L’université moderne et la société des connaissances
p. 203-229
Texte intégral
1C’est d’abord comme étudiant au Département de sociologie de l’Université de Montréal que j’ai connu Guy Rocher. Au début des années 1960, en pleine mouvance de ce qui fut appelé la Révolution tranquille, le moment était très propice à entreprendre des études en sciences sociales, tout particulièrement en sociologie. Un nouveau directeur de département entrait en fonction, Guy Rocher, de nouveaux professeurs se joignaient au corps professoral, dont Colette Carisse et Robert Sévigny, et la sociologie, à l’instar des sciences sociales, entrait dans une période de forte croissance des effectifs étudiants et de mutation importante au sein de l’université. J’ai été de ceux qui ont suivi avec attention et beaucoup d’admiration ce magistral cours d’introduction à la sociologie que Guy Rocher a ensuite traduit en un ouvrage, remarquable et remarqué, de sociologie générale.
2Puis, après des études doctorales à l’étranger, c’est en tant que professeur et chercheur que je suis devenu collègue de Guy Rocher au sein du même département. À partir de nos trajectoires de carrière différenciées, Guy Rocher et moi avons le plus objectivement partagé, je le constate encore plus clairement aujourd’hui, le terrain universitaire lui-même. Sur une période de plus de 45 ans maintenant, l’université, où nous avons et l’un et l’autre assumé différents rôles, a bien sûr évolué. Ce terreau riche en développements et expériences de toutes sortes reste toutefois bel et bien celui que nous partageons toujours. Au moment où cet ouvrage d’hommages et de témoignages offert à Guy Rocher était encore un projet, je n’ai donc pas été surpris outre mesure que les responsables me confient, comme terrain de rencontre intellectuelle avec ce collègue et ancien professeur, le soin d’offrir un regard d’ensemble sur ses écrits consacrés à l’Université.
3Je compte m’inscrire en dialogue avec Guy Rocher sur la complexe problématique du rôle de l’université, surtout celle de l’après-Révolution tranquille. Il s’agira alors d’un dialogue avec un fin analyste, bien conscient des multiples défis que doit relever cette institution, mais aussi avec un universitaire profondément inquiet quant à la capacité de cette dernière à maîtriser les forces sous-tendant sa présence au sein de la société des connaissances. Guy Rocher consacre à cette institution, bien située dans le temps et l’espace en tant qu’« idéal type » de l’université moderne, deux types d’écrits : des analyses plus en profondeur et des prises de position, au style volontairement plus tranché et polémique, lors de colloques consacrés à divers enjeux universitaires. Cette institution, avec ses mutations et son évolution, est celle que j’ai connue comme étudiant et professeur ; c’est en son sein que j’ai aussi œuvré, pendant plus de 10 ans, comme gestionnaire au niveau de l’administration centrale et comme représentant institutionnel, tout spécialement des études supérieures, de l’Université de Montréal.
4M’inscrire en dialogue signifie tout d’abord rappeler les lignes de force d’une pensée stimulante et originale qui cherche, à l’aide d’écrits qui s’échelonnent dans le temps, à donner sens à l’évolution du rôle de l’université en tant qu’institution centrale de notre collectivité. Il est vrai que, ce faisant, je choisis de mettre davantage en exergue cette facette du regard que Guy Rocher porte sur l’université contemporaine. Ce choix obéit à une double rationalité ; celle, tout d’abord, de retenir, dans un ensemble relativement abondant de textes, les thèmes les plus récurrents et, partant, ceux qui sont traités le plus en profondeur ; celle, ensuite, d’éviter l’approche de type « anthologie », qui soulevait la crainte d’aboutir à un texte ne pouvant relever adéquatement le défi de la nécessaire cohérence.
5M’inscrire en dialogue signifie aussi mettre en relief quelques dimensions qui m’apparaissent être en creux, ou encore faire l’objet d’évocations beaucoup trop rapides, dans les analyses proposées. Il me semble capital d’ouvrir de cette manière pareil dialogue dans la mesure où, ajoutées à la démarche analytique initiale de Guy Rocher, les dimensions que je me propose de souligner ouvrent la réflexion sur des horizons nouveaux d’interprétation. Ces derniers, même présentés sous forme d’esquisse requérant certes un travail plus patient et poussé d’analyse, me semblent par ailleurs requis si l’on entend donner tout son sens aux rôles que l’université et les multiples types d’institutions par lesquelles elle est façonnée jouent au sein de notre société fondée sur les connaissances. Ils peuvent aussi aider à bien compléter toute réflexion qui vise à cerner les défis qui se posent, ici et maintenant, pour assurer l’avenir de cette institution.
L’université aujourd’hui : un rôle redéfini dans la nouvelle économie du savoir
6Dès 1990, il est un point tout à fait central de l’analyse que Guy Rocher développe sur l’université moderne : il note, en effet, « son nouveau mode d’insertion dans le complexe économique et politique de chaque nation1 ». L’université est un facteur de développement économique de la nation à double titre. Non seulement elle est un creuset stratégique pour la formation du personnel hautement qualifié, mais sa vocation sur le plan de la recherche devient de plus en plus une mission économique. L’université est donc centrale à la nouvelle économie, celle dite du savoir. Dans pareil contexte économique, lequel est indissociable d’éléments structurels relevant de l’internationalisation des échanges et des rapports sociaux, les forces économiques et politiques ont un impact majeur sur l’institution universitaire. Tout se passe comme si ces dernières « ont défini pour elle le rôle actif qu’elle doit remplir comme facteur de production, comme créateur et diffuseur de capital de connaissance2 ». Cette université porteuse de centralité doit, en effet, affronter bien des pouvoirs dont les interventions s’additionnent et se renforcent mutuellement : pouvoirs politiques, étatiques, économiques, voire idéologiques3.
7On est alors bien loin de l’université du début des années 19504, celle que fréquentait alors le Guy Rocher étudiant, puis le jeune professeur, une université subissant bien sûr les pressions de forces externes, notamment celles de l’Église, mais dont les effets étaient somme toute moins contraignants5. On est aussi très loin de cette institution universitaire qui porte les marques des tout premiers effets structurants de la Révolution tranquille, celle que les recommandations de la commission Parent concernant l’enseignement postsecondaire ont ouverte, dans les années 1960 et 1970, à une vague croissante d’embauche sur le plan professoral et d’inscription d’étudiants. La création des collèges d’enseignement général et professionnel (cégeps), l’implantation d’un réseau d’universités dites complètes sur l’ensemble du territoire pour former l’Université du Québec, l’arrivée d’une tranche plus importante de jeunes en âge de fréquenter l’université, parmi lesquels les jeunes femmes occupaient une place déterminante, la présence plus affirmée sur les campus d’étudiants adultes et même la déconfessionnalisation des institutions universitaires ont très largement contribué à ouvrir l’université et à la rendre graduellement de plus en plus accessible6.
8Des analystes pressés sont quelquefois tentés de conclure que le niveau universitaire a été délaissé par la commission Parent et n’a pas pu bénéficier des réformes qu’elle a insufflées. Il est vrai que cette dernière a consacré à d’autres niveaux de l’appareil d’enseignement toute l’attention urgente qu’ils requéraient dans le Québec des années 1960, et seul un dixième environ de ses recommandations s’intéresse à l’université7. L’impact de cette commission sur l’enseignement universitaire n’en a pas moins été structurant au moment même où la conjoncture tant sociale que culturelle et économique ouvrait l’université à une portion de plus en plus grande des groupes d’âge en mesure de la fréquenter. Et la même conjoncture favorisait l’entrée à l’université de savoirs plus en phase avec les exigences professionnelles, scientifiques et socioéconomiques du moment.
