Thème 1. La planification des ressources humaines
p. 29-45
Texte intégral
FACTEURS CRITIQUES DE SUCCÈS
1La planification des ressources humaines est une activité centrale souvent négligée au sein des organisations publiques. Cela s’explique sans doute en partie par l’énergie et les ressources que son élaboration et sa mise en œuvre requièrent. D’un côté, son objet est beaucoup plus stratégique qu’opérationnel, et d’un autre, son horizon d’intervention vise davantage le moyen et le long terme que le court terme. Ce faisant, compte tenu des multiples problèmes opérationnels liés au court terme auxquels sont confrontés les responsables de la fonction ressources humaines, il est compréhensible qu’ils soient peu enclins à s’attaquer à une activité de planification exigeante.
2D’abord, il faut savoir que cette activité de planification a comme fonction d’assurer une adéquation symétrique entre les caractéristiques et les potentialités des ressources humaines, de même qu’avec les objectifs de l’organisation. De fait, elle vise à ce que l’organisation puisse toujours compter sur un personnel qualifié et compétent, afin que non seulement elle remplisse sa mission avec efficacité et efficience, mais aussi qu’elle soit en mesure de s’adapter à l’évolution de son environnement. Dans la perspective du personnel, cela signifie que l’organisation peut répondre à leurs besoins très légitimes de se réaliser et de se développer.
Il faut savoir que cette activité de planification a comme fonction d’assurer une adéquation symétrique entre les caractéristiques et les potentialités des ressources humaines, de même qu’avec les objectifs de l’organisation. □
3D’emblée, disons que les facteurs critiques de succès propres à cette activité de planification sont liés au soutien de la haute direction, au processus d’élaboration de son contenu, à la façon dont elle est mise en œuvre et, finalement, à son évaluation. Seule l’activité de planification des ressources humaines qui prend appui sur un soutien concret et tangible de la haute direction donne les bénéfices escomptés. En ce sens, une des premières contributions concrètes de la haute direction consiste à réaliser une planification stratégique. En effet, il est absolument primordial que la planification des ressources humaines soit étroitement liée à la planification stratégique de l’organisation. Cela revient à dire qu’il paraît presque inutile d’entreprendre cette activité si l’organisation ne dispose pas déjà d’un plan stratégique. Une planification efficiente des ressources humaines repose sur un consensus, le plus large possible, quant à la compréhension de la mission, des orientations et des objectifs de l’organisation. De surcroît, il est obligatoire qu’elle s’articule autour d’une vision partagée de l’organisation. L’idéal est sans doute que ces deux planifications se suivent de près, ou même se fassent conjointement.
4En second lieu, la haute direction doit établir une politique en matière de gestion des ressources humaines. En soi, cette dernière identifie clairement la place que l’on veut donner aux ressources humaines dans l’organisation, la philosophie qui va guider son type de gestion, et surtout ce qu’on entend offrir au personnel et qu’on espère en recevoir. Cette politique doit être approuvée, partagée, défendue et concrètement appliquée par le plus grand nombre possible de hauts dirigeants, si ce n’est par tous.
5Dans l’élaboration du contenu de la planification des ressources humaines, la participation est un élément de base auquel on ne peut déroger, sous peine de ne récolter qu’un succès mitigé, voire un échec total lors de sa mise en œuvre. En effet, les besoins des employés doivent être véritablement pris en compte, tout autant que les attentes des cadres des différents paliers hiérarchiques. En fait, il s’agit d’arriver à mettre en place des orientations pertinentes et réalistes qui collent à la réalité de l’organisation. Ajoutons également que cette planification peut être concoctée par un groupe restreint de personnes. Cependant, sa réalisation et sa réussite dépendent indubitablement et toujours de la contribution positive de tout le personnel de l’organisation.
6En conséquence, les trois mots d’ordre de toute activité de planification sérieuse doivent être PARTICIPATION, PARTICIPATION, PARTICIPATION. Plus cette participation se veut de qualité, et plus les diverses phases de la planification conviennent aux intervenants qui adhèrent et contribuent facilement à la réalisation des programmes d’action et à leur succès. Bien sûr, l’obligation de rendre une telle participation opérationnelle et efficace demande beaucoup d’énergie et également un grand doigté. Il ne faut pas viser à la réduire à sa plus simple expression, laissant ainsi l’impression qu’il y a eu seulement de l’information. Par contre, il ne faut pas non plus aller trop loin, en consultant, par exemple, des employés sur des éléments qui ne les touchent pas et ne les intéressent pas vraiment. À la limite, dans les deux situations, le résultat serait le même et la participation n’apporterait pas les bénéfices escomptés, rendant ainsi la mise en œuvre de la planification très difficile.
