Chapitre 5. L’ère industrielle (de la fin du XVIIIe siècle à la fin du XIXe)
p. 181-241
Texte intégral
1Au plan politique, le XVIIIe siècle est le lieu de changements importants : plusieurs régimes autocratiques s’effondrent pour laisser place à des institutions plus démocratiques en Angleterre, en France et aux États-Unis en particulier. C’est d’ailleurs en ces endroits que la révolution industrielle aura le plus de succès. La recherche scientifique prend de plus en plus d’essor au point que les fondements religieux de la civilisation occidentale sont ébranlés1.
2Sur le plan de la santé, on assiste à la naissance de l’hôpital moderne, avec la fragmentation des disciplines. Le traitement à l’hôpital devient le modèle idéal puisqu’il permet l’application de la méthode anatomo-clinique. Il s’ensuit que l’intérêt pour la personne malade fait graduellement place à la préoccupation pour l’organe malade, voire pour la maladie. Les deux perspectives anciennes, l’attention au souffrant concret (bedside medicine) et le respect démesuré des théories (library medicine), cèdent la place à la médecine hospitalière (hospital medicine).
3Par ailleurs, sous l’influence de Florence Nightingale, la profession d’infirmière s’institutionnalise et prend un essor considérable, perpétuant le souci de l’humain et la primauté de la compassion. Alors que le regard médical se fragmente, la vision infirmière demeure plus globale.
4L’éthique médicale devient plus déontologique, avec insistance sur les droits individuels et les devoirs des médecins. L’éthique infirmière reste plus humaniste et réflexive. Par ailleurs dans l’un et l’autre champs, se développe une éthique particulière de la recherche sur l’être humain.
INTRODUCTION SOCIOCULTURELLE
5Les changements de régimes politiques, la révolution industrielle, la nouvelle culture scientifique et la crise religieuse subséquente marquent cette époque et influencent la réflexion éthique.
Principaux événements
6Le XVIIIe siècle se clôt sur deux révolutions, celle des Américains se séparant de l’Angleterre et celle du peuple français renversant le régime monarchique. Les dettes contractées par la France pour sa participation à la guerre de l’Indépendance américaine sont la cause directe d’une crise financière obligeant à convoquer les États généraux, prélude de la Révolution.
7Graduellement la France reprend de son influence européenne, surtout sous l’Empire napoléonien (1804-1811), au point que les autres puissances lui opposent six coalitions (1793-1812) qui finissent par avoir raison de l’Empereur. Le pays connaît ensuite la monarchie et la république. En Angleterre, le XIXe siècle est celui des réformes administrative, judiciaire, éducationnelle et électorale. Gladstone et la reine Victoria en sont les principaux acteurs. Plus à l’est, on assiste au début de l’unité allemande à partir de l’initiative prussienne. La guerre franco-prussienne de 1870 consacre l’unité du nord et du sud de l’Allemagne qui, sous Bismark et Guillaume II, devient une des grandes puissances européennes. Enfin, après un demi-siècle de tentatives d’unification des diverses régions, on réussit à créer le royaume d’Italie en 1870.
8Cette époque voit aussi la constitution du Dominion du Canada en 1867 et la fulgurante montée des États-Unis d’Amérique comme puissance mondiale. En 1900, ce pays est déjà le premier producteur agricole du monde et sa production industrielle dépasse celle des pays européens.
Révolution industrielle
9La première révolution industrielle s’est amorcée sous le règne des monarques du XVIIIe siècle compétitionnant et guerroyant entre eux afin de posséder le monopole du commerce. Ce mouvement s’accélère sous les nouveaux régimes politiques au point de constituer une deuxième révolution industrielle. Les richesses s’accumulent et plusieurs strates de la population améliorent leurs conditions de vie, tandis que la bourgeoisie obtient peu à peu les pouvoirs politiques correspondant à son poids économique.
10Comment caractériser l’ère de l’industrialisation qui façonne les Temps modernes ? Quatre dynamismes vont y concourir :
le passage du travail artisanal ou à petite échelle à la production à grande échelle fondée sur la division technique et la rationalisation du travail ;
la diffusion du machinisme, c’est-à-dire l’utilisation généralisée de nouvelles machines utilisant des énergies matérielles, en particulier la machine à vapeur1 ;
la formation d’un prolétariat urbain, suite au développement des villes, et la rupture relative avec la nature ;
le passage d’une économie essentiellement agraire à une économie de marché et au grand commerce national et international2.
11C’est l’Angleterre qui profite le plus de l’industrialisation et de sa philosophie capitaliste3. Toutefois, le capitalisme a amené de nouvelles formes d’esclavage : celles de l’exploitation des travailleurs sous le masque du libre contrat (enfants au travail, insalubrité des usines, nombre d’heures de travail inhumain, etc.). Le XIXe siècle voit aussi émerger une nouvelle philosophie : celle d’Engels et de Marx dénonçant l’esclavage du prolétariat.
Culture philosophique et scientifique
12Le XIXe siècle marque une nette accélération de l’histoire quant à la somme des connaissances scientifiques mises à la disposition de l’humanité. Peu à peu, la science devient l’instrument du progrès technique. Alors qu’auparavant l’industrie devait beaucoup à des techniciens empiriques, le XIXe siècle voit l’éclosion d’une ère nouvelle où il n’y a plus de puissance industrielle sans une forte organisation de la recherche scientifique. Le cadre privilégié de cette recherche devient l’université ou, plus généralement, l’enseignement supérieur. Dans ce domaine, à partir de 1840, l’Allemagne jouit d’une suprématie incontestée. L’enseignement supérieur allemand inspire les projets de réforme qui se multiplient dans le monde occidental après 1870. Aux États-Unis, l’Université Johns Hopkins à Baltimore est la première à suivre cet exemple en 18764.
13On est tellement imbu d’esprit scientifique que même les sciences humaines, telles que l’histoire, l’économie, la politique, la sociologie, tentent d’adopter les méthodes rigoureuses des sciences dites exactes. Les hommes de ce siècle ont de plus en plus foi dans le progrès continu. Pour les scientifiques, la science permettra de connaître la nature intime des choses, d’éliminer l’idée de Dieu et de fonder une morale rationnelle qui assurera le bonheur des hommes. Le positivisme d’Auguste Comte (1798-1857) représente une des tentatives de reconstruire la société sur les bases de la science. Selon lui, chaque branche de la connaissance passe successivement par trois états : l’état théologique, l’état métaphysique et enfin l’état positif ou scientifique, où les phénomènes sont considérés comme obéissant à des lois naturelles invariables, qu’on peut étudier par l’observation et l’expérimentation.
Religion
14Malgré la perte d’influence de l’Église catholique, les conditions atroces des ouvriers dans les usines et leurs répercussions sur les familles suscitent une prise de conscience et un engagement social des chrétiens face à la misère urbaine. Diverses initiatives, comme la société Saint-Vincent-de-Paul, l’Armée du salut et l’encyclique Rerum Novarum, font réaliser que l’espérance du salut et la charité chrétienne doivent se traduire par un double engagement social au service de Dieu et des hommes5. On parle alors d’un christianisme social.
15Au plan intellectuel, les maîtres libéraux des différentes confessions religieuses acceptent l’application aux problèmes religieux des méthodes critiques de la philosophie, de l’histoire, de la philologie (Strauss, Loisy). Devant une interprétation considérée comme ajustant les vérités de foi à celles de la science et évacuant le surnaturel, les gardiens de l’orthodoxie catholique assimilent ces tentatives à des « erreurs modernistes ». C’est l’occasion d’une crise majeure chez les catholiques cultivés, la « crise moderniste » confrontant les catholiques libéraux aux ultramontains6.
SITUATION SANITAIRE
16Les conditions de vie se sont améliorées. La peste a pratiquement disparu, ainsi que les famines. Mais le fléau du choléra se propage, surtout dans les villes industrielles. Si la période précédente avait connu une halte dans la progression démographique, européenne en particulier, l’ère industrielle va rendre possible une augmentation considérable de la population.
Maladies et épidémies
17La petite vérole continue à faire des ravages. La liste est longue et connue des personnalités célèbres, telles que Louis XV et Mirabeau, qui en périssent ou en sont définitivement marquées. De 1789 à 1811, la peste va s’acharner sur Moscou. Cependant, à partir du début du XIXe siècle, elle s’éloigne rapidement de l’Europe7.
18Au XIXe siècle, c’est le choléra qui cause les épidémies les plus dévastatrices, en particulier au cours des années 1832, 1849 et 1866. Cette terrible maladie existait en Inde depuis des siècles. Son apparition en Europe est attribuée à plusieurs causes : la prolifération d’inondations inhabituelles suivies de famines, l’infection de troupeaux entiers dont la viande est malheureusement achetée par les plus démunis, enfin la saleté des villes industrielles, la pollution de l’eau, les systèmes d’égouts inadéquats, etc. L’épidémie se propage aussi en Amérique du Nord. Celles de 1832 et 1849 touchent très durement Montréal et Québec. Celle de 1866 frappe en particulier New York et Québec8.
Facteurs démographiques
19La fin du XVIIIe siècle voit la population augmenter. Ainsi, en Angleterre et au pays de Galles, alors que le taux annuel de mortalité était de 33 pour 1000 habitants en 1740, il descend à 26,9 en 1800. De même, la population anglaise augmente de 50 % en un siècle. À Londres, l’espérance de vie à la naissance est de 30,3 ans en 1760 ; elle augmente à 34,8 en 1800. Aux États-Unis d’Amérique, alors qu’on estime la population à 275 000 en 1700, elle atteint le chiffre de 3 930 000 au premier recensement officiel de 1790. Sous l’impulsion des écrits de Robert Malthus, économiste anglais (1798), on commence à craindre un excédent néfaste de la population : « le bonheur sur terre et pour tous », slogan des philosophes des Lumières, pourrait être freiné si on ne contrôle pas les naissances9.
20Le XIXe siècle prolonge et accentue cette période d’accroissement considérable des populations européenne et américaine10. De la fin des guerres napoléoniennes au début du premier conflit mondial, l’Europe voit sa population s’élever de moins de 190 millions à plus de 400 millions d’habitants. De 1800 à 1900, les États-Unis passent de 5,3 millions à 76 millions d’âmes, et le Canada, de 240 000 à 5,3 millions de personnes. Selon les États, le taux de la mortalité s’échelonne entre 16,6 et 36,5 vers 1870. En 1845, l’espérance de vie aux Pays-Bas est de 35 ans et, en 1905, elle monte à 45 ans. De même, la mortalité infantile recule. En France, l’espérance de vie, inférieure à 30 ans entre 1770 et 1779, passe à plus de 38 ans entre 1820 et 182911.
21Qu’est-ce qui explique cette progression12 ? Il y a d’abord la raréfaction des famines ainsi que la disparition des épidémies de peste. Les pays de l’Europe de l’Ouest connaissent un essor économique et industriel remarquable, améliorant les conditions de vie, surtout au plan de la nourriture, de l’habitat, de l’environnement et de l’hygiène. Ces facteurs expliquent pour beaucoup un fléchissement de la mortalité chez les adultes comme chez les enfants. Quant au Canada et aux États-Unis, il faut sans doute attribuer les progrès démographiques à une forte immigration jointe à une population jeune et féconde, du moins jusqu’en 1880. Au Canada français, ce n’est certes pas l’immigration qui fait hausser la population, mais une vitalité hors du commun encouragée par les exhortations du clergé catholique. Au milieu du XIXe siècle, le taux de natalité dépasse 60 pour 1000.
22Ces hausses de population ne peuvent faire perdre de vue certains facteurs limitatifs de l’époque13. Ainsi, au début de l’expansion de la grande industrie, la morbidité s’accroît. Dans la première partie du siècle, les épidémies de choléra font encore d’immenses ravages. Et ce n’est que vers la fin du siècle qu’on peut parler de progrès médicaux influençant la longévité. Si l’Amérique a profité de l’émigration, celle-ci a fait perdre des millions d’habitants à l’Europe. Enfin, la philosophie des Lumières et surtout l’expansion industrielle créant le travail et améliorant les conditions de vie font en sorte que la bourgeoisie préfère de plus en plus son confort au bonheur d’avoir une famille nombreuse. Même l’Amérique ressent cette dénatalité. Aux États-Unis, le taux de natalité est de 35 pour 1000 habitants en 1880 et de 30 en 1900. Avec l’urbanisation du Canada français, on passe de 47,3 en 1870 à 37 en 1900.
23Surtout en Europe où l’industrialisation a d’abord eu lieu, la famille cesse d’être une unité économique dont la production assure l’existence, la solidarité et l’indépendance. Désormais intégrée dans l’économie capitaliste, elle est, par là même, dissociée. Le mari, la femme et les enfants travaillent séparément ; l’unité économique est l’individu, le salarié. Avec le recul de l’âge d’admission des enfants à l’usine, puis avec la prolongation croissante des études, les enfants constituent une charge de plus en plus lourde, de là les familles moins nombreuses14.
ORGANISATION DE LA MÉDECINE ET DES SOINS INFIRMIERS
24Comme dans les autres sphères d’activité, les gouvernements interviennent de plus en plus dans l’organisation de la médecine et des soins. Les lois se multiplient. Des associations professionnelles de médecins sont créées officiellement, qui influeront sur le cours des événements :
American Medical Association (AMA) en 1847 ;
Association médicale canadienne (AMC/CMA) en 1867 ;
Collège des médecins et chirurgiens de la Province de Québec en 1848 ;
British Medical Association en 1858.
25Les associations d’infirmières apparaîtront à la toute fin du XIXe siècle et au début du XXe (voir p. 254). Le XVIIIe siècle ouvre aussi la voie à une approche scientifique de la médecine qui entraînera des conséquences notables au niveau de la formation et de la pratique des soignants.
Santé publique
26En France, les réformes entreprises resserrent les liens entre les pouvoirs publics et les autorités médicales compétentes. Le médecin se voit ainsi reconnaître un rôle d’expert et ses avis sont sollicités par l’État, tant pour l’élaboration des lois que pour leur application. Cette collaboration constitue dès lors la pierre angulaire de toute politique de santé efficace. L’épidémiologie est la première spécialisation à bénéficier de l’appui des pouvoirs publics. Tour à tour, Louis XVI et l’Assemblée nationale de 1791 encouragent la poursuite des recherches sur les épidémies. Divers règlements sont édictés. Lavoisier définit le contrôle sanitaire hospitalier en termes de dépistage des maladies infectieuses et impose dès l’admission le bain des malades de même que la désinfection de leurs vêtements. En 1794, la Convention décide la création à Paris d’une chaire d’hygiène et de physique médicale. Mais quand il est question de mesures coercitives, l’opinion publique se cabre et les décrets et édits sont le plus souvent abolis.
27Des mesures semblables sont prises ailleurs. En Angleterre, le travail en usine, ses conditions insalubres et les accidents qu’il entraîne poussent des médecins tels que John Ferriar (1761-1815) et Thomas Percival (1740-1804) à visiter régulièrement les usines, celles de Manchester notamment, pour tenter d’améliorer la condition sanitaire des ouvriers. Les conseils des hygiénistes conduisent le gouvernement à adopter différentes mesures sanitaires, non seulement au niveau de l’eau, mais aussi en ce qui concerne l’aération et la propreté des édifices publics. En 1778, l’anglais Haygarth propose la déclaration obligatoire de la variole au médecin ou au confesseur en vue de l’isolement des malades. En 1754, à Florence, un décret interdit la vente ou le transfert sans précautions préalables de tout objet ayant appartenu à des tuberculeux. À Venise en 1752, et à Naples en 1782, on impose aux médecins la déclaration systématique de tous les cas de maladies infectieuses parvenus à leur connaissance sous peine de sanctions sévères pouvant aller jusqu’à la relégation15. L’Amérique du Nord suit rapidement le mouvement.
28Au Québec, par exemple, pour combattre les épidémies, on établit la quarantaine à Grosse Île pour les nouveaux arrivants. En 1832, sous l’autorité du conseil municipal, on construit à Québec un hôpital de la marine disposant de médecins, chirurgiens, apothicaires, gardes-malades, pour traiter en particulier les marins de passage et les immigrants qui arrivent affaiblis, malades, souvent atteints du choléra. Ce fut le premier hôpital civil. Il fonctionnera durant un an, le temps de la décroissance de l’épidémie16.