9L’important effet structurant de la commission Parent et la modernisation du Québec au cours des années 1960 et 1970 pousseront l’université dans un mouvement de démocratisation dont l’énergie provient de l’arrivée de populations étudiantes plus nombreuses et diversifiées. Cette entrée massive de nouveaux effectifs a bientôt été accompagnée de transformations sur le plan de l’établissement des structures de gestion, de la création de nouveaux établissements et de la réorganisation pédagogique des curriculums et de leur contenu aux trois cycles d’enseignement. Elle a même été suivie de la mise en place d’une politique de développement de l’enseignement supérieur couvrant plusieurs secteurs d’activité : études supérieures, recherche, éducation permanente. En fait, ces éléments, déjà en partie présents dans les pages que la commission Parent consacre à l’université8, se sont lentement et systématiquement déployés au cours des années. Ils sont porteurs de la démocratisation des universités – la crise de la démocratisation, dira Rocher, crise au sens de « moment difficile aux effets structurants » –, de ce mouvement s’inscrivant dans la très longue durée9. Et Rocher d’ajouter que l’université n’a de cesse de devoir faire face encore aujourd’hui, dans son quotidien le plus immédiat, aux exigences réitérées de sa démocratisation10.
10Mais avec l’avènement de l’économie du savoir, la centralité de l’université est encore autre chose : elle est nettement plus conséquente et davantage structurante. Au point où Guy Rocher manifeste moult inquiétudes quant à la capacité de cette institution de contrôler les contradictions qui la traversent et de bien gérer les tensions qui la déchirent. Peut-elle vraiment relever les défis que lui présente son mode d’insertion dans le complexe économicopolitique de la nouvelle économie dont le capital est la connaissance scientifique et la technologie ? Pour lui, réaliser l’université est alors de plus en plus une utopie11.
11Ainsi, quand l’université s’ouvre à une accessibilité toujours plus contraignante parce que jamais complètement atteinte, elle ne doit pas moins faire face aux exigences d’un encadrement de qualité et de rapports entre professeurs et étudiants des plus structurants, même dans une institution de masse12. Son défi, toujours d’une grande actualité dans la mesure où il est constamment à relever, est bel et bien de lier, de manière créative, enseignement de masse et enseignement de haute qualité, et simultanément, dans une pédagogie individualisée et critique, formation à la pensée originale et autonome et acquisition de la curiosité intellectuelle13. Quand encore elle est pénétrée par l’idéal d’une égalité sociale pour tous et celui, corollaire, d’une expansion du réseau en régions au moyen d’universités complètes, elle n’est pas sans se faire rappeler les exigences de la sélection, de la compétitivité internationale, voire de l’efficacité au moyen de la concentration de certaines ressources dans des institutions logées dans les grands centres14.
12Même si l’université est engagée à fortement développer la recherche, partie importante et incontournable de sa vocation, elle ne doit pas moins faire face à sa quasi-absence d’impact sur l’enseignement au premier cycle. Et bien souvent, c’est à un réel rapport de force déséquilibré entre recherche et enseignement, néfaste surtout au premier cycle, qu'elle doit se mesurer, déséquilibre marquant d’ailleurs plusieurs facettes de la vie et des carrières professorales en milieu universitaire15. Quand l’université doit faire face à des politiques de recherche qui mettent l’accent sur l’interdisciplinarité, elle n’est pas sans savoir que ses structures de fonctionnement et d’organisation universitaires leur sont imperméables16. Et quand finalement, les interventions des conseils subventionnaires de la recherche passent rapidement d’une génération de politiques et d’orientations à une autre, modifiant sensiblement à chaque fois leur principe de centralité, la pratique même de la recherche par le corps professoral et certaines des facettes du cheminement des étudiants en sortent fortement alourdies, réglementées, voire bureaucratisées17. Ultimement, l’université, pour la réussite de sa mission intellectuelle, doit défendre la liberté de la recherche, surtout de la recherche fondamentale18.
13Réaliser l’université est donc bel et bien une utopie, que sous-tend une constante tension entre, d’une part, l’accent mis sur l’accès à la formation universitaire, la recherche de la démocratie sociale dans une institution qui apprend à peine à s’y ouvrir au nom des impératifs de l’égalité sociale des chances pour tous, et, d’autre part, le poids surdéterminant de la classe moyenne, laquelle marque l’institution par ses repères idéologiques, son esprit et son discours marqués au coin de la productivité, de l’efficience, de l’excellence et de la concurrence19. L’institution est donc aux prises avec l’obligation de gérer une tension, une contradiction fondamentale qui oppose, d’un côté, la demande utilitaire et le pragmatisme que manifestent de multiples interlocuteurs – l’État, l’entreprise, les étudiants et leurs parents, voire l’opinion publique –, et de l’autre côté, la mission intellectuelle, l’exigeante activité de l’intelligence sous toutes ses formes, y compris l’analyse critique, au service desquelles l’université devrait absolument travailler. Et Guy Rocher rappellera avec insistance, en se référant à un texte de Carrier20, qu’en toutes circonstances, l’université « doit se tenir entre l’engagement et la liberté, entre l’acceptation de sa fonction économique et la liberté de l’esprit21 ».
L’université moderne et le principe d’unité entre recherche et enseignement
14Grâce à ces éléments d’analyse par lesquels Guy Rocher met bien en relief l’insertion socioprofessionnelle de l’université dans la nouvelle économie du savoir, il est possible d’aborder les enjeux clefs qui sous-tendent le développement de l’université moderne. Il faut par ailleurs ajouter que les thèmes les plus récurrents, ceux que Rocher a le plus approfondis, traitent pratiquement d’une forme institutionnelle particulière par laquelle se matérialise l’université moderne en tant qu’idéal type de l’université.
15Cette forme modale de l’université moderne est celle au cœur de laquelle se situe, comme référent culturel bien particulier, l’unité de la recherche et de l’enseignement et son système de croyances, plus ou moins unifiées et consensuelles, plus ou moins bien matérialisées et enracinées dans des structures et pratiques. Cette constante valorisation de la recherche et de l’enseignement explique que cette université occupe une place centrale non seulement dans la formation d’une main-d’œuvre hautement qualifiée, mais encore dans la production de savoirs nouveaux. Ces derniers sont utiles au développement tant social qu’économique, au mieux-être démocratique de la collectivité et à l’exercice d’une pensée critique bien de son temps et de son espace. Université publique par ses sources de financement pour l’enseignement et la recherche et par son statut politico-institutionnel dans la collectivité, l’unité de la recherche et de l’enseignement qui la sous-tend mène, en effet, à de nombreux rapports avec de multiples interlocuteurs et partenaires. De même, ses réseaux de relations ne couvrent pas que son environnement régional, mais s’étendent par de multiples canaux à l’espace national et international.
16Pareille forme modale de l’université moderne est soutenue par un personnel nombreux aux fonctions et rôles fort différenciés dans cet univers institutionnel valorisant l’unité de la recherche et de l’enseignement. Acteur clef de cet ensemble, le personnel professoral a aussi engendré des modèles de carrière, de rendement et de performance et des systèmes de récompense et de promotion professionnelles fortement perméables à l’unité de la recherche et de l’enseignement. Les uns et les autres ont été graduellement mis au point dans une longue pratique de la collégialité professionnelle relevant le plus souvent d’un même champ disciplinaire ou d’une même spécialité en recherche. Des modèles de carrière qui débordent les murs des institutions et s’appuient, bien au-delà du jeu des acteurs locaux, sur des prolongements et des enracinements au sein de collèges scientifiques et professionnels nationaux et internationaux. Des modèles de carrière et des systèmes de récompense bien sûr aussi renforcés, facteurs essentiels contribuant à leur impact, par les pratiques de gestion des carrières professorales d’une institution donnée. Ces derniers facteurs ont directement contribué à cristalliser les modèles de carrière en milieu universitaire tout comme les rapports, tant consensuels que conflictuels, qu’entretiennent l’administration universitaire et les collégialités professionnelles.
