Fragmentation ou reconfiguration ? La citoyenneté à l'heure de la nouvelle gouvernance autochtone au Québec
p. 267-292
Texte intégral
Nous ouvrons la voie à une nouvelle relation de nation à nation fondée sur notre désir commun d’assurer la prospérité du Québec et celle de la nation crie. [..] Avec cette entente, le Québec et les Cris montrent au reste du monde une nouvelle manière d’aborder les relations entre les peuples autochtones et non autochtones. (Notre traduction)
Ted Moses, Grand Chef du Grand Conseil des Cris1
1En fÉvrier 2002, le grand chef Ted Moses du Grand Conseil des Cris et Bernard Landry, alors premier ministre du Québec, signaient un accord qui ouvrait la voie, selon les principaux participants, à une « nouvelle ère de collaboration et à une véritable relation de nation à nation entre les Cris et le Québec2 ». L’entente, mieux connue sous le nom de « paix des braves », marquait un changement de direction important pour les deux parties. Les Cris et le gouvernement québécois se sont en effet affrontés à de nombreuses reprises au cours des dix années précédentes sur les questions mêmes visées par l’entente, soit l’autorité territoriale, l’extraction des ressources naturelles et la définition des frontières respectives de ces deux communautés politiques.
2Si la paix des braves en a surpris plusieurs, elle s’inscrit néanmoins à la suite d’un certain nombre de développements importants dans les relations entre le gouvernement québécois et les peuples autochtones3. Quelques mois auparavant, une approche innovatrice fut mise en place dans le cadre des négociations concernant les revendications territoriales de quatre communautés innues du nord-est du Québec. Ce cadre de négociation, connu sous le nom d’« approche commune », constitue une première au Canada car il ne vise pas, comme condition préalable à la négociation d’un accord, l’extinction de tous les droits autochtones existants sur le territoire. Ajoutons que des négociations sont présentement en cours pour permettre la création d’un territoire autonome sous autorité inuit sur l’ensemble du nord de la province.
3Comment faut-il comprendre ces développements ? Marquent-t-ils un changement fondamental dans la politique autochtone du Québec, ou s’inscrivent-ils plutôt dans la continuité des rapports coloniaux ayant marqué la relation entre les peuples autochtones et l’Etat au Canada ? Dans le présent texte, nous soutenons que, même si l’on est encore loin d’une relation dite « postcoloniale4 », nous assistons présentement à une reconfiguration importante du contenu, des frontières et de l’échelle d’exercice de la citoyenneté pour les peuples autochtones au Canada, et plus spécifiquement au Québec. Cette redéfinition du rapport à l’État est en grande partie le résultat de la capacité des nations autochtones à affirmer les frontières et la légitimité de leurs propres communautés politiques au sein des instances canadiennes et internationales à travers l’utilisation du langage du droit des peuples à l’autodétermination. Ces changements ne sont cependant pas uniquement le produit de stratégies de représentation. Pour comprendre la dynamique actuelle, il est aussi indispensable de prendre en compte les transformations du rôle de l’État associées à la « nouvelle gouvernance » et la logique néolibérale.
4Si on constate un changement similaire des pratiques de gouvernance au sein de nombreuses communautés politiques, on peut soutenir, grâce à l’éclairage apporté par le nouvel institutionnalisme, que la configuration spécifique que prennent ces changements peut varier d’un endroit à l’autre, y compris au sein d’un même État. Ces variations résultent de différences institutionnelles, mais aussi de l'héritage des politiques antérieures et de la dynamique qui en résulte entre les acteurs politiques5. Nous soutiendrons dans les prochaines pages que le contexte particulier du Québec - où deux versions du régime de citoyenneté sont déjà en compétition - ouvre la porte aux peuples autochtones qui élaborent dans ce contexte ce qui, à bien des égards, peut être défini comme leurs propres modèles de citoyenneté. Sans être complètement indépendants du régime canadien, ces modèles de citoyenneté autochtones n’en demeurent pas moins distincts, coexistant avec ce dernier au sein de l’espace politique commun. Nous utiliserons l’exemple de la paix des braves pour illustrer comment la combinaison des revendications autochtones d’autodétermination et de la transformation des pratiques de gouvernance peut mener à de nouvelles configurations remettant en question la conception traditionnelle de la citoyenneté associée à l’État-nation moderne.
Régimes de citoyenneté : frontières, contenu et échelle
5La citoyenneté est une institution qui lie les membres de la communauté politique à un Etat. Le contenu, la nature et la portée de cette relation sont structurés par des normes, des règles et des pratiques établies au fil du temps, qui forment ce qu’on peut appeler un régime de citoyenneté6. En définissant les droits associés à l’appartenance politique, les modes d’accès à ces droits, les responsabilités entre divers secteurs de la société et les marqueurs de l’identité collective, un régime de citoyenneté fixe les frontières sociales, culturelles et géographiques de la communauté politique.
6En tant qu’institution définissant les frontières de la communauté politique, la citoyenneté est étroitement associée à la construction d’Etats nationaux territoriaux souverains7. L’histoire de la citoyenneté moderne, comme l’ont montré T. H. Marshall et d’autres auteurs, est indissociable de l’histoire de l’État moderne et de sa manière particulière d’envisager la souveraineté territoriale. C’est par l’entremise des politiques liées à la citoyenneté que l’État consolide sa légitimité et crée une solidarité collective au-delà des différences entre les divers groupes, classes et acteurs de la société. Aujourd’hui, cette relation intime entre nations, États et citoyenneté est rarement remise en question. Pourtant, loin d’être statique, la citoyenneté est une institution qui s’inscrit dans une réalité historique. Son contenu et ses frontières sont ainsi soumis aux relations de pouvoir entre acteurs politiques. En d’autres termes, si les régimes de citoyenneté incarnent souvent des configurations institutionnelles profondément enracinées, ils peuvent aussi varier considérablement, non seulement d’un endroit à un autre, mais aussi d’une époque à une autre, au sein d’une même communauté politique.
7Longtemps exclus parce que considérés inaptes à son exercice, les peuples autochtones ont progressivement gagné accès aux avantages de la citoyenneté durant l’après-guerre au Canada. Ce rattachement au régime de citoyenneté, paré d’un discours sur l’intégration et l’égalité individuelles, fut entrepris dans l’idée que la participation de ces derniers à la vie politique et économique de la société dominante conduirait éventuellement à leur assimilation culturelle et sociale dans la grande « communauté des citoyens ». Il n’est donc pas étonnant que les peuples autochtones aient remis en question à la fois les conditions et la légitimité d’une telle intégration, puisqu’ils n’ont jamais renoncé à leur propre statut de communautés politiques distinctes. Comme d’autres mouvements sociaux, ils se servent aujourd’hui du discours sur la reconnaissance de la différence comme véhicule afin de légitimer leurs revendications face au régime de citoyenneté uniformisant de l’après-guerre. Mais surtout, imitant en cela d’autres sociétés ou communautés victimes de l’oppression coloniale, les peuples autochtones du Canada se servent du discours sur le droit à l’autodétermination nationale afin de situer leurs revendications au-delà des frontières de l’État-nation.
8La place manque ici pour évoquer les subtilités et les multiples dimensions des revendications d’autodétermination des peuples autochtones8. Qu’il suffise de dire que, d’un point de vue autochtone, l’autodétermination ne mène pas nécessairement à la création d’un État indépendant ayant les attributs classiques de la souveraineté. En effet, il est peu réaliste pour ces derniers d’espérer reproduire le modèle de l’État-nation étant donné leur petite taille et la profonde interdépendance avec la société majoritaire qui s’est développée avec le temps. L’autodétermination doit en ce sens plutôt être conçue comme un processus par lequel une nation ou une communauté retrouve la maîtrise de sa propre destinée politique, en décidant de manière démocratique de la nature et des conditions de son association avec l’État au sein duquel elle a été intégrée de force9.
