Quelques remarques sur l’imaginaire du tir à l’arc dans la pensée chinoise ancienne
Représentations de l’archer mythique
p. 207-248
Texte intégral
Introduction
1Dans la Chine ancienne, le tir à l’arc (she 射) était l’un des six arts (liu yi 六藝) destinés à former la base l’éducation du gentilhomme1. Aussi l’habileté en archerie constitue-t-elle un topos dans les classiques chinois de l’Antiquité, où elle revêt, avec ses instruments médiateurs (l’arc, la flèche et la corde), des significations symboliques diverses, complexes et parfois antithétiques. Les récits d’archers, dans les réflexions philosophiques, sont aussi récurrents. L’archer mythique Yi 羿 s’imposa, en particulier, comme un modèle incontestable d’infaillibilité et de précision technique. La tradition attribue une variété d’entreprises extraordinaires à ce maître du tir à l’arc qui, d’après certaines versions, en aurait même été l’inventeur2. Aussi est-il mis souvent en scène contre des adversaires qui ne sont pas toujours d’origine humaine, des êtres fantastiques (des monstres, des génies, des dragons, etc.) relevant de l’ordre de l’imaginal3. Ses cibles étant de nature fort hétérogène, l’imaginaire chinois, marqué par une structure duelle ou binaire4, a orienté en effet son dard contre la terre, avec ses êtres chtoniens et aquatiques, ainsi que contre le ciel, avec ses créatures ouraniennes (les volatiles, les astres). Son plus grand exploit, célébré surtout à partir des Han 漢 (206 av. J.-C.-220 apr. J.-C.), consista notamment à libérer la terre des dix soleils qui apparurent simultanément dans le ciel en provoquant le dessèchement de la végétation et la destruction des ressources naturelles. Cette extermination, qui est par exemple mentionnée dans le Huainan zi 淮南子 (IIe s. av. J.-C.)5, se serait déroulée à l’époque de Yao 堯 (nom personnel Fangxun 放勳, appellation Tao Tang 陶唐, r. 2357-2258 av. J.-C., selon la chronologie légendaire), le quatrième des empereurs mythiques, dont Yi fut ministre6. Ce dernier, fort de son art, élimina donc neuf de ces astres funestes, en atteignant aussi, d’après certaines sources7, les neuf oiseaux ou corbeaux qui les habitaient et mit fin à la sécheresse la plus désastreuse que le monde ait jamais connue8. L’humanité devrait ainsi lui être redevable d’un pareil exploit titanesque qui assura la subsistance à tous les êtres vivants. Pourtant l’attitude des penseurs chinois envers ce personnage, telle qu’elle émerge des classiques, n’est point homogène. Si les maîtres à penser reconnaissent à l’unisson son talent en archerie, ils avancent souvent à son égard des réserves, des propos mitigés, voire des critiques ouvertes.
2Or, ce phénomène peut être interprété en évoquant deux ordres d’arguments, dont l’incompatibilité est loin d’être assurée par une réalité textuelle composite. On pourrait supposer, en premier lieu, que notre héros soit doué d’une sorte de « double personnalité »9, comme le sont du reste plusieurs figures emblématiques de la mythologie chinoise10. Dans ce cas, les raisons de l’ambiguïté de Yi seraient internes à la nature du personnage et mériteraient d’être étudiées au niveau de l’imaginaire et de la pensée symbolique. Il serait également légitime d’observer que Yi fait l’objet de perceptions différentes, issues notamment de traditions exégétiques, scripturaires ou doctrinales diverses. Dans ce cas, les raisons de la variété de ses représentations seraient historiques, philologiques et, donc, externes à sa nature. À l’appui de la seconde hypothèse, il conviendrait d’énumérer trois directions d’enquête principales :
3Premièrement, le processus de solarisation de Yi11 — processus qui le rapprocha symboliquement de la sphère royale12 — est relativement tardif, son exploit de l’extermination des neuf soleils étant encore peu connu à l’époque des Royaumes combattants (453-222 av. J.-C.). Ce constat confirmerait que l’ambivalence ne serait pas inhérente à une même personnalité et que ses facettes multiples sont plutôt le résultat de l’évolution ou de complexification d’une tradition mythologique : étant, dans un premier temps, un simple prototype d’archer parfait sur le plan technique, Yi aurait été élevé plus tard au statut de héros sauveur de l’humanité. Les sources postérieures (dont le Huainan zi), qui n’ignoraient plus son combat céleste, manifestent cependant une attitude complexe à son égard. Cette tendance n’est peut-être que le résultat d’un amalgame de mythèmes différents qui se seraient formés à des dates diverses et qui auraient fini par constituer une constellation de représentations contradictoires convergeant autour d’une même figure symbolique préexistante. Autrement dit, la complexité des jugements qui pèsent sur Yi ne serait que l’effet d’une complexité philologique ou « mythographique ». On sait à quel point la mythologie chinoise est difficile à reconstruire, aucun genre littéraire privilégié (comme l’épique) ne lui étant de surcroît réservé13.
4Dans une logique analogue, on pourrait alors formuler une deuxième conjecture : l’archer Yi convoque un ensemble d’images qui sont polysémiques plutôt qu’ambivalentes. L’utilisation et les valorisations de ces images varient selon les maîtres ou les courants de pensée, mais aussi en fonction du principe et de la doctrine qu’on s’évertuait à corroborer par le recours à un mythe. Les récits d’archers, en effet, constituent un genre particulier de cas « concrets », d’anecdotes ou de modèles significatifs dont les maîtres à penser se servaient afin d’illustrer et de raviver leurs argumentations. À cette conclusion, il conviendrait cependant d’ajouter que si l’exploitation de Yi comme symbole est complexe, c’est que le symbole même comporte une certaine complexité ou polyvalence.
5En dernier lieu, il convient de rappeler que la difficulté de reconstruire un profil cohérent de l’archer Yi est renforcée par ce que les sources mentionnent deux personnages distincts qui portent le même nom : l’un correspond à un maître vaillant du tir à l’arc qui aurait vécu sous le règne de Yao ; l’autre coïncide avec le seigneur de Qiong 窮, personnage négatif qui aurait été actif sous la dynastie des Xia 夏 (dates traditionnelles : 2207-1765 av. J.-C.) et dont Yi, le ministre de Yao, aurait été l’ancêtre14. Or, ces deux personnages semblent parfois se confondre, les caractéristiques du second étant subrepticement transférées au premier. Une solution pour définir la nature du lien que ces deux représentations divergentes d’un archer légendaire entretiennent consisterait à les mettre en relation avec des événements documentés. Comme Hawkes le suggère15, il s’agirait alors de retracer l’origine historique du double visage d’un archer Yi dans l’opposition effective entre deux cultures, et notamment : les descendants de l’ancêtre mythique Gaoxin 高辛, ou Di Ku 帝嚳16, à qui se rattacheraient les dynasties des Shang 商 (dates traditionnelles : 1765-1122 av. J.-C.) et des Zhou 周 (1122-256 av. J.-C.)17 ; les descendants de Gaoyang 高陽18, et la lignée des Xia en particulier. Or, Yi, salué comme un héros au sein de la première tradition, aurait par contre été dégradé au rang de vilain chasseur et d’usurpateur dans la seconde. Cette hypothèse pourrait expliquer partiellement la genèse des conflits personnifiés par Yi, mais elle n’exclut pas la possibilité de rechercher d’autres clés de lecture au niveau de l’imaginaire et de la pensée symbolique. En effet, si certaines sources confondent les deux Yi, c’est que le premier suggère peut-être, d’une certaine manière, cette assimilation. L’idée que le mythe dérive de l’histoire, en outre, est fort controversée. Comme Sarah Allan le rappelle aussi, Lévi-Strauss l’a invalidée en démontrant que les mythes s’engendreraient à partir d’autres mythes plutôt qu’à partir d’événements historiques et réels19.
6En somme, il serait opportun d’employer l’expression de « complexe de l’archer Yi » afin de désigner un ensemble organisé de représentations, d’assemblages d’idées, d’éléments significatifs (valeurs, convictions, schèmes conceptuels) issus de l’héritage de la haute antiquité qui gravitent de manière implicite, non déclarée et, pour ainsi dire, inconsciente, autour de ces deux personnages dont le plus récent apparaît comme la dégradation du plus ancien20. L’hypothèse qu’un mythe puisse correspondre à la représentation culturelle et collective d’un complexe est loin d’être nouvelle, la psychanalyse ayant largement puisé au substrat mythologique de nos cultures pour définir ses concepts et pour élaborer sa terminologie.
7Dans cet article, nous nous bornerons à décrire et à expliquer un choix significatif de jugements de valeur qui connotent la représentation multiforme d’un archer mythique prototypal (pouvant s’incarner dans un tireur héroïque ou dans un chasseur ignoble) afin de dégager certains éléments s’intégrant au sein d’une pensée commune autour de la sagesse. Nous développerons notre analyse à partir d’une lecture de certains classiques de l’époque pré-Han. En plus de cet objectif, qui est spécifiquement sinologique, notre mythanalyse essaiera également de repérer quelques facteurs confirmant des tendances anthropologiques d’ordre général.