17Cette forme modale de l’université moderne est certes celle à la rencontre de laquelle va le Guy Rocher qui, en 1950, s’inscrit à l’Université Harvard pour y entreprendre un doctorat sous la supervision de Talcott Parsons. Il s’agit d’un moment et d’un lieu déterminants dans sa trajectoire intellectuelle et scientifique. Rocher soulignera fréquemment comment cette institution a toujours exercé sur lui une grande fascination :
Je puis dire que le séjour de deux ans à Harvard (1950-1952) – malgré les difficultés et les tensions très grandes que j’y ai connues – m’a ancré dans ma vocation d’universitaire. J’ai acquis la certitude que c’était le milieu dans lequel je voulais vivre, où je me sentais le plus à l’aise et où j’avais l’impression de pouvoir faire quelque chose à la fois de gratifiant et d’utile. […] Je me sentais à l’aise aux États-Unis et j’étais prêt à y faire ma vie. Mais je me disais que j’appartenais au Québec, qu’il fallait y construire non pas un Harvard (on n’y arrivera pas avant plusieurs générations probablement, Harvard ne s’est pas construit du jour au lendemain), mais des universités québécoises un peu sur ces grands modèles. Les grandes universités américaines étaient pour moi un modèle d’université, où il y a un climat de travail intellectuel, un esprit de recherche et où la qualité de l’enseignement est élevée. Quand j’étais parti pour Harvard, je n’avais vraiment pas cru que j’en reviendrais avec ce modèle-là en tête ; j’étais parti avec des préjugés, je revenais avec un idéal22 !
18Bien qu’en notre temps et lieu il soit parfaitement paradoxal de le souligner, l’université n’a pas toujours été, tant s’en faut, un lieu privilégié de la production de connaissances nouvelles, d’expansion de la recherche. En fait, pendant de très longs moments, elle a plutôt été une agence de conservation et de transmission de savoirs déjà codifiés, servant entre autres à la formation des clercs, tant de l’État que de l’Église, et des professionnels de la médecine, tout en offrant un enseignement général sensible, dans ses contenus et ses formes, à la culture dominante de l’époque23. Rocher, on le sait, a déjà noté comment ce type d’université a déjà été répandu au Québec, notamment le Québec du XIXe et de la première moitié du XXe siècle. Et l’on sait aussi que l’université, qu’elle l’ait reconnu ou non, de tout temps en fait, et même quand elle n’était pas vouée principalement à l’unité de la recherche et de l’enseignement, n’a jamais été bien loin des pouvoirs établis.
19Il a fallu attendre les retombées dans le temps de l’idéal type d’université proposé au XIXe siècle par Wilhelm von Humboldt24 pour que l’on reconnaisse de plus en plus le lien nécessaire et structurant entre l’université et la production de connaissances nouvelles. Du coup, le principe d’unité entre recherche et formation universitaire devenait une valeur fondamentale sur laquelle l’université devait dorénavant être fondée. On attendrait maintenant de cette dernière, bien au-delà de la transmission de savoirs codifiés et d’une éducation générale bien ajustée à son temps et à son espace, qu'elle s’investisse avec force et énergie dans la production de savoirs nouveaux tout en ne perdant aucunement de vue sa mission de formation. En fait, toujours limitée à un petit nombre de ses effectifs étudiants, la formation à la recherche et par celle-ci deviendra une partie par ailleurs déterminante de ses fonctions universitaires, le tout fondé sur la pratique de la recherche à l’intérieur de ses propres murs.
20Puis, en allant résolument et bien rapidement à l’essentiel, il faut encore noter que semblable idéal type de l’université moderne n’a pas produit d’abord son impact le plus déterminant en Europe, ou en Allemagne. Ces pays ont en effet entretenu, dans leurs structures mêmes de production des connaissances, des sciences et des technologies, la séparation institutionnelle de l’université et des lieux et agents de la production scientifique, y compris fondamentale ; ils l’entretiennent encore aujourd’hui dans nombre de cas. Au cours du XIXe siècle et au début du XXe siècle, de plus en plus d’intellectuels et de scientifiques américains revenaient aux États-Unis après des séjours d’études et de perfectionnement en Europe, principalement dans de grands centres de production scientifique comme l’Allemagne, pleins d’enthousiasme et l’esprit chargé de rêves. Ils entendaient créer une forme modale de l’université moderne complètement vouée à l’unité de la recherche et de l’enseignement25.
21C’est dans le système universitaire nord-américain tout particulièrement, et avec une force exemplaire, que le principe d’unité de la recherche et de l’enseignement, lequel nourrit un système de croyances et de valeurs toujours très prégnant, a été matérialisé dans des structures universitaires précises : départements, facultés et composantes de l’administration centrale. Ce même principe d’unité de la recherche et de l’enseignement était aussi au fondement de modèles de carrière professorale et de systèmes de récompense de la réussite professionnelle mettant de plus en plus résolument l’accent sur la production de connaissances nouvelles et son articulation avec l’enseignement non seulement des cycles supérieurs, mais aussi du premier cycle. Cependant, il faut aussi le noter, les analystes sont formels : toutes les institutions universitaires n’ont pas été également porteuses de pareille évolution. Celle-ci a plutôt été essentiellement le fait d’universités compréhensives, présentes dans plusieurs champs d’enseignement des domaines des arts, des sciences et des formations professionnelles, et fortement engagées dans la production de connaissances nouvelles et dans la recherche26.
22Ces universités ont opté, dans la foulée de ce que l’Université Johns Hopkins offrait comme modèle, pour la division du travail et la différenciation structurelle entre les cycles d’enseignement. Cette différenciation verticale interne entre les cycles d’enseignement a pu prendre de multiples formes. On note toutefois que s’est progressivement implanté dans ce type d’universités précisément le palier dit des Graduate Departments dont la coordination institutionnelle était assurée par la création de la Graduate School en tant que composante de l’administration centrale. Cette dernière a alors pour fonction le rappel constant des priorités institutionnelles en matière d’études supérieures et de l’articulation de la recherche à la formation et à la coordination des activités en fonction de standards élevés et au moyen de l’exercice d’un contrôle de qualité des prestations d’enseignement, d’encadrement et de formation aux cycles supérieurs.
23On reconnaît maintenant que ce dispositif particulier, sur le plan des études supérieures et de la formation à la recherche et par celle-ci, est au cœur de la position dominante des États-Unis dans l’univers de la science moderne. Depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale environ, tant dans cet univers que dans celui de la formation de la main-d’œuvre hautement qualifiée, notamment celle de niveau doctoral, les États-Unis occupent en effet une place qu’aucun autre pays ne saurait égaler27.
24Au départ, pareil développement structurant a bénéficié de ressources consenties par les pouvoirs publics et étatiques, mais non pas uniquement, ni même principalement. Il a plutôt été le fait de dons émanant de fondations privées pour encourager le développement d’institutions universitaires compréhensives profondément engagées dans la recherche. Puis, surtout dans la période suivant la Deuxième Guerre mondiale, les politiques d’innovation scientifique et technologique de l’État fédéral et des divers États constitutifs de la Confédération américaine, et les mesures et ressources que ces dernières ont engendrées, se sont avérées de puissants atouts. Dès lors, l’importance stratégique que revêtent la production de connaissances nouvelles et l'expansion des personnels formés à la recherche pour le développement de la science et de la technologie et par celle-ci, explique pourquoi l’université, aux yeux de nombreux intervenants, acteurs et décideurs socioéconomiques, occupe une place si centrale dans la société des savoirs28. L’apport de l’université en matière de production de savoirs nouveaux est d’ailleurs devenu déterminant non seulement pour la croissance économique, mais aussi pour le développement social et communautaire, pour le mieux-être démocratique collectif et pour l’exercice de la pensée créative et critique, elle-même tenue à se mesurer constamment à l’aune des connaissances nouvelles.
L’université engagée en recherche et les enjeux de la différenciation
25L’université moderne, ou plutôt sa forme modale construite de facto à partir de l’unité de la recherche et de l’enseignement, est un univers fort complexe de production et de transmission de connaissances, une réalité institutionnelle qu’Habermas appelle, comme le souligne Rocher, une « entreprise de connaissances29 ». L’université moderne, sous sa forme modale distincte d’université compréhensive fortement engagée en recherche, est institutionnellement fort complexe. De plus, parce qu'elle est ancrée à une époque et un lieu donnés, elle n’est aucunement à l’abri des forces externes. Cependant, elle jouit d’une autonomie relative par rapport aux intervenants et aux partenaires provenant de son contexte tant économique que politique. D’autre part, lorsque vient le moment d’examiner le rôle de l’université dans la société des connaissances, il ne faut surtout pas confondre cette forme modale de l’université moderne et d’autres types d’institutions universitaires. Les défis qu'elle doit relever, les tensions qu’elle doit vaincre sont en partie différents de ceux que doivent affronter ces derniers. Elle se distingue donc à cet égard du collège universitaire d’enseignement professionnel, du collège centré sur les arts libéraux ou encore, de l’université couvrant plusieurs champs de connaissances, mais essentiellement tournée vers le premier cycle d'enseignement.