9Les revendications d’autodétermination des Autochtones posent donc un problème épineux pour le régime de citoyenneté canadien. Ces revendications ne consistent pas simplement à reconnaître des droits différenciés « au sein » du régime ni en un « droit de retrait » pur et simple du régime. Les Autochtones remettent plutôt en question le fait que les règles, les normes et les pratiques de la citoyenneté soient définies uniquement à l’échelle de communautés dont les frontières correspondent à celles de l’État. En d’autres termes, les revendications des Autochtones concernent autant le contenu que l’échelle d’exercice du régime de citoyenneté. Il est évident que cette remise en question se heurte à une importante résistance étant donné les intérêts en jeu et la conception solidement ancrée au sein des institutions canadiennes du lien étroit entre la citoyenneté, la nation et l’État. Cependant, comme nous l’expliquerons dans les prochaines pages, le contexte actuel peut favoriser une telle remise en question. Le récent accord entre les Cris et le Québec servira d’illustration.
Dynamiques spatiales et « nouvelle gouvernance »
10Un certain nombre d’auteurs ont récemment souligné l’importance des changements dans la dynamique spatiale de la gouvernance, à la fois à l’intérieur des États et au-delà des frontières de ces derniers10. Par exemple, le nombre croissant d’institutions et de forums transnationaux a ouvert de nouveaux espaces de revendications pour les mouvements sociaux hors des mécanismes associés à l’État. Les peuples autochtones ont su profiter de cette nouvelle dynamique. En passant « par-dessus » les frontières établies de l’État, ils réussissent à créer des alliances et des réseaux de solidarité qui sortent du cadre traditionnel de la citoyenneté11. Cet accès aux espaces transnationaux permet aux organismes autochtones non seulement d’influencer les débats politiques canadiens, mais aussi de remettre en question la légitimité même de leur intégration au sein du régime de citoyenneté, puisqu’ils associent leur lutte à celle des peuples colonisés du monde. Ainsi, pour les États démocratiques comme le Canada, il devient de plus en plus difficile de ne pas reconnaître la valeur des revendications autochtones alors quelles font l’objet d’une attention mondiale.
11Mais la « nouvelle gouvernance » n’est pas uniquement associée avec le développement des réseaux transnationaux ou des mécanismes de régulation au-delà des frontières de l’État. En fait, l’un des principaux changements dans la dynamique spatiale de la gouvernance est la place grandissante accordée à l’infranational, au régional et au local, devenus espaces clés à la fois pour l’expression des revendications politiques ainsi que pour la formulation des politiques publiques12. L’importance croissante accordée à l’échelle infranationale et locale est souvent associée à un discours économique où l’on fait état du besoin de développer un avantage concurrentiel dans l’économie mondiale du savoir par la mise en place d’une infrastructure locale et de réseaux d’apprentissage favorisant l’innovation13. Dans la littérature consacrée aux politiques publiques, ce rééchelonnement de la gouvernance est aussi associé à la redéfinition du rôle de l’État, de plus en plus considéré comme un « partenaire » plutôt que comme une force motrice dans le développement et la mise en oeuvre des politiques en matière sociale et écono mique14. Dans ce modèle naissant de « nouvelle gouvernance » inspirée en partie de la logique néolibérale, la décentralisation et la création de partenariats avec les communautés (et le secteur privé) sont vues comme des éléments importants d’un processus visant à favoriser l’autonomie des individus et des communautés face à l’Etat et à augmenter leur capacité d’adaptation face aux conditions sans cesse changeantes d’une économie mondialisée.
12Des analyses récentes des changements dans l’organisation spatiale de la gouvernance laissent entendre que ce processus n’implique pas nécessairement un transfert du pouvoir et de la capacité de l’État vers le haut ou vers le bas, à des organisations supranationales et à des gouvernements infranationaux, mais plutôt l’apparition de nouveaux arrangements de gouvernance à niveaux multiples, où les acteurs gouvernementaux et non gouvernementaux interagissent simultanément à plusieurs échelles spatiales15. Ces nouveaux espaces de gouvernance sont donc de nouveaux sites où s’articulent les luttes politiques16. Comme nous le verrons, les politiques autochtones sur le plan fédéral et provincial s’inspirent largement des principes de la « nouvelle gouvernance », ce qui crée des conditions favorisant l’émergence de telles dynamiques à niveaux multiples. Combinées avec les revendications autochtones en matière d’autodétermination, ces nouvelles configurations peuvent grandement modifier le régime de citoyenneté.
Canada et Québec : deux régimes en concurrence
13Un dernier élément reste à souligner afin d’expliquer la nature particulière des changements actuels dans les relations entre les Autochtones et l’État au Canada, et plus particulièrement au Québec. Depuis les années 1960, l’État québécois est devenu le principal véhicule d’un puissant mouvement nationaliste, qui remet lui-même en question les frontières et la légitimité du régime de citoyenneté canadien. À bien des égards, l’État québécois a créé son propre régime de citoyenneté à travers la définition de ses propres politiques sociales ; à travers la mise en place de mécanismes de représentation favorisant le développement d'un lien étroit avec les organisations de la société civile, les syndicats et le secteur des affaires ; et enfin, à travers la définition de puissants symboles et marqueurs identitaires qui différencient la communauté politique québécoise de l’ensemble canadien, et même, à bien des égards, qui l’en écartent17.
14Si les peuples autochtones ont parfois subi les conséquences de cette concurrence, ils ont aussi appris à en tirer parti. Sur le plan pancanadien, les organisations autochtones ont utilisé les ouvertures politiques créées par le nationalisme québécois pour s’engager, durant les années 1980 et 1990, sur le terrain constitutionnel, où elles arrivèrent à faire reconnaître tant leur légitimité comme partenaires au sein de la fédération canadienne que celle de leurs revendications en matière d’autonomie politique18. Au Québec, ils ont aussi appris à profiter de l’opposition entre les deux gouvernements « nationaux », négociant auprès de l’un des concessions que l’autre ne peut alors plus leur refuser. Le leadership des Cris de la Baie-James, par exemple, réussit particulièrement bien à tirer parti des conflits entre les gouvernements fédéral et provincial pour promouvoir ses propres intérêts.
15La présence de deux régimes concurrents a contribué, à bien des égards, à la création d’un environnement discursif où l’appartenance politique, les identités et la souveraineté de l’État sont constamment remises en question. Les revendications autochtones d’autodétermination ont donc trouvé dans la politique québécoise un terrain fertile, car il serait difficile pour les nationalistes de la province de refuser aux peuples autochtones ce qu’ils revendiquent pour eux-mêmes. Même si les nationalismes autochtone et québécois se sont souvent heurtés au cours des trente dernières années, en en venant parfois à nier leur légitimité respective19, l’environnement politique créé par la présence du deuxième a aussi offert au premier des possibilités, inédites partout ailleurs, de remise en question de la conception courante de la souveraineté de l’Etat et de la configuration du régime de citoyenneté.
De l’intégration à la reconnaissance... à la gouvernance à niveaux multiples ?
16La relation entre les peuples autochtones et l’État canadien a connu quatre grandes périodes20. La première, qui précède la formation de l’État canadien, est souvent définie comme un moment de coexistence entre les sociétés autochtones et les puissances coloniales européennes qui s’affrontent pour le contrôle du territoire. À cette époque, une multitude d’ordres juridiques et politiques cohabitent en Amérique du Nord. Si cette coexistence est loin d’être pacifique, il est néanmoins entendu que les nations autochtones possédaient à l’époque leurs propres normes, coutumes et traditions politiques. Il n’existait alors aucun sentiment d’appartenance à une communauté politique commune, au-delà des alliances diplomatiques21.
17À cette période de coexistence succède une période de domination coloniale durant laquelle s’affirme la souveraineté britannique, puis canadienne, sur le territoire. Les peuples autochtones perdent alors progressivement leur statut politique et, lorsque vient le temps de négocier la création de la fédération canadienne, ils sont simplement ignorés. La Loi constitutionnelle de 1867 accorde au gouvernement fédéral l’autorité sur les « Indiens et sur les territoires réservés aux Indiens » [article 91(24)]. Autrefois entités politiques, les nations autochtones deviennent un objet de compétence fédérale (les gouvernements provinciaux n’ont pas de rôle central à jouer dans la politique autochtone de l’époque). Bien qu’ils aient perdu leur statut politique, les Autochtones ne deviennent pas pour autant membres de la nouvelle communauté politique canadienne. La première Loi sur les Indiens, adoptée en 1873, prive formellement des avantages de la citoyenneté en formation toute personne ayant le statut d’Indien22. La seule manière pour les Indiens d’avoir accès aux avantages de la citoyenneté est alors de passer par un processus d’« émancipation » au cours duquel ils doivent renoncer au régime de protection associée à la loi, mais surtout à tout lien formel avec leur communauté.