29Une véritable politique de santé publique capable de prendre en charge la maladie, d’observer et d’améliorer « l’état de santé » d’une collectivité apparaît ainsi graduellement dans l’ensemble des pays de l’Europe de l’Ouest et de l’Amérique du Nord17. Les moyens politiques, économiques et scientifiques étant désormais présents, cette politique de santé s’accompagne d’une véritable médicalisation de la société qui réserve à la profession médicale le domaine de la santé et la surveillance du corps18, alors que la santé publique multiplie la demande de services médicaux. Pour répondre à ces exigences, la nouvelle alliée du pouvoir politique doit faire ses preuves en termes de qualité et d’efficacité, d’abord pour mériter le soutien de l’État, mais aussi pour inspirer respect à la population elle-même. Une bonne politique de santé passe donc nécessairement par la revalorisation du médecin et la restructuration de la pratique soignante.
Formation médicale
30Le cas français fournit un bon exemple de ces mutations dans la mesure où la France participe à cette révolution scientifique, tandis que la centralisation politique dont elle est coutumière favorise le développement d’une biopolitique particulièrement efficace.
31La Révolution française abolit hôpitaux, facultés universitaires et corporations, afin de couper tout lien avec ce qui représente l’Ancien Régime, voire avec tout ce qui sent l’élitisme. On met de l’avant que le malade sera mieux soigné à la maison. On en profite pour confisquer les biens des hôpitaux, souvent biens religieux. Il en résulte une pagaille indescriptible : n’importe qui s’improvise médecin ; la santé et la vie des citoyens sont souvent menacées ; d’autant plus que beaucoup de médecins formés dans les anciennes facultés sont partis pour l’armée, volontaires ou appelés, et qu’ils y meurent. La société post-révolutionnaire ressent particulièrement le besoin de médecins pour ses armées. Pendant la décennie 1789-1799, diverses tentatives voient le jour pour rétablir des hôpitaux, réglementer la formation, exiger un permis de pratique, rétablir les corporations. Le temps n’est pas encore à l’encadrement.
32Il faut attendre 1803 (loi du 19 Ventôse de l’an XI) pour assister à une véritable réorganisation qui remédie aux lacunes de l’Ancien Régime en termes d’enseignement trop théorique, de programmes incohérents et d’examens superficiels. La loi instaure des écoles cliniques de médecine. Si la France n’invente pas cette institution déjà utilisée comme moyen d’enseignement à Leiden, Edimbourg et Vienne et dans les hôpitaux militaires (voir le chapitre 4), elle est la première à la rendre obligatoire dans l’ensemble d’un pays et à l’inclure dans ses programmes d’études officiels. La loi exige un permis de pratique sous peine d’amende et de prison. Elle établit une hiérarchie à deux niveaux dans le corps médical : les docteurs en médecine et en chirurgie, et les officiers de santé. Les premiers doivent suivre dans l’une des 6 écoles approuvées (dont Paris, Montpellier, Strasbourg) 4 ans d’étude où alternent cours théoriques et stages cliniques. On demande aux seconds 3 ans d’étude ou bien 5 ou 6 ans de pratique (expérience antérieure ou travail auprès d’un médecin reconnu)19. Certaines municipalités créent des hôpitaux.
33Des écoles de formation médicale apparaissent aussi en Amérique du Nord sous l’influence de John Morgan et de Samuel Bard. La première est créée au College of Philadelphia en 176520. Aux États-Unis, une première loi réglementant la pratique médicale est votée dans l’État de New York en 179721.
34Au Québec, en 1788, il n’existe encore aucune forme d’enseignement autre que celle de l’apprentissage. Plusieurs candidats cependant vont compléter leur formation à l’étranger : Edimbourg, Londres, New York, Boston. Les contacts avec la France sont interrompus depuis 1760, et durant tout le temps de la Révolution française et de l’ère napoléonienne22.
35Diverses pressions aboutissent à la proclamation de l’Acte médical de 1788 qui spécifie « que tout candidat à la pratique de la médecine, de la chirurgie et de l’art obstétrical devait se présenter devant un bureau d’examinateurs » à Québec ou à Montréal. Un certain enseignement se donne ici et là au Québec. Il s’agit de cours privés, non réglementés, sous la seule autorité du médecin-professeur.
On trouve des initiatives en ce sens à Québec, par exemple, au Dispensaire de Québec en 1819 et à l’Hôpital de la marine en 1834.
Au Montreal General Hospital, des cours de médecine en anglais se donnent à partir de 1824, sur l’initiative des docteurs Caldwell, Holmes, Loedel, Stephenson et Robertson et de leur fondation, la Montreal Medical Institution (MMI). En 1829, les autorités de l’Université McGill demandent aux médecins de se joindre à leur établissement afin de satisfaire aux conditions d’obtention d’un legs de 15 000 livres de Peter McGill. Le MMI devient alors la faculté de médecine de l’Université McGill et la première faculté de médecine universitaire du Canada. Quatre chaires sont créées : « practice of medicine, midwifery, chemistry-materia medica, and anatomy-surgery ». L’université obtient sa reconnaissance en 1832.
En 1843, à Montréal encore, s’ouvre une école bilingue, l’École de médecine et de chirurgie, qui deviendra bientôt une école uniquement française.
36Le changement majeur vient de la loi de 1847 qui rend les cours de médecine obligatoires (la seule formation par apprentissage ne suffira plus), crée deux écoles de médecins à Québec et à Montréal, et définit les critères d’admission. La loi prévoit quatre années d’étude. Elle oblige chacune des deux écoles à donner tous les ans au moins 120 heures de cours en langue anglaise et autant en langue française. À la fin des études, elles peuvent dispenser une licence, nécessaire pour pratiquer la médecine, la chirurgie, l’art obstétrical ou la pharmacie. Le contrôle est assuré par le Collège des médecins et chirurgiens, qui remplace l’ancien bureau d’examinateurs.
En 1848 est effectivement créée l’École de médecine de Québec, qui fera place à la Faculté de médecine de l’Université Laval, fondée en 1854.
À Montréal, à partir de 1878, l’École de médecine et de chirurgie est en concurrence avec la succursale de l’Université Laval établie à Montréal.
Formation infirmière
37C’est à la même époque qu’apparaissent véritablement des changements dans la formation des infirmières. L’apparition du choléra au début du XIXe siècle amène les pouvoirs publics à prendre conscience de l’importance de travailleurs de la santé bien préparés aux soins infirmiers communautaires. Le lait, l’eau, la nourriture, les installations sanitaires se révèlent toutes sources d’infection et, ultimement, de mortalité. En Angleterre, le Rapport Chadwick (1842) marque une date mémorable dans la sensibilisation du public à l’importance de la santé communautaire. Progressivement, on en vient à admettre la nécessité d’avoir des infirmières compétentes, aussi bien religieuses que laïques, et qu’on doive les former tant pour les visites à domicile que pour le travail à l’hôpital23. Le XIXe siècle marque le passage de la vocation à la profession d’infirmière. Florence Nightingale joue à cet égard un rôle déterminant.
38En Allemagne, le pasteur luthérien Theodor Fliedner et son épouse fondent en 1836 à Kaiserwerth l’Institution des diaconesses protestantes. Cette fondation est proche du modèle congréganiste catholique : les diaconesses sont soumises à une règle commune ; elles reçoivent le titre de sœur ; elles sont vouées au célibat ; elles doivent revêtir un costume particulier ; elles ne reçoivent pas de rémunération. Cette institution est représentative du mouvement religieux du Réveil protestant qui fonde ses réflexions sur le retour aux sources de la Réforme. Cette institution devient vite un modèle pour toute l’élite protestante européenne24.
39Un autre modèle important est celui de l’École normale de gardes-malades à Lausanne, en Suisse (École la Source) créée en 1859. Cette institution est réalisée par opposition à l’œuvre des diaconesses. La fondatrice Valérie de Gasparin conteste, en effet, la forme conventuelle protestante. Les élèves peuvent être mariées, célibataires, veuves ; elles ne sont pas soumises à une autorité religieuse et n’ont pas à porter le titre de sœur. Elles sont par ailleurs rémunérées en fonction de leur travail. Cette forme de laïcité liée à l’école normale, toutefois, n’est pas non religieuse, les élèves devant faire preuve de piété protestante. À l’École la Source, une fois sa formation terminée, la garde-malade est libre de sa vie, même si cette liberté est toute relative dans la société du XIXe siècle.
40En France, l’idée que l’instruction est nécessaire aux personnes qui soignent les malades, née du génie de Vincent de Paul au siècle précédent, maintes fois décriée par des médecins, des ecclésiastiques et des officiers de l’état civil, ne se concrétise véritablement que sous la Troisième République. Pendant la Révolution, Condorcet appuie les médecins réformistes dans leurs revendications de formation pour les « gardes-malades ». Après une première tentative d’organisation de la formation vers 1835 dans les hôpitaux parisiens, il faut attendre la guerre de 1870 pour que l’œuvre des pionniers voie le jour. À Paris, des enseignements de pratiques hospitalières s’organisent et des diplômes de « garde-malade ambulancière » sont délivrés à partir de 1877. Il s’agit là d’un des premiers diplômes professionnels. Dès 1878, ce sont les hôpitaux de l’Assistance publique qui innovent avec les cours municipaux publics et gratuits. Diverses communautés religieuses prennent des initiatives. À Lyon, avec le concours des sœurs hospitalières, l’école professionnelle de l’Hôpital de la charité ouvre ses portes en 189925.
41À l’époque, la méthode pédagogique des manuels est simpliste. Elle ne permet pas d’apprendre à penser, mais plutôt à reproduire des techniques sans grande complexité. D’ailleurs la méthode sert bien son but : ne jamais juger par soi-même, cette dimension étant réservée aux médecins. Diffusés à des milliers d’exemplaires, les manuels pour gardes-malades sont durant près d’un siècle le canal par lequel les médecins exercent leur autorité sur les pratiques infirmières et parviennent à les réguler tout en leur assignant le rôle qu’ils veulent leur voir jouer26.
42Toutefois, la véritable naissance de la profession infirmière a lieu en Angleterre au milieu du XIXe siècle avec Florence Nightingale.
Florence Nightingale (1820-1910)
43Née en Italie à Florence, le 12 mai 1820, de parents britanniques, Florence Nightingale reçoit une éducation remarquable : à 17 ans, elle maîtrise plusieurs langues anciennes et modernes et s’intéresse vivement aux mathématiques. Elle appartient, par sa naissance, à l’Église d’Angleterre. Chrétienne convaincue, elle n’a qu’un but : servir l’humanité au nom de Dieu. Elle est encore très jeune lorsqu’elle manifeste le désir de devenir infirmière, mais ses parents s’y objectent principalement à cause des conditions déplorables des hôpitaux. Malgré de nombreux obstacles familiaux, Florence Nightingale réussit à poursuivre sa carrière d’infirmière. Grâce à l’influence d’amis et de sa famille, elle est nommée surintendante de l’Institution for the Care of Sick Gentlewomen in Distressed Circumstances, poste qu’elle occupe de 1850 à 1853. Durant ces trois années, elle passe un mois chez les Sœurs de la Charité de Paris à donner des soins, aider et observer les médecins, et à colliger des données : elle visite également à ses frais les hôpitaux de France, d’Allemagne et d’Angleterre et compile une quantité faramineuse de données27.
44La guerre de Crimée (1854-1856), qui oppose l’Angleterre, la France et le Piémont à la Russie, lui donne l’occasion de jeter les bases d’une organisation moderne et du statut professionnel du nursing. Une série de reportages paraissent dans les journaux britanniques en octobre 1854, où l’on souligne les conditions déplorables de soins dans lesquelles se trouvent les soldats blessés et où l’on démontre avec force détails la supériorité de l’organisation infirmière française qui comprenait un groupe de religieuses gardes-malades appartenant à la communauté des Sœurs de la Charité de Saint-Vincent-de-Paul. L’opinion publique s’émeut. Forcé d’agir, le gouvernement anglais demande à Florence Nightingale d’accompagner dans ce pays un contingent de 38 infirmières qui consentent à servir sur le champ de bataille. Mal accueillies par les médecins des hôpitaux militaires, ces infirmières démontrent rapidement leur utilité en faisant chuter considérablement le nombre de décès. Avant que Miss Nightingale n’arrive, le taux de mortalité parmi les soldats de l'English General Hospital se situait à 400 pour mille. Les réformes sanitaires et les soins infirmiers permettent de réduire ce taux à 22 pour mille, ce qui n’avait jamais été aussi bas même en temps de paix28.
45La population britannique exprime sa gratitude en faisant parvenir des dons à son attention, si bien qu’en novembre 1855 le Nightingale Fund est créé. Cet argent lui permet de fonder à son retour en Angleterre une institution pour la formation, la subsistance et la protection des infirmières. Revenue au pays, Florence Nightingale collige les principes des soins infirmiers : propreté, aération des lieux, hygiène personnelle, alimentation saine, observation des symptômes et administration du traitement médical. Elle publie ses Notes on Nursing en 185929. Elle fonde la première école moderne d’infirmières en 1859 au St. Thomas Hospital de Londres.
46Nightingale considère les soins infirmiers comme partie intégrante d’un projet de santé publique bien planifié et efficacement appliqué à la santé des citoyens, des militaires et des autochtones des colonies à travers le monde. Pour ce faire, elle désire élever l’image de cette profession majoritairement composée de femmes de classe sociale inférieure afin d’en faire une profession de femmes appartenant à la classe moyenne grâce à leur formation. Elle considère l’infirmière comme une personne capable de penser, ressentir et agir de manière positive et constructive. Pour mener à bien ces tâches, l’infirmière doit toutefois acquérir une formation appropriée, le fait d’être une femme dévouée et soumise ne suffisant plus. La durée du cours est d’un an. Les cours sont donnés tantôt par des médecins, tantôt par des hospitalières. Le programme s’avère très exigeant : on initie les futures infirmières aussi bien à noter les symptômes des maladies et leurs causes qu’à tenir un agenda des activités et des interactions quotidiennes. Florence Nightingale souhaite que les infirmières se consacrent exclusivement à leur travail de nursing. Elle insiste pour que les administrations hospitalières donnent à l’infirmière en chef les pouvoirs requis pour régler cette situation. Habitués à assurer la formation des infirmières et à leur commander, 95 % des médecins se montrent réticents devant cette révolution.
47En dehors de Londres, l’œuvre trouve de nombreux adeptes. Aux États-Unis, la réforme est largement comprise et appliquée. Le besoin de plus en plus grand d’émancipation pour la femme contribue indéniablement à cette quête de reconnaissance sociale. La guerre civile américaine, de 1861 à 1865, aide en outre à sensibiliser le public à l’importance d’avoir des infirmières compétentes. Les déplorables conditions sanitaires de New York et les différentes épidémies de choléra et de petite vérole contribuent à cette prise de conscience. En 1867, Elisha Harris, membre du Conseil de la santé de New York, prédit que les infirmières deviendront les missionnaires de la santé par leur œuvre d’éducation du public. Les écoles de formation d’infirmières poussent alors comme des champignons en Amérique. Les conditions dégradantes de l’Hôpital Bellevue de New York conduisent à la fondation du Bellevue Training School for Nurses en 1873. La même année, l’École du Massachusetts General Hospital ouvre ses portes. À Boston, Hartford et New Haven, des institutions semblables voient le jour peu après. À la fin du siècle, 25 écoles d’infirmières existent aux États-Unis30.
48Plusieurs infirmières canadiennes vont aux États-Unis recevoir une formation et, de retour au pays, obtiennent des postes de premier plan. Au Canada, la première école du genre s’établit à St. Catherines (Ontario) en 1874. Un an plus tard, le conseil général du Montreal General Hospital demande de l’aide à Florence Nightingale qui envoie cinq infirmières pour lancer un nouveau programme de formation. C’est un échec, mais une diplômée du New York Hospital prend la relève et met sur pied le premier cours d’études supérieures d’une durée de trois ans en Amérique. Cette première école voit effectivement le jour au Woman’s Hospital de Montréal en 1886. L’Hôpital Notre-Dame est le premier hôpital francophone à ouvrir une École de nursing en 1899. L’Hôtel-Dieu suit deux ans plus tard. Au tournant du siècle, on compte huit écoles au Québec. Mais les nouvelles diplômées font face à des possibilités d’emploi fort restreintes : service privé auprès de malades à domicile et service de santé publique. Quelques-unes sont employées dans les hôpitaux anglophones où elles remplissent les fonctions assurées par les religieuses dans les institutions francophones31.
