir du début du XVIIIe siècle. Le Graphique 3.1 ébauche les contours de cette croissance de la population. Nous pouvons distinguer en gros trois stades : une hausse rapide de 160 000 000 d’habitants en 1700 à 350 000 000 en 1800, une augmentation plus lente à près de 600 000 000 d’habitants en 1950 et une accélération aiguë à plus de 1 200 000 000 d’habitants aujourd’hui. De plus, malgré de récents efforts étatiques pour restreindre la nuptialité et la fécondité, le nombre de Chinois va continuer de s’accroître, mais à un taux plus lent, jusqu’au milieu du XXIe siècle. La population sera alors d’au moins 1 600 000 000 d’habitants. En conséquence, la Chine contemporaine fera face à une variété de contraintes économiques, écologiques et sociales.
GRAPHIQUE 3.1. Chine : l’explosion démographique, 1700-2050
Sources : Ho (1959) ; Durand (1974) ; Schran (1978) et Zhao Wenlin et Xie (1988).
3Plusieurs savants chinois ont longtemps été fascinés par les implications malthusiennes de ces accroissements de population, mais il n’y a pas de consensus au sujet de leurs effets ou de leurs critères, localisation ou périodisation. Malthus lui-même mettait l’accent sur les effets démographiques, soit la hausse de la mortalité quand la croissance de la population ravalait le rendement sous les niveaux de subsistance6. Plus récemment, d’autres chercheurs se sont concentrés sur les processus économiques plus larges, certains cherchant à déterminer quand la population excédait un optimum déterminé par les ressources et la technologie de la Chine7, d’autres à déterminer le moment où la productivité marginale de la main-d’œuvre approchait de zéro — en d’autres mots, le moment où l’emploi rural se transformait en sous-emploi8.
4Une telle confusion au sujet des implications malthusiennes de la croissance de la population chinoise a été exacerbée par le manque de spécificité géographique et, tout aussi bien, par la rareté des études quantitatives empiriques sur l’économie de la Chine contemporaine et sur celle de la Chine impériale tardive9. Si la population de la Chine fut l’une des plus importantes du monde et l’une des moins bien comprises, il en fut ainsi, sans l’ombre d’un doute, de son économie.
5Les changements au cours des deux dernières décennies sont remarquables10. De nouvelles données et méthodes ont commencé à éclairer l’histoire économique et démographique de la Chine impériale tardive et contemporaine. Les résultats défient l’opinion commune. Tout au long de cette période, la production alimentaire a été, semble-t-il, bien au-dessus du niveau de subsistance. En fait, comme nous le verrons plus loin dans ce chapitre, l’économie chinoise a connu une croissance indéniable si l’on considère la productivité par personne au XVIIIe siècle dans des régions comme le Jiangnan et au XXe siècle dans tout le pays. Cette croissance dépendait en partie d’un processus sur le plan de la macroéconomie (décrit dans le chapitre 7), par lequel la croissance de la population suscita l’innovation technologique et la croissance économique subséquentes. Elle était aussi due à une boucle rétroactive sur le plan de la microéconomie, alors que les familles ont changé le comportement démographique et ont contrôlé leur taille et leur composition en fonction des circonstances économiques. En d’autres termes, le postulat malthusien voulant que la croissance de la population conduise inévitablement à des rendements de plus en plus bas s’est avéré incorrect, même dans la Chine impériale tardive.
Réalités chinoises
6Trois indices différents — la production alimentaire par personne, la consommation alimentaire par personne et l’espérance de vie — abolissent le mythe de la Chine comme étant une terre de pauvreté et de famine malthusiennes.
La production alimentaire
7En dépit de la croissance sextuple de la population, du XVIIIe au XXe siècle, des études économiques récentes ont étayé différentes formes de progrès dans la production économique liées à l’apparition du commerce au XVIIIe siècle, de l’urbanisation au XIXe siècle et de l’industrialisation au XXe siècle. Les augmentations dans la production et la consommation alimentaires, initialement lentes et inégales, ont depuis peu connu une accélération considérable.
8La production céréalière par personne, soit la mesure la plus importante de la pression malthusienne dans une société agraire, n’a pas diminué au cours des 300 dernières années11. Au contraire, pour une grande partie de cette période, nonobstant une diminution des terres cultivées, la production céréalière par personne est demeurée constante et a même augmenté dans certaines régions, quoique cela se soit fait lentement et pas toujours uniformément à travers le pays (Perkins, 1969 ; Chao et al, 1995)12. Au cours du XXe siècle, pour lequel nous avons de meilleures évaluations sur le plan national, la productivité par personne démontre une tendance constante à la hausse. Selon le Graphique 3.2, la production céréalière par personne s’est modérément accrue sous le système de fermage collectif et a substantiellement augmenté depuis la fin des années 1970 pour s’établir à 260 kg par personne par année dans les années 1920, à 300 au milieu des années 1970, à 370 à la fin des années 1980, et à 390 en 1990.
GRAPHIQUE 3.2. Chine : la production céréalière par personne, 1930-1986
Sources : 1930 : estimation pour 1929-1933, Buck (1966) ; 1952 : Buck (1966) ; 1975 : estimation pour 1970-1978, Rawski (1979) ; 1978,1986 : Walker (1988).
9On constate un changement comparable dans la productivité de la main-d’œuvre. Même si ce progrès à la hausse ne fut d’aucune façon uniforme, la croissance économique fut évidente, particulièrement dans des régions comme le Bas-Yangzi et le Nord-Est. Dans la région ouest du Songjiang, particulièrement bien étudiée, la productivité annuelle nette par ouvrier agricole augmenta de 30 % du XVIe au XVIIIe siècle, soit de 18,8 à 24,5 shi13. Selon Li Bozhong (1998), pour le Bas-Yangzi tout entier à la même période, le rendement moyen par mu (un sixième d’un acre anglais) augmenta de 47 % et la productivité annuelle nette par travailleur de 52 %14. Cette augmentation dans la productivité du travail agricole fut accompagnée par un déplacement de la force de travail féminine vers la sériciculture et l’industrie rurale. Vers la fin des années 1970, la productivité céréalière dans les provinces du Bas-Yangzi et dans le Nord-Ouest était encore bien au-dessus de la moyenne nationale15.
10De telles augmentations dans la productivité s’étendirent à tout le pays vers le milieu du XXe siècle. Durant la période où la croissance de la population a été la plus rapide en Chine (du milieu des années 1950 au milieu des années 1970), la productivité de la main-d’œuvre rurale augmenta de 232 yuan par personne et par an à 255 yuan par personne et par an (Rawski, 1979)16. Une telle augmentation dans la productivité de la main-d’œuvre rurale, pour modérée qu’elle fut, n’en demeura pas moins un exploit spectaculaire, étant donné l’augmentation massive de la force de travail rurale durant cette période. Vers 1975, le nombre des ouvriers ruraux avait augmenté de 100 000 000, soit une progression de 40 % plus élevée qu’au milieu des années 1950. Néanmoins, la productivité de la main-d’œuvre dans les régions rurales s’est accélérée depuis la fin des années 1970 à un rythme encore plus explosif. Le taux moyen de croissance dans la valeur de la productivité agricole par personne au cours des deux dernières décennies est de 10 fois plus élevé que dans la période de 1958-197817.