Intégration
18La troisième période importante en ce qui a trait aux relations entre les Autochtones et l’Etat correspond à l’expansion rapide de l’État-providence et de la citoyenneté sociale dans l’après-guerre. Elle peut être définie comme une période d'intégration formelle au sein du régime de citoyenneté. À une époque où la logique égalitaire domine le paysage politique, le régime discriminatoire de la Loi sur les Indiens et la dramatique situation socioéconomique dans de nombreuses communautés autochtones deviennent de plus en plus difficiles à défendre. En réponse, le gouvernement fédéral donne peu à peu accès à la plupart des avantages de la citoyenneté aux peuples autochtones23. Cette période connaît son apothéose avec le livre blanc sur la politique indienne de 1969. Le gouvernement fédéral suggère alors l’abolition de la Loi sur les Indiens et du statut d’Indien, de même qu’une révocation des traités, afin de faire des « Indiens des citoyens canadiens à part entière24 ». Dans l’esprit du temps, le gouvernement fédéral associe alors toute différence de traitement à une forme de discrimination, perçue comme la cause des déboires économiques des Autochtones. Pour le premier ministre de l’époque, Pierre Elliott Trudeau, les frontières du régime de citoyenneté doivent nécessairement correspondre à celles de l’État national canadien : « Il est inconcevable que, dans une nation moderne, une partie de la société ait un statut spécial ou un traité avec l’autre partie de la société. Il faut que nous soyons tous égaux devant la loi et nous ne devons pas signer de traités entre nous25. »
19Cette période correspond également à l’essor du mouvement nationaliste moderne au Québec. L’Etat provincial devient un pilier central de la « Révolution tranquille ». En grande partie en réaction au projet fédéral de construction d’une nation pancanadienne, les gouvernements québécois successifs mettent peu à peu en place leur propre version du régime de citoyenneté, en particulier autour de politiques économiques et de programmes sociaux visant à démarquer le Québec du reste du pays26. L’affirmation de l’autorité du gouvernement provincial sur son territoire devient également un enjeu politique, tout comme le développement de la partie nord du territoire, riche en ressources naturelles. En conséquence, Québec cherche à étendre sa propre autorité et sa propre légitimité sur ses territoires nordiques, principalement occupés par les peuples autochtones. En 1963, le ministre des Ressources naturelles, René Lévesque, alors membre du Parti libéral, crée la « Direction générale du Nouveau-Québec », dans le but avoué de renforcer la présence du gouvernement provincial dans le nord27. Pour réaliser ce projet, la Direction commence à fournir aux Autochtones (des Inuits pour la plupart) des services de santé et des services éducatifs et sociaux qui ne font souvent que reproduire ce que le gouvernement fédéral ou les communautés religieuses offrent déjà28.
20Ainsi, l’après-guerre se caractérise par une expansion rapide du régime de citoyenneté canadien et, au Québec, par une expansion correspondante du régime provincial. Les deux régimes, bien qu’en concurrence, fonctionnent selon la même logique : les frontières de la citoyenneté doivent correspondre à celles de la nation et de l’Etat. Pour les Autochtones, l’intégration à l’un ou l’autre des régimes doit se faire au prix de la perte de leur identité politique distincte.
Reconnaissance
21La réaction du leadership autochtone au livre blanc et à sa logique intégrationniste marque un autre tournant dans les relations entre l’État et les Autochtones au Canada, qui conduit à la reconnaissance constitutionnelle des droits ancestraux et des droits issus de traités en 1982 (Loi constitutionnelle de 1982, article 35(1)). Les Autochtones cherchent, à partir des années 1970, à affirmer leur statut distinct au sein du régime de citoyenneté canadien alors qu’on assiste à une renaissance et à une affirmation plus marquée de l’identité politique des différentes nations autochtones. Le langage de l’autodétermination commence à prendre de l’importance dans le discours des organisations et des leaders autochtones.
22Les années 1980 sont marquées sous le sceau des négociations constitutionnelles et de la judiciarisation du rapport entre l’État et les Autochtones. Un certain nombre de décisions clés des tribunaux permettent de donner une substance aux droits reconnus aux Autochtones dans la Constitution en 1982 et forcent les gouvernements fédéral et provincial à négocier avec les communautés autochtones le règlement de nombreuses revendications territoriales ainsi que la mise en oeuvre des droits issus de traités.
23Les revendications autochtones en matière d’autonomie gouvernementale commencent également à occuper l’espace politique. En 1983, un comité de la Chambre des communes recommande pour la première fois l’enchâssement dans la Constitution canadienne du droit des peuples autochtones à l’autonomie gouvernementale29. Dix ans plus tard, l’accord de Charlottetown, entériné par le gouvernement fédéral et l’ensemble des premiers ministres provinciaux, propose la reconnaissance des gouvernements autochtones comme troisième ordre de gouvernement au sein de la fédération30. En 1995, le gouvernement fédéral affirme enfin, dans un énoncé de politique, que le droit inhérent à l’autonomie gouvernementale fait partie des droits protégés par la Loi constitutionnelle de 1982. Cette nouvelle approche, où l’on considère l’autonomie politique comme un droit historique, débouche, à la fin des années 1990, sur la négociation d’un certain nombre d’ententes d’autonomie gouvernementale, la plupart d’entre elles dans le cadre de processus de règlement de revendications territoriales31.
24Entre-temps, la politique de reconnaissance est aussi devenue une caractéristique importante des relations entre les Autochtones et le Québec. En 1978, Québec devient le premier gouvernement provincial à élaborer sa propre politique autochtone. En 1985, l’Assemblée nationale adopte une motion reconnaissant la présence et la pertinence politique de « nations autochtones » au Québec32.
25Ces développements sont certainement importants. La reconnaissance de droits collectifs marque une rupture avec la vision d’après-guerre qui mettait uniquement l’accent sur les droits individuels et l’égalité formelle. Le retour des traités comme mécanismes de délimitation formelle des droits et de la relation entre les gouvernements fédéral, provinciaux et autochtones modifie aussi en profondeur le paysage politique de la fédération33. À bien des égards, on assiste au cours des trente dernières années à un « changement de paradigme » dans la représentation de la place des peuples autochtones au sein du régime de citoyenneté canadien34.
26Cela étant dit, la logique de la reconnaissance des droits comporte ses limites. La Cour suprême a sérieusement restreint son interprétation de l’étendue et de la signification des droits des Autochtones : ils se limitent aux activités, coutumes et traditions « intrinsèques à la culture distincte » de ces derniers35. De plus, la Cour a clairement spécifié que l’exercice des droits ancestraux, y compris ceux ayant trait à la gouvernance, devaient être conciliés avec la souveraineté canadienne telle qu'elle est exprimé par l’autorité des parlements fédéral et provinciaux36. C’est précisément ici que la transformation du régime de citoyenneté par la voie légale atteint ses limites. A bien des égards, la politique de reconnaissance diffère de la politique d’autodétermination qui, nous l’avons vu, remet en question la légitimité même de cette affirmation de la souveraineté de l’Etat.
27Cette distinction prend toute sa pertinence dans le contexte québécois, alors que les bonnes intentions du début des années 1980 se sont rapidement envolées dès que les droits des Autochtones et les revendications d’autodétermination de ces derniers commencèrent à entrer en conflit avec les intérêts économiques et l’autorité du gouvernement provincial. La « crise d’Oka » de l’été 1990, un conflit autour d’un projet de construction d’un golf sur un ancien cimetière Mohawk qui dégénère jusqu’à la confrontation armée et le déploiement des forces militaires canadiennes, polarise l’opinion publique québécoise face aux Autochtones, et réciproquement37. La campagne internationale des Cris de la Baie James contre le projet hydroélectrique de Grande Baleine contribue également à un durcissement des positions38. À travers leurs actions politiques, les Mohawks et les Cris remettent à leur manière en question la légitimité et l’autorité du gouvernement québécois sur leurs terres traditionnelles, affirmant par le fait même leurs propres frontières territoriales et communautaires.
De ta reconnaissance à la gouvernance à niveaux multiples ?
