Chapitre I. La communauté humaine comme rite sacré
p. 27-44
Texte intégral
1Les remarques qui suivent visent à mettre en lumière le pouvoir magique que Confucius perçut, très justement, comme l’essence même de la vertu humaine. C’est en fin de compte par le truchement du magique que nous pouvons aussi arriver au meilleur point de vue pour apercevoir le caractère sacré de l’existence humaine, considéré par Confucius comme central. Au XXe siècle, ce rôle central du sacré dans l’enseignement de Confucius a été largement passé sous silence parce que nous avons échoué à saisir le propos existentiel de son enseignement.
2Précisément, ce qui est requis (et ici présupposé) est une réinterprétation qui met en œuvre des notions philosophiques contemporaines. Une telle réinterprétation jette, comme par réflexion, une nouvelle lumière sur des dimensions de notre propre pensée philosophique demeurées dans l’ombre.
3L’intelligence philosophique distinctive des Entretiens, ou du moins de son « noyau » authentique, fut rapidement obscurcie lorsque les idées des écoles rivales contaminèrent l’enseignement de Confucius. Rien de surprenant si cette intelligence, exigeant, comme il se doit, un certain accent sur les dimensions magiques et religieuses des Entretiens, est absente des interprétations courantes des temps modernes, influencées par l’Occident. Aujourd’hui, on lit les Entretiens, dans leur signification générale, ou bien comme un enseignement empirique, humaniste, axé sur notre monde, ou bien comme offrant des parallèles avec les doctrines platonico-rationalistes. L’enseignement des Entretiens est ainsi souvent considéré comme un pas important dans le rejet explicite de la superstition ou d’une lourde dépendance par rapport aux « forces surnaturelles1 ».
4Nul doute, le monde des Entretiens diffère profondément en qualité de celui de Moïse, d’Eschyle, de Jésus, de Gautama Bouddha, de Lao zi et des maîtres des Upanishad. Sous certains rapports obvies, les Entretiens représentent assurément le monde d’un humaniste et d’un traditionaliste, un monde encore assez traditionnel pour rendre hommage, quand le besoin se présente, aux esprits.
5« Consacre-toi aux devoirs humains », dit le Maître, « respecte les êtres spirituels, mais garde tes distances » (vi, 20). Il ajusta l’acte au précepte et lui-même « ne parla jamais de prodiges, de faits de force, de désordres ou d’esprits » (vii, 20). En réponse à des questions directes au sujet du transcendant et du surnaturel, il dit : « En attendant que vous soyez capables de servir les hommes, comment pouvez-vous servir les êtres spirituels ? En attendant que vous connaissiez la vie, comment pouvez-vous connaître quelque chose de la mort ? » (xi, 11).
6Si nous examinons la substance du texte des Entretiens, il devient vite évident que les thèmes et les principaux concepts touchent principalement à notre nature, au comportement et aux rapports humains. Il suffit à notre propos de simplement énumérer certains des thèmes récurrents : rite (li 禮,) humanité (ren 仁), réciprocité (shu 恕), loyauté (zhong 忠), étude (xue 學), musique (yue 樂), ainsi que les concepts par lesquels sont définies les relations et obligations familiales (prince, père, etc.).
7L’humanisme « de-ce-monde » et pratique des Entretiens est rendu plus profond par son enseignement au sujet des accomplissements moraux et spirituels de l’homme : ceux-ci ne dépendent ni de recettes, ni de la chance, ni de charmes ésotériques, ni d’une quelconque puissance purement externe. La condition spirituelle dépend de l’« étoffe » dont on dispose pour commencer, de la quantité et la qualité de l’étude et du travail assidus qu’on met à lui « donner forme ». La noblesse spirituelle exige persistance et effort. « D’abord le difficile... » (vi, 20). « Son fardeau est lourd et sa route est longue. Il a pris le ren pour fardeau — cela n’est-il pas lourd » ? (viii, 7). Ce qui dérangeait Confucius, c’était de « laisser la vertu en friche et le savoir à l’état sauvage, entendre parler du bien mais être incapable de se tourner vers lui ou de corriger ce qui est mauvais » (vii, 3). Le disciple de Confucius était tout à fait conscient que son devoir n’était pas une question d’émerveillement et de miracle, mais du travail constant « de couper, de limer, de graver et de polir » (i, 15), afin de devenir pleinement et véritablement un être humain, un digne participant de la société. Tout ceci semble être l’essence même d’une perspective anti-magique. Elle n’a pas non plus l’aura du divin.