Les trois mots d’ordre de toute activité de planification sérieuse doivent être PARTICIPATION, PARTICIPATION, PARTICIPATION. □
7De plus, pour faire des choix éclairés, les planificateurs doivent pouvoir compter sur un système d’information des ressources humaines le plus exhaustif et le plus précis possible. D’une part, des données détaillées, mais surtout à jour, doivent être disponibles sur chaque employé et sur chaque poste. En d’autres termes, les descriptions des postes et les spécifications propres à chaque emploi sont toutes deux indispensables.
8D’autre part, des informations supplémentaires doivent également être colligées en rapport avec la réalisation des différentes activités de la gestion des ressources humaines (recrutement, formation, mobilisation, évaluation du rendement, gestion de l’absentéisme, relation de travail, etc.). Ce système d’information va permettre de dégager des prévisions concernant l’offre et la demande internes des ressources humaines. Par conséquent, la qualité de l’information disponible aura un impact direct sur la justesse des orientations retenues et sur les choix faits dans le cadre de l’élaboration de la planification des ressources humaines.
9Le travail de planification s’attarde aussi beaucoup à l’environnement externe particulier qui modèle non seulement l’offre mais aussi le système de valeurs de la main-d’œuvre. Ainsi donc, la place occupée par le travail dans ce système de valeurs va avoir une incidence marquée sur les caractéristiques de l’offre externe de la main-d’œuvre, mais également sur la relation que l’organisation pourra établir avec son personnel. Par exemple, de nos jours, on ne peut prendre pour acquis que le travail soit l’unique moyen de réalisation individuelle pour l’ensemble des employés. Si la planification des ressources humaines n’en tient pas compte, elle ne devra pas se surprendre d’avoir de graves problèmes liés au rendement, à la mobilisation, au taux de roulement, etc. du personnel.
10Quant à ce qui a trait à la mise en œuvre de cette planification des ressources humaines, une approche systémique doit toujours être privilégiée. En effet, toutes les activité de la fonction ressources humaines doivent toujours être considérées concurremment dans la planification des ressources humaines, et ce tout autant en ce qui touche l’élaboration de son contenu, qu’en ce qui concerne sa réalisation. La réussite de la mise en place de la planification passe par l’addition d’actions fermes et concertées, de même que par le cumul de résultats concrets obtenus dans chacune des activités.
11Finalement, il faut procéder à une évaluation périodique structurée de l’évolution de la planification des ressources humaines. Sans cette évaluation, la planification risque d’être moins efficiente, pour ne pas dire inopérante. Comme on s’intéresse à un horizon temporel de moyen et de long terme, les conditions rassemblées afin d’élaborer le contenu de la planification risquent d’évoluer au point de remettre carrément en question les objectifs établis et les choix effectués. Sans une stratégie émergente qui considère les aléas du temps, la planification des ressources humaines, au lieu de conduire l’organisation à bon port, c’est-à-dire à la réalisation de sa mission, risque plutôt de l’en éloigner.
12Une gestion par résultats est d’un grand secours dans cette opération d’évaluation. En effet, elle permet de suivre l’évolution de la stratégie déployée par rapport aux objectifs fixés et, ainsi donc, d’établir périodiquement l’état de réalisation de ceux qui sont compris dans la planification des ressources humaines.
13Voilà pour l’évaluation du contenu de la planification, mais il ne faut pas oublier non plus d’évaluer le processus qui en a permis l’élaboration. En effet, il est reconnu par tous les experts que la façon dont le contenu de la planification est élaboré a une influence majeure directe sur la réussite de sa mise en œuvre par les intervenants. Ce processus doit donc être évalué afin d’en assurer l’efficacité. Le degré de consensus atteint et l’appropriation de ce contenu par le personnel sont des critères à retenir dans la conduite de cette évaluation.
1.1 LA PLANIFICATION DES RESSOURCES HUMAINES À LA VILLE DE L’AVENIR
Mise en situation
Les récentes restrictions budgétaires imposées à la ville de l’Avenir par le gouvernement provincial forcent les administrateurs du Conseil municipal à réduire les effectifs. Les 55 ans et plus sont invités à prendre une retraite anticipée. Le climat de travail est tendu.