La pratique
49En dehors des champs de bataille où la Croix-Rouge, fondée par Henri Dunant, fait un travail irremplaçable, la pratique des soignants (médecins et infirmiers) continue de se dérouler à l’hôpital ou à domicile comme dans la période précédente. Toutefois, un changement majeur apparaît : la naissance de l’hôpital moderne géré par l’État.
Naissance de l’hôpital moderne
50L’hôpital devient en effet le cadre institutionnel destiné à fournir les soins requis par la santé d’une population nombreuse. Bien que la fonction traditionnelle d’assistance et de régulation sociale survive encore, dans le cas des asiles notamment32, la fonction médicale prime désormais. L’hôpital devient non seulement une « machine à guérir », selon l’expression de Tenon reprise par Michel Foucault, mais aussi le lieu indispensable à l’observation non pas d’un individu dont la méthode scientifique interdit de tirer des leçons, mais bien du grand nombre qui donne un sens aux séries statistiques. Il fournit ainsi un terrain d’observation et d’expérimentation privilégié pour le développement des connaissances et l’avancement de la science. La recherche prend en effet de plus en plus de ressources matérielles et financières. L’activité clinique est tributaire de cette recherche : elle en applique les résultats et elle la nourrit. Bien que la transition soit très lente et progressive, les hôpitaux se modernisent et se dotent de protocoles de recherche, si ce n’est de centres de recherche. De mal famés qu’ils étaient, ils deviennent les lieux que nous connaissons : propres, organisés, techniques. La Faculté est en quelque sorte reléguée en deuxième position33.
51Les infirmières travaillant dans les hôpitaux sont désormais sous les ordres des médecins. Elles sont devenues des auxiliaires indispensables, voire des collaboratrices précieuses. Elles continuent aussi leur tâche à domicile.
Soins à domicile
52Il semble que se faire soigner chez soi soit un privilège des gens de bien. Lorsqu’on a la chance de ne pas être acculé à la pauvreté, c’est chez soi que l’on est soigné par ses proches, ses voisins, ses amis. Mais ces soins se limitent le plus souvent à ce qui entoure la naissance et la mort. À la fin du XVIIIe siècle, les accoucheurs interventionnistes se substituent de plus en plus aux sages-femmes pour assister les femmes de condition aisée.
53Au Canada, en 1895 naît le Victorian Order of Nurses, un réseau d’infirmières vouées aux soins à domicile à travers le pays dans le but de dispenser les soins infirmiers à domicile aux personnes incapables de payer les services de santé requis34.
54Les œuvres religieuses se poursuivent. On peut mentionner celle d’Élizabeth Seton et de ses Sœurs de la Charité. Catherine Mcauley fonde les Sœurs de la Miséricorde, consacrées aux pauvres, aux malades, aux ignorants et aux prisonniers35. Les Sœurs de la Providence soignent aussi les malades à domicile et ouvrent un dispensaire pour soigner gratuitement les pauvres. En 1869, elles publient un manuel intitulé Traité de matière médicale. Un nombre grandissant d’institutions fournissent de plus en plus de diplômées ; une demande accrue d’infirmières pour des soins privés s’ensuit. L’infirmière dépend toutefois encore du médecin. Elle ne peut répondre aux questions du patient, ce qui nuit souvent à l’éducation de celui-ci. Elle ne connaît pas non plus le contenu des médicaments prescrits.
DÉVELOPPEMENT DES CONNAISSANCES ET DES TECHNIQUES
55Si le XVIIIe siècle a ouvert la voie à l’approche scientifique en médecine, c’est au XIXe, surtout après 1830, que commence l’ère de la médecine moderne et scientifique. L’apport de la chimie, le perfectionnement continu de l’instrumentation et les nouveaux moyens d’investigation clinique permettent d’orienter la médecine d’une approche descriptive vers la recherche de causalité mettant en lumière les mécanismes propres à chaque maladie identifiée. La pratique diagnostique et thérapeutique en est modifiée. Cela est dû, en particulier, à un changement de méthode.
Méthode anatomo-clinique
56La médecine de la fin du XVIIIe siècle s’oriente clairement vers une méthode inductive et empirique : la méthode anatomo-clinique. Celle-ci devient la méthode d’étude médicale dominante « qui a pour principe de reconnaître sur le vivant, à l’aide de signes précis tirés de l’examen physique, les modifications pathologiques des organes profonds ». Elle prend la forme d’un « procédé qui consiste à confronter et à relier les troubles cliniques observés chez le vivant et les lésions anatomiques constatées sur les cadavres36 ».
57Incidemment, la dissection des cadavres (autopsie à l’hôpital ou dissection à la faculté de médecine) est devenue une pratique courante. Ainsi, l’Allemand E Hoffmann invente le terme d’anatomie pathologique. L’Italien Giovanni B. Morgagni publie un ouvrage qui présente les résultats de 600 autopsies réalisées par lui ou son maître Vasalva37. À l’École de médecine de Paris à la fin du XVIIIe siècle, on dénombre 500 dissections par année. À partir de 1797, l’école de dissection qui avait été créée en 1750 sous l’Ancien Régime est réactivée et accueille une élite de 120 étudiants. Mais c’est surtout le regard porté sur le cadavre qui a changé38.
58La méthode anatomo-clinique confère ainsi un caractère scientifique à la médecine qui adopte un esprit d’observation objectif, systématique et raisonné. La nosologie, c’est-à-dire la classification des maladies à partir de l’étude des caractères distinctifs qui permettent de définir chacune d’elles39, peut ainsi connaître de très grands progrès. Alors que les médecins se limitaient dans le passé à constater des syndromes présents dans une ou plusieurs maladies, l’observation d’un grand nombre de malades, la collaboration entre les médecins et l’utilisation de séries statistiques permettent enfin de découvrir les invariants de la maladie au-delà de la multiplicité des faits individuels40. Deux grands médecins illustrent cette évolution : René Laënnec et Claude Bernard.
René Laënnec (1781-1826)
59René Laënnec est surtout connu comme inventeur du stéthoscope (1815). L’idée lui aurait été inspirée par sa pudeur vis-à-vis des femmes et lui serait venue après avoir vu des enfants jouer à se parler à travers un tuyau dans un parc. Mais la renommée de Laënnec tient encore plus à son apport fondamental à la méthode anatomo-clinique. Par ses observations précises et contrôlées, il a fait de la clinique une véritable science ayant ses méthodes propres, sa rigueur, son objectivité. Cette mentalité se retrouve à l’Hôtel-Dieu de Paris, au début du siècle, dans un traité publié en 1813 : la confrontation méthodique des données de l’autopsie avec les renseignements préalablement consignés dans des « tableaux analytiques », la précision du protocole d’enquête, l’objectivité du raisonnement déductif qui n’élude aucune difficulté, la qualité des résultats obtenus, tout y prend une résonance nouvelle, tout y préfigure le système actuel de recherche clinique41.
Claude Bernard (1813-1878)
60Médecin et physiologiste français, ce commis pharmacien de Lyon devenu interne à l’Hôtel-Dieu de Paris est encouragé par Magendie dans ses expériences en laboratoire. Ses principaux travaux touchent la vasomotricité d’origine nerveuse, la physiologie et la pathologie du système nerveux, le suc gastrique et son rôle dans la nutrition. Pour lui, la science ne s’établit que par voie de comparaison : la connaissance de l’état pathologique ou anormal ne saurait être obtenue sans la connaissance de l’état normal et cette dernière ne peut s’acquérir qu’à la lumière des faits de laboratoire. Son Introduction à l’étude de la médecine expérimentale (Paris, J. Gilbert, 1865) marque un point tournant dans l’histoire de la pensée médicale42. On a souvent appelé Claude Bernard le père de la médecine expérimentale43.
61Sa méthode repose sur trois étapes successives et complémentaires : l’observation, l’expérimentation ou la comparaison et le raisonnement expérimental. L’observation sert à découvrir les lois de la nature en termes de réalité objective. Dans l’expérimentation, le chercheur formule une hypothèse de causalité. Il confronte par la suite cette hypothèse au contrôle de l’expérience, puis interprète celle-ci. Le résultat obtenu suggère ainsi d’autres expériences jusqu’à ce qu’apparaisse une explication claire des causes ou conditions ayant provoqué le phénomène. En somme, la méthode expérimentale, explique-t-il, n’est pas autre chose qu’un raisonnement à l’aide duquel nous soumettons méthodiquement nos idées (nos hypothèses) à l’expérience des faits que l’observation et l’expérimentation nous fournissent. Si le fait rencontré est en opposition avec la théorie existante, il faut accepter le fait et abandonner la théorie qui n’est qu’une interprétation subjective des faits (p. 41).
62Bien qu’il reconnaisse la spécificité du vivant, avec un ordre propre de propriétés (voir la notion de milieu intérieur qu’il a élaborée) que l’on ne retrouve pas chez le non-vivant, Bernard devient un adversaire farouche de toute conception se rapprochant du vitalisme évoqué au chapitre précédent (voir l’encadré, p. 200). La vérité se trouve exclusivement dans l’analyse des processus physico-chimiques. La science repose sur le déterminisme des conditions des phénomènes. Elle cherche à découvrir la condition d’existence d’un phénomène, c’est-à-dire sa cause prochaine ou sa cause déterminante (p. 89, 109, 123,135-136). Le même déterminisme est exprimé clairement dans une autre de ses œuvres.
Chaque phénomène vital, comme chaque phénomène physique, est invariablement déterminé par des conditions physico-chimiques qui lui permettront ou l’empêcheront d’apparaître en devenant les conditions ou les causes matérielles immédiates ou prochaines44.
63C’est pourquoi la médecine devient irrémédiablement liée au travail de recherche en laboratoire.
Je pense que la médecine ne finit pas à l’hôpital, comme on le croit souvent, mais qu’elle ne fait qu’y commencer. Le médecin qui est jaloux de mériter ce nom dans le sens scientifique doit, en sortant de l’hôpital, aller dans son laboratoire [...]. C’est là, en un mot, qu’il fera la vraie science médicale (p. 206).
64Toute référence à un quelconque principe d’essence supérieure irréductible à la matière disparaît. La démarche médicale s’appuie désormais sur une analyse scientifique et objective de la matière. Ce déterminisme physicochimique oriente la biologie vers des échelles de plus en plus petites, d’abord en termes de cellules, puis, quelques années plus tard, de molécules. Il conduit nécessairement au réductionnisme, c’est-à-dire à une réduction de l’être humain à son organe malade, voire à ses tissus et à ses processus bio-chimiques45.
65La méthode anatomo-clinique, liée au déterminisme expérimental, se révèle féconde en découvertes de toutes sortes. Soutenue par des progrès techniques, elle entraîne d’autres découvertes, dans un processus cumulatif de plus en plus rapide.
VITALISME OU DÉTERMINISME
Le XIXe siècle est traversé par une querelle opposant les vitalistes et les déterministes.
Le vitalisme désigne, de manière générale, la théorie d’après laquelle les phénomènes vitaux sont irréductibles aux phénomènes physico-chimiques. La vie relèverait d'un souffle ou d’une force vitale, plus ou moins transcendante, à tout le moins indépendante de la matière. Il y a une spécificité du vivant.
L’idée est déjà présente chez Hippocrate et Aristote. On la retrouve chez Descartes, malgré son dualisme corps-âme (voir p. 162). C’est la conception la plus répandue encore au XIXe siècle, malgré d’importantes différences d’un auteur à l’autre.
C’est contre elle que s’inscrivent Magendie, Bernard, etc. Pour ces auteurs, la vie n’est qu’une manifestation, plus sophistiquée, des phénomènes physicochimiques. Elle est déterminée par ceux-ci. La méthode anatomo-clinique permettra de tout expliquer. C’est le déterminisme.
* Voir Patrick Wotling, art. « Vitalisme », dans Monique Canto-Sperber (dir.), Dictionnaire d’éthique et de philosophie morale, p. 1606 ; Georges Canguilhem, « Aspect du vitalisme » (1946-1947), dans La connaissance de la vie, Paris, Vrin, 1985 ; Louis-Marie Morfaux, Vocabulaire de la philosophie et des sciences humaines, Paris, Armand Colin, 1980 ; Philippe Meyer et Patrick Triadou, Leçons d’histoire de la pensée médicale, Paris, Odile Jacob (coll. Sciences humaines et sociales en médecine), 1996, p. 111-132.
Apparition de nouvelles disciplines
66Les découvertes inspirées de la méthode anatomo-clinique ont un effet d’entraînement et de nouvelles disciplines apparaissent. Dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle, il faut rappeler Antoine Laurent Lavoisier (1743-1794) qui fait d’importants travaux sur le phénomène de la respiration, avec des retombées dans le domaine de l’hygiène. Important aussi, François Xavier Bichat (1771-1802) considéré par plusieurs comme le père de la biologie moderne à cause de ses travaux sur la physiologie tissulaire46. Mais c’est surtout au XIXe siècle que la méthode, mieux explicitée, aura des conséquences majeures.
67Les progrès de l’instrumentation optique ouvrent la voie à l’histologie pathologique. La biopsie et l’examen au microscope remplacent peu à peu l’observation sur les cadavres. Theodor Schwann (1810-1882) découvre la fonction cellulaire, tandis que Rudolph Virchow (1821-1902) est à l’origine des notions relatives à la pathologie des tissus et à l’histologie du cancer. Celui-ci publie en allemand, en 1858, un livre intitulé Zellular Pathologie, où il rejette la théorie humorale encore en vigueur. Cet ouvrage servira de base à la théorie cellulaire, dans la mesure où il énonce que les maladies se développent au niveau des cellules, unités morphologiques constitutives du corps humain. Virchow attire ainsi l’attention médicale sur ces éléments jusque-là négligés, mais dont l’existence est révélée par le microscope. D’abord mal reçue, cette théorie gagne néanmoins des adeptes au début du XXe siècle47.
68Dans un autre champ, Pierre Bretonneau ouvre en 1885 les portes de la microbiologie en avançant une nouvelle hypothèse. Selon lui, « un germe spécial, propre à chaque contagion, donne naissance à chaque maladie contagieuse : les fléaux épidémiques ne sont engendrés, disséminés que par leur germe reproducteur48 ».
69La fin du XVIIIe siècle et le XIXe siècle permettent enfin une application pratique des connaissances acquises dans les périodes précédentes. D’incontestables progrès diagnostiques et thérapeutiques surviennent en effet.
Champ diagnostique
70Jusqu’en 1830, cinq moyens d’information dans la détection des maladies sont utilisés par les praticiens : l’interrogatoire, l’inspection, la palpation, la percussion et l’auscultation. À cette panoplie assez rudimentaire s’ajoutent graduellement des moyens plus scientifiques : l’endoscopie (1827), les mesures quantitatives dans la prise de température et de tension artérielle, les analyses d’urine et du sang vers le milieu du siècle et la radiologie à l’orée du XXe. À partir de ces moyens, il devient plus facile de caractériser chaque maladie et de spécifier son étiologie49.
71L’activité clinique est peu à peu conceptualisée en fonction de l’activité diagnostique. La clinique devient une méthode qui consiste à faire un diagnostic par observation directe des signes et des symptômes pour découvrir la lésion, l’organe malade, le tissu malade. Auparavant, il s’agissait davantage de deviner ou de prédire la maladie. Seule l’autopsie était garante de la justesse du diagnostic. Les progrès technologiques permettent de plus en plus d’être certain de la nature de la lésion. La thérapeutique apparaît désormais comme une action sur le corps pour rétablir un état normal. Elle ne s’attaque plus uniquement aux symptômes mais aussi aux causes. Des thérapeutiques enfin efficaces peuvent ainsi être établies.
Progrès thérapeutiques
72Les progrès des connaissances permettent en effet de remédier à des affections jusque-là incurables tant au niveau des individus que sur le plan de la santé publique.
