Morcellement du corps et création dans les mythes des Saisiat, Austronésiens de Taiwan
p. 385-409
Texte intégral
1Les légendes faisant état des origines, telles que les différentes communautés aborigènes1 de Taiwan les perpétuent dans leurs traditions orales, constituent un substrat culturel d’une très grande richesse, paradoxalement encore fort mal exploité, alors qu’il présente nombre d’éléments récurrents non seulement en Chine, mais dans plusieurs régions du Sud-Est asiatique et du Pacifique. Pour les différents groupes de Montagnards formosans, l’origine de l’humanité peut être animée ou inanimée : arbre (groupe Atayal), bambou (groupes Paiwan et Puyuma), calebasse (Paiwan et Puyuma), soleil ou serpent (groupes Bunun, Paiwan et Puyuma), insecte (groupes Bunun et Saisiat), excréments d’animaux (Atayal et Bunun), oiseau (Atayal, Tsou, Paiwan, Puyuma), chat sauvage (Atayal, Tsou, Paiwan, Puyuma), chien (Atayal, Tsou, Paiwan, Puyuma), pierre (Atayal, Bunun, Paiwan, Rukai, Puyuma, Ami, Yami), poterie (Paiwan), fumée (Atayal), trou (Atayal, Bunun, Paiwan, Rukai, Amis), montagne (Atayal, Bunun, Paiwan, Rukai, Amis), ou même le fond d’un marais (Atayal, Bunun, Paiwan, Rukai, Amis). À cet égard, les traditions formosanes présentent des scénarios initiatiques qui sont proches les uns des autres par leur structure et par les motifs mis en scène. Ils sont en effet liés au déluge et font état d’un couple incestueux et d’une humanité primitive initialement détruite par les eaux. Mais pour deux groupes, l’humanité tire son existence du corps humain même : soit de certaines parties précises de la morphologie (chez les Rukai), soit de morceaux de chair découpée (chez les Saisiat). Ces deux groupes occupent de fait une position assez originale à l’intérieur du corpus mythologique des Montagnards formosans. À ce titre, ils méritent une attention particulière. Tandis que chez les Rukai le thème de l’origine humaine est plutôt rare2, s’agissant la plupart du temps, comme on l’a vu plus haut, de la pierre, du trou, de la montagne ou du fond d’un marais, il est par contre dominant chez les Saisiat3. À partir d’un corpus de mythes collectés par différents ethnologues chinois et par nous-même entre 1955 et 1991, nous avons tenté, tout en proposant une définition de la morphologie du mythe cosmogonique Saisiat, de replacer le thème du morcellement corporel dans le contexte socioculturel du groupe et de dégager une parenté avec les traditions chinoise et sud-est asiatique.
Les mythes d’origine
2Un scénario-type présente chez les Saisiat un couple frère-sœur survivant au déluge et ambitionnant de recréer l’humanité par le sacrifice de son seul enfant :
3M1 :
Ebe Nabon est l’ancêtre fondateur des Saisiat. Les règles kasbuan du groupe, c’est lui qui les a transmises. Il a pour femme Maja Nabon. Ils sont frère et sœur et résident dans les monts Papak Waga, là où il y a des pierres qui ont forme humaine4. Mais le couple n’avait qu’un enfant. Alors les deux parents se dirent : s’il n’y a que nous sur terre, cela ne sert à rien ! C’est ainsi qu’ils découpèrent des morceaux de chair de leur enfant pour les disperser dans l’eau. Immédiatement, les morceaux se transformèrent en autant d’hommes. Tandis qu’il dépeçait le corps, le couple attribuait en même temps les noms. Il y avait autant de noms que de morceaux. Le dernier homme n’eut pas de nom. C’était l’ancêtre des Atayal. C’est parce qu’au moment du morcellement, il est arrivé en retard. Ainsi, la langue que parlait ce groupe fut différente. De nos jours, les Atayal n’ont pas de nom. Si les hommes (de cette époque) avaient quelques doutes concernant leur nom, ils pouvaient demander à Ebe Nabon (des explications). Lorsqu’ils furent renseignés, ils quittèrent les monts Papak Waga, et, suivant la rivière, arrivèrent à la mer. Mais comme il n’y avait plus de route, ils furent contraints de revenir sur leurs pas jusqu’à Miaoli. Et c’est là qu’ils s’établirent5.
4Dans la variante suivante le couple réchappe du déluge dans un métier à tisser. L’un des conjoints meurt. Son corps sera découpé et les morceaux immergés.
5M2 :
Un frère et une sœur, Buronopoi et Majaopu, flottèrent après le déluge dans un métier à tisser jusqu’au pied d’une montagne. Peu après, la fille mourut. Son frère était alors très malheureux. Portant le corps de sa sœur, il se dirigea vers un étang où il découpa le cadavre en morceaux. Puis, enveloppant chaque morceau dans une feuille de Likkaru, il dit en pleurant : « Ma sœur, si tu veux me consoler, fais que ta chair se transforme en êtres vivants. » À la suite de cela, il déposa un morceau dans le métier à tisser qu’il posa sur l’eau. Immédiatement, le morceau de chair prit forme humaine. Buronopai se réjouit et conduisit la créature à terre. Ce fut l’ancêtre des Tautanasi. Alors, comme des bulles, apparurent les clans Tanohera, Vavai et tous les autres. Quelque temps plus tard, Buronopai errant dans la forêt trouva des déchets de taro sur le sol. Il comprit qu’il y avait d’autres hommes sur terre, les chercha et, enfin, en trouva un. C’était l’ancêtre des Vuvudol6.
6Un autre mythe fait intervenir un unique survivant dont le corps est découpé par une divinité :
7M3 :
Jadis, alors que les hommes créés par les dieux peuplaient les premières terres, le déluge eut lieu. La population fuyait de toutes parts. Il était impossible de savoir qui en avait réchappé. À ce moment-là, un homme flotta jusqu’au mont Tsirubia dans un métier à tisser. Sur cette montagne, résidait le dieu Ots’p’oehobon. Ce dernier le retint et, craignant que l’espèce humaine n’eut été complètement détruite par les eaux, sacrifia le survivant, découpant sa chair en morceaux qu’il éparpilla alors sur la mer en prononçant des paroles magiques. Les morceaux se transformèrent en hommes : nos ancêtres. Le dieu leur donna le nom de Saisiat. Puis il disséqua les entrailles, semant (une nouvelle fois) les morceaux dans les eaux. Ceux-ci (aussi) se métamorphosèrent en hommes. Ce furent les Chinois, ancêtres des Taiwanais. Avec les os jetés à la mer, d’autres hommes virent le jour : les ancêtres des Atayal7.
8Dans certaines variantes, une ou plusieurs séquences du processus de création peuvent être éludées : le sacrifice a déjà eu lieu. Le « produit » de ce sacrifice rencontre son conjoint :
9M4 :
Celui qui est né des morceaux de chair jetés à partir des monts Papak Waga, c’est Atanasha Boon du clan Tetelon. Comme il ne pouvait à lui seul garantir sa descendance, il erra et rencontra une autre personne. C’était une femme. Ils vécurent ensemble, mais l’homme ne prêtait pas attention à son épouse. Un jour, une mouche pénétra le sexe de la femme. Cette dernière pensa que c’était la façon qu’avait l’homme de lui exprimer ses sentiments. À la suite de cette relation, elle eut des enfants. Ceux-ci donnèrent leur nom aux différents clans8.