11Par contraste, des régions de collines comme le Nord-Ouest (Shaanbei, Gansu) et le Sud-Ouest (Guizhou, Yunnan) connurent un déclin de la productivité par personne à la fin du XIXe et au XXe siècle, en raison de la détérioration écologique (Yan et Wang, 1992). Un fermage excessif sur les pentes des collines et un terrassement inadéquat se traduisirent par une déforestation et une érosion du sol à grande échelle. En conséquence, vers la fin des années 1970, la production céréalière par personne dans ces provinces était de 15 à 30 % au-dessous de la moyenne nationale. Les meilleures années de production agricole dans l’histoire récente de la Chine, de la fin des années 1970 au milieu des années 1980, n’améliorèrent pas la situation de ces provinces. Vers 1986, la production céréalière y avait chuté de 14 à 40 % au-dessous de la moyenne nationale. La production céréalière par personne ne s’améliora pas du tout dans la province du Gansu et elle déclina dans les provinces du Guizhou et du Yunnan18.
La consommation alimentaire
12Dans l’ensemble, cependant, les progrès dans la production alimentaire favorisèrent une alimentation de meilleure qualité. Les mesures nutritionnelles et anthropométriques provenant de populations spécifiques suggèrent des améliorations dans le niveau de vie au moins dès le tournant du XXe siècle et, dans certaines régions de Chine, un peu plus tôt. Les indicateurs anthropométriques révèlent une augmentation graduelle du bien-être physique au début du XXe siècle19. De nombreuses études des populations historiques et contemporaines à travers le monde ont établi un lien entre l’alimentation et la taille. Les valeurs moyennes de la taille des jeunes adultes reflètent peut-être mieux que tout autre indicateur particulier le régime nutritionnel et le niveau de vie (Fogel, 1986 ; Floud, Wacher et Gregory, 1990 ; Kolmos, 1994 et Steckel, 1997).
13La courte taille des Chinois à l’aune des critères européens s’expliquait par la composition de la diète et l’absorption calorique. Les Chinois, au moins depuis le XIIe siècle, se sont nourris principalement de légumes et de céréales plutôt que de viande et de produits laitiers. Ils se sont ainsi alimentés d’un mélange de gras, de protéines et d’aliments nutritifs très différent de celui des Européens (Anderson, 1988). En conséquence, même si la disponibilité d’ingrédients nutritifs par personne était juste au-dessus du minimum vital (2 000 calories au début du XXe siècle), les niveaux étaient bien en deçà des normes européennes pour le même taux d’absorption calorique. Cependant, la disponibilité d’ingrédients nutritifs par personne augmenta substantiellement durant la deuxième moitié du XXe siècle à 2 326 calories en 1956 à 2 500 vers la fin des années 1970 et à près de 3 000 vers les années 1990 ; on note une augmentation correspondante dans la taille moyenne des Chinois (Piazza, 1986 et Brown, 1995)20.
14La taille des Chinois a donc augmenté de manière notable au cours des 75 dernières années. Les enquêtes nationales sur la taille humaine n’ont été disponibles que dans les années 1950. Cependant, les analyses anthropométriques de populations spécifiques semblent fortement indiquer que les normes nutritionnelles ont commencé à s’élever dès le début du XXe siècle. Le Graphique 3.3 résume les données disponibles. L'analyse de plusieurs milliers de membres de la garde impériale de Beijing montre que la taille des hommes en général ne dépasse pas 163 cm vers 190021. Cette valeur correspond à peu près à celle des citadins chinois lors de la première enquête nationale sur la taille chinoise dans les années 192022. Vers les années 1980, la taille des hommes s’était élevée à 171 cm. En moins de trois quarts de siècle, en d'autres mots, la taille des hommes s’était élevée de plus de 8 cm. La croissance semble s’être produite en deux étapes. Durant la première moitié du XXe siècle, en Chine continentale aussi bien qu’insulaire, la stature augmenta de 0,5 à 1 cm par décennie, selon le sexe et le lieu de résidence23. Après 1949, le taux de croissance augmenta de 1 à 1,4 cm par décennie, au point d’égaler celui du Japon et des pays européens durant leur période d’amélioration anthropométrique la plus rapide (Piazza, 1986)24. Même si les données à l’échelle du pays sont toujours inexistantes pour les périodes plus anciennes, empêchant des comparaisons dans le temps, l’information disponible pour des localités rurales choisies révèle une croissance encore plus rapide dans les régions rurales que dans les villes25.
GRAPHIQUE 3.3. Chine : la taille moyenne des hommes, 1900-1985
Source : A. Chen et Lee (1996).
15Les changements dans la taille reflètent des changements dans la morbidité et dans la nutrition. Non seulement la disponibilité des aliments nutritifs a augmenté substantiellement et continûment en dépit de la croissance soutenue de la population, mais il y a également eu une amélioration notable de la santé, à cause du contrôle et de la prévention des maladies. Néanmoins, ces changements dans la stature viennent corroborer les améliorations dans le niveau de vie pris dans son ensemble.
16En outre, dans certaines régions de la Chine, ces améliorations dans la nutrition avaient déjà commencé, on en a des preuves, bien avant le XXe siècle. Si la plupart des historiens chinois supposèrent des niveaux de nutrition très bas, même minimaux, pendant la période impériale tardive, une telle conclusion ne semble pas corroborée par les documents historiques. À la lumière de recherches récentes, les gens dans les régions les plus densément peuplées avaient même, dans l’ensemble, des diètes supérieures à celles des gens des régions moins peuplées (Luo, 1989). Des registres divers sur la diète ordinaire des travailleurs agricoles du Bas-Yangzi à l’époque impériale tardive, la région la plus peuplée de la Chine, montrent qu’ils se nourrissaient à un niveau probablement supérieur à celui de toute autre région de la Chine.
17Le niveau de vie semble s’être amélioré substantiellement à partir des temps plus anciens. La comparaison des manuels agricoles de l’époque impériale tardive, où l’on notait la rémunération salariale et la diète rurale, indiquent qu’à partir du XVIIe siècle, les Chinois du Bas-Yangzi et d’ailleurs mangeaient plus de poisson, de viande et de tofu, buvaient plus de thé et de vin ; et consommaient plus de sucre qu’à toute autre époque antérieure (Fang, 1996)26. Un ouvrier agricole ordinaire au XVIe siècle recevait de la viande 10 jours par mois lors de la saison active ; or, cette allocation augmenta à 15 jours par mois au XVIIe siècle et à 20 au XIXe27. De plus, la quantité et la qualité de la viande furent améliorées. Les jours de viande, les travailleurs agricoles journaliers ne recevaient que de petites portions de soi-disant viande humble — de la viande en conserve, du poisson séché, des abats — durant le XVIIe siècle, mais mangeaient de grandes quantités de porc au XIXe28. Alors que les portions de porc étaient plus petites pour les ouvriers agricoles travaillant à l’année, ils recevaient également du poisson les jours sans viande29. La quantité et la qualité des boissons alcoolisées augmentèrent de la même manière30. Ainsi, certains travailleurs agricoles du milieu du XIXe siècle recevaient de la viande et du vin même les jours ordinaires. Cela était également vrai pour les paysans ordinaires31.
