Le Canada est-il une fédération territoriale ou multinationale ?
p. 130-139
Texte intégral
1La vie politique canadienne est, pour une large part, charpentée par ses institutions. Le fédéralisme joue un rôle primordial. On sait que ce système a généralement été retenu comme choix constitutionnel dans des situations où le compromis politique tente de dépasser – tout en ne résolvant pas – des oppositions ou des confrontations relevant, par exemple, d’une oppression nationale, du morcellement des espaces économiques, de l’hétérogénéité de la classe dirigeante, des rivalités religieuses, ou de la rigidité des institutions politiques antérieures à la création du nouvel État. Le Canada n’échappe pas à ce genre de situation. Le compromis politique canadien est à la source d’un fédéralisme qui a posé des balises à la vie politique, fourni une interprétation des règles et retenu de grandes références au fonctionnement des institutions.
2Il serait vain de chercher à en rendre compte de façon systématique, mais il importe de garder à l’esprit certains « fondamentaux » pour décortiquer et situer l’évolution des débats et comprendre le parcours suivi dans la période actuelle. Je vais brosser à grands traits les conceptions du fédéralisme canadien et la capacité d’élaborer des compromis sur ce terrain. Je reviendrai sur les questions régionale et nationale, tout en montrant que si les balises politiques du fédéralisme canadien sont ébranlées, on en vient à tenir les éléments ensemble sans pour autant présider à de grands gestes fondateurs. D’où l’absence de solution durable aux problèmes structurels du fédéralisme canadien. Ce n’est pas faute de propositions venant d’intellectuels du Canada hors Québec notamment pour sortir de l’impasse, mais l’ouverture préconisée est à contre-pied de l’univers du discours politique dominant par lequel on a interprété la réalité canadienne et défini le champ restreint des options touchant le fonctionnement des institutions et des acteurs.
Modèles de référence pour le fédéralisme
3Brutalement, on peut poser la question dans les termes suivants : la compréhension de la diversité sociale canadienne et la conception du fédéralisme comme régime politique font-elles référence essentiellement à une base territoriale ou assimilent-elles la dimension multinationale ?
4Le fédéralisme territorial ignore les minorités nationales sub-étatiques et n’a pas pour objet de leur donner droit de cité par l’autodétermination ; il consiste plutôt à distribuer sur une base régionale le pouvoir au sein d’une seule nation. Le modèle du fédéralisme multinational prend, lui, plutôt appui sur la reconnaissance de la réalité des minorités nationales et tend à rendre compte de leurs aspirations à l’autodétermination comme majorité localement désignée.
5Ces deux conceptions du fédéralisme inspirent des cultures politiques parallèles qui ont marqué l’histoire politique des deux communautés nationales au Canada. La seconde version est, pour la société québécoise, une composante des mythes fondateurs de l’État canadien, mais elle reste marginale au Canada anglais. Au sein de cette dernière communauté nationale, le fédéralisme territorial occupe presque toute la place comme modèle, d’où l’insistance sur l’égalité des provinces, la revendication d’un Sénat calqué sur celui des États-Unis, etc. À l’opposé, un fédéralisme multinational, qui cherche à satisfaire le besoin d’autonomie de minorités nationales dûment reconnues, se permet l’« audace » de la reconnaissance de capacités d’action spécifiques aux institutions où elles sont majoritaires, ce qui signifie, d’une façon ou d’une autre, une forme de statut particulier.
6Ces conceptions du fédéralisme débouchent sur une position discordante à propos de l’asymétrie au sein du fédéralisme. Cela dit, le thème de l’asymétrie vient aussi par un autre détour : la restructuration du territoire canadien dans son insertion dans l’espace continental et mondial.
Diversité !… vous dites ?
7Dans une perspective multinationale, le Canada est compris comme une société qui a historiquement constitué en son sein des communautés nationales qui entretiennent des relations complexes et marquées du sceau d’une inégale position dans les relations de pouvoir. La cohabitation de trois nations, le Québec, le Canada anglais et les peuples autochtones, est vue comme le socle de l’hétérogénéité sociale canadienne qui la distingue notamment des autres fédérations. Cette situation particulière tient à l’addition de cas de figure différenciés : d’abord, une communauté nationale prépondérante, ensuite, deux communautés nationales sub-étatiques distinctes par la langue, la culture, l’identité et adhérant à une autre logique d’État – les Québécois et les Autochtones –, qui cherchent à confirmer leurs droits collectifs, et enfin une multiplicité de groupes culturels issus de l’immigration de peuplement.