10Dans une autre version le démembrement corporel est évoqué et semble impliquer une forme d’anthropophagie :
11M5 :
Jadis, il n’y avait que des montagnes. Un jour, le déluge dévasta tout et rasa les montagnes. Lorsque les éléments se furent calmés, il ne restait que deux personnes : un homme et une femme qui se marièrent et eurent un enfant. Mais avec un seul enfant comment faire ? Ils décidèrent de le sacrifier en le coupant en morceaux. Les Atayal, les Saisiat et ceux des plaines (c’est-à-dire les Chinois) vinrent pour le partage. Les Atayal et les Saisiat eurent les os alors que ceux des plaines eurent la chair. C’est pourquoi, les Saisiat sont si pauvres ! Parce qu’ils n’ont eu que les os, tandis que les autres ont eu le meilleur : la chair !9
12Parfois il est fait état de l’intervention d’un vieil homme :
13M6 :
Jadis, la terre était plate. Lorsque le déluge se produisit, elle fut submergée. Dans un métier à tisser, un homme en avait réchappé. Il parvint aux monts Papak Waga. Là, vivait un vieil homme du nom d’Oppehe Noboon. Il le recueillit, le découpa et jeta les morceaux dans l’eau. À ce moment-là, la chair se métamorphosa, donnant naissance au peuple Saisiat. Les os produisirent les Atayal et les entrailles les Chinois. Puis les eaux reculèrent. Les terres se vallonnèrent et l’humanité les peupla10.
14Un dernier mythe ignore le couple frère-sœur à l’origine de l’humanité. Il cite toutefois, la découverte du feu après le déluge et évoque trois survivants : un Hakka, un Atayal et un Saisiat.
15M7 :
Jadis, les eaux montèrent très haut. Les hommes se réfugièrent dans le seul endroit qu’elles n’avaient pas encore atteint : les monts Papak Waga. Ne survécurent toutefois que trois personnes : un Hakka, un Atayal et un Saisiat. Puis le niveau des eaux baissa. Les trois hommes quittèrent leur exil. En fait, après le déluge, le pays n’était plus du tout plat. Il s’était vallonné. Le Saisiat, l’Atayal et le Hakka descendirent ensemble jusqu’à la plaine. L’Atayal était plus lent. Lorsqu’il arriva et vit les deux autres, il voulut leur couper la tête. Mais il avait vu, lors d’un éboulement, des pierres qui en s’entrechoquant produisaient des flammes. Alors les trois hommes retournèrent chercher les pierres et obtinrent le feu11.
16Si l’on s’attache, à présent, à dégager l’ossature de ces textes, il nous faut isoler, dans un premier temps les différentes séquences qui vont s’engendrer dans une combinatoire précise. Parce que le mythe est comme un langage, il comporte un support abstrait qui en constitue la grammaire. Et dès lors qu’il s’agit de comparer les différentes variantes du thème cosmogonique, les parties constitutives du récit apparaissent comme des valeurs constantes12 offrant pour le mythe ou le conte, un scénario-type conservé et transmis de génération en génération comme une formule toute faite, sorte d’incantation magistrale dont le pouvoir dépasserait alors l’exiguïté du contexte propre de l’individu pour agir sur toute création, dont la création du monde serait, de fait, l’archétype.
17Notre corpus permet de recenser 13 séquences, évoquant respectivement :
- La mention du déluge. (S1).
- L’intervention du couple qui en réchappe (S2).
- L’intervention d’une divinité (S3).
- La présence d’un objet magique permettant au couple d’être sauvé (S4).
- La naissance d’un enfant (S5).
- Le morcellement du corps (S6).
- L’acte anthropophage (S7).
- La métamorphose (S8).
- L’action de l’eau ou autre moyen magique aidant la métamorphose (S9).
- La distribution des noms de clans (S10).
- La naissance des différents peuples, chinois ou aborigènes (S11).
- La séparation (S12).
- La découverte du feu (S13).
18Dans le tableau ci-dessous, les fonctions sont identifiées dans chaque mythe :
19On constate d’emblée que la première séquence, qui concerne le déluge, figure dans plusieurs mythes (M2, M3, M5, M6, M7). Toutefois, celui-ci est nettement sous-entendu dans M4, qui est incomplet, puisque l’histoire commence avec un homme né de morceaux de chair. Étrangement, dans ce texte, il n’est pas fait allusion à la sanction de l’union incestueuse, dans la mesure où le couple intervient assez tard. Le couple frère-sœur est effectivement cité dans deux cas (M1, M2) ; dans deux autres cas (M4 et M5), il est seulement question d’un homme et d’une femme sans autre précision. Enfin, il se réduit à un survivant dont le corps sera sacrifié dans deux cas (M3, M6) et l’on remarque que généralement l’intervention de la divinité exclut celle du conjoint. Par ailleurs, le « moyen magique » va parfois de pair avec la divinité (M3, M6). C’est en effet grâce à un métier à tisser que le couple parvient à échapper aux eaux (M2, M3, M6).
20De l’union incestueuse ou normale (M1, M4, M5) naîtra un seul enfant. Dans les autres cas, l’humanité verra le jour directement du corps d’un survivant découpé par une divinité (M3) ou par un vieil homme (M6) ou encore, comme dans M2, du corps de l’épouse qui décède pour une raison inconnue. Dans M4, il faut qu’une divinité intervienne sous l’apparence d’une mouche, pour que la femme soit fécondée. Dans un dernier cas de figure, il y a trois survivants : un Atayal, un Chinois et un Saisiat dont les devenirs sont étroitement liés et qui vont coopérer (M7).
21D’un autre coté, on remarque que le morcellement corporel concerne uniquement la chair dans M1, M3, M4, mais les différentes parties du corps dans M2, M5, M6. Chaque fois, la mention du déluge intervient. De la même façon, l’enfant est dépecé et sa consommation sous-entendue (M5), tandis que dans M4, le nombre d’enfants est suffisant pour donner naissance aux clans dont M1 et M2 font d’ailleurs état. Dans M1, M3, M6, M7, il s’agit de la naissance des différents groupes ethniques. On remarque, à cet égard, que la mention de ceux-ci est plutôt le fait des mythes modernes (M6 et M7). La naissance des clans intervient simultanément à celle des groupes ethniques dans M1 qui représente sans doute de ce fait une phase intermédiaire des différentes traditions qu’illustrent les textes de notre corpus. Dans M1, M2, M3, M6, l’élément qui va activer la métamorphose est l’eau. Dans M3, il s’agit des paroles magiques d’une divinité, dans M2, d’une feuille d’arbre sacré.
22Suite à la création de l’humanité, on procède, dans le mythe Saisiat, à la distribution des noms (M1, M2, M3, M4). À cet égard, M2 donne un ordre d’apparition précis pour les différents clans. Ce sont d’abord les Tautanasi, puis les Tanohera et les Vavai, insistant de ce fait sur la prééminence de ces trois clans dans la société Saisiat traditionnelle. Concernant les différents groupes ethniques, une mention particulière est faite des « terribles Atayal nés des os » (M3, M5, M6), « les derniers et sans nom » (M1, M7), « parlant une autre langue » (M1), mais toutefois responsables de la découverte du feu (M7).
23Systématiquement présent dans le mythe Saisiat, le voisin Atayal voit ses qualités guerrières saluées, sa supériorité technique soulignée13. De sa position dans l’histoire, on pourrait en déduire que sa migration fut tardive.
