Racisme et citoyenneté chez les jeunes Québécois de la deuxième génération haïtienne
p. 185-225
Remerciements
Nous remercions le ministère du Patrimoine canadien qui a subventionné cette recherche ainsi que Coryse Ciceri qui a participé à la recherche sur le terrain et avec qui nous préparons un ouvrage à partir de cette enquête.
Texte intégral
1Les jeunes nés au québec de parents d’origine haïtienne1 vivent une citoyenneté paradoxale : ils appartiennent culturellement à la société québécoise, ne se distinguent pas des autres jeunes Québécois en termes de scolarité, d’aspirations et de participation à une culture de masse et de consommation, mais leur expérience sociale se construit « par et autour du racisme » (Gilroy, [1987] 1991) et de déterminismes sociaux qui résultent d’un parcours d’immigration qu’ils n’ont pas effectué et qui interfèrent sur leur participation égalitaire et la construction de leur individualité (Potvin, 1997, 1999). En d’autres mots, leur expérience sociale est marquée par une tension entre une appartenance culturelle au Québec souvent dénigrée ou « extranéisée » — perçue comme un leurre — et une participation socio-économique affaiblie par des conditions sociales et des obstacles à caractère raciste, contre lesquels ils s’insurgent. Puisqu’ils ne sont pas des immigrés, il n’existe pas « d’ailleurs », auquel ils sont souvent renvoyés. Ils ne trouvent pas non plus « refuge » dans la communauté haïtienne à Montréal, perçue comme un espace crée par et pour la « première génération », qui offre des services aux nouveaux arrivants et un tremplin politique à une élite constituée mais bien peu d’outils d’insertion à ces jeunes Québécois. Le racisme apparaît alors comme leur principal critère de distinction et devient l’explication parfois unique de leur situation sociale au moment où ils entrent dans l’univers concret de la citoyenneté. Devant la faiblesse des ressources dont ils disposent, ils se tournent souvent vers des appartenances réappropriées ou réinterprétées à la lumière de leur expérience sociale, s’inventant des mécanismes de prise en charge autonome qui s’appuient sur l’Islam ou sur l’afrocentrisme2. Ils circulent entre deux identifications communautaires : une communauté « réelle », léguée par la première génération haïtienne au Québec mais constituant un faible support de l’expérience concrète, et une communauté « représentée », diasporique, outernational (Gilroy, 1995), transcendante et symbolique, support d’un méta-récit médiatisant l’identité et donnant sens à leur expérience du racisme au Québec (Potvin, 1997, 1999).
2Nous interrogerons le rapport entre racisme et citoyenneté dans l’expérience sociale de jeunes Québécois d’origine haïtienne, à partir des données de l’une des « interventions sociologiques » menées à la fin de 19983. Il examine comment ces jeunes « gèrent » la tension entre leur citoyenneté de fait et de droit et leur expérience du racisme, en explorant les effets du racisme sur leur participation socio-économique et politique et sur leurs appartenances identitaires, situés comme des axes d’analyse. À travers certaines de leurs relations sociales, reproduites en laboratoire, l’analyse porte sur leur capacité à se transformer en acteur pour renverser le racisme, sortir des catégories dans lesquelles il les enferme et conflictualiser leur demande d’appartenance et de participation à la citoyenneté. Nous voulions vérifier si le racisme prédomine dans leur discours comme explication à tous leurs problèmes ou si, au contraire, les jeunes peuvent construire autour de l’expérience du racisme une identité de résistance collective et l’articuler à la production d’un projet global pour transformer le monde réel par le conflit social, en s’appuyant sur des capacités d’opposition, de mobilisation et de négociation. L’étude repose sur une hypothèse, issue d’une enquête précédente (Potvin, 1997,1999), selon laquelle le racisme vécu par ces jeunes est d’autant plus aigu qu’ils appartiennent culturellement à la société québécoise et que, de ce fait, ils cherchent à travers différents « pôles » identitaires des ressources pour donner sens à leur expérience fragmentée par le racisme.
3Leur appartenance culturelle au Québec a été démontrée par plusieurs études de perceptions. Dans une recherche psychosociale sur la construction de l’identité chez une trentaine de jeunes d’origine haïtienne, Legault (1990) montrait qu’ils se sentent plus près des valeurs québécoises (autonomie, individualisme) que de celles de leurs parents, notamment en ce qui concerne les rapports hommes-femmes, l’autorité du père et l’investissement dans la figure de la communauté. L’image du père serait plus négative chez les filles, soit par son absence, affective ou réelle, soit parce qu’il est identifié à une situation socioprofessionnelle dévalorisée aux yeux des enfants, souvent plus scolarisés. Ces facteurs alimenteraient une « crise » d’autorité parentale au sein de la communauté, comme le soulignait une étude sur l’augmentation des cas de jeunes haïtiens sous le coup de la Loi sur la protection de la jeunesse (Chiasson-Lavoie et al., 1989). Déjà au début des années 1980, des intervenants communautaires et chercheurs d’origine haïtienne mentionnaient au colloque « Enfants de migrants haïtiens en Amérique du Nord » les problèmes en émergence dans les relations entre les générations : les parents adopteraient parfois des comportements « caricaturaux » en contexte d’accueil (Douyon, 1982) en raison, notamment, de la disparition des mécanismes de modération et de compensation existants en Haïti ; les mères se verraient obligées d’assumer seules les responsabilités éducatives et économiques qu’allégeait la structure de la famille élargie en Haïti, laquelle permettait à l’enfant « de fuir ou de détourner les manifestations autoritaires et affectives mal définies » (Villefranche-Brès, 1982 : 98). Dans sa recherche-action menée auprès de parents et d’adolescents haïtiens de la région de Montréal, Turcotte (1991) constatait que les parents se sentaient peu préparés face à l’école, dépossédés de leur autorité parentale et ne pouvaient reproduire le modèle traditionnel d’éducation sans conflits de valeurs.
4Si ces jeunes appartiennent culturellement à la société québécoise, les taux de chômage étaient, en 1991, de 19,8 % chez les jeunes Noirs de 15-24 ans nés au Québec, de 19,9 % pour les natifs québécois d’origine haïtienne de 15-24 ans ne fréquentant pas l’école à temps plein, et de 35,9 % pour les 15-24 ans nés en Haïti4. Certaines études empiriques récentes, fondées sur des données perceptuelles5, ont montré les nombreux obstacles rencontrés par les jeunes d’origine haïtienne lors de leur entrée sur le marché du travail et au sein des entreprises (El Yamani, 1997 ; L’Indice, 1996). L’étude de la firme L’Indice6 note que les jeunes d’origine haïtienne se sentent systématiquement discriminés en raison de leur couleur et ont tendance à se rendre responsables de la discrimination subie. L’étude fait état de préjugés racistes directs et indirects des employeurs face aux jeunes Noirs, préjugés que les employeurs justifient par des facteurs de communication interne, de clientèle ou encore par le « choc culturel » que provoquerait l’intégration de jeunes racisés dans une culture d’entreprise et des équipes de travail composées d’employés plus âgés, qui se sentiraient menacés dans leurs « performances » et leur emploi. Ainsi, les entreprises appliquent des mécanismes de sélection qui favorisent l’exclusion de ces jeunes sur la base de la non-ressemblance et de la non-conformité avec les gens du groupe majoritaire. Les jeunes et les employeurs estiment qu’il existe une échelle hiérarchique perceptuelle qui positionne les groupes et détermine leurs rôles en fonction de leur couleur : les Blancs en haut, les Noirs en bas, notamment les Haïtiens (ibid. : 86). Ainsi, les jeunes s’efforceraient de se « faire une deuxième peau » pour compenser leur appartenance à un groupe racisé, en adoptant les règles de la performance et en misant sur leur individualité. L’étude conclue à l’existence d’une inadéquation entre ce qu’offrent les jeunes (formation, expertise) et la perception des employeurs à leur égard, fondée souvent sur des préjugés plutôt que sur la prise en compte du profil réel des jeunes. Les employeurs demanderaient aux jeunes d’être des « défonceurs de portes » alors qu’ils leur offriraient des postes de « portiers » (ibid. : 78). Ne reconnaissant pas le problème d’intégration des jeunes racisés en emploi, les employeurs n’auraient pas conscience du sentiment d’urgence qui les anime et les conduit à développer un discours d’exclusion.
5D’autres travaux ont également montré les rapports conflictuels des jeunes Noirs avec la justice (Douyon, 1982) et la police, notamment la vaste enquête de la Commission des droits de la personne (1988) sur le racisme au sein de l’institution policière, qui a indiqué qu’en tant que Noirs, ces jeunes sont plus sujets que les autres jeunes au harcèlement, aux arrestations et à la suspicion des policiers (1988 : 387-389), aux signalements et aux références plus systématiques au Tribunal de la jeunesse (ibid. ; Préjean, 1991) et aux prises en charge par les centres d’accueil (Jacob, Hébert et Blais, 1996). À l’école, l’enquête de Tchoryk-Pelletier (1989) a indiqué, à partir de données quantitatives et qualitatives, que les jeunes haïtiens étaient les principales victimes des stéréotypes et des préjugés négatifs de la part des étudiants québécois francophones, alors que l’étude de perception menée pour le MCCI et la Ville de Montréal (1993) relevait chez les jeunes Haïtiens un sentiment de racisme alimenté, selon eux, par les attitudes et conduites du corps enseignant et des autorités scolaires.
6Cette expérience du racisme agit sur la construction de leur individualité et appartenances identitaires. Alors que les études plus anciennes attribuaient leurs difficultés à la « double appartenance » de ces jeunes à des systèmes de valeurs considérés « disjoints » ou « antagonistes » (Beauchesne, 1989 ; Pierre-Jacques, 1985), aujourd’hui, leur identité hybride ou mixte (Meintel, 1992 ; Laperrière et al., 1989-1991) est analysée en tant que produit d’une expérience fragmentée par le racisme et de relations interethniques douloureuses à l’école ou dans leur quartier. Les témoignages de jeunes recueillis par Laperrière et al. (1989-1991) dans des écoles secondaires multiethniques francophones faisaient état d’une progression de « l’isolement ethnique » des jeunes haïtiens à travers la scolarisation, de leur grande vulnérabilité aux regards des autres et de leur crainte d’être enfermés dans un statut inférieur par le racisme, vécu quotidiennement.
Le rapport entre racisme et citoyenneté
7Le racisme se produit comme rapport entre des individus ou groupes situés à l’intérieur d’un même ensemble culturel et combine généralement deux logiques : une différenciation et une infériorisation (Guillaumin, 1972 ; Memmi, 1994 [1982] ; Wieviorka, 1991 et 1988 ; Wieviorka (dir.) 1993 ; Taguieff (dir.), 1991)7. Dans le cas des jeunes de deuxième génération haïtienne, le racisme vient nier leur humanité et leur individualité par la construction de différences culturelles imaginaires, naturalisées et infériorisées à partir d’un signe phénotypique (la couleur de la peau), alors qu’objectivement, rien ne les distingue des autres jeunes Québécois8. En ce sens, le racisme est une pathologie de l’intégration démocratique dans les sociétés égalitaires et individualistes modernes (Dumont, 1983), puisqu’il se produit lorsque l’intégration est un succès mais lorsque celle-ci n’est plus médiatisée par le conflit social (Lapeyronnie, 1993). Ces jeunes ne sont pas des « étrangers », selon l’image donnée par Simmel (1979), mais des « assimilés », tels que décrits par Arendt (1984 [1973]), c’est-à-dire des individus dont les relations avec la société ne sont pas abstraites et purement instrumentales mais affectives et nécessaires. Le champ des relations dans lequel ils s’inscrivent n’est pas uniquement structuré par la compétition entre des groupes sociaux ou « ethniques » pour l’accès à des ressources mais, surtout, par un conflit culturel et social entre des formes normatives d’intégration et des demandes de reconnaissance de subjectivités et d’expériences sociales spécifiques (Lapeyronnie, 1993). En d’autres mots, les sociétés modernes intègrent la différence à travers le conflit et ce n’est pas la « différence » ou « l’altérité » qui suscite le rejet (qu’on appellerait alors xénophobie) mais « le refus de l’incorporation et de l’indifférenciation » (ibid. : 99). Bref, le racisme participe des processus d’intégration et d’individuation en tant que forme pathologique ; il est le « refus du même », de l’égal, de l’assimilé, de ceux qui sont déjà intégrés par leur action conflictuelle, par laquelle ils se différencient et s’identifient tout à la fois. Il est le produit d’un rapport de domination qui agit comme justification d’une différenciation et d’une infériorisation motivées par la défense d’un ordre, de privilèges, de prestige ou de biens (Guillaumin, 1972).