18Les améliorations du niveau de vie n’étaient pas limitées à la diète. Ken Pomeranz (2000) a récemment quantifié la consommation par personne de tissus, de meubles et même d’énergie en Chine et conclut qu’elle était comparable à celle de l’Europe du XVIIIe siècle32. Le postulat communément reçu voulant que l’augmentation de la population conduise à l’appauvrissement et même à la mort par la faim ne semble donc pas se vérifier en Chine, et surtout pas au Bas-Yangzi33. La population de la Chine augmenta en dépit de la constante pression malthusienne. Cette progression se fit (comme nous le verrons dans la prochaine section) sans augmentation de la mortalité et de la famine et sans déclin apparent de la productivité par personne. Des preuves évidentes existent sur l’amélioration de la qualité du niveau de vie, bien avant les progrès économiques de la fin du XXe siècle. En ce sens, la Chine, en particulier sa région la plus peuplée, le Bas-Yangzi, ne semble pas avoir souffert de surpopulation.
L’espérance de vie
19La Chine, dans son ensemble, ne semble pas non plus avoir connu de hauts taux de mortalité ni de famines fréquentes. Dans le passé, l’opinion reçue considérait que la population chinoise était en grande partie décimée par la mortalité : guerre, pestilence, famine et infanticide. La population, en d’autres mots, oscillait autour d’un équilibre déterminé par des variations dans les obstacles destructifs et non dans les obstacles préventifs. Des améliorations dans le niveau de vie conduisirent à une augmentation de la population qui se fit plus rapidement que l'augmentation des moyens de subsistance. Les obstacles destructifs et, dans une certaine mesure, les obstacles préventifs, entrèrent en jeu et le taux de croissance déclina. La mortalité — l’obstacle destructif de Malthus —, neutralisa la croissance de la population chinoise34.
20L’importance accordée à l’obstacle destructif en Chine incita plusieurs pionniers de la recherche en démographie historique chinoise à se concentrer sur la mortalité, en dépit des limites inhérentes aux sources généalogiques utilisées dans les analyses (Harrell, 1985 ; Liu Ts’ui-jung, 1985 ; Lee, Anthony et Suen, 1988)35. Selon ces auteurs et plusieurs autres plus récents, la mortalité dans la plupart des régions chinoises au XVIIIe siècle était dans l’ensemble semblable à la morbidité en Europe occidentale36. L’espérance de vie à la naissance s’étalait de la vingtaine avancée à la jeune trentaine, selon le sexe, la classe et l’environnement résidentiel. Les hommes vivaient plus longtemps que les femmes (Lee, Anthony et Suen, 1988 ; Lee et Campbell, 1997). Les membres des élites vivaient plus longtemps que les gens du commun (Telford, 1990a ; 1990b). Les ruraux vivaient généralement plus longtemps que les citadins, indépendamment de leur classe (Lee, Campbell et Wang, 1993).
21La croissance de la population chinoise au cours du XIXe et au début du XXe siècle aurait dû, selon les prévisions malthusiennes, conduire à des taux de mortalité élevés et à de fréquentes famines. Or, les taux de mortalité ne semblent pas avoir augmenté au cours de cette période37. L’espérance de vie de la lignée impériale (le groupe le mieux documenté), par exemple, ne montre aucun signe de décroissance, même si ses membres connurent une situation de plus en plus difficile au cours du XIXe siècle (Lee, Campbell et Wang, 1993 ; Lee, Wang et Campbell, 1994)38. Ce modèle démographique valait aussi pour les gens du commun (Lee et Campbell, 1997). Par ailleurs, on aperçoit des signes indubitables d’une baisse soutenue de la mortalité, au moins dans des populations urbaines et rurales choisies, dès le début du XXe siècle. À Beijing, par exemple, Cameron Campbell (1997) a répertorié une amélioration dans l’espérance de vie de plus de 10 ans des personnes âgées de 5 ans pour les deux sexes. Selon lui, ce déclin de la mortalité est attribuable à des mesures de santé publique volontaires introduites dans les années 1910 et 1920. Des mesures semblables ont été mises en lumière pour Tianjin et d’autres villes (Benedict, 1993 et Rogaski, 1996) et furent rapidement suivies par des politiques nationales de santé publique, dont l’efficacité a seulement été reconnue récemment (Yip, 1995).
22Même si cette diminution de la mortalité connut quelques interruptions, ces crises furent loin d’empêcher la croissance à long terme de la population. Les famines furent peu nombreuses et eurent un impact très limité39. De plus, celles-ci et la perte subséquente en vies humaines semblent avoir été le résultat de problèmes politiques et organisationnels, et non pas de la surpopulation comme telle. Peut-être le cas le plus saillant fut celui de la famine du Grand Bond en avant de 1958-1961, certainement la pire de l’histoire humaine, avec quelque 30 000 000 de morts prématurées et 30 000 000 de naissances reportées (Ashton et al., 1984). Cette famine, exacerbée par des conditions naturelles adverses, rigoureuses et inhabituelles, fut d’abord le résultat d’une série d’erreurs humaines associées au Grand Bond en avant. Celui-ci accéléra de manière irréaliste la communalisation rurale et le développement industriel (D. L. Yang, 1996). L’absence de communication et les impératifs politiques conduisirent à des décisions insensées, comme celle d'exporter des céréales en 1960, au moment où la famine avait déjà atteint son apogée40. Les famines antérieures semblent avoir été le produit d’une confusion et d’une ignorance semblables41. La politique, plutôt que la surpopulation, poussa la Chine en deçà du seuil de la subsistance (Bernstein, 1984).
23Vers le milieu du XXe siècle, la mortalité chinoise commença à décliner à un taux sans précédent dans le monde pour une population aussi nombreuse. La mortalité infantile tomba de 200 pour 1 000 en 1950 à moins de 50 pour 1 000 aujourd’hui. D’après les tableaux statistiques construits à partir de trois recensements, l’espérance de vie pour les hommes s’éleva de 42,2 ans entre 1953 et 1964 à 61,6 ans entre 1964 et 1982, c’est-à-dire un taux d’amélioration de 1,5 année d’espérance de vie par année depuis 1949. Vers 1980, l’espérance de vie était de 69 ans. De hauts niveaux d’investissement gouvernemental dans la santé publique sont à l’origine de ce progrès rapide (Jamison et al., 1984). Des données récentes confirment la baisse continue mais plus lente de la mortalité au cours des 10 dernières années, en particulier dans des provinces aussi éloignées que le Gansu et le Guizhou42.
24On ne trouve donc aucune preuve de l’augmentation, de la fréquence et de l’intensité des crises de mortalité au cours des 300 dernières années. Au contraire, la mortalité est demeurée à peu près stable ou a même diminué à mesure que la population augmentait. Les pronostics de Malthus, en dépit de ses arguments puissants, ne se sont jamais réalisés. Malgré une croissance soutenue de la population — de 225 000 000 de personnes en 1750 à près de 600 000 000 en 1950 et à plus de 1200 000 000 aujourd’hui —, la menace d’une surpopulation semble avoir été un mythe.
La population et l’économie
25Ce contrôle de la surpopulation est attribuable à deux processus démographiques et économiques. D’abord, un processus causal sur le plan de la société, par lequel la croissance de la population suscita l’innovation technologique et une croissance économique subséquente (Boserup, 1965/1966). Ensuite, une boucle rétroactive sur le plan de chaque famille, par laquelle des circonstances économiques changeantes amenèrent les gens à changer leur comportement nataliste et, par voie de conséquence, à réguler leur fécondité et, dans une moindre mesure, leur mortalité. Le premier processus d’innovation technologique et de hausse de la productivité ouvrière a été décrit en détail par plusieurs savants (Ho, 1955 ; Tang, 1986 ; Guo Wentao, 1988 et Li Bozhong, 1998). Le second processus du contrôle prémoderne de la population, moins étudié, sera examiné en détail dans les chapitres 4 à 743.