24Certains mythes, plus longs, font état de deux processus de création et de fragmentation concernant, d’une part les Saisiat, d’autre part les autres groupes ethniques (M3). Cette variante, très complète, débute avec le déluge auquel n’échappe qu’un homme, dont un dieu a sacrifié la chair pour donner le jour aux Saisiat. Et c’est d’un second sacrifice, celui des entrailles de ce même être que naîtront les autres peuples. On a ainsi la hiérarchie chair-os-entrailles, généralement à l’avantage des Saisiat.
25Lorsqu’il est question des peuples des plaines, c’est-à-dire des Chinois et des Hakkas, il apparaît dans certaines versions contemporaines que la naissance puisse s’effectuer à partir du meilleur du corps humain (M5). Par conséquent, il ressort que les Saisiat, mais aussi les autres communautés aborigènes, semblent bien loin d’avoir le meilleur rôle, contrairement à « ceux des plaines », c’est-à-dire les Chinois. Toutefois, dans M3, alors que les Chinois naissent des entrailles et les Atayal des os, pour une fois, les Saisiat sont gratifiés, puisqu’ils sont issus de la chair même. Il paraît évident, compte tenu du fait que le mythe, collecté en 1955, et donc l’un des plus anciens de notre corpus, illustre une étape quelque peu différente et nettement plus positive du développement de cette communauté. En regard de ces traditions, est manifeste, une fois de plus, tout l’intérêt du mythe pour la connaissance des structures sociales, politiques ou économiques d’un groupe humain ; comme le souligne Chang Kwang-chih (1959, p. 79), le mythe est précieux pour la connaissance des institutions anciennes tout autant que contemporaines. Dans les mythes collectés en 1991, on relève que les Saisiat ont surimposé au substrat ancien, d’autres données immédiatement en rapport avec leurs conditions de vie et leur situation présente14. Jadis plus favorisés, ceux-ci semblent en effet déchoir dans leur propre échelle de valeurs sociales. C’est du moins le message que livre leur tradition orale et que corrobore, d’une certaine manière, ce que l’on sait de leur intégration, plutôt mal réussie, dans la société taiwanaise contemporaine.
26Une fois de plus, il apparaît que, gardien de la vérité absolue, le mythe est un miroir à double face. Combinant passé et présent, celui-ci s’érige en effet en modèle et en justification dans un cycle soumis aux constantes modifications que dicte le temps.
Le couple et l’inceste
27Le sens du déluge, thème universel, est celui d’une humanité engloutie à cause de ses fautes. Le couple est dans la plupart des cas un couple frère-sœur qui, en s’unissant, devient incestueux. La prohibition qui en découle décrit la nécessité de constituer un échange exogame et, partant, de mettre en place les règles du mariage pour la survie de l’humanité qui sans cela serait condamnée. Dans nombre de traditions, c’est l’inceste qui, devenu « faute » provoque le déluge. Dans d’autres cas, il suit le déluge puisque rien n’en réchappe à l’exception du frère et de la sœur. Dans les mythes d’origine des autres groupes de Montagnards formosans, il est souvent fait allusion à plusieurs naissances avant que l’humanité ne puisse vraiment débuter, comme si, de l’union incestueuse originelle, rien ne pouvait perdurer. Le passage à l’exogamie est, dans ce cas, sous-entendu. Fréquemment, dans les mythes de ces groupes (les Paiwan notamment), les enfants sont affligés d’anomalies physiques. Ils naissent, en effet, sans nez ou sans bouche ou encore avec une moitié de bouche seulement15. Cependant, chez les Saisiat, l’union incestueuse n’est pas présentée de la même manière. L’enfant sacrifié l’est autant parce qu’il est le produit de cette union que parce qu’il est « unique » et, à ce titre, dans l’incapacité d’assurer à lui tout seul la continuité de l’humanité16. Quant à la prohibition, elle est sous-entendue dans la séparation du couple ou le décès de l’un des conjoints.
28Dans les sept mythes de notre corpus, deux cas (M1 et M5) font état d’un couple frère-sœur donnant naissance à un enfant qui sera sacrifié. Dans M2, le couple est présent, mais c’est le corps de la femme qui est découpé. Dans M7, il est question de trois survivants au déluge sans précision de sexe : un Saisiat, un Hakka et un Atayal. Et dans M3 et M6, il s’agit d’un homme seul qui sera sacrifié par une divinité ou par un vieil homme. Cette intervention de l’être primordial androgyne est, en fait, observable dans de nombreuses sociétés. Selon M. Eliade (1986, p. 354), la version du couple est tardive. L’androgyne représente, à l’origine, la perfection, l’unité des sexes, la totalisation. Inversement, c’est la dichotomie universelle qu’exprime ainsi le couple civilisateur17. D’un autre côté, le thème de la naissance miraculeuse à partir de l’intervention d’un animal n’est pas sans intérêt. De semblables illustrations se retrouvent également en Chine. En effet, si Xie 契, fondateur des Shang, fut conçu alors que sa mère avalait un œuf d’hirondelle18, Houji 后稷, le Souverain Millet, ancêtre des Zhou, le fut lorsque sa mère posa le pied sur la trace d’un géant19 ou d’un animal-ancêtre géant. Figure héraldique, la mouche du mythe Saisiat qui pénètre le vagin de la femme souligne la relation privilégiée qui existe à l’origine des temps, entre le groupe et un animal.
Le symbolisme aquatique
29Tandis que quatre mythes sur sept de notre corpus attestent la présence de l’eau, une autre légende Saisiat confirme l’importance de cet élément dans le processus de division créateur. Elle évoque Kateteru, épouse d’un humain, femme-esprit de l’eau qui apprendra aux villageoises les techniques du tissage, avant d’aller rejoindre son père au fond des mers avec la moitié de son enfant, parce que cette union semi-divine déroge aussi à la normalité :
30Son époux lui avait dit : nous n’avons qu’un enfant. Comment allons-nous partager ? Attends d’en avoir un autre avant de partir ! Mais Kateteru avait pris sa décision. Elle ne tint pas compte de la proposition de son époux et se dirigea vers la mer avec son enfant. À ce moment-là elle dit aux Saisiat : Quand je serai partie, vous n’apprendrez plus rien !
31Sur la plage, Kateteru s’adressa une dernière fois à son époux : Comment allons-nous partager notre enfant unique ? Chacun d’eux attendait que l’autre trouve la solution. Alors ce fut l’époux qui proposa le marché suivant : Bon ! prends la tête et laisse-nous le corps !
32Kateteru jeta la tête dans la mer et dit adieu à son époux. Ils décidèrent de se revoir une dernière fois six jours plus tard. Voyant sa femme le quitter, l’époux éparpilla les pieds et le reste du corps de l’enfant sur la plage et rentra fort triste. Les jours passèrent. Le délai arriva. Kateteru et l’enfant vinrent sur la plage pour rencontrer le père. Ce dernier constata que l’enfant n’était pas mort. Néanmoins, en guise de pieds, celui-ci n’avait plus que des moignons. Quant aux parties de son corps que le père avait éparpillées sur la plage, elles s’étaient putréfiées. L’époux implora Kateteru de rentrer avec lui dans les montagnes. Mais si la femme était venue, c’était uniquement pour montrer au père que leur enfant n’était pas mort20.
33Presque tous les peuples de la terre ont connu l’inondation universelle et le renouvellement subséquent du genre humain. La fonction essentielle du symbole aquatique est, de fait, une fonction de régénération. L’immersion, dit M. Eliade, équivaut à la « dissolution des formes, à une réintégration dans le mode indifférencié de la pré-existence »21. Cette dissolution débouche alors sur une nouvelle naissance. L’eau est en effet la matière primordiale d’où sont nés tous les êtres de l’univers. C’est aussi le fondement de la végétation et, à ce titre, son pouvoir est immense, puisqu’elle a la faculté de créer et de détruire en même temps. Matrice universelle et source de vie, elle n’en est pas moins un instrument de mort et de destruction.