8Ainsi, lorsque l’immigré occupe un statut « d’étranger », lorsqu’il est défini par son appartenance à une communauté « différente » ou fonctionnant en parallèle, la participation est vécue comme une compétition entre des groupes distincts qui mobilisent des ressources (matérielles, ethniques, politiques) pour se disputer des biens. Lorsqu’il ne s’agit plus d’immigrés mais bien de citoyens racisés appartenant à l’espace culturel commun, qui demandent des changements normatifs et la prise en compte d’expériences ou de subjectivités spécifiques, c’est moins l’exploitation ou la différence de modes de vie qui est en cause que l’universalisme du dominant et la difficulté pour cette « culture universaliste » d’incorporer l’expérience particulière du racisé. McAndrew (1993) a bien vu ce phénomène dans le déplacement des enjeux qui s’est produit dans le débat sur l’intégration des jeunes issus de l’immigration à l’école française depuis l’adoption de la loi 101 : leur intégration susciterait, chez certains intervenants scolaires, des résistances face aux transformations pluralistes de l’école, non plus parce que les immigrants « refuseraient » d’aller à l’école française, mais parce qu’ils seraient perçus comme « culturellement inassimilables » (Juteau et McAndrew, 1992)9.
9La citoyenneté est l’espace démocratique qui rend possible les conflits culturels et sociaux dans les sociétés pluralistes, individualistes et égalitaires (Mouffe, 1996). Elle repose « classiquement » sur un principe de participation sociale et politique égalitaire et sur un principe d’appartenance à un espace culturel commun (Marshall, (1965 [1949] ; Kymlicka, 1992), espace généralement défini comme un « monde commun » fondé sur les valeurs du pluralisme, du libéralisme, de la démocratie, etc. Ces deux principes doivent s’amalgamer dans la pratique pour permettre l’actualisation des composantes de la citoyenneté (les droits fondamentaux, sociaux et politiques). Mais le racisme est antithétique à la citoyenneté parce qu’il refuse l’union ou l’articulation nécessaire de la participation et de l’appartenance pour certains individus ou groupes. Il constitue la face inversée des principes de citoyenneté lorsqu’ils ne sont plus médiatisés par le conflit. Or, seul le conflit social peut combattre le racisme et rendre possible la citoyenneté dans les sociétés pluralistes, où les transformations de la vie sociale imposent un approfondissement de l’intégration culturelle commune, c’est-à-dire de l’appartenance à une citoyenneté partagée. Ainsi, le racisme décompose la citoyenneté tout en devenant l’explication de l’expérience personnelle, une « catégorie cognitive » (Dubet, 1994) qui peut cependant permettre de (re)définir les bases d’un conflit autour duquel les racisés peuvent se constituer en acteurs sociaux. Mais lorsque les sujets sont incapables de se transformer en acteurs et d’être parties prenantes d’un conflit, lorsqu’ils restent dans les catégories du racisme ou dans ce que j’appelle « l’hyper racisme »10 — soit l’explication de tous les problèmes par le racisme et non par des enjeux sociaux, politiques ou culturels — la citoyenneté ne peut s’actualiser.
L’intervention sociologique avec le groupe
10Nous avons rencontré des jeunes « ordinaires » et non des militants antiracistes ou afrocentristes afin de nous situer dans l’espace qui précède « l’hyper racisme » mais qui peut peut-être y conduire, sans y être encore installé au niveau du discours. Les jeunes du groupe (six filles et deux garçons) se sont inscrits volontairement à une série de cours sur l’histoire d’Haïti, organisée par l’Association des enseignants haïtiens du Québec11. Aucun ne se connaissait. Ils ont entre 21 et 31 ans, sont tous célibataires et sont nés à Montréal, sauf deux, arrivés à trois et cinq ans d’Haïti. Six habitent avec leurs deux parents ou avec leur mère et deux vivent seuls en appartement. Ils proviennent de milieux sociaux semblables (milieu populaire et classe moyenne) et résident dans des quartiers et municipalités diversifiées : trois à Montréal-Centre, un à Côte-St-Luc, un à Rosemont, deux à Montréal-Nord et une à Vanier près de Hull. Ils sont travailleurs à temps plein (un à contrat dans la fonction publique fédérale, l’autre chez Protectron) ou à temps partiel (employée d’une manufacture de cassettes, vendeuse, infirmière, technicien juridique au Tribunal de la jeunesse), cinq poursuivent des études universitaires et une étudie au Collège LaSalle. Trois sont bilingues (français, anglais) et cinq sont trilingues (français, créole, anglais). Ils sont en début de carrière et connaissent bien les réalités du marché de l’emploi. Ils sont catholiques, sauf une, qui est baptiste pratiquante. Ces jeunes ne font partie d’aucune association ; un seul s’est impliqué aux dernières élections municipales alors qu’une autre est cadet de l’armée. La première rencontre a fait ressortir abondamment les thèmes de la fragmentation de l’appartenance, de l’emploi et de la vie politique québécoise, qui renvoient aux axes (ou processus) de participation (sociale et politique) et d’appartenance culturelle. Lors de cette rencontre, les jeunes ont identifié trois interlocuteurs qu’ils ont rencontrés subséquemment et qui correspondent à leurs attentes et réalités : une jeune péquiste et candidate aux élections municipales, une représentante du service de développement des affaires économiques de la Ville de Montréal, responsable des Programmes d’accès à l’égalité, et un policier12.
Une appartenance culturelle fragmentée
11La première séance débute sur les raisons qui ont amené les jeunes à s’inscrire à un cours d’histoire d’Haïti. Tous expliquent le « grand vide » qu’ils ressentent face à une identité perdue, le besoin qu’ils ont de donner un sens à leur réalité spécifique de jeunes Québécois de « deuxième génération » haïtienne, de savoir ce qu’ils sont, d’où viennent leurs ancêtres et s’il existe une dichotomie entre les images d’Haïti projetées par les médias et celles transmises par leurs parents. Martine souligne, « Je suis née à Montréal, la culture haïtienne qu’on a apprise, c’est par bribes. Je voulais créer du sens par rapport à la culture haïtienne. Tout ce qu’on voit à la télé, la pauvreté, le sensationnalisme, ça ne reflétait pas ce que nos parents nous disaient. Je voulais des faits. » Pour James, « Y’avait un gros vide. Le peu qu’on verse, ça m’aide beaucoup », puisqu’il se dit en quête de ressources pour recoller les morceaux de son expérience sociale. Vanessa explique qu’elle connaît « par cœur » l’histoire des Noirs aux États-Unis et l’histoire du Québec, qui se refléteraient dans leur réalité quotidienne à travers les films et les médias, mais « pas Haïti » : « Ma mère n’avait pas l’air d’être fière de me raconter l’histoire d’Haïti, ni de m’apprendre le créole. » Ils cherchent à reconstruire, à partir de références positives, une expérience et un parcours collectifs que les images négatives auraient déconstruits. Ils s’accrochent aux quelques images valorisantes de ce pays inconnu, « parce qu’on montre que c’est le pays le plus pauvre de l’hémisphère Nord, on est très souvent étiqueté comme ça », soutient James. L’apprentissage mais, surtout, l’actualisation de l’histoire d’Haïti leur permettrait d’en faire un principe positif d’appartenance et de mieux comprendre leur expérience personnelle au Québec.
12S’ils s’investissent beaucoup dans cette démarche, ils circulent constamment entre l’évocation de la culture, de la couleur et de l’expérience réelle ; leur « histoire » personnelle est un amalgame d’éléments puisés dans des sources multiples car tous s’identifient, comme Vanessa, « à l’histoire américaine, les Noirs, Black Panthers, Malcolm X, c’est ma culture, le rap, le hip hop ». James explique le « lien nécessaire » qu’ils font entre les Noirs américains et leur propre situation, non seulement en raison de la couleur, à laquelle ils sont constamment renvoyés, mais aussi à cause de leur ancrage en Amérique du Nord, du vide historique à combler et du désir de se valoriser à travers les « leaders » noirs, qui leur indiqueraient les « voies à suivre » :
James : Un des liens [c’est] qu’on est noirs. Puisqu’on n’arrive pas à s’identifier ailleurs que par notre couleur, alors on dit : « Y’a des leaders noirs aux USA, qu’est-ce qu’ils font et comment ils agissent ? » On peut s’identifier à eux. C’est à eux qu’on a accès, on a grandi avec ces gens-là. Ils sont pas exactement comme nous mais puisqu’on a rien d’autre, on s’accroche à ça. Si on pouvait avoir des leaders haïtiens potentiellement corrects, on pourrait suivre leur démarche, on aurait quelque chose de plus [à quoi] s’identifier.
13L’identification aux Noirs américains, ou à une « panethnicité diasporique », aurait commencé au début des années 1990. Ils parlent avec enthousiasme d’une mouvance associée à la sortie du film sur Malcolm X en 1992, une époque où « tout le monde était en ébullition : les policiers, la communauté noire. Tout le monde était Black Panthers », dit James en riant. Les autres confirment ses propos : « On était jeunes, on était en plein dedans. On avait nos t-shirts, nos casquettes, on écoutait tous les mêmes affaires. » Pour James, « c’est à partir de là qu’on a cherché notre identité ». S’il est moins effervescent aujourd’hui, ce mouvement d’identification Black continuerait à donner des éléments d’explication à leur expérience québécoise :
Gladys : Ça nous disait que ce n’était pas fini. Les Blancs croient que c’est fini parce que c’est interdit de se promener en cagoule. Nous, on arrive dans le vrai monde, on est adultes, on s’adapte, c’est des choses qui nous font réaliser que c’est pas fini, qu’après tant d’années, un paquet de leaders Noirs se sont fait assassiner, ont passé leur vie en prison. Oui, l’apartheid est aboli, mais qui règne encore en Afrique du Sud ? Oui, je peux me défendre s’il m’arrive quelque chose, le syndicat, etc., mais quand je vais me chercher un emploi, eh !
14C’est à la même période qu’ils découvrent que la musique haïtienne est devenue une « musique des jeunes », qui affirme une identité haïtienne « moderne » et réactualisée. La fierté de leur origine s’appuie surtout sur la popularité de certains groupes de compa (comme Sweet Mickey), qui montrent que « ce n’est pas que des boat people, sont capables d’avoir quelque chose de positif », soutient Gladys. Ces images positives, médiatisées et populaires auprès des jeunes, seraient susceptibles d’améliorer leurs relations avec les « Québécois blancs »13. Car au-delà des symboles, ils cherchent à construire une identité « québécoise » afin d’assurer continuité et transmission aux générations à venir. Ainsi, leur identification aux Noirs américains et aux Haïtiens s’est développée comme une « subjectivité », à partir de leur expérience particulière de jeunes Québécois de seconde génération immigrée qui les a amenés à bricoler une identité à partir de plusieurs référents. Toutefois, en tant qu’« hybrides » culturels, ils se sentent pris dans un étau, car tant du côté « haïtien » que du côté « québécois », ils perçoivent des rejets qui les situent constamment « entre deux chaises ». Ils disent faire des efforts constants pour se plier au conformisme des milieux dans lesquels ils circulent, efforts qui aboutissent bien souvent à des échecs. Le racisme l’emporte comme explication de la fragmentation de leur « appartenance », qui résulterait d’un discours hypocrite sur l’intégration, discours qui leur demanderait « d’être pareils aux autres » et les rejetterait au nom de « leurs différences ». Mais ils font preuve de résistance, en s’accrochant à des modèles d’innovation culturelle, notamment à travers des référents musicaux :
James : On est tous des Noirs haïtiens qui ont grandi au Québec. On a deux cultures puis on s’identifie pas à une culture propre. Quelqu’un qui a vécu 15 ans en Haïti puis 10 ans ici, on s’entend pas. En Haïti, je suis étiqueté Blanc.