28Parallèlement aux développements juridiques et aux débats constitutionnels des années 1980, certains changements fondamentaux, bien que moins spectaculaires, affectent également la gouvernance autochtone au Canada. Le gouvernement fédéral, tout en poursuivant de laborieuses négociations visant le règlement des revendications territoriales et la définition d’un espace d’autonomie gouvernementale pour les Autochtones par la voie constitutionnelle ou la conclusion de traités, s’engage également, en particulier à partir du milieu des années 1980, dans un processus significatif de décentralisation visant à transférer l’administration de plusieurs programmes aux conseils de bandes et autres organisations autochtones. En 1985, les conseils de bandes administraient 62 % des fonds fédéraux alloués aux programmes autochtones. En 1993, ce chiffre passait à 77 %, puis à plus de 85 % en 200439. Entre 1995 et 2004, le gouvernement fédéral a signé plus de 300 ententes spécifiques avec des organisations ou gouvernements autochtones en vue du transfert de la gestion des programmes en matière d’éducation, de santé, de sécurité publique, de formation et de développement économique, entre autres.
29Ces ententes s’inscrivent dans le cadre de politiques largement inspirées par le discours sur la « nouvelle gouvernance ». Dans sa réponse au rapport de la Commission royale sur les peuples autochtones par exemple, le gouvernement fédéral choisit de passer outre aux recommandations de la Commission pour la création d’un troisième ordre de gouvernement. Il propose plutôt la mise en place d’une série de nouveaux programmes visant « la consolidation des communautés autochtones » par le biais de « partenariats » favorisant la prise en charge par ces dernières de leur développement économique et social40. Les principaux domaines pour lesquels le gouvernement fédéral souhaite développer de nouveaux partenariats confirment davantage la grande influence exercée par la logique de la nouvelle gouvernance. La formation de la main-d’oeuvre, le développement économique communautaire et la prise en charge locale des services sociaux pour les familles sont au coeur de la stratégie fédérale.
30Notons qu’à la suite des nombreux conflits ayant marqué ses relations avec les peuples autochtones durant les années 1990, le gouvernement du Québec entame un processus similaire visant à développer un modèle de gouvernance par partenariat. Dans son énoncé de politique autochtone de 1998, intitulé Partenariat, développement, action, le gouvernement du Québec propose une base de négociation pour la délégation de « compétences contractuelles » aux gouvernements autochtones, afin, entre autres, de favoriser la prise en charge locale du développement économique et social41. Le gouvernement créé, par exemple, un fonds spécial de développement économique pour les initiatives autochtones créatrices d’emploi dans les communautés.
31Quels sont les effets de ces ententes de décentralisation administrative fédérales et provinciales ? Plusieurs doutent de leur potentiel transformateur puisqu’elles ne créent pas une structure d’autonomie formelle pour les gouvernements autochtones42. En fait, on peut supposer que ces ententes de décentralisation administrative ne font qu’accroître la dépendance des gouvernements autochtones face aux gouvernements fédéral et provincial, puisque leur rôle est limité à celui d’administrateurs de fonds destinés à la mise en oeuvre de politiques élaborées par d’autres gouvernements. De plus, ces ententes administratives ne bénéficiant d’aucune protection constitutionnelle ou législative, contrairement aux ententes d’autonomie gouvernementales conclues dans le cadre de la négociation de traités, leur financement dépend entièrement de la volonté des gouvernements fédéral et provincial43. Ces ententes sont également accompagnées de mécanismes d’imputabilité particulièrement rigoureux, ce qui conduit certains leaders autochtones à conclure qu’en fait, il ne s’agit là pour les gouvernements que de nouvelles manières de maintenir un « contrôle à distance » sur les communautés autochtones44.
32Cela étant dit, il ne faut pas sous-estimer les effets à long terme de tels transferts de responsabilités sur le rôle des gouvernements autochtones en relation avec le régime de citoyenneté. Le couplage de la décentralisation avec le discours sur l’autodétermination peut s’avérer fort significatif. D’abord, si ces ententes administratives ne permettent pas un transfert de compétences aux gouvernements autochtones, elles accroissent néanmoins considérablement leur rôle dans la vie quotidienne des communautés. Ces gouvernements deviennent, dans les faits, la seule présence gouvernementale dans plusieurs communautés. L’accès aux services publics, et par le fait même aux avantages de la citoyenneté, passe dorénavant essentiellement par ces derniers45. Par ailleurs, les gouvernements autochtones accroissent aussi considérablement leur capacité administrative et politique. Par exemple, le Conseil des Mohawks de Kahnawake, qui a signé un certain nombre de conventions administratives, autant avec le gouvernement provincial qu’avec le gouvernement fédéral, gère un budget annuel d’environ 40 millions de dollars pour une population de 9 000 habitants46. Le Grand Conseil des Cris (GCC) et son bras administratif, l’Administration régionale crie (ARC), ont reçu du fédéral et du provincial des transferts fiscaux combinés de plus de 140 millions de dollars en 2003-2004 pour une population totale de 16 000 personnes, répartie en neuf communautés47.
33De plus, la décentralisation laisse tout de même aux gouvernements autochtones une certaine marge de manoeuvre dans la mise en oeuvre des programmes. Comme le souligne la littérature sur la gouvernance, dans un contexte de déconcentration et de décentralisation, la mise en oeuvre des politiques revêt une nouvelle importance puisque les acteurs qui en sont responsables doivent réinterpréter, en fonction de leur contexte spécifique, les objectifs d’une politique souvent définie de manière très large48. Ainsi, l’administration des programmes implique un certain nombre de choix. Non seulement cette procédure octroie une marge d’action politique aux gouvernements autochtones, mais elle favorise également les débats politiques au sein de communautés que l’on a privées, pendant la plus grande partie du siècle dernier, de toute vitalité démocratique à la suite de l’instauration du système de contrôle bureaucratique de la Loi sur les Indiens49. Une telle dynamique peut permettre de créer un lien plus étroit entre les gouvernements autochtones et la population, accroissant ainsi potentiellement ce qui est souvent une légitimité faible dans la communauté50.
34S’agit-il simplement d’un signe supplémentaire de l’assimilation au système politique canadien ? Il est certainement possible d’interpréter ce changement comme un processus d’expansion des frontières de l’Etat au sein des communautés autochtones51. Mais cette consolidation de la visibilité, de la capacité et de la légitimité des gouvernements autochtones peut aussi prendre une tout autre signification lorsqu’on l’associe au discours de l’autodétermination. Dans un contexte où les mécanismes d’accès et l’équilibre des responsabilités au sein du régime de citoyenneté reposent de plus en plus sur les gouvernements autochtones, ceux-ci disposent d’outils essentiels afin de consolider les frontières de leurs propres communautés et définir, face à l’État, qu’il soit fédéral ou provincial, un régime alternatif de citoyenneté.
35De plus, le développement de ces nouvelles pratiques de gouvernance modifie la nature de la relation entre les gouvernements autochtones et leurs équivalents fédéral et provincial. La décentralisation administrative, tout comme les arrangements pour une autonomie gouvernementale formelle, accentuent le besoin de coordination et de consultation entre gouvernements. Il est nécessaire de maintenir un dialogue continuel afin d’évaluer les besoins financiers et les services, mais aussi de coordonner les objectifs politiques et de définir les priorités. Ces relations intergouvemementales sont en passe de faire partie du paysage politique autochtone. Comme le souligne la littérature sur le rééchelonnement de la gouvernance discuté plus haut, un processus de décentralisation, malgré ses limites formelles, peut déboucher sur de nouvelles dynamiques où les rapports de pouvoir sont plus fluides et l’influence des acteurs en présence dépend moins de leur autorité formelle que de leur capacité à articuler les enjeux au sein d’espaces intergouvemementaux52. C’est, à bien des égards, dans ces espaces intergouvemementaux que se prennent de plus en plus les décisions en matière d’orientation des politiques et que s’articulent, par le fait même, les rapports de pouvoir entre les gouvernements autochtones, fédéral et provincial53. Dans le contexte de la gouvernance autochtone, la définition des enjeux sur le plan de la légitimité démocratique et de l’autodétermination transforme considérablement la nature de ces rapports intergouvemementaux. La négociation de la paix des braves entre les Cris de la Baie James et le Québec est probant à cet égard.