34Chez les Saisiat, le tabou est signalé et l’inceste lavé par les eaux22. Lorsque les morceaux de chair de l’enfant sont découpés et immergés, l’inceste est annulé, la faute supprimée, parce que les eaux « annulent l’histoire » avant d’en créer une autre23. La résorption d’une partie de l’humanité dans l’eau devient alors indispensable à la naissance d’une nouvelle ère. Dans les mythes d’origine, l’eau, du fait de sa nature rituelle et purificatoire, agit en palliatif de la faute. En même temps, dans l’histoire de Kateteru, c’est une valeur fécondatrice qu’elle dénote parce qu’il n’y a pas eu faute et que l’être unique, produit d’une union semi-divine, est comme une graine précieuse qui doit être semée pour dédoubler à l’infini son inépuisable potentialité24.
Tableau 2 — Éléments du thème de l’enfant partagé dans le mythe de Kateteru
Père | Mère |
35On peut à présent résumer dans un tableau (voir tableau 2 ci-dessus) les différents éléments du thème de l’enfant partagé dans le mythe de Kateteru :
36Le thème de la femme céleste (divinité) qui épouse un humain et du partage de l’enfant unique se retrouve également à Bornéo et aux Philippines, comme le montre C. Macdonald25. Dans les mythes de ces deux aires culturelles, on passe toutefois du monde céleste au monde terrestre, tandis que dans le mythe Saisiat c’est du monde sous-marin au monde terrestre. Mais la problématique demeure inchangée. Il s’agit simplement d’une « translation du code topologique »26. Cette épouse divine est bien dans tous les cas une figure civilisatrice qui enseigne le tissage aux hommes. C. Macdonald propose en conclusion que ce thème du demi-enfant qui redevient entier « puisse être d’origine extérieure et éventuellement indienne »27.
Morcellement du corps et anthropophagie
37Dans la légende de Kateteru, on retrouve, comme dans les mythes cosmogoniques, les thèmes inséparables de l’eau et du morcellement. Ce thème de la naissance du monde à partir du corps d’un être humain est à rattacher au thème de l’œuf cosmogonique. Fragmentation du corps, meurtre d’un être primordial, ont chez les Saisiat, contrairement aux autres groupes aborigènes, remplacé l’œuf, le serpent ou le soleil des origines. Dans la mythologie tibétaine, c’est une Klu-mo (klu femelle) née du vide qui intervient. Du sommet de sa tête, le ciel est sorti, de la lumière de son œil droit, la lune, de la lumière de son œil gauche, le soleil, de ses dents d’en haut, les quatre planètes. Quand la Klu-mo ouvrait les yeux, c’était le jour. Quand elle les fermait, c’était la nuit. Des douze dents d’en bas et d’en haut naquirent les mansions lunaires. De sa chair naquit la terre, de ses os, les montagnes28. Chez les Pawnees d’Amérique, le corps de la jeune fille sacrifiée était découpé et chaque morceau enterré dans les champs. Un tel usage se rencontre également en Afrique. En Amérique du Sud, l’un des deux jumeaux primordiaux est ressuscité par son frère à partir de ses os, de son sang et des morceaux de son corps29. À l’origine des Vietnamiens, le couple primordial se partage cent enfants. Il y a séparation en deux groupes et migration. Les cent enfants sont dans certains mythes nés d’une poche membraneuse ; dans d’autres, d’un morceau de chair. La séparation des époux repose sur l’opposition « terre-eau »30. Chez les Bilaan de Mindanao, c’est un géant qui crée l’humanité à partir de sa peau morte31, et chez les Palawan, c’est Tambug dont le sexe est découpé en morceaux et les os pilés. Dans l’île de Yap, Punan, dieu du ciel, donne pouvoir à sa sœur pour qu’à sa mort, elle crée le ciel et la terre à partir de ses sourcils32.
38En bref, ce thème du corps de l’ancêtre fondateur transformant les dix mille êtres apparaît chez nombre de peuples d’Asie de l’Est et du Sud-Est, dans le Pacifique, en Amérique du Nord et du Sud. En Chine, il a une grande importance et on le retrouve dans l’un des mythes les plus anciens liés au dépècement de Gun 鯤. Lorsque les eaux débordées s’élevèrent jusqu’aux cieux, Gun fut en effet chargé de réfréner les éléments. Il y œuvra, mais sans succès. Shun 舜 le bannit sur le mont de la Plume et le dépeça avec un couteau de Wu 吳33. Le dépècement, disent les textes, n’eut lieu que trois ans après sa mort parce que son cadavre n’avait pas voulu se décomposer. La tradition ajoute qu’il se jeta dans un gouffre et revécut sous forme animale. Gun, considéré en quelque sorte comme coupable non pas de l’inondation, mais de n’avoir pu faire cesser celle-ci, dut être sacrifié pour « qu’un temps neuf puisse être établi dans l’espace rénové »34. Le dépècement de Gun est aussi directement en rapport avec le déluge35. Mais Gun, le monstre banni et dépecé, est le père d’un souverain. Il faut que le père meurt pour que le fils soit à même de régner. Car la création d’un ordre nouveau, signale M. Granet, se fait à l’aide de rivalités, de combats, d’expulsion et de meurtres36. Ce que confirme le chapitre des Observances mensuelles du Huainan zi37, qui signale l’écartèlement et l’expulsion de victimes expiatoires animales liés aux rites de l’année nouvelle. Année nouvelle et ordre nouveau, il s’agit dans les deux cas, d’un rite d’avènement, dans lequel le morcellement de victimes animales ou humaines coïncide avec le corps de l’être primordial qui a donné la vie à l’humanité. Dans ces conceptions où « le biologique est le soubassement de représentations symboliques »38, projeter le temps mythique de la création dans les temps présents, c’est répéter ce qui se passa à l’origine, de la même façon que dans le culte de l’eucharistie, le prêtre partage en deux l’hostie de la consécration pour rappeler la mise à mal du corps du sauveur.
39Un autre mythe chinois renvoie à ce thème. C’est celui de Nügua. Cette dernière, essayant d’arrêter le déluge, entassa de la cendre de roseaux et pour réparer le ciel, fit fondre des pierres de cinq couleurs39. À la suite de cela, le peuple prospéra. Nügua est la sœur de Fuxi. On les dit mari et femme et on leur attribue l’invention du mariage. Nügua eut son corps, si ce n’est démembré, du moins métamorphosé40. Pour C. Le Blanc41, ce mythe est « l’introduction dans la tradition écrite chinoise d’un mythe oral d’origine non chinoise, à savoir Miao »42. Chez les Miao de la Chine du Sud, il s’agit de Nogong et de Nomu : les ancêtres de l’humanité, frère et sœur, qui restent seuls sur terre et commettent l’inceste. Enfin, l’on peut également citer, pour la Chine, le mythe de Pangu 盤古, le démiurge qui forma le monde en mettant de l’ordre dans le chaos originel. Pangu est décrit comme ayant une taille de nain et deux cornes sur la tête. Il est parfois représenté tenant le soleil dans une main et la lune dans l’autre43. Il est l’ancêtre des dix mille êtres de l’univers. Lorsqu’il mourut, sa tête devint un pic sacré, ses yeux devinrent le soleil et la lune, sa graisse, les fleuves et les mers, ses cheveux et ses poils, les arbres et les autres végétaux44.