73Ignaz Semmelweis (1818-1865) illustre bien les liens qui existent désormais entre connaissances et thérapies. Ce médecin et chirurgien hongrois est frappé par le taux de mortalité impressionnant des mères venant d’accoucher. La fièvre puerpérale ne leur laisse guère de chance dans les hôpitaux. Malgré les quolibets-de ses collègues, il en vient à la conclusion que le transfert de cette infection mortelle vient des habitudes des étudiants en médecine qui, après avoir disséqué les cadavres, s’en vont directement à la salle d’accouchement ou d’examen pré et postnatal. Aucune mesure antiseptique, telle que le lavage des mains, n’est appliquée. Les recommandations de Semmelweis font baisser radicalement le taux de mortalité à la clinique d’obstétrique de Vienne. Toutefois, il ne réussit pas à prouver et à imposer sa découverte50.
74La découverte de l’anesthésie, rendue populaire notamment après avoir été administrée à la reine Victoria lors d’un accouchement, permet d’effectuer un plus grand nombre d’opérations. Mais les infections se multiplient dans les salles communes. Sans connaître les idées de Semmelweiss, Joseph Lister, chirurgien d’Édimbourg (1827-1912), émet l’hypothèse que l’infection est due au chirurgien, à ses instruments, à ses assistants et à sa façon de procéder. La connaissance de la théorie de Pasteur sur l’origine germinale des maladies le confirme dans sa recherche ; il l’applique à la chirurgie en utilisant l’acide phénique, une solution aqueuse comme moyen antiseptique préventif. Pendant la guerre de 1870,34 amputés sur 40 ont été sauvés par Lister51.
75La chimie enfin ouvre un champ illimité. Elle permet de mettre au point des molécules ayant des vertus thérapeutiques : morphine, quinine et émétine, acide acétylsalicylique, trimitine, digitaline, aspirine. « La découverte des propriétés anesthésiantes du chloroforme et de l’éther donne un formidable essor à la chirurgie : première appendicectomie en 1848, première néphrectomie en 1869 et première hystérectomie la même année52. »
Santé publique et prévention
76Sur le plan de la santé publique, les événements primordiaux de cette époque concernent la médecine du travail, les mesures de prophylaxie contre les maladies contagieuses et, surtout, la découverte de la vaccination par Edward Jenner, perfectionnée par Louis Pasteur et Robert Koch.
77La principale découverte se situe en effet au niveau de la lutte contre les épidémies. C’est en effet à la fin du XVIIIe siècle que les recherches entreprises à cet égard semblent porter fruit avec la découverte de la vaccination. La variolisation est en fait née en Inde ou en Chine à une date inconnue, à la suite du constat qu’une variole contractée et guérie met définitivement à l’abri d’une récidive de la maladie. La prévention apparaît donc possible grâce à l’inoculation de pus variolique. Les échanges commerciaux permettent à l’Europe orientale de connaître ce procédé. Celui-ci parvient même en Amérique pendant la guerre d’indépendance, alors que Georges Washington fait inoculer les recrues de l’armée.
78La variolisation ne s’impose pourtant pas de façon générale, en raison de sérieux accidents d’infection secondaire et parce qu'elle favorise la dissémination de la maladie. Le médecin Edward Jenner (1749-1823) s’efforce pendant 20 ans de trouver une confirmation scientifique à cette constatation empirique. Il y réussit en mai 179653. Il faudra néanmoins attendre la fin du XIXe siècle pour que les découvertes de Louis Pasteur et de Robert Koch permettent à la microbiologie de faire les découvertes nécessaires à la mise au point des vaccins et médicaments appropriés.
Louis Pasteur (1822-1895)
79Louis Pasteur a une formation de chimiste. Son déplacement de Strasbourg à Lille, où il trouve une importante concentration d’industriels prêts à entamer une collaboration avec lui, l’amène à quitter la chimie fondamentale pour la chimie appliquée et à aborder le monde du vivant en 1856. Il se distingue par ses expériences sur les animaux. Il sonne définitivement le glas de la génération spontanée. En 1860, en effet, il confirme la présence de bactéries produites dans l’atmosphère : des ferments vivants pullulent sur les objets et dans l’eau. Ses expériences démontrent que les bactéries peuvent être détruites par la chaleur. D’autres expériences sur la maladie du ver à soie, le charbon des moutons et le choléra des poules l’amènent à formuler ses théories microbiologiques. Il établit que la contagion, comme la fermentation, est toujours fonction d’un microbe. Les modes de contagion sont au nombre de trois : l’alimentation, le contact et les poussières atmosphériques. L’atténuation d’un virus est possible et celui-ci peut même être combattu après sa pénétration dans nos tissus (inoculation). Il lui revient aussi d’avoir montré l’universalité de la vie microbienne, conseillant même aux chirurgiens de n’opérer qu’avec des instruments stériles et de n’utiliser que des pansements préalablement étuvés. Le hasard lui permet également de prévenir le charbon des brebis en inoculant à des brebis saines une culture bactérienne vieillie. Il applique à ce procédé le terme de « vaccination » emprunté à Jenner, bien que la technique diffère. Il s’intéresse parallèlement à la rage. Son succès le plus spectaculaire réside sans doute dans la vaccination d’un jeune berger mordu par un chien enragé en 1885.
80Selon Meyer et Triadou, Louis Pasteur a bouleversé la médecine en dix années en introduisant la vaccination, première méthode de prévention efficace, obtenue non par simple observation fortuite mais à la suite d’une véritable démarche expérimentale. La vaccination n’est sous-tendue par aucune théorie, la cause de l’immunité est inconnue, le progrès est pourtant énorme54.
Robert Koch (1843-1910)
81Le médecin allemand Robert Koch travaille dans la même perspective que Pasteur. Il s’oppose aux partisans du polymorphisme des bactéries et affirme l’existence d’espèces chez ces êtres unicellulaires, chacune ayant ses propres caractéristiques, produisant ses toxines et déclenchant des phénomènes pathologiques spécifiques. Il propose une démarche permettant d’établir un lien de causalité entre un organisme particulier et une maladie précise. Il établit ainsi que chaque maladie est due à un germe donné. Il lui revient d’avoir identifié le bacille de la tuberculose en 1882, et celui du choléra en 1883. Il reçoit le prix Nobel en 190555.
82Grâce à l'effort de nombreux chercheurs entre 1873 et 1900, on réussit à isoler à peu près tous les agents organiques des maladies bactériennes. C’est au cours de ce siècle qu’on intensifie les efforts afin de promouvoir le contrôle systématique sur l’état de l’environnement et de l’habitat. Des recherches intensives commencent sur le tétanos, la diphtérie et les maladies tropicales. Des commissions internationales se forment dans la lutte contre la peste, le choléra et la maladie du sommeil au cours des années 1890. On fonde des instituts de recherche médicale, tels que l’Institut Pasteur (1888), l’Institut Koch (1891) et le Rockefeller Institute for Medical Research (1901)56.
83En marge de ce travail de laboratoire, le travail sur le terrain s’intensifie. Sur ce plan, la contribution de Florence Nightingale en matière de santé publique est indéniable, voire impressionnante. Considérée comme une pionnière de la biostatistique, elle réforme radicalement le British Medical Corps et agit en tant qu’experte politique pour l’Inde impériale. Elle est l’architecte de l’Indian Sanitary Commission. Elle contribue aux conceptions architecturales des hôpitaux. Nightingale est la mieux connue des réformateurs de la santé publique du XIXe siècle. Ses idées sur la contagion ont fait l’objet d’études. Cependant, elle juge aberrante la théorie sur les germes qui prétendait qu’un micro-organisme était responsable d’une maladie et elle considère même cette idée comme dangereuse, puisque ce concept de contagion compromet les efforts de réforme de l’hygiène des hôpitaux57.
ANTHROPOLOGIE MÉDICALE ET CULTURELLE
84Les découvertes mentionnées précédemment entraînent de profonds changements dans l’activité médicale et dans l’organisation des hôpitaux. Mais, plus important encore, ces découvertes amènent des changements majeurs au niveau de la conception du corps, de la santé et de la maladie. Il en résulte d’importantes conséquences aussi bien dans les relations patient-médecin que dans le rôle social dévolu aux médecins.
Vision réductionniste de la médecine
85Les découvertes en histo-pathologie, physio-pathologie et micro-biologie, fruits de la méthode anatomo-clinique, font en sorte que, dans la pensée médicale, le vitalisme cède définitivement le pas au déterminisme réductionniste de la biologie moderne (voir p. 200 l’encadré sur le vitalisme). La vie, la santé ne s’expliquent plus par référence à un être ou à un élément extérieur, transcendant, mais exclusivement par les processus physico-chimiques. La pathologie cesse d’être perçue comme une essence pour prendre une forme physiologique clairement localisée dans les tissus58. Le malade est réduit à ses processus physico-chimiques. Il cesse d’être considéré comme un sujet pour être réduit à l’état d’objet ou de chose. La citation suivante de Claude Bernard est significative.
Il faut admettre comme un axiome expérimental que chez les êtres vivants aussi bien que dans les corps bruts les conditions d’existence de tout phénomène sont déterminées d’une manière absolue59.
86Michel Foucault distingue clairement le changement de paradigme : de la médecine des espèces à la médecine des tissus60 (voir au chap. 4 le tableau de la p. 162). Dans la première, les maladies sont classées selon la ressemblance des symptômes. La maladie est le symptôme, elle n’est pas dans l’organe ou le tissu (encore inconnu), mais une essence qui se déplace dans le corps. La thérapie cherche alors à faire disparaître le symptôme. Dans la seconde, la maladie réside dans une lésion des tissus. L’activité clinique est conceptualisée en fonction de l’activité diagnostique. La thérapeutique devient une action sur le corps pour rétablir son état normal. Sans contester l’existence de ces deux paradigmes et l’évolution de l’un à l’autre, Othmar Keel ne pense pas comme Foucault que le premier soit propre au XVIIIe siècle et le second, exclusif au XIXe. Il pense plutôt que le XVIIIe siècle voyait cohabiter les deux, surtout à partir de 1750 avec Morgagni, et que le XIXe donne clairement la priorité au second61.
87Dans la même veine, poursuivant son analyse de l’évolution de l’anthropologie médicale, Nicholas Jewson ajoute une troisième conception aux deux déjà signalées (p. 161). La médecine au chevet du malade, bedside medicine, caractérisait le XVIIe siècle et une partie du XVIIIe. La période allant de la fin du XVIIIe siècle au milieu du XIXe est marquée par l’hospital medicine. Dans la deuxième moitié du XIXe siècle s’installe ce que Jewson appelle la laboratory medicine. Les causes physiques de la maladie retiennent toujours l’attention, mais la réalité pathologique est relocalisée du patient vers des phénomènes microscopiques au niveau de la cellule. La vie devient un processus d’interactions entre les cellules. La maladie apparaît comme une forme particulière prise par des processus physiques et chimiques. Le diagnostic se fait à partir de tests biochimiques. Cette approche matérialiste et analytique s’accompagne d’une spécialisation de plus en plus poussée des médecins. Le rôle dévolu à la médecine connaît lui aussi de profonds changements62.
88Stanley Reiser, pour sa part, fait remarquer qu’au XVIIe siècle le médecin utilise surtout des techniques verbales et visuelles pour poser un diagnostic. Il écoute la description des symptômes faite par le patient et observe son apparence et celle de ses liquides corporels (voir plus haut le tableau de la p. 162). Au XVIIIe siècle, le médecin commence à se servir de techniques manuelles. On dissèque les cadavres pour trouver la lésion laissée par la maladie et la relier aux symptômes décrits par le patient. Le XIXe siècle marque un changement. Le stéthoscope attire l’attention des médecins sur une nouvelle catégorie de maladie : a new class of disease signs-sounds produced by defective structures in the body. Le médecin est dorénavant isolé dans un monde de sons inaudibles pour le patient. De façon plus générale, l’écoute, l’inspection et l’auscultation prennent une place grandissante dans l’activité diagnostique. Ces précisions témoignent d’une nouvelle tendance selon laquelle les diagnostics sont de plus en plus réalisés en fonction de critères objectifs en regard desquels la description subjective du patient et la perception tout aussi subjective du médecin occupent une place de plus en plus restreinte. La coupure entre les deux s’accentue au rythme des progrès techniques. Elle est consommée avec Claude Bernard63.
89Diverses remarques peuvent être tirées de ces analyses minutieuses et subtiles.
Les commentaires de Reiser signalent que la médecine des XVIIIe et XIXe siècles s’oriente vers une anthropologie axée sur l’objet. L’auteur rejoint ainsi les analyses de Jewson et de Keel.
Selon Jewson, dans l’hôpital moderne, le malade est soumis aux praticiens dans une structure de plus en plus institutionnalisée. Il ne contrôle plus les moyens de production du savoir médical, tandis qu’un consensus monolithique imposé par la communauté scientifique dirigée par les chercheurs anéantit toute possibilité de discussion et même de dialogue entre le médecin et un malade devenu un véritable « patient ». Laurence Brockliss caractérise aussi cette époque en termes de recherche de connaissances pour elles-mêmes. Il cite Corvisart qui ne pense pas sauver des vies pour la simple raison qu’il sait diagnostiquer les maladies du cœur par auscultation. Le but ne semble plus être la guérison du patient, mais le développement du savoir médical lui-même.
Il s’agit pour Foucault du passage d’une médecine libérale à une médecine décidée par les autorités. Le statut et la reconnaissance sociale définissent totalement les relations entre les individus. Les modes de communication sont stéréotypés et un ensemble de règles impersonnelles définit le rôle de chacun. Le médecin est désormais « détaché » du patient. Celui-ci ne compte plus en tant qu’individu spécifique.
90En résumé et en schématisant quelque peu, on peut conclure que le malade semble avoir disparu de l’anthropologie médicale. Il ne contrôle plus ni la définition de sa maladie, ni son médecin, ni son traitement. Il devient un « patient », c’est-à-dire un objet de savoir pour le médecin. La médecine, de plus en plus « coupée » des malades, les perçoit sous l’angle fragmentaire d’un organe ou d’un tissu malade. Il cesse d’être considéré comme un sujet pour être réduit à l’état d’objet ou de chose.
91Cette tendance, typique de la médecine moderne, ne signifie pas cependant qu'elle domine tous les champs médicaux, ni que les médecins eux-mêmes, notamment les généralistes, ont tous perdu le sens de la relation interpersonnelle avec le malade.
Vision holiste des soins infirmiers
92L’approche infirmière se distingue considérablement de la médecine de laboratoire. Lors des longs séjours à l’hôpital, alors que le patient doute du jour où il sortira, les aspects physique, émotionnel, spirituel, récréatif et nutritionnel des soins infirmiers deviennent essentiels. Plusieurs patients leur attribuent même la responsabilité de leur guérison. L’influence de Florence Nightingale mérite encore une fois d’être soulignée.
93Elle défend en effet une conception holiste en soins infirmiers en s’appuyant sur l’importance de la prévention et du maintien de la santé. Pour elle, la santé ne constitue par une entité en soi, mais représente plutôt l’ensemble des possibilités qui permettent à la vie de se continuer et se développer alors même que la maladie est présente. La santé apparaît alors comme « l’ensemble des forces vives physiques, affectives, psychiques, sociales, mobilisables pour affronter, compenser la maladie, la dépasser ou y faire face64 ». F. Nightingale considère qu’il faut mettre en place toutes les conditions nécessaires, en tenant compte de tous les éléments, tels que l’environnement biologique, social, psychologique, qui vont permettre à la personne de se rétablir et de continuer à vivre. Elle affirme souvent : « C’est le chirurgien qui sauve la vie du patient, mais c’est l’infirmière qui lui permet de vivre65. »
94Les infirmières poursuivent encore les visites à domicile, notamment chez les plus démunis. Elles font alors preuve d’un réel souci pour la globalité de la personne humaine comme le demande le Congrès international du nursing en 1893 :
Une infirmière de district doit avoir un amour authentique des pauvres et un désir réel d’amoindrir la misère autour d’eux ; un tel tact et une telle habileté devront réaliser ce qu’il y a de mieux pour eux, même contre leur volonté. [...] Le rôle d’une nurse est de prodiguer des soins — mais elle aura aussi à enseigner au pauvre les soins de l’hygiène66.
