Introduction
p. 9-16
Texte intégral
1Comment peut-on aborder les enjeux environnementaux contemporains ? Quelle est la place du chercheur dans l’analyse et la compréhension des débats et des conflits sociopolitiques qui découlent de ces enjeux environnementaux ? Depuis bon nombre d’années, nous avons réfléchi à ces questions et nous avons tenté d’y répondre. Les textes qui suivent illustrent les rapports entre la recherche et l’engagement, l’analyse et l’action, le local et le global. Ils témoignent des contributions analytiques et empiriques qui ont été faites par des chercheurs engagés dans l’action : engagés non pas idéologiquement pour des raisons partisanes, mais pour faire avancer la connaissance de façon rigoureuse et simultanément contribuer à transformer la réalité, en partant de postulats de recherche et d’analyse relativement nouveaux.
2Tous les textes présentés dans ce recueil montrent combien la dynamique entre la théorie et la pratique est porteuse de nouvelles approches qui permettent à la fois d’approfondir notre compréhension de la société et de donner sens à l’action collective. Bien sûr, cette dynamique doit se construire rigoureusement, en respectant les règles de la démonstration basée sur les prémisses scientifiques régissant les sciences sociales. Toutefois, le va-et-vient constant entre la théorie et la pratique qui caractérise notre démarche a, croyonsnous, non seulement une valeur pour l’avancement des sciences sociales, mais également pour l’amélioration de la qualité de vie environnementale et démocratique de notre société. Plutôt que de revenir sur chacun des textes du recueil, notre introduction propose d’élucider l’approche qui caractérise l’ensemble des textes. Entre autres choses, nous allons essayer de mieux comprendre les enjeux environnementaux à partir du concept de mouvement social et comment cette approche nous aide à mieux saisir l’enjeu des déchets.
Comprendre les enjeux environnementaux
3Les compromis sociopolitiques d’antan semblaient encourager une croissance économique effrénée alliée à une production et à une consommation éhontées de ressources dont la plupart étaient tout simplement gaspillées. L’avènement de l’environnement comme préoccupation contemporaine dans toutes les sociétés de la planète fait en sorte que ces compromis sont de plus en plus fragiles. La production et la consommation illimitées sont de plus en plus remises en question. L’environnement est-il le point de départ d’une nouvelle approche concernant la production et la consommation en société ou simplement une variable à traiter parmi tant d’autres lors de processus décisionnels ou de gestion ? Cette question résume bien en quoi et pourquoi l’environnement — l’ensemble des facteurs susceptibles d’avoir un effet sur les organismes vivants, incluant les sociétés humaines — est devenu au cours des dernières décennies un enjeu primordial. En effet, l’environnement continue de susciter bon nombre de débats, de conflits, de tensions et de luttes. Cette situation va prévaloir aussi longtemps que nous ne serons pas arrivés à un nouveau compromis sociopolitique et culturel sur la place que doit occuper cette nouvelle « préoccupation » dans nos vies individuelles et collectives. Bref, comment décider, et comment réaliser, individuellement et collectivement, ce qu’il est environnementalement acceptable, voire désirable, de faire.
4Depuis trop longtemps, la prise de conscience de l’enjeu environnemental survient après la prise de décision des promoteurs publics ou privés. La consultation, si elle a lieu, se fait alors qu’il n’est plus possible de changer quoi que ce soit. De plus, les intervenants ne sont pas égaux entre eux. Comment faire valoir un point de vue envi¬ ronnemental alors que les promoteurs ont accès à la fois à tous les moyens et aux experts pour les aider à s’assurer que le projet passe ? De plus en plus d’individus et de groupes soutiennent qu’il ne devrait plus être possible de perpétuer cette façon de faire. Ils réclament que toute production et toute consommation répondent à une justification environnementale. La qualité de vie économique d’une communauté n’est plus le seul critère sur lequel doit reposer une décision de produire ou de consommer : il faut y ajouter la notion de qualité de vie environnementale. Les considérations de bien-être individuel et collectif, de santé et d’environnement — et ce, bien avant d’entreprendre la production et la consommation de biens et de services — sont aussi importantes que les considérations économiques de profit, d’efficacité et de globalisation des marchés.
5Les enjeux environnementaux, et plus spécifiquement les enjeux ayant trait aux déchets, contribuent à marquer le développement de nos sociétés contemporaines. Avant d’aborder ces dynamiques et ces processus, nous proposons de préciser les fondements de notre perspective. Celle-ci comporte un volet analytique et un volet méthodologique.
Une approche analytique axée sur les mouvements sociaux
6Plusieurs recherches confirment que les mouvements sociaux contribuent de façon importante aux mutations sociales et politiques. Pour expliquer un tel phénomène, situé à un haut niveau d’abstraction conceptuel, les chercheurs évoqueront l’idée d’un espace social traversé par des mouvements sociaux. Avec le passage des mouvements sociaux, l’espace social relativement structuré subit des mutations. En effet, les mouvements sociaux investissent, d’une façon ou d’une autre, un espace social entourant une thématique quelconque. Cette présence de mouvements sociaux fait en sorte qu’une problématique se transforme en enjeu.