L’expansion agricole
26Pendant plusieurs années, on expliqua la croissance de la population à l’époque impériale tardive par l’élargissement de la base alimentaire dû à l’introduction de nouvelles cultures et de nouvelles techniques agricoles. Pour Ho Ping-ti (1955 ; 1959 ; 1978), en particulier, la diffusion de nouvelles semences provenant de l’Amérique et d’ailleurs en Asie permit aux Chinois d’augmenter non seulement les rendements agricoles, mais aussi la superficie cultivée, surtout dans les montagnes de l’ouest de la Chine, sur la frontière du Sud-Ouest et dans plusieurs régions montagneuses de l’intérieur. Comme résultat, le Sud-Ouest, par exemple, qui comptait seulement moins de 5 % de la population chinoise au milieu du XVIIIe siècle, en enregistrait plus de 15 % au début du XXe siècle44.
27Des recherches récentes effectuées par des savants japonais et américains ont déplacé le centre d’intérêt vers d’autres formes d’innovation technologique et inversé la séquence causale. L’expansion agricole était l’effet et non la cause de la pression de la population45. Elvin (1973), en particulier, travaillant sur la base des recherches japonaises, montra comment les augmentations de population conduisent à des accroissements de la productivité (notamment de la récolte simple à la récolte multiple, de l’agriculture humide à l’agriculture sèche, de l’utilisation limitée à l’utilisation intensive des fertilisants, et de la main-d’œuvre limitée à la main-d’œuvre intensive). Son travail, cependant, fournissait trop peu de détails pour étayer le processus de cause à effet.
28Récemment, dans une série de publications centrées sur le Bas-Yangzi, la région la mieux étudiée de la Chine impériale tardive, Shiba Yoshinobu (1991) et Li Bozhong (1998) ont étayé avec beaucoup de détails un modèle de croissance économique, au moins pour cette région, dans lequel la productivité par personne et la consommation par personne s’élevèrent ensemble46. Ils concluent que plusieurs technologies traditionnelles locales ne furent pas répandues avant la fin du XVIIIe et le début du XIXe siècle47. De plus, la valeur de la production ouvrière augmenta en parallèle avec l’utilisation plus efficace des ressources. D’une part, les fermiers du Bas-Yangzi accrurent l’utilisation rationnelle des ressources disponibles — terre arable, surface aquatique, force de travail humaine et animale. D’autre part, ils élevèrent également l’intensité de la production, c'est-à-dire qu’ils intensifièrent la quantité de travail et de capital investis dans une région et un temps donnés afin d’augmenter la production. Les deux processus allaient de pair. Ainsi, l’expansion de la double récolte de riz paddy et des récoltes d’hiver en terrain sec, des récoltes multiples de coton et de riz paddy avec des récoltes d’hiver en terrain sec et des cultures intercalaires dans les bosquets de mûriers, multiplia le nombre de jours ouvrables dans l’année et la demande de travail humain et animal. En même temps, les fermiers accrurent leurs investissements dans les cultures commerciales en changeant le calendrier d’ensemencement et en convertissant la terre à des récoltes plus intensives. L’accroissement de la fertilisation fut particulièrement important. En fait, la contribution des fertilisants s’éleva même plus rapidement que celle de la force de travail. Ces changements se produisirent en parallèle avec l’expansion de l’industrialisation et du commerce dans le Bas-Yangzi. L’expansion des marchés domestique et international fournit aux paysans du Bas-Yangzi une opportunité d’enrichissement en raison de l’avantage comparatif et de la division croissante de la force de travail, convertissant ainsi des millions de paysans, surtout des femmes, du travail de la ferme au travail de l’industrie rurale, dont les rendements étaient plus élevés. Pour toutes ces raisons, la productivité totale dans le Bas-Yangzi s’accrut considérablement durant les XVIIIe et XIXe siècles.
L’intensification du travail
29L’expansion agricole, en d’autres mots, fut accompagnée par un processus parallèle d’intensification du travail. Cette transformation ressemble superficiellement à la soi-disant « révolution industrieuse » au Japon (Akira Ayami, 1977). Cependant, elle paraît avoir été suscitée non par la pression démographique mais par des opportunités économiques plus grandes aux XVIIIe et XIXe siècles et par des exigences idéologiques dans la dernière partie du XXe siècle48. Deux processus, différenciés par le temps, le sexe et la motivation, semblent avoir joué.
30D’une part, les hommes travaillaient pendant de longues heures chaque jour et davantage de jours dans l’année. En Chine impériale tardive, les fermiers du Bas-Yangzi travaillaient dans les champs toute l’année. En revanche, les hivers rigoureux de la Chine du Nord forçaient les fermiers à une longue période d’oisiveté. À partir des années 1970, non seulement tous les hommes dans la Chine rurale étaient employés, mais le nombre de jours ouvrables par année augmenta de plus de 50 %, soit de 160 à 250 jours (Rawski, 1979, p. 115)49. L’augmentation de la part du travail rural était principalement due aux nécessités d’une culture plus intensive au moins jusqu’au milieu des années 1970 : accroissement des récoltes multiples et des superficies ensemencées50. D’autres sources majeures de la demande de travail rural furent la préparation des sols et l’aménagement, qui connurent une expansion substantielle avec le système de fermage collectif.
31En outre, les femmes répondirent de plus en plus à la demande de travail principale, en s’investissant d’abord dans des activités économiques non agraires aux XVIIIe et XIXe siècles et dans des activités agraires subsidiaires au XXe siècle. Vers la fin de la période impériale tardive, la participation féminine au fermage et surtout à la production artisanale du coton et de la soie était déjà élevée dans des régions comme le Bas-Yangzi, mais était beaucoup plus basse dans d’autres régions comme la Chine du Nord51. Cependant, à partir des années 1950, la participation féminine à la force de travail augmenta de manière notable à travers tout le pays. Les politiques d’État stipulaient que les femmes travaillant aux champs fussent payées autant que les hommes pour la même occupation. En conséquence, la participation féminine à la production agricole dans certaines régions doubla littéralement la demande de travail rurale en quelques années à peine.
32En dépit de l’augmentation formidable de la demande de travail, la productivité par personne ne semble pas avoir décliné52. Au contraire, elle augmenta, tout comme plusieurs indicateurs du niveau de vie. Dans le Bas-Yangzi, par exemple, les salaires réels du fermage s’élevèrent de manière importante en argent comptant et modérément en nature. Selon une étude, il fallait le revenu de quatre à cinq ouvriers adultes au début du XVIIe siècle pour prendre en charge un seul adulte additionnel. Vers le milieu du XVIIIe siècle, seulement un ou deux travailleurs gagnaient suffisamment pour prendre en charge une personne additionnelle (Wei, 1983, p. 433-442, 490, 496-499). Cette augmentation du revenu et du niveau de vie se remarque dans les comportements vestimentaires et la diète. Selon Fang (1996), plusieurs paysans portaient encore des vêtements en chanvre ou en ramie au XVIIe siècle, mais, vers le milieu du XIXe siècle, presque tous portaient du coton et même de la soie53. Les exemples les plus frappants de la consommation accrue de biens de luxe concernaient l’alcool, l’opium et le tabac54.