8Cependant, en dépit de ce moralisme prosaïque bien établi et apparemment profane, nous trouvons aussi des commentaires occasionnels dans les Entretiens qui semblent révéler une croyance d’une profonde importance en certains pouvoirs magiques. Par « magique » je veux dire le pouvoir d’une personne donnée d’accomplir sa volonté directement et sans effort par le rituel, le geste et l’incantation. L’utilisateur du magique n’œuvre pas à coup de stratégies et de devis servant de moyens en vue d’une fin ; il n’utilise ni la cœrcition ni la force physique. Aucune stratégie, aucune tactique ne sont développées et éprouvées de manière pragmatique. Il « veut » simplement réaliser la fin grâce à un scénario rituel approprié ainsi que des gestes et des paroles rituels appropriés ; sans autre effort de sa part, l’œuvre est accomplie. Les mots de Confucius, à certains moments, insinuent qu’il existe un pouvoir magique fondamental qui est central à cette voie. (Dans les citations suivantes, les termes chinois sont tous essentiels à la pensée de Confucius et ils désignent des pouvoirs, des états et des formes d’action d’une valeur fondamentale. Dans la mesure où c’est nécessaire, ils seront discutés par après.)
Le ren est-il éloigné ? Aussitôt que je le veux, il est ici (vii, 29).
Discipliné et se tournant toujours vers le li — tout un chacun dans le monde répondra à son ren (xii, 3).
Shun, le grand sage-souverain « se plaçait simplement lui-même gravement et avec révérence la face tournée vers le sud (la posture rituelle du souverain) ; et c’était tout » (c’est-à-dire, les affaires de son règne suivaient leur cours sans accroc) (xv, 4).
9L’élément magique implique toujours de grands effets produits sans efforts, merveilleusement, et avec un pouvoir irrésistible qui est lui-même intangible, invisible, non manifeste.
Avec un comportement correct, aucun commandement n’est nécessaire et, cependant, les affaires suivent leur cours (xiii, 6).
Le caractère de l’homme noble est comme le vent, celui des hommes ordinaires comme l’herbe ; quand le vent souffle l’herbe doit plier (xii, 19).
Gouverner par le de, c’est comme être l’étoile du pôle Nord ; elle demeure à sa place alors que les autres étoiles gravitent en hommage autour d’elle (ii, 1).
10De tels énoncés peuvent être compris de diverses manières. On pourrait simplement remarquer, comme Duyvendak, que « la signification magique originelle » (ii, 1) est « irréfutable », ou que la posture rituelle de Shun (xv, 4) est « un état de la plus haute efficience magique2 ». En bref, on peut admettre que ce sont là des résidus authentiques de « superstition » dans les Entretiens.
11Cependant, plusieurs interprètes modernes des Entretiens ont souhaité lire Confucius de manière plus « sympathique », c’est-à-dire, comme quelqu’un dont les propositions philosophiques auraient le maximum de validité pour nous dans notre propre langage familier et accepté. Pour ce faire, ces commentateurs ont généralement tenté de minimiser jusqu’à l’irréductible les propositions magiques des Entretiens. Car on tient aujourd’hui comme une évidence qu’il n’est pas vraiment sérieux de vouloir agir efficacement par l’incantation et par le geste rituel. (L’exception importante à ce consensus, abordée plus loin, est « l’analyse linguistique » contemporaine. Mais la portée de ce champ d’étude s’est à peine étendue au-delà du monde de la philosophie professionnelle.)
12La suggestion que le magique et le merveilleux sont antithétiques au goût contemporain peut être dissipée de différentes façons : une seule des paroles que j’ai citées provient de la portion des Entretiens — Livres iii à viii — reconnue comme étant pour l’essentiel « authentique ». Les autres paroles pourraient être parmi les nombreuses interpolations, souvent étrangères à l’esprit de Confucius, dont on sait qu’elles sont présentes dans le texte reçu. Ou bien on pourrait soutenir que l’élément magique est d’envergure plutôt restreinte, s’appliquant seulement au souverain ou même seulement au souverain parfait3. Une autre manière encore d’interpréter en éliminant les énoncés portant sur le « magique » est de supposer que Confucius ne faisait qu’accentuer et dramatiser le pouvoir familier du bon exemple4. En bref, sous cet angle, nous devons prendre les paroles portant sur le « magique » comme des expressions poétiques d’une vérité prosaïque. Enfin, Confucius, pourrait-on affirmer, n’était tout simplement pas consistant sur cette question — peut-être était-il principalement et typiquement anti-magique, mais, comme on pourrait s’y attendre, il ne s’était pas complètement libéré de croyances traditionnelles profondément enracinées.
13Toutes ces interprétations considèrent l’enseignement de la dimension magique de la vertu humaine comme un obstacle à son acception par le citoyen raffiné du XXe siècle. Le magique doit être interprété de façon à disparaître ou bien doit être traité comme une faiblesse excusable de la part de Confucius. Si nous ne commençons pas par supposer que le sens obvie de ses paroles est inacceptable, je préfère penser que nous pouvons encore apprendre de Confucius sur cette question.