La flèche à humaniser (Lunyu)
8Dans l’histoire de l’homme, nomadisme et sédentarité constituent deux états rivaux qui engendrent souvent des affrontements réels ou symboliques21. Or, la figure de l’archer incarne, entre autres, la tension que sous-tendent les ajustements socioculturels entre deux modes de vie ou deux phases de développement qui se sont succédés sur le territoire chinois. Dans son rapport avec la nature, l’homme chinois finit en effet par privilégier l’agriculture, la culture des plantes et la domestication des animaux au détriment du traitement pastoral et du nomadisme. Selon l’hypothèse d’André Georges Haudricourt22, cette orientation, bien connue, aurait même produit un impact déterminant sur ses modes de pensée, marqués par le modèle de l’immanence, alors que les philosophies de la transcendance seraient issues des cultures pastorales. Sans vouloir tomber dans une sorte de déterminisme géographique, dont les implications fléchiraient notre foi dans la créativité humaine, la Chine, ancien foyer d’agriculture, adhère assurément à « une civilisation du végétal », pour employer une heureuse expression que Pierre Gourou applique à tout l’Extrême-Orient23. La flèche métallique, aérienne et mobile de l’archer prototypal, en tant qu’emblème d’une société nomade ou semi-nomade de chasseurs, contraste symboliquement avec les activités agricoles et la sédentarité culturelle qui y est associée. Ce conflit, d’ailleurs, est déjà implicite dans les jugements moraux au sujet du tir à l’arc. Prônée par les lettrés (ru 儒) comme l’un des « six arts », l’archerie est aussi traitée dans le Lunyu 論語 (Les Entretiens de Confucius et de ses disciples) avec une certaine ambivalence ou tout au moins avec précaution. Elle est soumise à un processus d’humanisation, de ritualisation24, voire de moralisation qui en modère la nature cruelle jusqu’à altérer complètement ses fonctions premières utiles à une société de guerriers (la chasse, le combat). L’éthique confucéenne, et la pensée des Sages en général, répugnaient aux manifestations de brutalité et de violence. Aussi, Confucius rappelle-t-il ce principe :
Le maître dit : « L’homme noble (junzi 君子) n’a pas de raison de s’engager dans un combat. En cas de nécessité, qu’il le fasse au tir à l’arc ! Il présentera alors ses salutations en s’inclinant respectueusement, puis il montera25. Il descendra au moment des libations. Telle est la façon de combattre propre à l’homme noble. » (Lunyu 3.7/5/9)
9Ainsi un rituel bien précis devait accompagner l’exercice du tir à l’arc, moyen de confrontation admissible seulement en cas d’obligation. Le cérémonial relatif au combat avait pour objectif de rendre acceptable et plus humain ce qui aurait pu être perçu comme un geste brisant l’ordre esthétique et moral cher aux lettrés26. L’homme noble, en effet, « abhorre les braves qui ne possèdent pas [le sens] des rites » (Lunyu 17.24/50/20). Cette dimension rituelle était même jugée plus importante que le résultat final de la prestation :
Le maître dit : « Dans le tir à l’arc, l’on ne regarde pas la cible comme l’essentiel, car le degré de force [des archers] n’est pas homogène27. Telle était la voie de l’Antiquité. » (Lunyu 3.16/6/4)
10Il convient de rappeler à ce propos que les fonctions militaires commencent à se différencier progressivement des tâches civiles vers la fin de l’époque des Printemps et Automnes (722-481 av. J.-C.). Même si ce long processus ne s’achèvera qu’au IIIe s. avant notre ère28, la tension socioculturelle existant entre ces deux dimensions de l’organisation publique est déjà sensible dans un texte comme le Lunyu datant, au moins partiellement, du Ve s. et du IVe s. av. J.-C.29 La violence et la cruauté y sont est en effet critiquées, bien que le courage — vertu dérivée de l’ancien code d’honneur des gentilshommes combattants — continue de revêtir une certaine importance. D’après un aphorisme généralement interprété en termes proto-écologiques, Confucius (551-479 av. J.-C.), qui aurait été lui-même chasseur ainsi que pêcheur30, manifestait la plus profonde clémence envers sa cible appartenant au règne animal :
Le maître pêchait à la ligne plutôt qu’au filet. Il ne décochait jamais ses flèches vers un nid31. (Lunyu 7.27/17/4)
11Aux yeux des confucéens, les seuls exploits de force physique ne conféraient pas de la dignité aux actants32. Avant la naissance du confucianisme, les documents écrits au sujet du système éducatif font principalement allusion à des écoles d’archerie33. Confucius, nouveau modèle d’éducateur, ironise par contre sur le tir à l’arc et sur le char afin de riposter avec élégance à certaines médisances qui le frappaient :
Un habitant de Daxiang 達巷 déclara : « Quel grand homme est Maître Kong 孔 ! Il est fort cultivé, mais il a acquis une renommée sans raison. » Le maître, ayant eu vent de cela, s’adressa à ses disciples : « À quoi vais-je m’appliquer ? Au tir à l’arc ou bien au char ? Je vais m’appliquer au char. » (Lunyu 9.2/20/7)
12Malgré ses remarques mitigées sur l’archerie, celle-ci est évoquée dans plusieurs classiques, dont le Lunyu, afin d’illustrer des jugements de valeur positifs. En effet, si l’acquisition de l’art du tir à l’arc exigeait une discipline et un entraînement rigoureux, la forme même de la flèche, la trajectoire rectilinéaire et ininterrompue que suit le dard de la corde à la cible de manière instantanée suggèrent assez facilement la notion de droiture morale et de rectitude sans compromis. « L’image de la flèche assemble correctement vitesse et droiture. Elle est dynamiquement initiale », observe Gaston Bachelard34. Ainsi, il n’est pas étonnant que ces caractéristiques concrètes inspirent une constellation de métaphores, d’analogies et de comparaisons mettant en valeur l’intégrité de certains personnages ou de certains modèles de vertus. Tel est le cas de Shi Yu 史魚, un grand officier de l’État de Wei 衛 dont Maître Confucius appréciait la droiture (zhi 直) :
Que la voie régnât ou non dans le pays, il était comme une flèche. (Lunyu 15.7/42/15)
13Il n’était cependant pas suffisant d’être archer et de briller au le tir à l’arc pour être droit. Bien au contraire, la droite suivie par la flèche de l’archer Yi, le mauvais chasseur, contraste plutôt avec le manque de droiture que plusieurs sources imputent à ce personnage. Cela est vrai dans le Lunyu, où ses gestes subissent de surcroît une dévalorisation patente par rapport aux activités agricoles menées par d’autres personnages emblématiques. Les observations à peine amorcées par Nangong Kuo35 南宮括 sont éloquentes :
Nangong Kuo adressait des questions à Maître Kong [Confucius] : « Yi excellait au tir à l’arc. Ao 奡 déplaçait les bateaux [sur la terre ferme]36. Ni l’un ni l’autre ne périrent de mort naturelle. Yu 禹 et Ji 稷 s’appliquèrent personnellement aux activités agricoles. Aussi possédaient-ils le monde37. » Le maître ne répondit pas. Une fois que Nangong Kuo fut sorti, il commenta : « Voilà quelqu’un de noble et qui honore la vertu ! » (Lunyu 14.5/37/14)
14Le Lunyu, dont le style se démarque par sa concision, n’en dit pas plus, mais le message est clair et ne laisse aucun doute quant à la dépréciation d’une compétence paramilitaire, représentative d’une civilisation archaïque ou ancienne de chasseurs et de combattants, s’opposant à une société, postérieure, de cultivateurs et de lettrés appréciant plutôt les fonctions civiles et la sédentarité. Cela est d’autant plus curieux si l’on pense que, d’après le mythème des dix soleils, la fertilité de la terre fut garantie à nouveau grâce au tir à l’arc. Yi, l’exterminateur des soleils, se rapproche par contre de l’archer condamné dans ce paragraphe en ce que les diverses versions qui font allusion à son décès ont comme dénominateur commun l’idée d’une mort violente et non naturelle qui aurait mis fin à ses jours lorsqu’il était encore en pleine activité38.
15Ao, l’autre personnage légendaire auquel fait allusion Nangong Kuo, aurait été doué d’une force physique extraordinaire et chtonienne39. Or, d’aucuns ont comparé, de manière quelque peu hâtive, les deux archers nommés Yi à Hercule ou Héraclès40. En réalité, le héros grec incarne plutôt un idéal d’effort et de lutte inlassable contre des obstacles lents à franchir : « Si l’on considère comme l’ordre psychique et moral, par une transposition, les obstacles dont il triompha, Héraclès serait le représentant idéalisé de la force combative ; le symbole de la victoire (et de la difficulté de la victoire) de l’âme humaine sur ses faiblesses. », expliquent des spécialistes de la pensée symbolique41. Les descriptions des gestes de l’archer mythique chinois, en revanche, véhiculent plutôt une idée de vitesse, de rapidité et d’agilité, car son arme médiatrice est la flèche. Par cet instrument pointu et aérodynamique on ne peut faire mouche que de manière immédiate et instantanée, faute de quoi on aura manqué son but. La faculté d’atteindre une cible ne jouit pas de la propriété d’être graduelle : aucune étape intermédiaire ne saurait être concevable entre la victoire et l’échec. Les deux résultats de cette alternative, qui devient ainsi en quelque sorte tragique, ne peuvent être qu’absolus. Or, cette idée de vitesse convoquée par l’image du tir des dards n’est pas nécessairement évocatrice de vertu dans la pensée des Sages. Ceux-ci insistaient le plus souvent sur l’importance d’une acquisition graduelle et évolutive d’expériences édifiantes42. Sagesse et vieillesse ou longévité se sont constamment arrimées dans une civilisation où les ascendants et les hommes âgés ont fait l’objet d’une surévaluation continue.
16Ainsi, la complexité des représentations de l’archer mythique, qu’il soit le vaillant ministre de Yao ou l’ignoble chasseur de l’époque des Xia, semble bien tenir, entre autres, au sémantisme implicite dans le tir à l’arc et non seulement à la nature de ses maîtres. « Le but de l’archer, comme l’intention du vol, c’est toujours l’ascension », insiste Gilbert Durand43. Le dard convoque, en effet, une constellation d’images de la verticalité, tant il est vrai que, sur un plan symbolique, Nangong Kuo oppose l’habileté en archerie aux activités agricoles. Ainsi, dans le Lunyu, l’archer nommé Yi n’apparaît pas comme un personnage ambivalent : il est déprécié sans la moindre ambiguïté. C’est l’archerie qui soulève des doutes. Cet art demande certes de la rigueur et de la précision ; les flèches sont aussi droites que l’homme droit, mais, lorsqu’elles sont bien lancées, elles s’éloignent de la terre en constituant ainsi le contrepoint symbolique du labourage des champs.
Qui va à la chasse perd sa place
Zuo zhuan (Commentaire de Zuo)
17Le récit de la mort de Yi, l’usurpateur des Xia, que le Zuo zhuan 左傳44 nous a légué présente d’autres éléments significatifs qui confirment la dépréciation de ce personnage, critique non seulement sur le plan moral mais aussi politique. Le narrateur est Wei Zhuang zi 魏莊子 (Wei Jiang 魏絳) de l’État de Jin 晉, qui fait allusion au comportement de Yi en le citant comme exemple négatif à ne pas imiter. Il s’en sert pour déconseiller a son prince d’adopter une politique offensive envers des peuplades barbares (les Rong 戎 et les Di 狄), implicitement comparées aux animaux sauvages qui avaient détourné l’attention de Yi de questions publiques d’importance majeure :
Jadis, lorsque le règne des Xia était sur son déclin, sieur Yi se transféra de Chu 鉏 a Qiongshi 窮石. Il se servit du peuple [soumis] aux Xia pour usurper le pouvoir politique. Fier d’être archer, il ne s’occupa pas des affaires du peuple, mais il se passionna pour la chasse de manière inconsidérée. Il liquida Wu Luo 武羅, Bo Yin 伯因, Xiong Kun 熊髡, Mang Yu 尨圉 et employa Zhuo 浞 de Han 寒. Celui-ci était un calomniateur issu du clan de Bo Ming 伯明. Ce dernier, prince de Han, l’avait liquide, alors que Yi [de la peuplade des] Yi45 夷 le reçut, lui fit confiance et le recruta jusqu’à faire de lui son ministre. Zhuo se comporta en adulateur a l’intérieur [du Palais] et distribua des pots-de-vin à l’extérieur ; il trompa son peuple et se joua de lui en secondant les chasses de Yi. L’hypocrisie et la perversion qu’il avait semées lui furent utiles pour s’approprier la principauté [de Yi], avec l’appui de tout le monde, à l’intérieur comme à l’extérieur. Yi ne pensa pas se corriger [c.-à-d. changer ses habitudes]. Une fois où il allait revenir de la chasse, une bande de ses proches l’assassinèrent et le firent cuire pour le donner à consommer a ses propres fils. Ceux-ci ne supportèrent pas de le consommer et furent mis à mort près de la porte frontalière. […] (Zuo zhuan B 9.4.7/233/3, IVe année du duc Xiang 襄, 568 av. J.-C.)
18L’attitude de Yi envers les besoins réels du peuple et sa fierté d’archer sont ici critiquées explicitement : la passion pour la chasse est dévalorisée par rapport à l’engagement politique. Aussi Yi exprime-t-il clairement la tension socioculturelle entre deux dimensions ou deux modes de vie qui devaient coexister : d’une part, l’archerie, la chasse, le combat dans une nature non domestiquée et exigeant un certain degré de mobilité ; d’autre part, la gestion des affaires publiques au sein d’un espace labouré ou humanisé, caractéristique d’un état sédentaire. Ses fils, par contre, font preuve de piété filiale envers leur père assassiné en préférant la mort à la parriphagie.
19De cette description se dégagent trois aspects saillants de la mort de Yi (le mauvais chasseur) qui sont aussi récurrents dans plusieurs narrations du décès de Yi, le ministre de Yao : le trépas fut violent (comme nous venons de l’observer aussi dans le Lunyu) ; il suppose une trahison de la part de subordonnés (ici, ses courtisans) ; la victime en est indirectement responsable (ici, l’attitude de fierté et de négligence envers le peuple causent des ennuis). Aussi la perfection en archerie est-elle, d’une certaine manière, censurée. Cette insistance sur le décès non naturel de l’archer légendaire semble aussi avoir trait au symbolisme du tir à l’arc46. Comme nous l’avons déjà observé, l’image de la flèche qui frappe de manière instantanée la cible suggère assez facilement l’idée d’une mort subite. En tant que technique qui s’oppose aux activités agricoles, proches donc de la nature, le tir à l’arc implique, par analogie ou par sympathie, que la mort de ceux qui le pratiquent ne sera pas le résultat d’un long processus naturel. Les rythmes lents de la vie agraire (qui produisirent aussi une répercussion sur la vision de la sagesse en tant que chemin à parcourir progressivement) contrastent nettement avec les temps rapides des activités d’origine militaire. Il convient, à ce propos, de faire allusion au symbolisme que revêt le neuvième signe du Zodiaque — le Sagittaire (22 novembre-20 décembre). Ce centaure présente en effet des analogies avec l’archer chinois : « […] il se situe avant le solstice d’hiver quand les travaux des champs terminés, les hommes se consacrent davantage à la chasse. Symbole du mouvement, des instincts nomades, de l’indépendance et des réflexes vifs47. » La tension du Sagittaire qui, par sa flèche ouranienne, cherche à s’affranchir de sa condition mi-animale, suit cependant une orientation inverse à celle du chasseur Yi. Le premier ressemble plutôt à Yi, le héros solaire, en ce qu’il est une figure de sublimation : « […] un centaure aux quatre sabots plantés au sol et qui se dresse devant le ciel, un arc bandé en main et orientant sa flèche en direction des étoiles48. » Le chasseur vagabond tel qu’il est décrit dans le Zuo zhuan, en revanche, est un être humain qui se rapproche de la dimension animale suite à son activité excessive, la démesure étant en plus condamnée par les « maîtres de l’équilibre ». La flèche remplit alors une double fonction symbolique : elle humanise et divinise en tant que symbole d’ascension49 ; elle déshumanise jusqu’à animaliser en tant qu’emblème d’un mode de vie archaïque. S’il est vrai que, comme Durand le suggère, l’ascension est l’objectif premier de l’archer, une suractivité dans le tir à l’arc détourne et dégrade le sens de l’envol du dard. Comme nous l’avons constaté dans le Lunyu, la ritualisation d’une pratique garantit par contre qu’elle soit exercée sans dépasser la juste mesure.