33Dans le Bas-Yangzi, la croissance de la population n’entraîna aucune diminution à long terme dans la consommation et dans le revenu55. L’accroissement séculaire de la production, de l’alimentation et du bien-être ne se répandit à travers tout le pays qu’au XXe siècle. Cependant, certaines régions, comme le Bas-Yangzi, connurent un processus semblable dès le XVIIIe siècle. Les pressions malthusiennes existèrent tout au long de l’histoire chinoise, mais elles ne menèrent jamais à une crise de mortalité. Cet exploit majeur n’aurait pas dû se produire dans le système démographique chinois tel qu’il est analysé par Malthus, un système où la capacité productive avait atteint ses limites, où la fécondité n’était pas réglée et où la mort était le seul moyen de ramener la population dans les limites des ressources.
34L’évitement de la crise malthusienne ne fut pas seulement le résultat de la croissance à un niveau macro ; il fut aussi facilité par les ajustements démographiques constants au niveau micro (voir les chapitres 4 à 6). Le comportement démographique des Chinois embrassait des méthodes multiples de contrôle de la natalité leur permettant d’ajuster activement leur mortalité, leur nuptialité et leur fécondité. Le système démographique des Chinois, en d’autres termes, leur permit de créer une boucle rétroactive entre la croissance de la population et la croissance économique. Ils purent ainsi ajuster leur comportement démographique à leurs conditions sociales et économiques. À la différence des paysans d’autres pays, les paysans chinois gardaient leurs enfants en vie seulement si c’était à leur avantage. En Chine, la population s'accrut en bonne partie en réponse à des opportunités accrues. Les Chinois pouvaient donc contrôler la croissance de la population ou lui donner libre cours sans pour autant augmenter les effets de l’obstacle destructif, au moins au niveau exogène et macro décrit par Malthus.
35Le comportement de la population chinoise constitue un régime démographique que nous décrivons dans le chapitre 7 comme l’alternative au paradigme malthusien. Les mécanismes démographiques contrôlés combinés à la fécondité conjugale, à l’infanticide et au célibat masculin jouèrent le rôle d’une puissante composante dans la boucle rétroactive entre l’économie et la population. D’une part, le comportement démographique fut étroitement lié aux circonstances économiques ; d’autre part, un tel système, fort des multiples moyens de contrôle de la population, permit à la population chinoise de croître sur une longue période, même durant les crises de famine et de mortalité prolongées prédites par Malthus.
Notes de bas de page
1 J. B. Du Halde, Description géographique, historique, chronologique, politique et physique de l’empire de la Chine et de la Tartarie chinoise, Paris, 1735, II, p 73 : « Cependant quelque sobre et quelque industrieux que soit le peuple de la Chine, le grand nombre de ses habitants y cause beaucoup de misère. On en voit de si pauvres, qui, ne pouvant fournir à leurs enfants les aliments nécessaires, les exposent dans les rues, surtout lorsque les mères tombent malades, ou qu’elles manquent de lait pour les nourrir. Ces petits innocents sont condamnés en quelque manière à la mort, presque au même moment qu’ils ont commencé de vivre. »
2 Ainsi, selon Adam Smith (trad. G. Garnier, I, p. 143), « La pauvreté des classes inférieures chinoises dépasse de beaucoup celle des nations les plus misérables de l’Europe [...]. La subsistance qu’elles peuvent s’y procurer y est tellement rare qu’on les voit repêcher avec avidité les restes dégoûtants rejetés à la mer par quelque vaisseau d’Europe. Une charogne, un chat ou un chien mort, déjà puant et à demi pourri, est une nourriture aussi bien reçue par eux que le serait la viande la plus saine par les habitants d’autres pays. »
3 Selon les statistiques chinoises officielles, vers le milieu du XVIIIe siècle, la densité de la population était déjà au-dessus de 500 personnes par kilomètre carré cultivé (Liang Fangzhong, 1980, p. 400 et 546). Même si ces chiffres sont sans doute exagérés, en raison du sous-enregistrement des superficies cultivées (Ho, 1995), le contraste avec l’Europe du XVIIIe siècle, où 70 personnes occupaient un kilomètre carré cultivé, est plutôt extrême (Braudel, 1979, p. 52-72).
4 Les passages classiques de Smith et Malthus cités plus haut reflètent cette opinion commune.
5 Même si la taille moyenne des Chinois n’a pas encore été déterminée pour le XVIIIe siècle, elle ne dépassait pas 163 cm à la fin du XIXe siècle (Chen et Lee, 1996). Par contraste, la taille moyenne des Européens à la fin du XIXe siècle était d’environ 170 cm (Floud, Wachter et Gregory, 1990).
6 Malthus et Ricardo définirent tous deux la surpopulation comme le point où la productivité moyenne tombait au-dessous du niveau minimum de subsistance ; les niveaux de mortalité s’élevaient ou le mariage était retardé, et dans les deux cas la croissance de la population s'arrêtait (Grigg, 1980).
7 Ho écrivait en 1959 : « En tenant compte du niveau technologique de l’époque, il y a des raisons de croire que la condition optimale (le point où “une population produit le bien-être économique maximal”), fut atteinte entre 1750 et 1775 » (p. 270). Mark Elvin (1973) fut cependant le premier à développer cette théorie comme un modèle formel de l’histoire économique chinoise. Par coïncidence, des vues semblables furent aussi extrêmement populaires en Chine au cours des années 1970, quand la politique draconienne du contrôle de la population fut formulée pour la première fois (Song, 1981).
8 Parmi les historiens chinois, Philip Huang (1985 ; 1990) est probablement le protagoniste le plus important de cette définition de la surpopulation. Voir Chao (1986) pour une spécification formelle de ce modèle dans le contexte chinois.
9 Alors que plusieurs savants sont plus ou moins d’accord avec le modèle « national » d’abord proposé par Ho Ping-ti, de profonds désaccords existent sur la localisation et sur la périodisation de la surpopulation. Par exemple, plusieurs savants considèrent la Chine proprement dite, particulièrement ses provinces de l’Est, notamment le Jiangsu, le Zhejiang, le Fujian, le Shandong et le Hebei, comme surpeuplée et la période impériale tardive (du XVIIe au début du XXe siècle) comme la principale période de surpeuplement. D’autres soutiennent que l’accroissement de la population eut lieu bien plus tôt et dans plusieurs régions différentes (Cong, 1984). La plupart des historiens s’entendent pour considérer la surpopulation comme une caractéristique du Bas-Yangzi, la région ayant la plus forte densité de population en Chine et la région sur laquelle nous allons nous concentrer dans ce chapitre. Li Bozhong (1996c ; 1998) résume les différents points de vue. Jusqu’à récemment, notre connaissance de la population et de l’économie de la Chine reposait sur des études d'histoire institutionnelle (Ho, 1959 et G. Skinner, 1986) ; sur l'histoire de la démographie chinoise (Jiang Tao, 1993) ; sur l’histoire économique chinoise (Wang Yeh-chien, 1973 ; Chuan, 1974, 1976 et Liang Fangzhong, 1980 ; 1984) ; et enfin sur des estimations à grande échelle de la croissance de la population et de l’économie chinoises (Ho, 1959 ; Liu Ta-chung et Yeh, 1965 ; Aird, 1968 ; Eckstein, Galenson et Liu, 1968 ; Perkins, 1969 et Schran, 1978).
10 Voir Lavely, Lee et Wang (1990) pour un aperçu de l’état de la démographie historique et contemporaine chinoise. Malheureusement, nous ne connaissons aucun article équivalent sur l’étude de l’économie chinoise.