26Guy Rocher le dit très bien : nous avons, en tant que collectivité, opté pour un système unitaire d’universités complètes qui assument la double mission d’enseignement et de recherche30. Il soulignera encore que nous n’avons pas délibérément cherché à implanter un réseau hiérarchisé d’institutions universitaires, comme on l’a fait en Californie31. Mais nous devons toutefois admettre que les choix et stratégies de croissance et de fonctionnement adoptés par les divers acteurs et décideurs du système universitaire ont fait éclater, au sein de notre collectivité, l’idéal type de l’université moderne en plusieurs formes modales. Tout comme ont directement contribué à cet éclatement les forces et contraintes qui ont marqué le développement tant des universités québécoises et canadiennes que le monde complexe de la production des connaissances nouvelles, avec ses diverses exigences en personnels et ressources de toutes sortes. Tous ces facteurs ont, entre autres, contribué à singulariser l’université compréhensive fortement engagée en recherche. Le signe distinctif de cette dernière se situe sur le plan des études supérieures : leurs concentration et densité au sein de certaines institutions, leur différenciation verticale au sein d’une institution donnée.
27Bien que plusieurs refusent de l’admettre, le monde actuel des études supérieures au Canada est très différencié ; on y note une très forte concentration des activités de formation et des clientèles des cycles supérieurs. Cette concentration est tout particulièrement visible au niveau doctoral, celui où l’articulation entre recherche et enseignement est particulièrement manifeste. Le doctorat est, en effet, le principal diplôme par lequel chemine la formation à la recherche et par celle-ci32. Que pouvons-nous alors observer si l’on considère, aidés des données de Statistique Canada33, la distribution institutionnelle de la formation doctorale canadienne de nos jours ?
28Tout d’abord, on notera certaines concentrations des formations doctorales qui révèlent en fait les différences entre les missions que se donnent les universités canadiennes. Sont actives actuellement au Canada plus de 90 universités, mais plus de 50 % des inscriptions totales au doctorat en 2003 (dernière année pour laquelle de telles données sont disponibles) sont concentrées dans 6 universités parmi les 48 qui offrent une formation de 3e cycle. Autrement dit, seulement 6 % de tous les établissements canadiens reçoivent plus de la moitié des effectifs doctoraux canadiens ; 11 établissements, soit à peine 12 % de toutes les universités canadiennes, concentrent en leurs murs plus de 66 % de toutes les inscriptions doctorales.
29Une concentration similaire existe quant aux diplômes conférés. Ici aussi, 6 universités – les mêmes que celles regroupant plus de la moitié des inscriptions au doctorat – suffisent pour atteindre plus de 50 % de tous les diplômes de doctorat conférés en 2003. Et pour arriver à plus de 66 % des diplômes conférés en 2003, il nous faut au total 10 universités. Cette concentration n’est pas vraiment un phénomène nouveau : depuis 1990 environ, les mêmes six universités canadiennes se distinguent par leurs populations étudiantes doctorales et par leurs diplômes de ce niveau. Il s’agit d’établissements se classant tous dans la catégorie des universités intensives en recherche, comme le sont d’ailleurs la plupart des autres universités qu’il faut leur additionner pour parvenir à atteindre les deux tiers des populations étudiantes doctorales. La plupart d’entre eux, sinon leur quasi-totalité, ont inscrit dans leur organisation universitaire une différenciation verticale interne entre les cycles d’enseignement au moyen d’une faculté des études supérieures, une Graduate School, qui coordonne les activités académiques des cycles supérieurs.
30Plusieurs de ces universités sont membres du Groupe des 10 universités canadiennes, dit G-10, les plus intensives en recherche. Ces universités sont concentrées dans quelques provinces et dans d’importants centres urbains. Trois de ces universités se retrouvent au Québec, tant pour les inscriptions que pour les diplômes conférés au niveau doctoral. Une quatrième université, relativement nouvelle, regroupe aussi un bon nombre d’inscriptions, bien qu'elle n’atteigne pas encore le nombre de diplômes conférés lui permettant d’être classée définitivement parmi les principales institutions canadiennes pour la formation doctorale.
31La prise en compte de l’ensemble des effectifs et grades conférés aux 2e et 3e cycles changerait peu de choses à cet état de fait : la concentration y serait aussi marquée ainsi que la différenciation entre les diverses universités canadiennes. C’est que ces universités, mettant déjà l’accent sur la formation doctorale, sont toutes des universités compréhensives qui couvrent plusieurs champs de formation, tant au premier qu’aux cycles supérieurs. Et ces tendances sont à rapprocher de concentrations vraisemblablement similaires observées dans la distribution de la recherche universitaire sur l’ensemble du territoire et des universités. De même, un parallèle pourrait fort vraisemblablement être dressé entre ces concentrations et l’existence d’espaces géographiques marqués par l’activité de noyaux fort intensifs en production scientifique et technologique, que la littérature spécialisée appelle des clusters34.
Autonomie et capacité d’action de l’université fortement engagée dans la recherche
32Une question fort déterminante, si l’on reprend les termes de la démarche analytique de Guy Rocher, ne peut être esquivée : comment cette université compréhensive et fortement engagée dans la recherche, cette forme modale de l’université moderne, centrale au sein de la société des savoirs, arrivera-t-elle, comme le souhaite justement Rocher, à réaliser concrètement sa mission intellectuelle ? Comment de surcroît parviendra-t-elle à exercer sa mission intellectuelle de façon résolument innovante et à affirmer sa liberté là où cela compte le plus, soit dans sa culture institutionnelle, puis dans ses structures et ses pratiques ?
33Notons une affirmation tout à fait remarquable de Guy Rocher, formulée dans un texte publié en 1973. Il y est question des multiples formes que prend le constant dilemme entre engagement et liberté auquel doit faire face l’université. Devant de telles contradictions fondamentales, il n’est pas vraiment souhaitable de chercher à les résoudre : « [C]’est même perdre le profit qu’on peut tirer d’une contradiction que de vouloir la résoudre à tout prix35. » Reste que le défi pour l’université est bel et bien de traduire et de maîtriser, en fonction de ses propres objectifs et missions, bref sur son propre terrain institutionnel, les contradictions, les tensions et les contraintes qui font obstacle à son cheminement. On en conviendra tous : bien fondées sur sa mission intellectuelle, son autonomie organisationnelle et sa capacité d’action sont des éléments structurels incontournables. Et l’une et l’autre ne sont aucunement le fait d’un seul de ses groupes d’acteurs, soit ses étudiants, ses professeurs ou encore ses gestionnaires.
34À l’échelle des systèmes universitaires internationaux, on notera tout d’abord un premier trait : les universités tant québécoises que canadiennes ne peuvent pas être rangées parmi celles dont la gestion relève en grande partie, sinon principalement, de l’État et des pouvoirs publics. Dans de nombreuses analyses comparatives internationales, Clark36 a dressé le profil institutionnel de tels systèmes universitaires, beaucoup plus fréquents par exemple en Europe. Nos universités ressemblent davantage aux universités nord-américaines.
35On ne peut non plus ranger nos universités parmi celles qui obéissent quasi exclusivement à une logique de marché. En fait, celles-ci sont plutôt rarissimes ; même les universités américaines dites privées tirent de leurs rapports avec divers paliers de l’État et avec des agences publiques subventionnaires de recherche – par exemple, pour leurs prestations si stratégiques de recherche – des ressources, des appuis, des orientations et des politiques qui informent leur développement et leur fonctionnement. Tout se passe comme si des institutions universitaires strictement privées existaient essentiellement dans des pays en voie de développement. Dans ces milieux, elles viennent compléter, en général dans des secteurs bien spécifiques et restreints du savoir, des institutions publiques débordées par la demande sociale, ou en partie incapables d’y répondre adéquatement.