Chu ci (Élégies de Chu)
20Le portrait de l’archer légendaire qui émerge du « Lisao 離騷 » (À la rencontre du chagrin), le plus long des poèmes du Chu ci 楚辭, est complexe car les deux personnages nommés Yi sont assimilés. L’amalgame qui en résulte ne peut être qu’équivoque. Pareillement au Lunyu et au Zuo zhuan, l’élégie présente en termes négatifs la nature de chasseur nomade propre à l’archer Yi des Xia, en lui attribuant cependant l’abattage de grands renards, que l’autre Yi, le ministre de Yao, aurait plutôt effectué. Ces quelques vers insistent sur les conséquences tragiques que le vagabondage (sorte de nomadisme dégradé) comporte inéluctablement en vertu du principe, implicite aussi dans la description du Zuo zhuan, selon lequel qui va à la chasse perd sa place :
Yi vagabondait de manière inconsidérée (yin you 淫游) se distrayant à la chasse. Il adorait décocher à répétition ses flèches contre de grands renards. Mais bien rarement dérèglement et dissipation se terminent bien. En effet, Zhuo50 浞 convoita le foyer [c.-à-d. l’épouse] de son maître51. (Chu ci 1/2/14)
21Le « Tianwen 天問 » (Interrogations célestes), fait allusion au mythème des dix soleils et des dix oiseaux abattus par le ministre de Yao. Dans ce poème où la pensée mythique se conjugue avec des interrogations cosmologiques, les exploits de Yi font l’objet d’un questionnement qui demeure ouvert car aucun élément n’est suggéré dans le texte pour deviner la réponse :
Comment cela se fait-il que Yi abattit avec son arc les soleils ? Comment cela se fait-il que les volatiles laissèrent tomber leurs plumes52 ? (Chu ci 3/8/12)
22La verticalisation de Yi, le ministre de Yao, dans ces deux mythèmes, apparaît évidente. De même que dans la représentation d’Apollon, l’arc et la flèche peuvent être considérés comme des équivalents symboliques respectivement du soleil et de ses rayons53. « Maintes fois l’image technologique de la flèche vient relayer le symbole naturel de l’aile », fait encore remarquer Durand54. Ici, le mouvement aviaire suit une trajectoire contraire à celle des traits aérodynamiques et confirme, par contraste, l’élan de Yi. Bien que ses flèches s’orientent aussi vers des cibles terrestres et que sa transformation en héros solaire ne soit qu’une reconstruction tardive, sa nature ouranienne apparaît prépondérante. Sa tension verticale est également confirmée par l’aptitude à escalader des lieux élevés que le Shanhai jing 山 海 經 (Classique des Monts et des Mers) lui attribue55.
23De manière analogue au Lunyu, après cette référence à la bravoure en archerie, le poète mentionne Yu 禹 le Grand sans pour autant l’opposer de manière explicite à Yi :
Yu travaillait en déployant toutes ses forces. Il descendit inspecter les contrées inférieures dans les quatre directions. Comment rencontra-t-il la dame du mont Tu56 嵞 avec qui il s’unit à Taisang 台桑57 ? (ibid.)
24L’assimilation entre l’usurpateur des Xia et le ministre de Yao est reproduite dans la même élégie, où Yi apparaît comme un personnage participant initialement de la dimension céleste, et donc à forte connotation verticale, car son intervention fut décidée par Di 帝 même, le Seigneur d’En Haut, qui le fit « descendre » afin de libérer la terre de plusieurs fléaux. Malgré sa réussite et ses offrandes, la divinité suprême ne lui fut pas propice : sa descente se transforme alors en chute. L’insatisfaction de l’empereur céleste soulève notamment une question qui demeure encore une fois sans réponse. L’allusion à sa mort violente fait écho à celle qui est énoncée dans le « Lisao ». Le poète écrit sur cet événement de manière succincte en le présentant implicitement comme la conséquence du mécontentement du Seigneur d’En Haut :
Le Seigneur fit descendre Yi de [la peuplade des] Yi58 afin d’éliminer les calamités du peuple des Xia. Comment cela se faitil qu’il tira contre le comte du Fleuve et que la Dame [de la rivière] Luo 雒 devint son épouse59 ? Fort de son arc en nacre et de son magnifique doigtier, il décocha ses flèches contre le grand sanglier. Pourquoi, lorsqu’il offrit au Seigneur d’En Haut le gras de sa chair bouillie, celui-là n’en fut pas satisfait ? Zhuo s’unit avec son épouse, Renarde Noire, femme trompeuse avec qui il machina une conjuration. Comment cela se fait-il que la flèche de Yi fut anéantie et que ses proches, s’étant emparés de lui, conspirèrent [pour le mettre à mort]60 ? (Chu ci 3/8/15)
25De toute évidence, les gestes et les mésaventures de l’archer mythique interpellaient déjà l’auteur ou le compilateur du « Lisao » qui, par ses interrogations, sollicite aussi notre imagination et notre curiosité. Faut-il donc renoncer à repérer une logique discursive dans la complexité de ce nœud mythologique ?
L’art du tir à l’arc et l’art d’enseigner (Meng zi)
26Dans le Meng zi 孟子, la tension que l’archer mythique incarne est intériorisée et revêt un aspect spécifiquement moral. L’allusion à la mort de Yi, le ministre de Yao, soulève en effet une réflexion au sujet de la relation entre maître et disciple. D’après l’éthique confucéenne, celle-ci devait calquer le rapport de subordination familiale des descendants envers les ascendants, rapport réglé par les deux vertus complémentaires de la piété filiale (xiao 孝, envers les parents, et le père en particulier) et de l’indulgence (ci 慈, envers la progéniture, représentée surtout par le fils aîné)61. Or, selon une certaine version, Yi aurait été tué par son meilleur disciple Peng Meng 逢蒙62, que la tradition finira par lui associer de manière emblématique malgré sa haute trahison. Assez curieusement, Meng zi juge Yi coupable, bien qu’en mesure inférieure à son apprenti. En effet, un vrai maître ne se limite pas à transmettre des compétences spécifiques à son élève : il lui transmet tout d’abord sa disposition intérieure. Yi n’aurait pas appris que l’art du tir à l’arc à Peng Meng mais aussi sa manière d’être et d’agir, indirectement qualifiée d’incorrecte (qualité contraire à duan 斷 « correct ») :
Peng Meng apprit le tir à l’arc sous la direction de Yi. Ayant assimilé à fond l’art de Yi, il estima que celui-ci était le seul au monde à le surpasser, ainsi il le tua. Meng zi commenta : « Yi aussi en est coupable. Lorsque Gongming Yi63 公明儀 disait : ‘‘Il ne me semble pas coupable dans cette [affaire]’’, il se prononçait peut-être sur la gravité relative [de sa faute], mais comment peut-on prétendre qu’il ne soit pas coupable ? Les gens de Zheng64 鄭 envoyèrent Zizhuo Ruzi 子濯孺子 envahir Wei 衛. Celui-ci envoya Yugong Zhisi 庾公之斯 le poursuivre. Zizhuo Ruzi dit : ‘‘Je viens d’être frappé par une maladie. Je ne suis pas en mesure de tenir un arc dans les mains. Je vais donc mourir ?’’ Il demanda à son cocher : ‘‘Qui nous poursuit ?’’ Son cocher répondit : ‘‘Yugong Zhisi.’’ ‘‘Alors je vivrai.’’ Son cocher objecta : ‘‘Yugong Zhisi est le meilleur archer de Wei. Pourquoi dites-vous que vous vivrez ?’’ ‘‘Yugong Zhisi a appris le tir l’arc sous la direction de Yingong Zhituo 尹 公之他, qui l’apprit sous ma propre direction. Yingong Zhituo est quelqu’un de correct. Les amis qu’il choisit ne peuvent être que corrects.’’ Yugong Zhisi, une fois arrivé, lui demanda : ‘‘Maître, pourquoi ne tenez-vous pas l’arc dans les mains ?’’ ‘‘Je viens d’être frappé par une maladie. Je ne suis pas en mesure de tenir un arc dans les mains.’’ ‘‘J’ai humblement appris le tir à l’arc sous la direction de Yingong Zhituo, qui l’apprit sous votre direction. Il m’est insupportable de me servir de votre art contre vous pour vous léser. Cependant, la tâche présente [m’a été confiée] par mon souverain. Je n’ose pas la négliger.’’ Ayant extrait ses dards, il fit sauter leur [pointe] métallique contre une roue et il se retira après en avoir décoché quatre65. » (Meng zi 8.24/43/3)
27La complexité des représentations de l’archer Yi s’exprime ici dans la modération relative par laquelle Meng zi le culpabilise en tentant de réconcilier son jugement avec celui de Gong Mingyi. Cette référence à une divergence d’opinion montre que le héros du tir à l’arc faisait en tout cas l’objet d’une interrogation éthique. La deuxième partie de la réflexion de Mengzi fait allusion à un problème classique de conflit d’intérêts : Yugong Zhisi, en tant qu’archer, est un descendant symbolique de Zizhuo Ruzi puisqu’il a appris son art sous la direction de l’un des disciples de ce dernier, lequel est en plus affaibli par une maladie. Dans cette logique, le tuer aurait signifié commettre une sorte de parricide en livrant de surcroît un combat sur des bases inégales. Le probe Yugong Zhisi, tout en ayant reçu l’ordre de poursuivre Zizhuo Ruzi de la part de son souverain, n’hésite pas à défendre les intérêts de sa « famille » d’archers et se limite à accomplir un geste d’obéissance formelle envers l’autorité politique en décochant des flèches amputées de leur pointe. Son comportement fut conforme à la morale confucéenne qui, en cas de conflit d’intérêts, accordait la priorité aux devoirs envers les pères (biologiques ou symboliques) par rapport aux obligations publiques et politiques66. Aussi la référence à l’archer Yi s’insère-t-elle dans un contexte fort problématique, pour ne pas dire tragique, où la raison d’État risque de compromettre l’ordre familial et ses extensions tropiques. Yi est associé à cette opposition cruciale de manière indirecte : l’interprétation de son décès vise à corroborer une série de considérations morales.