11 La production agricole augmenta non seulement pendant une période de croissance de la population, mais aussi pendant une période de contraction de la superficie ensemencée. Par exemple, Walker (1988) décrit comment, entre 1978 et 1986, la production céréalière nationale augmenta de 24 %, alors que la superficie totale ensemencée diminua de 8 %, en grande partie en raison de son utilisation pour la construction industrielle et résidentielle. Li Bozhong (1998) décrit un processus similaire pour la région du Jiangnan de 1700 à 1850.
12 Selon Perkins (1969), la productivité par personne fut relativement stable au cours des trois derniers siècles. Cependant, Chao et al. (1995) font état d'un léger fléchissement dans la productivité par acre vers la fin duXVIIIe et le début du XIXe siècle, suivi d’une reprise vers la fin du XIXe et le début du XXe siècle. Voir Li Bozhong (1998) pour une critique de ces deux conclusions.
13 Un shi était une unité de volume dans la Chine impériale tardive estimée à un peu moins de 200 lb de riz passé à la meule (Chuan et Kraus, 1975, p. 80).
14 Les conclusions bien étayées de Li Bozhong remettent en question l’une des conclusions majeures de Perkins (1969). S’appuyant sur une variété de preuves indirectes, Perkins affirmait que l’expansion de l’agriculture du XIVe au XIXe siècle était autant le résultat de la productivité croissante des terres que de l’amélioration des techniques agricoles comme telle. D'après lui, les rendements céréaliers doublèrent à travers le pays, la plus grande partie de la croissance se produisant avant le XVIIIe siècle (p. 14-23). Les conclusions de Li, corroborées par celles de Chao et al. (1995), disent plutôt qu’il y a peu de chances que les choses se passèrent ainsi et que la superficie cultivée dut s’accroître beaucoup plus que ne le pensait Perkins.
15 Calculé à partir de Walker (1998, p. 608). En 1978, par exemple, la province du Zhejiang avait une production céréalière par personne de 391 kg, donc de 19 % plus élevée que la moyenne nationale de 329 kg. Dans la province du Jiangsu, elle était de 25 % plus élevée que la moyenne nationale. De plus, de 1978 à 1986, la production céréalière par personne pour le Jiangsu augmenta encore de 29 % avec 533 kg, soit 44 % au-dessus de la moyenne nationale. Dans les provinces du Heilongjiang et du Jilin dans le Nord-Est, la production céréalière par personne était respectivement de 472 et 426 kg, soit 43 et 29 % au-dessus de la moyenne nationale. Vers 1986, la production céréalière par personne s’était élevée à un nouveau sommet de 533 et 604 kg, soit 44 et 63 % au-dessus de la moyenne nationale.
16 Ces chiffres sont en yuan de 1955 (soit environ 0,40 S US). Nous remercions Tom Rawski pour ce renseignement.
17 Le taux moyen de croissance dans la productivité agricole par personne était de 4,8 % entre 1978 et 1986 et de 0,4 % entre 1957 et 1978 (Field, 1988).
18 En 1978, la productivité céréalière par personne au Shaanxi se situait à 87 % de la moyenne nationale, 80 % au Gansu, 73 % au Guizhou et 85 % au Yunnan (Walker, 1988, p. 608). Selon Lee (2000), ce processus de détérioration ne commença pas dans la Chine du Sud-Ouest avant le deuxième quart du XIXe siècle.
19 Le fait que de telles mesures ne soient présentement pas disponibles pour les XVIIIe et XIXe siècles ne signifie pas qu’il n’y eut pas d’amélioration dans la nutrition durant cette période.
20 Excepté pour de brèves périodes de famine sévère, comme celle de 1959-1961, il n’y a pas de preuve péremptoire que la Chine, étant donné l’étendue des informations sur son appauvrissement dans la première moitié de ce siècle, ne connut jamais un niveau de consommation au-dessous de celui de la subsistance. L’Organisation des Nations Unies considère que 1 600 calories constitue le niveau de subsistance minimum. Une enquête de grande envergure menée en 1929-1933 donna une estimation de 2 365 calories disponibles quotidiennement (Buck, 1966, p. 11).
21 A. Chen et Lee (1996). L’extrapolation pour la population en général suit Wachter (1981) et Wachter et Trussell (1982). Il s’agit de calculs moyens, la variation étant relativement importante — plus de 3 cm. De nombreux registres de cette sorte, cependant, sont disponibles dans les archives chinoises et nous sommes en train de collecter et d'analyser ces données.
22 En 1915, le Comité de recherche de la Chinese Medical Missionary Association (CMMA) lança un appel pour « des mesures sur le plus grand nombre d’individus [possible] provenant d’un groupe de Chinois le plus dispersé possible » (Stevenson, 1926, p. 95). La CMMA était au fait que les normes de croissance physique disponibles à l’époque provenaient d’études sur des enfants européens et américains et étaient pratiquement inutiles comme normes pour les enfants chinois. L’appel de la CMMA pour une enquête anthropométrique sur les Chinois était le premier pas pour établir des normes de référence de la croissance physique des Chinois en santé. En tout et partout, des médecins et des travailleurs médicaux associés à la CMMA répondirent à l’appel en collectant des mesures sur plus de 11 000 Chinois dans les régions urbaines durant la période de 1915 à 1925. La taille moyenne des hommes et des femmes âgés de 18 ans était de 163,1 et de 151,1 cm respectivement. C’est seulement après 1949 que furent exploitées les publications massives de données anthropométriques sur les populations rurales.
23 Selon A. Chen et Lee (1996), entre 1900 et 1950, la taille moyenne des hommes et des femmes des villes augmenta de 0,5 et de 1 cm par décennie respectivement sur le continent et de 0,8 par décennie sans égard au sexe à Taiwan.
24 Selon A. Chen et Lee (1996), entre 1950 et 1990, la taille moyenne des hommes et des femmes augmenta de 1 et de 1,3 cm par décennie respectivement sur le continent et de 1,4 et de 1,28 par décennie respectivement à Taiwan.
25 Une enquête de 1979 dans la province de l’Anhui trouva que, de 1958 à 1979, la taille avait augmenté de 4,2 cm par décennie dans les régions rurales et de 2,3 cm par décennie dans les régions urbaines (Groupe de recherche, 1982, p. 508, cité dans Piazza, 1986, p. 156-157). Plus récemment, une enquête similaire dans la province du Sichuan trouva que, de 1985 à 1995, la taille des hommes et des femmes dans le monde rural avait augmenté de 4,3 et de 3,5 cm respectivement, comparé à seulement 1,21 et 1,31 cm dans les régions urbaines (communiqué de presse de UPI, 5 novembre 1996).
26 Ces manuels comprennent un ouvrage anonyme de 1630 environ intitulé Shen shi nongshu (Traité d'agriculture de M. Shen) et un ouvrage supplémentaire de 1658 par Zhang Luxiang intitulé Bu Nongshu (Suppléments au Traité d’agriculture [de M. Shen]), tous deux annotés par Chen Hengli et Wang Da et publiés sous le titre de Bu Nongshu jiaoshi (Beijing nongye chubanshe, 1983), ainsi que l’ouvrage de 1834 de Jiang Gao intitulé Pu Mao nongzi (Rapport sur l’agriculture dans la région de la rivière Huangpu et du lac Maohu) (Shanghai tushuguan, 1963) et de Zuhe (La vérité sur les rentes) par Tao Xi, écrit entre 1864 et 1884 et publié anonymement en 1927. Les salaires ruraux dans le Bas-Yangzi étaient souvent constitués de nourriture, d’argent comptant et de biens en nature. La portion de biens en nature ne semble pas avoir changé beaucoup aux XVIIe, XVIIIe et XIXe siècles, mais les portions en nourriture et en argent comptant augmentèrent (Luo, 1989 et Fang, 1996). En fait, selon une analyse récente par Pan (1997), les métayers adultes mâles consommaient en moyenne plus de 4 000 calories par jour.