36Les universités de notre collectivité, à l’évidence, sont des établissements dont l’autonomie institutionnelle de leur dynamique de gestion ne peut être niée. Ce qui ne veut pas dire qu’elles soient pour autant à l’abri de multiples forces externes influant sur leur fonctionnement et leur croissance ; c’est là chose entendue et déjà bien dégagée notamment par Rocher. Reste à qualifier le mode de structuration et de coordination de ces intervenants et de ces facteurs constitutifs tant de l’université, comme entreprise de connaissances, que de son environnement. Dans le cas des universités canadiennes, un modèle de contrat social, plus ou moins tacite, a déjà été proposé pour rendre compte des interactions entre ces différents éléments. Celui-ci lierait entre eux principalement le pouvoir public et étatique et les universités37 ; pareil contrat pourrait même s’étendre aux employeurs et aux entreprises intéressés à la formation d’une main-d’œuvre hautement qualifiée et à la production de connaissances nouvelles.
37Ici, le scepticisme est toutefois de mise. Ce modèle du contrat social, même tacite, ne peut adéquatement expliquer comment les contraintes et les complexes facteurs structurels affectent le fonctionnement et le développement des institutions universitaires, et surtout il ne peut rendre compte entièrement des interrelations entre intervenants et partenaires étatiques et publics, d’un côté, et universitaires de l’autre. Ces interrelations, par définition, sont trop fréquemment sous-tendues de tensions de toutes sortes du fait que ces partenaires et intervenants poursuivent des objectifs, obéissent à des rationalités et formulent des choix des plus divergents38. Une confiance durable et pérenne, le ciment requis en vue de la solidité des rapports entre partenaires d’un contrat social, ne peut aisément surgir de relations marquées par des intérêts quelquefois convergents, mais trop souvent opposés. Tout comme cette confiance durable ne peut aisément être le produit de la très inégale capacité institutionnelle et décisionnelle de chacun des pouvoirs publics et universitaires à maîtriser les structures d’opportunités constamment en changement. En fait, ce sont ultimement les pouvoirs publics et étatiques qui provoquent, par leurs décisions, mais aussi bien leur inaction, des changements, souvent aussi abrupts que rapides, dans les structures d’opportunités ouvertes à la gestion universitaire. Ces constats, comme on l’a évoqué, rejoignent des éléments clefs de l’analyse proposée par Rocher39.
38L’autonomie institutionnelle de l’université, ce que l’on pourrait appeler, à la suite de Giddens, l’agency institutionnelle40, découle de sa capacité organisationnelle à bien gérer ses rapports non seulement avec divers paliers de l’État, provincial, fédéral et même municipal, mais aussi avec divers ministères. Qui plus est, elle découle encore de sa bonne maîtrise d’ensembles complexes de ressources structurées en différents marchés. On le sait, pour les politiques relatives à l’enseignement universitaire et à son financement, les universités canadiennes font principalement affaire avec le pouvoir provincial. Et ce dernier, la conjoncture actuelle est à nouveau des plus explicites à cet égard, est aussi un champ de rapports de forces historiquement chaotiques entre les paliers fédéral et provincial de l’État41. Au cours des années, les transferts et les versements fédéraux pour l’enseignement postsecondaire ont été un facteur clef auquel ne peut se substituer, l’histoire le montre, le pouvoir provincial. En fait, quand ces versements du pouvoir fédéral s’amenuisent, les pouvoirs provinciaux n’arrivent pas en général à compenser avec leurs propres ressources le manque à gagner des universités. On constate plutôt un besoin croissant d’autres sources de financement dont, dans une moindre mesure toutefois au Québec, les frais de scolarité imposés aux effectifs étudiants42.
39Quand on considère le domaine des politiques et du financement de la recherche, notamment universitaire, il est indissociable des politiques portant sur les innovations scientifiques et technologiques et sur la formation de la main-d’œuvre très spécialisée liée à l’activité de recherche, politiques émanant des paliers fédéral puis provincial de l’État. On le sait, le gouvernement québécois a été, au cours des dernières décennies, un des plus actifs au Canada en matière de politiques d’innovation et d’appui à la recherche, notamment universitaire. Ses orientations et politiques en la matière, de même que les programmes innovateurs mis de l’avant au cours des ans par ses fonds subventionnaires de recherche, ont été d’importants éléments permettant l’action. Les universités compréhensives et fortement engagées dans la recherche ont trouvé là, dans la mesure où leurs pratiques et leurs choix organisationnels ont réussi à en tirer profit, de forts appuis à leur développement. Le gouvernement fédéral n’a pas, par ailleurs, été absent de ce champ d’intervention. On peut même ajouter, à propos cette fois des années plus récentes, qu’une relative, mais bien visible éclipse dans les politiques et mesures incitatives à la recherche du palier provincial concorde dans le temps avec une intensité nouvelle du pouvoir de dépenser fédéral pour la recherche.
40Depuis le début du XXe siècle en fait, il s’agit là d’un domaine en grande partie distinct de celui de l’enseignement postsecondaire, où s’est tout d’abord investi le pouvoir étatique fédéral canadien. Ce dernier a ensuite exercé un très fort contrôle sur la recherche universitaire, non sans provoquer des tensions43. Au cours des dernières années particulièrement, les initiatives du pouvoir fédéral dans ce champ d’intervention ont été multiples et cruciales. Rappelons-les rapidement : renforcement des politiques de création de centres et réseaux d’excellence ; mise sur pied de fondations pour encourager l’innovation et l’accessibilité à la formation universitaire ; transformation et renforcement des agences subventionnaires fédérales portant sur la recherche ; création de chaires d’excellence dans les universités canadiennes au prorata de leurs performances en recherche lors des dernières années44. Puis s’ajoute, en 200245, la production de deux documents précisant la stratégie d’innovation du gouvernement fédéral et ouvrant de nouvelles et importantes opportunités structurelles pour l’université compréhensive engagée dans la recherche. Ces dernières incluent, entre autres, un financement accru de la recherche universitaire, puis plus de ressources et un nouveau programme de bourses pour les étudiants de maîtrise et de doctorat, dont la croissance annuelle, jusqu’en 2010, est fortement encouragée.
41Il n’y a pas que par rapport à divers paliers, ministères et agences de l’appareil gouvernemental que les capacités et l’autonomie institutionnelles de l’université compréhensive et engagée dans la recherche doivent être exercées. Force est de le reconnaître, son accès à des ensembles distincts de ressources influe directement sur son fonctionnement et son développement. Chacune des universités accède à ces ensembles distincts de ressources d’abord et avant tout par des rapports de marché, souvent médiatisés par l’État. Ceux-ci permettent en effet aux universités d’avoir accès à diverses ressources : les effectifs étudiants et leur lieu de provenance national ou international ; les professeurs et chercheurs de carrière et leurs divers bassins disciplinaires et nationaux ; les fonds provenant des donateurs, du public et des fondations privées ; les contrats de recherche ; enfin, les professionnels compétents aptes à contribuer à la gestion universitaire…
42Mais il est une autre ressource, structurée elle aussi à partir de rapports de marché, tout à fait cruciale et essentielle pour cette forme modale de l’université moderne : la réputation et le prestige universitaires. En fait, c’est la situation d’une université donnée par rapport à cette ressource, structurée en marchés régional, national, voire international, qui surdétermine en quelque sorte son accès aux autres catégories de ressources. Une université compréhensive et fortement engagée dans la recherche recrutera des étudiants et étudiantes, d’ici et d’ailleurs, bien préparés, ayant les compétences requises et la passion de la découverte. Sa réputation et son prestige lui faciliteront l’accès à de riches bassins de populations étudiantes, mais surtout à sa partie de plus grande qualité. De plus, elle embauchera les meilleurs professeurs pour les former à la recherche et aux cycles supérieurs et les encadrer, elle accueillera des gestionnaires de grande compétence et regroupera en quantité et en qualité suffisantes les moyens financiers et les autres moyens d’action et d’affirmation institutionnelles, dans la mesure même où sa réputation et son prestige lui garantiront la meilleure part de ces ressources.