Un consultant externe est appelé à évaluer la situation afin que la ville dispose des ressources humaines nécessaires et compétentes pour répondre à ses besoins actuels et futurs, et continue de satisfaire les attentes des citoyens. Il recommande qu’un processus de planification des ressources humaines soit mis en place.
14La ville de l’Avenir est une ville située en banlieue de Montréal. Elle est régie par la Loi sur les cités et villes du Québec. Sa superficie, qui s’étend sur 74 kilomètres carrés, se caractérise surtout par de vastes quartiers résidentiels. Un parc industriel, regroupant actuellement 542 entreprises est également en pleine expansion sur son territoire. Plus de 90 % de sa population est francophone. Propriétaires à 82 %, les familles de l’Avenir ont un revenu supérieur à 50 000 $ dans une proportion de 64 %.
15Un nouveau conseil municipal a été élu lors des récentes élections. Le parti politique vainqueur a mené sa dernière campagne électorale sur le slogan suivant :
L’Avenir, une ville où il fait bon vivre et s’épanouir
16De fait, ce nouveau conseil municipal veut améliorer la qualité de vie des citoyens tant par l’augmentation des activités culturelles, sociales et sportives que par l’ajout d’espaces verts et de pistes cyclables.
17Sous la Direction générale, l’organigramme présente quatre grandes directions :
la Direction du développement résidentiel et industriel ;
la Direction des loisirs, des sports et de la culture ;
la Direction de la protection et de la sécurité publiques ;
la Direction de l’hygiène et des travaux publics.
18L’organisation dispose d’un budget annuel de fonctionnement important dont le tiers est réservé à la rémunération et aux avantages sociaux des employés. Une politique de formation stipule qu’un montant équivalent à 0,6 % de la masse salariale doit être consacré au développement professionnel des employés. De plus, les employés bénéficient d’activités de formation sur le tas. La majorité d’entre eux font preuve d’intérêt et d’engagement dans le développement de leurs compétences.
19Près de 450 employés travaillent à la ville de l’Avenir. On y retrouve des cadres, des cols bleus, des policiers et des pompiers. Trois unités syndicales représentent ces employés : les cols bleus et les cols blancs sont affiliés au Syndicat canadien de la Fonction publique, les policiers à la Fédération des policiers du Québec, et les pompiers au Syndicat des pompiers du Québec.
20Les employés n’ont reçu aucune augmentation de salaire depuis trois ans, et seulement quelques-uns d’entre eux ont bénéficié d’une promotion. Le taux de roulement du personnel est quasi inexistant, même si un climat d’insatisfaction et de morosité commence à s’installer au sein du personnel. Les récentes réductions annoncées par le gouvernement du Québec dans le transfert des budgets et des responsabilités aux villes et municipalités inquiètent les employés qui craignent que leur sécurité d’emploi ne soit remise en question dans sa forme actuelle. Pourtant, chacune des conventions collectives comporte une clause spécifique qui les protège à cet égard.
21De fait, en raison de ces importantes restrictions budgétaires imposées par le gouvernement provincial, la ville de l’Avenir doit réduire sa masse salariale, de même que les budgets consacrés aux avantages sociaux des employés. Pour ce faire, les administrateurs du conseil municipal songent à offrir aux employés de 55 ans et plus une indemnité de départ dans le but de favoriser un nombre significatif de retraites anticipées. Avant de procéder à l’annonce de ce projet, les administrateurs veulent analyser l’impact d’une telle décision sur le maintien des services à la population puisqu’il va sans dire que ces employés ne pourront être remplacés par du nouveau personnel à court et moyen termes. Une telle décision nécessiterait plutôt un processus de planification des ressources humaines et une réorganisation des fonctions du personnel en place.
22Pour avoir un portrait exact de la situation, le conseil municipal a mandaté un consultant externe. Ce dernier vient de soumettre son rapport ; il porte à l’attention du conseil municipal les constatations suivantes concernant chacune des directions.