40Le souvenir de ce rite d’avènement et d’intronisation de l’année nouvelle s’est parfaitement conservé chez les Saisiat de Formose dans le scénario de la fête des nains, Pas-ta’ai, au cours de laquelle on procède au partage d’une brioche de riz, le Dinaboun. Cette manifestation est en effet dédiée à un peuple de nains très intelligents, les Ta’ai, qui, jadis, vécurent près des Saisiat et leur transmirent nombre de techniques et de connaissances jusqu’au jour où, subjuguant les femmes Saisiat, les nains devinrent l’objet de la révolte des hommes. Ceux-ci leur tendirent un piège en sciant l’arbre qui leur servait de pont. Les nains se noyèrent à l’exception d’un couple.
41La fête se donne, en effet, comme une sorte de re-création du monde. C’est une « actualisation des premiers temps de l’univers »45. Dans les conceptions Saisiat, les ancêtres primordiaux ont produit des hommes selon des lois qui s’avèrent, de fait, immuables. Il s’agit, par cette manifestation collective, de reproduire un processus et un itinéraire accomplis in illo tempore. « La fête est ainsi célébrée dans l’espace-temps du mythe et assume la fonction de régénérer le monde réel »46. Les participants s’identifient alors aux êtres de l’époque mythique. La brioche Dinaboun des Saisiat est précisément le symbole de cette identification. Elle est faite à partir de riz cuit que trois personnes vont piler dans un mortier jusqu’à ce qu’il ait une forme de pâte onctueuse. Puis, lorsque celle-ci aura légèrement durci, on la coupera en longues lamelles et en morceaux, avant d’offrir une portion à chaque personne de l’assistance qui le consommera avec les doigts. Le Dinaboun est toujours accompagné d’alcool. Le partage, c’est d’abord entre les membres du groupe et les âmes des ancêtres, l’occasion de remerciements ou de prières, mais, au delà, c’est aussi l’espoir inconscient de remonter aux origines du monde pour répéter le sacrifice originel nécessaire à la vie. Rite de fécondité, symbole de pérennité, le partage du Dinaboun est le retour à l’indistinct primordial. L’objet est sacré, porteur de si grande puissance que les femmes Saisiat enceintes ne peuvent le toucher sous peine de le priver de sa force47.
42Il faut à présent souligner un autre point d’intérêt. En effet, dans M5, interviennent successivement le morcellement du corps de l’enfant et sa consommation rituelle par les trois groupes ethniques : Atayal, Saisiat et Hakka. C’est, en fait, le seul texte du corpus qui évoque cette forme d’anthropophagie. Mais morcellement et anthropophagie ne sont-ils pas les deux faces d’une même réalité ?
43Nombre de légendes Saisiat évoquent en effet la consommation de la chair d’un enfant sacrifié. Chaque fois, c’est parce que le couple manque de tout qu’il se résout à cette extrémité. Généralement, il s’agit de l’un des conjoints qui sacrifie l’enfant pour la survie de la famille sans rien dire à l’autre qui n’a alors aucune conscience d’être en train de manger sa propre chair. On ne lui dévoile la vérité qu’à la fin du repas48. Par ailleurs, chez les Atayal, on trouve aussi des légendes de cet ordre, dans lesquelles l’un des deux parents fait passer la chair de l’enfant pour de la viande de singe49. Mais, précisent les textes, ni la tête, ni les doigts ne seront consommés.
44Ce thème de la consommation de l’enfant, en l’occurrence premier-né, est récurrent chez plusieurs ethnies de Chine méridionale50. Chez les Jurai d’Indochine, et en Chine ancienne, ce type d’anthropophagie est pareillement attesté51.
L’attribution des noms de clans, le contrat social du groupe
45Les Saisiat sont distribués au nord de l’île, dans les préfectures de Xinzhu et de Miaoli. On distingue deux groupes ou moitiés : les Saisiat du nord et les Saisiat du sud52. Notre corpus est essentiellement constitué de documents relevant de la moitié sud. Les Saisiat forment leurs communautés sur la base de structures de type clanique. Les clans constituent, de fait, des sociétés indépendantes les unes des autres, qui s’auto-administrent à la fois sur le plan social et sur le plan religieux. Le clan, et non pas le village, est en effet l’unité de base de la société locale. Il a une fonction régulatrice et ordonnatrice. Au plan juridique, il répondait jadis des faits et des méfaits de ses membres. Dans le domaine religieux, chaque clan a un prêtre qui a pour mission d’accomplir pour la communauté, les rituels du calendrier. Celui-ci détient les formules et les techniques magiques. Le texte des chants et les objets sacrés sont transmis de génération en génération. En même temps, le clan ne constitue pas une unité territoriale. Un village se compose généralement de clans différents. C’est ainsi que certaines activités religieuses sont prises en charge par des clans spécifiques53. Ces clans sont par ailleurs dotés de noms ayant une connotation totémique. On distingue en effet le clan du soleil Tanohera, du vent Vavai, de la larme-de-Job Tetelon ou de la fève Tautanasi, du crabe Kalkaran, du renard Vuvudol, du lion Saitebora’an, de la cigale Kamrarai, etc.54, dont l’emblème est signalé sur des étendards Giragin que l’on peut voir arborer par les danseurs du Pas-ta’ai.
46Les cultes totémiques, dit Chen Chunqin55 avaient toute leur importance quand les Saisiat étaient en guerre contre les autres groupes aborigènes ou les Hakkas. Les clans et leurs membres masculins agissaient ainsi comme des régiments56. Certains clans exerçaient naturellement une certaine suprématie sur les autres, du fait de leur importance numérique ou bien de quelque action ou fait glorieux qui les auraient distingués dans le passé. C’est notamment le cas du clan Tautanasi pour la moitié nord et du clan Vavai pour la moitié sud.
47De nos jours, à l’heure où la cohabitation entre les différentes communautés a pris une autre forme, les clans ont peu à peu perdu leur importance. Désormais, c’est dans le calendrier rituel seul que ceux-ci exercent encore leur prééminence. Ainsi, lors du culte dédié aux nains, au cours de la fête Pas-ta’ai, et bien que les deux moitiés nord-sud célèbrent séparément le rite avec un décalage d’un jour, c’est un officiant du clan Titijun qui préside alors que pour les exorcismes, ce sera un prêtre du clan Shawan. Enfin, ce sont les Tautanasi qui sont en charge du culte collectif des ancêtres. Toutefois, lors de la fête des semailles, les chefs des différents lignages officieront à tour de rôle dans un ordre strict. Et pour le culte des ancêtres non collectif, chaque clan a son officiant57.
48Le pouvoir rituel de chaque clan dépend de son importance. C’est ainsi que les clans du Crabe (Kalkaran) et de l’été (Haiawan) sont toujours dépositaires de la relique du serpent sacré, dont le premier a pris la tête et le second le corps. Les clans Tautanasi et Titijun ont une nette supériorité sur les autres clans dans le déroulement du Pas-ta’ai, car c’est à leurs représentants que les nains auraient expliqué les différentes phases de la cérémonie58. C’est pourquoi, la mention des différents clans dans les mythes est immédiatement coordonnée à l’importance et à la prééminence de ceux-ci dans l’ordre social Saisiat. Dans le M2 de notre corpus, quatre clans sont évoqués dans l’ordre d’apparition suivant : Tautanasi, Tanohera, Vavai et Vuvudol. Le clan Tautanasi est le premier apparu sur terre. Il fut suivi des deux clans du soleil et du vent et de tous les autres clans « qui sont sortis comme des bulles ». Le clan du renard Vuvudol semble à part puisqu’il existait apparemment depuis longtemps, mais très éloigné des autres. M4 met l’accent sur le clan Tetelon ( =Titijun).