7Le nombre de problématiques susceptibles d’affecter le devenir de nos sociétés est considérable. Mais une problématique qui devient un enjeu, c’est-à-dire une problématique qui devient le lieu de conflits et de luttes entre plusieurs acteurs, parmi lesquels on retrouve les mouvements sociaux, doit intégrer différentes dimensions. Un mouvement social tend à remettre en question une problématique qui est, par ailleurs, présentée comme neutre, objective et rationnelle.
8L’analyse doit donc chercher à comprendre comment, à partir de cette problématique, un enjeu parvient à se matérialiser à l’intérieur de conflits et de luttes impliquant des acteurs spécifiques. Il faut donc que les concepts théoriques de nature essentiellement qualitative deviennent opérationnels d’une façon ou d’une autre dans le concret.
9Les conflits impliquant les mouvements sociaux sont révélateurs d’aires du tissu social subissant des mutations. Il est vrai que notre cheminement vise uniquement l’enjeu environnemental de la gestion des déchets. Mais nous croyons qu’une telle démarche peut néanmoins favoriser la discussion et le débat. Elle peut améliorer notre compréhension et faire avancer notre connaissance de la constitution des mouvements sociaux, de leur évolution, et de leur contribution au tissu social dans son ensemble.
10Nous ne pouvons donc pas présumer de l’existence des mouvements sociaux. Nous devons plutôt la démontrer. Notre définition d’un mouvement social est principalement axée sur un concept complexe faisant référence à un acteur social concret. Notre démarche conceptuelle propose d’insérer une autre dimension d’analyse à l’action collective des mouvements sociaux, soit celle de la culture. Cette dimension complète et améliore la compréhension de la dimension politique ainsi que des aspects reliés à l’accumulation et à la gestion de diverses ressources par des « organisations de mouvements sociaux ».
11Pourquoi avoir choisi la gestion des déchets comme objet de recherche ? Les déchets matérialisent, en quelque sorte, les impacts et les conséquences des choix de développement, de production et de consommation d’une société. Les déchets représentent une problématique relevant du politique. C’est une problématique qui articule également, entre autres, des éléments culturels. Non seulement ce « terrain » est-il riche en action collective, mais il est aussi porteur d’un certain nombre de préoccupations importantes concernant les orientations d’une société. Alors, concrètement, comment avonsnous fait pour aborder l’enjeu des déchets ?
Une recherche participative, non une recherche-action
12La méthodologie présentée implicitement ou explicitement dans les textes se définit comme le résultat d’une recherche participative et non d’une recherche-action. En fait, la participation permet aux chercheurs de définir l’enjeu « de l’intérieur » et de connaître l’évolution de diverses facettes de l’action collective. Cependant, il ne s’agit pas de recherche-action au sens classique du terme, car nous ne retrouverons ni phase de « conversion » ou de « sociologie permanente » comme le préconise Touraine, ni phase d’« autoréflexion » comme le propose Melucci, ni « rétroaction directe » de la part du chercheur vers les sujets (ou vice-versa). Nous croyons qu’une démarche de recherche participative nous amène :
- à mieux choisir parmi l’ensemble des documents et des autres sources d’information à analyser ;
- à mieux comprendre ce qui anime les individus actifs dans les groupes, c’est-à-dire le « noyau » ou le « cœur » des mouvements sociaux potentiellement en émergence ;
- à mieux comprendre l’ensemble des dynamiques et des dimensions des rapports qui existent entre les individus, les groupes et l’ensemble des acteurs sociaux.
13La recherche doit repérer différentes formes d’action collective tout en tentant d’analyser comment et pourquoi une telle action a pu être posée. C’est sur cette base que nous avons entrepris notre travail sur le terrain et nos diverses collectes de données.
14À partir de notre recherche participative, nous pouvons établir la correspondance ou la contradiction entre un enjeu « réel » sur le terrain et les théories portant sur les mouvements sociaux. La collecte de données basée sur la recherche participative fournit les éléments nécessaires permettant d’analyser et d’expliquer les dimensions politiques et culturelles de l’action collective des mouvements sociaux.
15Le défi est donc considérable. Il s’agit, d’une part, de comprendre les conflits et les contradictions caractérisant notre société d’où émergent différents acteurs sociaux et en particulier les mouvements sociaux. Ces conflits intègrent à la fois des dimensions politiques, sociales, économiques et culturelles. Nous avons choisi d’analyser surtout la dimension politique et la dimension culturelle. Il s’agit, d’autre part, d’entreprendre cette analyse structurelle en fonction de l’action collective concrète, c’est-à-dire en fonction des conflits et de leurs conséquences tels qu’exprimés et vécus par différents intervenants.