8Le « drame » de la société canadienne tiendrait à l’incapacité de reconnaître formellement cette diversité. État multinational qui, au surplus, est traversé par une multiplicité de composantes culturelles, le Canada est animé de visions différentes de la raison d’être, de la vocation et du fonctionnement du fédéralisme. Une nation sociologique est sujette à réclamer des droits en matière d’autodétermination auxquels ne peuvent prétendre les minorités culturelles. Ce type de revendication ne conduit pas fatalement à un dénouement sécessionniste, mais pose des exigences pour le traitement de cette question. La dimension sociologique prend un ancrage spatial, d’autant que la concentration territoriale des communautés nationales n’a fait que s’accentuer, ce qui milite davantage pour la reconnaissance d’une autonomie politique dans le cadre des institutions fédérales. Mais les actions constitutionnelles des dernières décennies sont allées à l’inverse de ces considérations.
9Parallèlement, la question régionale reste entière. Elle s’inscrit dans le mouvement plus large de la mondialisation et de la désarticulation de l’espace économique canadien. La libéralisation des échanges exerce une pression soutenue sur le système de représentation et d’échange. Cela est ressenti d’autant plus que l’organisation sociétale se moule historiquement dans un creuset régional et qu’elle refaçonne son profil dans la reconduction d’une dimension régionale contrastée. Le fédéralisme a souvent pour origine une structuration régionale de l’espace qui est répercutée à travers des arrangements portant sur la distribution de la richesse et sur l’insertion à l’ensemble de la société. Or, la nouvelle politique nationale, mise de l’avant depuis le tournant des années 1990, a approfondi l’intégration continentale et a abandonné de façon irréversible la logique spatiale posée en termes d’axe Est-Ouest au profit de l’axe Nord-Sud.
10La tendance, qui se manifeste bien au-delà du Canada, va dans le sens de la réduction du rôle de l’État central au profit d’une exploitation du potentiel économique régional et de son insertion dans l’espace Monde, en valorisant les réseaux non seulement économiques, mais aussi sociaux et politiques afin de tirer le maximum d’avantages des interdépendances non commerciales, et ce, dans une logique transfrontalière. Loin de s’éclipser, le territoire devient un important facteur de production et les gouvernements cherchent à élaborer un modèle de développement vertueux à l’échelle régionale. Dans l’économie du savoir, le développement du « capital humain » occupe une place centrale. Au plan des politiques publiques, l’enseignement supérieur, la recherche, la formation spécialisée, le cadre de vie urbain, la santé, la sécurité du revenu sont des ingrédients de première importance dans la mise en place d’un modèle vertueux de développement. Or, au Canada, ces matières sont constitutionnellement d’abord du ressort des gouvernements provinciaux.
11Cela donnerait une capacité d’initiative majeure à ces gouvernements, pour peu que le gouvernement fédéral accepte d’être en retrait, ce qui n’est pas nécessairement le cas. Cette tension est au cœur de la dynamique récente des relations intergouvernementales, du moins pour les provinces les mieux nanties. Pour les gouvernements provinciaux, il s’agirait moins de prétendre à de nouvelles compétences que d’exercer celles dont elles disposent pour devenir des acteurs majeurs de la définition des conditions d’insertion favorable dans l’espace économique mondial.
12Dans une perspective internationale, on remarque que les nations sans État, loin de se résumer à un système régional de production, présentent une configuration sociale caractérisée par le partage d’une identité, d’une culture et d’une langue, et encline à la solidarité et à l’intégration sociale. Sans que ce soit inéluctable, ces dimensions peuvent contribuer à une insertion favorable dans l’espace économique internationalisé, ce qui donne toute son importance à la capacité réelle de mettre en œuvre une intervention publique régionalisée tirant le maximum de bénéfice de cet espace social auquel fait référence une nation sans État. On comprend que cette question revêt une importance particulière pour le Québec.
L’asymétrie maudite
13La tension entre les espaces régionaux – ainsi que les gouvernements provinciaux – et le gouvernement fédéral en mal d’affirmer son leadership s’exprime dans les relations intergouvernementales et par la résurgence de l’interprovincialisme. Cette tension est exacerbée par l’existence d’une nation sans État, soit le Québec.