14Plutôt que de m’engager dans une polémique au sujet des autres interprétations, je vais consacrer le reste de mes remarques à un exposé positif de ce que je considère comme une authentique et vraie conception magique de l’homme dans l’enseignement de Confucius. Je ne soutiens pas que mon interprétation soit correcte à l’exclusion de toutes les autres. Il n’est guère de raison de croire qu’un innovateur comme Confucius distingue tous les sens possibles de ses paroles et vise délibérément seulement un de ces sens à l’exclusion de tous les autres. On doit supposer le contraire. Parmi les différents sens de l’enseignement de Confucius sur le magique, celui qui est exposé dans les remarques suivantes m’apparaît authentique, central et inédit.
15Confucius vit et tenta de nous faire voir que les pouvoirs véritablement et distinctement humains ont, de manière caractérisée, une qualité magique. Sa tâche exigea donc, en fait, de dévoiler ce qui était déjà si familier et universel qu’il passait inaperçu. Il faut dans ce cas se pencher d’une nouvelle manière — d’une manière correcte — sur cette dimension « obvie » de notre existence. Où trouve-t-on une telle voie nouvelle dans ce domaine familier, une voie apportant une perspective inédite et révélatrice ? Confucius trouva la voie : elle passe par la notion de li.
16On doit travailler longtemps et durement pour apprendre le li. Le mot, dans sa racine sémantique, est proche de « rituel sacré », « cérémonie sacrée ». Caractéristique de l’enseignement de Confucius est l’emploi du langage et de l’imagerie du li comme d’un médium à l’intérieur duquel on peut parler du corps entier des mores ou, plus précisément, de la tradition authentique et des conventions raisonnables de la société5. Confucius enseigna que la capacité d’agir en conformité avec le li et la volonté de se soumettre au li sont essentielles à cette vertu ou à ce pouvoir parfait et spécifiquement humain qui peut être approprié par l’homme.
17L’homme (spirituellement) noble est celui qui a travaillé à la fusion « alchimique » des formes sociales (li) et de l’existence personnelle « crue » de telle manière qu’elles sont transmuées dans une manière d’être qui actualise le de 德, la vertu ou le pouvoir distinctement humain.
18Le de est actualisé dans les actes concrets des rapports humains, les actes faisant partie de structures. Ces structures partagent certains traits communs à toutes les structures du li : elles sont toutes expressives des rapports réciproques entre les êtres humains, de la loyauté et du respect réciproques. Mais les structures sont aussi spécifiques : elles différencient et elles définissent en détail les performances-répertoires rituelles qui constituent les structures civilisées, c’est-à-dire vraiment humaines, du deuil, du mariage et du combat, d’être prince, père, fils et ainsi de suite. Cependant, les êtres humains ne sont d’aucune façon conçus comme étant de simples unités standardisées accomplissant mécaniquement des routines prescrites au service d’une certaine loi cosmique ou sociale. Ils ne sont pas non plus des âmes individuelles et autosuffisantes qui auraient à un certain moment consenti à un contrat social. Les êtres humains deviennent vraiment humains à mesure que leurs impulsions instinctives sont modelées par le li. Et le li est l’accomplissement de l’impulsion humaine, son expression civilisée — et non pas une déshumanisation formaliste. Le li est la forme spécifiquement humanisante de la relation dynamique être humain-être humain.
19L’intuition inédite et créatrice de Confucius fut de voir cet aspect de l’existence humaine, sa forme comme tradition et convention apprises, à partir d’une image révélatrice particulière : li, c’est-à-dire, « rite sacré », « cérémonie sacrée », dans le sens usuel du mot avant Confucius.
20Dans une cérémonie bien apprise, chaque personne fait ce qu’elle doit faire d’après une structure. Mes gestes sont cordonnés harmonieusement avec les vôtres — sans qu’aucun des deux n’ait à forcer, pousser, demander, contraindre ou, de toute autre manière, à provoquer l’action. Nos gestes sont tous à leur tour harmonieusement suivis sans effort par les autres participants. Si tous sont « bien disciplinés, toujours tournés vers le li », alors tout ce qui est requis — bien littéralement — est un geste rituel initial dans le contexte cérémoniel approprié ; à partir de là, tout « se produit ». Quelle action posa Shun (le sage-souverain) ? « Il se plaça simplement lui-même gravement et avec révérence le visage face au sud ; c’était tout » (xv, 4). Arrêtons-nous à considérer au moins dans quelques menus détails les traits distinctifs mis en évidence par l’image révélatrice du rite sacré.