Vanessa : Quand je suis allée en Haïti, j’avais pensé : « Ah ! je vais me sentir comme chez moi. » Ils m’ont dit : « ah ! la Blanche, l’étrangère », personne ne me parlait en créole, moi qui voulais apprendre. Quand je suis au Québec, je suis pas vraiment québécoise « ah ! elle est noire ». Je suis où ? Je suis-tu vraiment haïtienne ?
James : Oui. À l’école, je dois parler d’une façon. À la maison, je dois agir d’une autre façon (rires).
Chercheure : Est-ce un atout ou c’est déchirant ?
Gladys : Les deux, là on en rit mais...
James : Ça va rester toute notre vie. C’est notre quotidien. Mon cousin Luck Merville14, quand il a commencé à chanter, il a dû adapter ses tounes à la québécoise. S’il avait chanté d’abord en créole, il n’aurait pas été connu.
Gladys : Il a trimé dur, je l’admire. Il vit entre deux couteaux. Il est rentré en Québécois, il s’est fait mal voir par les Haïtiens. Là il peut se permettre de faire des mélanges.
Vanessa : Les Haïtiens, on s’est bien intégrés. J’écoute du rap underground, j’écoute les refrains pis on parle pas de ce qui se passe en Haïti, mais de « tu te rappelles, quand on était petit, on écoutait Passe Passe-Partout ? ». On a tous les mêmes références. On est vraiment Québécois, nos images de références, c’est québécois.
James : On s’est bien intégrés mais on a quand même été rejetés. Je peux pas comprendre : j’ai joué au hockey, j’ai fait toute ma scolarité ici, du primaire à l’université et le nombre d’amis Blancs que j’ai, je peux pas les compter sur une main. On les côtoie et on les perd rapidement. Malgré ça, il faut toujours rester positifs, forts, faire des efforts pour être acceptés. On a fait notre part. On est déjà intégré.
Shara : On a tous grandi, les expériences de recherche d’emploi, les médias, tout ça fait que oui t’es Québécois, t’es Noir, mais tu te sens pas Québécois, tu sais que t’es pas dedans, t’as quelque chose à part.
James : C’est un langage pour nous amadouer. J’ai joué au Hockey de 6 ans à 16 ans pour à chaque année être le dernier retranché pour passer à un niveau supérieur. Je comptais plus de buts que tout le monde ! !
Gladys : Ma mère m’a dit, lorsque je lui parlais d’un prof que j’aime pas trop, « attention, fâches-toi pas, il va te faire couler » (rires). Classique. Tu sais pas à qui tu as affaire. C’est des choses auxquelles on fait face, y’a personne qui s’affiche en cagoule. Maintenant, c’est sournois, c’est invisible. « Je suis pas raciste, mais... », la fameuse phrase. Beaucoup d’enfants auraient pu être poussés plus loin mais la crainte de se faire taper plus dur... Les parents veulent garder l’enfant dans le réel. Maintenant, on est adultes, on est dans le réel.
15Selon eux, le racisme peut surgir n’importe où, n’importe quand, contribuant à leur sentiment d’impuissance et de domination. Non seulement il fait partie de leur quotidien mais aussi d’un parcours collectif au Québec. L’histoire québécoise dont ils parlent abondamment n’est pas celle des « hauts faits » historiques ; elle apparaît comme une « mémoire » expérientielle et collective, qui se construit à partir d’événements qui les stigmatisent en tant que groupe minoritaire : les bavures policières, les images « d’émeutes » des jeunes haïtiens transmises par les médias, les moments de mobilisation collective pour dénoncer le racisme, l’association qu’avait faite la Croix-Rouge entre le sida et les Haïtiens au début des années 1980, etc. L’« histoire collective québécoise » qu’ils évoquent est à la fois celle d’une aliénation et d’une résistance (fluctuante) contre le racisme qui contribue, paradoxalement, à renforcer leur sentiment d’appartenance à un groupe social spécifique tout en les inscrivant dans le champ des rapports sociaux québécois.
16En se définissant par leur expérience de racisme, ils préconisent le rapprochement avec les autres Noirs et la création d’un rapport de force au sein de la société afin de négocier leur intégration. Ils veulent s’ancrer dans des structures nouvelles qui créeraient de meilleurs outils d’insertion, de mobilisation et d’opposition que ceux qu’offrent les organismes de la communauté haïtienne. Toutefois, ils arrivent difficilement à traduire leur désir d’action dans des formes concrètes et un projet collectif parce que, disent-ils, les Noirs manqueraient de solidarité du fait de l’intériorisation de l’aliénation et d’un rapport de domination :
Martine : On a plus d’argent que nos parents, plus d’éducation, [on est] plus structurés... Mais c’est un immense ghetto. Les Haïtiens sont d’un côté, les Jamaïcains de l’autre (...) y’a une espèce d’opposition...
Chercheure : Il faudrait du rapprochement ?
Martine : On vit la même chose. C’est une mentalité qui devrait se briser.
James : On est enchaînés mentalement. « Le ghetto », c’est pas mauvais, mais qu’on s’organise. Dans mon quartier, y’a pas d’association pour les jeunes qui veulent devenir dessinateurs, les Noirs sont endettés, alors il faut créer une banque pour prêter aux Noirs... Il faut se regrouper.
Chercheure : Les associations, les structures haïtiennes, ça existe.
Vanessa : C’est fatigant d’être obligés de passer par là !
James : C’est fatigant et ce n’est pas accessible. Les jeunes, il faudrait y aller en groupe. Y’en a pas là-dedans. C’est pas connu. Ils n’ont pas de fonds. Il faudrait d’abord que ce soit du monde compétent qui y travaille.
Shara : Il faudrait faire de nouvelles associations par les jeunes. Aux États-Unis, c’est plus facile de s’identifier aux Noirs, alors qu’avec les Québécois blancs, on est portés à moins s’identifier et à garder nos trucs.
James : Ils ont la chance d’avoir des maires noirs, Jesse Jackson, des cadres noirs, etc.. Nous on a pas ça.
Chercheure : Il y a des Noirs au Canada depuis 300 ans environ.
Gladys : On connaît pas l’histoire des Noirs ici parce que c’est pas promu. Aux États-Unis, tu as des Black Sections partout. Nos parents ont leur propre histoire, nous on recherche notre histoire.
17Ils sont conscients du paradoxe selon lequel leur participation à plusieurs « univers culturels » — haïtien, québécois, Black — leur fournit un ensemble d’atouts tout en constituant des critères au nom desquels ils sont souvent rejetés. Ils sont le plus souvent étonnés d’être renvoyés à des différences qu’ils ne possèdent pas (ou à peine), et se trouvent confrontés à un « grand vide » à combler. De ce fait, ils cherchent à gérer cette tension en allant (re)découvrir des racines, des héritages, bref des différences qu’ils pourraient valoriser afin de contrecarrer les images négatives projetées sur eux. Ils sont en quête de ressources identitaires qui permettraient, par leur articulation, de donner un sens aux rejets et à leur sentiment d’être « différents », mais aussi d’agir comme facteurs puissants d’insertion, notamment en permettant la mobilisation de ressources humaines et matérielles, qu’ils cherchent surtout du côté de la communauté haïtienne à Montréal. Or, ils sont déçus par la faiblesse des ressources que la communauté est capable de leur fournir, et doivent chercher de l’aide ailleurs. Même s’ils s’efforcent de trouver dans l’histoire d’Haïti une signification à leur présent et à leur avenir, ils ne se retrouvent ni culturellement, ni « sociologiquement » dans cette communauté, perçue comme un petit ghetto qui correspond à la réalité d’immigrants de leurs parents. Ils expliquent que si les leaders haïtiens craignent la disparition de la communauté et l’absence de relève, c’est parce que « la communication ne s’établit pas entre les anciens et nous » et que les deux générations évoluent dans des univers séparés.
18Ce premier débat sur les « appartenances » laisse entrevoir qu’en raison des obstacles, des échecs ou des rejets rencontrés dans leur parcours, ces jeunes cherchent à fabriquer ou à réactiver des identités racisées et ethnicisées — perçues comme des espaces de « dignité » — afin de gérer la tension subie, de se protéger contre le racisme, ou, parfois, de se poser en rupture avec la culture dominante. Cependant, ils refusent d’être enfermés dans des identités hétéronomes et « imposées ». Les rejets sont vécus d’autant plus durement que ces jeunes sont intégrés culturellement à la société québécoise et veulent être pleinement insérés sur le marché du travail.
La participation socio-économique : le racisme en emploi ou le rejet du « même »
19Dès la première rencontre, l’enjeu de leur insertion en emploi s’est imposé très clairement. Pour eux, il n’existe pas un marché de l’emploi « haïtien », c’est-à-dire un réseau d’institutions et d’entreprises, ou une « complétude institutionnelle » (Breton, 1964) suffisamment forte pour vivre en parallèle au sein de la société québécoise. Ils doivent donc s’intégrer au marché du travail plus large, en respecter les règles et en subir les obstacles. S’ils ont les mêmes aspirations que les autres jeunes, leur désir de réussite s’appuie sur l’expérience de leurs parents, qu’ils ne veulent pas reproduire, surtout chez les filles :
Vanessa : Ma mère n’a pas fini son secondaire. Quand j’ai vu sa situation, j’ai dit « jamais de la vie », il faut étudier.
Martine : Maintenant, surtout les jeunes femmes haïtiennes, on fonce plus, on veut plus, on niaise plus.
Vanessa : On dirait que les gars noirs se sentent plus victimes de racisme que les filles. Ils se plaignent : « ah ! on travaille pas ». Les filles, on est aussi victimes mais on va à l’école, on veut que ça change.
20Ils sont suffisamment formés et informés pour mener à bien leur démarche d’insertion en emploi. Ils parlent de leur formation, de leurs diplômes et de leurs « différences », qu’ils valorisent comme des atouts (langues, voyages, etc.), et ne voient pas ce qui pourrait les défavoriser dans leur démarche d’insertion. Ils attribuent donc leurs difficultés ou leurs échecs aux préjugés des employeurs face à leur appartenance à un groupe ethnique minorisé et ensuite, à leur appartenance au groupe des jeunes, beaucoup plus qu’à la rareté des emplois ou à des profils personnels peu attrayants pour les employeurs.
James : On est nés ici, on parle français, on est tous à 90 % bilingues ou trilingues, on a tous fini le collège, on est rendus ou on a terminé l’université, on a pratiquement tous voyagé, on est très ouverts sur le monde et débordants d’énergie. Pourquoi on ne nous engagerait pas ? Tandis que quelqu’un de plus « moyen » va se faire engager.
Chercheure : Comment vous expliquez ça ?
Martine : Les Québécois sont fermés sur leur culture. J’ai vécu trois ans en Ontario et la personne va être engagée selon ses compétences. À Montréal, c’est aberrant le nombre de jeunes qui ont fini d’étudier mais qui ne sont pas dans leur domaine, qui ont des jobines.