Mission sociale de la médecine
95Forts de leurs succès et du caractère prétendument scientifique et objectif de leur discipline, les médecins se considèrent désormais comme investis d’un rôle social décisif.
96Il importe en tout premier lieu d’insister sur la « médicalisation » de la société. Cette médicalisation prend évidemment la forme quantitative d’une augmentation du nombre de médecins par habitant, de la construction de nouveaux hôpitaux et dispensaires ainsi que d’une consommation accrue des soins de santé par toutes les classes sociales67.
97La médicalisation peut aussi être interprétée en termes qualitatifs de mode de vie. La médecine doit à la fois guérir et, mieux, prévenir. Les médecins interviennent donc dans un nombre croissant de domaines tels que la naissance, la petite enfance, la vaccination, la diététique et l’éducation des enfants68. Les résultats répondent à l’attente de l’État, puisqu’augmentent l’espérance de vie et la population globale. Il en résulte d’importantes modifications du rôle social des médecins. La « certitude » dérivée de la rigueur scientifique, explique Hébert, justifie l’application des concepts de « sains » et « malades » à une sphère de plus en plus étendue de la vie privée. Les hygiénistes deviennent des « ingénieurs sociaux », tandis que l’ensemble des médecins fournit les experts indispensables à un gouvernement éclairé et à la justice des hommes69.
98Inscrite à l’enseigne d’Hippocrate, des Lumières et de l’objectivité scientifique, la médecine se trouve en effet légitimée de désirer « exercer une emprise sur le réel et sur le social, participer pleinement à la vie de sa patrie en raison d’un savoir et d’un mérite reconnus », en constituant « l’aile marchante de la société » qui se sent le « devoir de prendre en charge tout problème que pose la vie en société » pour devenir le « héros laïcisé du sacerdoce médical70 ». La profession médicale a en effet le sentiment d’avoir le vent en poupe, d’être « portée » par l’expansion des Lumières, d’être « comprise » par les milieux gouvernementaux71. Le médecin se révèle ainsi un auxiliaire éclairé du pouvoir politique dans la mesure où la médecine sert d’abord les intérêts de l’État. Johann Peter Frank (1745-1821) et Johann Erhard (1766-1827) sont typiques de cette approche.
99Cette conception sociale peut aussi s’accompagner d’un engagement au niveau de l’organisation sociale d’un pays. Dans son Essai historique et moral sur la pauvreté des nations, l’hygiéniste François-Emmanuel Fodéré affirme en effet que la « mauvaise distribution de toutes les parties du système social a toujours été une des principales causes des maladies du physique et du moral de l’Homme72 ».
100Le Comité de rédaction de la revue Annales d’hygiène publique et de médecine légale fondée en 1829 entérine la même vision.
La médecine n’a pas seulement pour objet d’étudier et de guérir les maladies, elle a des rapports intimes avec l’organisation sociale ; quelquefois elle aide le législateur dans la concertation des lois, souvent elle éclaire le magistrat dans leur application, toujours elle veille, avec l’administrateur, au maintien de la santé publique73.
101Pour sa part, Augustin Morel affirme en 1857 :
Ma foi en l’amélioration des destinées futures de l’humanité n’a pas faibli et je crois de toutes les forces de mon âme à l’intervention heureuse, et je dirai même nécessaire, que la médecine est appelée à exercer sur ces mêmes destinées74.
102La société bourgeoise naissante découvre aussi à travers les médecins un nouveau mode de contrôle social. Philippe Pinel affirme : « On ne peut refuser à la médecine l’avantage de concourir puissamment au retour d’une saine morale75. »
103L’efficacité de plus en plus grande des savoirs, la montée du positivisme scientifique et les exigences politiques et sociales liées à l’industrialisation se conjuguent pour rendre la profession médicale consciente à la fois de ses pouvoirs et de ses responsabilités sociales. On est en face d’une sorte de mystique de la profession médicale, un peu analogue à celle de l’instituteur laïque du temps de Pagnol. Les infirmières ne sont pas nommées dans ce panégyrique. De fait, elles ne semblent pas faire partie de cette idéologie, même si elles jouent un rôle désormais indispensable en santé publique.
L’Église et la science
104Entre l’Église et la science le « malentendu » continue, selon l’expression de Georges Minois76. Le recours à des méthodes scientifiques pour comprendre la Bible est considéré comme scandaleux, car il risque d’amener des interprétations non traditionnelles. La question de l’origine du monde et de l’évolution des espèces est tout aussi suspecte.
105Face à la science médicale, les rapports restent tendus. L’Église catholique ne veut rien laisser tomber de sa conception de l’homme, de la maladie, de la nature. L’affrontement est symbolisé « par la dispute entre le confesseur et le médecin au chevet du malade ». Il repose sur deux paradigmes opposés.
Importance primordiale du salut de l’âme, et opposition à toute intervention artificielle qui interférerait avec les processus naturels voulus par Dieu, tels sont les deux piliers de l’attitude cléricale. Or la médecine, qui entre vraiment dans sa phase moderne, a de plus en plus recours à des interventions « artificielles » ; les conflits s’en trouvent multipliés. Les rapports étaient déjà faussés par l’idée du caractère inéluctable et salutaire de la maladie et de la souffrance77.
106L’idée du caractère salutaire de la maladie et de la souffrance reste en effet présente dans toute la littérature religieuse. Dans ses commentaires de L’Imitation de Jésus-Christ en 1824, Lamennais fait l’éloge du mal physique, qui fait espérer la mort et purifie des péchés. En 1832, durant l’épidémie de choléra, certaines religieuses ne prennent aucune précaution et s’exposent inconsidérément à la contagion : « Nous prions le Bon Dieu, disent-elles, et nous acceptons de mourir s’il le veut78. » La question de la vaccination est aussi une source de discorde. En France, plusieurs évêques refusent d’aider les autorités médicales à combattre les épidémies. On prétexte parfois que la religion ne doit pas intervenir dans les questions qui ne sont pas de son ressort ; en réalité, c’est davantage une question de conception de la nature, de la volonté de Dieu exprimée dans cette nature, du refus de tout ce qui est artificiel, de non-pouvoir de l’homme sur cette nature.
107Et pourtant, comme dans les siècles précédents d’ailleurs, il y beaucoup de chrétiens scientifiques et médecins. Plusieurs évêques font l’éloge de la science, y compris de la vaccination, exprimant ainsi une théologie et une anthropologie religieuse différentes. La lettre de l’évêque du Mans, en juillet 1805, est révélatrice de cette révision théologique.
Cette utile et précieuse découverte, déjà usitée dans toute l’Europe, doit être regardée comme un des moyens que la Providence vous a ménagés, pour diminuer le danger, peut-être pour extirper la petite vérole79.
ÉTHIQUE ET DÉONTOLOGIE MÉDICALES
108Les développements sociaux, politiques, économiques, professionnels et scientifiques ont influencé grandement les relations des médecins avec leurs patients, leurs collègues et l’État. La médecine revêt un caractère de plus en plus professionnel et scientifique. De plus, la prolifération des institutions médicales, en particulier des hôpitaux et dispensaires pour les pauvres, oblige les professionnels de la santé à réviser les devoirs maintenant rattachés à ces nouvelles et nombreuses institutions. En Amérique du Nord, les hôpitaux cherchent à intégrer l’idéal de la charité chrétienne, l’excellence scientifique, l’humanisme des soins et la justice sociale. Face à tous ces bouleversements, on voit la nécessité de codifier des normes de comportement auparavant laissées le plus souvent à la bonne conscience individuelle et d’approfondir la réflexion éthique. L’importance de l’éthique commence à être reconnue. Ainsi en Allemagne, dans les années 1890, le philosophe Dessoir et le neurologue Albert Moll voudraient l’inclure dans le curriculum des étudiants en médecine. Et en plus des sujets traditionnels, il faudrait traiter de la vivisection et de l’expérimentation sur les humains80.
109Parmi ceux qui se préoccupent le plus d’éthique et de déontologie médicales, mentionnons James Gregory et Thomas Percival en Angleterre, Benjamin Rush en Amérique du Nord et Claude Bernard en Europe continentale. Mais il importe de distinguer diverses approches.
Approche déontologique
110Cette approche veut définir, par une codification de plus en plus précise et élaborée, ce que doit être un bon médecin et ses obligations ou devoirs à l’égard de ses patients, de l’État et de la société, de ses collègues et de la profession elle-même. L’ère industrielle est propice à l’élaboration d’une déontologie précisant les différentes fonctions ci-dessus mentionnées au sein d’un monde de plus en plus séculier, scientifique et urbain. Ce faisant, la profession est à la recherche d’une autorégulation et tente de résister de plus en plus à un contrôle extérieur.
Obligations particulières
111Le traité de Thomas Percival, Medical Ethics, publié en Angleterre en 180381, aura une influence considérable sur la rédaction et l’esprit des codes médicaux, en particulier celui de l'American Medical Association (AMA) en 1847 et celui de la Canadian Medical Association (CMA) en 1868. L’ouvrage répondait à une requête précise de l’Association médicale étatsunienne, à l’effet d’élaborer un modèle de conduite professionnelle relatif aux hôpitaux et autres œuvres médicales.
Répondant à cette invitation, Percival présente dans son traité ce qu’il considère être pour les médecins les règles de la conduite à tenir dans les hôpitaux et dans ce que nous appellerions aujourd’hui les cabinets ou bureaux de « pratique privée » : dans l’un et l’autre cas, il est question, entre bien d’autres choses, de la qualité de l’accueil et de son rôle pour établir entre le malade et le médecin une nécessaire relation de confiance, de la discrétion requise et des consultations utiles avec les collègues médecins pour l’établissement du diagnostic, des tarifs « moyens » qu’il convient de respecter, de la prudence à observer dans les soins à un malade traité par un autre médecin, de la position de l’honneur et des intérêts de la profession médicale82.
112En réalité, il s’agit donc davantage de règles de bonne conduite que de valeurs et de principes éthiques. La même perspective se rencontre chez Benjamin Rush dans le discours donné à l’Université de Pennsylvanie en 1789. James Gregory (1753-1821), fils de John, professeur de médecine à Edimbourg, est plus systématique. Il écrit un essai remarquable en 1800 et établit des bases philosophiques aux obligations du médecin envers ses patients. D’autres auteurs interviennent. La perspective demeure presque toujours pragmatique. Les préoccupations se répartissent en quelques chapitres qui deviendront traditionnels.
Personnalité du médecin
113Il faut nous replacer dans l’esprit de l’époque en Angleterre. Selon Percival, le médecin doit d’abord être un gentleman, condition provenant de la naissance, de l’éducation, d’une certaine aisance financière, de bonnes manières ou, du moins, de la capacité de posséder ces attributs. Sa formation académique doit être adéquate. Dans sa pratique, le médecin devra allier délicatesse et fermeté. Il devra démontrer un sang-froid approprié, de la dignité, du tact et de la courtoisie. Il doit prendre soin de se retirer de la pratique avant que les années érodent ses capacités et son jugement. On se rend compte qu’en ce début du XIXe siècle la conduite du médecin gentleman dépend bien plus des concepts de fierté et de qualités personnelles que des principes éthiques formels ou de foi religieuse, même si on mentionne parfois qu’il doit être chrétien83. Dans le discours cité, Rush insiste sur la réussite du médecin en tant que praticien et homme d’affaires et en tant que protecteur des intérêts de la nouvelle nation.
Obligations à l’égard du patient
114Percival insiste beaucoup sur l’accueil et la relation de confiance à établir avec son patient84, mais son approche reste très pragmatique. Analysant le serment que doivent prêter les étudiants en médecine à l’Université d’Édimbourg, Gregory considère que le devoir premier du médecin est de faire ce qu’il y a de mieux pour les autres, c’est-à-dire les patients, sans les exposer à des dangers inutiles. De ce devoir découle un droit des patients à des soins sécuritaires. Et selon Gregory, ce droit ne lie pas seulement le praticien, mais aussi les administrateurs d’hôpitaux. Ces derniers doivent voir à ce que les médecins remplissent bien leur devoir, ce qui implique que les professionnels des soins ne peuvent être laissés à leurs propres critères. En résumé, le professeur d’Édimbourg prône un contrôle extérieur à la profession afin de mieux faire respecter le droit des patients85.
Obligations à l’égard de l’État, de la société en général
115Les écrits de Gregory et Rush insistent ensuite sur les obligations du médecin face à l’État et à la santé de la population en général. Plus radicaux, Johann Ehrard (1766-1827) et Johann Peter Frank (1745-1821) en Allemagne développeront une théorie, celle de la police médicale déjà évoquée86. Selon cette opinion qui persiste jusqu’au XXe siècle, surtout en Europe centrale, l’État, ou plus précisément le prince ou le monarque, a des droits reconnus sur la santé de ses sujets. Les obligations du médecin sont d’abord face à sa patrie. Ses intérêts personnels passent ensuite. Dans cette optique de devoirs à l’égard de l’État, l’avortement est immoral parce qu’il prive le pays de la contribution de futurs citoyens. Le médecin obligé de soigner les blessures occasionnées par un duel est tenu de rapporter le crime aux autorités. Cette philosophie tranche avec l’idéal hippocratique qui considère que le médecin est au service de l’art et responsable de cet art face au patient lui-même.
Obligations à l’égard des collègues
116Ainsi que cela a été mentionné précédemment, Percival, en écrivant Medical Ethics, veut d’abord préserver l’harmonie au sein de la profession. Il traite de sujets tels que l’ancienneté et la préséance, expliquant avec moult détails les protocoles de consultation entre pairs. Ces derniers ne doivent pas rivaliser entre eux, mais au contraire doivent cultiver un esprit de corps axé sur la camaraderie, car les rivalités, la jalousie, les controverses entretenues par les pamphlets ne peuvent que nuire aux relations interprofessionnelles et finalement aux patients. Enfin, exiger des honoraires plus bas que la normale nuit aux praticiens plus pauvres et n’encourage pas les jeunes à s’engager dans des études médicales : une profession libérale ne peut être que lucrative, conclut-il87.
117La compétition entre médecins est aussi dénoncée par deux auteurs traitant de déontologie dans la première partie du XIXe siècle, Christoph Wilhelm Hufeland dans Encheridion medicum et Maximilien Armand Simon dans Déontologie médicale. Le premier déplore que certains médecins fassent publiquement des remarques désobligeantes à l’égard d’un collègue ; ils dégradent leur art ainsi qu’eux-mêmes. En parallèle, il invite fermement la profession à faire passer le bien du patient avant la réputation d’un collègue. Tout comme Percival, Hufeland traite de la conduite à tenir lors de consultations au chevet d’un malade. Enfin, lorsque Simon se défend énergiquement contre le reproche que les médecins sont guidés d’abord par leurs intérêts commerciaux, il démontre implicitement toutes les difficultés vécues lors de la transition entre une époque centrée sur un appel aux vertus personnelles des médecins, y compris son altruisme, et celle où la profession est sollicitée par le libéralisme économique et la concurrence88.
118Ces traités de déontologie médicale préparent, souvent inconsciemment, les codes qui font leur apparition graduellement au cours du XIXe siècle. Certaines circonstances, selon les régions, les pays et les continents, facilitent ou non l’apparition et l’application de ces codes. Ainsi, la France et l’Angleterre ont beaucoup plus de difficulté à unifier la déontologie médicale que les États-Unis et le Canada.
Codes de déontologie et associations professionnelles
France
119En France, la loi Le Chapelier de 1791 interdit aux membres d’un même métier de former une organisation voulant promouvoir des intérêts communs. En 1810, les associations de plus de vingt personnes sont prohibées, à moins d’avoir reçu l’approbation du gouvernement. Par ailleurs, les médecins sont sujets à des poursuites légales pour avoir causé du tort à leurs patients, soit au civil par la loi de 1803, soit au criminel par celle de 1810.
120De 1850 à 1880, le nombre de médecins augmente constamment en France. La compétition s’accroît et les revenus deviennent plus précaires. L’État veut attribuer aux praticiens un rôle social plus important. Afin de répondre à ces changements, les médecins forment diverses associations afin de promouvoir leurs intérêts professionnels. Le but ultime est de créer un ordre des médecins analogue à celui des avocats fondé en 1810, mais les tentatives restent vaines89.