21Il est important de ne pas considérer cette absence d’effort comme « mécanique » ou « automatique ». Si c’était le cas, alors, comme Confucius le rappelle constamment, la cérémonie serait morte, stérile, vide : il n’y aurait pas d’esprit en elle. Le cérémoniel véritable « a lieu » ; il y a une sorte de spontanéité. Il se produit « de lui-même ». Il y a de la vie en lui parce que les individus impliqués l’accomplissent avec sérieux et sincérité. Pour que la cérémonie soit authentique, on doit « participer dans le sacrifice » ; autrement, c’est comme si « on ne sacrifiait pas du tout » (iii, 32). En d’autres mots, l’accomplissement du li est confronté à deux sortes d’échec : la cérémonie peut être accomplie gauchement en raison d’un manque de connaissance et de savoir-faire ; ou bien la cérémonie peut être polie en surface, mais être amorphe et mécanique en raison d’un manque de volonté et d’engagement. Dans une cérémonie belle et efficace, la « présence » personnelle doit fusionner à un savoir-faire cérémoniel appris. Cette fusion idéale est le véritable li comme rite sacré.
22Confucius établit un contraste caractérisé en opposant un souverain qui utilise le li et un souverain qui cherche à atteindre ses buts par le truchement de commandements, de menaces, de règlements, de châtiments et de la force (ii, 3). La force de coercition est manifeste et tangible, alors que les forces vastes (et sacrées) à l’œuvre dans le li sont invisibles et intangibles. Le li opère à travers la coordination spontanée enracinée dans la dignité révérencielle. La perfection du rite sacré est esthétique aussi bien que spirituelle.
23Ayant considéré la cérémonie sacrée en elle-même, nous sommes maintenant à même de nous pencher sur des aspects plus prosaïques de la vie. C’est là en fait ce que Confucius nous invite à faire ; c’est le fondement de sa perspective sur l’homme.
24Je vous vois dans la rue ; je souris, marche vers vous, tends la main pour serrer la vôtre. Et voyez — sans aucun commandement, stratagème, force, truc ou instrument particulier, sans aucun effort de ma part pour vous faire agir ainsi, vous vous tournez spontanément vers moi, répondez à mon sourire, levez la main vers la mienne. Nous nous serrons la main — non pas en nous tirant la main l’un l’autre de haut en bas, mais par un geste coopératif spontané et parfait. Habituellement, nous ne remarquons pas la subtilité et l’étonnante complexité de cet acte « rituel » coordonné. Cette subtilité et cette complexité deviennent cependant évidentes si l’on a dû apprendre la cérémonie seulement à partir d’un livre d’instructions, ou si l’on est un étranger dans une culture où l’on ne se donne pas la main.
25On ne remarque habituellement pas non plus que le « rituel » est « vivant », que nous sommes « présents » l’un à l’autre, au moins à un degré minimal. Comme Confucius le dit, il y a toujours les exigences générales et fondamentales de la bonne foi et du respect. Ce respect mutuel n’est pas la même chose qu’un sentiment conscient de respect mutuel ; quand je prends conscience de mon respect pour vous, j’ai beaucoup plus de chances d’être pieusement béat ou peut-être embarrassé par-devers moi-même ; et sans doute notre petite « cérémonie » révélera ceci par une certaine gaucherie (je tends la main trop tôt et elle reste suspendue en l’air). Non, l’authenticité du respect mutuel ne requiert pas que j’éprouve consciemment un sentiment de respect ou que je concentre mon attention sur mon respect pour vous ; elle est pleinement exprimée dans l’accomplissement « vivant », spontané et correct du geste. Tout comme un acrobate aérien doit, au moins pour les besoins de la cause, avoir (mais non pas y penser) une confiance totale dans son partenaire, si le jeu doit réussir, ainsi, quand nous nous donnons la main, même si les enjeux sont moindres, nous devons éprouver (mais sans y penser) respect et confiance l’un pour l’autre. Sinon, nous nous trouvons cafouillant gauchement ou agissant de manière amorphe, et, par là, communiquant l’insignifiance de nos gestes à l’autre.
26Clairement, il n’est pas nécessaire que notre respect et bonne foi aillent très loin pour donner une poignée de main et échanger des salutations raisonnablement satisfaisantes. Cependant, même ici, la personne sensible peut souvent deviner les profondeurs de l’attitude d’autrui à partir d’une poignée de main. Cette profondeur de la relation humaine communicable dans un geste « cérémoniel » est en bonne partie possible en raison de la remarquable spécificité de la cérémonie. Par exemple, si je suis votre ancien professeur, vous serez plutôt enclin à marcher vers moi plutôt qu’à attendre que ce soit moi qui marche vers vous. Vous ferez montre d’une certaine réserve subtile dans votre poignée de main, même si elle sera chaleureuse. Vous ne me donnerez pas une tape dans le dos, même si possiblement je vous prends par l’épaule avec ma main libre. Il y a plusieurs subtilités indescriptibles dans les distinctions, les nuances et les variations infimes mais signifiantes du geste. Si nous essayons de décrire ces variations subtiles et leurs lois, nous prenons immédiatement l’allure du Livre x des Entretiens, dont les recettes cérémonielles apparaissent initialement au lecteur occidental moderne comme la quintessence d’un traditionalisme naïf et extrême. C’est précisément de cette manière que l’activité sociale est coordonnée dans une société civilisée, sans effort ni planification, mais simplement en faisant au départ, de manière spontanée, le geste cérémoniel approprié dans le contexte approprié. Ce pouvoir du li, dit Confucius, dépend d’un apprentissage préalable. Il n’est pas inné.