Chercheure : Parmi les Noirs ou parmi les jeunes en général ?
Martine : Les jeunes en général mais plus dans le bassin noir.
Vanessa : Les Blancs ont plus de chances de travailler que les Noirs.
21Ils doivent « faire oublier » leur couleur, le pays d’origine des parents, leur appartenance à cette communauté haïtienne qui jouirait d’une image dévalorisée. De plus, ils tentent, comme plusieurs autres jeunes, de déloger les plus âgés pour se faire une place. Pour ce faire, ils vont concilier les études et les « jobines », auxquelles ils s’accrochent par peur d’être sur la paille, même s’ils sont souvent surqualifiés. Mais les attitudes de fermeture rencontrées chez les employeurs de différents milieux et la précarité de leur emploi affaiblissent leur espoir d’intégration et alimentent leur sentiment d’exclusion. Ils estiment constituer une main-d’œuvre à rabais, confinée au bas de l’échelle. Même s’ils cherchent à travailler au Québec, ils rêvent d’un « ailleurs » où ils pourraient se réaliser pleinement dans leur carrière. Les jeunes se sentent déchirés à cet égard. À plus ou moins long terme, les échecs successifs et le sentiment de rejet pourraient jouer de façon déterminante dans l’abandon des projets d’études ou de carrières, dans leur départ du Québec ou encore dans l’exclusion pour ce groupe d’un ensemble de postes ou de secteurs d’emplois.
James : Je veux travailler mais c’est toujours des petits contrats. Si après avoir passé ma vie dans ce système on m’avait dit : « oui, tu peux travailler, avoir une maison, tu fais partie de la société », je resterais.
Chercheure : On ne vous a pas dit ça ?
James : Oh non ! Demain matin, je m’en vais travailler pis j’ai pu de job (rires).
Shara : J’espère que les jeunes vont créer le chemin pour ceux qui vont venir après. C’est nous et les prochains qui vont former la communauté haïtienne. J’aimerais partir mais je vais rester pour ceux qui vont venir.
Vanessa : Ici on t’offre rien ! !
James : C’est toujours nous qui devons créer quelque chose. Mais si on va là-bas, il faut encore s’adapter, on connaît pas le système. Pourquoi ne pas s’installer où on est déjà ?
Vanessa : Je veux rester ici, mais j’ai toujours travaillé sur une liste d’appel. Mon père est reparti en Haïti, il veut me convaincre en disant : tu vas être infirmière, tu vas être bien. En Haïti je serais plus reconnue socialement. Je n’ai pas vécu là, mais je vais toujours avoir de la famille, une place.
James : Je ne comprends pas comment le Québec investit tant dans des gens et une fois formés, il les laisse partir. Mon frère a un doctorat, c’est toute la population qui a payé pour ça, mais on ne l’engage pas. Il fait ses sous aux USA. Tu as étudié toute ta vie, t’as travaillé pour être quelqu’un pis la société te dit que tu n’es personne.
Vanessa : Moi ça ne me dérange pas l’argent. J’aimerais mieux être à Montréal pis avoir moins.
Chercheure : Quand vous parlez de société, c’est au Québec ou au Canada ? C’est quoi le marché pour vous ?
James : C’est québécois (tous approuvent). On a grandi ici. Mais je travaille dans la fonction publique fédérale. Je me sens rejeté par le système québécois. Quand j’ai appliqué chez Bell, y’avait peu de Noirs chez Bell, Hydro, Desjardins. Chez Bell, ils ont mis deux Noirs au comptoir pour montrer qu’« on engage des Noirs », alors qu’il n’y en a pas en arrière, en haut. Après avoir travaillé cinq ans là, tu ne peux pas monter. Montrez-moi un cadre noir qui travaille là ! ? C’est québécois pure laine, ils sont pas ouverts à nous, mais nous, on doit s’ouvrir à eux.
Martine : Qu’on soit toujours gentils, de bonne humeur.
James : On doit s’intégrer, s’assimiler. Pourquoi ils ne viennent pas à nous, nous approcher ? Je suis Québécois comme tout le monde, j’ai grandi ici, vécu ici. Pourquoi je me sens pas faire partie du système ?
22Même s’ils suivent les mêmes démarches d’emploi que les autres jeunes, ils croient que le fardeau de la preuve serait toujours sur leurs épaules. Dans ces conditions, ils ont l’impression de devoir fournir le double d’efforts pour se vendre en tant que candidat « acceptable » :
Martine : Mes parents m’ont dit « tu dois travailler deux fois plus », et même à ça, tu risques de pas l’avoir. Les Québécois que je connais, ils prennent tout pour acquis. Nous on doit se battre [...].
23Les attitudes de fermeture se verraient aussi au sein de leur milieu de travail, dans certaines équipes qui ne les intègrent pas aux heures de dîner ou dans les activités sociales. Ils disent se soumettre davantage au conformisme ambiant tout en restant toujours l’exception : « S’il y avait 40 Noirs sur 120, ils ne te verraient pas comme le Noir de la place » », soutient James. Selon lui, ses collègues seraient « trop politically correct » pour lui dire qu’il a été engagé parce qu’il est Noir, « n’empêche que tu le sens, c’est implicite ». La pression du milieu aurait mené certains à s’auto-exclure, surtout lorsque leur emploi est perçu comme une « jobine ».
Martine : Au travail, chez Protectron, j’étais la seule Noire pendant un an. Des Haïtiens ont été engagés et personne ne leur a dit bonjour ; ils ont été retranchés. Y’a là une mentalité déplorable. Il faut pas montrer que tu es éduquée, que tu as été à l’université. Je me suis retranchée moi-même, je lisais des revues de « Noirs », des trucs intellos, je demandais de parler créole aux autres Haïtiens. Les gens au travail se sentent insécures par ça.
24Les exigences des entreprises sont ressenties comme un piège car malgré les efforts fournis, ces jeunes se butent à des mises à l’écart ou à des formes subtiles de discrimination. S’ils acceptent le discours néolibéral avec son modèle de réussite standardisée, axé sur l’opportunisme, l’individualisme, la performance, l’attitude gagnante, ils savent que les paramètres sont souvent aléatoires et fondés sur le pouvoir discrétionnaire de l’employeur. Leur expérience en emploi est décrite en termes de survie, d’absence de choix et de soumission à des exigences qu’ils refuseraient si ces obstacles n’existaient pas, comme répondre à des questions sur leur couleur dans les formulaires d’emploi. Ils disent sentir « chaque fois » qu’ils servent de prétexte aux entreprises qui engagent quelques Noirs « par-ci, par-là » pour se montrer représentatives de la société. Pour eux, « la petite feuille d’équité en emploi, c’est discriminatoire » car « toute l’attention est sur nous, on sent tellement qu’on est différent » (James). Il serait impossible d’accuser les compagnies de discrimination lorsqu’elles appliquent les Programmes d’accès à l’égalité (PAE), alors qu’elles alimenteraient les préjugés contre les Noirs au sein de la population, rendant la discrimination plus diffuse, omniprésente et moins facile à dénoncer.
Vanessa : Moi je trouve qu’on est obligés de faire ça sinon, on n’en aurait pas de job.
James : C’est ça le problème. Ils nous forcent à se sentir comme ça. Si je l’écris pas je viens de diminuer mes chances. Ils vont m’engager parce que je suis noir. On devrait pas répondre à ça. Individuellement parlant, j’en profite du système, mais collectivement, c’est dévalorisant. Mais comme je veux travailler...
Gladys : C’est fait à l’envers. Les compagnies disent : « On a engagé du monde. » Mais c’est la population qui fait problème. Ils disent : « J’ai fait mon cours de technique policière, j’ai eu 97 % à l’examen pis lui, l’estie de nègre a eu 75 % pis y’a passé. » Tout le monde est frustré maintenant par la politique du 25 %. Ce n’est plus les compagnies qu’on peut accuser, ils ont jeté ça dans les mains de la population. Ça peut paraître parano, mais c’est machiavélique parce que [les préjugés] ce n’est plus d’en haut que ça vient. Un homme de 45 ans, mis à pied d’une manufacture, avec 3 enfants, moi j’arrive, une femme noire, cet homme a des raisons de me haïr.
Martine : Certains Haïtiens disent : « Quand tu fais ton c.v., n’écris pas le créole. » Est-ce que c’est une barrière ?
James : Moi je pense pas. C’est une force. Ils n’engagent pas beaucoup de Noirs dans leurs services. Comme les interurbains Bell : si 90 % de leur clientèle est francophone québécoise, c’est le 10 % d’allophones qui fait faire le profit puisque toute leur famille est à l’étranger. C’est facile de trouver les personnes compétentes, mais une fois qu’elles travaillent, elles ont le plus bas salaire, travaillent le plus. C’est frustrant.
25Ainsi, ils refusent tout « moyen spécial » qui leur ferait perdre leur individualité tout en soutenant que les critères d’emploi sont subjectifs et reliés aux ressemblances avec l’employeur. Ils se disent donc déstabilisés et fragiles car ils ne reconnaissent plus leur propre valeur. Même les mesures mises en place par les syndicats pour se défendre contre la discrimination en entreprise feraient partie d’une vaste hypocrisie, car la défense de leurs droits se retournerait contre eux :
James : J’ai été mis à pied de chez Bell à cause d’une plainte qui a été faite en mon nom au syndicat, parce que ma boss a dit qu’elle n’aimait pas les Noirs dans un party. Quand le syndicat m’a dit que j’avais gagné, la boss a changé de département. On a alors commencé à évaluer mon rendement, vérifier les retards, chercher la moindre erreur, alors que j’étais très impliqué dans le club social. On a dit que mon rendement avait diminué.
26En outre, les stratégies qu’ils utilisent pour se frayer un chemin sur le marché sont strictement individuelles et ils n’arrivent pas à concevoir leur intégration par la création d’un rapport de force et d’un pouvoir de négociation. Face aux échecs, ces stratégies individuelles se retourneraient contre eux. Leur sentiment d’isolement est très fort ; ils sont seuls à forcer les changements, à affronter les obstacles et les attitudes négatives et obtiennent peu de récompenses pour leurs efforts dans leurs études et démarches, se retrouvant avec des salaires très bas, des emplois peu valorisants et précaires, qui exigent de « toujours recommencer ». Lorsqu’ils cherchent de l’aide et des modèles à suivre auprès des professionnels de la première génération haïtienne qui ont réussi à s’intégrer en débordant le cadre communautaire, ils se demandent « où sont ces gens ? ». Ils fondent de lourdes attentes sur la première génération « bien établie » pour se frayer un chemin mais sont déçus par elle, même s’ils admettent que son expérience est éloignée de la leur. Ils attribuent en partie leur échec à l’absence de ressources offertes par la communauté haïtienne, à l’absence de réseaux et de contacts pertinents dans les endroits stratégiques et les lieux de pouvoir. Une bonne formation acquise dans une institution d’enseignement québécoise ne suffit pas et l’ethnicité devrait compenser les préjugés subis. Les Haïtiens qui ont réussi auraient « trahi » leur groupe par aliénation, alors qu’ils auraient dû suivre le modèle « ethnique » développé par les Italo-québécois pour promouvoir l’intégration de leur groupe.
James : Un jeune Blanc, son père et son grand-père sont nés ici, c’est facile, il a déjà un réseau. Nous, notre petit réseau, c’est la génération précédente mais à la retraite, ils partent ou sont très fermés. Ils font pas assez pour nous aider à nous placer, nous parler des démarches d’emploi spécifiques à notre situation. Ils étaient noirs, sont partis de là-bas, avaient pas de « connexions ». Comment ils ont fait, pour qu’on sache comment faire ?
Shara : Mais dans les années 1960, c’était facile de se trouver un emploi. Ils arrivaient ici, les intellectuels, avec la Révolution tranquille. Ils peuvent bien nous expliquer mais leur expérience n’est pas la même.