Conclusion
49Les mythes et les rites offrent pour richesse principale de préserver jusqu’à nos jours, sous une forme condensée des modes de réflexion, des conceptions caractéristiques des toutes premières phases d’une civilisation. Ils constituent comme dit C. Lévi-Strauss (1962, p. 25) « une histoire sainte », c’est-à-dire une histoire cohérente de la société, parce qu’ils dévoilent un grand pan de son passé et de ses origines, de la naissance de ses structures, des relations avec les autres groupes humains, et des grands principes qui sous-tendent son organisation. Le mythe est un moyen de comprendre la culture et son fonctionnement. Ce « modèle historique exemplaire » est régulièrement réactualisé dans la tradition orale. N’est-il pas le meilleur moyen, en effet, de maintenir en vie une culture précisément menacée d’acculturation ? Si l’homme, « à l’occasion de chaque crise d’identité, et à chaque rite de passage, reprend le drame du monde ab initio »59, c’est pour garder toute sa cohésion à la société à laquelle il appartient.
50Perpétuer par leur tradition orale et leurs rites un peu de leur histoire, c’est pour les Saisiat, le moyen de maintenir en vie leur culture qui sans cela serait vite engloutie dans le progrès. À travers leur Pas-ta’ai, les Saisiat cimentent la cohésion et l’harmonie intra-clanique et inter-clanique. Dans la fête, ils projettent leur anxiété, leur tristesse, leur peur, toutes leurs tensions et l’hostilité dont ils sont capables à l’égard des nains, les envahisseurs de naguère, et probablement aussi à l’égard de la culture chinoise dominante d’aujourd’hui, retrouvant ainsi, d’une certaine manière, un peu de leur équilibre psychologique60. Et bien qu’ils aient emprunté des éléments de la religion des Atayal (leurs voisins immédiats), du culte ancestral chinois et du shintoïsme japonais (durant l’occupation de 1895 à 1945), puis, enfin du christianisme occidental, les Saisiat n’en sont pas moins attachés à leurs rites. « Tant que le Pas-ta’ai durera, nous durerons » ont-ils coutume de dire. Plus ils s’avancent vers le progrès, ou plutôt plus celui-ci les happe, plus ils se fondent dans la civilisation chinoise, plus grande, paradoxalement, est leur quête du paradis perdu des origines. Alors que d’autres groupes aborigènes ont abandonné ou oublié beaucoup d’éléments de leur folklore traditionnel, les Saisiat que ne distinguent plus des Chinois ni la langue ni l’architecture, ni les coutumes vestimentaires, s’accrochent au Pas-ta’ai et au partage du Dinaboun, symbole de l’être primordial, comme s’il était la justification de leur présence sur terre et la garantie de leur survie. Tous ceux qui y ont assisté témoignent de la gravité de la manifestation et de la rigueur avec laquelle, tous les deux ans, le rite (dont beaucoup désormais ne comprennent plus le message) est reconduit. Avec pour substrat le mythe cosmogonique qui est « chose vivante » dirait Eliade61, le rite est un moyen d’affronter la crise d’identité qu’abordent les Saisiat dans la dernière phase de leur passage à l’acculturation. Revivre les premiers jours de la création, remonter le temps, c’est retrouver un peu d’authenticité. C’est la volonté de ne pas oublier ce qui s’est passé en se ressourçant périodiquement, en régressant jusqu’au chaos originel.
Bibliographie
Des DOI sont automatiquement ajoutés aux références bibliographiques par Bilbo, l’outil d’annotation bibliographique d’OpenEdition. Ces références bibliographiques peuvent être téléchargées dans les formats APA, Chicago et MLA.
Format
- APA
- Chicago
- MLA
Bibliographie
de Beauclair, Inez, « On religion and mythology of Yap islands », Zhongyang yanjiuyuan minzuxue yanjiusuo jikan 中央研究院民族學研究所集刊 XXIII, 1967, p. 23-26.
Bonnefoy, Yves, Dictionnaire des mythologies, 2 vol., Paris, Flammarion, 1981.
Caillois, Roger, L’Homme et le sacré, Paris, Gallimard, 1972 [1re éd. 1939].
Chang Kwang-chih, « The Chinese creation myths : a study in method », Zhongyang yanjiuyuan minzuxue yanjiusuo jikan 中央研究院民族學研究所集刊 VIII, 1959, p. 47-79.
Chavannes, Édouard, Les Mémoires historiques de Se-ma Ts’ien, Paris, Maisonneuve, 1967, 6 vol. [1re éd. en 5 vol., Paris, Ernest Leroux, 1895-1905].
Chen Chunqin 陳春欽, « Xiangtianhu Saixia zu de gushi » (Les légendes des Saisiat de Xiangtianhu) 向天湖賽夏族的故事, Zhongyang yanjiuyuan minzuxue yanjiusuo jikan, 中央研究院民族學研究所集刊 XXI, 1966, p. 157-195.
Chen Chunqin, « Saixia zu de zongjiao ji qi shehui gongneng » (La religion des Saisiat et sa fonction sociale) 賽夏族的宗教及其社會功能, Zhongyang yanjiuyuan minzuxue yanjiusuo jikan, 中央研究院民族學研究所集刊 XXVI, 1968, p. 83-120.
Coyaud, Maurice, Contes et Légendes des Philippines, Paris, PAF, 1986.
Eliade, Mircea, La Nostalgie des origines, Paris, Gallimard, 1971.
Eliade, Mircea, Traité d’histoire des religions, Paris, Payot, 1986 [1re éd. 1949].
Ferrell, Raleigh, « Tsou zu shenhua zhi yanjiu » (Étude des mythes Tsou) 鄒族神話之研究, Zhongyang yanjiuyuan minzuxue yanjiusuo jikan, 中央研究院民族學研究所集刊 XXII, 1966, p. 171-175.
Ethnologie Régionale 2, sous la direction de Jean Poirier (Encyclopédie de la Pléiade), Paris, Gallimard, 1978.
Granet, Marcel, Danses et légendes de la Chine ancienne, Paris, 1926 ; édition nouvelle corrigée et annotée par Rémi Mathieu. Paris, Presses Universitaires de France, 1994.
Hanshu 漢書, (Histoire des Han [occidentaux]), par Ban Gu (32-92), Beijing, Zhonghua shuju 中華書局, 1972.
10.4000/terrain.3025 :Héritier-Augé, Françoise, « Moitiés d’hommes, pieds déchaussés et sauteurs à cloche-pied », Terrain, XVIII, mars 1992, p. 5-14.
Huainan zi 淮南子, Zhuzi jicheng 諸子集成, Beijing, Zhonghua Shuju 中華書局, 1954.
Kamenarović, Ivan P., Printemps et automnes de Lü Buwei, Paris, Cerf, 1998.
Le Blanc, Charles, « Le Mythe de Fuxi et Nügua et la tradition orale Miao », Cahiers du Centre d’Etudes de l’Asie de l’Est, Université de Montréal, II, 1981, p. 93-128.
10.3406/hom.1987.368766 :Lemoine, Jacques, « Mythes d’origine, mythes d’identification », L’Homme, 101, janv.-mars 1987, XXVII (1), p. 58-85.
Lévi-Strauss, Claude, La Pensée sauvage, Paris, Plon, 1962.