23La Direction du développement résidentiel et industriel compte 37 cols blancs et 84 cols bleus. Les cols blancs sont des cadres intermédiaires syndiqués et des professionnels (ingénieurs, dessinateurs, techniciens en aménagement paysager et arpenteurs). Selon le consultant, le départ des huit cols blancs qui seraient admissibles à une retraite anticipée ne compromettrait pas le maintien de l’expertise dans chacun des domaines, et la charge de travail des personnes susceptibles de quitter l’organisation pourrait être redistribuée aux autres professionnels de la direction. Par ailleurs, en raison de changements technologiques récemment implantés et de l’achat d’équipements plus performants, les cols bleus seraient maintenant trop nombreux. Ceux qui resteraient pourraient, par conséquent, absorber et assumer les tâches effectuées par ceux qui quitteraient la ville dans le cadre du programme de retraite anticipée.
24La Direction des loisirs, des sports et de la culture regroupe les plus jeunes employés de la ville. Seuls un administrateur et une secrétaire répondent aux critères du programme de retraite anticipée. Cependant, en raison de la mission que s’est donnée ce nouveau conseil municipal, il est à prévoir que des besoins additionnels se manifesteront pour le développement, la planification et le marketing de nouvelles activités culturelles, sociales et sportives. De plus, la construction en cours d’un nouveau centre sportif justifiera l’ajout de deux postes de coordonnateurs d’activités sportives.
25La Direction de la protection et de la sécurité publiques, en grande majorité composée de policiers et de pompiers, atteint actuellement un équilibre entre le nombre d’employés requis et le nombre de postes prévus à l’organigramme. Quatre pompiers pourraient se prévaloir de la retraite anticipée. Seules deux personnes de cette direction ont toutefois déjà reçu la formation pour assurer la relève.
26C’est la Direction de l’hygiène et des travaux publics qui serait la plus fortement touchée par les offres potentielles aux employés. Voici les détails de la situation :
cette direction comprend 172 employés, et leur moyenne d’âge est de 41 ans ;
14 employés de cette direction sont âgés de 55 ans et plus ;
le ratio âge-ancienneté indique que ces employés sont susceptibles de s’absenter plus souvent pour cause de maladie ;
une grande proportion de ces employés est en vacances pour des périodes de six semaines par année ;
l’accroissement du développement résidentiel et industriel nécessite l’ajout de deux opérateurs d’appareils motorisés, aucun employé actuellement en poste ne pouvant être affecté à ces tâches (un permis de conduire de classe 3 est exigé pour conduire ce genre de machinerie) ;
le nombre d’employés affectés à la collecte des ordures devra être réduit en raison d’une récente entente signée avec un organisme communautaire du milieu qui assumera le ramassage des objets recyclables ;
la majorité des employés de cette direction sont des journaliers dont on ne connaît pas les compétences spécifiques permettant de stipuler qu’ils pourraient assumer d’autres fonctions.
27Selon le consultant, une mesure incitative de mise à la retraite anticipée des employés permettrait aux administrateurs de la ville de l’Avenir de réaliser l’objectif de réduction de la masse salariale et des avantages sociaux. Cependant, dans certaines directions, et plus particulièrement dans certains secteurs d’activités, les services à la population pourraient être compromis et, dans certains cas, la charge de travail des employés deviendrait inéquitable. Par conséquent, pour rétablir l’équilibre, il faudrait miser sur l’intérêt de certains employés à développer de nouvelles compétences, et sur l’acceptation de certains autres à augmenter leur charge de travail actuelle. Dans ses rencontres avec les employés, le consultant a observé que la plupart d’entre eux sont intéressés à développer de nouvelles compétences pour obtenir une promotion ou pour occuper des fonctions plus stimulantes. Le consultant recommande qu’un processus de planification des ressources humaines soit mis en place afin de préparer la relève à occuper efficacement les postes qui deviendraient éventuellement vacants.
28Le conseil municipal de l’Avenir, saisi de la question, décide de suivre les recommandations de ce consultant et lui donne le mandat de procéder à la mise en place d’un processus complet de planification des ressources humaines.
***
29Vous occupez un poste important à la ville de l’Avenir et vous avez été désigné pour piloter ce dossier. Il vous revient donc de travailler étroitement avec le consultant externe et de veiller à ce que toutes les étapes de ces deux processus soient suivies.
1.2 LA PLANIFICATION DE LA RELÈVE DANS LE DIOCÈSE DE LA SAINTE-TRINITÉ
Mise en situation
Le diocèse de la Sainte-Trinité a amorcé une réflexion sur sa mission d’évangélisation et sa vocation communautaire. Mais certains indices, tels que le faible taux d’ordination et la diminution importante du nombre de pratiquants, laissent présager qu’il sera difficile de combler les postes vacants.