Vanessa : Aujourd’hui on n’a rien parce que nos parents n’ont pas pu faire des magasins comme les Italiens.
James : Les Italiens ont peut-être connu ce qu’on a connu et maintenant ils ouvrent des magasins, des banques, sont reconnus, ont un pied en politique et tirent les ficelles. Aux dernières élections municipales dans St-Michel, où 80 % de la population est noire, il y a une haïtienne qui se présente et la population vote pas pour elle ! Tandis qu’il y a deux candidats italiens et tous votent pour eux. À chaque dix minutes y’avait des gros autobus d’Italiens qui débarquaient. Ils savent comment ça marche. Nous, elles sont où les personnes comme ça ? On s’implique pas beaucoup mais y’a autre chose qui fait qu’on arrive pas à avoir notre mot à dire.
Gladys : Les parents sont ici de corps mais pas d’esprit, même après vingt ans, ils n’implantent pas grand-chose.
James : Ils sont entre parenthèses, mais la parenthèse se ferme jamais.
Chercheure : Est-ce important pour vous, la solidarité entre Haïtiens ?
James : Pour faire des commerces.
Vanessa : Pour bâtir. On va tous au front quand il y a des injustices.
Mais après, pour continuer, on se sépare.
James : Quand tu montes trop haut, tu dois choisir : soit que tu es avec nous puis tu laisses ta petite communauté, soit...
Gladys : C’est un dilemme : tu vas dans la police, tu te fais traiter de traître, tu deviens cadre dans une compagnie...
James : La première génération, les médecins, avocats, ils ont réussi mais tout leur bagage part avec eux. Ils se sont mariés avec des Blancs, ils ne s’occupent plus des jeunes. On commence à travailler, ils nous ont oubliés.
Chercheure : Oubliés sur quoi ? Pour faire quoi ?
Gladys : Nous aider ! Eux autres ont la possibilité, ils se trouvent à des places d’autorité. Ils sont où ces gens-là ?
Vanessa : Ils ont pas de solidarité.
James : Eux, ils ont les ressources, l’éducation, les contacts, il faudrait en donner un peu.
Martine : On sait pas vers qui se tourner. Ces gens ont tout vu, ont un pied plus haut, ils pourraient nous dire qu’on a le droit d’avoir des rêves, les étapes pour les réaliser, ils pourraient faire la transition entre les générations.
James : On est dans un système blanc qu’il faut surmonter pour arriver en haut.
Chercheure : Ils ont vécu le même dilemme que vous ?
James : Exactement. Les Noirs, on doit être les meilleurs. Chaque fois que tu t’élèves dans l’échelle, il faut que tu t’éloignes de ta culture. Tu viens à penser comme un Blanc. Pour être le meilleur, il faut que j’adopte la méthode blanche. En haut de l’échelle, je me sens égal aux Blancs, donc je me marie avec eux.
27Ils prennent conscience de leur nécessaire prise en charge autonome, sans attendre que la génération précédente crée les « bonnes ressources » pour qu’ils puissent s’imposer ou négocier leur place dans l’univers économique. Cette place si attendue les confronte à un dilemme : soit qu’ils s’investissent collectivement sur un mode ethnique (comme les Italiens) pour se propulser et renouveler les « méthodes » de la communauté haïtienne, soit qu’ils sortent de leur appartenance à un groupe minoritaire, sur un mode individualiste, en adoptant la méthode du « dominant », qui les aurait aliénés sans donner les résultats escomptés jusqu’à maintenant.
28Ce dilemme revient avec plus d’acuité face à l’interlocutrice invitée sur le thème de l’emploi, qui renvoie d’ailleurs à l’image des ressources qu’ils recherchent : elle travaille au service de développement des affaires économiques de la Ville de Montréal, est responsable du PAE, est d’origine haïtienne et occupe une position stratégique pour mettre en contact les jeunes avec les employeurs et diffuser des informations. D’entrée de jeu, elle démystifie les PAE, expliquant les raisons historiques qui ont mené à leur adoption et le processus de leur application. Pour elle, un PAE n’élimine pas toutes les formes de discrimination mais en tant « qu’outil formel qui agit collectivement », il serait plus efficace que les stratégies individuelles pour se défendre contre les barrières informelles. L’interlocutrice soutient qu’avec les PAE, la présence de membres des minorités au sein des entreprises peut, à moyen terme, casser les préjugés car, dit-elle « il faut pas tomber dans le panneau de dire qu’il faut être deux fois meilleur. Y’a des rôles où on ne vous voit pas encore parce que les gens n’ont pas l’occasion de vous connaître. »
29Les jeunes ne sont pas d’accord. Ils s’attaquent aux PAE, qui accentueraient leur dévalorisation et leur stigmatisation à l’entrée, en fonctionnant à partir de catégories ethniques ou racisées, et l’interlocutrice n’arrivera pas à briser cette perception. S’ils admettent que leurs difficultés ressemblent à celles des autres jeunes, ces autres jeunes auraient un meilleur réseau et c’est à ce même réseau qu’ils veulent accéder mais sans « favoritisme ». Ils restent enfermés dans une vision individualiste de leur insertion, s’attendant à ce que « les autres » se mobilisent pour eux. Ainsi, la solution qu’ils avancent serait que les gens de leur « couleur » aient des postes de pouvoir dans la société et instaurent un « réseau », mais cette solution est empreinte d’un fort scepticisme puisque, disent-ils, les professionnels de la première génération auraient « reproduit les mêmes divisions qu’en Haïti. Y’a peut-être une culture d’entraide familiale mais pas sociale. » L’interlocutrice leur demande alors pourquoi ils ne développent pas d’autres stratégies collectives puisqu’ils ne croient ni aux PAE, ni à l’action individuelle, ni à celle de la première génération ou d’autres groupes au sein de l’ensemble social :
V. Duschène : C’est à vous de faire entendre votre voix, dire nous avons des problèmes, les présenter de façon positive, décrire les situations. Un regroupement de jeunes permettrait d’évaluer les situations, de faire des contacts dans plusieurs milieux, de faire pression. Quand on a des problèmes, faut trouver des solutions.
James : On grappille pour s’en sortir On est tellement pris à grappiller qu’on n’a pas le temps de se regrouper, prendre une journée pour y réfléchir et dire « toi tu travailles là, etc. ». En une journée, on pourrait avoir 18 numéros d’endroits et avec nos compétences, on pourrait avoir une job, tandis que là, on grappille le morceau de pain ici et là. En une journée on pourrait avoir le steak parce qu’on connaît quelqu’un.
Gladys : On grappille mais on n’arrive pas à accéder au milieu ou au niveau où on devrait être. C’est tragique.
30Ils retombent encore, mais plus modérément, dans des arguments tendant vers « l’hyper racisme », montrant la difficulté de renverser les logiques d’une expérience fragmentée par le racisme. L’invitée leur suggère de résoudre eux-mêmes ce problème en s’imposant, en revendiquant massivement leur entrée sur le marché, en confrontant les employeurs, en faisant connaître leur expérience spécifique, en exigeant des changements, même auprès des structures haïtiennes, « qui n’arrêtent pas de se gargariser en pensant qu’elles ont tout fait bien. Il faut les questionner ».
31Cette rencontre les a fait réfléchir sur leur potentiel d’action et sur l’importance de formuler des enjeux concrets et de prendre position, ce qui les a confrontés à leur propre discours circulaire. Cette tension sera plus prononcée encore dans le débat sur leur participation politique.
Une absence de participation politique : l’incapacité de se définir collectivement et à partir d’enjeux qui débordent la « couleur »
32Avec la participation politique, nous sommes au cœur des représentations qu’ont les jeunes de leur rôle de citoyen, de leur place dans l’ensemble social et de l’ouverture des institutions et du débat démocratique autour des orientations culturelles de la société. Ce thème va, plus que les autres, les questionner sur leur capacité à définir des enjeux communs autour desquels ils pourraient se constituer en acteurs sociaux.
33Lors de la première séance, les jeunes parlaient avec virulence du débat sur la « question nationale » « un problème de luxe, alors qu’il y a d’autres problèmes », disait James. Pour en discuter, le groupe a décidé d’accueillir Dominique Ollivier, une jeune péquiste dans la trentaine qui s’est portée candidate aux élections municipales de l’automne 1998. Elle a travaillé dans plusieurs cabinets au sein du gouvernement formé par le Parti québécois et est aussi connue pour avoir été fondatrice de la revue Images au début des années 1990 et organisatrice du Mois de l’histoire des Noirs. Elle amalgame le « pôle québécois », en s’inscrivant dans les enjeux politiques québécois, desquels les jeunes se sentent exclus, et le « pôle haïtien », en étant elle aussi de deuxième génération haïtienne.
34D’emblée, les jeunes se situent comme des « étrangers » qui se sentent rejetés par le discours du Parti québécois, parce qu’il serait trop axé sur le « passé » et pas assez sur « l’avenir ». Ils appartiennent au Québec, veulent y travailler et y être pleinement acceptés, mais se définissent politiquement de l’extérieur. Dans une société à la fois « intégrée » et divisée par un conflit identitaire historique, ils sentent la difficulté de se définir :
James : Le vote québécois c’est « on veut un pays, conserver nos valeurs », je me vois pas représenté par ça.
Shara : S’ils parlaient d’un avenir commun, au lieu de faire référence aux faits historiques. Y’a beaucoup d’immigrants qui ont eu des enfants, donc les intégrer à l’avenir qu’on va avoir.
James : Parce que les problèmes qu’on vit sont pas dans le passé mais dans le présent. On essaie de voir où on va.
Vanessa : Je me sens canadienne, puis québécoise, montréalaise d’origine haïtienne.
James : Citoyen du monde. Où je peux travailler, où je peux m’adapter, c’est là que je vais être.
Martine : Moi c’est clair, je dis que je suis haïtienne. Je suis née à Montréal... (rires).
James : On a trouvé notre identité : Haïtien qui vit ailleurs, exilé, mais quand même...
35Ils reviennent souvent sur les propos tenus par l’ex-Premier ministre Jacques Parizeau le soir du référendum de 1995, lorsqu’il affirmait avoir perdu à cause de « l’argent » et « des votes ethniques ». Puisqu’ils cherchent déjà « leur place » dans la société québécoise, ces propos auraient conforté leur crainte d’être davantage rejetés par les francophones advenant la souveraineté. Ils sont persuadés que la souveraineté ferait accroître le racisme dans la population. Ils vont préférer s’auto-exclure, se disant prêts à quitter le Québec sans hésitation :
Carl-Henry : Si le Québec se sépare, on fout tous les immigrants dehors, il va rester peu de gens sur ce territoire.
Chercheure : Qu’est-ce que tu veux dire par « on fout les immigrants dehors » ?
Carl-Henry : Si le Québec se sépare, c’est probablement ce qui va arriver... (hésite).
James : On va probablement tous partir de toute façon (rires).
Chercheure : Pourquoi ça arriverait ?
Vanessa : On va pas se sentir accueilli.
Carl-Henry : C’est l’attitude. On a eu la preuve lors du dernier référendum. Y’a des choses évidentes, certains discours... le défilé de la Saint-Jean par exemple, tu vas avoir un petit groupe de « Québec aux Québécois », tu te poses des questions, tu te sens pas à ta place quand t’es immigrant, t’es insécurisé.
Chercheure : Vous pensez qu’avec la souveraineté, vous perdrez vos droits ?
Carl-Henry : À long terme, oui. Y’a trop d’émotions, ils agissent vraiment sur un mouvement de colère...
James : Si le Québec se sépare, c’est quoi ma place ? J’aurai un contrat temporaire pour rebâtir le Québec puis après « envoyé Tremblay, viens ici tout de suite » ? J’aurai ma place mais pas assez longtemps pour m’établir.