27Le pouvoir sans effort du li peut aussi être utilisé pour accomplir des objectifs physiques, même si nous n’y pensons pas de cette manière. Supposons que je veuille apporter un livre de mon bureau à la salle de classe. Si je n’ai pas de pouvoirs magiques, je devrai littéralement me déplacer — marcher à mon bureau, ouvrir la porte, prendre le livre à l’aide de mes propres muscles, revenir en le portant. Mais il y a aussi le magique — l’expression rituelle appropriée de mon souhait, qui réalisera mon souhait sans aucun effort de la sorte de ma part. Je me tourne poliment, c’est-à-dire, de façon cérémonielle, vers l’un des mes étudiants en classe et exprime dans une formule appropriée et polie (rituelle) mon souhait qu’il m’apporte le livre. Cette expression cérémonielle et appropriée de mon souhait, c’est tout ; je n’ai pas à le forcer, à le menacer, à le duper. Je n’ai besoin de ne rien faire d’autre. En un rien de temps, le livre est entre mes mains, comme je le souhaitais ! C’est là une manière uniquement humaine d’accomplir des choses.
28Les exemples de la poignée de main et de la requête sont humbles ; la morale est profonde. Ces gestes complexes mais familiers sont typiques des relations humaines dans ce qu’elles ont de plus humain : nous sommes le moins semblables à quoi que ce soit dans le monde quand nous ne nous traitons pas les uns les autres comme des objets physiques, comme des animaux ou même comme des créatures sous-humaines qui doivent être menacées, forcées, manipulées. En considérant ces « cérémonies » à travers l’image du li, nous nous rendons compte que le rite sacré explicite peut être perçu comme une élaboration emphatique, intensifiée et rigoureusement élaborée des rapports humains quotidiens civilisés.
29L’idée qu’on ne peut utiliser la parole que pour parler de l’action ou indirectement pour évoquer Faction a dominé la pensée occidentale moderne. Cependant, « l’analyse linguistique » en philosophie a révélé progressivement à quel point la parole rituelle est elle-même l’acte critique, plutôt que l’expression de l’acte ou encore une stimulation vers l’action. Feu le professeur J. L. Austin était l’un de ceux qui firent ressortir la réalité et l’ampleur de ce phénomène, en particulier dans ses analyses de ce qu’il appelait le « discours performatif6 ». Il s’agit des innombrables énoncés que nous faisons et qui fonctionnent à peu près comme clause « opératoire » dans un contexte légal. Ce sont des énoncés, mais ce ne sont pas des énoncés au sujet d’un certain acte ou invitant à une certaine action ; ils sont plutôt l’exécution même de l’acte.
30« Je donne et lègue ma montre à mon frère », énoncé ou écrit en bonne et due forme n’est pas un rapport de ce que j’ai déjà fait, mais est l’acte même du legs. Dans la cérémonie de mariage, le « Je le veux » n’est pas le rapport d’un acte mental intérieur d’acceptation ; il est lui-même l’acte qui scelle ma partie de l’entente. « Je promets... » n’est pas un énoncé de ce à quoi j’ai pensé il y a un moment dans ma tête ni non plus un compte rendu de quoi que ce soit ; l’énonciation des mots est elle-même l’acte de promettre. C’est par les mots et par la cérémonie dont les mots font partie que je m’engage d’une manière qui, pour un homme « toujours tourné vers le li », est plus puissante, plus inéluctable, que des stratégies ou que la force. L’homme qui utilise le pouvoir du li peut influencer, nous dit Confucius, même ceux qui sont au-dessus de lui — mais non pas l’homme qui n’a en son pouvoir que la force.
31Il n’y a pas de pouvoir du li s’il n’y a pas de convention apprise et acceptée, ou si l’on prononce les mots ou invoque le pouvoir de la convention dans un contexte inapproprié, ou si la cérémonie n’est pas accomplie complètement, ou si les personnes assumant les rôles cérémoniels ne sont pas les personnes proprement autorisées (« autorisation » — encore une cérémonie). En bref, le pouvoir moral particulier et cependant contraignant du geste et de la parole cérémoniels ne peut être abstrait de la cérémonie ni utilisé en dehors d’elle. Ce n’est pas un pouvoir distinct qu’il nous arrive d’utiliser dans la cérémonie ; c’est le pouvoir de la cérémonie. Je ne puis effectivement accomplir la cérémonie de léguer un esclave à quelqu’un si, dans notre société, il n’y a pas de convention acceptée de l’esclavage. Je ne puis gager deux dollars si personne ne complète la gageure en l’acceptant. Je ne puis légalement plaider « coupable » à un crime en prenant mon dîner à la maison. Ainsi le pouvoir du li ne peut être utilisé que dans la mesure où li est pleinement accepté. Ceci est aussi le refrain constant de Confucius. « Les Trois Familles utilisent le Chant Yong [...] ; quelle application possible de telles paroles peuvent-elles avoir dans le temple des Trois Familles ? » (celles-ci n’étaient pas autorisées, d’après le rite, à utiliser ce chant) (iii, 2).