La paix des braves : restructuration de la citoyenneté et gouvernance à niveaux multiples
36La relation entre Québec et les Cris de la Baie James n’a jamais été facile. Depuis les premiers développements hydroélectriques qui ont mené à la ratification de la Convention de la Baie James et du Nord québécois (CBJNQ) au milieu des années 1970, jusqu’au référendum sur la souveraineté du Québec en 1995, les gouvernements successifs à Québec ont souvent trouvé les leaders cris sur leur chemin. Ces derniers remettaient en question, souvent avec un certain succès auprès du grand public et des instances internationales, l’autorité et la légitimité du gouvernement québécois. Etant donné cette relation parfois acrimonieuse, Ted Moses, le grand chef des Cris, et le premier ministre du Québec Bernard Landry ont créé une certaine surprise en annonçant, en octobre 2001, qu’ils étaient arrivés à une entente visant le développement d’une nouvelle relation54.
37La paix des braves appelle à la création de mécanismes de cogestion pour l’exploitation des forêts (chapitre 3), sujette à d’importants conflits entre les Cris et le gouvernement au cours des dernières années. Québec a aussi accepté le transfert de ses obligations, en vertu de la CBJNQ, en matière de développement économique et social à l’administration régionale crie. L’entente innove en liant le montant transféré pour le développement économique aux revenus soutirés par Québec de l’extraction forestière et des ressources naturelles sur le territoire traditionnel des Cris (chapitre 7), et ce, bien que les droits fonciers de ces derniers aient légalement été éteints par la CBJNQ. Enfin, en échange de l’annulation définitive d’un projet d’aménagement hydroélectrique de grande envergure (le complexe NottawayBroadback-Rupert), les Cris acceptent un projet de moindre importance sur la rivière Rupert (chapitre 4). Les Cris acceptent finalement de renoncer à l’ensemble des poursuites judiciaires entreprises contre Québec concernant les questions en rapport avec l’entente (chapitre 9).
38L’entente instaure également un comité de liaison permanent entre l’exécutif cri et le gouvernement du Québec (chapitre II). L’objectif principal du comité de liaison est de faciliter la coordination et le dialogue dans la mise en oeuvre de l’entente et d’assurer la résolution des conflits dans l’interprétation de l’entente, en passant par la voie politique plutôt que juridique. Fait important, les représentants du Québec au sein du comité sont pour l’instant des hauts fonctionnaires en lien direct avec le bureau du premier ministre. Pour les Cris, ce mécanisme intergouvememental est considéré comme un élément clé de l’entente puisqu’un tel accès direct au bureau du premier ministre permet de circonscrire les lourdeurs administratives et obstacles réglementaires qui caractérisent trop souvent les rapports des gouvernements autochtones avec l’État. Du point de vue des Cris, « ce que cette entente apporte, c’est une relation politique, et non plus simplement juridique ou administrative et bureaucratique, avec le Québec55 ».
39L’entente en elle-même n’a rien de révolutionnaire. Il ne s’agit pas d’un nouveau traité56, pas plus qu'elle ne reconnaît une quelconque forme de souveraineté partagée sur le territoire. Le Parlement fédéral et l’Assemblée nationale du Québec demeurent les seules expressions de cette souveraineté. Il s’agit en substance d’une entente sur la gouvernance du développement économique et social. Concrètement, face aux nombreuses procédures judiciaires que les Cris avaient engagées au fil du temps, Québec recherchait des garanties concernant l’exploitation des forêts et l’aménagement hydroélectrique. Les Cris, eux, étaient à la recherche d’un plus grand contrôle sur l’exploitation de leurs terres ancestrales et de plus puissants leviers pour encourager le développement économique dans leurs communautés jeunes et en pleine croissance démographique57. Mais bien plus encore, l’objectif de l’entente était de mettre fin à des conflits continuels et de jeter les bases de ce qui était devenu nécessaire : la coordination et la collaboration dans la gouvernance sociale et économique de la région. En d’autres termes, cette entente est non seulement le résultat des revendications cries, mais aussi le reflet de l’importance grandissante des rapports intergouvemementaux associés à la logique de la « nouvelle gouvernance » dans la production des politiques publiques.
40Dans ce cas, comme dans beaucoup d’autres, ce rééchelonnement de la gouvernance ne conduit pas à un transfert direct de pouvoir ou d’autorité aux instances autochtones. La paix des braves traduit cependant un changement important dans le rapport de force entre Québec et les Cris. Québec reconnaît maintenant non seulement l’existence de la nation crie, ce qui était le cas symboliquement depuis le milieu des années 1980, mais surtout la nécessité de considérer les autorités cries en tant qu’interlocuteurs gouvernementaux légitimes. À la fois les fonctionnaires des Cris et ceux du Québec sont catégoriques en ce qui a trait à la nouvelle dynamique insufflée par l’entente dans la relation entre les Cris et le Québec58. Le texte de l’entente parle d’une « nouvelle relation de nation à nation, ouverte, respectueuse de l’autre communauté et favorisant une responsabilisation de la nation crie dans son propre développement » (art. 2.3). Ce ne sont que des mots bien sûr, mais comme le souligne un fonctionnaire québécois :
Evidemment, c’est toujours le ministre qui est responsable de l’argent que nous dépensons pour les projets des Cris. L’Assemblée nationale est toujours l’autorité suprême sur le territoire du Québec. Mais la paix des braves crée une dynamique politique totalement nouvelle ; nous travaillons avec les Cris maintenant, pas contre eux59.
41Les fonctionnaires et les ministres québécois n’ont pas tous bien réagi à l’entente puisqu’elle ajoute à la complexité de leur travail administratif. Le régime particulier dont bénéficient les Cris entraîne de nouvelles étapes de consultations et de négociations dans plusieurs domaines, en particulier en matière de développement forestier. Dans les communautés cries, certains n’étaient pas non plus très enthousiastes, estimant que la signature d’une telle entente marquait une rupture radicale avec la position traditionnelle du Grand Conseil des Cris. Plusieurs au sein des communautés demeurent amères face au manque de consultation dans les semaines qui ont précédé la signature de l’entente. De plus, celle-ci confirme indirectement la légitimité de l’autorité du gouvernement du Québec sur les terres traditionnelles cries, en plus de permettre de nouveaux projets d’aménagement hydroélectrique. Mais malgré la résistance qu'elle a engendrée, le leadership cri demeurait optimiste plus de trois ans après sa ratification.
42Qu’est-ce qui a rendu cette entente possible ? La CBJNQ et de nombreux arrangements administratifs ont permis aux Cris, au fil des ans, de jouer un rôle croissant dans la gestion de leurs propres affaires, tel qu’il a été discuté dans la précédente section. Les mobilisations passées contre les projets hydroélectriques, tout comme les nombreuses batailles juridiques afin de forcer la mise en oeuvre de la CBJNQ ont aussi permis au Grand Conseil des Cris de consolider sa légitimité et sa capacité. Et surtout, le Grand Conseil est parvenu à affirmer l’identité crie et à remettre en question, au nom du droit à l’autodétermination du peuple cri, les limites et la légitimité des régimes de citoyenneté canadien et québécois. La position publique des Cris sur l’intégrité territoriale et la légitimité de l’État québécois a forcé le gouvernement nationaliste à réagir. Ignorer les Cris n’était pas possible étant donné leur succès sur la scène internationale. Un gouvernement aspirant lui-même à l’autodétermination nationale pouvait difficilement ne pas tenir compte de revendications similaires de la part des Autochtones, dont l’oppression coloniale n’est plus à prouver.
43Mais en un sens, c’est également un changement de perspective concernant le rôle du gouvernement qui a rendu l’entente de la paix des braves possible. L’entente s’inscrit tout à fait dans la logique de « partenariats » et de gouvernance partagée qui motive désormais l’action gouvernementale tant à Québec qu’ailleurs dans le monde occidental. Si le nouveau gouvernement provincial libéral élu en 2003 a poussé cette logique plus loin que son prédécesseur, le Parti québécois avait déjà mis en marche le train de la « nouvelle gouvernance » au cours de la décennie précédente60. La paix des braves constitue une percée importante du point de vue politique, mais du point de vue administratif, elle se situe parfaitement dans la logique de l’approche dominante en matière de développement économique régional. En matière de gestion forestière, par exemple, la gouvernance centralisée avait depuis longtemps été abandonnée par Québec61.