43On voit de mieux en mieux que le modèle de contrat social ne peut rendre adéquatement compte de la logique de fonctionnement et de développement de l’université compréhensive et fortement engagée dans la recherche. C’est que pareille université est placée devant plusieurs interlocuteurs, partenaires, décideurs publics et privés dont les intérêts trop souvent divergents n’induisent pas aisément un niveau de confiance adéquat pour cimenter leurs rapports. Elle doit aussi maximiser son accès à des ensembles distincts de ressources, en sachant maîtriser à son avantage ses rapports, configurés comme des rapports de marché, avec ces facteurs aptes à augmenter sa capacité et son autonomie d’action institutionnelles46. Sans oublier que son autonomie organisationnelle, en jeu dans sa capacité à contrôler ses rapports avec un environnement fragmenté, est étroitement liée aux rapports internes qu’entretiennent entre eux les diverses catégories d’acteurs de ce fort complexe monde universitaire.
44Toutefois, que l’université doive affronter un univers fragmenté d’interlocuteurs et de décideurs, qu’elle doive diversifier ses ressources, notamment financières, et interagir avec plusieurs bailleurs de fonds, ne doit pas être considéré comme un handicap. Pareille situation peut procurer la marge de manœuvre voulue pour qu’un établissement en particulier pratique une gestion résolument audacieuse. Ce qui semble a priori un handicap peut s’avérer un avantage structurel permettant l’action. Clark retiendra, dans ses analyses de cas, que les universités se caractérisant par une diversification marquée de leurs sources de revenus sont parmi les plus innovantes47.
Les défis de l’université fortement engagée dans la recherche
45Placée devant autant d’interlocuteurs et de partenaires, inscrite dans plusieurs champs d’interrelations sociales, l’université n’exercera sa liberté, n’affirmera sa mission que grâce à des ressources, des moyens d’action, des rapports sociaux constitutifs de sa capacité institutionnelle à agir. Elle est le résultat de choix organisationnels audacieux, de pratiques et structures de gestion adéquates et en bonne syntonie avec ses objectifs fondamentaux. Elle se nourrit aussi de rapports sociaux entre ses diverses composantes aptes à sous-tendre adéquatement l’affirmation de sa mission intellectuelle. En fait, pour l’université compréhensive fortement engagée dans la recherche, sont ici en cause la qualité de son organisation, la vivacité de sa culture universitaire et de ses modes de fonctionnement porteurs de la volonté de l’université de s’ouvrir au changement48. Chacun de ces éléments pourrait être longuement discuté, mais je ne m’y attarderai pas davantage. Je souhaite plutôt, en terminant, mettre l’accent sur certains éléments, dont certains auxquels s’attarde aussi Guy Rocher dans son propre questionnement relatif au rôle de l’université.
46Réaliser l’université comme utopie, faire en sorte qu’elle puisse faire face aux défis qui se posent, passe nécessairement par certaines conditions structurelles, comme le reconnaît Guy Rocher. Il ajoute que c’est aussi une question de mentalité, d’esprit, d’attitudes à développer49. Une culture universitaire ouverte à l’innovation et au changement est certes requise, une culture suffisamment aguerrie et affirmée sur la longue durée pour être ultimement inscrite dans les pratiques de l’ensemble des acteurs de l’université, de même que dans ses structures de fonctionnement et de gestion. La conquête pérenne d’horizons académiques nouveaux doit figurer au sein d’objectifs institutionnels bien enracinés dans des référents culturels partagés par toutes les catégories d’acteurs de l’institution. Cependant, ces projets doivent être bien ancrés dans les prestations et les pratiques des divers personnels de l’université compréhensive fortement engagée dans la recherche. Par exemple, en tout premier lieu, les formations interdisciplinaires aux cycles supérieurs méritent une attention soutenue, d’autant plus qu’elles sont le plus souvent le résultat d’activités qui caractérisent une université travaillant sans répit à toujours pousser plus loin l’unité de la recherche et de l’enseignement50. Puis, comme le souligne à juste titre Rocher51, la formation continue et les étudiants adultes doivent être à l’ordre du jour. Dans une université devant maintenant composer avec des études supérieures, avec des cycles supérieurs dits de masse52, après qu’elle eut connu une période d’enseignement universitaire de masse essentiellement circonscrit au premier cycle, le défi concerne surtout les cycles supérieurs. La génération actuelle des activités de formation continue, dans l’ensemble des universités d’Amérique du Nord y compris celles fortement engagées dans la recherche, se développe tout particulièrement aux cycles supérieurs53. Enfin, dans la culture de l’université compréhensive et fortement engagée dans la recherche doit figurer en bonne place cette autre préoccupation de Guy Rocher : ne pas former que des spécialistes, mais aussi des personnes54, au sens plein et fort du terme, soit des sujets autonomes, créateurs et responsables. Il est clair que peuvent y contribuer la vitalité de la vie intellectuelle du campus et des formations ouvertes à la culture générale et à l’interdisciplinarité. De même, des thématiques nouvelles et plus sensibles à la conjoncture la plus actuelle, comme l’éthique de la science et de la recherche universitaire55, ont ici un rôle crucial à jouer. Et la culture universitaire doit constamment valoriser l’option de donner à ceux et celles qui formeront la relève la plus grande qualité possible, voire l’excellence, dans les prestations de recherche. Les diverses unités de base de l’institution assument cette responsabilité tout comme les divers paliers de l’administration dont les pratiques de gestion doivent être à la hauteur de ces engagements. Opter pour un « élitisme scientifique » bien affirmé dans la poursuite de l’unité de la recherche et de l’enseignement et viser des pratiques de gestion innovantes demeure des référents culturels fort pertinents, tout comme l’est l’engagement d’offrir le meilleur à ceux et celles qui sont accueillis dans une institution donnée, tout en luttant contre un « élitisme social » réservant les ressources qu’à ceux et celles qui sont pourvus du bon capital social.
47De ce point de vue, toute culture de l’excellence, toute valorisation de l’élitisme ne sont pas suspectes. Bien au contraire. Il est clair que les grandes universités de recherche d’Amérique du Nord qui exercent tant de fascination sur nous se sont construites à partir de tels référents constitutifs d’une culture universitaire bien vivace et bien de son temps. Pourquoi viser et offrir moins à ceux et celles qui fréquentent nos universités ? De plus, l’excellence à promouvoir doit être polyvalente et diversifiée56. Elle doit s’appliquer aux prestations multiples, tant d’enseignement, d’encadrement, de recherche que de gestion, qui constituent une capacité et une autonomie institutionnelles de qualité. Et l’excellence à promouvoir ici, dans l’université compréhensive fortement engagée dans la recherche, lui demeure spécifique. Elle est à distinguer de celle, tout aussi exigeante, que doivent promouvoir, dans leur propre champ d’intervention, des institutions universitaires dont les missions prédominantes, qui de formation professionnelle, qui de formation générale, qui d’enseignement compréhensif de premier cycle, divergent de la sienne.
48Il est finalement une dimension structurelle de cette université compréhensive et fortement engagée dans la recherche qui mérite d’être relevée. Elle a beaucoup à voir avec le fait qu'elle est devenue une entreprise de connaissances et, ce faisant, qu'elle a gagné en densité et complexité institutionnelles. Les analystes des structures organisationnelles caractérisant les universités insistent, à juste titre, sur les tensions propres à un système à double composante. Une administration de type managériale, présente à divers paliers de l’institution, y est en effet articulée à une collégialité professionnelle, logeant au cœur des unités de base et assumant quotidiennement la mise en œuvre des opérations. Pareil système à double composante est soumis aux aléas, contraintes, conflits, mais aussi aux réussites, bref à l’histoire, bien souvent chaotique, de ce que certains appellent the clash of culture57 entre les responsables de l’administration managériale et les professionnels regroupés en collégialités. On a pu noter que certaines attitudes managériales de gestion rompaient l’équilibre nécessaire aux rapports structurants entre administration managériale et collégialités professionnelles. Tout comme on a pu relever que certains établissements seraient aux prises avec des défenses de la collégialité professionnelle, cette dernière étant dans bien des lieux doublée d’une représentation syndicale, qui en fait confinent bel et bien au corporatisme professionnel, à un repli défensif sur des acquis et au refus du dépassement et de l’innovation. Et vus de l’extérieur, de tels systèmes donnent régulièrement l’impression que personne n’y assume vraiment la responsabilité pleine et entière du fonctionnement et du développement de l’ensemble.