32Pour nos besoins présents, il est suffisant de noter combien nombreuses sont les formules clairement performatives dans notre propre langage et nos propres cérémonies7, et de prendre en considération l’existence de formules performatives moins obvies mais non moins importantes ; par exemple, ces formules dans lesquelles on exprime son souhait, sa préférence ou son choix. « Je choisis celui-ci » exclut l’objection, faite après l’avoir reçu, qu’on ne parlait pas sérieusement. Car en le disant dans les circonstances appropriées, on ne rend pas compte de quelque chose qui avait déjà été fait, mais on fait le geste « opératoire » de faire le choix8.
33L’aboutissement de cette approche du langage et de son contexte « cérémoniel » était, dans le raisonnement du professeur Austin, paradoxal. Il en vint à se sentir contraint de conclure que, ultimement, tous les énoncés sont, essentiellement, performatifs. Ceci demeure une question dont la réponse n’est pas donnée une fois pour toutes, mais il nous suffit de rappeler que c’est maintenant un lieu commun de la philosophie analytique contemporaine (comme c’était une thèse fondamentale de la philosophie pragmatique) que nous utilisons les mots pour faire des choses, des choses profondément importantes et étonnamment diversifiées.
34Assurément, la leçon centrale de ces intuitions philosophiques nouvelles n’est pas d’abord une leçon au sujet du langage mais bien au sujet de la cérémonie. Nous sommes ainsi arrivé à voir, à notre propre manière, combien vaste est le champ de l’existence humaine dans lequel la substance de celle-ci est la cérémonie. Promesses, engagements, excuses, plaidoyers, compliments, alliances — ceux-ci ainsi que de si nombreux autres gestes et paroles sont des cérémonies, ou bien ils ne sont rien. C’est donc par le biais de la cérémonie que la partie spécifiquement humaine de notre vie est vécue. L’acte cérémoniel est un événement primaire, irréductible9 ; le langage ne peut pas être compris s’il est isolé de la pratique conventionnelle dans laquelle il est enraciné. La pratique conventionnelle ne peut pas être comprise si elle est isolée du langage qui la définit et en fait partie. Aucun mouvement purement physique n’est une promesse, aucune parole isolée, indépendante d’un contexte, de circonstances et de rôles cérémoniels, ne peut être une promesse. La parole et le geste ne sont que des abstractions de l’acte cérémoniel concret.
35Sous cet angle, on le voit facilement, on doit apprendre non seulement les savoir-faire moteurs mais aussi l’usage correct du langage. Car celui-ci est constitutif de l’action efficace tout comme l’est le geste. Le langage correct n’est pas simplement un ajout utile, il est essentiel à l’accomplissement de la cérémonie.
36Dans cette perspective, la célèbre doctrine confucéenne de zhengming 正名, la « rectification des noms », ou l’« usage correct de la terminologie », ne nous apparaît plus comme une simple croyance erronée dans la magie du mot ou comme une élaboration pédantesque du souci de Confucius d’enseigner la tradition. Je ne vois non plus aucune raison d’y trouver une doctrine des « essences » ou des idées platonistes ou de notions analogues des néoconfucianistes du Moyen-Âge, car les Entretiens ne fournissent aucun indice d’une telle doctrine10.
37En général, le propos explicite de Confucius en rapport avec l’efficience de la cérémonie ne porte pas seulement sur son caractère distinctement humain, son caractère linguistique et magique, mais aussi sur sa dimension morale et religieuse. Pour Confucius, faut-il rappeler ce point central, l’imagerie de la cérémonie sacrée unifie et infuse toutes ces dimensions de l’existence humaine. Peut-être un Occidental moderne serait tenté de parler de « la pratique intelligente des conventions et du langage appris ». Ceci est de bon ton en raison de son indifférence aux valeurs et de son caractère « scientifique ». Assurément, les philosophes analytiques contemporains sont enclins à parler ainsi et à être convenablement raisonnables et sobres dans leur style. Mais ceci ne peut pas du tout accomplir ce que l’image centrale de Confucius accomplit.
