Conclusion
p. 213-216
Texte intégral
1Nous avons souhaité, dans cet ouvrage, présenter des témoignages de dirigeants et dirigeantes d’entreprise qui ont vécu une expérience de relève, tant sur le plan de la propriété que sur celui du leadership. Tous, sauf une, ont vécu une première transition. Certains d’entre eux s’apprêtent à en vivre une deuxième, mais cette fois-ci en tant que prédécesseur.
2Un message se dégage de ces témoignages : assurer la relève, la continuité de son entreprise, c’est peut-être difficile par moments... mais c’est faisable ! À preuve également, les 173 cas d’entreprises québécoises qui ont vécu au moins une transmission et qui ont participé à notre enquête. Ces gens ont-ils réussi ? Ils sont tous encore là pour en parler, ils ont donc réussi à assurer la continuité de l’entreprise. Considèrent-ils le transfert comme un succès ? Même si très peu ont répondu « non » ou « oui, mais », la plupart ont répondu « oui » sans équivoque. Les raisons pour lesquelles ils voient la transmission comme une réussite varient. Pour certains, le succès est relié à la famille, à son unité, à son harmonie, à la continuité de son patrimoine. Pour d’autres, il dépend plutôt de la performance de l’entreprise, par exemple, de la croissance de son chiffre d’affaires. Le succès se mesure en fonction des objectifs que l’on se fixe, des priorités que l’entrepreneur et sa famille ont établies.
3La notion d’objectifs à établir qui servent à mesurer le chemin parcouru nous amène à l’étape importante de la planification du transfert. Elle pourrait justement s’amorcer par une réflexion sur la vision familiale du succès. Que souhaitons-nous en tant que famille ? Est-il important de conserver l’entreprise ? Cette dernière doit-elle véhiculer nos valeurs ? Quelles sont ces valeurs ? Et quels moyens devons-nous prendre pour réaliser nos ambitions à ce chapitre ? L’étude réalisée auprès des 173 dirigeants révèle l’existence d’un lien entre les difficultés associées au transfert et la planification, ce qui renforce le point de vue véhiculé par plusieurs sur son importance.
4Notre enquête nous apprend que la majorité des entrepreneurs interrogés avaient planifié certains éléments du transfert. Plus de la moitié d’entre eux avaient contracté des assurances personnelles, avaient fait un testament, effectué un gel successoral ou mis sur pied une fiducie et avaient déjà accueilli le successeur dans l’entreprise au moment du transfert. Plus du tiers des entrepreneurs avaient aussi choisi le successeur, établi un rôle satisfaisant pour le prédécesseur et prévu des assurances pour payer les impôts de la succession. Toutes ces mesures, bien que simples en apparence, supposent qu’une réflexion sur la continuité était amorcée, réflexion qui constitue le premier gage de succès du processus de transmission.
5La relève est un processus à long terme, évolutif et vivant. Ce qui semble la meilleure solution à un moment donné, dans certaines circonstances, peut différer, deux ans, cinq ans plus tard, quand de nouvelles personnes se joignent à la famille, quand d’autres la quittent. Une bonne planification doit s’adapter à d’éventuels changements, permettre une certaine souplesse, si on veut maximiser les chances de réaliser la continuité.
6Mais qu’est-ce que la continuité ? Nancy Drozdow, chercheuse américaine dans le domaine des entreprises familiales, tente de répondre à cette question dans son article intitulé « What is continuity1 ? ». La richesse de sa contribution repose sur la diversité des définitions de la continuité quelle présente. Selon elle, toute entreprise possède un certain nombre d’éléments qui la caractérisent : propriété totale ou partielle aux mains d’une famille, leadership familial ou non, présence ou non d’employés membres de la famille, mission, culture, stratégie. Le choix du mode de continuité d’une entreprise devrait se définir de façon souple, en ce qui a trait au maintien d’une, de plusieurs ou de toutes ces caractéristiques. Si, de façon réaliste, la continuité ne peut être assurée sur tous les plans, quels éléments seront sauvegardés au moment du transfert et lesquels seront sacrifiés ? Par exemple, si c’est la continuité dans la mission de l’entreprise et sa culture qui est considérée comme primordiale, celle-ci pourrait être vendue à des tiers qui adhèrent aux mêmes objectifs et valeurs : le dirigeant serait assuré qu’une partie essentielle de son œuvre lui survivrait, et sa retraite serait assurée.
Dans un autre cas, l’entreprise pourrait être scindée en deux entreprises indépendantes à la tête desquelles se retrouveraient deux frères ou sœurs qui, au sein d’un même conseil d’administration, ne feraient que se nuire parce qu’ils ont des visions opposées de l’entreprise ou parce qu’ils vivent une relation personnelle difficile depuis la naissance, mais qui, séparément, pourraient réussir. Le partage de l’entreprise en tant que patrimoine familial serait équitable, et chacune des entreprises pourrait conserver ou non un caractère familial2.
7Parmi les témoignages que nous avons examinés, la transmission du Groupe Pierre Belvédère de Pierre Desmarais à Guy Bélanger a permis une continuité dans la mission et personne n’oserait nier la pérennité de cette entreprise. Le cas d’Outillage et soudure Beauvais est aussi révélateur. La famille de Pierre Jutras en est à la troisième génération de dirigeant d’entreprise. Mais Outillage et soudure Beauvais en est à la sixième génération. Quand Pierre Jutras a acquis les deux tiers des parts d’Outillage et soudure Beauvais, Jean Beauvais représentait la quatrième génération impliquée dans cette entreprise familiale. Joseph Beauvais, fondateur, était l’arrière-grand-père de Jean. Même si, aujourd’hui, aucun Beauvais ne travaille dans l’entreprise et n’en détient des titres de propriété, la continuité de l’œuvre de Joseph Beauvais ne fait aucun doute. Il importe à chaque dirigeant et à sa famille d’identifier d’abord ses priorités à cet égard, de trouver sa vision de la continuité, étape essentielle pour ensuite poser les jalons d’une planification qui favorise la pérennité de l’entreprise familiale.
Notes de bas de page
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
L'éducation aux médias à l'ère numérique
Entre fondations et renouvellement
Anne-Sophie Letellier et Normand Landry (dir.)
2016
L'intégration des services en santé
Une approche populationnelle
Lucie Bonin, Louise Belzile et Yves Couturier
2016
Les enjeux éthiques de la limite des ressources en santé
Jean-Christophe Bélisle Pipon, Béatrice Godard et Jocelyne Saint-Arnaud (dir.)
2016
La détention avant jugement au Canada
Une pratique controversée
Fernanda Prates et Marion Vacheret (dir.)
2015
La Réussite éducative des élèves issus de l'immigration
Dix ans de recherche et d'intervention au Québec
Marie McAndrew (dir.)
2015
Agriculture et paysage
Aménager autrement les territoires ruraux
Gérald Domon et Julie Ruiz (dir.)
2014