49Or, la densité et la complexité institutionnelles nouvelles de l’université compréhensive et fortement engagée dans la recherche ont fait en sorte de faire éclater ce système à double composante. Ces institutions, ces entreprises de connaissances sont, de nos jours, tout à fait incapables de faire face à leurs défis et aux contraintes de fonctionnement et de développement sans un ensemble de plus en plus diversifié de professionnels de haut calibre et de fortes compétences58. Dans ces universitésentreprises de connaissances, de tels gestionnaires sont de plus en plus appelés à prendre en charge d’importantes composantes de leur fonctionnement. Les bibliothèques et banques sophistiquées de données, les systèmes informatiques, les activités de développement et de collecte de fonds, les communications et activités de promotion et publicité, les services juridiques et du contentieux, les parcs immobiliers et les fonds d’immobilisation, les activités de valorisation de la recherche sur les divers marchés de production de connaissances scientifiques et technologiques, les relations de travail avec de nombreuses catégories de personnel, dont certains font simultanément appel à une double forme d’identité et de reconnaissance, soit la forme de la collégialité professionnelle et celle du regroupement syndical, sont devenus avec le temps leurs champs stratégiques d’action.
50Bref, l’université compréhensive et fortement engagée dans la recherche s’éloigne à grands pas de traditions et de dynamiques de gestion qui, hier encore, paraissaient celles qui la définissaient réellement. Elle est de moins en moins gouvernée par la seule double composante d’une administration managériale, assumée par des membres de la communauté professorale s’y adonnant pour un temps donné, faisant face à des collégialités professionnelles.
51Et là encore, l’université compréhensive et fortement engagée dans la recherche, forme modale de l’« idéal type » de l’université moderne, ne pourra consolider sa capacité organisationnelle d’action que par une culture universitaire bien de son temps. Elle ne progressera que par des rapports sociaux vraiment aptes à promouvoir l’innovation et prenant appui sur toutes ses catégories internes d’acteurs, y compris celles qui émergent maintenant comme des intervenants nouveaux, mais incontournables. Elle ne fera son chemin qu’au moyen de modes, de structures et de pratiques de fonctionnement et de développement vraiment porteurs d’une volonté collective d’affirmer fortement sa mission dans le temps présent comme dans ses projets. L’autonomie et la capacité institutionnelles d’action, bien affirmées et paradoxalement toujours à construire, sont au cœur de la force avec laquelle l’université peut relever ses défis. Elles sont en fait le principal moyen par lequel cette université arrivera à traiter sur son propre terrain les contraintes et les contradictions, mais aussi les possibilités et les ressources permettant l’action, qui découlent de son mode d’insertion socioprofessionnelle dans les sociétés du savoir. Partir d’une autonomie et d’une capacité institutionnelle d’action bien affirmées sont les meilleures armes pour vaincre les inquiétudes des uns et des autres quant au devenir de l’université compréhensive et fortement engagée dans la recherche.
Notes de bas de page
1 Guy Rocher, « Redéfinition du rôle de l’université », dans Fernand Dumont et Yves Martin (dir.), L’éducation 25 ans plus tard ! Et après ?, Québec, Institut québécois de recherche sur la culture, 1990, p. 184.
2 Ibid., p. 185.
3 Guy Rocher, « L’université du XXIe siècle », Possibles, vol. 26, nos 1-2, hiver-printemps, 2002, p. 197-199.
4 Guy Rocher, « Idéologies et engagements de l’université d’aujourd’hui et de demain », dans R. Hurtubise (dir.), L’université québécoise du proche avenir, Montréal, Hurtubise HMH, 1973 (texte d’abord paru dans L’université contemporaine : idéologie et obligations, Délibérations de la réunion annuelle de l’Association des universités et collèges du Canada, Ottawa, 1969).
5 Guy Rocher, « L’idéologie de l’excellence devient un élitisme radical, conférence d’ouverture du Colloque de la Fédération québécoise des professeures et professeurs d’université », Université, vol. 4, no 2, février, 1995, p. 12.
6 Guy Rocher, « Structures et vie universitaire au Québec : Analyse d’une (r)évolution », dans Les hommes, leurs espaces et leurs aspirations. Hommages à Paul-Henry Chombart de Lauwe, Paris, Éditions L’Harmattan, 1994, p. 275-280.
7 Claude Corbo (dir.), L’idée d’université ; une anthologie des débats sur l’enseignement supérieur au Québec de 1770 à 1970, Montréal, Presses de l’Université de Montréal, 2001, p. 285.
8 Ibid., p. 286-289. Selon Claude Corbo, « Sans désavouer la vision humaniste de l’université, la commission Parent la greffe à une vision résolument fonctionnelle : l’université est un rouage majeur de la société industrialisée et urbanisée qu’est devenu le Québec et elle doit soutenir cette société dans son aspiration à la prospérité, à la démocratie, à la justice sociale, à la modernité » (Ibid., p. 285).
9 Guy Rocher, « L’idéologie de l’excellence devient un élitisme radical […] », op. cit., p. 11.
10 Guy Rocher, « Redéfinition du rôle de l’université », op. cit., p. 195-196.
11 Guy Rocher, « Structures et vie universitaire au Québec […] », op. cit., p. 285.
12 Ibid., p. 286.
13 Guy Rocher, « L’université du XXIe siècle », op. cit., p. 201-203.
14 Guy Rocher, « Structures et vie universitaire au Québec […] », op. cit., p. 285.
15 Guy Rocher, « L’idéologie de l’excellence devient un élitisme radical […] », op. cit., p. 13.
16 Guy Rocher, « Structures et vie universitaire au Québec […] », op. cit., p. 287.
17 Guy Rocher, « Entre un passé qui s’estompe et un avenir aux formes incertaines », allocution d’ouverture du Colloque La recherche universitaire et les Partenariats, Université, vol. 8, no 2, mai, 1999, p. 7-8 ; voir aussi Guy Rocher, « Avant-propos », dans P. Mulazzi, L’argent et le savoir : enquête sur la recherche universitaire (enquête menée sous la direction de Guy Rocher), Montréal, Hurtubise HMH, 1998, p. 16-18.
18 Guy Rocher, « Idéologies et engagements de l’université d’aujourd’hui et de demain », op. cit. ; voir aussi Guy Rocher, « L’idéologie de l’excellence devient un élitisme radical […] », op. cit.
19 Guy Rocher, « Structures et vie universitaire au Québec […] », op. cit., p. 284.
20 H. Carrier, L’université entre l’engagement et la liberté, Rome, Presses de l’Université Grégorienne, 1972.
21 Guy Rocher, « Redéfinition du rôle de l’université », op. cit., p. 186. ; voir aussi Guy Rocher, « Structures et vie universitaire au Québec […] », op. cit., p. 289.
22 Guy Rocher, Entre le rêve et l’histoire ; entretiens avec Georges Kahl, Montréal, VLB éditeur, 1989, p. 37-38.
23 R. L. Geiger, « Introduction, Section II: The Institutional Fabric of the Higher Education System », dans B. R. Clark et G. Neave (dir.), The Encyclopedia of Higher Education, Tome 2: Analytical Perspectives, Oxford, Pergamon Press, 1992.
24 Burton Clark (Places of Inquiry, Research and Advanced Education in Modem Universities, Berkeley, University of California Press, 1995, p. 1-2,16-18 et 50-51) met bien en relief les effets déterminants, en tant qu’« idéal type » de l’université, de ce qu’il appelle la Humboldtian formulation proposant le principe d’unité de la recherche et de l’enseignement comme valeur fondatrice de l’université moderne. Cette vision fut formulée dès 1810, mais son véritable impact s’est vraiment fait sentir avec force bien après tout au cours des XIXe et XXe siècles ; voir Wilhelm von Humboldt, « On the Spirit and the Organizational Framework of Intellectual Institutions in Berlin » (traduction de Shils, 1970).
25 R. L. Geiger, « Introduction, Section II: The Institutional Fabric of the Higher Education System », op. cit.; voir aussi B. C. Clark, Places of Inquiry, Research and Advanced Education in Modern Universities, op. cit.; B. R. Clark (dir.), The Research Foundation of Graduate Education: Germany, Britain, France, United States, Japan, Berkeley, University of California Press, 1993; J. Ben-David, The Scientist’s Role in Society: A Comparative Study, Englewood Cliff (NJ), Prentice-Hall, 1971.; J. Ben-David, Centers of Learning: Britain, France, Germany, United States, New York, McGraw-Hill, 1977.