44Ainsi, c’est la conjonction de l’émergence de nouvelles approches en matière de gouvernance avec les revendications cries en matière d’autodétermination, ainsi que la vulnérabilité particulière du gouvernement nationaliste québécois face à de telles revendications, qui a ouvert la voie à la paix des braves et à une reconfiguration des arrangements gouvernementaux qui marquent la relation entre les Cris et Québec. Avec cette entente, les Cris ont obtenu, du moins pour l’instant, un statut politique et une capacité de gouverner inespérés il y a quelques années encore. Ce changement a pour conséquence directe une consolidation de la légitimité politique du Grand Conseil des Cris et une consolidation de son rôle dans la gouvernance des communautés. Avec un régime de droits spécifique (la CBJNQ et l’article 35 de la Constitution), des mécanismes de gouverne et d’exercice de ces droits particuliers (tels que les arrangements définis dans la paix des braves) et enfin une identité nationale très affirmée, définissant les frontières de la communauté politique, il est tentant d’avancer que les Cris, comme d’autres nations autochtones, sont en train d’élaborer l’équivalent d’un régime de citoyenneté qui leur est propre.
45Les Cris de la Baie James représentent peut-être un cas « fort » de nation autochtone ayant modifié sa relation avec l’Etat canadien (et québécois). En plus des institutions créées par la CBJNQ et de l’importante autorité gagnée à la suite des nombreuses batailles politiques, les Cris ont l’avantage d’occuper un territoire riche en ressources naturelles. Nous ne suggérons en aucun cas que toutes les nations autochtones sont en train d’élaborer leur propre régime de citoyenneté de manière similaire. Il s’agit plutôt de souligner comment les transformations de la gouvernance, et son rééchelonnement, crée des ouvertures pour les nations autochtones qui cherchent à redéfinir leur relation avec l’État en dehors de l’arène politique constitutionnelle, ou celle, juridique, associée aux tribunaux. Cette évolution est particulièrement frappante au Québec, où la définition des frontières de la communauté nationale est le lot de débats quasi quotidiens sur la scène politique. D’autres nations autochtones, du Québec et d’ailleurs, sont aussi engagées dans des processus politiques similaires. Les Mohawks de Kahnawake ont maintenant adopté leur propre code de citoyenneté et ils ont considérablement consolidé leurs institutions de gouvernance au cours des dernières années à travers des exercices similaires de négociations bilatérales et trilatérales visant à consolider le rôle du Conseil mohawk de Kahnawake dans la définition des politiques. En Colombie-Britannique, les Nisga’a possèdent également leur propre code de citoyenneté. Conformément à l’entente d’autonomie gouvernementale paraphée à la suite du règlement de leurs revendications territoriales en 1998, ces derniers peuvent aussi exercer de manière exclusive certaines compétences gouvernementales. Le Nunavut, un territoire créé en 1999 où les Inuits sont majoritaires, a tous les attributs d’une province, sauf le statut constitutionnel formel et, il faut l’admettre, la capacité fiscale.
46Ces développements, aussi divers et inégaux soient-ils, soulèvent des questions fondamentales quant à la relation qu’entretiennent les peuples autochtones avec les communautés politiques canadienne et québécoise. En fait, il existe dans la littérature actuelle deux visions dominantes sur les changements en cours dans les relations entre les Autochtones et l’Etat au Canada. La première, souvent avancée par les détracteurs du nationalisme autochtone, dépeint la situation en évoquant l’apparition de « micronations » parallèles et une balkanisation du régime de citoyenneté canadien qui rendrait la gouvernance démocratique presque impossible62. De ce point de vue, le lien entre l’État et les individus, déterminé par un régime de citoyenneté commun et une identité partagée, est essentiel au bon fonctionnement de la démocratie moderne et doit être maintenu à tout prix. La deuxième vision, qui domine l’analyse critique d’inspiration postcoloniale, soutient que les développements récents en matière de reconnaissance juridique et de gouvernance ne modifient pas fondamentalement la structure et l’héritage colonial de l’État canadien (et québécois). Selon cette école de pensée, on rendrait mieux compte des changements en cours en les décrivant comme un « réajustement » des divers mécanismes déployés pour maintenir la position hégémonique de l’État et circonscrire les revendications autochtones en matière d’autodétermination63. Les mécanismes de la nouvelle gouvernance autochtone, avec leur insistance sur la reddition de comptes et l’imputabilité, seraient la preuve d’une « paralysie » du paradigme colonial64 plutôt que de sa reconfiguration.
47Il est facile de se montrer critique, et même cynique, en matière de politique et de droits autochtones. Après des années de discours et d’énoncés de politiques promettant un renouveau, force est de constater que la structure de gouvernance coloniale associée à la Loi sur les Indiens fait toujours preuve d’une remarquable faculté d’ajustement. Après tout, l’héritage colonial est profondément ancré au coeur même des institutions politiques canadiennes. Cependant, nous avançons qu’entre les deux positions brièvement résumées ci-dessus, un scénario plus complexe commence à prendre forme. Les peuples autochtones sont bel et bien en train de redéfinir leur relation avec la fédération canadienne, certains créant ce qu’on peut définir à bien des égards comme leurs propres régimes de citoyenneté dont la légitimité repose d’abord sur les communautés plutôt que sur l’État. Ce processus comporte évidemment certaines limites, en particulier sur le plan juridique, puisqu’il ne modifie en rien l’autorité formelle des ordres de gouvernement reconnus au sein de la Constitution canadienne. Cela dit, la portée politique de l’affirmation d’une citoyenneté autochtone ne devrait pas être minimisée. En fait, le premier groupe de détracteurs de ces développements sous-estime peut-être la nature profondément relationnelle et interdépendante des nouvelles configurations de la gouvernance autochtone. Malgré ce que l’on entend dans le discours de certains leaders autochtones, il ne s’agit pas de créer des nations « souveraines » au sens classique du mot, existant de manière totalement indépendante de l’État canadien. La paix des braves est le meilleur exemple de l’importance grandissante de cette interdépendance.
48La paix des braves est aussi un bon exemple de la manière dont ces changements s'effectuent, par l’adjonction progressive de nouvelles dynamiques de gouvernance sans qu’il y ait modification formelle de la Constitution. C’est à travers le développement de nouvelles pratiques de gouvernance, tant au sein des communautés que dans leurs rapports aux gouvernements fédéral et provinciaux que les organisations autochtones s’attaquent au statu quo. C’est aussi la raison pour laquelle on peut penser que le deuxième groupe de détracteurs des développements actuels, dont l’analyse repose sur la reproduction des institutions coloniales, sous-estime un élément important des changements en cours. L’obsession canadienne des dernières décennies pour la politique constitutionnelle et les grands principes fondateurs nous a peutêtre conduit à négliger certains changements moins spectaculaires de la « politique du quotidien ». Après la mise en place de frontières politiques bien établies, du moins du point de vue des identités, les communautés autochtones se dotent peu à peu d’institutions de gouvernance qui peuvent rallier les citoyens autour de règles, de normes et de pratiques habituellement associées aux politiques et aux institutions de l’État. Ces régimes de citoyenneté émergents ne sont pas complètement séparés des institutions dominantes, canadiennes et québécoises, mais ils ne leur sont pas pour autant complètement asservis. Ainsi, il serait peut-être plus approprié de parler de « nations imbriquées » et de régimes de citoyenneté interdépendants.
Notes de bas de page
1 Ted Moses, Comments on the Signing of the Agreement in Principle, Québec, 23 octobre 2001, Archives du Grand Conseil des Cris, Montréal, 2001 (traduction libre).
2 Secrétariat aux affaires autochtones, gouvernement du Québec, Entente historique entre le Québec et les Cris, 7 février 2002, en ligne : <http://www.autochtones.gouv.qc.ca/relations_autochtones/ententes/cris/entente_cris_20020207.pdf> (page consultée le 3 octobre 2006).
3 Dans le contexte canadien, l’expression « peuples autochtones » rassemble trois groupes distincts : les Premières Nations, les Inuits, et les Métis. La place manque ici pour traiter des importantes différences statutaires et historiques entre ces trois groupes, mais nous ferons la distinction lorsqu’elle sera pertinente.
4 Pour un survol de la littérature théorique sur les relations entre les Autochtones et les États modernes, et sur les conditions d’une relation postcoloniale, voir Duncan Ivison, Paul Patton et Will Sanders (dir.), Political Theory and the Rights of Indigenous Peoples, Cambridge, Cambridge University Press, 2000.