En vue d’une réorganisation complète des paroisses du diocèse de la Sainte-Trinité visant à revitaliser les communautés chrétiennes, Monseigneur Monast aimerait élaborer et mettre en œuvre un processus de planification des ressources humaines, et plus particulièrement un programme de planification de la relève qui découlerait du plan stratégique du diocèse.
30La cérémonie du baptême venait de se terminer et le bébé s’était époumoné une bonne partie de la célébration. En enlevant sa soutane, l’évêque du diocèse de la Sainte-Trinité, Mgr Jean Monast, songea qu’un chrétien de plus dans son diocèse (et un qui ne manquait pas de vitalité !) était toujours ça de gagné, même si les chances qu’il devienne prêtre ou même un chrétien pratiquant étaient minces. La relève est un sujet qui préoccupe beaucoup Mgr Monast, d’autant plus qu’il aura 65 ans dans quelques semaines et que la tête de ses collègues de travail n’est pas moins blanche que la sienne.
31Depuis un an, le diocèse de la Sainte-Trinité a amorcé une réflexion en vue d’une réorganisation complète des paroisses catholiques du territoire. L’opération de planification stratégique intitulée « La paroisse du nouveau millénaire » est un exercice de réflexion démocratique qui vise le réaménagement de la paroisse afin de mieux réaliser sa mission d’évangélisation et de devenir davantage communautaire. L’opération se divise en plusieurs thèmes qui guident la réflexion en vue de revitaliser les communautés chrétiennes : la naissance et la croissance de la foi, la fraternité, l’engagement au cœur du monde et la célébration du mystère du salut. La gestion des ressources humaines est au cœur de cette réflexion. Afin d’assurer la relève et de répondre aux besoins de la population, Monast a formé un comité composé de membres des différentes paroisses de son diocèse.
32Le diocèse comprend cinq paroisses qui desservent une population de 70 000 personnes, dont 85 % se déclarent catholiques. La définition du catholique d’aujourd’hui a toutefois beaucoup changé. Mgr Monast est conscient que l’Église catholique n’a plus tellement la cote dans sa forme traditionnelle. Les changements sociaux économiques tels qu’un niveau de scolarisation plus élevé, la valorisation de l’individu et de la liberté individuelle au détriment de la communauté, l’urbanisation et la transformation du citoyen en consommateur, ont des effets importants sur la fréquentation de l’église, l’implication des paroissiens et le sentiment d’appartenance à la paroisse. Mgr Monast se souvient d’un sondage commenté dans La Presse du 11 avril 1997, réalisé par SOM auprès d’un échantillon représentatif de la population du Québec qui n’avait que confirmé ce qu’il avait déjà observé dans son propre diocèse, soit une faible participation des citoyens aux offices religieux (annexe A). Mgr Monast est d’avis, entre autres, que les gens assument leur foi d’une façon beaucoup plus personnelle, et que celle-ci n’est pas nécessairement concrétisée par une assiduité à l’office religieux. Il croit aussi que les groupes religieux comme les témoins de Jéhovah, les adventistes, les évangélistes et les baptistes concurrencent l’Église catholique.
33Mgr Monast est aussi soucieux des finances du diocèse, car les revenus des paroisses sont de plus en plus faibles, alors que les dépenses sont restées les mêmes. Les revenus des dîmes et des quêtes ont diminué (annexe B), et plusieurs paroisses ont épuisé le capital qu’elles avaient accumulé dans les bonnes années. Les frais d’entretien des édifices patrimoniaux, ainsi que la rémunération des ressources humaines constituent des dépenses importantes que les paroisses arrivent tant bien que mal à couvrir par un contrôle budgétaire serré du diocèse et par la vente de certains terrains et presbytères qui permettent d’assurer un fonds de capital générant des revenus d’intérêt. Les heures de travail de certains employés ont aussi été diminuées.