38L’image du rite sacré comme métaphore de l’existence humaine nous met éminemment en présence de la dimension du sacré dans l’existence humaine. Il y a plusieurs dimensions du rite sacré qui culminent dans sa sacralité. Le rite fait ressortir avec force non seulement l’harmonie et la beauté des formes sociales, la dignité inhérente et ultime des échanges humains ; elle fait aussi ressortir la perfection morale implicite dans l’accomplissement de ses propres fins en traitant les autres comme des êtres d’une égale dignité, comme des participants libres dans le li. De plus, agir par le biais de la cérémonie, c’est être complètement ouvert à l’autre ; car la cérémonie est publique, partagée, transparente ; agir autrement, c’est être secret, obscur et tortueux, ou simplement tyranniquement coercitif. Dans cette participation belle et digne, partagée avec les autres, qui sont ultimement comme nous-mêmes, et ouverte (XII, 2), l’homme se réalise lui-même. Ainsi la communauté parfaite des hommes — l’analogue confucéen de la fraternité chrétienne — devient une partie inextricable, l’aspect principal du culte divin — encore une analogie avec la Loi centrale enseignée par Jésus.
39Confucius voulait nous enseigner, comme corollaire, que la cérémonie sacrée dans son sens étroit et radical n’est pas un apaisement entièrement mystérieux des esprits extérieurs à la vie humaine et terrestre. L’Esprit n’est plus un être externe influencé par la cérémonie ; mais il est exprimé et devient le plus vivant dans la cérémonie. Au lieu d’être un déplacement de l’attention donnée au domaine humain vers un domaine transcendant autre, la cérémonie sacrée ouverte doit être perçue comme le symbole central, à la fois expression du sacré et participation au sacré comme une dimension de toute existence humaine authentique. Le rite sacré explicite est ainsi un point lumineux de concentration dans l’harmonie cérémonielle plus large et idéalement totale de la civilisation humaniste du Tao 道(ou Voie idéale). Ceci, pour Confucius, était un « questionnement ultime » ; c’était, répétait-il à l’envi, la seule chose d’importance, plus importante que la vie même de l’individu (iii, 17 ; iv, 5, 6, 8).
Notes de bas de page
1 Dans cette troisième partie du XXe siècle, des auteurs qui diffèrent d’opinion sur plusieurs questions sont enclins à s’entendre sur l’orientation séculière, humaniste et rationaliste de Confucius. D’après Waley, le tournant vers « ce-monde-ci » était un trait distinctif des tendances de l’époque et n’était pas particulier à Confucius. Voir Arthur Waley, The Analects of Confucius, Londres, George Allen & Unwin, 1938, p. 32-33. Voir aussi Leslie, Confucius, Paris, Seghers, 1962, p. 40- 41; Wing-tsit Chan, A Source Book in Chinese Philosophy, Princeton, Princeton University Press, 1963, p. 15; Herrlee G. Creel, Confucius and the Chinese Way, New York, Harper & Row, 1960, p. 120; Shigeki Kaizuka, Confucius, trad. G. Bournes, Londres, George Allen & Unwin, 1956, p. 109-119 ; Liu Wu-chi, Confucius. His Life and Times, New York, Philosophical Library, 1955, p. 154-156. Fung Yu-lan, dans ses divers ouvrages précommunistes, adopte une position quelque peu ambiguë sur cette question, mais il me semble souligner les aspects rationalistes et humanistes qu’il finit par considérer comme un défaut d’étroitesse d’esprit chez Confucius ; voir Fung Yu-lan, The Spirit of Chinese Philosophy, trad. E. R. Hughes, Londres, Kegan Paul, Trench, Trubner & Co., 1947, p. 28.
2 J. L. Duyvendak, « The Philosophy of Wu Wei », Études Asiatiques, vol. 3, no 4, 1947. p. 84.
3 Voir Waley, The Analects of Confucius, 1938, p. 64-66 et surtout « Je ne pense pas que Confucius attribua ce pouvoir magique à aucun rite sauf à ceux pratiqués par le souverain de droit divin. »
4 Voir, par exemple, ibid., p. 66.
5 Voir, par exemple, H. G. Creel, Confucius and the Chinese Way, 1960, p. 82-83 ; voir aussi les Entretiens,ix, 3.
6 J. L. Austin, « Performative Utterances », dans Philosophical Papers, Londres, Oxford University Press, 1961, p. 220-239 How to Do Things with Words, Londres, Oxford University Press, 1962 ; « Performatif-Constatif », dans La philosophie analytique, Cahiers de Royaumont, Phil. no V, Paris, Éditions de Minuit, 1962, p. 271-305.
J’ai offert une analyse systématique du concept du performatif qui, je crois, correspond à mes propos ici en rapport avec Confucius et les amplifie, même si mon analyse de la « performativité » visait à être entièrement générale. Voir Herbert Fingarette, « Performatives », American Philosophical Quarterly, vol. 4,1967.