5 Jon Pierre et B. Guy Peters, Governance, Politics and the State, Londres, Macmillan, 2001 ; Kathleen Thelen, « How Institutions Evolve: Insights from Comparative Historical Analysis », dans James Mahoney et Dietrich Rueschemeyer (dir.), Comparative Historical Analysis in the Social Sciences, New York, Cambridge University Press, 2002, p. 208-237.
6 Nous adoptons ici la définition qu’en a proposée Jane Jenson dans cet ouvrage. Pour une utilisation similaire du concept dans le contexte de la politique autochtone, voir également Jane Jenson et Martin Papillon, « Challenging the Citizenship Régime: James Bay Créé and Transnational Action », Politics and Society, vol. 28, n° 2, 2000, p. 245-264.
7 Pour une analyse de la relation entre citoyenneté, Etats et nations, voir David Miller, On Nationality, Oxford, Oxford University Press, 1995 ; Michael Keating, Plurinational Democracy: Stateless Nations in a Post-Sovereignty Era, Oxford, Oxford University Press, 2001.
8 Pour une analyse de l’histoire du concept et de son application aux peuples autochtones, James S. Anaya, Indigenous Peoples in International Law, New York, Oxford University Press, 1996.
9 Pour Iris Marion Young, le droit à l’autodétermination pour les minorités nationales « imbriquées » au sein des Etats-nations doit ainsi être conçu en termes relationnels. Voir Iris Marion Young, « Self-determination as non-domination. Ideas applied to Palestine/Israel », Ethnicities, vol. 5, n° 2, 2005, p. 139-159 ; James Tully, « The Struggles of Indigenous Peoples for and of Freedom », dans D. Ivison et al, (dir.), Political Theory and the Rights of Indigenous Peoples, Cambridge, Cambridge University Press, 2000, p. 36-59 ; Joyce Green, « Autodétermination, citoyenneté et fédéralisme : pour une relecture autochtone du palimpseste canadien », Politique et Sociétés, vol. 23, n° I, 2004, p. 9-32.
10 On pense par exemple à la littérature sur le rééchelonnement de la gouvernance : entre autres, Neil Brenner, New State Spaces: Urban Governance and the Rescaling of Statehood, New York, Oxford University Press, 2004, et Bob Jessop, « Multilevel Governance and Multilevel Metagovernance », dans Ian Bache et Matthew Flinders (dir.), Multi-level Govemance, Oxford, Oxford University Press, 2004, p. 49-74. Voir également la littérature sur la gouvernance à niveaux multiples : entre autres, Lisbeth Hooghe et Gary Marks, « Unravelling the Central State, But How? Types of Multi-level Governance », American Political Science Review, vol. 97, n° 2, 2003, p. 233-243 ; et Ian Bache et Matthew Flinders (dir.), Multi-level Governance, Oxford, Oxford University Press, 2004.
11 J. Jenson et M. Papillon, 2000.
12 N. Brenner, 2004 ; Michael Keating, 2001.
13 Neil Bradford, Why Cities Matter: Policy Research Perspectives for Canada, F 23, Ottawa, Réseaux canadiens de recherche en politiques publiques, 2003, en ligne : <http://www.cprn.org/fr/doc.cfm?doc=168> (page consultée le 15 octobre 2006).
14 Denis Saint-martin, Coordinating Interdependence : Governance and Social Policy Redesign in Britain, the European Union and Canada, F|41, Ottawa, Réseaux canadiens de recherche en politiques publiques, 2004, en ligne : <http://www.cprn.org/fr/doc.cfm?doc=723> (page consultée le 15 octobre 2006).
15 N. Brenner, 2004.
16 Robert Johnson et Rianne Mahon, « NAFTA, the Redesign and Rescaling of Canadas Welfare State », Communication présentée à la réunion du comité de recherche RC 19 de l’AIS (Association internationale de Sociologie), Paris, septembre 2004 ; B. Guy Peters et Jon Pierre, « Multi-level Governance and Democracy : A Faustian Bargain? », dans I. Bache et M. Flinders, 2004, p. 75-91.
17 J. Jenson et M. Papillon, 2000 ; Martin Papillon et Luc Turgeon, « Nationalism’s Third Way? Comparing the Emergence of Citizenship Régimes in Quebec and Scotland », dans Alain-G. Gagnon, Montserrat Guibernau et François Rocher (dir.), The Conditions of Diversity in Multinational Democracies, Montréal, Institut de recherche en politiques publiques, 2003, p. 315-341.
18 Rhada Jhappan, « Inherency, Three Nations and Collective Rights: The Evolution of Aboriginal Constitutional Discourse from 1982 to the Charlottetown Accord », Revue internationale d’études canadiennes, n° 7-8, printemps-automne 1993, p. 225-259 ; Alan Cairns, Citizens Plus: Aboriginal Peoples and the State, Vancouver, University of British Columbia Press, 2000.
19 Reg Whitaker, « Quebec’s Self-Determination and Aboriginal Self-Government: Conflict and Reconciliation », dans Joseph H. Carens (dir.), Is Quebec Nationalism Just? Montréal, McGill-Queen’s University Press, 1995 ; Daniel Salée, « Le Québec et la question autochtone », dans Alain-G. Gagnon (dir.), Québec : État et société, tome 2, Montréal, Québec Amérique, 2003, p. 117-147.
20 Cette division reflète celle adoptée par la Commission royale d’enquête sur les peuples autochtones (voir Canada, Commission royale sur les Peuples autochtones, Rapport final, 5 volumes, Ottawa, Groupe Communication Canada, 1996). Pour une analyse historique similaire, voir Andrew Armitage, Comparing the Policy of Aboriginal Assimilation: Australia, Canada and New Zealand, Vancouver, University of British Columbia Press, 1995.
21 Pour un récit détaillé et fascinant des relations diplomatiques de l’époque, voir Robert A. Williams, Linking Arms Together: American Indian Treaty Vision of Law and Peace, 1600-1800, Oxford, Oxford University Press, 1997, ainsi que le rapport final de la Commission royale sur les peuples autochtones, 1996.
22 Il vaut la peine de noter que la loi ne s’appliquait qu’aux Indiens (aujourd’hui appelés les Premières Nations) vivant dans des réserves. Elle excluait ainsi un grand nombre d’Autochtones, dont les Inuits vivant au nord et les Métis. Ces deux derniers groupes tombèrent en fait dans les limbes constitutionnelles, n’étant définis ni comme des Indiens par la loi ni comme des résidants à part entière par les provinces, qui les considèrent alors sous autorité fédérale, d’après l’article 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867.
23 Ils ont obtenu le droit de vote aux élections fédérales en 1960.
24 Ministère des Affaires indiennes et du Nord, Gouvernement du Canada, Statement of the Government of Canada on Indian Policy, Ottawa, Imprimeur de la Reine, 1969.
25 Le premier ministre Pierre Elliott Trudeau, dans un discours pour la défense du livre blanc de 1969, à Vancouver, le 8 août 1969.
26 M. Papillon et L. Turgeon, 2003.
27 Éric Gourdeau, « Le Québec et la question autochtone », dans Alain-G. Gagnon (dir.), Québec : Etat et société, Montréal, Québec Amérique, 1994, p. 329-356.
28 Jean-Jacques Simard, La Réduction. L’autochtone inventé et les Amérindiens d’aujourd’hui, Québec, Septentrion, 2003, p. 140.
29 Chambres des communes, Rapport du Comité spécial sur l’autonomie gouvernementale des Premières Nations, Ottawa, Chambres des communes, 1983.
30 L’Accord fut rejeté par une majorité de Canadiens lors d’un référendum en 1993. Une proposition semblable figurait au coeur du rapport final de la Commission royale sur les peuples autochtones de 1996.
31 On pense par exemple à l’accord avec les Nisga’a et à celui concernant le Nunavut qui a mené en 1999 à la création d’un territoire autonome dont la majorité de la population est d’origine inuite.
32 É. Gourdeau, 1994.
33 On utilise parfois l’expression « fédéralisme par traités » pour caractériser de telles relations. Voir Sakje Henderson, « Empowering Treaty Federalism », Saskatchewan Law Review, vol. 58, n° 2,1994, p. 242-330 et Patrick Macklem, Indigenous Difference and the Constitution of Canada, Toronto, University of Toronto Press, 2001.