14La reconnaissance d’un État et d’un fédéralisme, multinational l’un comme l’autre, conduirait à l’acceptation d’une asymétrie dans le fonctionnement des institutions et dans les responsabilités gouvernementales. Qu’on l’accepte de façon pragmatique ou qu’on l’affirme au nom des principes fondamentaux, cela a relativement peu d’importance ici. Pour plusieurs politologues du Canada hors Québec, le dénouement de l’impasse politique et constitutionnelle au Canada devrait passer par la reconnaissance des différences plurinationales et par une asymétrie non limitée à la seule dimension administrative. Pourtant, on assiste là à une confrontation titanesque entre l’analyse réaliste de la société canadienne et l’univers du discours politique qui définit normativement ce que le Canada doit être et ce qu’il ne sera pas.
15Le paradigme constitutionnel et politique qui domine la scène publique au Canada a été façonné dans la foulée des gouvernements Trudeau. Il s’est maintenu depuis ; c’est l’une des principales inspirations qui ont fait échec aux entreprises constitutionnelles successives de 1987 à 1992, et cela reste l’étalon qui permet d’apprécier toutes les propositions de réformes. Cette orthodoxie enchâssée constitutionnellement mobilise de nombreux alliés, anciens et nouveaux.
16Un postulat qui s’inscrit dans une tradition déjà ancienne affirme que l’État canadien n’a pas à refléter la société dans sa fragmentation et sa complexité, mais qu’il doit plutôt incarner un projet, un devenir, et prendre les moyens pour que le parcours de la société s’inscrive dans ce projet qu’on lui assigne. Les débats qui ont animé plus de quinze ans de confrontations de toutes sortes ont permis de diffuser largement ces principes politiques qui définissent la nation canadienne. Refusant le dualisme et l’idée de la multinationalité, ce paradigme table sur le multiculturalisme et rejette tout recoupement entre la nation sociologique (le Québec en particulier) et les institutions politiques, avec l’octroi d’un niveau de pouvoir ou de compétences législatives particulières. Les gouvernements provinciaux ne peuvent prétendre à quelque spécificité que ce soit, ni attendre une asymétrie dans la répartition des compétences. La nation canadienne est unique et l’État fédéral canadien l’incarne dans ses intérêts supérieurs ; le Canada reconnaît deux langues officielles, valorise le multiculturalisme et souscrit à des droits individuels inscrits dans une Charte des droits de la personne.
17Ce paradigme se veut un antidote à l’idée d’un État fédératif multinational et prétend offrir un univers discursif définissant les principes de l’entité politique canadienne et mettre au pas cette société francophone discordante qu’est le Québec. Quoique cette réponse aux revendications se veuille décisive, le débat n’a eu de cesse même si les voies pour y répondre sont bloquées.
18La question régionale s’exprime dans les prises de position de certains gouvernements provinciaux et motive leurs stratégies dans l’évolution des relations intergouvernementales, mais ce sont les enjeux reliés à la multinationalité au Canada qui ont été à l’origine de deux vaines tentatives de modifications constitutionnelles (les accords du lac Meech et de Charlottetown). Ces tentatives ont provoqué l’expression d’une opinion publique réfractaire et de groupes d’intérêts protecteurs du statu quo inspirés par l’orthodoxie libérale. Celle-ci a le mérite d’exprimer une conception du Canada qui rend compte des intérêts bien sentis d’une grande frange de la population. Il faut y voir aussi le refus ou l’incapacité des Canadiens anglais de se percevoir comme une nation au sein d’un Canada multinational.
Des verrous bien posés
19La rhétorique est implacable. Il ne saurait y avoir qu’un fédéralisme territorial au Canada qui pose l’égalité de statut juridique des provinces comme une vertu cardinale pour rendre compte d’une différenciation régionale, au sein d’un État national définissant des droits qui ne peuvent qu’être individuels. L’État multinational et une certaine asymétrie qui lui serait associée sont rejetés d’emblée, par principe et en pratique. L’inspiration essentielle du rêve canadien est une nation canadienne, réductible à des individus porteurs de droits et participant d’une diversité culturelle – multiple à souhait –, avec un État qui incarne la nation et qui accommode la diversité et le partage de la richesse par un fédéralisme territorial. Sur cette base, le fédéralisme canadien est verrouillé de l’intérieur.