27 Le nombre de jours de viande était quelque peu inférieur durant la saison de relâche, mais la tendance était la même 7 à 8 jours par mois au XVIe siècle et 10 jours par mois au XVIIe siècle.
28 Au XVIIe siècle, la « viande » consistait en 63 g (un huitième de catty) de viande en conserve ou 100 g (un cinquième de catty) d’abats ou de poisson par jour. Au XIXe siècle, la portion était de 250 g (un demi-catty) de porc, c’est-à-dire de deux et demie à quatre fois plus de nourriture.
29 Les travailleurs à l’année consommaient 125 g (un quart de catty) de porc les jours de distribution de viande ou l’équivalent en poisson les jours sans viande.
30 Selon Fang Xing, avant le XVIIe siècle, par exemple, l’allocation quotidienne de vin était un tiers de tasse. Au XVIIe siècle, l’allocation de vin pendant la saison active était une tasse pour le travail difficile et une demi-tasse pour le travail ordinaire. Vers la fin du XVIIe siècle, les travailleurs recevaient 1,2 taël d’argent pour se procurer du vin et du combustible. Vers la fin du XIXe siècle, l’argent, seulement pour le vin, avait augmenté à 1,25 taël par an (1996, p. 98).
31 À nouveau selon Fang Xing, les dépenses pour la nourriture non céréalière — huile, viande, poisson, sel, légumes, alcool — s’accrurent d’un cinquième à près d’un tiers du budget alimentaire d’une famille paysanne ordinaire (calculée en prix constants) entre le XVIIe et le XIXe siècle. À tout prendre, ces produits coûtaient à une famille « typique » du XIXe siècle 7 taëls d’argent par année (1996, p. 93 et 97).
32 Selon Pomeranz (2000), les Chinois, vers 1750, consommaient 6 à 8 lb de tissu de coton par personne, comparé à 5 lb en Allemagne et à 8 lb en France. Voir Buck (1937, p. 456) et De Vries (1975) pour une comparaison du mobilier domestique par personne.
33 Antérieurement, le niveau de vie rural était relativement pauvre, en particulier dans le Bas-Yangzi, où le ratio personne-terre, la propriété terrienne et la rente de la terre étaient particulièrement élevés. Pour certains savants, c’était là le résultat d’un processus d’exploitation féodale croissante de la force de travail rurale (Chen Zhenhan, 1955 ; Fu Zhufu et Gu, 1956 ; Fu Yiling, 1991, p. 92 et 95 ; Xu, 1991, p. 40-44 et 105-106 et Wang Tingyuan, 1993). Pour d’autres savants, il s’agit du produit d’une surpopulation malthusienne ou néo-malthusienne (Chuan, 1958 ; Hong, 1959, p. 91 et P. Huang, 1990). Selon le compte rendu particulièrement lucide de Huang, le développement de l’industrie rurale et du commerce dans le Bas-Yangzi n’étaient que des produits dérivés de l’excès de main-d’oeuvre sur le plan microfamilial qui ne fit qu’aggraver et accélérer l’appauvrissement sur le plan macro-social.
34 Ainsi, selon Harrell (1995, p. 6), « le régime démographique [de l’ère impériale tardive] est d’abord déterminé par des facteurs de mortalité, plutôt que par des facteurs de fécondité ». Philip Huang insiste lui aussi, mais sans preuve directe, sur la fonction de la mortalité dans le régime chinois socioéconomique : « Le régime démographique de la Chine était déterminé par des variations dans le taux de mortalité et non pas dans le taux de fécondité, comme au début de l’Europe moderne » (1990, p. 324).
35 Les généalogies rétrospectives souffrent de partis pris particulièrement graves dans l’enregistrement de la mortalité. Plus la période à partir de la compilation est longue, plus la personne décédée est jeune, moins celle-ci est susceptible d’être répertoriée et encore moins avec certains détails. Cela est particulièrement vrai pour ceux qui meurent sans progéniture. Pope (1989), utilisant rétrospectivement des sources généalogiques compilées pour l’Amérique du Nord, démontre les faiblesses inhérentes aux analyses de l’histoire de la mortalité basées sur de telles sources, en particulier la mortalité des nouveau-nés et des enfants spécialement au dernier siècle ou à peu près, avant la date de compilation.
36 En France, selon Blayo (1975), l’espérance de vie de 1770 à 1779 était de 28,2 ans pour les hommes et de 29,6 ans pour les femmes à la naissance ; 38,6 ans pour les hommes et 28,5 ans pour les femmes âgés d’un an ; 46 ans pour les hommes et 45,6 ans pour les femmes à l’âge de cinq ans. L’espérance de vie de 1780 à 1789 était de 27,5 ans pour les hommes et de 28,1 ans pour les femmes à la naissance ; 37,6 ans pour les hommes et 37,1 ans pour les femmes à l’âge d’un an et 45,5 ans pour les hommes et 44,3 ans pour les femmes à l’âge de cinq ans. Par contraste, en Angleterre, selon Wrigley et Schofield (1981), l’espérance de vie à la naissance était plus élevée pour les deux sexes : 36,3 ans en 1750-1755, 37 ans en 1755-1800 et 41,5 ans en 1800-1825. En Suède, l’espérance de vie à la naissance était grosso modo la même qu’en Angleterre : 33,7 ans pour les hommes et 36,6 ans pour les femmes en 1751-1790 ; 39,5 ans pour les hommes et 43,6 ans pour les femmes en 1816-1840 ; dans la basse quarantaine pour les hommes et dans la quarantaine moyenne pour les femmes de 1840 jusqu’aux années 1890 (Statiskiska Centralbyrân, 1968, p. 61).
37 Cette conclusion s’oppose à une importante thèse soutenant le point de vue contraire. L’analyse de Harrell et Pullum (1995) portant sur les taux de mortalité masculine enregistrés dans trois généalogies rétrospectives du comté de Xiaoshan à la fin du XIXe siècle, compilées en 1888 (Shi), 1897 (Lin) et 1904 (Wu), semble indiquer une mortalité plus élevée vers la fin du XVIIIe siècle qu’à la fin du XVIIe siècle et à la fin du XIXe siècle plutôt qu’au début du XIXe siècle (p. 7-10 et 146-149). Les problèmes posés par leurs résultats portent sur la sélection et la représentativité, car ils restreignent leur analyse aux hommes ayant une date de naissance et une date de décès connues, même si plusieurs hommes ont probablement vécu au même moment. Xiaoshan fut le théâtre d’une importante bataille pendant la rébellion des Taiping, qui causa une mortalité élevée. Harrell et Pullum reconnaissent eux-mêmes ces problèmes : « Le déclin apparent dans la durée de l’espérance de vie dans chaque généalogie est tellement grand qu’il doit être considéré comme infondé. Il est vraisemblable qu’au XVIIe siècle, la chance qu’un individu soit inclus dans une généalogie était positivement liée à la longévité de cet individu » (1995, p. 148).