34Les ressources humaines dont disposent les différentes paroisses des diocèses sont des prêtres, des employés qui réalisent différentes tâches administratives ou d’entretien, des agents de pastorale et des bénévoles. Au cours des années, afin de pallier la diminution du personnel religieux qui s’occupait des affaires de la paroisse, des laïcs ont été employés pour réaliser différentes tâches telles que le secrétariat et la formation. Les agentes et agents de pastorale sont aussi des employés rémunérés et, dans le diocèse de la Sainte-Trinité, ils sont aussi nombreux que les prêtres. Ils reçoivent un salaire de 20 000 $ à 35 000 $ par année et possèdent au minimum un certificat d’études universitaires en pastorale. Ce sont des catholiques pratiquants et ont souvent à leur actif plusieurs années de bénévolat, avant de devenir des employés rémunérés par les fabriques1. Ils sont souvent mandatés seulement pour un an par l’évêque. Enfin, certains bénévoles s’occupent de la gestion financière et administrative, de la liturgie et des initiations reliées aux différents sacrements, à l’entretien et à la réparation des lieux de culte, etc.
35Le vieillissement des prêtres actifs (tableau 1) et la diminution graduelle de leur nombre due à la faible proportion de nouveaux prêtres qui embrassent la profession (tableau 2) consument des défis de taille pour l’Église en général, et pour Mgr Monast en particulier. De plus, le droit canonique exige qu’il y ait un prêtre par paroisse mais, en réalité, certains prêtres œuvrent dans plus d’une paroisse à la fois et il est à prévoir que, d’ici quelques années, les prêtres qui seront à la tête de paroisses ne s’y présenteront pas aussi souvent qu’avant.
36Compte tenu des changements qui se sont opérés dans la société et des besoins nouveaux des personnes, Mgr Monast prévoit que le nombre des agents de pastorale devra inévitablement augmenter afin de combler les absences des prêtres. Malheureusement, leur rôle dans l’Église n’est pas valorisé. Premièrement, leur statut est précaire et on ne leur accorde que des mandats d’un an, ce qui ne favorise ni la stabilité, ni la continuité dans l’organisation. Deuxièmement, plusieurs agents de pastorale sont des femmes actives dans leur paroisse. Elles ont dû se battre pour accéder à ces postes et acquérir davantage de responsabilités. Malgré les rôles importants qu’elles jouent au sein de l’Église, il est clair qu’elles ne pourront pas accéder à la prêtrise de sitôt. Mgr Monast voudrait donner plus de place aux femmes, car il sait que cela serait bénéfique au diocèse. Mais combien de fois a-t-il subi les foudres du cardinal pour avoir seulement tenté d’aborder le sujet ! Troisièmement, plusieurs membres de l’Église ne veulent pas donner trop de pouvoir aux laïcs dans l’Église.
37Pourtant, selon Mgr Monast, la présence des agents de pastorale dans un diocèse contribue à l’émergence d’idées nouvelles et propices à augmenter l’attrait que l’Église exerce sur une population qui croit aux valeurs véhiculées par la religion catholique, qui cherche à vivre une forme de spiritualité, mais qui estime que l’Église dans sa forme actuelle ne répond pas à ses besoins. Par conséquent, Mgr Monast croit que le processus de planification stratégique « La paroisse du nouveau millénaire » est essentiel pour déterminer des orientations et mettre en place une approche de gestion des ressources humaines qui accorde une grande importance à la relève.
38En se dirigeant vers la grande véranda qui entoure le presbytère, Mgr Monast réalisa que tout était bien calme pour un dimanche après-midi. Assis confortablement dans sa vieille chaise berçante, Mgr Monast se souvint du temps où la religion catholique était au cœur des diverses institutions sociales comme la santé, l’éducation, les services sociaux, et même de la vie politique. Il était convaincu que la religion avait encore sa place au sein de la vie des gens, et il n’était pas du genre à baisser les bras. Il croyait possible de transformer les vieilles institutions pour combler le fossé entre l’Église et la masse des catholiques. Il se disait : « Ce ne sont pas les gens qui ont perdu la foi, mais l’Église qui n’a pas su être à l’écoute des changements de la société. »
Tableau 1. Âge des prêtres diocésains en 1996, 2001, 2004 dans le diocèse de la Sainte-Trinité

Tableau 2. Nombre de prêtres dans le diocèse de la Sainte-Trinité
Année | Prêtres diocésains incardinés1 | Prêtres diocésains non incardinés2 | Prêtres religieux3 | Total |
1981 | 167 | 0 | 100 | 267 |
1986 | 151 | 0 | 82 | 233 |
1991 | 140 | 0 | 88 | 228 |
1996 | 130 | 6 | 52 | 188 |
1997 | 129 | 6 | 47 | 182 |
1. Un prêtre diocésain incardiné relève directement d’un évêque et il est au service de l’Église diocésaine à plein temps. Il n’est membre d’aucun ordre religieux ni d’aucun autre diocèse.