Chercheure : Même en étant né ici, tu n’es pas « établi » ici ?
James : Non.
36Face à l’interlocutrice, leurs questions portent spontanément sur les raisons de son implication au Parti québécois, qu’ils voient comme un paradoxe du fait de son origine haïtienne. Ils se demandent comment elle peut se sentir aussi partie prenante des enjeux politiques québécois. Or, selon elle, « tous les gains pour les minorités au Québec depuis trente ans ont été faits sous des gouvernements péquistes », et elle donne pour exemples la création du ministère des Communautés culturelles, les conseils consultatifs et les fonds de démarrage pour les jeunes entrepreneurs noirs. Elle trouvait depuis longtemps « que les idées du PQ sont plus généreuses que celles du Parti libéral, qui prend le vote des minorités pour acquis ».
D. Ollivier : Sous les libéraux, j’ai téléphoné au ministère de la Santé pour obtenir une publicité pour la revue. On m’a dit « allez au ministère des Communautés culturelles (MCCI), c’est pour les gens comme vous ». J’ai dit : « si je veux une carte d’assurance maladie, payer mes impôts, est-ce que je vais au MCCI ? Les gens comme moi c’est des gens comme vous. » (...) Au PQ, il y a vote démocratique des membres dans un comté pour élire les candidats alors qu’au PLQ, c’est une désignation du chef du Parti. C’est comique qu’on dise que le PQ est plus raciste. C’est le seul parti qui a présenté des candidats noirs.
Nicole : Pourquoi moi je ne le sens pas...
D. Ollivier : Mais te sens-tu incluse dans le discours du Parti libéral ?
Nicole : Comme tu dis, un veut faire la souveraineté et l’autre pas, c’est pour ça...
D. Ollivier : Mais te sens-tu incluse dans leur discours ?
Nicole : À cause de la souveraineté, j’écoute pas ce que le PQ a à dire...
37Les expériences douloureuses vécues avec des voisins, des collègues de classe ou de travail (qu’ils associent aux « souverainistes ») auraient contribuées à construire leurs représentations du Parti québécois.
James : Après la souveraineté, ils diraient : « On est Québécois puis toi, t’es pas québécois ».
Nicole : Ils diraient : « Va-t’en chez vous, mon câlisse »... Je me souviens quand j’étais petite, je me faisais écœurer : « vas-t-en chez vous ma câlisse », ils criaient tous après moi, mes voisins juste à côté !
Gladys : C’est à cause de ce que les gens répètent autour de nous. C’est plus les gens que le parti qui fait peur... Moi les ministres, je les vois juste à la télé. Le contact le plus effrayant est avec la population. Si en haut, ils ont une vision, les gens dans la rue, ils ont pas la même... pour eux c’est « on parle français, on a réussi, allez vous-en, on n’a plus besoin de vous ». C’est eux que je vois, qui écrivent des commentaires dans le métro.
Martine : En stage, des professeurs disaient avec hargne : « Parizeau avait raison, on a perdu à cause des ethnies. »
D.Ollivier : Mais au lieu de prendre ça comme une exclusion, il fallait se lever et dire : « Oui c’est notre droit comme citoyens de ne pas être d’accord, convainquez-nous. » Il nous manque ce réflexe, comme si on ne s’était pas ancrés au Québec. Qui va nous ancrer ? On nous a plantés là, tu veux qu’on te donne des vitamines, te mette face au soleil, ou bien tu te dresses et tu dis : moi je pousse mes racines ici et vous me déracinerez pas ! ?
James : Mais vous êtes juste une voix contre toutes les autres qu’on a entendues auparavant.
D. Ollivier : Est-ce que vous êtes sourds aux autres voix ? Quand vous entendez le gouvernement Chrétien dire à Osvaldo Nunez, « t’es immigrant, tu viens à la Chambre des communes avec le Bloc québécois pour briser le Canada, retourne chez vous », vous ne vous sentez pas heurtés parce que c’est pas dirigé vers vous ?
Nicole : J’imagine que ça me touche moins.
D. Ollivier : Avec les résultats du dernier référendum, y’a pas eu d’incidents violents. 49,5 %, c’est une personne sur deux. Le même ressentiment dont vous avez peur à l’envers, on a réussi à le régler parle dialogue.
Gladys : Mais on se le fait dire souvent...
D. Ollivier : Oui, mais y’a des réalités : les femmes, les personnes âgées, les anglophones appuient moins la souveraineté et se le font dire, et ceux qui appuient la souveraineté se font dire qu’ils veulent détruire le Canada. Il faut s’assurer une participation de chaque côté et quand quelqu’un dit une chose qui te heurte, qu’il y ait du monde qui se lève. Sinon, les gens parlent en notre nom et décident. Le militant péquiste bas de laine qui va au micro dire : « il faudrait pas trop d’immigrants », y’en a un de notre gang qui se lève et dit : « chu tanné de me faire traiter d’immigrant », c’est ça la vie démocratique. Quand Maxim Barakat défend la loi 101, c’est un Maghrébin mais les plus péquistes se reconnaissent dans son discours, ils en font leur président de comté. Tu arrives, tu tiens ton idée et on se retrouve dans un compromis. C’est à nous de modeler.
38Ils voient l’implication des Haïtiens dans le Parti québécois comme une trahison, le passage dans le groupe majoritaire dominant. Pour eux, ces Haïtiens renient leurs racines, leur groupe, leur statut et débordent les limites de l’intégration à ne pas franchir. Ils « se vendent » à ceux qui les rejettent. Les « souverainistes » sont perçus par les jeunes à partir de réalités vécues, alors que « l’idée du Canada » est plus symbolique qu’empirique. Ainsi, au-delà du Parti québécois, le thème de la « trahison » renvoie visiblement à la difficulté de concilier héritages et expérience sociale québécoise. Pour les jeunes, ces appartenances s’opposent et se combattent au lieu de se (ré)concilier ; ils tentent d’établir des frontières identitaires rigides (souvent imaginaires) en raison de la tension créée par une expérience sociale fragmentée. L’accusation de trahison, qui est revenue à chaque séance, montre comment le racisme interfère sur la définition identitaire des « racisés », notamment pour ces jeunes, qui incarnent simultanément « le même » et « l’Autre ».
Vanessa : Je trouve qu’un Haïtien dans le PQ, qui se dit Québécois, y’a oublié son identité, il a été vendu...
D. Ollivier : Non, absolument pas. J’avoue sincèrement : lâchez-moi en Haïti demain matin, j’ai ben de la misère. Je n’envisage même pas y aller en vacances, ça ne m’intéresse pas, je n’appartiens pas à cet espace-là.
James : Nous aussi (rires).
D. Ollivier : La grosse punition que tu pourrais me faire c’est de m’envoyer en Haïti. Au lendemain de 198615, quand mes parents ont dit on s’en va en Haïti, j’avais peur. C’est pas mon lieu de référence ! Mais ça m’empêche pas d’aller manger au Manguier ; de faire chez moi un griot et bananes pesées. Ça ne me rend pas moins québécoise pour autant. J’ai une alma mater universitaire ici, des amis, les institutions que je respecte comme le droit de vote, je m’identifie à ça. Le matin je veux lire mon journal en français.
James : C’est s’adapter à son environnement, c’est là qu’on vit et c’est ça qu’on doit améliorer pour avoir un bien-être.
D. Ollivier : C’est le jour où j’ai compris ça que j’ai pu me définir comme Québécoise. Ça ne m’empêche pas de dire « chez nous on fait comme ça » mais chez nous, c’est pas Haïti mais la maison de mes parents, la tradition. Moi je peste contre les péquistes qui ont fait l’élection avec moi parce que la tradition PQ de faire des élections, ça ne marche pas ! Je la connais et c’est pour ça que je peux la critiquer et éventuellement la modifier. J’appelle pas ça de la trahison. Je suis dans mon futur plus que dans mon passé.
39Au-delà des options politiques, l’invitée les amène à reconnaître que s’ils veulent faire leur place au Québec, ils doivent se situer « à l’intérieur », s’inscrirent dans le champ des rapports sociaux et politiques québécois. Or, à cet égard, ce n’est plus seulement le PQ qui ferait problème. Ils disent accéder difficilement à l’expression politique parce que leurs problèmes ne correspondraient pas directement à cette division sociohistorique et ne seraient pas traduits adéquatement dans le langage dominant. Les ponts entre le politique et le social seraient coupés. Leur sentiment de domination s’élargit donc à tous les partis : en tant que Noirs, ils s’estiment victimes d’une vaste hypocrisie et se voient utilisés comme objets de publicité pour marchander leur vote. Ils seraient pris en otage. Les campagnes de publicité sur la diversité ou les programmes d’accès à l’égalité ne résoudraient pas leurs problèmes et tendraient plutôt à les masquer. Elles sont jugées superficielles, cosmétiques et hypocrites parce qu’elles ne modifient pas la domination ressentie.
Shara : Ils vont pas nous chercher. Ils règlent le problème pour nous, on est pas là, on n’a pas de moyens pour rentrer là-dedans et se faire entendre...
James : À une époque, ils engageaient des policiers Noirs. Dans le métro, y’avait une photo avec un Chinois, un Noir [Tous soupirent]. Après, ils engagent deux-trois Noirs, on n’en entend plus parler. Après, c’est les élections, y’a des images de Noirs partout. On se sert de nous par vagues, pour défendre des intérêts à un moment donné.
Gladys : La politique du 25 % [les PAE], on a l’impression qu’ils se disent : « Maintenant, on a réglé le problème. » D. Ollivier : Mais toutes les publicités en dehors des périodes électorales, n’est-ce pas des mains tendues ?
Gladys : On dirait que c’est une réponse à ce qu’on a dit, c’est tout, tu vois.
James : Genre : c’est ça qu’ils demandent, on va leur donner, on leur montre ça. C’est la réponse déjà toute prête.
Gladys : On a l’impression que c’est pas sincère.
D. Ollivier : C’est quoi un geste qui serait sincère et qui serait assez ?
Gladys : Que ça se fasse sans qu’on ait l’impression qu’ils disent : « Eh ! on aime les Noirs nous. » En plus, si tu te sens bloqué à un petit niveau, c’est dur d’aller s’exprimer à un grand niveau. C’est comme si tu es à une grande table et je suis à une petite table à l’autre bout, et moi je vais avoir le courage de dire...
James : [poursuivant la phrase de Gladys]... est-ce que je peux m’asseoir ?...
D. Ollivier : Mais pourquoi pas ? ! C’est le blocage que j’aimerais comprendre. Pourquoi on peut pas se lever ?
Gladys : Parce qu’on est là-bas !
D. Ollivier : Pourquoi, parce qu’on est là-bas, il faut qu’on ait les miettes de table ?
Gladys : Parce qu’on est pas à la vraie table !
D. Ollivier : Pourquoi tu peux pas dire : poussez-vous puis faites-moi une place ?
Gladys : Parce que le parti politique est là, les gens qui mangent sont là, puis moi je suis là-bas.
James : Y’ont plus de pouvoir que toi toute seule !
Gladys : J’ai pas l’impression que c’est accessible. Quand je vais aller voter ; ça va aller en haut...
James : Pis y’a rien qui va redescendre...
Nicole : On ne la voit pas cette réalité-là que vous défendez, on la voit pas nous autres...
Gladys : J’entends les politiciens, je regarde les affiches, je me dis : on est en campagne, on veut me vendre un produit beau-bon-pas-cher. La campagne finie, on enlève l’affiche, qu’est-ce qui se passe après ?
D. Ollivier : C’est toi qui es responsable de ce qui se passe après. Il va arriver un moment où vous allez dire : « C’est assez. » Quand on va être assez à le dire, les grands en haut, qui sont assis à l’écart, ils vont commencer à t’écouter. La table du coin, quand on va être vingt autour, celle-là à côté, elle va diminuer d’importance.