28Au paragraphe 22 du même chapitre, Meng zi, en effet, avait déjà introduit le thème de l’influence que les personnages vertueux et les hommes médiocres exercent sur leur environnement. Le penseur confucéen, qui aurait étudié sous la direction de Zisi 子思 (env. 485-420 av. J.-C.), petit-fils de Confucius, regrette de ne pas avoir reçu l’enseignement direct de celui-ci. L’affinité qui liait l’archer Yi et son disciple Peng Meng contraste ainsi nettement avec l’influence bénéfique produite par Maître Kong sur ses élèves, envers lesquels — comme nous l’apprend le Lunyu — il était par ailleurs souvent critique. Les principes énoncés ensuite, d’un ton lapidaire, au paragraphe 23 anticipent aussi la réflexion sur la mort de Yi :
Meng zi dit : « Lorsqu’on a la possibilité de prendre ou de ne rien prendre, prendre nuit à l’intégrité. Lorsqu’on a la possibilité de donner ou de ne rien donner, donner nuit à la générosité. Lorsqu’on peut mourir ou ne pas mourir, mourir nuit au courage. » (Meng zi 8.23/42/30)
29Autrement dit, force et faiblesse doivent être motivées : se laisser tuer sans raison n’est pas une preuve de bienveillance. Ainsi — pourrait-on déduire — l’autodéfense d’un maître contre un disciple aurait été plus que légitime. Yi, qui à la différence de Zizhuo Ruzi n’était pas souffrant, aurait pu choisir de se défendre. En renonçant à primer et, donc, à détenir le contrôle sur son apprenti, il a comme produit un dérèglement dans le code d’honneur régissant la relation entre maître et disciple et défendant un ancien idéal de courage ou de vaillance (yong 勇). À l’appui de cette lecture, il est opportun de citer deux extraits du chapitre « She yi 射義 » du Liji 禮記67, texte plus tardif qui présente une vision de l’archerie vraisemblablement redevable à celle du confucianisme de l’époque classique. Le ritualiste observe que le tir à l’arc révèle la prédisposition intérieure de l’archer, figure engagée dans une tension maximale et complètement responsable de ses actions. Parce que la vertu (de 德), en tant que pouvoir, conjugue l’action efficace et l’esprit moral, l’intégrité intérieure constitue une condition indispensable au succès :
Les archers, en avançant et en se retirant, en tournant et en se retournant, devaient se centrer (zhong 中) sur le rite. Ils tenaient l’arc et la flèche avec fermeté et sûreté à condition qu’intérieurement, leurs intentions fussent correctes et qu’extérieurement leur physique fût droit. On pouvait prédire qu’ils allaient frapper le centre (zhong) à condition qu’ils tinssent l’arc et la flèche avec fermeté et sûreté. Cela permettait d’observer leur conduite vertueuse. (Liji 47.2/170/25)
30La pratique du tir à l’arc est éducative en ce qu’elle demande par définition une concentration profonde sur un objectif précis, en rappelant par extension les buts spécifiques que chacun doit remplir dans les relations interpersonnelles :
Tirer à l’arc veut dire libérer. Autrement dit, relâcher. Quant à la libération, chacun libère ses propres intentions de sorte que le cœur est apaisé et le physique correct. On tient l’arc et la flèche avec fermeté et sûreté. En tenant l’arc et la flèche avec fermeté et sûreté, le tir frappera le centre. C’est pourquoi il est dit : “Ceux qui sont pères penseront à être pères. Ceux qui sont fils penseront à être fils. Ceux qui sont souverains penseront à être souverains. Ceux qui sont subordonnés penseront à être subordonnés.” (Liji 47.8/171/20)68
31Ces propos invitent à ajouter que ceux qui sont maîtres de tir à l’arc devraient à plus forte raison penser à se comporter comme des maîtres et à contrôler leurs disciples. Yi a donc manqué de remplir le rôle dont il était investi.
32Les deux autres allusions à l’archer Yi qui figurent dans le Meng zi ne font pas référence à sa mort, mais elles présentent ce personnage comme un modèle analogique ou métaphorique de tension maximale vers un objectif élevé, à atteindre sans consentir à des concessions69. Yi apparaît encore comme un enseignant transmettant tout son art à ses disciples, qui s’entraînaient en l’imitant fidèlement…
Meng zi dit : « Lorsque Yi enseignait aux autres le tir à l’arc, il visait certainement à le bander au maximum et certainement ses disciples visaient aussi à le bander au maximum. Lorsque le maître charpentier instruit les autres, il se sert certainement du compas et de la règle et certainement ses disciples se servent aussi du compas et de la règle. » (Meng zi 11.20/61/17)
Gongsun Chou70 公孫丑 dit : « La Voie est élevée, elle est splendide ! On a l’impression d’escalader le ciel, car elle paraît inaccessible. Pourquoi ne pas orienter plutôt les gens vers des objectifs qui seraient accessibles en faisant des efforts quotidiens ? » Meng zi répondit : « Le maître charpentier ne modifierait ni n’éliminerait le cordeau enduit de noir [c.-à-d. le fil à plomb] pour les adapter à un ouvrier maladroit. Yi n’aurait pas changé ses critères d’archerie pour les adapter à un archer maladroit. L’homme noble bande l’arc sans décocher [la flèche], il est plein d’entrain. Il se tient dans la voie du milieu : le suivent ceux qui peuvent71. » (Meng zi 13.41/72/11)
33Dans la conclusion de cette dernière référence à Yi, les mots de Mencius font écho aux principes de Confucius, pour qui l’essentiel du tir à l’arc ne consistait pas à atteindre l’objectif et, donc, à lâcher immédiatement ses flèches. Les potentialités de réussite d’un « bon » archer résident déjà dans les gestes qui précèdent la décharge. La métaphorisation de l’activité concrète émerge avec clarté dans la remarque finale où le geste de tirer à l’arc s’est désormais déréalisé car il renvoie à l’intensité de la droiture morale. L’image du charpentier et de l’archer qui n’altèrent pas leurs critères de base dans l’exercice de leurs techniques illustre en effet le principe selon lequel la rectitude et la probité répugnent à tout compromis. De ce point de vue, la pensée des Sages, la philosophie du « juste milieu » ou de la modération expriment en réalité un message radical. L’homme vertueux demeure intègre même en vue de l’obtention d’avantages et d’honneurs, comme il est expliqué dans un récit qui met en scène Wangliang 王良, cocher légendaire d’une droiture exemplaire, et Xi 奚, un archer opportuniste :
Jadis, Jianzi 簡子 de Zhao72 趙 chargea Wangliang de conduire le char en compagnie de son favori Xi, qui ne prit pas un seul volatile de toute la journée. À son retour, celui-ci déclara : « [Wangliang] est le cocher le plus médiocre au monde ! » On rapporta cela à Wangliang, qui pria [son souverain] de le laisser essayer de nouveau. Il obtint la permission avec effort. En un matin, le favori Xi prit dix volatiles. Aussi à son retour il déclara : « C’est le meilleur cocher au monde ! » « Je le charge de la conduite de ton char », suggéra Jianzi. Wangliang, qui en fut informé, ne donna pas son accord et expliqua : « Lorsque j’ai conduit pour lui les chevaux de manière réglementaire, il n’a pas pris un seul [volatile] de toute la journée. Lorsque j’ai violé les règles en sa faveur, il en a pris dix en un matin. Une Ode dit : “La conduite des chevaux n’était pas défaillante. Les flèches étaient lancées d’une force perçante73.” Ce n’est pas dans mon style de conduire pour quelqu’un de médiocre. Veuillez m’excuser. » Le cocher eut aussi honte de se mettre au même niveau que l’archer. Bien qu’en se mettant au même niveau, ils auraient pris des montagnes de gibier, il ne le fit pas. Que serait-il devenu s’il avait infléchi sa voie pour céder à celui-là ? […] (Meng zi 6.1/31/8)
34L’intérêt de ce passage tient, entre autres, à ce qu’il se sert de deux pratiques complémentaires et respectables — la conduite du char et le tir à l’arc — afin de faire valoir le principe de la globalité de la vertu : l’homme de bien se doit de respecter les justes principes dans toutes circonstances. Les règles morales étant posées comme des valeurs absolues, supérieures à la vie même74, la quête du profit pour le profit déshumanise l’être humain en provoquant aussi des troubles et des désordres au sein de la société. Le Meng zi présente par ailleurs une analogie, dont l’interprétation s’avère ardue, entre la vertu suprême de l’humanité et le tir à l’arc. Le raisonnement, peu linéaire, commence par soulever un doute quant aux critères pour décider de l’immoralité d’une pratique donnée :
Meng zi dit : « Un fabricant de flèches est-il moins humain qu’un fabricant de cuirasses ? La seule crainte d’un fabricant de flèches, c’est qu’elles ne blessent pas autrui. La seule crainte d’un fabricant de cuirasses, c’est que celles-ci ne protègent pas contre les blessures. Il en est de même pour une guérisseuse et un fabricant de cercueils. Aussi faut-il de la prudence quant aux méthodes [d’évaluation]. » (Meng zi 3.7/18/14)
35Jusqu’ici, Meng zi semblerait indiquer que la fabrication des flèches (armes mortelles et donc inhumaines) est au fond complémentaire à celle des cuirasses (instruments de défense dont la raison d’être suppose l’existence d’armes offensives telles que les dards). Parce que les fabricants d’armures défensives profitent des forgeurs de dards, ils ne sont pas plus humains que ces derniers. Il en irait de même pour la relation entre la pratique médicale et la fabrication de cercueils (même si, en réalité, le rapport entre les deux activités, qui sont analogiques en ce qu’elles ont trait à la maladie et à la mort, en est plutôt un d’exclusion que de complémentarité). L’exposé continue par une mise en valeur de la vertu du ren s’appuyant sur une citation des paroles de Maître Kong :
Confucius disait : « Vivre dans l’humanité, c’est excellent. Comment parviendrait-on à la perspicacité si l’on décide de ne pas résider dans l’humanité75 ? » L’humanité est la dignité que le Ciel [nous a conférée] ; c’est la demeure paisible de l’homme. Ne pas être humain lorsqu’il n’y a pas d’obstacles, c’est manquer de perspicacité. L’homme inhumain et non perspicace, sans rites et dépourvu [du sens] du Juste est un esclave. Être esclave et en avoir honte est similaire [au cas] du fabricant d’arcs qui aurait honte d’en produire. Dans ce cas, rien ne vaut de pratiquer l’humanité. L’humanité ressemble au tir à l’arc : l’archer se met tout droit avant de décocher. S’il décoche sans atteindre le centre, il n’en voudra pas à ceux qui l’ont battu : il se limitera à rechercher en lui-même [les causes de son échec]. (Meng zi 3.7/18/15)76
36Si l’on n’est pas sûr que l’activité qu’on exerce soit morale, on n’a qu’à pratiquer l’humanité, incite Meng zi. L’archer et l’homme vertueux ont en commun la capacité de se tenir droits, au milieu de leur chemin, face à une cible. La propriété géométrique d’être droit sert encore une fois d’analogon à la qualité morale de la droiture. L’attitude correcte à assumer en cas d’échec consiste à examiner ses propres faiblesses, à faire son examen de conscience plutôt qu’à identifier les causes de son insuccès à l’extérieur77. Cela paraît donc logique qu’au paragraphe 8.24, précédemment analysé, l’on suggère de rechercher l’origine de la défaite de l’archer Yi occasionnée par Peng Meng chez Yi même plutôt que chez son vainqueur.
37En conclusion, de même que dans le Lunyu, chez Mencius la pratique du tir à l’arc offre tout naturellement des images illustrant l’idée de probité et de rectitude78. À plus forte raison, un archer peu intègre (comme Xi, qui suivait le principe utilitariste selon lequel la fin justifie les moyens ; comme Yi, qui se borna à transmettre une technique à son disciple) semble être doublement fautif. En violant certaines règles (formelles ou morales), il trahit paradoxalement son image emblématique qui devrait plutôt susciter des pensées édifiantes. La médiocrité morale en archerie intensifie, d’une certaine manière, la gravité de la transgression puisqu’elle dégrade non seulement l’homme — le personnage concret — mais surtout le symbole.