121Ces associations réussissent toutefois à établir une déontologie modelée sur les codes d’honneur des sociétés bourgeoises. L’honnêteté personnelle est considérée comme essentielle. Les associations adoptent la politique de résoudre les conflits internes sans recourir aux cours de justice. Les membres s’engagent à rapporter les cas de fautes professionnelles aux associations qui ont le droit d’exclure les fautifs. Les associations résistent toutefois aux demandes venant des officiers de la santé publique désirant obtenir les noms de patients atteints de maladies contagieuses, et cela contrairement à ce qui se pratiquait dans la première moitié du XIXe siècle, lors d’épidémies de choléra et de variole. Cependant, le pouvoir disciplinaire des organisations professionnelles françaises demeure faible90.
Angleterre
122En Angleterre, dès 1815, The Apothecaries Act requiert des qualifications minima pour pratiquer la médecine générale ou l’art pharmaceutique. On veut distinguer ainsi les vrais professionnels des charlatans. On ne sent pas le besoin de posséder un code de déontologie explicite. L’important est de se conduire en gentleman, ce qui relève plus de notions d’honneur personnel que de principes éthiques. Ce n’est qu’en 1853 que la British Medical Association, nouvellement formée, fonde son propre comité d’éthique. Ses directives ne touchent que la région de Londres91.
123Il serait inexact d’affirmer que les Britanniques ne s’intéressent pas à la déontologie et à l’éthique. En 1858 apparaît le General Medical Council, genre d’inquisiteur moral qui agit au nom de la profession. Cet organisme devient le gardien d’un registre contenant tous les noms des praticiens aptes à exercer leur art. Il peut rayer les noms de ceux jugés coupables de conduite infamante, telle qu’un adultère avec une patiente ou une calomnie à l’égard d’un collègue92.
124En général, les corps publics jugent que les décisions doivent revenir à la conscience des médecins. Dans l’esprit du libéralisme de l’époque et du culte de l’individualisme de plus en plus prononcé, les professionnels et même le public jugent que les dilemmes éthiques soulevés par la médecine sont mieux servis par l’intégrité des praticiens et par leur propre conscience que par les cours de justice, les juristes, les philosophes ou le Parlement93.
États-Unis
125Aux États-Unis et au Canada, l’objectif premier au XIXe siècle est d’établir un code d’éthique au sein de la profession qui permette de définir ce qu’est un bon médecin et de juger ainsi plus objectivement ceux qui désirent accéder à la profession. Jusqu’au milieu du XVIIIe siècle, les deux grandes qualités pour pratiquer la médecine en Amérique sont la gentilhommerie et l’esprit chrétien. De plus en plus, un bon médecin doit aussi posséder une formation professionnelle et faire preuve de compétence.
126Au début du XIXe siècle, la culture américaine se caractérise par le pluralisme religieux, une expansion vers l’ouest, une attitude économique de laisser-faire et une opposition de plus en plus grande à une législation centralisée. Ces conditions entretiennent un manque d’intérêt face aux lois touchant les permis de pratique et disposent les législateurs à accepter n’importe quelle école médicale. Aussi les médecins consciencieux s’inquiètent-ils de ce laxisme et bientôt se mettent à la recherche d’un ordre moral qui pourrait convenir à tous les praticiens de la médecine. Autant dans le Boston Medical Police que dans le New York State Medical Society et le College of Physicians of Philadelphia, on se base sur les vues de Thomas Percival pour rédiger des codes d’éthique.
127En 1847, l'American Medical Association adopte le premier code national d’éthique médicale, mais ce n’est pas sans heurts, et il est intéressant de retracer son histoire jusqu’au début du XXe siècle94. Ce code contient à peu près tous les préceptes mis de l’avant par Percival. L’excellence de l’aspect moral continue à prédominer, quoique les critères de source chrétienne n’aient plus autant d’importance, possiblement parce qu’un des membres influents du comité exécutif, Isaac Gays, est un médecin juif. La solidarité avec les membres de la profession l’emporte sur les objectifs scientifiques. À l’égard des soins aux patients, il faut respecter le secret professionnel, assurer un certain nombre de visites à chaque malade, éviter les pronostics pessimistes et refuser d’abandonner les malades incurables. Mais une dimension nouvelle fait son apparition, celle de la mutualité. Le texte précise que les obligations sont réciproques. Les patients aussi, selon le code, ont des obligations à l’égard de leurs médecins, de même que la société. Celle-ci se doit en particulier de soutenir les écoles médicales et de leur permettre d’acquérir des cadavres en vue de la dissection. En retour, la profession s’engage à faire l’éducation médicale des autorités civiles.
128L’adoption de ce code aux États-Unis ne fut pas chose facile. Le New York State Medical Society en particulier oppose beaucoup de résistance, mais le code de la AMA finit par triompher, en particulier pour assurer l’autonomie de la profession et prévenir le contrôle législatif.
En comblant le vide passé par l’absence de lois à caractère prohibitif (licensure laws) et les faibles standards de qualité des écoles de médecine, le code de l’AMA devenait une bannière de respectabilité professionnelle, un moyen de contrôler la discipline professionnelle, manifestant ainsi qu’une profession honorable n’avait besoin d’aucune sanction légale externe. Les professionnels qui respectaient leur code de déontologie étaient des hommes de bien et de bons médecins en qui on pouvait avoir confiance95.
Canada et Québec
129L’Association médicale canadienne (AMC) adopte en 1868 un code très semblable à celui que les Américains avaient adopté vingt ans plus tôt. L’insistance porte sur les grands principes : compassion, bienfaisance, respect des personnes. Mais le code ne mentionne pas les obligations du public à l’égard des médecins96.
130En 1878, le Collège des médecins et chirurgiens de la Province de Québec (CMCPQ), fondé pourtant depuis 1847, forme un comité afin de préparer un code d'étiquette professionnelle. Ce comité recommande alors l’adoption du code de l’AMC. Selon l’historien Denis Goulet, les péripéties de cette histoire sont fortement marquées par la tension politique Canada-Québec. La création d’un Conseil médical du Canada avec droit de regard sur la qualité des études de médecine et sur les examens d’admission à la pratique inquiète grandement le CMCPQ qui y voit une menace à sa souveraineté. Aussi celui-ci demande-t-il au législateur québécois d’amender la loi de 1847 pour lui donner plus de pouvoirs. Ce qui est fait en 1876 : la loi exige dorénavant l’inscription obligatoire des praticiens au CMCPQ et permet donc de contrôler tous les praticiens, ouvrant ainsi la voie à l’adoption du code de déontologie de l’AMC en 187897. Mais le Bureau provincial de la médecine n’obtient vraiment les pouvoirs pour l’appliquer qu’en 1898, avec l’approbation légale d’un comité de discipline apte à sanctionner les membres reconnus coupables d’avoir posé des actes dérogatoires à l’honneur de la profession98. On se hâte alors de déterminer ces actes : l’acceptation illicite d’argent par un membre du bureau, le dévoilement du secret professionnel, l’abandon d’un malade en danger, la rédaction de certificats de complaisance, le partage de bénéfices entre médecins en dehors de la connaissance du patient, l’association avec des charlatans, l’abus d’alcool et de narcotique. Cette situation explique l’existence d’une perspective québécoise assez spécifique : alors que le code canadien, comme le code étatsunien d’ailleurs, est conçu comme un idéal moral, le code québécois exerce une fonction quasi légale99.
Émergence des droits
131Les pays anglo-saxons et germaniques insistent sur les devoirs des médecins et ceux des citoyens face à l’État. La France du XIXe siècle, sans négliger ces aspects, est aussi influencée par les principes de la Révolution, de Rousseau et de Locke, qui insistent sur la notion des droits naturels dont celui de la santé100. Selon cette théorie, le patient peut faire appel à ses droits, indépendamment de la profession médicale et de l’État. L’obligation du médecin est de protéger et de préserver la santé de ses patients. Ce concept va entraîner la formation de mouvements axés sur la santé publique en France. Toutefois, la tentative de transformer les médecins en serviteurs de l’État sera toujours vouée à l’échec au XIXe siècle. L’obligation est d’abord basée sur la relation patient-médecin101.
132Et pourtant, dès le XVIIIe siècle, des auteurs tels que Jacques Tenon et Chamousset défendent la thèse des droits de l’État. La Révolution, grâce à Jacques Turgot et J. B. Huget, transforme la notion de charité en l’idée séculière du droit aux traitements pour le pauvre, le malade et l’handicapé. Cela devient une obligation sociale pour tous, et une société qui n’y pourvoit pas est une société injuste. Donc, l’obligation faite aux médecins de préserver la santé de la population ne trouve pas son origine dans les intérêts ou les exigences d’un monarque ou d’un État, mais dans le droit naturel également possédé par tous102.
Éthique de la recherche
133Une nouvelle dimension éthique fait son apparition au cours du XIXe siècle et cela même avant l’apparition de la science expérimentale appliquée à l’art médical. Déjà James Gregory, au début du siècle, déclare que le devoir de ne pas entreprendre des expériences hasardeuses et spectaculaires est absolu. Le médecin a le droit de parfaire ses connaissances, mais le patient a le droit d’attendre du médecin qu’il fasse de son mieux à son égard et surtout qu’il ne l’expose pas à un danger mutile. Selon Gregory, si la procédure d’expérimentation est compatible avec les meilleurs intérêts du patient, alors le médecin peut l’entreprendre103.
134Le rôle de Claude Bernard mériterait à lui seul un long développement. Dans son Introduction à l’étude de la médecine expérimentale, dont nous avons déjà parlé (p. 198-199), il traite, au chapitre consacré à la vivisection, des questions morales qui se posent au médecin expérimentateur. Elles concernent le droit d’expérimenter en général, celui de faire des expériences ou des vivisections sur les condamnés à mort et les mourants, celui d’expérimenter sur les animaux. Chemin faisant, Bernard traite du rapport entre la morale scientifique et celle des gens du monde. Il distingue ce qui est possible, ce qui est permis et ce qui est commandé104.
135À la question du droit d’expérimenter et de pratiquer des vivisections sur les cadavres ou sur les vivants, Bernard répond sans hésitation « oui ». Expérimentations et vivisections sont, en principe, essentielles à la médecine scientifique.
Il faut donc nécessairement, après avoir disséqué sur le mort, disséquer sur le vif, pour mettre à découvert et voir fonctionner les parties intérieures ou cachées de l’organisme ; c’est à ces sortes d’opérations qu’on donne le nom de vivisections, et sans ce mode d’investigation, il n’y a pas de physiologie ni de médecine scientifique possibles : pour apprendre comment l’homme et les animaux vivent, il est indispensable d’en voir mourir un grand nombre, parce que les mécanismes de la vie ne peuvent se dévoiler et se prouver que par la connaissance des mécanismes de la mort (p. 150).
136Et l’auteur d’ajouter, après avoir rappelé plusieurs exemples des temps anciens et récents : c’est même un devoir et un droit du médecin, chaque fois qu’il peut, de sauver la vie du patient, de le guérir ou de lui apporter un bénéfice personnel. Ce souci de bienfaisance a un corollaire essentiel ; un principe fondamental en médecine et en chirurgie consiste à ne jamais entreprendre sur un patient une expérience qui peut lui être dommageable à quelque niveau que ce soit, même si le résultat peut être profitable à la science.
On a le devoir et par conséquent le droit de pratiquer sur l’homme une expérience toutes les fois qu’elle peut lui sauver la vie, le guérir ou lui procurer un avantage personnel. Le principe de moralité médicale et chirurgicale105 consiste donc à ne jamais pratiquer sur un homme une expérience qui ne pourrait que lui être nuisible à un degré quelconque, bien que le résultat pût intéresser beaucoup la science, c’est-à-dire la santé des autres (p. 152).
137Il est à remarquer que le fondateur de la médecine expérimentale ne fait jamais allusion au consentement du sujet, pas plus que James Gregory d’ailleurs.
138Peut-on pratiquer expériences et vivisections sur les mourants et, en particulier, sur les condamnés à mort ? Bernard distingue deux aspects : il juge inacceptable, en accord avec les idées morales courantes, de pratiquer des « opérations dangereuses en offrant aux condamnés leur grâce en échange » ; cependant, il trouve parfaitement permis de faire des recherches sur les propriétés des tissus aussitôt après la décapitation des suppliciés, puisque la bienfaisance est sauve. Élargissant la question à l’ensemble des mourants, il accepte aussi comme plusieurs de ses pairs106 le fait de donner certaines substances et de vérifier leurs effets après la mort. Il ajoute qu’on peut aussi expérimenter sur soi-même. Le seul principe de moralité, dit-il encore une fois, consiste à ne pas faire de tort.
Ces sortes d’expériences étant très intéressantes pour la science, et ne pouvant être concluantes que sur l’homme, me semblent très permises quand elles n’entraînent aucune souffrance ni aucun inconvénient chez le sujet expérimenté. Car, il ne faut pas s’y tromper, la morale ne défend pas de faire des expériences sur son prochain ni sur soi-même ; dans la pratique de la vie, les hommes ne font que faire des expériences les uns sur les autres. La morale chrétienne ne défend qu’une seule chose, c’est de faire du mal à son prochain. Donc, parmi les expériences qu’on peut tenter sur l’homme, celles qui ne peuvent que nuire sont défendues, celles qui sont innocentes sont permises et celles qui peuvent faire du bien sont commandées (p. 152-153).
139Bernard aborde ensuite la question de la vivisection des animaux, question déjà controversée à l’époque. Nous y reviendrons. Ici encore, sa pensée n’admet pas d’équivoque. L’expérimentation animale est nécessaire à la recherche médicale, voire à la méthode expérimentale. Elle ne contrevient en rien à la morale.
140Claude Bernard sait bien que ses idées n’entraîneront pas l’accord de tous. Faut-il se laisser émouvoir par les cris de sensibilité que peuvent pousser les gens du monde ou par les objections de certains, y compris certains médecins ? Que non, poursuit Bernard, la moralité d’une action ne réside pas dans le fait brut (le geste), mais dans la signification, l’intention. Il n’y a pas de commune mesure entre l’action de l’assassin, du tortionnaire et celle de l’anatomiste, du chirurgien ou du physiologiste. Tant pis si les gens du monde ne comprennent pas le point de vue des savants et s’offusquent de leurs actions.
D’après ce qui précède, nous considérons comme oiseuses ou absurdes toutes discussions sur les vivisections. Il est impossible que des hommes qui jugent les faits avec des idées si différentes puissent jamais s’entendre ; et comme il est impossible de satisfaire tout le monde, le savant ne doit avoir souci que de l’opinion des savants qui le comprennent, et ne tirer de règle de conduite que de sa propre conscience (p. 154-155).
141L’affaire n’est pourtant pas si simple. L’importance grandissante de la médecine et de la recherche pratiquée à l’hôpital ayant multiplié les dilemmes éthiques soulevés par le principe de bienfaisance et la question du consentement éclairé du sujet, d’autres acteurs sociaux se voient une responsabilité d’intervenir.
142En 1880, les cours de Bergen en Norvège condamnent Gerhard Armauer Hansen, le découvreur du bacille de la lèpre, pour avoir inoculé une dame souffrant d’un type particulier de lèpre avec de la matière prélevée sur un autre patient souffrant d’un autre type de cette maladie, tout ceci sans le consentement préalable de la patiente107.
143Albert Neisser, professeur de dermatologie à Breslau, est mis à l’amende en 1892. Dans l’espoir d’immuniser des patients contre la syphilis, il a injecté du sérum syphilitique à cinq prostituées et trois enfants, qui n’ont jamais été informés de l’expérimentation108. La conséquence concrète de ces condamnations est un décret par le ministre de l’Éducation de Prusse qui exige à l’avenir un consentement éclairé des sujets de recherche et prohibe l’expérimentation scientifique sur les mineurs et les incapables109. La même perspective éthique s’impose en France.
144Dans un mémoire présenté à la fin du siècle, le médecin russe V. V. Smidovich relate des expériences tentées en Europe sur des patients mourants ou atteints de maladies chroniques à qui on avait injecté des gonocoques de la blennorragie et de la syphilis. Il cite aussi le cas du docteur Robert Barthelow aux États-Unis explorant par des chocs électriques le cerveau d’une handicapée mentale atteinte de cancer, ce qui aboutit à une paralysie et à son décès110.