20Après la secousse et la frousse provoquées par le résultat extrêmement serré du référendum d’octobre 1995, les réactions ont visé davantage les maladresses des dirigeants politiques canadiens que le constat d’une crise devant mener à des solutions faites de concessions sur la conception de la vision canadienne. La question s’est posée davantage dans les termes suivants : comment s’assurer de ne plus avoir à subir un tel choc en mettant au pas ces « irréductibles Québécois » ?
21L’opinion publique canadienne est peu encline au compromis. Les propositions des universitaires pour un fédéralisme multinational n’ont aucun impact sur le cours des choses. Ce sont deux univers discursifs parallèles. On peut imaginer qu’il s’agit d’un décalage essentiellement temporel qui devrait se résorber. Pourtant, rien ne laisse pressentir la fin de ce parallélisme. Le gouvernement conservateur actuel ne permet pas de grande percée car même sa référence récente à la nation québécoise est restée totalement inoffensive, parce qu’inopérante.
22Si l’univers du discours et de la pratique politiques montrait une ouverture à la reconnaissance de la multinationalité au Canada, la période actuelle en serait sans doute une de renouvellement du fédéralisme, avec une inclusion du partenaire québécois dans la restructuration de l’État social. Il n’en est rien et, politiquement, on voit mal comment les choses pourraient changer. Pour autant, le Canada ne cède pas à l’inertie. Il importe de saisir les éléments qui construisent la nouvelle dynamique intergouvernementale et l’évolution des formes du fédéralisme.
Une nouvelle dynamique intergouvernementale ?
23Revenons sur les enchaînements. Au cours des années 1990, le premier ministre fédéral emprunte la voie non constitutionnelle pour apporter une réponse aux tensions des relations intergouvernementales (indépendamment du Québec) et essaie de faire la démonstration du dynamisme des institutions. Le renouveau exclut l’asymétrie institutionnelle de même qu’une décentralisation des pouvoirs. Les relations fédéralesprovinciales participent d’un fédéralisme de collaboration et s’inscrivent dans la démarche de la nouvelle gestion publique, axée davantage sur les résultats que sur les prémisses, dans la définition des initiatives politiques ou des programmes. Les compressions radicales des transferts financiers vers les provinces ont attisé le ressentiment des premiers ministres à l’égard d’Ottawa et stimulé leur esprit d’initiative dans les revendications qui, si elles sont monétaires, en viennent vite à s’interroger sur le rôle que prétend jouer le gouvernement fédéral.
24L’interprovincialisme se heurte au déséquilibre régional et à l’idée de la préséance de l’État fédéral. Il n’empêche que l’esprit d’initiative provincial persiste, comme le montre l’action qui a mené à la déclaration de Calgary, à l’Entente sur l’union sociale, mais aussi à la mise en place du Conseil de la Fédération en 2003. Mais est-ce suffisant pour imaginer un renversement de la dynamique fédérale-provinciale au profit des provinces ?
25Deux conceptions de la distribution des compétences s’affrontent. Au Canada, on convient traditionnellement que le principe fédéral est fondé sur la séparation des compétences et sur la souveraineté législative de chaque ordre de gouvernement (principe capital pour le Québec). Mais, de plus en plus, on est enclin à considérer que le partage est surtout indicatif et que la collaboration est de mise, non seulement dans la conception mais aussi dans l’application des politiques. Cette vision des choses tend à devenir hégémonique et s’exprime fort bien dans l’Entente sur l’union sociale.
26Que faut-il en penser ? On peut considérer que les dix dernières années ont assuré des conditions permettant aux gouvernements provinciaux de gagner en impact dans les processus politiques et dans les décisions stratégiques en termes de politiques publiques. Ou, autrement, on peut souligner l’activisme politique du gouvernement fédéral et ses gains stratégiques pour la redéfinition du fédéralisme : la codétermination et le fédéralisme collaboratif ne constituent en rien une capitulation, car, au contraire, ces principes lui accordent une place centrale dans tous les secteurs et permettent de repenser le fédéralisme à l’aune des « compétences partagées ». Une dynamique nouvelle est impulsée. Sa situation financière nettement avantageuse, de même que sa place dominante dans les processus de prise de décision donnent sans conteste au gouvernement fédéral un avantage d’initiative.