Li Hui 李卉, « Taiwan ji Dongnanya de tongbao peiouxing hongshui chuanshuo » (Les légendes du déluge et le couple incestueux en Asie du Sud-Est et à Taiwan) 台灣及東南亞的同胞配偶洪水傳說, Zhongguo minzu xuebao 中國民族學報, I, 1955, p. 171-206.
Lin Hengli, « Saixia zu ailingji geci » 賽夏族矮靈祭歌詞, Zhongyang yanjiuyuan minzuxue yanjiusuo jikan, 中央研究院民族学鸭牛所集刊, II, 1956, p. 31-102.
Lü shi chunqiu (Les Printemps et Automnes du sieur Lü) 呂氏春秋, Beijing, Shijie shuju 世界書局, 1975.
Macdonald, Charles, L’Éloignement du ciel, Éditions de la Maison des Sciences de l’Homme, Paris, 1988.
Macdonald, Charles, « Earth and sky in Philippine and Indonesian mythology », Philippine Studies, XL, 1992, p. 141-152.
10.3998/mpub.11394647 :Norbeck, Edward, Folklore of the Atayal and the mountain tribes of Luzon, Ann Arbor, University of Michigan Press, 1950.
Ogawa, [Naoyoshi] et [Erin] Asai, Traditions and myths of the Taiwan aborigines: Selected readings, Taipei, 1930.
Propp, Vladimir, Morphologie du conte, Paris, Seuil, 1970.
Rooth, Anna B., « The creation myth of the North American Indians », Anthropos, 1957, LII, p. 497-508.
Ruey Yi-fuh (Rui Yifu), « Miao zu de hongshui gushi yu Fuxi Nügua de chuanshuo » (Les légendes concernant le déluge et le couple Fuxi-Nügua chez les Miao) 苗族的洪水故事與伏羲女媧的傳說, Zhongguo minzu ji qi wenhua lungao 中國民族及其文化論稿, II, 1982, p. 1029-1077.
Shanhaijing (Classique des monts et des mers) 山海經, Sibu Beiyao 四部備要, Beijing, Zhonghua shuju 中華書局, 1927-1935.
Shiji 史記 (Mémoires historiques), par Sima Qian (~145 à ~86?), Beijing, Zhonghua shuju 中華書局, 1982.
Vandermeersch, Léon, Études sinologiques, Paris, Presses Universitaires de France, 1993.
Wazu shehui lishi diaocha (Enquête sur les Wa) 佤族社會歷史調查, Zhongguo shaoshu minzu shehui lishi diaocha ziliao congkan 中國少數民族社會歷史調查資料叢刊, Yunnan renmin chubanshe 雲南人民出版社, 1983.
Werner, Edward T. C., Myths and legends of China, New York, Blom, 1971.
Xu Shizhen 許世珍, « Taiwan Gaoshanzu de shizu chuangsheng chuanshuo » (Les mythes de création des Montagnards de Taiwan) 台灣高山族的氏族創生傳說, Zhongyang yanjiuyuan minzuxue yanjiusuo jikan, 中央研究院民族學研究所集刊, II, 1956, p. 163-190.
Zerries, Otto, Les Religions amérindiennes, Paris, Payot, 1962.
Zhang Zhiyuan, Saixia zu ailingji (La fête des nains chez les Saisiat), Santai zazhi congkan, I, Taibei, 1986.
Notes de bas de page
1 Comptant environ 600 000 ressortissants, ces communautés, appartiennent à la famille austronésienne (sous-groupe Gaoshan), répandue en Asie du Sud-Est insulaire et continentale et dans le Pacifique. Les Montagnards (Gaoshan) 高山族 de Taiwan se répartissent en différents groupes : Paiwan 排灣, Rukai 魯凱, Puyuma 卑男 au sud, Amis 阿美 à l’Est, Bunun 布農 et Tsou 鄒 au centre, Saisiat 賽夏, Atayal 泰雅 au Nord et Yami (Tao) 雅美 sur l’île aux Orchidées.
2 Voir à ce sujet Xu Shizhen, 1956, p. 175 ; l’auteur n’a relevé qu’une seule version pour ce groupe.
3 Les Saisiat sont un petit groupe déjà très sinisé de plus de 4500 personnes, situé dans la région Xinzhu-Miaoli 新竹苗栗. Avant 1958, ce territoire constituait une réserve. Après cette date, les Saisiat se mêlèrent aux Atayal au Sud et aux Hakkas au Nord, subissant de fait l’influence conjointe de ces deux communautés.
4 Il y a effectivement au cœur des monts Papak Waga (Monts Dabajian 大霸尖山) des mégalithes-totems représentant le couple ancestral. Chaque fois que des chasseurs passent à proximité, ils doivent prendre des précautions pour ne pas les offenser. Il est par exemple interdit de parler japonais, atayal ou hakka devant elles, c’est-à-dire la langue de groupes ethniques étrangers.
5 Cette légende est extraite d’une enquête réalisée en 1964 auprès d’un informateur âgé de 58 ans nommé Kale Ivan. Cf. Chen Chunqin, 1968, p. 83-114.
6 Cf. Li Hui, 1955, p. 192.
7 Les Atayal constituent un groupe ethnique voisin de quelque 85 000 ressortissants. Il occupe une grande partie du Nord et du Nord-Est de l’île. Cette variante a été collectée par Li Hui, 1955.
8 Mythe collecté par Chen Huilian dans le village de Waro (Dadonghe 大東河). Voir Zhang Zhiyuan, 1986, p. 40. Une version Rukai collectée par Xu Shizhen, 1956, p. 175 (voir supra) donne les faits suivants : « Jadis, une déesse nommée Rukuraw descendit des monts Takaraus en un lieu nommé Tavatavan. À ce moment-là, la lumière du ciel était vive. La déesse remonta la voûte à l’aide d’un pieu en pierre. Puis elle se maria avec Rawpurun. Mais ce dernier avait un sexe énorme. La déesse ne le supportait pas. Elle le tua. Dès lors, à partir du pouce de Rawpurun, naquit le peuple, à partir de ses membres les nobles, et à partir de sa poitrine les chefs. » Il faut noter l’importance du pouce qui est, fait remarquer L. Vandermeersch, 1993, p. 35, symbole de « l’ethnarcie en tant que premier des doigts ».
9 Mythe collecté par nous-même auprès de Maya Bosi, 80 ans, dans le village de Waro en mars-avril 1991.
10 Cf. Zhang Zhiyuan, 1986, p. 38.
11 Mythe collecté par nous-même auprès de Bon Galé, 94 ans, dans le village de Waro en mars-avril 1991.
12 V. Propp, 1970, p. 28.
13 En effet, les Saisiat leur ont emprunté plusieurs élements culturels, notamment leurs coutumes vestimentaires, leurs pratiques mutilatoires (tatouages) et jusqu’à certains thèmes mythologiques, pour ne citer que celui de l’ours.
14 Il s’agit d’un groupe dans lequel l’alcoolisme fait des ravages. La proportion des jeunes scolarisés est par ailleurs nettement plus faible que dans d’autres groupes. Et d’une manière générale, on ne sent pas de « dynamique sociale » comme on peut en trouver dans d’autres groupes de l’île. L’enquête de terrain fait apparaître le fait que les Saisiat sont de nos jours bien souvent des individus amers, reprochant aux Chinois et aux Atayal leur propre absence de progrès et justifiant inconsciemment ce « passif » par le fait qu’ils n’ont jamais eu « le meilleur du corps humain » de l’être primordial.