40On va assister à une atténuation du discours défensif au sein du groupe. Le groupe a « bougé » car il déborde des catégories qu’il avait l’habitude d’emprunter. Jusqu’à la fin de la séance, le discours des jeunes porte sur leurs responsabilités de « citoyens » et les fait sortir d’une vision individualiste de leur participation. L’interlocutrice leur montre que le débat politique au Québec n’est pas qu’une affaire entre fédéralistes et souverainistes, qu’au-delà de la partisanerie, les enjeux politiques peuvent être ramenés à leurs préoccupations immédiates et qu’ils peuvent s’impliquer à différents niveaux pour devenir des agents de changement. Si la vie politique leur paraît lointaine, l’interlocutrice les incite à voir qu’ils sont tous responsables de leur bien-être immédiat et futur au Québec. Les chercheures les interpellent alors sur leur capacité à se définir en tant qu’acteur social et à établir un rapport de force pour s’affirmer à travers le conflit démocratique. Elles veulent savoir comment ils reçoivent le message de l’invitée, axé sur l’importance de faire des liens entre les enjeux qui les concernent mais qui débordent la question de couleur (l’éducation, l’endettement des jeunes, etc.) et les enjeux qui correspondent plus directement à leur expérience de jeunes Noirs d’origine immigrée. Le groupe arrive difficilement à se positionner comme acteur collectif. Les jeunes se plaignent des conditions de leur existence mais restent plutôt silencieux sur les moyens de provoquer des changements. Pourtant, ils voient leur participation à l’intervention sociologique comme une forme d’action pour devenir les sujets de leur propre existence et affirment être en quête de réponses et de moyens d’action :
D. Ollivier : Parizeau peut se permettre de faire ses commentaires parce qu’on n’est pas là pour réagir. Tous les jours, André Arthur tape sur la communauté haïtienne. Quand il dit, en parlant du fonds pour les jeunes entrepreneurs noirs : « C’est quoi ça, il faut donner du travail à des Noirs parce qu’ils sont Noirs ? », on réagit pas.
James : Je suis d’accord quand tu dis que la communauté ne se lève pas. C’est vrai qu’on se mobilise pas.
D. Ollivier : Y’a trente exemples comme ça chaque jour. Quand on regarde des statistiques sur le racisme dans le reste du Canada, je ne sais pas si le gouvernement canadien est responsable de notre bien-être collectif !
Nicole : Nous on n’a pas eu assez d’éducation là-dessus. La politique c’est Charest, Bouchard...
D. Ollivier : La politique n’est pas réservée qu’aux politiciens. Vous êtes tous étudiants, vous recevez des prêts et bourses. Allez-vous voir les associations étudiantes ? Avez-vous d’autres intérêts qui dépassent la question de couleur, qui s’intéressent à votre place dans la société ?
Gladys (gênée) : On est ici, un samedi, on est pas beaucoup. On veut des réponses, on veut savoir...
Chercheure : Qu’est-ce que ça peut changer, le fait d’en savoir plus ?
James : Ça nous guide vers nos choix, on a d’autres options, on a plus d’armes, pas juste individuellement. Il faut se réunir, s’organiser. La seule fois qu’on s’est vraiment rapprochés, c’est quand Marcellus François s’est fait tirer. On a dit non, les jeunes comme les vieux, tout le monde. Mais c’est temporaire. L’image est très...
Martine : Parcellisée. On est tellement devenus individualistes. Je sais pas quel serait l’élément déclencheur pour qu’on travaille ensemble. On est tous dans notre coin.
41Ils se reconnaissent dans le parcours personnel de l’invitée, qu’elle définit comme un travail de (ré)conciliation de ses appartenances qui lui aurait permis de se propulser. Mais ils disent être à l’étape de la définition de ressources identitaires pour (re)construire leur existence et retrouver leur dignité. À cet égard, l’invitée les met en garde contre une identité « en réaction », qui mène au repli et à l’absence de projet plutôt qu’à l’action. Sentant leur désir de changement, elle pointe la nécessité d’établir des ponts entre leurs héritages (leurs « différences ») et l’ancrage de leur expérience et destin sociologiques au Québec :
D. Ollivier : En grandissant, j’ai rejeté la communauté. Les jeunes qui arrivaient d’Haïti disaient : « Elle ne parle pas créole, ne danse pas le compa. » J’avais la même réaction d’exclusion dont vous parlez mais face à du monde qui me ressemblaient. Alors, je pensais plus large que la communauté : le journal étudiant, etc. Puis, je suis revenue vers elle. Mais je fais des liens entre ces choses.
James : J’ai vécu ça, j’étais seul Noir parmi les Blancs et vers 16 ans, j’ai découvert mes racines. Je suis dans cette étape-là maintenant. Je sais pas si tous les jeunes vivent ça. On commence à se réunir, on veut savoir plus sur l’histoire, on discute d’autres choses, c’est difficile de se mobiliser.
D. Ollivier : C’est important de savoir qui tu es parce que tu vis dans une société où t’as pas de repères. Mais quel pont vous faites entre ça et votre vie ici, comment ça modèle ta vision et ton avenir ?
James : Oui, c’est important le pont mais on voulait savoir qui on était avant...
Gladys : Le fait d’être bien dans sa peau...
James : Être plus forts, pouvoir défendre nos intérêts. Sachant que je suis moi-même, que j’ai ma place dans cette société-là, y’a des choses que je veux défendre. Si je ne m’étais pas identifié à un groupe... je sais pas comment l’expliquer. C’est important de me définir dans cette société. Il y avait un chemin à faire. Bon je suis un Haïtien qui vit au Québec...là aussi c’est pas clair ! Aux États-Unis, je dis que je suis canadien.
D. Ollivier : Tu me dis je suis un Haïtien qui vit au Québec ! Pourquoi tu dis pas ça quand tu es à New York ?
Gladys : Parce que là-bas... tu te fais pas attaquer là-bas. T’as pas besoin de te défendre pour te définir.
D. Ollivier : Je n’ai pas à me définir en réaction à ce que pense l’autre, à m’auto-exclure ! J’ai longtemps dit « je suis citoyenne du monde ». C’est quoi ? C’est des identités en réaction. Je suis québécoise et même quand je me sens rejetée, ma colère est moins dirigée vers les gens que vers les mécanismes qui me bloquent.
James : De là l’intérêt à aller en politique pour changer ça.
D. Ollivier : Voilà. (...) C’est ça l’enracinement. On te respecte quand tu es capable de prendre ta place et de répondre.
James : On s’adapte, on doit créer un nouveau réflexe qu’on a pas, on se conscientise, on est à l’étape de la réflexion. Il faut faire quelque chose, mais quoi ? Je sens que je suis pas bien, j’ai un besoin à combler.
42En bout de piste, l’invitée a ébranlé leur vision monolithique de la politique québécoise et les frontières qu’ils essaient de maintenir pour se protéger du groupe majoritaire. Ils ne pensent pas s’investir dans l’action politique nationale (surtout pas dans le PQ) et restent sceptiques quant à la rapidité des changements qu’apporte la voie politique mais admettent que l’espace politique leur est ouvert. Ils favorisent davantage l’implication locale afin de « faire des choses entre nous et avancer graduellement », affirme Shara. Cependant, ils circulent constamment entre des modes d’action individuels et l’idée de « s’organiser » collectivement, indiquant leur difficulté à situer les moyens à utiliser, les modalités d’action sur lesquelles ils veulent s’appuyer (générationnelle, racisée, ethnicisée) et l’espace qu’ils peuvent occuper. Leur capacité d’action est limitée par la fragilité de leur identité, la faiblesse de leur « réseau » et leur méfiance face aux mécanismes politiques traditionnels. Mais les jeunes disent avoir vécu cette rencontre comme une « thérapie », voyant mieux le potentiel d’affirmation politique de leur expérience particulière. Selon eux, leur rassemblement spontané à l’intervention sociologique et aux cours d’histoire d’Haïti constituerait le signe d’une recherche commune de solutions aux problèmes vécus.
Conclusion
43Les rencontres avec ces jeunes ont fait l’objet d’un bilan lors de la dernière séance, au cours de laquelle ils ont progressé dans leur « auto-analyse », admettant l’existence d’une expérience commune de deuxième génération (« on dit tous la même chose », affirme Gladys), traversée par une tension entre leur intégration culturelle et leur participation sociale et politique difficile au Québec. À partir d’une expérience qu’ils estiment fragmentée, l’enjeu prédominant est la construction d’une identité personnelle et collective, d’une « subjectivité particulière » capable de concilier des héritages, des mémoires et leur expérience sociale, enjeu qu’ils expliquent par les rejets subis au nom de « différences » qu’ils ne possèdent pas. S’ils veulent miser sur une identité « ethnique » de résistance face à la domination, ils sont convaincus qu’ils ne disposent pas des ressources suffisantes pour s’affirmer de façon autonome et faire la promotion de leur intégration conflictuelle. Ils tentent de réconcilier l’expérience objective et l’estime de soi subjective, l’universel et le particulier qui sont séparés par le racisme. C’est pourquoi leur recherche d’identité, qui met l’accent sur la musique, les référents historiques et les courants idéologiques « modernes », souvent américains, est une manifestation de ce rapport et d’une certaine résistance qui se joue au sein d’un ensemble culturel dominant.
44Sur le plan de la participation sociale et économique, ces jeunes se sentent isolés dans un parcours d’insertion jonché d’obstacles et n’ont pas de pouvoir, individuellement, pour forcer leur insertion. Ils reconnaissent qu’ils ont « les mêmes problèmes » mais n’arrivent pas à se positionner comme acteur au sein d’un rapport de force. Ils semblent incapables de se rassembler, de se doter de ressources, de se construire des réseaux, de se placer dans une position pour revendiquer collectivement la reconnaissance de leur situation et pour négocier ce qu’ils ont à offrir. Ils estiment que le marché du travail fonctionne sur des préjugés, dévalorise leurs « différences » (qu’ils voient comme des atouts) les exploite et les exclut parce qu’ils appartiennent à un groupe minoritaire qui n’a pas le poids du nombre, soit pour établir un rapport de force, soit pour se construire un marché « parallèle ». Ils ne trouvent pas les ressources suffisantes (contacts, appuis politiques, ressources économiques) pour faire contrepoids aux rejets, aux situations discriminatoires ou encore à la rareté et à la précarité des emplois.
45Cependant, ils disposent encore suffisamment de ressources (sociales, familiales et même ethniques) pour ne pas rejeter la société au nom d’une identité irréductible qui servirait de justification à des conduites de repli ou de violence. La rencontre avec l’interlocutrice de l’univers de l’emploi a montré qu’ils ne tombent pas dans « l’hyper racisme ». S’ils rejettent les PAE, ils adhèrent fortement à l’idée de former un groupe de réflexion et de pression, qui constitue une stratégie collective d’insertion axée sur l’établissement d’un rapport de force.
46Sur le plan de la participation politique, ces jeunes québécois accèdent difficilement à l’expression politique car leurs problèmes ne correspondraient pas à la division sociohistorique entre souverainistes et fédéralistes et seraient mal traduits par le discours dominant. La question nationale serait un problème « de luxe » dans une société d’abondance alors que, en provenant d’un groupe minoritaire, ils perdent eux-mêmes leur langue et leur histoire à plus ou moins brève échéance. Us ne savent pas comment (ré)unir leur participation, qui renvoie à une demande d’égalité, et leur désir de valoriser et de faire reconnaître la particularité et la dignité de leur expérience. Toutefois, face à la jeune péquiste et lors de « l’autoanalyse », les jeunes sont sortis de l’explication unique « par le racisme » et ont vu dans leur expérience un potentiel d’action innovatrice, qui exige cependant un travail de conciliation des éléments qu’ils tendent à opposer.