27Qui plus est, la Cour suprême, avec l’« interprétation évolutive du fédéralisme », considère que le partage originel des compétences joue un rôle plutôt indicatif, ce qui donne lieu à une interprétation permissive des actions fédérales. Ajoutons que si le Conseil de la fédération peut permettre d’amplifier la force relative des provinces, il peut tout aussi bien jouer en sens contraire. À partir du moment où l’on discute de redistribution de la richesse, le clivage entre les provinces nanties et les autres compromet toute entente entre les provinces elles-mêmes, ce qui fait la démonstration publique de leur dissension et laisse l’initiative au gouvernement fédéral (pensons aux questions du déséquilibre fiscal et de la péréquation). De même, des désaccords devraient faire jour lorsque viendra le temps de discuter de la forme de fédéralisme souhaitée et du degré d’autonomie réelle des provinces à l’égard du gouvernement fédéral.
Une marginalité permanente ?
28Depuis une dizaine d’années, le gouvernement du Québec oppose un refus quasi constant aux divers accords – notamment en matière sociale –, qu’ils prennent la forme d’une entente, d’une déclaration, d’une procédure de reddition des comptes, etc. Au-delà de l’allégeance partisane des gouvernements, cela traduit une opposition plus générale au genre de fédéralisme pratiqué. Le modèle de l’État national, le fédéralisme de régions, l’hostilité à l’asymétrie, la conception d’un fédéralisme à compétences partagées et donc celle de la codétermination et le fédéralisme collaboratif, tous ces éléments transparaissent dans les convergences dégagées au cours des dernières années. Sur ces questions, quelles que soient leurs formes particulières d’expression, il y a antinomie avec la position du gouvernement du Québec.
29Les autres gouvernements, fédéral et provinciaux, se sont fait à l’idée que le Québec n’est pas partie prenante aux consensus, et ils apprennent à banaliser cette situation. Cet isolement est perçu par certains commentateurs comme si, de fait, un statut particulier pour le Québec était en train de s’établir. Or, on imagine mal comment ce qui s’affirme dans des termes opposés à ceux soutenus par le gouvernement du Québec (qui sont : société québécoise distincte ou apparentée, fédéralisme « multinational » et asymétrique, partage strict de compétences ou droit de retrait avec compensation) puisse conduire les mêmes interlocuteurs à consentir, par le seul poids de l’habitude, à un traitement particulier.
30Le retrait du Québec ou sa marginalisation permettent aux gouvernements du Canada anglais de définir ou d’actualiser une conception de la société canadienne, du fédéralisme, de son processus de prise de décision et de la dynamique intergouvernementale qui lui sied. Cela ne va pas sans tensions, non seulement d’un niveau de gouvernement à l’autre ou entre gouvernements provinciaux, mais les convergences dominent. Que l’on s’éloigne des perspectives québécoises ne fait pas de mystère, mais il n’empêche que c’est cette direction qui est prise.
31Plutôt que dire que le statut particulier est en train de s’imposer fatalement, on pourrait soumettre une toute autre lecture, celle de l’« insoutenable lourdeur de l’état de fait politique ». On peut très bien imaginer que la confirmation d’un fédéralisme de compétences partagées, collaboratif, symétrique et de région – dont la Cour suprême ne pourra que prendre acte –, de même que les pratiques intergouvernementales qui en découlent pèseront de tout leur poids lorsque viendra le temps de mettre un peu d’ordre dans la maison canadienne. Le temps passant, on ne peut exclure que, à la faveur d’une forte capacité d’initiative politique du gouvernement fédéral ou d’un revirement politique au Québec, le gouvernement soit amené à concéder que cette guerre de résistance est sans issue et, ce faisant, que le modèle aujourd’hui en développement, puisse devenir la pierre d’angle du nouveau fédéralisme canadien.
Bibliographie
Pour aller plus loin
Boismenu, Gérard, « L’instrumentalisation de la NGP dans le réinvestissement dans l’État social au Canada », dans Jenson, Jane, Bérengère Marques-Pereira et Éric Remacle (dir.), La citoyenneté dans tous ses états, Montréal, Les Presses de l’Université de Montréal, 2006.
Keating, Michael, « Stateless Nations or Regional States? Territory and Power in Globalizing World », dans Gagnon, Alain G. (dir.), Québec. State and Society, 3e édition, Broadview Press, 2004, p. 391-403.
McRoberts, Kenneth, « Conceiving Diversity: Dualism, Multiculturalism, and Multinationalism », dans Rocher, François et Miriam Smith (dir.), New Trends in Canadian Federalism, Broadview Press, 2003, p. 85-108.
Auteur
Professeur de science politique - Université de Montréal
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