15 Chez les Tsou, localisés au centre de l’île, il n’y a pas de couple. Par ailleurs, tout le monde semble avoir échappé au déluge. La création est attribuée à une divinité. Il s’agit de la déesse Nivenu qui a posé son pied gigantesque sur le relief de l’île, transformant celle-ci en une vaste plaine. Puis elle a secoué un érable. Des feuilles sont tombées sur le sol et se sont l’une après l’autre tranformées en hommes. Cf. R. Ferrell, 1966, p. 171-175.
16 Le mythe Saisiat conserve encore toute son acuité de nos jours, prouvant ainsi que l’histoire des origines n’a pas été oubliée. Dans le quotidien, beaucoup d’interdits s’y rapportent. Si un frère et une sœur sont ensemble, par exemple, ils détestent s’entendre demander s’ils sont mari et femme. Cf. Ogawa et Asai, 1930, p. 531.
17 Chez les Wa 佤 du Yunnan, des austroasiatiques, la création s’est faite par la division d’une substance originelle indifférenciée. Le couple primordial se retrouve également chez les Miao-Yao, les Tibéto-birmans, Tai-kadai. En Chine, il s’agit de Fuxi-Nügua 伏羲 ﹣ 女媧. Voir à ce sujet J. Lemoine, 1987, p. 59. Voir aussi Wa zu shehui diaocha, 1983, p. 158-207.
18 Voir Shiji, III, p. 91 ; trad. É. Chavannes, I, p. 173-174.
19 Voir Shiji, IV, p. 111 ; trad. É. Chavannes, I, p. 209-210.
20 Cf. Chen Chunqin, 1968, p. 172.
21 M. Eliade, 1986, p. 165.
22 Dans une variante relevée par Xu Shizhen, 1956, p. 168, c’est en soufflant sur les morceaux que les parents transforment ceux-ci en hommes. L’eau n’intervient plus. Xu Shizhen ne dit pas où il a collecté ce mythe. Il signale seulement que c’est auprès « d’aborigènes sinisés ».
23 M. Eliade, 1986, p. 170.
24 Dans une variante que nous avons collectée dans le village de Waro (informateur : Bon Galé, 94 ans), l’homme avait déjà une épouse lorsqu’il rencontra la fille de la mer. Les deux femmes vont alors rivaliser et c’est la plus jeune qui partira. C. Macdonald, 1992, p. 141-152, cite des versions assez proches de ce mythe de la séparation de l’enfant chez les Ifugaos et les Nabalois dans lesquelles il s’agit d’une femme céleste et d’un humain et montre que ce thème de l’enfant divisé conceptualise l’opposition et la séparation du ciel et de la terre.
25 « Mythologie du corps morcelé et de l’enfant divisé aux Philippines et à Bornéo. Du corps déconstruit au corps reconstruit », Conférence prononcée aux journées du laboratoire d’Anthropologie Sociale, Maison Suger, Paris, 6 mai 1999.
26 Ibid.
27 Ibid.
28 Dictionnaire des mythologies, 1981, p. 250.
29 A. B. Rooth, 1957, p. 314, 497, 508; O. Zerries, 1962, p. 390; M. Eliade, 1971, p. 219.
30 Dictionnaire des mythologies, p. 511.
31 M. Coyaud, 1986, p. 44.
32 Voir I. de Beauclair, 1967, p. 25.
33 Shiji, I, p. 20 et 28 ; trad. É. Chavannes, I, p. 51 et 67-68.
34 M. Granet, 1926, p. 247.
35 Cf. Lü shi chunqiu, XX, 6, p. 267 ; tr. I. P. Kamenarović, p. 401.
36 Cf. M. Granet, 1926, p. 390.
37 Huainan zi, V, p. 72.
38 Voir Françoise Héritier-Augé, 1992, p. 5-14.
39 Huainan zi, VI, p. 95.
40 Cf. Shanhaijing, III, p. 17a et XVI, p. 2a ; Huainan zi, XVII, p. 4a. C. Le Blanc, 1981, p. 93-128.
41 C. Le Blanc, 1981, p. 94.
42 Voir Rui Yifu (Ruey Yi-fuh), 1982, p. 1029-1077.
43 Cf. E. T. C. Werner, 1971, p. 77-78.
44 Ibid.
45 Cf. R. Caillois, 1972, p. 136.
46 Cf. R. Caillois, 1972, p. 143.
47 D’autres légendes Saisiat font état du Dinaboun utilisé jadis comme matériau de construction, pour colmater les murs des habitations. Cf. enquête de terrain C. Zheng, mars-avril 1991, district de Shitan 獅潭 (informatrice : Do’a’fa, 75 ans).
48 Cf. enquête C. Zheng, village de Waro, mars-avril 1991 (informateur Taro Watan, 55 ans). Dans certaines légendes, c’est l’homme qui reste à la maison et qui prépare le terrible repas, tandis que la femme travaille aux champs.
49 Voir E. Norbeck, 1950, p. 34.
50 Cf. Hanshu 漢書, XCVIII, p. 36.
51 Voir Shiji, XXXVIII, p. 1629 et 1702 ; XLIII, p. 1795 ; trad. É. Chavannes, III, p. 243, 356 ; V, p. 49. Voir aussi Ethnologie Régionale 2 (1978), p. 1099, 1678, 1780.
52 Respectivement ceux de Wufeng 五峰, dans la préfecture de Xinzhu, et ceux de Nanzhuang 南庄, dans la préfecture de Miaoli.
53 Le culte des crânes se fait sous l’égide du clan Tautanasi (Fève), les rites de fertilité et les exorcismes sous l’égide du clan Shawan (Entrecroisement de branches). Voir Zhang Zhiyuan, 1986, p. 104-105.
54 Cf. Ogawa et Asai, 1930, p. 701. Dans le village de Xiangtianhu (Mission C. Zheng 1991), nous avons appris dans le clan Vavai (Vent) que des boîtes à reliques existaient, dont on ignorait le contenu et qu’il était interdit de toucher en temps normal au risque de déclencher un déluge.
55 Cf. Chen Chunqin, 1968, p. 116.
56 Cf. Chen Chunqin, 1966, p. 116-117, et 1968, p. 116.
57 Parce que ces rites ne concernent pas l’ensemble de la société.
58 Voir les textes des chants recueillis par Lin Hengli, 1956, p. 31-102.
59 M. Eliade, 1971, p. 135.
60 Chen Chunqin, 1968, p. 117.
61 Chen Chunqin, 1968, p. 126.
Auteur
Professeure au Département d’Études Chinoises de l’Université de Provence et membre de l’IRSEA (Institut de Recherche sur le Sud-Est Asiatique). Ses domaines de recherche sont l’histoire, l’ethnohistoire et l’anthropologie de Taiwan. Parmi ses publications récentes, on note : Taiwan : Enquête sur une identité (C. Chaîgne, C. Paix, C. Zheng, éd.), Paris, Karthala, 2000 : Les Presbytériens anglais à Taiwan : la rencontre avec les Austronésiens, 1865-1940, ouvrage bilingue français-chinois, Taipei, Musée Shung Ye, 2004. Elle compte également plusieurs traductions de textes classiques et plusieurs articles sur l’archéologie, l’ethnologie et l’histoire de Taiwan.
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Mythe et philosophie à l'aube de la Chine impériale
Études sur le Huainan zi
Charles Le Blanc et Rémi Mathieu (dir.)
1992
La Chine imaginaire
Les Chinois vus par les Occidentaux de Marco Polo à nos jours
Jonathan D. Spence
2000