26 Dans un texte publié en 1973, Guy Rocher évoque rapidement, à la suite de Talcott Parsons (« Considerations on the American Academic System », Minerva, vol. 6, 1967-1968), comment l’idéologie que ce dernier étiquette de « rationalité cognitive » a pénétré l’université nord-américaine. Ce phénomène est certes lié à ce que Jencks et Riesman (The Academic Revolution, Garden City, Doubleday and Co., 1968), cités aussi par Rocher, ont appelé « the academie révolution » pour bien souligner, entre autres, la professionnalisation des carrières professorales et le fonctionnement du marché académique. Rocher souligne encore qu’à l’idéologie de la rationalité cognitive se serait greffée celle de la méritocratie donnant naissance à une nouvelle classe dominante, celle des technocrates, bureaucrates et techniciens de toutes sortes (« Idéologies et engagements de l’université d’aujourd’hui et de demain », op. cit., p. 347-349).
27 B. R. Clark, Places of Inquiry, Research and Advanced Education in Modem Universities, op. cit.; voir aussi P. J. Gumport, « Graduate Education and Organized Research in the United States », dans B. R. Clark (dir.), The Research Foundation of Graduate Education, op. cit.; P. J. Gumport, « Graduate Education and Research Imperatives: Views from American Campuses », dans B. R. Clark (dir.), ibid.; B. L. R. Smith (dir.), The State of Graduate Education, Washington (DC), Brookings Institution, 1985.
28 R. L. Geiger, TO Advance Knowledge: The Growth of American Research Universities, 1900-1940, New York, Oxford University Press, 1986; voir aussi R. L. Geiger, Research and Relevant Knowledge; American Research Universities since World War II, New York/Oxford, Oxford University Press, 1993.
29 Guy Rocher, « Redéfinition du rôle de l’université », op. cit., p. 193.
30 Guy Rocher, « Structures et vie universitaire au Québec […] », op. cit., p. 280.
31 Ibid., p. 281.
32 B. C. Clark, Places of Inquiry, Research and Advanced Education in Modem Universities, op. cit.
33 J. Lebel, 35th Statistical Report, 1994-2003, Ottawa, Canadian Association for Graduate Studies/CAGS, 2005.
34 G. A. Jones, P. L. Mccarney et M. L. Skolnick (dir.), Creating Knowledge, Strengthening Nations: The Changing Role of Higher Education, Toronto, University of Toronto Press, 2005.
35 Guy Rocher, « Idéologies et engagements de l’université d’aujourd’hui et de demain », op. cit, p. 355.
36 B. R. Clark, The Research Foundation of Graduate Education, op. cit.; voir aussi B. R. Clark, Creating Entrepreneurial Universities: Organizational Pathways of Transformation, Oxford, Pergamon/Elsevier Science, 1998; B. R. Clark, Sustaining Change in Universities; Continuities in Case Studies and Concepts, Maidenhead, Open University Press/McGraw-Hill Education, 2004.
37 D. M. Cameron, « Post-secondary Education and Research : Whither Canadian Federalism ? », dans F. Iacobucci et C. Tuohy (dir.), Taking Public Universities Seriously, Toronto, Toronto University Press, 2005; J. R. Evans, « Higher Education in the Higher Education Economy : Towards a Public Research Contract », Killam Annual Lecture, 2001, p. 9-10.
38 D. M. Cameron, « Post-secondary Education and Research: Whither Canadian Federalism? », op. cit., p. 287-289.
39 Voir entre autres Guy Rocher, « L’idéologie de l’excellence devient un élitisme radical […] », op. cit., p. 12.
40 Anthony Giddens, The Constitution of Society, Cambridge, Polity Press, 1984.
41 D. M. Cameron, « Collaborative Federalism and Postsecondary Education: Be Careful What you Wish for », dans C. M. Beach et al. (dir.), Higher Education in Canada, Montréal/Kingston, McGill-Queen’s University Press, 2004; voir aussi D. M. Cameron, « Post-secondary Education and Research: Wither Canadian Federalism? », op. cit.
42 K. Snowdon, « Muddy » Data: University Financing in Canada », dans C. M. Beach et al. (dir.), Higher Education in Canada, op. cit.;N. Fortin, « Rising Tuition and Supply Constraints: Explaining Canada-US Differences in University Enrolment Rates », dans C. M. Beach et al. (dir.), Higher Education in Canada, ibid.; M. S. Williams, « Access to Public Universities: Addressing Systemic Inequalities », dans F. Iacobucci et C. Tuohy, Taking Public Universities Seriously, op. cit.
43 D. M. Cameron, « Collaborative Federalism and Postsecondary Education », op. cit.
44 Ibid. ; voir aussi J. R. Prichard, « Federal Support for Higher Education and Research in Canada: The New Paradigm », Killam Annual Lecture, 2000.
45 Ces documents ont pour titre Atteindre l’excellence ; investir dans les gens, le savoir et les possibilités (Ottawa, Industrie Canada, 2002) et Le savoir, clé de notre avenir : le perfectionnement des compétences au Canada (Ottawa, Industrie Canada et Développement des ressources humaines Canada, 2002).
46 Sur cette question des rapports de l’université avec un environnement fragmenté, constitué de rapports avec des pouvoirs publics et avec des ensembles de ressources configurés en rapports de marché, voir B. R. Clark, Creating Entrepreneurial Universities, op. cit. et Sustaining Change in Universities, op. cit., dont les travaux inspirent l’approche proposée ci-dessus.
47 B. R. Clark, Creating Entrepreneurial Universities, op. cit., et Sustaining Change in Universities, op. cit.
48 B. R. Clark, Sustaining Change in Universities, op. cit.
49 Guy Rocher, « Redéfinition du rôle de l’université », op. cit., p. 194.
50 I. Feller, « Whither Interdisciplinarity (In an Era of Strategic planning)? », American Association for the Advancement of Science, 2004.
51 Guy Rocher, « Redéfinition du rôle de l’université », op. cit., p. 194 ; voir aussi Guy Rocher, « L’université du XXIe siècle », op. cit., p. 203-204.
52 R. L. Geiger, « Introduction, Section II : The Institutional Fabric of the Higher Education System », op. cit. ; voir aussi B. R. Clark, Places of Inquiry, Research and Advanced Education in Modern Universities, op. cit., p. 241-245.
53 S. Welch et P. Syverson, « 1997 Post-Baccalaureate Certificates: A First Look At Graduate Certificate Programs Offered by CGS Member Institutions », CGS Communicator, Council of Graduate Schools, Washington (DC), vol. 37, no 7, août-septembre 2004.
54 Guy Rocher, « Redéfinition du rôle de l’université », op. cit., p. 187-189.
55 Ibid., p. 189-190.
56 Guy Rocher, « L’idéologie de l’excellence devient un élitisme radical […] », op. cit., p. 13-14.
57 J. A. Raelin, The Clash of Cultures: Managers and Professionals, Boston, Harvard Business School Press, 1986.
58 B. R. Clark, Sustaining Change in Universities, op. cit.
Auteur
Professeur au Département de sociologie, Université de Montréal
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Une transition incontournable
Mélanie McDonald, Daniel Normandin et Sébastien Sauvé
2016
Les grandes universités de recherche
Institutions autonomes dans un environnement concurrentiel
Louis Maheu et Robert Lacroix
2015
Sciences, technologies et sociétés de A à Z
Frédéric Bouchard, Pierre Doray et Julien Prud’homme (dir.)
2015
L’amour peut-il rendre fou et autres questions scientifiques
Dominique Nancy et Mathieu-Robert Sauvé (dir.)
2014
Au cœur des débats
Les grandes conférences publiques du prix Gérard-Parizeau 2000-2010
Marie-Hélène Parizeau et Jean-Pierre Le Goff (dir.)
2013
Maintenir la paix en zones postconflit
Les nouveaux visages de la police
Samuel Tanner et Benoit Dupont (dir.)
2012
La France depuis de Gaulle
La Ve République en perspective
Marc Chevrier et Isabelle Gusse (dir.)
2010