145Déjà apparaissent deux questions majeures : d’une part, un débat entre bienfaisance et information du malade, paternalisme et autodétermination ; d’autre part, le rapport entre éthique et droit, entre responsabilité personnelle et contrôle légal.
ÉTHIQUE ET DÉONTOLOGIE INFIRMIÈRES
146Sans nier la multiplicité des perspectives éthiques qui animent le monde infirmier, par exemple l’éthique chrétienne des religieuses infirmières ou la perspective laïque de l’Encyclopédie, l’originalité de l’époque tient principalement à la pensée et à l’influence de Florence Nightingale.
L’idéal de Florence Nightingale
147Bien que la perspective laïque et scientifique soit attribuée à Florence Nightingale, ses écrits témoignent d’une pensée empreinte de valeurs chrétiennes et centrée sur l’idée de devoir et de responsabilité. Nightingale insiste sur le développement du caractère moral et religieux de l’infirmière ainsi que sur l’obéissance aux ordres et aux commandements de ses supérieurs. C’est d’ailleurs sur ce modèle que la profession d’infirmière s’est construite au fil des ans.
148Selon Florence Nightingale, être infirmière c’est avant tout embrasser une vocation vouée à la compassion et caractérisée par un travail ardu et exigeant. Il s’agit d’une vocation de femme, fondée sur des idéaux moraux impeccables et sur des vertus féminines, telles qu’on les glorifiait à l’époque victorienne. Une infirmière doit être « sobre, honnête, sincère, digne de confiance, ponctuelle et rangée, propre et de mise soignée111 ». Le devoir et l’obligation de faire les bonnes œuvres ont priorité sur ses droits. Cela suppose un engagement de la part des infirmières et cet engagement signifie une vie de charité et de sacrifice ainsi qu’une adhésion constante aux vertus de son état. La croix de Malte, souvent portée par les infirmières de l’époque, représente les huit béatitudes proclamées dans le Sermon sur la montagne. Une infirmière doit vivre sans malice, pleurer sur ses péchés, traiter autrui justement. Elle doit aussi être joviale, humble, repentante, et accepter la critique sans se plaindre112.
149La chasteté est, selon Florence Nightingale, la vertu suprême. Une infirmière est moralement pure, décente, et modeste. Sa formation doit proscrire toute idée relative à l’érotisme et à l’immoralité. Par là, Nightingale veut élever l’image de la profession et éliminer tout lien avec la prostitution. L’altruisme et les valeurs chrétiennes sont de toute évidence à préconiser dans la pratique des soins et ces valeurs sont plus importantes que toute autre chose. Nightingale écrit : « une infirmière bonne et intelligente » doit être aussi une « femme bonne et intelligente ». Dans son esprit, une infirmière bonne et intelligente signifie une soignante vertueuse et habile dans la pratique des soins, alors qu’une femme bonne et intelligente renvoie au modèle préconisé à l’époque victorienne, c’est-à-dire celui d’une épouse obéissante et dévouée.
150La discipline et la soumission aux règles de bonne conduite sont de rigueur chez les infirmières. L’obéissance sans faille et le respect de l’autorité sont primordiaux, même s’ils limitent leur pouvoir de décision. Le jugement éthique se développe alors dans une perspective de respect de l’autorité. La remise en question de tout aspect relié aux soins est vue comme un manquement au respect de l’autorité et à la loyauté envers elle. Ainsi se trouvent en quelque sorte niées l’autonomie et l’indépendance des femmes tout autant que celles des infirmières113.
Le Serment de Nightingale
151En 1893, Lystra E. Gretter, directrice de la Farrand Training School for Nurses, au Harper Hospital à Détroit, propose au conseil d’administration de l’hôpital de composer un serment qui représente l’idéal de Florence Nightingale. L’idée est approuvée et un comité est formé. Gretter rédige un serment et ce dernier est accepté par le conseil. Il est prononcé par les infirmières diplômées de l’école Farrand le 25 avril 1893. Bien que le Serment de Nightingale ne soit pas en soi un code d’éthique, ce serment peut être vu comme une volonté de donner un cadre à l’éthique infirmière. D’ailleurs, ce Serment est souvent considéré comme le premier code de déontologie de cette profession114. Il sera connu sous le nom de The Nightingale Pledge. Pendant longtemps, et jusque vers 1960, il sera prêté lors de la collation des grades des nouvelles infirmières.
SERMENT DE NIGHTINGALE
Je jure solennellement devant Dieu et en présence de cette assemblée de vivre une vie pure et d’exercer loyalement ma profession.
Je m’abstiendrai de tout ce qui pourrait être nuisible et malveillant et de prendre ou d’administrer consciemment tout médicament pouvant causer du tort.
Je ferai tout en mon pouvoir pour maintenir et élever le standard de ma profession et tiendrai secrètes toutes révélations personnelles ou familiales m’étant confiées au cours de la pratique de ma profession.
Avec loyauté je me consacrerai à aider le médecin dans sa tâche et à me dévouer au bien-être de ceux qui me sont confiés115.
152Le contenu de ce Serment, quelque peu analogue au Serment d’Hippocrate, s’avère très proche de la pensée de Nightingale et témoigne des valeurs éthiques de l’époque. Le Serment débute par l’engagement solennel, devant Dieu et les pairs, de vivre dans la pureté et d’exercer sa profession loyalement. Trois points dominent : la bienfaisance, la confidentialité, la soumission.
La vertu de bienfaisance est un aspect important du Serment. Les infirmières doivent avant tout ne pas faire de mal, ni de tort à leurs patients. Plus, elles doivent se dévouer pour leur bien-être. Mais le Serment ne dit rien sur l’aspect relationnel des soins. Et l’élément touchant le souci du bien-être du patient est indiqué sans que ne soient mentionnées les qualités professionnelles adéquates116.
Par ailleurs, le Serment insiste sur le respect de la confidentialité au regard du patient et de sa famille. Cette mention est d’autant plus appropriée, vraisemblablement, que de nombreuses infirmières à cette époque exercent au domicile des patients à titre privé, du moins au États-Unis, ce qui les rend susceptibles de déceler bien des « petits secrets » et de recevoir de nombreuses confidences.
Le Serment insiste enfin sur la loyauté envers les médecins. Toute la mystique de la profession est centrée sur la soumission au médecin. Le Serment est silencieux sur toute initiative que pourrait prendre un infirmière par rapport aux soins. Le Serment reflète ainsi la structure hiérarchique des rapports entre médecins et infirmières. Pour certains critiques, comme le rapporte D. C. Viens, ce Serment est un bel exemple de la subordination des femmes117. Cependant, comme réplique J. Calhoun, séparer le Serment du contexte dans lequel il a été écrit équivaut à ignorer sa signification historique118.
Courant déontologique
153Au cours des années 1800, certains écrits limitent l’éthique infirmière à des règles relevant de l’étiquette sociale, auxquelles les infirmières se soumettent instinctivement. Des règles telles que « ne pas parler trop fort » ou « se lever dès l’arrivée du médecin » reçoivent souvent le même statut et le même intérêt que des principes éthiques fondamentaux : cela démontre la confusion qui règne entre ces deux notions.
154La perspective exposée au Congrès international du nursing de Chicago en 1893 est autrement plus riche. Les infirmières visiteuses peuvent prendre plus d’initiatives et de responsabilités. Leur éthique insiste cependant, d’une part, sur leur moralité personnelle et, d’autre part, sur la bienfaisance, quitte — ajoute curieusement le texte — à imposer un soin ou un traitement contre la volonté du malade119.
155La nécessité de se doter d’un code de déontologie se manifeste dès 1897. Il faut cependant attendre plusieurs années avant qu’un premier code soit formellement adopté par les infirmières américaines. Le développement suit alors l’évolution de la profession infirmière dans la société occidentale.
QUESTIONS ÉTHIQUES PARTICULIÈRES
156Par-delà les codes de déontologie, la pratique médicale et infirmière soulève des questions éthiques particulières : questions traditionnelles, questions nouvelles ou façon nouvelle de poser des questions traditionnelles. Parmi ces dernières, quelques-unes retiendront l’attention : la confidentialité, l’information au malade, la contraception, l’avortement, la confidentialité et l’euthanasie. Selon l’air de l’époque, les perspectives confessionnelles, en particulier catholique et protestante, côtoient les perspectives laïques et font partie du débat public.
Confidentialité
157Après la Révolution française, avec la désorganisation temporaire des facultés et l’option en faveur de la responsabilité individuelle, l’exigence sociale du secret refait surface. Aussitôt rétablie, la Faculté de médecine de Montpellier remet en vigueur une version du Serment d’Hippocrate, qui dit : « Admis dans l’intérieur des maisons, mes yeux ne verront pas ce qui s’y passe, ma langue taira les secrets qui me seront confiés. » Un important ouvrage de déontologie médicale publié en 1845 ainsi que divers autres écrits insistent sur le sujet, en sorte que « la fin du siècle verra s’amplifier un mouvement qui donne au secret une importance croissante » : le secret relève de l’intérêt public aussi bien que de l’intérêt privé.
158La nouveauté porte sur l’encadrement juridique : inscription dans la loi, dérogations légales prévues, inévitables recours aux tribunaux. Déjà la Prusse avait fait du secret une obligation légale. L’Autriche suit. En France, le code pénal de 1810 rend explicite l’exigence morale.
Les médecins, chirurgiens et autres officiers de santé, ainsi que les pharmaciens, les sages-femmes et toutes autres personnes dépositaires, par état ou profession ou par fonctions temporaires ou permanentes, des secrets qu’on leur confie, qui, hors le cas où la loi les oblige ou les autorise à se porter dénonciateurs, auront révélé ces secrets, seront punis d’un emprisonnement d’un mois à six mois et d’une amende de 500 F à 15000 F (art. 378).
159Le code pénal français prévoit une dérogation obligeant les médecins, comme les autres citoyens, à dénoncer les activités menaçant la sécurité de l’État. Selon Hoerni et Bénézech, cette dérogation est mal vue par les médecins. Lors des émeutes de 1832, pendant lesquelles le préfet de police demande aux professionnels de la santé ainsi qu’aux directeurs d’établissements hospitaliers de lui signaler tous les blessés, personne n’obéira et Dupuytren « traduira la position des résistants dans la formule fameuse : Je ne vois pas d’insurgés dans mes salles d’hôpital, je n’y vois que des blessés. » La dérogation fut abrogée.
160En 1884 arrive un événement significatif, la condamnation d’un médecin qui, pour se défendre contre une calomnie, avait révélé la maladie d’un patient réputé. L’éthique est de la même eau que le droit. Dans le livre Le secret médical publié en 1887, le doyen Brouardel écrit : « Silence quand même et toujours. » La loi de 1892 oblige à déclarer les maladies épidémiques. Elle soulèvera beaucoup de résistance.
161En Angleterre, James Gregory, dans ses commentaires sur le Serment d’Édimbourg, dit que le respect de la confidentialité constitue à première vue un devoir, mais il accepte deux exceptions : le témoignage devant la justice et la protection des intérêts du patient contre un mal qui peut être évité. En Allemagne, un nouveau défi éthique se présente à la fin du siècle, suite à des programmes gouvernementaux touchant les assurances invalidité. La tâche de confirmer ou d’infirmer la maladie ou l’invalidité de certains travailleurs place les médecins entre les intérêts conflictuels des patients et de l’État120.
162Les infirmières sont appelées aux mêmes exigences de confidentialité. Dans les pays anglo-saxons, le Serment de Nightingale est explicite là-dessus.
163Bref, le secret est considéré comme une obligation majeure, essentielle. En France, commente Raymond Villey, il est devenu un absolu, il a donné lieu à une véritable mystique. « Personne ne saurait délier le médecin du secret, aucun intérêt supérieur ne saurait être invoqué, même par le juge. Le médecin doit être dispensé de témoigner en justice, même pour se défendre. Éventuellement, il devrait se taire jusqu’à l’héroïsme. » Et le secret s’étend non seulement aux confidences du malade, mais à tout ce dont le médecin a connaissance121.
164C’est d’ailleurs au milieu du XIXe siècle que l’on s’avise officiellement de respecter totalement l’anonymat des malades dans les publications scientifiques. Jusque-là, on donnait souvent le nom des malades pour prouver l’authenticité des dires... ou pour en tirer gloire s’il s’agissait d’une personne célèbre. Au début du XIXe siècle, Corvisart et Pinel donnent encore les initiales ou des détails permettant de reconnaître le patient ; Laënnec et Broussais donnent les initiales si le malade est vivant et le nom s’il est mort. On connaît des indiscrétions concernant des personnages célèbres, surtout des hommes politiques ; mais dans l’ensemble, au milieu du siècle, la discrétion sur l’identité du malade est comprise comme un absolu122.
Information du malade
165Comme dans les siècles précédents, la bienfaisance l’emporte sur l’information du malade. Le médecin s’efforce de faire du bien au malade, ou au moins de ne pas lui nuire. Mais il donne très peu d’informations sur la maladie et le pronostic. C’est lui qui décide de ce qu’il faut faire. Choisir un médecin tient lieu de consentement aux interventions que celui-ci jugera nécessaires.
166Dans le monde anglo-saxon du XVIIIe siècle, B. Rush et J. Gregory reconnaissent au médecin un devoir d’éducation. Le malade doit être éduqué afin qu’il comprenne les recommandations du médecin et s’y soumette ; mais il n’y a rien là d’un véritable consentement aux soins. Au début du XIXe siècle, un changement important se produit avec T. Percival (1803). Celui-ci écrit qu’il y a un droit du malade à la vérité ; cependant, dans les cas graves, il faut toujours laisser de l’espoir au patient. Dans les situations dramatiques, la vérité pourrait faire plus de tort que de bien. La même prescription est inscrite dans le code de déontologie de l'American Medical Association (AMA) en 1847. Le code est demeuré inchangé sur ce point pendant plus d’un siècle.
167À cette attitude générale, nous pouvons relever une exception notable, soit la pensée du médecin américain Worthington Hooker. Celui-ci est le premier défenseur des droits du patient à l’information, en opposition à ce qui prévalait depuis le temps d’Hippocrate. Son argumentation est nouvelle et ingénieuse, mais ne va pas jusqu’à exiger le consentement éclairé. Il s’intéresse surtout aux effets néfastes du mensonge, de la duperie, de la supercherie sur la société et les institutions médicales, sans toutefois parler d’obtenir l’autorisation du patient ou de respecter son autonomie. Les préoccupations de Hooker sont plutôt de dénoncer l’opportunisme des médecins dans la façon de parler aux malades123.
168On ne peut dire, cependant, qu’au XIXe siècle le consentement du malade soit totalement absent. À partir des années 1850, certains écrits chirurgicaux montrent que des règles élémentaires existent pour obtenir l’approbation du sujet à opérer. Cependant, l’idée ressort moins du respect pour l’autonomie du patient que de préoccupations se rapportant à la réputation des membres de la profession et à des poursuites potentielles124.
169La même situation prévaut en France, selon une étude de Marie-Hélène Parizeau portant notamment sur des livres d’éthique médicale écrits par trois médecins125. Le docteur Simon insiste sur les qualités morales attendues du médecin, mais il ne parle pas d’information au malade (1848). Pour le docteur Dechambre (1883), il n’y a pas d’éthique particulière pour le médecin, mais celui-ci doit posséder plusieurs qualités extérieures et de nombreuses qualités morales. L’auteur insiste sur la charité et la bienfaisance à manifester envers tous les malades. Quant à la vérité, il vaut mieux être très prudent : s’il est bon de donner le diagnostic d’une maladie guérissable, on doit toutefois cacher la vérité à un malade gravement atteint et qui va mourir. Le livre du docteur Drouardel, quant à lui, porte directement sur le secret médical (1893). Ce faisant, l’auteur écrit que la nature de la maladie et son pronostic sont secrets, non seulement pour les autres, mais aussi pour le patient lui-même. En sens contraire, le docteur Dechambre, qui émaillé son livre d’anecdotes tirées de sa pratique personnelle, donne un exemple où il n’a pas suivi sa propre règle. Et on peut trouver quelques écrits où l’horreur du mensonge amène à refuser que le malade soit trompé sur la nature et la gravité de son mal. Bref, durant cette période, on veut bien donner quelques informations au malade, mais il n’est guère question de demander son consentement. Le principe dominant est incontestablement la bienfaisance.