34 Sally Weaver, « A New Paradigm in Canadian Indian Policy for the 1990 s », Canadian Ethnic Studies, vol. 22, n° 3,1991, p. 8-18, et Michael Howlett, « Policy Paradigm and Policy Change: Lessons from the Old and New Canadian Policies towards Aboriginal Peoples », Policy Studies Journal, vol. 22, n° 4,1994, p. 631-649. Pour l’opinion contraire, voir Kiera Ladner et Michael Orsini, « De “l’infériorité négociée” à “l’inutilité de négocier” : la Loi sur la gouvernance des Premières Nations et le maintien de la politique coloniale », Politique et Sociétés, vol. 23, n° 1, 2004, p. 59-88.
35 Ce « test » a été mis au point dans l’arrêt R. c. Van der Peet (1996) 2 R.C.S. 507. Dans R. c. Pamajewon (1996) 2 R.C.S. 164, la Cour a spécifié qu’il fallait appliquer un critère similaire afin d’évaluer le droit inhérent à l’autonomie gouvernementale. Pour une analyse de la jurisprudence canadienne en matière de droits des Autochtones, voir Sébastien Grammond, Aménager la coexistence. Les peuples autochtones et le droit canadien, Bruxelles, Bruylant, 2003, ainsi que Michael Asch, « From Tierra Nullius to Affirmation: Reconciling Aboriginal Rights with the Canadian Constitution », Revue Canadienne Droit et Société, vol. 17, n° 2, 2002, p. 23-39.
36 Delgamuukw c. British Columbia (1997) 3 S.R.C. 1010.
37 Pour une analyse détaillée de la « crise d’Oka », voir Geoffrey York et Loreen Pindera, Peoples of the Pines: The Warriors and the Legacy of Oka, Boston, Little Brown, 1991.
38 Les Cris utilisèrent avec succès l’arène internationale afin d’affirmer leur droit de veto sur le projet. Pour une analyse plus détaillée des effets de la campagne transnationale des Cris concernant le régime de citoyenneté, voir J. Jenson et M. Papillon, 2000.
39 Affaires indiennes et du Nord Canada, Données ministérielles de base 2003, Ottawa, Affaires indiennes et du Nord Canada, mars 2004.
40 Ministère des Affaires indiennes et du Nord Canada, Rassembler nos forces: plan d'action du Canada pour les Autochtones, Ottawa, Ministère des Affaires indiennes et du Nord Canada, 1998.
41 Secrétariat des affaires autochtones, Partenariat, développement, action, Québec, 1998.
42 J. Green, 2004.
43 Michael. J. Prince et Frances Abele, « Paying for Self-Determination: Aboriginal Peoples, Self-Government and Fiscal Relations in Canada », dans Michael Murphy (dir.), Canada: The State of the Federation 2003. Reconfiguring Aboriginal-State Relations, Montréal, McGill-Queen’s Press, 2005, p. 237-260.
44 Entrevue personnelle, réf. A122, 12 juin 2004. Voir aussi l’analyse de Dean Neu, Accounting for génocide: Canada’s Bureaucratie Assault on Aboriginal People, Londres, Zed Books, 2003, et de Menno Boldt, Surviving as Indians. The Challenge of Self-Government, Toronto, University of Toronto Press, 1994.
45 Par exemple, il y a moins de 100 fonctionnaires employés directement par les gouvernements fédéral et provincial dans les 14 communautés inuites du Nunavik, dans le nord du Québec. Tous les autres services publics sont gérés par l’Administration régionale Kativik ou d’autres organismes contrôlés par les Inuits.
46 Ces données sont tirées d’une analyse comparative des rapports annuels du Conseil mohawk de Kahnawake.
47 Le budget du GCC/ARC comprend également les fonds de la Eenou-Eeyou Limited Partnership, la société qui gère les paiements compensatoires provenant de la Convention de la Baie James et du Nord québécois et des ententes subséquentes avec les gouvernements fédéral et provincial. Pour un résumé, voir Grand Conseil des Cris (Eeyou Istchee), Rapport annuel2003-2004, Montréal, Grand Conseil des Cris, 2004.
48 R. A. W. Rhodes, Understanding Governance: Policy Networks, Reflexivity and Accountability, Buckingham, Open University Press, 1997.
49 J.-J. Simard, 2003.
50 Dans des communautés où les pratiques politiques traditionnelles ont survécu, on continue souvent à considérer les conseils de bandes comme des structures de gouvernance imposées par l’État. En fait, les pratiques traditionnelles de gouvernance connaissent actuellement un certain renouveau dans de nombreuses communautés, souvent en conflit, mais parfois en collaboration avec les conseils de bandes. Pour une analyse du regain des modes traditionnels de gouvernance, et de la difficile coexistence de ceux-ci avec les institutions héritées de la Loi sur les Indiens dans la communauté mohawk de Kahnawake, voir Taiaiake G. Alfred, Peace, Power and Righteousness: An Indigenous Manifesto, Don Mills, ON, Oxford University Press, 1998.
51 T. G. Alfred, 1999 ; M. Boldt, 1994.
52 J. Pierre et B. G. Peters, 2001.
53 Frances Abele et Michael J. Prince, « Alternative Futures: Aboriginal Peoples and Canadian Federalism », dans Herman Bakvis et Grace Skogstad (dir.), Canadian Federalism: Performance, Effectiveness and Legitimacy, Don Mills, Oxford University Press, 2002, p. 220-239.
54 Les références à l’entente suivent ici la version disponible sur le site du gouvernement du Québec à l’adresse suivante : <http://www.autochtones.gouv.qc.ca/relations_autochtones/ententes/cris/entente_cris_20020207.pdf> (page consultée le 3 octobre 2006).
55 Entrevues avec des représentants du Grand Conseil des Cris, avril-mai 2004.
56 En fait, l’entente indique explicitement quelle ne modifie pas la Convention de la Baie James et du Nord québécois et n’affecte pas par ailleurs les droits des Cris de la Baie James (art. 2.6 et 2.10).
57 Trente-cinq pour cent de la population crie a moins de 20 ans. Pour une analyse de la perspective des Cris, voir par exemple l’entrevue avec le leader cri Roméo Saganash réalisé par Trudel et Vincent. Voir Pierre Trudel et Sylvie Vincent, « Entrevue avec Roméo Saganash », Recherches amérindiennes au Québec, vol. 32, n° 2, 2002, p. 118-124.
58 Même si la méfiance est encore très présente, et que tous s’entendent pour dire que la mise en oeuvre de l’entente est difficile, la plupart des individus interrogés tant au sein de l’administration crie qu’à Québec estiment que cette dernière a grandement amélioré le climat des négociations et de la coordination des politiques avec leurs homologues respectifs.
59 Entrevue personnelle, réf. GQ-023, 12 juin 2004.
60 Christian Rouillard, « L’innovation managérielle et les organismes centraux au Québec », dans A.-G. Gagnon (dir.), 2003, p. 209-226.
61 La politique de foresterie du Québec fait depuis longtemps l’objet de critiques parce quelle laisse l’industrie gérer elle-même la ressource, et ne laisse que peu de marge de manoeuvre aux agents du gouvernement pour appliquer la législation sur l’environnement. Voir par exemple Yves Bergeron et Christian Messier, « Un nouveau régime forestier trop timide pour la protection de la biodiversité. Pour un projet de loi sur les forêts plus audaaudacieux», Le Devoir, 5 juillet 2000.
62 Cette vision trouve son meilleur représentant en Tom Flanagan, mais il en existe également une version plus nuancée et subtile dans la critique qu’a faite Alan Cairns du rapport final de la Commission royale sur les peuples autochtones. Voir Tom Flanagan, First Nations? Second Thoughts, Montreal, McGill-Queens Press, 2000 et Alan Cairns, 2000.
63 M. Boldt, 1994 ; T. Alfred, 1999 ; D. Neu, 2003.
64 K. Ladner et M. Orsini, 2005.
Auteur
Martin PAPILLON enseigne à l’École d’études politiques de l’Université d’Ottawa. Ses recherches portent sur le fédéralisme, la citoyenneté et l’autonomie politique des peuples autochtones. Sa thèse de doctorat à l’Université de Toronto est intitulée Federalism from Below ? The Emergence of Aboriginal Multilevel Governance in Canada.
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