2. Un prêtre diocésain non incardiné est un prêtre diocésain qui obtient la permission de l’évêque de son diocèse d’œuvrer dans un autre diocèse sans être incardiné dans ce diocèse.
3. Un prêtre religieux ne fait patrie d’aucun diocèse mais relève d’une communauté religieuse comme les rédemptoristes, les missionnaires d’Afrique, les capucins, les dominicains et dont le supérieur est un prêtre. Il relève uniquement de ses supérieurs de la communauté.
39Il se mit donc à réfléchir à quelques options qui pourraient aider l’Église à retrouver son image d’antan.
Premièrement, Mgr Monast se dit qu’il pourrait se consacrer à la consolidation du nombre actuel de pratiquants. Toutefois, cette option risquerait de faire disparaître quelques paroisses en raison, entre autres, de l’absence d’une relève adéquate.
Mgr Monast aimerait aussi augmenter le nombre de vocations sacerdotales, mais il sait que la relève est difficile à assurer. Peu de jeunes hommes sont prêts à faire le grand saut. De plus, le sacerdoce pour les femmes et les personnes mariées n’est pas envisageable, ni à court ni à moyen terme. Le bassin de recrues n’est donc pas très grand et les chances de voir augmenter le taux d’ordination au Québec est faible.
Mgr Monast songe aussi au regroupement du personnel par la fusion des paroisses. Cette fusion permettrait de mettre en commun les ressources financières, matérielles et humaines, et d’utiliser les économies créées par la diminution des dépenses pour l’embauche de nouveaux agents de pastorale, et l’amélioration de leurs conditions de travail, le recrutement et la formation de bénévoles. Le diocèse pourrait ainsi offrir un plus grand nombre de services dans toutes les paroisses et assurer une meilleure cohérence dans le diocèse. Mais, là-dessus, Mgr Monast estime qu’il faudra demeurer prudent : il se souvient de son dernier repas avec ses collègues des autres diocèses et de leur crainte de voir le pouvoir de l’Église transféré aux mains d’un groupe de laïcs.
Le bénévolat représenterait aussi une option intéressante. Mgr Monast se dit que les catholiques sont encore assez nombreux pour offrir une aide considérable. Il pense qu’il faudrait éveiller davantage les paroissiens au rôle qu’ils pourraient jouer au sein de l’Église. Selon lui, la participation des citoyens aux activités de l’Église correspond à sa mission d’évangélisation. Le recrutement, la formation et la supervision des bénévoles constituent des défis de taille pour l’Église, mais ils ont toujours occupé une place importante au sein des paroisses, et ils représentent un bassin de ressources humaines non négligeable pour assurer le bon fonctionnement et la pérennité de l’Église.
***
40En se levant pour aller souper, Mgr Monast se dit qu’il aimerait évaluer ces quelques options avec quelqu’un qui s’y connaît en matière de planification des ressources humaines. Il vous a donc demandé de l’aider dans sa réflexion et dans la démarche à mettre en œuvre.
Annexe
Annexe A. Sondage SOM - La Presse
Résultats du sondage en réponse à la question : Depuis 1 an, combien de fois avez-vous assisté à un office religieux ?

Source : Béliveau, Jules, « Pas facile de transmettre des valeurs à ses enfants », La Presse, samedi 11 avril 1997, B4.
Annexe B. Évolution du montant des quêtes et dîmes prélevées dans la paroisse depuis 10 ans
Années | Quêtes | Dimes | Total |
1990 | 42 517 | 49 268 | 91 785 |
1991 | 44 588 | 46 693 | 91 281 |
1992 | 49 821 | 56 848 | 106 669 |
1993 | 42 068 | 57 135 | 99 203 |
1994 | 39 489 | 49 462 | 88 951 |
1995 | 38 118 | 52 438 | 90 556 |
1996 | 32 548 | 52 153 | 84 701 |
1997 | 32 783 | 45 570 | 78 353 |
Notes de bas de page
1 La fabrique est un groupe de clercs et de laïcs qui veillent à l’administration des biens d’une église.
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