47Ces jeunes se sentent pris dans un étau. D’un côté, la société québécoise leur fournit des ressources (formation, institutions, etc.) — mais ils s’estiment rejetés et tendent parfois à s’auto-exclure. De l’autre côté, la communauté haïtienne leur paraît peu organisée, sans ressources, peu attirante et incapable de répondre aux besoins qu’ils croient spécifiques à leur génération. Ils ne connaissent ni ses structures, ni son évolution, et ne pensent pas continuer le travail des « anciens ». À la jonction de ces deux pôles intervient l’identification « noire », qui ne donne pas de ressources matérielles ou pratiques mais joue le rôle d’intermédiaire symbolique entre une société qui les différencie et parfois les rejette sur cette base, et une communauté minoritaire dans laquelle ils ne se retrouvent pas et à laquelle ils refusent de s’identifier par peur d’être marginalisés. Le pôle Noir permet de donner une continuité, un sens à leur sentiment de différence et un ancrage historique en Amérique du Nord, à la fois plus larges, plus intégrés à leur expérience et plus « modernes » que les quelques bribes d’histoire d’Haïti qu’ils possèdent. Ainsi, ce pôle constitue le signe d’une démarche conflictuelle d’intégration à la société : il agit à la fois comme réponse culturelle aux problèmes d’insertion sociale (en participant aux représentations qu’ils se font de leur place dans la société) et comme une politisation de l’identité qui les démarquent de la première génération et des autres jeunes Québécois.
48Chaque pôle est traversé par une tension, qui agit sur les représentations ambivalentes qu’ont les jeunes de leurs appartenances et des stratégies d’action qu’elles permettent. La communauté haïtienne est perçue comme un espace d’affectivité qui renvoie à la filiation, à l’extension de la vie familiale et à une certaine « complétude institutionnelle » au Québec, mais aussi à l’expérience douloureuse d’immigration des parents, à des ruptures et à une tension entre individualisme et héritages. Ils ne veulent pas s’identifier à un groupe minoritaire, « extranéisé » et objet de préjugés défavorables de la part du groupe dominant. En tant que deuxième génération, ils sont propulsés hors de leur milieu ethnicisé pour participer socialement à la citoyenneté mais ont l’impression de perdre les soutiens traditionnels qu’apporte la communauté. Ils désirent déborder la communauté tout en s’attendant à ce qu’elle « fasse quelque chose » pour les propulser et leur donner les ressources qu’ils ne trouvent pas ailleurs. Ils y cherchent des sources de distinction positive, pour élever leur « niveau » de participation à la société sur un mode ethnique (qui les laisse plutôt sceptiques) et, surtout, pour favoriser leur intégration conflictuelle et individuelle. Du fait de leur ancrage culturel dans la société québécoise, ils demandent à la communauté haïtienne de changer avec eux et de les soutenir dans ces changements. Mais elle ne répond pas à leurs attentes, à moins que ces jeunes ne s’y engagent massivement.
49La société québécoise est aussi perçue avec ambivalence : société pluraliste mais individualiste, lieu de leurs références culturelles par l’école, la télé, le quartier, où leur sentiment d’être rejetés sur la base de supposées « différences » est alimenté par les images véhiculées par les médias, par la discrimination en emploi, le traitement différentiel et « injuste » de la police, leurs expériences douloureuses à l’école ou dans leur quartier, l’effritement progressif de leurs amitiés avec des Québécois francophones, leur représentation d’un nationalisme excluant et leur difficulté à développer des actions communes et à affirmer leur citoyenneté. Ils veulent être traités de façon égalitaire dans l’accès aux ressources et aux institutions, ne veulent pas renier leur subjectivité et leur expérience « d’enfants d’immigrés » mais restent encore incapables de les articuler à travers le conflit dans une société qui valorise leur participation individuelle.
50Le pôle « noir » n’est pas non plus sans ambiguïté : la couleur de la peau les restreint dans leur liberté comme sujet mais leur ouvre les portes d’une identité transnationale et diasporique. Il leur permet une appartenance symbolique (et positive) à des cultures, histoires, héros, courants de pensée, modes et mouvements de lutte divers. Mais cette Blackness ne renvoie pas à des relations concrètes et n’est plus ressentie comme la participation à un « mouvement ». Nous n’avons retrouvé ni discours afrocentriste essentialisé, idéologisé et autocentré, ni rupture avec la société québécoise, comme chez les jeunes rencontrés lors de notre recherche précédente. Alors que les jeunes du début des années 1990 vivaient avec enthousiasme la redécouverte de Malcolm X ou de Nation of Islam et s’interrogeaient sur leur histoire en Amérique du Nord, les jeunes de la fin du XXe siècle ont déjà intégré à leur expérience l’idée, devenue banale, que leur histoire est celle de tous les Noirs nord-américains et que leurs parents ont une autre histoire.
51Les chercheures ont donc lancé l’hypothèse d’une conciliation de leur participation individuelle, de leurs appartenances et de leur subjectivité à partir de stratégies d’action qui, isolément, ne permettent pas cette conciliation : ainsi, là où ils tendent à utiliser la voie individuelle (dans les sphères économique et politique) ils doivent la compenser par une action collective, s’organiser un réseau de contacts, revendiquer des changements, occuper l’espace public, etc. Et inversement, là où la solidarité et l’organisation collectives existent mais sont jugées défaillantes (les espaces haïtien et noir), il s’agirait d’effectuer un travail personnel au sein des structures afin de les orienter vers la prise en compte de subjectivités particulières (celles des deuxièmes générations) et vers l’intégration des individus au sein de la société, notamment des jeunes Noirs en quête d’une « place » (par des innovations, des revendications spécifiques à l’expérience des jeunes, etc.).
52Le groupe ne s’est pas installé dans « l’hyper racisme » puisqu’il a accepté cette hypothèse. Les jeunes sont conscients qu’ils vivent une expérience « inédite » de deuxième génération, qu’ils doivent établir des liens entre plusieurs pôles d’appartenances pour se faire une place au sein de leur société, et qu’ils doivent occuper l’espace public pour la faire (re)connaître. Mais avant de faire preuve d’engagement, leur « enjeu » est d’abord de retrouver « leur histoire » et de se définir comme sujet de leur existence fragmentée. Ils en sont donc à l’étape « nécessaire » de l’articulation des racines et du « vécu » au Québec afin de se constituer en sujet de leur expérience, étape qui, éventuellement, les mènerait ensuite à être partie prenante d’un rapport conflictuel comme acteur social pour défendre leur participation et leur appartenance à la citoyenneté.
Notes de bas de page
1 Ils sont dits de « deuxième génération » lorsqu’un ou les deux parents ont immigré d’Haïti. Ces jeunes sont nés au Québec ou y sont arrivés en bas âge (moins de 10 ans). Il est difficile de connaître leur nombre. Au recensement de 1991, 40 940 personnes nées en Haïti étaient établies au Québec, dont 34 970 dans la Région métropolitaine de Montréal (Statistique Canada, 1993), principalement à Montréal, Laval et Montréal-Nord (MAIICC, 1994). Les naissances au Québec montrent que depuis le milieu des années 1970, 1 000 enfants en moyenne par année naissent de deux parents nés en Haïti (875 en 1976, 871 en 1981, 1038 en 1987, 1048 en 1988, etc.). À ces chiffres s’ajoutent les enfants nés de mariages mixtes, peu nombreux (152. en 1988), et les enfants nés de mère haïtienne et de père inconnu (autour de 15 % des naissances avec au moins un parent haïtien) (MCCI, 1976, 1981, 1987, 1988).
2 Lors d’une première enquête menée en 1992-1993 (1997, 1999), plusieurs jeunes s’étaient alors converti à l’Islam. Dans un contexte alors marqué par les bavures policières, les « émeutes » de la rue Saint-Hubert (succédant à celles de Los Angeles et de Toronto), la violence de groupuscules néonazis, la multiplication de groupes de rap et de gospel, la redécouverte de Malcom X, la réémergence de Nation of Islam aux États-Unis, ces jeunes se sentaient participer à la renaissance d’un « mouvement noir » transnational et de résistance, fondé sur des référents identitaires modernes.
3 Les trois interventions sociologiques menées pour cette enquête feront l’objet d’une publication plus large et d’un rapport final, remis au ministère du Patrimoine canadien. Sur les principes théoriques de l’intervention sociologique, voir Touraine (1978). Sur leur application, voir l’annexe méthodologique de Wieviorka et al. (1991). Cette démarche vise à reconstituer les liens sociaux en « laboratoire » en mettant en situation des participants face à des acteurs concernés par leur réalité (des « interlocuteurs ») afin d’observer les modes de construction de leurs relations réciproques comme objet d’analyse et de vérifier si ce qui se vit sur le mode de la révolte et de la marginalisation personnelle peut se transformer en affirmations et en revendications.
4 Ces données tirées du Recensement de 1991 ont fait l’objet de compilations spéciales par le ministère des Relations avec les citoyens et de l’Immigration en 1998, effectuées à notre demande. Nous tenons à le remercier.
5 À notre connaissance, aucune enquête quantitative n’a encore tenté d’isoler la discrimination « raciale » comme facteur explicatif des difficultés d’insertion sociale des natifs québécois de deuxième génération.
6 Étude menée pour le ministère des Relations avec les citoyens et de l’Immigration (MRCI), qui a recueillie les témoignages de seize groupes de discussions composés d’un côté de jeunes de différentes origines (101 jeunes) et de l’autre, d’entrepreneurs de PME et de gestionnaires de grandes entreprises publiques et privées (31 employeurs).
7 Puisque les fondements biologiques du racisme ont été délégitimés au cours du XXe siècle, la différenciation s’effectue à partir de critères culturels, réels ou imaginaires, à l’apparence plus « légitime » : des différences de cultures, de langues ou de mœurs sont naturalisées pour jouer le rôle de « race » (Taguieff (dir.), 1991) et deviennent des critères d’exclusion ou de destruction de l’autre (Wieviorka, 1998). L’infériorisation situe le racisé dans une position de dominé et mène à l’exploitation et à la ségrégation.
8 Ce qui n’exclut pas l’existence de formes d’ethnicités héritées ou réinterprétées, plus ou moins affirmatives ou revendiquées, qui expriment la subjectivité d’un sujet qui s’appuie sur son expérience individuelle ou collective pour faire appel à une ouverture démocratique ou à de nouveaux liens sociaux. En ce sens, l’ethnicité est une logique d’action conflictuelle d’intégration.
9 D’autres études sur les « conflits de valeurs » à l’école (Hohl, 1991, 1993) ont montré l’existence de tensions entre le personnel scolaire et des parents ou élèves de certaines minorités, portant sur la conception de l’école, de la discipline, des droits des enfants, des rapports entre les sexes, des usages linguistiques et des pratiques religieuses. Les intervenants scolaires opposeraient d’autant plus de résistance aux aménagements qu’il s’agit dans certains cas d’enjeux perçus comme des acquis récents de la modernité québécoise (égalité des sexes, usages linguistiques, etc.).
10 Nous avons utilisé cette expression dans McAndrew et Potvin (1996) et Bataille, McAndrew et Potvin (1998).
11 Le groupe a effectué une séance les 7, 21, 28 novembre et deux séances le 12 décembre 1998.
12 La rencontre avec le policier n’a pu être présentée ici, faute d’espace.
13 Ils utilisent souvent ces deux termes de façon équivalente.
14 Chanteur très populaire du groupe Rude Luck.
15 Après la chute du régime de Duvallier.
Auteur
Chercheure associée au Centre d’études ethniques de l’Université de Montréal (CEETUM) et participe aux travaux du Programme de recherche sur le racisme et la discrimination (PRRD) et du Groupe de recherche sur l’ethnicité et l’adaptation au pluralisme en éducation (GREAPE), rattachés au CEETUM.
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