De l’agilité des singes (Zhuang zi)
38La tension dont est chargé l’archer Yi, le ministre de Yao, se précise dans le Zhuang zi 莊 子 où elle trouve son sens dans une thématique plus ample, chère à la tradition taoïste : la dépréciation des techniques humaines qui, en tant que telles, sont limitées par rapport aux pouvoirs prodigieux des êtres supérieurs. L’archerie, même lorsqu’elle est pratiquée avec une habileté extrême, ne peut dépasser certaines contraintes physiques, étant en plus soumises à une série de conditions externes. Avec un brin d’humour, les capacités de Yi et de Peng Meng, désormais mises sur le même plan, sont par exemple jugées inférieures à celles du singe sauteur. Dans son environnement naturel, cet agile animal — personnage allégorique dont le comportement est analogue à celui de Zhuang zi dans l’extrait ci-dessous — maîtrise parfaitement ses mouvements jusqu’à pouvoir déjouer le talent des meilleurs archers :
Zhuang zi, habillé d’un vêtement raccommodé d’étoffe épaisse, avec des souliers ajustés par des lacets, passa devant le roi de Wei 魏. Celui-ci s’exclama : « Maître, comment se fait-il que vous soyez si accablé ? » Zhuang zi répliqua : « Je suis pauvre, je ne suis pas accablé. Un gentilhomme est accablé lorsqu’il n’est pas en mesure de mettre en pratique la Voie et la Vertu. Des vêtements usés et des souliers percés, ce sont des signes de pauvreté et non d’accablement. Cela signifie qu’on n’est pas tombé dans une bonne époque. Votre Majesté n’a-t-elle jamais vu le singe sauteur ? Il s’empare d’un gamble ou d’un catalpa et il s’amuse sur le tronc, il s’agrippe et grimpe sur ses branches en y régnant comme un souverain. Même Yi ou Peng Meng ne sauraient le viser. Lorsqu’il se déplace parmi les mûriers, les jujubiers et les citronniers79, il se hasarde à marcher et se penche pour regarder. Il bouge sans stabilité ; il est craintif et tendu. Ce n’est pas que ses muscles et ses os soient contractés et manquent de souplesse, c’est qu’il occupe une position défavorable qui ne lui permet pas le déploiement de ses capacités. Or, sous des dirigeants égarés et des ministres fauteurs de troubles, même à le vouloir, comment pourrait-on réussir à ne pas être accablé ? Tant il est vrai que Bi Gan80 比干 se vit arracher le cœur. » (Zhuang zi 20/55/5)81
39Même si le rôle de Yi et de Peng Meng est ici secondaire, leurs capacités sont relativisées en vertu de l’idée selon laquelle la réussite de chacun ne tient pas seulement aux qualités personnelles mais aussi au contexte dans lequel on les déploie. Les hommes parfaits échappent, par contre, à cette loi, car leurs pouvoirs sont globaux, voire cosmiques. Cette idée est exprimée dans une réflexion qui semble tenir compte, au moins en partie, des événements mentionnés aussi dans le Zuo zhuan et dans le Chu ci. Yi, confondu avec le mauvais chasseur comme dans le Chu ci, est en effet présenté comme un personnage incomplet ne sachant pas se défendre sur tous les fronts :
Yi était capable d’atteindre une cible minuscule mais incapable d’éviter les adulations. Les hommes de sagesse supérieure ont des capacités relatives au ciel, mais ce sont des incapables par rapport à l’homme. Seul l’homme parfait (quan ren 全人) réussit [sur les deux plans]82. (Zhuang zi 23/67/16)
40La même idée est clairement illustrée dans un récit qui relativise encore une fois les exploits en archerie. Dans l’optique du Zhuang zi, l’homme, confronté à sa finitude, ne transcende pas sa condition en se spécialisant dans une technique mais en opérant d’abord sur son intériorité. Le tir à l’arc offre ici l’occasion d’une confrontation entre les aptitudes humaines les plus élevées et les facultés surnaturelles dont seuls certains personnages extraordinaires sont doués :
Lie Rempart-contre-les-brigands pratiquait le tir à l’arc devant Maître Obscurité-Absence83. Il banda à fond son arc, il plaça un gobelet d’eau sur son coude et il se mit à lancer. Dès qu’une flèche [partait], il réitérait son geste de manière ininterrompue ; une flèche venait [d’être décochée], et en voilà une autre qui était prête. Pendant tout ce temps là, il avait l’air d’une statue. Maître Obscurité-Absence commenta : « Cette manière de tirer à l’arc, c’est du tir à l’arc ; ce n’est pas une manière de tirer à l’arc qui ne soit pas du tir à l’arc. Nous allons maintenant gravir ensemble une haute montagne, nous marcherons sur un rocher au bord d’un précipice de 100 ren 仞 : seras-tu en mesure de tirer ? » Et voilà que Maître Obscurité-Absence gravit alors une haute montagne, marcha sur un rocher au bord d’un précipice de 100 ren, il tourna le dos en reculant. Ses pieds avaient dépassé la deuxième moitié du bord, lorsqu’il fit un signe de salutation vers Lie Yukou l’invitant à le rejoindre. Celui-ci se jeta le visage contre la terre, la sueur lui coulant jusqu’aux talons. « L’homme parfait, déclara Maître Obscurité-Absence, en haut scrute le ciel bleu ; en bas, il s’immerge dans les Sources jaunes84, il se déplace partout jusqu’aux huit points extrêmes [de l’univers], sans que ses esprits et ses souffles soient altérés. Toi, par contre, tu es si tendu que tu clignes les yeux de peur car tu es intérieurement instable85. » (Zhuang zi 21/59/9)
41Il convient encore de rappeler que le Zhuang zi fait allusion au mythème des dix soleils sans attribuer à Yi le mérite d’en avoir éliminé neuf :
Jadis, les dix soleils surgirent en même temps et les dix mille existants furent tous éclairés (zhao 照). À plus forte raison la vertu (de) ne doit-elle pas dépasser les soleils ? (Zhuang zi 2/6/6)86
42Cette considération occasionnelle est pertinente en ce que la signification symbolique des astres du jour qui desséchaient la terre est complètement renversée. Loin de se transformer en feu destructeur, la lumière physique et ignée de ces soleils se déréalise pour métaphoriser le rayonnement de la vertu. Peut-on considérer cette façon de briser un mythe comme une procédure argumentative, typique de ce classique, consistant à mettre en question les opinions reçues et les valeurs courantes ? En répondant par l’affirmative, il conviendrait alors d’inscrire dans cette même tendance les considérations provocatrices de Hui Shi 惠施 (env. 370-310 av. J.-C.), qui ironise sur l’habileté de Yi. Le goût pour le paradoxe de ce dialecticien rejoint en effet le mode de communication du Zhuang zi, où figurent plusieurs de ses antinomies :
Zhuang zi demanda : « Est-il admissible de qualifier d’excellent un archer qui atteigne la cible sans l’avoir prévu et [de conclure] donc que tout le monde est un Yi ? » Hui zi répondit : « C’est admissible87 ». Zhuang zi demanda : « Comme il n’existe pas, au monde, de valeurs communes, mais que chacun met en valeur ses propres valeurs, est-il admissible [de conclure] que tout le monde est un Yao ? » Hui zi répondit : « C’est admissible ». (Zhuang zi 24/69/16)
43En somme, dans le Zhuang zi, Yi n’est qu’un héros qui, malgré son habileté et ses exploits, n’a pas franchi le seuil de la dimension humaine ordinaire pour atteindre le statut qualitativement supérieur d’être cosmique. Aucun jugement moral ne pèse pour autant sur ce personnage. Son talent offre plutôt aux compilateurs de ce texte l’opportunité de célébrer par contraste les vertus des Sages de la tradition taoïste par rapport à d’autres figures appartenant au substrat mythologique commun de la Chine antique. Le Huainan zi défendra une vision analogue en insistant, entre autres, sur l’idée qu’à l’âge d’or, lorsque l’unité régnait dans le monde, le savoir (zhi 知) de Yi n’était pas demandé88. Son dard, empreint d’ambiguïté, symbolise alors à la fois les capacités humaines, qui peuvent être extraordinaires, et ses limites89.
Les instruments médiateurs de l’efficacité, de la compétence et de l’élan initial (Xun zi, Mo zi et Lü shi chunqiu)
44Nous avons observé plus haut que le tir à l’arc et la flèche sont susceptibles de convoquer une constellation d’images illustrant la notion de droiture morale et d’intégrité sans tache. Or, chez Xun zi 荀子 (env. 310-215 av. J.-C.) et puis chez Han Fei 韓非 (mort en 233 av. J.-C.), les armes de Yi, le ministre de Yao, évoquent plutôt des tendances ou des phénomènes qui ne revêtent aucun aspect éthique. Du reste, cela est vrai aussi des attributs caractéristiques d’autres personnages significatifs et de leurs champs d’expertise. Dans les raisonnements par analogie et dans les métaphores usées (déjà employées dans les textes de l’époque des Royaumes combattants) elles peuvent faire allusion à l’idée — philosophiquement prégnante dans le Zhuang zi — que l’habileté de l’homme n’est pas absolue en ce qu’elle doit jouir de certaines conditions et doit s’appuyer sur des instruments efficaces pour se déployer. L’impuissance humaine est décrite comme un phénomène normal par Xun zi, penseur rationaliste qui suggère plutôt d’adopter des méthodes de gestion sociopolitique aptes à compenser les limites de l’être humain :
Zaofu 造父 était le meilleur cocher du monde, mais sans char ni chevaux il n’aurait pas su montrer ses capacités. Yi était le meilleur archer du monde, mais sans arc ni flèches il n’aurait pas su montrer son habileté. Un grand lettré [ru, du courant confucéen] excellerait à pacifier et à unifier le monde, mais sans un territoire de 100 li 里, il ne saurait montrer son talent. Si, malgré un char solide et des chevaux de qualité, l’on est incapable de couvrir de longues distances (un millier de li par jour), c’est que l’on n’est pas un Zaofu. Si, en dépit d’un arc bien équilibré et de flèches droites, Ton est incapable de tirer de loin et d’atteindre une cible minuscule, c’est que Ton n’est pas un Yi. Si, tout en disposant ! d’un territoire de 100 li, Ton est incapable de pacifier et d’unifier le monde, de contrôler la force et la violence, c’est que Ton n’est pas un grand lettre90. (Xun zi 8/32/4)
Yi et Feng Men 蜂門 Un furent les meilleurs archers du monde, mais ils auraient été incapables d’atteindre des cibles minuscules avec un arc déformé et une flèche tordue. Wangliang et Zaofu furent les meilleurs cochers du monde, mais ils auraient été incapables d’aller loin avec des chevaux boiteux et un char abime. Yao et Shun 舜 furent les meilleurs à éduquer et à transformer le monde, mais ils auraient été incapables d’induire des esprits calculateurs à se transformer. (Xun zi 18/87/11)
Si l’arc et les flèches ne sont pas bien équilibrés, même Yi aurait été incapable d’atteindre des cibles minuscules. Si les six chevaux ne s’accordent pas, même Zaofu aurait été incapable d’aller loin. Si les fonctionnaires et le peuple n’entretiennent pas une relation étroite, même Tang 湯 et Wu91 武 auraient été incapables de se faire valoir. (Xun zi 15/68/7)
45Une considération analogue est formulée aussi dans le Lü shi chunqiu 旅氏春秋 (Printemps et Automnes du sieur Lü)92 :
Or, de toute évidence, Yi ou Feng Meng 蜂蒙, même en disposant d’un Fanruo 繁弱93, n’auraient pas été capables d’atteindre la cible sans corde. La [capacité] d’atteindre la cible ne tient pas uniquement à la corde, mais celle-ci est un instrument (ju具) [permettant] à l’arc de l’atteindre. Afin d’obtenir du succès et de la renommée, il faut aussi disposer de certains instruments. [...] (Lü shi chunqiu 18.8/117/22)
46La maitrise du tir à l’arc constitue un exemple de développement maximal d’un talent. La nécessité de recruter des hommes habiles en tenant compte de leurs aptitudes et de leurs compétences est déjà indiquée dans le Lunyu. Il s’agit d’un souci majeur chez les confucéens qui, suite à l’essor de la classe mandarinale à partir des Han, concevront des typologies systématiques pour définir les caractères humains94. Dans ce sens, l’incomplétude de Yi, qui n’excellait que dans un seul domaine, est euphémisée car elle est perçue comme un signe positif de spécialisation :
Yi et Feng Men furent les meilleurs archers du monde. Wangliang et Zaofu furent les meilleurs conducteurs de chars du monde. Un gentilhomme intelligent et lucide excelle à guider les autres. […] Ainsi, si un souverain souhaite disposer d’un excellent archer, personne ne surpassera Yi ou Feng Men pour tirer de loin et atteindre une cible minuscule. S’il souhaite disposer d’un excellent conducteur de chars, personne ne surpassera Wangliang et Zaofu pour couvrir rapidement de longues distances. S’il souhaite pacifier et unifier le monde en détenant le contrôle sur [les États de] Qin 秦 et de Chu 楚, personne ne surpassera des gentilshommes intelligents et lucides. (Xun zi 11/53/8)
Chui 倕 inventa l’arc, Fuyou 浮游 inventa les flèches et Yi brilla dans le tir à l’arc. Xizhong 奚仲 inventa le char, Xiangdu 相杜 inventa l’attelage et Zaofu brilla en tant que cocher95. Depuis l’antiquité jusqu’à nos jours, il n’y a jamais eu quelqu’un qui fût capable de briller dans deux [domaines]. (Xun zi 21/105/10)
47D’une façon générale, le « progrès rétrospectif » (l’invention conçue dans le passé) fait l’objet d’une valorisation récurrente au sein de la plupart des anciennes Écoles. Comme nous l’avons déjà indiqué96, Yi compte également parmi les héros civilisateurs qui interviennent dans la « techno-genèse » du monde. Dans ce sens, il apparaît comme un personnage positif. Aussi un texte anti-confucéen tel que le Mo zi 墨子 le célèbre dans une veine polémique, en caricaturant les positions des lettrés :
[Les lettrés confucéens, ru] soutiennent encore : « L’homme noble se conforme sans inventivité (zuo 作)97. » Nous réagissons en soutenant que dans l’Antiquité Yi inventa (zuo) l’arc, Yu 杼 inventa l’armure, Xizhong inventa le char, Qiaochui 巧垂 inventa le bateau98. Est-ce qu’alors tous les tanneurs99, [les fabricants] d’armures, de chars et les charpentiers de notre époque seraient des hommes nobles, alors que Yi, Yu, Xizhong et Qiaochui seraient des hommes médiocres ? En outre, parmi [les personnalités] auxquelles on se conforme, on compte des inventeurs. Est-ce qu’alors [les personnalités] auxquelles on se conforme correspondent toutes à des hommes médiocres ? (Mo zi 9.7/64/32)
48À vouloir reprendre la psychanalyse du dard élaborée par Bachelard, on pourrait encore observer que, sur le plan symbolique, le tir à l’arc se conjugue bien avec la notion de progrès, d’initiative fondatrice. L’image de la flèche qui est « dynamiquement initiale100 » renforce, d’une certaine manière, l’idée d’un élan novateur, d’un premier début. Une pareille supposition confirmerait alors la polyvalence de cette pratique : symbole d’une société de chasseurs nomades ou vagabonds d’une part, elle métaphorise, d’autre part, le mouvement initiateur propre à toute innovation ainsi que l’audace qui peut l’accompagner101.