7 Même si la liste pourrait être allongée indéfiniment, je mentionne ici encore quelques expressions qui font ordinairement partie de formules dont la fonction performative est obvie : « Je te baptise », « Je te nomme », « Je choisis ceci (ou celui-ci) », Je te félicite », « Je te souhaite la bienvenue », « Je t’autorise », « Je te mets au défi », « Je t’ordonne », « Je te demande ».
8 Pour un exemple étoffe et représentatif de la tendance récente à traiter comme une catégorie spéciale et cruciale ces expressions à la première personne et au temps présent dans des verbes « de pensée » ou « d’action », voir S. Hampshire, Thought and Action, Londres, Chatto & Windus, 1959.
9 La documentation sur les enjeux liés à cette question est maintenant vaste ; on pourrait la résumer de manière générale en disant qu’on y trouve deux tendances distinctes et opposées, sans doute les plus influentes dans le monde philosophique de langue anglaise. Une tendance est l’analyse « formaliste » de la science, du langage et de la « connaissance ». Ce genre d’analyse favorise, d’une manière mitigée et raffinée, une position, opposée à celle que j’ai exprimée ici, qui nie l’irréductibilité ultime de notions comme, par exemple, « l’acte cérémoniel » et soutient plutôt une approche béhavioriste et physique du comportement humain. J’ai ici en tête le mouvement inspiré par les Principia Mathematica de Russell et de Whitehead et par les travaux du Cercle de Vienne. Les tendances les plus récentes et les plus spécifiques peuvent être illustrées par des anthologies classiques comme celle de H. Feigl et M. Brodbeck, Readings in the Philosophy of Science, New York, Appleton-Century-Crofts, 1953, et par la série « Minnesota Studies in the Philosophy of Science ». L’autre tendance a ses racines dans les travaux tardifs de L. Wittgenstein, de G. Ryle, de J. L. Austin, de P. F. Strawson, de John Wisdom et autres. Ces analystes se sont concentrés sur les langages naturels (et donc pas sur les langages « formels ») et ont d’une manière ou d’une autre soutenu que les approches « physiques-béhavioristes » de l’« esprit » et de l’« action » sont fondamentalement erronées. Ils ont élaboré de manière très détaillée des analyses alternatives qui, même si elles ne sont pas identiques, ont un air de famille, et qui établissent un écart logique radical entre le langage de l’« action », de l’« esprit » et tout aussi bien de ce que j’ai ici appelé l’acte cérémoniel, et, d’autre part, le langage mathématique-physique de la science de la physique.
10 Cette position est adoptée plus ou moins explicitement dans les divers ouvrages de Fung Yu-lan [en pinyin, Feng Youlan]. Le passage des Entretiens le plus explicite — pour tout dire, le seul passage entièrement explicite des Entretiens (XIII, 3) — est manifestement plus tardif que le noyau de l’ouvrage et en diffère par le contenu. Voir A. Waley, The Analects of Confucius, 1938, p. 172. Même là, le passage comme tel ne dit pas que les noms doivent « correspondre » aux « réalités » (Fung Yu-lan, A History of Chinese Philosophy, trad. Derk Bodde, vol. I, Princeton, Princeton University Press, 1952, p. 60) ; c’est aussi essentiellement l’interprétation de Zhu Xi dans son commentaire sur les Entretiens. Ce passage ne dit pas que les noms doivent être « en conformité avec la vérité » ni non plus que le langage doit « correspondre à ce qui est signifié » (Waley). Le texte dit simplement que les noms (ou le langage) doivent être concordants (ce qui est nécessaire, ou ce qui va ensemble). Mais ceci laisse une ambiguïté : le langage doit-il être concordant avec l’activité (li 理) dont il fait partie (« le prince étant un prince ») ou doit-il correspondre comme le nom avec la chose nommée ? À mon avis, la distinction n’était pas claire à l’origine et les deux sens étaient tacitement voulus. Même chez Xun zi, si l’on garde cette question à l’esprit, l’enjeu n’est pas formulé clairement d’une manière ou de l’autre ; il est cependant toujours lu comme s’il parlait assurément du nom et de la chose nommée. Mais ceci est dû en grande partie à notre parti pris occidental pour cette doctrine traditionnelle (maintenant généralement rejetée) de la manière selon laquelle le langage opère ; ce parti pris est corroboré par l’opinion analogue qui se développa en Chine et devint incorporée dans le commentaire orthodoxe. Dès que nous prenons conscience des fonctions cérémonielles et performatives du langage, les textes originaux commencent à être compris de manière différente.
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Mythe et philosophie à l'aube de la Chine impériale
Études sur le Huainan zi
Charles Le Blanc et Rémi Mathieu (dir.)
1992
La Chine imaginaire
Les Chinois vus par les Occidentaux de Marco Polo à nos jours
Jonathan D. Spence
2000