38 Cela est vrai pour les individus de sexe masculin et les individus de sexe féminin à partir d’un an.
39 Le petit nombre de famines fut d’abord établi par Ho (1959). Selon Will, Wong et Lee (1991), cela était dû en partie au système de bien-être étatique qui distribuait annuellement près de 5 % des ressources alimentaires nationales pour réguler les marchés alimentaires au bénéfice des gens dans le besoin. Voir Liu Ts’ui-jung (1992) pour plusieurs exemples d’impact limité. Malthus fit la même observation générale : « Les traces des famines les plus destructives en Chine, d’après tous ceux qui en ont été témoins, seront effacées en fort peu de temps » (1798/1992, p. 49 ; 1826/1986, p. 323 ; trad. P. et G. Prévost, I, p. 438). Watkins et Menken (1985 ; 1988) ont montré, dans des études de simulation, que les famines, même les plus rigoureuses, ne sont pas les causes empêchant la croissance de la population à moins qu’elles ne surviennent de manière extrêmement fréquente (plus d’une fois tous les 50 ans ou moins). Ils concluent : « Les causes des hauts niveaux de mortalité en temps normal, plutôt que leurs pointes aiguës inhabituelles, devraient servir à expliquer la lente croissance ou la stagnation de la population. » Voir Menken et Campbell (1992) pour le raffinement récent de leur modèle de simulation.
40 Pour une analyse des causes et des conséquences de la famine de 1958 à 1961, voir Aston et al. (1984), Berstein (1984), Peng (1987) et D. L. Yang (1996).
41 La pire famine du XIXe siècle survint de 1876 à 1879. Une sécheresse sévère (peu de pluie pendant trois ans) sévit dans le nord de la Chine, englobant les provinces du Shaanxi, du Shanxi, du Zhili (l’actuel Hebei), du Henan et une partie du Shandong. Les morts provoquées par la faim, la maladie ou la violence concomitante furent estimées entre 9 000 000 et 13 000 000. Selon Walter Mallory, qui servit comme secrétaire de la Commission internationale de la Chine pour la lutte contre la famine pendant les années 1920, « le nombre stupéfiant de morts doit être attribué au manque de communication. Il fallait des mois pour que les nouvelles de la détresse à l’intérieur atteigne la capitale et les ports. Les gens mouraient en fait en grand nombre dans une vaste région avant que toute action concertée soit décidée pour apporter de l’aide de l’extérieur » (1926, p. 29). En 1920-1921, des conditions climatiques analogues sévirent partout sur le même territoire, mais en raison de la mise en service de la nouvelle ligne de chemin de fer de 6 000 milles (9656 km) et d’une meilleure organisation de l’aide, les décès connus ne dépassèrent pas le demi-million.
42 Selon Jiang Zhenhua, Li et Sun (1993), les informations du recensement de 1990 démontrent que l’espérance de vie pour tout le pays en 1990 était de 68,4 ans pour les hommes et 71,7 ans pour les femmes.
43 Voir aussi Lee, Campbell et Tan (1992) ; Lee, Campbell et Wang (1993) ; Lee et Guo (1994) ; Lee, Wang et Campbell (1994) ; Wang, Lee et Campbell (1995) ; Campbell et Li (1996) ; et Lee et Campbell (1997).
44 Ces proportions proviennent de Lee (1982a ; 1982b) et incluent ses estimations de la population non enregistrée. Elles diffèrent donc des populations enregistrées dans le Tableau 7.1.
45 L’idée originale provient de Boserup (1965/1996), mais Perkins appliqua le premier cette formulation à la Chine (1969, p. 23).
46 Li Bozhong (1996c) confirme des conclusions semblables dans Faure (1989) et contredit directement la thèse de P. Huang (1990, p. 1) pour qui « le fermage paysan donnant des rendements de niveau de la subsistance persistèrent en Chine dans les deltas avancés du Yangzi à travers six siècles de commercialisation intensive et de développement urbain entre 1350 et 1950, sans oublier trois décennies de collectivisme et de modernisation agricoles entre 1950 et 1980. C’est seulement dans les années 1980 que le développement transformateur commença à faire son entrée dans la campagne du delta, avec pour résultat une marge substantielle au-dessus de la subsistance dans les revenus des paysans. »
47 Li Bozhong se concentre en particulier sur l’usage des fertilisants et sur les combinaisons de récoltes et de graines. Shiba (1991) se concentre sur l’irrigation. Voir Bai, Du et Min (1995) et Liarig Jiamian (1989) pour un aperçu de la technologie agraire dans la période impériale tardive.
48 La politique s’enracinait dans la croyance idéologique marxiste pour qui la position des femmes dans la société était basée sur leur rapport avec les moyens de production et que leur libération exigeait donc leur participation dans la demande de main-d’oeuvre.
49 Rawski (1979) donne deux estimations pour 1975 ; l’une, élevée, de 284 jours et l’autre, basse, de 215. Le nombre de 250 que nous donnons est à peu près la moyenne des deux. Voir aussi Rawski (1979, p. 118). L’estimation de Peter Schran (1969) pour la moyenne des jours ouvrables par année d’un paysan pour le début des années 1950 est même plus basse, s’établissant à seulement 119.
50 Selon Rawski (1979), l’index des récoltes multiples s’éleva de 1,31 en 1952 et à 1,50 en 1977 ou 1978.
51 Li Bozhong (1998, chap. 8), résumant les études effectuées par d’autres savants, estime que vers la fin du XIXe et au début du XXe siècle, les femmes de village dans le Bas-Yangzi travaillaient en moyenne 200 jours par an dans l’artisanat du coton. Voir Yang Lien-sheng (1955) pour un article classique sur le travail et le repos dans la Chine impériale.
52 Dans certaines parties de la Chine, la productivité par jour ouvrable, mais non par année, a certainement pu décroître. P. Huang (1990) a tablé sur cette possibilité pour suggérer que les processus économiques du Bas-Yangzi étaient, par conséquent, dans une spirale très régressive. Son argument ignore cependant un fait important : la productivité par jour ouvrable peut ne pas avoir augmenté, mais le nombre de jours ouvrables, lui, augmentera substantiellement (Rawski 1979, p. 115), résultant dans une productivité et des revenus annuels en nette progression.
53 Les voyageurs occidentaux firent des observations semblables. Sir John Barrow, par exemple, écrivit au sujet de l’usage répandu des vêtements en soie dans le Bas-Yangzi au tournant du XIXe siècle dans Travels in China (Londres, Caldwell et Davies, 1806, p. 572).
54 Voir Bao Sichen, vers 1840, Ansu sizhong, 26.3b-5a, pour une description frappante de l’augmentation de la consommation des produits de luxe dans le Bas-Yangzi. Selon Spence (1975, p. 154), la dépendance à l’opium à l’échelle nationale atteignait 10 % vers la fin du XIXe siècle.
55 Ce modèle demeura vrai non seulement en termes de calories mais aussi en termes de goût. En dépit de la diffusion de plantes alimentaires américaines, le maïs et la patate douce, par exemple, restèrent impopulaires dans le Jiangnan, où ils étaient considérés comme des aliments grossiers. En dépit du prix élevé du riz, importé de provinces aussi éloignées que le Hunan et le Sichuan, même les paysans pauvres du Jiangnan continuaient à manger des céréales fines et non pas des céréales grossières.
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Mythe et philosophie à l'aube de la Chine impériale
Études sur le Huainan zi
Charles Le Blanc et Rémi Mathieu (dir.)
1992
La Chine imaginaire
Les Chinois vus par les Occidentaux de Marco Polo à nos jours
Jonathan D. Spence
2000