Les flèches de la loi (Han Fei zi)
49Dans le Han Fei zi, l’image de la flèche de Yi, le ministre de Yao, qui frappe infailliblement la cible illustre l’idée de l’action automatique, amorale et anonyme aboutissant aux résultats voulus. Elle évoque encore la notion de correspondance exacte entre des causes du même genre qui provoquent les mêmes effets ou entre stimulus et réponse. Ces notions jouent un rôle de premier plan dans la conception légiste du pouvoir politique où les lois, les critères d’unification, les punitions et les récompenses parfaitement adaptées aux transgressions et aux mérites sont mis en place d’une manière machinale et instantanée, analogue à la trajectoire suivie par un dard bien lancé. Ce type d’action (propre à l’archerie et aux méthodes légistes), étant invariable, ne comporte aucun risque :
Si l’on avait déposé une mise de mille [monnaies] d’or sur l’arc de Yi, Boyi 伯夷 n’aurait pu perdre et le brigand Zhi 跖 n’aurait pas osé piller102. […] Yi était trop habile pour manquer la cible. Ainsi, on n’aurait pas perdu les mille [monnaies] d’or. Les gens malhonnêtes n’auraient pas eu de longue vie et le brigand Zhi aurait été arrêté. (Han Fei zi 26/58/2)
50Dans son apologie de l’efficacité, le penseur légiste actualise ad hoc les modèles mythiques de l’Antiquité en associant le souverain vertueux Yao à son archer Yi :
Lorsqu’on lance une flèche et qu’on atteint le centre de la cible, lorsque récompenses et châtiments sont parfaitement adéquats, Yao renaît et Yi réapparaît. (Han Fei zi 27/59/21)
51Le contrôle de la population devait par ailleurs être total, voire totalitaire. À personne il n’était consenti d’échapper aux procédures de surveillance et de criminalisation. Flèche et filet — les deux instruments qui invitaient Confucius à la prudence103 — sont complémentaires dans la conception légiste du politique :
Alors, un dicton des gens de Song 宋 affirme : « Yi aurait été déraisonnable s’il avait absolument voulu atteindre chaque moineau qui passait devant lui. En transformant le monde en un filet104, il n’aurait manqué aucun moineau. » Afin d’identifier les rétifs, il faut aussi disposer d’un grand filet, de sorte qu’on n’en manquera aucun. (Han Fei zi 38/124/4)
52Yi, en tant qu’archer infaillible, personnifie en somme les méthodes sûres et la politique pénale rigoureuse du système légiste où rien n’est laissé au hasard. La précision de sa technique relève de l’ordre de la nécessité. Dans une sorte de casse-tête énoncé par Hui zi, l’exactitude de son geste s’oppose emblématiquement à l’imprécision d’un enfant qui, voulant lancer une flèche, effraierait même sa mère :
Lorsque les probabilités [d’atteindre la cible] sont sûres, les gens de Yue 越 n’auraient aucun doute quant à Yi. Lorsque les probabilités ne sont pas sûres, la mère la plus tendre fuirait son petit enfant105. (Han Fei zi 23/52/8)
53L’ordre découle avant tout de la capacité de discerner et de différencier. Dans une pareille logique, si l’on ne se donne aucun but, la distinction entre personnes habiles et incapables s’effacera. Les vrais talents ne se manifestent que si les règles du jeu sont clairement fixées au préalable :
Si le souverain écoute des discours sans se fixer comme objectifs le succès et l’utilité, les dialecticiens débattront à foison des questions épineuses106 comme de celle du cheval blanc. Si l’on ne vise aucune cible précise, tous les archers seront équivalents à Yi. (Han Fei zi 32/79/11)
54La précision de Yi et de Peng Meng sert en effet d’analogon pour illustrer l’importance de l’action utile mais aussi de la parole efficace. Elle s’oppose, par contre, à la rhétorique vide qui ne produit aucun résultat concret :
Or, la parole et l’action doivent avoir comme objectifs le succès et l’utilité. Supposons que quelqu’un, ayant bien aiguisé une flèche, la lance au hasard et que sa pointe atteigne un poil d’automne. Il ne serait pas pour autant légitime de conclure qu’il s’agit d’un excellent archer car il n’y avait aucun critère et aucun but de déterminés. Si l’on tire vers un but de cinq pouces [de diamètre] à une distance de dix pas107, à moins d’être un Yi ou un Peng Meng, il est certain qu’on ne saura pas l’atteindre, car les critères et le but sont déterminés. Étant déterminés, on considère que Yi et Peng Meng, ayant atteint un but de cinq pouces, sont habiles. N’étant pas déterminés, on considère comme maladroit le fait d’avoir atteint par hasard un poil d’automne. Or, lorsqu’on écoute des discours et qu’on observe des actions, si l’on ne se fixe pas comme objectifs le succès et l’utilité, même si les paroles sont fort analytiques et que les actions sont fort consistantes, c’est le même principe que de lancer au hasard. (Han Fei zi 41/130/7)108
55Il est ainsi légitime de conclure que les allusions à l’archer Yi qui se dégagent du Han Fei zi revêtent une connotation assurément positive. Dans sa démoralisation du politique, le penseur légiste prend comme référence le maître du tir à l’arc. Son geste aveugle et donc impartial ne suscite aucun jugement critique car il ressemble à celui du dirigeant efficace ainsi qu’à l’application des lois communes.
Observations finales
56La complexité et la diversité des représentations de l’archer mythique dans les sources anciennes varient en fonction des traditions scripturaires, des courants de pensée mais aussi de la doctrine ou du principe à illustrer et à valider. Yi personnifie, entre autres, l’opposition non seulement entre deux modes de vie et, éventuellement, entre deux lignées et deux populations ; il traduit aussi les divergences entre la tradition moraliste et la vision légiste, anticipée par ce penseur confucéen hétérodoxe que fut Xun zi. Si les premiers confucéens censurent la force et la précision technique ne s’appuyant pas sur des valeurs éthiques solides et sur un apparat rituel codifié, la simple habileté dans le tir à l’arc, pratique artificielle et humaine, forme d’intervention par excellence, n’aurait pas pu convaincre les adeptes de la Voie non plus. Ceux-ci, désireux de développer une sensibilité surnaturelle et extrasensorielle, tournèrent en dérision les capacités de l’archer mythique en mettant l’accent moins sur son immoralité que sur la relativité de ses pouvoirs.
57Par ailleurs, en tant que personnage emblématique, Yi est susceptible de recevoir, dans le même texte, des valorisations antithétiques qui le chargent parfois d’une certaine ambiguïté. Parmi les exemples étudiés, cette tendance le caractérise surtout dans le Meng zi où, d’une part, il est culpabilisé car incapable d’enseigner le tir à l’arc en véhiculant en même temps une déontologie apte à réglementer les relations entre maître et disciples ; d’autre part, il est choisi comme modèle analogique de droiture morale et de volonté absolue de perfectionnement personnel. Son portrait apparaît également quelque peu équivoque (surtout sur le plan de la reconstruction de ses gestes) dans les sources qui confondent Yi, le ministre de Yao, avec Yi, le mauvais chasseur. Nous avons relevé ce phénomène dans le Chu ci et dans une allusion du Zhuang zi. L’assimilation s’est avérée significative plutôt dans ce dernier texte, car l’incapacité de Yi (l’usurpateur) de se défendre des adulations qui finirent par entraîner sa mort est mise en contraste avec l’habileté de Yi (son ancêtre) afin d’illustrer l’incomplétude des capacités humaines. Notons encore que les emplois figés (analogies et métaphores usées) des compétences techniques de l’archer mythique se réfèrent généralement au héros vaillant qui servait l’empereur légendaire. Elles rejoignent en partie les réflexions critiques prégnantes en ce que le tir à l’arc finit par devenir l’emblème de l’action politique amorale et d’un système pénal déritualisé. La valorisation des capacités de Yi chez Han Fei confirme que ce personnage constitue, sous plusieurs rapports, un anti-Sage. De ce point de vue, sa force, sa précision et sa concentration sur une seule activité, scindées d’un système de principes moraux, l’apparentent à Yi, le mauvais chasseur, dont les sources (le Zuo zhuan et le Chu ci) condamnent la fierté et le manque de perspicacité sur le plan politique.
58La variété des représentations de l’archer mythique et les efforts d’ajustement que celles-ci imposent ne se réduisent pas à un problème d’hétérogénéité doctrinale et textuelle. La complexité découle aussi de l’imaginaire du tir à l’arc et de son riche symbolisme. « Tout symbolisant est polysémique par rapport à la clarté d’intention du symbolisé », écrit Durand109. Cette vérité décrit bien la polyvalence de la flèche, mythème ou fragment de mythe fondamental pour rendre compte de la diversité des perceptions de Yi. L’archerie évoque en effet une série d’images et de notions qui, dans les réflexions des penseurs pré-Qin, correspondent à des visions antithétiques de l’homme et du monde. Bien que le dard et la droiture morale soient isomorphes et que l’envol de la flèche exprime une tension verticale, un mouvement de sublimation, la figure de l’archer constitue à plusieurs égards un modèle d’action s’opposant à l’idéal de sagesse défendu au sein du premier confucianisme. La sédentarité, les rythmes lents et réguliers de transformation (environnementale et personnelle) qui caractérisent la culture lettrée représentent le contrepoint du mode de vie de l’archer prototypal. Pour d’autres raisons, aux yeux des compilateurs du Zhuang zi, la seule habileté à l’arc ne permet pas d’atteindre des pouvoirs hors communs : le tir en soi, qui coïncide, d’une certaine manière, avec un geste d’extériorisation immédiate et instantanée, n’est pas un indice de puissance prodigieuse, à moins d’être précédé d’une élaboration intérieure radicale. La mort subite et violente de l’archer mythique, suggérée aussi par le symbolisme de la flèche, peut également être interprétée comme l’expression d’une censure de la part de la pensée des Sages. Nous avons observé à ce propos que les récits relatifs au décès de Yi, le ministre de Yao, présentent des éléments en commun avec les narrations du trépas de Yi, l’usurpateur, ainsi que d’autres archers moins célèbres.