L’environnement et la gestion des déchets comme point de départ
16Lorsque nous nous questionnons sur la façon de traiter nos déchetsressources, deux voies s’ouvrent devant nous. La première préconise une approche écologique. Elle se résume comme suit : nous devons d’abord et avant tout réduire la quantité des déchets-ressources à traiter. Nous devons ensuite réutiliser le plus possible. C’est seulement après que nous devrons prendre les mesures nécessaires afin de recycler et de composter. Toutes ces opérations doivent se réaliser en respectant la communauté, l’environnement et la santé. Les déchets restants doivent être traités selon leur degré de toxicité pour la communauté, pour l’environnement et pour la santé. Les déchets restants ne peuvent plus être traités uniquement selon les exigences traditionnelles du marché, comme c’est le cas présentement. De plus, une nouvelle priorité s’impose, qui prend une importance sans précédent : il faut agir le plus rapidement possible pour éliminer ces déchets restants, soit en les évitant (réduction à la source), soit en faisant appel à des produits de remplacement, soit en les transformant en restes réutilisables, recyclables ou compostables. Cette approche ne se réalise pas toujours facilement et elle implique probablement des investissements importants à court terme. Mais à moyen et à long terme, cette approche se révèle supérieure sur le plan économique. De plus, elle réduit au minimum les risques de contamination, de pollution et de confrontations sociales. Elle permet la création de beaucoup plus d’emplois viables dans la communauté. Enfin, une telle approche est très flexible et évite le gaspillage.
17L’approche dominante concernant les déchets situe l’environnement comme une variable parmi d’autres. Cette approche est prévalente parmi les promoteurs et les décideurs qui considèrent que la production massive de déchets est quelque chose d’inévitable. Nous aurons toujours des déchets, disent-ils, alors il s’agit de s’organiser pour les traiter. Le problème des déchets devient donc une question d’ingénierie technique et sociale axée sur la centralisation du traitement et sur le recours à des techniques de plus en plus complexes pour en réduire les effets négatifs. En réalité, ce but est inatteignable. La contamination et la pollution sont inévitables, on ne peut donc que tenter de minimiser ces dangers, rendre la contamination « acceptable », le risque de cancer « acceptable », les installations polluantes, comme un lieu d’enfouissement pêle-mêle, une usine de compostage en vrac ou un incinérateur, « socialement acceptables ». Tout est alors réduit à une question de perception et pour çonvaincre la population, on a recours aux spécialistes. C’est ainsi qu’à l’intérieur de cette approche dominante les consultants et les promoteurs privés et publics tentent tant bien que mal de conjuguer un semblant de gestion écologique des déchets-ressources avec un traitement des déchets par l’enfouissement pêle-mêle, par l’incinération ou encore par le compostage en vrac. Aux yeux des promoteurs et des spécialistes, les installations polluantes deviennent alors des installations « environnementalement et socialement acceptables ». L’opposition à cette approche est alors discréditée, sous prétexte qu’elle émane de gens peu informés, des ignorants en somme. La population est dite mal informée, car elle ne « perçoit » pas très bien la réalité et elle souffre du syndrome du « pas-dans-ma-cour ».
18En réalité, la majorité des gens qui luttent actuellement dans le dossier de la gestion des déchets-ressources mènent un combat pour mettre fin à ce qui constitue un véritable scandale. Les gens luttent contre l’implantation ou l’agrandissement d’installations d’élimination de déchets polluantes et démesurées. Ils luttent pour des solutions axées sur la qualité de vie, la protection de l’environnement et le développement économique communautaire. En dépit d’obstacles apparemment insurmontables, ces individus et ces groupes réussissent à faire bouger les choses, en se réappropriant leur communauté, leur environnement, leur monde.
19Que disent les groupes environnementaux ? Que nous n’avons plus le luxe de polluer allègrement et de jeter inconsidérément. Estimer que la production de déchets est un mal inévitable n’est plus acceptable. Et il n’est plus question de faire uniquement confiance aux gouvernements et aux entreprises. Les groupes environnementaux et communautaires veulent faire en sorte que la communauté puisse également se prendre en main. Des choix concernant les décisions à prendre sont dorénavant possibles à cause de la détermination de ces gens qui donnent de leur temps, de leur énergie et de leur force pour faire en sorte que le monde soit différent.
20Les groupes environnementaux sont souvent les seuls qui soient capables d’assurer non seulement que la meilleure décision se prenne, mais aussi qu’elle se réalise concrètement. Et, en ce sens, les textes rassemblés ici témoignent d’une contribution réelle des groupes environnementaux à la démocratie québécoise pour que la communauté ait son mot à dire sur sa qualité de vie, dans une société où l’individualisme est triomphant.
21Les textes déjà publiés ailleurs ont été reproduits ici avec un minimum de corrections et de changements. Nous tenons à remercier sincèrement Mme Marie-Françoise Dauphin qui s’est chargée d’harmoniser les diverses versions informatiques de nos textes. Enfin, nous remercions le FCAR et le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada de l’aide financière reçue pour la réalisation de nos recherches.
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