59Sur le plan historique, il semble évident que la mythographie relative à l’archer Yi s’est enrichie et s’est complexifiée au fil du temps. Il n’est donc pas étonnant si dans certains textes, postérieurs à la période culturelle que nous avons étudiée, ce personnage, ayant acquis de surcroît les connotations d’un héros solaire, apparaisse polyédrique jusqu’à devenir parfois ambivalent. Une extension possible de cette brève réflexion consisterait justement à étendre l’enquête sur des sources plus tardives. Dans une première approximation, il nous paraît légitime de suggérer qu’il n’existe pas une clé unique pour rendre compte de la complexité des représentations de l’archer prototypal. Celle-ci tient aux divergences doctrinales, à la stratification philologique, à l’évolution historique qu’ont suivies les mythes de Yi aussi bien qu’à certaines dynamiques de la pensée symbolique et de l’imaginaire. Si le contenu des trois premiers facteurs énumérés est spécifiquement chinois, les dynamiques en question correspondent, en revanche, à des invariants anthropologiques d’ordre général.
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Bibliographie sélective
Corpus
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Notes de bas de page
1 Les autres cinq étaient : les rites (li 禮), la musique (yue 樂), la conduite du char (de guerre, yu 御), l’écriture calligraphiée (shu 書) et le calcul (arithmétique et numérologique, shu 數). À propos des « six arts », cf. Kamenarović, 1999, p. 22-23.
2 Selon le Lü shi chunqiu 呂氏春秋 (17.4/102/29) et le Mo zi 墨子 (9.7/64/32), Yi aurait en effet inventé (zuo 作) l’arc. Dans le Shanhai jing 上海經 (18/76/27), il est présenté comme le premier utilisateur de cette invention.
3 À propos de son combat contre Hebo 河伯, le comte du Fleuve, cf. Birrell, 1993, p. 140. Cf. aussi, à titre d’exemple, le Shanhai jing 15/65/31, où Yi se bat contre l’Orgre-à-dents-en-poinçon (expression qui pourrait faire référence à une peuplade de barbares, cf. Mathieu, 1983, p. 387). Le terme d’« imaginal », désormais populaire dans les études sur l’imaginaire, fut forgé par Henry Corbin (1903-1978) à propos du mysticisme islamique pour désigner une type de formation d’images distantes de la perception empirique. Wunenburger (2002, p. 24) a formulé récemment la définition suivante de ce concept : « […] l’imaginal (du latin mundus imaginalis et non imaginarius) renverrait plutôt à des représentations imagées que l’on pourrait nommer surréelles, puisqu’elles ont la propriété d’être autonomes comme des objets, tout en nous mettant en présence de formes sans équivalents ou modèles dans l’expérience. »
4 La logique du yin 陰 et du yang 陽, on le sait, constitue une des expressions majeures de cette bipolarité implicite dans les modes de pensée et d’imaginer de la civilisation chinoise. À propos du modèle de la « structure synthétique » caractérisant l’imaginaire chinois, cf. Durand et Sun, 2000, p. 68.
5 Cf. Huainan zi 8/63/13 : « En haut, celui-ci décocha ses flèches contre les dix soleils ; en bas, il tua le yayu », monstre qui infestait la terre. Cf. Le Blanc et Mathieu, 2003, p. 340. Cette bipolarité implicite dans ses actions rappelle la diplopie de Fu Xi 伏犧 et des Sages qui établirent le système divinatoire du Livre des Mutations en tenant compte des signes célestes et des propriétés terrestres. Cf. Zhou yi 周易 66/81/19.
6 Il est utile de rappeler, en citant Mathieu (1989, p. 112, n. 3) qui, dans son anthologie, présente un panorama complet des différentes versions de ce mythe, que le « Lunheng [chap. 5] de Wang Chong [27-env. 100] est le seul ouvrage de la Chine des Han à faire de Yao même le héros de cette élimination […] ». D’après Mathieu (1983, p. 441), le mythe des dix soleils serait, une reconstruction relativement tardive datant du IVe s. av. J.-C.
7 Cf. par exemple, le Chu ci 楚辭 3/8/12. Ce recueil de dix-sept compositions poétiques, dont plus d’un tiers serait l’œuvre de Qu Yuan (343-277 av. J.-C.), fut rassemblé par Wang Yi 王逸 au IIe s. de notre ère.
8 Il est opportun de rappeler que les séquences de ce mythe sont souvent indiquées de manière parcellaire dans les sources et que les variations ne manquent pas. Ce phénomène, du reste, n’est ni spécifique de la Chine ni du mythe de Yi.
9 D’après l’analyse de Mathieu (1983, vol. I, p. XXX), Yi revêt « l’aspect de l’ambivalence propre à un moi incapable d’assumer une totale maîtrise du monde sans l’aide des héros, maîtres dans l’art d’expulser (action caractéristique de la mythologie chinoise ancienne). » Cf. aussi Birrell, 1993, p. 138: « […] so ambiguously are Yi’s exploits recounted that he is precariously poised between the archetypal and antithetical roles of heroic savior and criminal villain. »
10 Gun 鯀, le père de Yu le Grand (voir infra n. 37), est par exemple une figure particulièrement ambiguë. Homme androgyne, il aurait, entre autres, donné naissance à son fils (cf. Mathieu, 1989, p. 95-98).
11 Cf. à ce propos Zheng, 1992.
12 Eliade (1974, p. 135) a amplement écrit sur « l’affinité de la théologie solaire avec les élites, qu’il s’agisse de souverains, d’initiés, de héros ou de philosophes. »
13 À propos des genres littéraires en Chine, cf. Vandermeersch, 1986.
14 Cf. Granet, 1994, p. 376 et s. Le sinologue français considérait les deux Yi comme des personnages historiques.
15 Cf. Hawkes, 1985, p. 141 (ll. 67-72). Cette analyse se fonde principalement sur le Chu ci. Allan (1991, chap. II) relie plutôt le mythème des dix soleils à la dynastie des Shang. Selon son interprétation, les membres de la classe dirigeante auraient entretenu une relation totémique avec les dix astres.
16 Troisième empereur mythique, arrière-petit-fils de Huang di 皇帝, l’Empereur Jaune. Cf. Mathieu, 1989, p. 81-83.
17 Selon la chronologie établie par Jacques Gernet, que nous avons suivie aussi pour indiquer les dates des autres périodes historiques.
18 Zhuanxu, 顓頊, le deuxième empereur, petit-fils de Huang di. Cf. Mathieu, op. cit., p. 80.
19 Cf. Allan, op. cit., p. 22 ; Lévi-Strauss, en particulier 1971, p. 559 et s.
20 Pour une définition du terme « complexe », cf. Laplanche et Pontalis, 1997, p. 72.
21 Pour un aperçu de cette vaste problématique, cf. Barrau, 1990, p. 35 et s.
22 Cf. Haudricourt 1962 ; Haudricourt et Hédin, 1987, p. 170-180, cités aussi par Barrau, ibidem.
23 Cf. Gourou, 1972, p. 26, cité aussi par Barrau, ibidem.
24 Cf. Granet, 1994, p. 381.
25 La destination n’est pas indiquée. On peut supposer qu’il s’agisse du lieu du combat. Cheng (1981, p. 39) traduit par « monter dans la salle ».
26 Le chapitre 47 du Liji 禮記 (Mémoires sur les rites) — « She yi 射義 » (« La signification du tir à l’arc », trad. par Couvreur, 1951b, tome II, deuxième partie, p. 668) et les chapitre 5 et 7 du Yili 儀禮 (Cérémonies et rites) — « Xiang she li 鄉射禮 » (« Rites du tir à l’arc dans un canton ») ; « Da she yi 大射儀 » (« Cérémonies du grand tir de l’arc », trad. par Couvreur, 1951c, p. 101 et p. 213) — sont des sources importantes pour reconstruire les rituels du tir à l’arc. À propos de la fonction esthétique des rites, cf. Ghiglione, 2005 et 2006.
27 Cf. Lévy, 1994, p. 41 : « Pour la force les catégories sont différentes ». La force en soi n’est pas un mérite ; chacun tire en fonction de sa vigueur.
28 À propos de la diversification de ces deux types de fonctions, cf. Raphals, 1992, p. 102.
29 Selon l’hypothèse de Brooks & Brooks (1998, p. 201-203), le texte aurait été écrit entre la mort de Confucius en 479 av. J.-C. et la destruction de l’État de Lu 魯 par Chu 楚 en 249 av. J.-C. Cf., à ce propos, le commentaire de Le Blanc dans Fingarette, 2004, p. 48.
30 Cela n’est point étonnant si l’on pense que les princes aussi pratiquaient ces deux activités dans un but rituel. Cf. Granet, op. cit., p. 384.
31 Cette phrase est normalement interprétée comme Lévy le fait : « […] Il ne décochait des flèches à fil que sur les oiseaux en vol, jamais sur ceux qui se posaient. » (1994, p. 62). Le caractère su 宿 signifie en effet « demeurer », mais il peut également indiquer le lieu où l’on demeure, donc le nid. Le sens général du paragraphe est que Confucius se servait des ressources naturelles avec modération. Il évitait donc de tirer contre des nids, car il aurait risqué d’atteindre plusieurs oiseaux.
32 La force matérielle (li 力) en tant que telle est dépréciée dans le Lunyu. Cf., par exemple, 7.21/16/17.
33 Cf., à ce propos, Needham, 1956, p. 6.
34 Bachelard, 1990, p. 72.
35 Haut fonctionnaire de Lu selon les commentateurs anciens ; disciple du maître selon des interprétations plus récentes Cf. Lévy, 1994, p. 161.
36 Ici, nous suivons Cheng, 1981, p. 111.
37 Il s’agit de Yu le Grand (r. env. 2207-2197 av. J.-C.) personnage semi-historique, fondateur de la dynastie Xia, et de Houji 后稷, le « Souverain Millet », ancêtre mythique des Zhou, patron de l’agriculture.
38 À propos des récits sur la mort de Yi, cf. Mathieu, 1989, p. 115.
39 Ao aurait vécu sous les Xia. Il aurait été le fils de Zhuo, qui tua Yi, l’usurpateur des Xia. Les deux noms de Yi et de Ao étant associés dans ce paragraphe, Lévy (1994, p. 161), à la différence d’autres traducteurs, estime que Yi se réfère à l’archer des Xia. Voir infra p. 220.
40 Cf. Pimpaneau, 1999, p. 27 ; Cheng, 1981, p. 111, n. 2, où, sur le plan symbolique, Yi n’est pas différencié de Ao.
41 Chevalier et Gheerbrant, 2002, p. 497, qui citent Diel, 1966, p. 216.
42 À la différence de certaines Écoles bouddhiques, en effet, les confucéens défendaient normalement une position « gradualiste » par rapport à la possibilité d’atteindre la sagesse ou la vertu suprême. Le Blanc et Fingarette dégagent néanmoins dans le Lunyu (7.30/17/12) ce qui pourrait être un contre-exemple à cette vision majoritaire. Cf. Fingarette, 2004, p. 115.
43 Cf. Durand, 1969, p. 150.
44 Ce texte, date du IVe s. av. J.-C., fait partie du corpus confucéen officiel des Treize classiques.
45 Terre orientale de barbares, selon Mathieu, 2004. p. 94, n. 5. Cf. la traduction de Couvreur (rééd. 1951, tome II, p. 204-205) qui lit Yi comme le nom d’une lignée.
46 Cf. aussi le récit suggestif de Lü Yi 呂錡, archer qui, en rêve, décocha des flèches contre la lune ; dans l’état de veille, il aveugla avec un dard le roi Gong 共 de l’État de Chu. Il périt sous la flèche de l’archer de ce dernier. Cf. Zuo zhuan B 8.16.5/217/17.
47 Chevalier et Gheerbrant, 2002, p. 841.
48 Ibidem
49 À propos des processus de divinisation des humains dans la Chine archaïque et antique, cf. la monographie de Puett, 2002, le chap. 2 en particulier : « Gaining the Powers of Spirits : the Emergence of Self-Divinization Claims in the Fourth Century B. C. » L’auteur insiste sur la diversité des positions au sujet de la relation entre l’homme et le surnaturel ou la dimension divine en brisant l’idée reçue suivant laquelle, en Chine, seule une vision moniste du monde prédominerait dans l’ancien système de croyances.
50 Son serviteur Han Zhuo 寒浞 machina un plan pour tuer son maître avec la complicité de l’épouse de ce dernier. Hawkes (op. cit. p. 88) estime que Yi se réfère ici à « an historicized avatar of the toxophiliac sun hero ».
51 Nous avons rendu en prose ces vers que Mathieu a récemment traduit en s’efforçant de transmettre le souffle poétique de l’élégie : « À longues chasses Yi s’est livré,/ Aimant tirer de grands renards./ Aux troubles la fin vint plus tard :/ Zhuo convoita son épousée ! » (2004, p. 50). Nous avons suivi ses explications en plus de celles de Hawkes.
52 Cf. Mathieu, op. cit., p. 93 : « Où, vers les soleils, Yi ses flèches lâcha-t-il ?/Où les corbeaux atteints plumes perdirent-ils ? »
53 Dans le mythème des dix soleils, la flèche, en tant que rayon inversé, est réorientée, sur le mode de l’analogie, vers les corps célestes. Cf. Durand, (1969, p. 149) qui fait référence à la parenté étymologique, observée par Jung, entre « flèche » et « rayon » en russe et en allemand : « […] par son assimilation aux rayons, la flèche joint les symboles de la pureté à ceux de la lumière, la rectitude et la soudaineté vont toujours aller de pair avec l’illumination ». Cf. aussi Bachelard, 1990, p. 72.
54 Cf. Durand, ibidem.
55 Cette capacité physique est symboliquement reliée au sens de l’humain (ren 仁) dans le Shanhai jing (11/57/11), seul texte qui applique à Yi cette vertu cardinale du confucianisme (cf. Mathieu, 1983, p. 470-71). Cf. aussi Lunyu 6.23/14/1 : « Qui est perspicace chérit l’eau. Qui est humain chérit la montagne. »
56 Allusion à la rencontre de Yu avec une sorte de nymphe de montagne, mère de son fils unique nommé Qi.
57 Cf. Mathieu, ibidem : « Yu offrit les mérites des efforts consentis,/ Descendit inspecter toutes les terres basses./ Cette fille au mont Tu, pourquoi l’a-t-il choisie ?/ Comment la connût-il aux Mûriers en terrasse ? »
58 Voir supra n. 45.
59 Victoire de Yi, le ministre de Yao.
60 Cf. Mathieu, op. cit., p. 95 : « L’empereur [sur la terre] Yi de Yi amena/ Pour chasser les malheurs du bon peuple des Xia./ Pourquoi attaqua-t-il ‘Comte du Fleuve’, He bo,/ Et prit-il pour épouse la Dame de Luo ? »/ « Or bandant l’arc en nacre et graissant son doigtier,/ Il décocha ses traits sur le grand sanglier,/ Offrit en sacrifice la graisse de sa chair,/ Pourquoi, à l’empereur, il n’eut point l’heur de plaire ? » « [Belle] Renarde noire, Zhuo pour femme choisit,/ Cette trompeuse épouse conjuration ourdit./ Comment, malgré les flèches et l’armure de Yi,/ L’ont-ils, l’un avec l’autre, finalement occis ? »
61 Cf., à titre d’exemple, Lunyu 2.20/4/9.
62 Autres leçons de son nom : Feng Meng, Feng Men, Pan Meng.
63 Disciple de Ze Zhang et puis de Zang Shan. Cf. Meng zi 6.3/31/27, 6.9/35/1.
64 Petit État de la Chine centrale.
65 Cf. les traductions de Lévy, 2003, p. 122-123 (le sinologue pense que le texte fait allusion à l’archer Yi des Xia) et de Lau, rééd. 1984, p. 167.
66 Cf. à ce propos le célèbre aphorisme du Lunyu (13.18/35/22) où le maître trouve inadmissible qu’un fils dénonce son père. Si dans ce texte la protection prônée entre père et fils devait être réciproque, les positions sont moins homogènes quant à la nécessité de privilégier les intérêts filiaux par rapport aux obligations publiques. À propos de cette thématique, cf. Roetz, 1993, chap. 8.
67 Voir supra n. 26.
68 Cf. la traduction de Couvreur, 1951b, tome II, deuxième partie, p. 676.
69 On sait à quel point le raisonnement par analogie est attesté dans le Meng zi. Cf. à ce propos Lau, rééd. 1974, p. 334-356.
70 Célèbre disciple de Meng zi qui aurait contribué à la compilation de son œuvre.
71 Nous avons en partie suivi la traduction de Lévy, 2003, p. 189.
72 Il s’agit de Zhao Yang 趙鞅, ministre dans l’État de Jin 晉 (Shanxi actuel). Cf. Lévy, 2003, p. 93, n. 235.
73 Shi jing 詩 經 (Livre des odes), livre III des Xiao ya 小雅 (Hymnes mineurs), poème # 179, trad. par Couvreur, 1967, p. 208 : « Le conducteur observait parfaitement les règles de son art. L’archer lançait les flèches avec une force capable de transpercer (le gibier). »
74 Cf. Meng zi 11.10/59/25.
75 Cf. Lunyu 4.1/7/5.
76 Cf. aussi Meng zi 10.1/51/12, où l’archerie intervient dans un raisonnement par analogie au sujet de la perspicacité (zhi 智) et de la sagesse suprême (sheng 聖).
77 La même idée est exprimée dans le « Zhongyong 中庸 » (« La Pratique du Milieu »), Liji 32.9/143/29 : « Le Maître dit : “Le tir à l’arc présente des éléments d’analogie avec [la conduite] de l’homme noble. Si l’on manque le centre de la cible, l’on réoriente la recherche [de la raison] sur soi-même.’’ »
78 Cf. encore Meng zi 10.7/55/17 : la voie à suivre doit être aussi droite (zhi) qu’une flèche.
79 L’identification des arbres de cet extrait s’avère problématique. Cf. Liou et Grynpas, 1980, p. 236 : « Lorsqu’il [le singe sauteur] est au sommet des machilus, des catalpas, des chênes et des camphriers et qu’il règne en maître, ni Yi ni P’eng Mong ne peuvent le viser. Mais lorsqu’il se déplace parmi les taillis, les citronniers, les lovencia dulcis et le jujubiers, il va périlleusement […] » Cf. Graham, 1986, p. 120: « When it [the gibbon] finds cedars, catalpas, camphor-trees, it goes bounding over the branches […] But when it’s among prickly mulberries, brambles, hawthorns, spiny citrons, it progresses warily […] » Cf. Levi, 2006, p. 165 : « [Le singe arboricole] Sitôt qu’il a trouvé un chêne ou un camphrier sur lequel grimper, il bondit de branche en branche et évolue avec une telle aisance dans ses hautes frondaisons que même l’archer le plus habile ne peut l’ajuster. Mais s’il doit se mouvoir sur des arbustes épineux ou des jujubiers, il avance précautionneusement, tournant la tête de tous côtés et tremblant de tout son corps. »
80 Oncle du tyran Zhòu des Yin 殷, dernier roi de la dynastie. Il mourut pour avoir adressé des remontrances au souverain.
81 Voir, par contre, Zhuang zi 24/70/14, où un singe finit par périr sous les flèches du roi de Wu 吳 pour l’avoir provoqué.
82 Le texte continue à caractériser, de manière paradoxale, l’homme parfait. Le talent de Yi comme archer est encore rapidement évoqué dans ce paragraphe (23/67/17).
83 Lie Yukou 列御寇 est Lie zi 列子 (IVe s. av. J.C.), qui aurait été le maître de Zhuang zi (cf. Levi, 2006, p. 176). Bohun Wuren 伯昏无人 ou Maître Obscurité-Absence est un personnage symbolique qui représente l’état d’indifférenciation à retrouver.
84 Cette expression a reçu des interprétations diverses. Liou et Grynpas (op. cit., p. 671) y lisent une référence concrète au bassin du Fleuve Jaune, alors que Giles (1980, p. 207) l’associait aux régions infernales. Levi (2006, p. 177) lui emprunte le sens générique d’« abysses insondables ».
85 La même anecdote figure dans le Lie zi 2/8/5. Dans la même lignée s’inscrit un récit du Lü shi chunqiu (22.5/148/6) où l’empereur Yao rend visite au Sage Xuyou 許由. Celui-ci se montre indifférent à l’idée d’exterminer les dix soleils et de monter sur le trône. Cf. aussi Zhuang zi 2/1/5.
86 Cf. aussi Huainan zi 2/14/23 : « L’homme véritable […] fait des dix soleils ses flambeaux […] », Le Blanc et Mathieu, 2003, p. 70.
87 Cette affirmation provocatrice est contredite dans le Huainan zi 17/51/172/1. Hui zi fait encore allusion à Yi dans le Han Fei zi, 23/52/8. Voir infra p. 235.
88 Cf. Huainan zi 2/15/9.
89 Huainan zi 1/2/22, 15/151/9. Cf. aussi 11/99/23, où sa maîtrise du tir à l’arc est par contre considérée comme une instance particulière de la saisie de la Voie. Dans cette compilation, où les contradictions ne manquent pas, la vision prédominante de Yi présente ce personnage comme l’opposé d’un Sage. Sa visibilité, intrinsèque à l’action même de décocher des flèches, le rend en effet vulnérable. L’homme avisé, en revanche, demeure dans l’ombre ou dans la non-action (14/132/24) et fait preuve de prévoyance (16/66/160/12).
90 Pour les extraits du Xun zi, nous avons consulté la traduction de Kamenarović, 1987.
91 Allusion à Tang 湯 le Victorieux, roi fondateur de la dynastic Shang-Yin en 1765 av. J.-C. et a Wu 武,premier souverain des Zhou (r. 1121-1115 av. J.-C.).
92 Cf. la traduction de Kamenarović, 1998.
93 Nom d’un arc.
94 L’utilité de la diversification des tâches établie sur la base de la diversité des talents est prônée avec vigueur dans Ren wu zhi 人物志 (Traité des caractères), essai de protopsychologie du travail de la fin des Han postérieurs. Son auteur, Liu Shao 劉邵 (env. 180-env. 240), s’efforce de définir une caractérologie, destinée aux princes, afin de faciliter les recrutements dans les concours mandarinaux. Cf. la traduction de Lara (Liu, 1997).
95 Xizhong aurait vécu au début du IIe millénaire. D’après le Lü shi chunqiu (17.4/102/28), Chengya 乘雅 aurait inventé l’attelage et Han’ai 寒哀 la conduite des chars.
96 Voir supra p. 207.
97 Paraphrase d’un célèbre aphorisme prononcé par Confucius. Cf. Lunyu 7.1/14/22.
98 Selon le Lü shi chunqiu (17.4/102/28), la construction du premier bateau revient à Yuxu 虞姁.
99 Allusion à la fabrication de cibles en cuir.
100 Voir supra n. 34.
101 Cette disposition semble plutôt concerner le mythème de l’extermination des neuf soleils.
102 Boyi est un personnage vertueux qui aurait vécu au temps du roi Wen 文 (r. ? - env. 1122). Zhi est un célèbre brigand de l’Antiquité.
103 Voir supra p. 213.
104 Cf. Zhuang zi 23/67/17, où l’automatisme du geste de Yi illustre, par analogie, des cas historiques d’emprisonnement.
105 Cf. la traduction de Liao, 1959, vol. I, p. 247.
106 Cette expression, à laquelle nous donnons une valeur métaphorique, pourrait également indiquer un sophisme perdu. Cf. Liao, op. cit., vol. II, p. 38.
107 Cf. la glose de Liao, op. cit., vol. II p. 208 : cent pas.
108 Cf. aussi Han Fei zi 32/82/1, où figure une considération analogue.
109 Durand et Sun, 2000, p. 20.
Auteur
Professeure au Département de philosophie et au Centre d’études de l’Asie de l’Est de l’Université de Montréal depuis juin 2001. Spécialiste de la Chine ancienne, elle y enseigne la philosophie et la civilisation chinoises. Docteur en études de l’Extrême-Orient de l’Université de Paris 7, elle a dispensé des cours et dirigé des séminaires dans des académies françaises telles que l’École Pratique des Hautes Études, le Collège International de Philosophie, les Universités de Paris 13 et de Bordeaux 3. Auteur d’un livre sur La pensée chinoise ancienne et l’abstraction (Paris, You-Feng, 1999), elle écrit actuellement sur la relation entre l’imaginaire et l’expression philosophique dans les textes chinois classiques.
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Mythe et philosophie à l'aube de la Chine impériale
Études sur le Huainan zi
Charles Le Blanc et Rémi Mathieu (dir.)
1992
La Chine imaginaire
Les Chinois vus par les Occidentaux de Marco Polo à nos jours
Jonathan D. Spence
2000