170La même attitude vaut pour l’infirmière. Il ne lui revient pas d’informer le malade. Encore moins de contredire l’information donnée par le médecin. Comme le prescrit le Serment de Nightingale, pour elle aussi prime le devoir de bienfaisance. Cependant, celui-ci semble rarement interprété comme permettant d’imposer un soin « même contre la volonté du malade », ainsi que le prescrit le Congrès international du nursing en 1893.
Contraception
171La fin du XVIIIe siècle est marquée par deux phénomènes importants : la baisse de la natalité dans certains pays comme la France, la crainte de la surpopulation mondiale. Le livre de l’économiste anglais Thomas Robert Malthus (1798), présentant l’augmentation de la population comme un danger pour la subsistance du monde et recommandant la restriction volontaire des naissances à l’intérieur des normes morales, a un impact exceptionnel. S’ensuit, en particulier en Angleterre et aux États-Unis, une campagne publique en faveur du contrôle des naissances. La réaction de l’Église catholique est plutôt faible, du moins jusqu’en 1876, et se limite à l’aspect individuel du problème : elle continue d’axer la contraception sur le coït interrompu et à identifier cette dernière pratique à l’onanisme126.
172La propagande des nombreuses Ligues malthusiennes, apparues partout en Europe à partir des années 1860, et leur influence sur la décroissance du taux de natalité vont changer les données : la hiérarchie ecclésiastique réagit. Elle critique expressément la « limitation des naissances » et presse les confesseurs d’interroger les pénitents mariés sur leur pratique contraceptive.
173Suite aux découvertes encore imprécises de Pouchet sur les périodes d’ovulation et d’infécondité chez la femme127, certains théologiens et confesseurs acceptent que les couples puissent choisir d’avoir des relations sexuelles pendant la période inféconde. D’autant plus que certains théologiens comme le Jésuite français Jean Gury, se référant à des auteurs anciens comme Alphonse de Liguori et Tomas Sanchez, valorise l’amitié et l’amour dans le couple, rompant définitivement avec la tradition augustinienne exclusivement procréatrice. Mais les autorités de l’Église catholique interdisent toujours l’usage des contraceptifs, quels qu’ils soient128.
174Au sein du monde protestant anglophone, la loi n’avait jamais fait allusion à la contraception jusqu’aux années 1870. Grâce à un lobbying efficace auprès du Congrès américain, le jeune réformateur protestant Anthony Comstock réussit à faire passer en 1873 une loi interdisant d’envoyer par la poste toute drogue ou médicament ou objet quel qu’il soit servant à empêcher la conception. Il réussit même à être nommé agent spécial du Service postal et surveille pendant 40 ans tous les écrits traitant de sexualité. Chez beaucoup de prédicateurs de l’époque, Comstock est un modèle à suivre en tant que chrétien129. Certains États vont même jusqu’à surveiller les informations sur la contraception et rendent illégales les cliniques de contrôle des naissances. D’autres rendent illégale la vente des contraceptifs.
175Ni les codes de déontologie ni les écrits des soignants ne parlent explicitement du sujet. On peut penser que les informations et conseils donnés aux patients reflétaient les opinions morales personnelles des soignants, les uns admettant la contraception, la majorité la rejetant. Pour régler certaines situations familiales pénibles, quelques médecins ont recours à l’hystérectomie, appelée au Québec « la grande opération ».
Avortement
176L’état de la science (ovisme ou animalculisme), lié à une certaine philosophie, amène de plus en plus à penser que l’embryon est animé (doué d’une âme humaine) dès le premier moment de la conception. À partir du moment où on n’établit plus de distinction entre fœtus animé et inanimé, la position de l’Église catholique se durcit face à l’avortement. En 1869, le pape Pie IX enlève cette distinction de la loi ecclésiastique (code du droit canonique) : les pénalités ecclésiastiques, dont l’excommunication, frappent désormais quiconque procure l’avortement d’un fœtus humain à n’importe quel stade de son développement130. Sans nier l’importance de la condamnation, les spécialistes du droit canon enseignent cependant que la peine ne s’applique que dans de rares cas. L’opinion commune est généralement contre l’avortement. Les codes de déontologie médicale en interdisent la pratique.
177Il existe cependant un vif débat au sujet de l’avortement thérapeutique, c’est-à-dire lorsque la vie de la mère est en danger. Jusqu’aux années 1880, la plupart des théologiens admettent certaines exceptions à l’interdiction de l’avortement et considèrent dans ces cas que le fœtus est un injuste agresseur et que les intervenants agissent au nom de la légitime défense. Selon Rome, surtout à partir de 1884, il est immoral de porter atteinte directement au fœtus : il n’y a pas d’exceptions pour l’avortement thérapeutique. Au début de l’époque contemporaine, la doctrine catholique n’admet que deux interventions (qualifiées d’avortement indirect) : l’hystérectomie de l’utérus gravide ; l’excision d’une trompe de Fallope contenant un fœtus ectopique131.
178Aux États-Unis, on n’aborde pas ces questions de la même façon que dans les pays latins, même si on arrive pratiquement aux mêmes conclusions. En général, les Églises protestantes sont contre l’avortement : celui-ci constitue une attaque directe contre le respect de la vie et contre la famille, force de la nation américaine. La population et les médecins sont d’accord avec cette philosophie, quoique beaucoup de médecins acceptent l’avortement lorsqu’il s’agit de sauver la vie de la mère. Mais les femmes hésitent à recourir aux praticiens reconnus et se fient davantage aux réseaux clandestins. Il est vrai que la loi comporte une certaine ambiguïté. Les États-Unis conservent l’esprit de la Common Law britannique affirmant que l’avortement n’est criminel qu’après que le fœtus ait manifesté des signes de vie (quickening). De 1820 à 1840, une quinzaine d’États américains adoptent une loi condamnant à l’emprisonnement à vie celui qui a prescrit un médicament abortif dans un tel cas. La loi de l’État de New York ajoute toutefois : « à moins que cela ne soit rendu nécessaire pour sauver la vie de la mère et que l’avis de deux médecins aille en ce sens ». Au cours des années 1840, l’avortement devient une préoccupation sociale. Le taux des interventions semble monter en flèche. En 1857, le docteur Horatio Storer, un obstétricien bostonnais, lance une campagne afin d’encourager ses confrères à s’opposer à l’avortement et à exiger une législation plus stricte. En moins de deux ans, il reçoit assez d’appui pour que l’AMA, à son congrès de Louisville au Kentucky, proteste solennellement contre la suppression injustifiée de vies humaines et incite les assemblées législatives de l’Union a réviser leur loi sur l’avortement. L’AMA souhaite que la loi tienne criminellement responsable ceux et celles qui détruisent la vie fœtale dès la conception et non pas seulement à partir du quickening. Des exceptions sont prévues s’il y a accord préalable de médecins reconnus qui sont d’avis qu’un tel acte est nécessaire pour sauver la vie de la mère132.
Moyens artificiels de procréation
179Depuis l’Antiquité, certains textes classiques font allusion à des ordonnances médicales destinées à assurer que le coït soit productif. Mais la plupart de ces essais — médicaments, diètes, manipulations — s’avèrent futiles. Au sein d’une culture religieuse pro-nataliste, ils sont considérés comme moralement inoffensifs, à moins qu’il ne s’agisse de magie, ce que la pensée chrétienne répudie133.
180On parle d’essais d’insémination assistée chez les animaux au Moyen Âge. Le procédé est connu des Arabes au XIVe siècle. Au XVIIIe, Lazaro Spallanzani semble avoir réussi avec des crapauds.
181Les annales médicales européennes rapportent les cas surprenants de quelques inséminations artificielles pratiquées chez les humains. La première daterait du XVIIIe siècle en Angleterre : la femme d’un marchand de drap devient enceinte grâce à un médecin qui emploie à cette fin le sperme du mari. Au début du XIXe, les expériences se renouvellent, notamment en France ; et elles se multiplient dans tous les pays durant la seconde moitié du siècle. Au cours des années 1860, par exemple, le gynécologue américain J. Marion Sims tente 66 fois une insémination artificielle sur 6 femmes avec le sperme de leur mari respectif : une seule expérimentation réussit.
182Depuis les années 1880, l’insémination artificielle est pratiquée avec le sperme d’un donneur. Ainsi, W. Panacost et J. Dickenson, professeurs dans un collège de Philadelphie, prennent le sperme d’un donneur, « le plus bel étudiant de la classe de médecine », pour inséminer une dame dont le mari est infertile. L’expérience réussit, mais on la garde secrète jusqu’en 1909. Initiateurs de cette technique, les Américains furent rapidement suivis par les autres pays.
183L’histoire de l’insémination artificielle n’est cependant pas sans problème. En 1883, à cause d’une note d’honoraires exorbitante pour un cas d’ailleurs sans succès, un médecin français est traîné en justice et le tribunal condamne l’insémination artificielle avec donneur (IAD) pour la raison « qu’il importe à la dignité du mariage que de semblables procédés ne soient pas transportés du domaine de la science dans celui de la pratique ». La Société de médecine légale réagit à cette condamnation et approuve l’IAD. En 1885, la thèse du docteur Gérard sur l’IAD est refusée et l’impression en est interdite. Une sentence du Vatican en 1897 condamne l’insémination artificielle. Cette condamnation a pour effet de renvoyer l’application de FIA à la clandestinité.
Euthanasie
184Au début de l’ère industrielle, la victoire sur la mort résulte le plus souvent d’une guérison naturelle plutôt que du traitement préconisé. Devant une certaine impuissance de la médecine à guérir, Thomas Percival supplie ses collègues d’apporter de l’espoir et du bien-être à leurs patients.
Par une telle atmosphère entourant un esprit défaillant, le médecin pourra rendre plus confortable le lit de la mort, raviver une vie déclinante et contrecarrer l’influence dépressive de ces maladies qui enlèvent le courage au philosophe et la consolation au chrétien134.
185Les médecins Hufeland et Simon, déjà cités, insistent sur le fait que les souffrances des mourants doivent être allégées, si nécessaire par une dose suffisante d’opium, mais que toute mesure pour raccourcir la durée de vie est absolument défendue, même si le patient le demande. Hufeland craint les conséquences pour la société si le praticien se permet de déterminer lui-même la durée de la vie de son patient. Simon affirme que l’homme n’est pas maître de sa propre vie135.
186Face aux intervenants tentés de devancer l’heure fatidique, le médecin allemand Carl F. H. Marx distingue clairement en 1826 la science du soulagement de la douleur (appelée l’euthanasie) du fait de provoquer directement la mort.
[...] une science, l’euthanasie, qui fait échec aux traits accablants de la maladie, supprime la douleur et fait que le moment inévitable soit un moment plus pacifiant [...], mais jamais il ne devrait être permis au médecin, que ce soit à la demande du patient ou en raison de sa propre compassion, de mettre fin à cette condition pitoyable en hâtant délibérément le décès136.
187À mesure que le développement de la thérapie permet de renverser ou d’entraver le cours d’une maladie fatale, une question éthique un peu nouvelle se pose. Faut-il toujours prolonger une vie qui n’est plus que souffrance et détresse ?
188Les admonitions de Percival et Marx seraient-elles désuètes ? Les médecins hésitent, sont prudents, mais un éditorial du Boston Medical and Surgical Journal (prédécesseur du New England Journal of Medicine) résume bien leur opinion :
Nous avons le sentiment qu’il y bien peu de médecins qui ont évité la suggestion que, dans un cas désespéré de souffrances prolongées, il devrait se tenir à l’écart et abandonner toute tentative de prolonger une vie qui est devenue un tourment pour son possesseur […] ne devrait-il pas y avoir un moment où existe un devoir dans l’intérêt des survivants d’arrêter un combat qui ne fait que se prolonger inutilement et désespérément137 ?
189Ce dernier texte reflète bien la situation des médecins à la fin du XIXe siècle, alors que des arguments semblables à ceux de Hume, déjà cité, feront leur entrée dans le débat public. Tout comme ce dernier, les philosophes Schopenhauer (1788-1860) et Nietzsche (1844-1900) font appel à l’autonomie des personnes pour justifier de mettre fin à leur existence lorsqu’une maladie terminale anéantit le plaisir de vivre et Futilité sociale138.
190Les premiers débats publics concernant le droit des médecins de provoquer volontairement la mort de leurs patients se tiennent en Grande-Bretagne et aux États-Unis dans les dernières décennies du XIXe siècle. Les discussions sont surtout centrées sur les médecins parce qu’ils peuvent diagnostiquer mieux que quiconque l’incurabilité d’une maladie en plus de pouvoir procurer facilement la délivrance à l’aide du chloroforme et de la morphine hypodermique139. Le mot euthanasie commence à être employé dans le sens de provoquer la mort. À tout le moins, il devient ambigu. À la fin du siècle, il semble bien que la majorité des médecins s’oppose à l’acte mortifère140.
191On fait parfois état dans la littérature d’un geste euthanasique (nouveau sens) posé par Pasteur sur cinq des six paysans russes venus à Paris, en 1886, se faire soigner pour la rage. Le traitement n’ayant rien donné, un premier malade étant décédé, les souffrances des autres malades étant intolérables, Pasteur aurait finalement provoqué leur mort. L’anecdote est racontée de manière dramatique, en 1915, par le journaliste et romancier Léon Daudet141. Or il semble bien qu’il n’en fut rien. D’une part, Pasteur, n’étant pas médecin, n’a jamais donné lui-même d’injection : à l’École normale, c’était le professeur Grancher qui faisait les injections vaccinales, et à l’Hôtel-Dieu, le professeur Tillaux. Mais surtout les résultats furent différents. Sur les dix-neuf Russes venus à Paris, un premier mourut avant le traitement ; deux autres décédèrent un peu plus tard ; quant aux seize autres, ils retournèrent chez eux guéris. On possède un télégramme de remerciement adressé à Pasteur par le maire du village d’où provenaient les paysans russes142.
Eugénisme
192Brillant esprit, formé en médecine et en mathématiques, Francis Galton met à profit les études de ses prédécesseurs et de ses contemporains pour fonder une nouvelle science, l'eugénique143. Son prédécesseur, Adolphe Quételet, avait appliqué les statistiques et le calcul des probabilités à l’étude des phénomènes sociaux : situation démographique d’une société, taille et croissance des humains, fréquence des crimes et des suicides, mais il ne s’était guère préoccupé de l’hérédité et des facteurs biologiques. L’idée est cependant dans l’air, notamment suite aux travaux de Charles Darwin sur l’évolution des espèces. Certaines réflexions de celui-ci ne peuvent pas laisser indifférent son cousin Galton.
Nous, hommes civilisés, faisons notre possible pour faire échec au processus d’élimination des êtres inaptes ; nous construisons des refuges pour les imbéciles, les estropiés et les malades ; nous faisons des lois en faveur des pauvres ; et nos médecins emploient leurs capacités maximales pour sauver la vie de chacun jusqu’au dernier moment [...]. Ainsi cela permet aux membres plus faibles de nos sociétés civilisés de propager l’espèce144.
193Frappé par la pérennité des qualités et des aptitudes mentales de nombreuses familles au fil des générations, Galton se met à étudier systématiquement le phénomène. Il démontre que les aptitudes physiques et mentales sont héréditaires et quelles se conservent au cours des générations. Il en déduit que la race humaine peut être améliorée en multipliant volontairement des qualités humaines désirables et en éliminant leurs contraires au moyen d’une reproduction sélective. Pendant 50 ans, Galton propage ses idées : d’abord dans un volume écrit en 1869, Hereditary Genius, puis dans un second en 1883, Inquiries into Human Faculty, et enfin dans une multitude de conférences, écrits et fondations d’institutions. Répondant à ceux qui l’accusent de trop négliger l’influence du milieu au profit de l’hérédité, Galton réplique que tous les facteurs comptent, mais que l’hérédité l’emporte. « La Race a un double effet : elle crée des individus plus intelligents et meilleurs, qui deviennent plus compétents que leurs prédécesseurs pour faire des lois et établir des coutumes dont les effets réagiront favorablement sur leur propre santé et sur le milieu où évolueront leurs enfants145. » D’où la définition suivante qu’il donne de l'eugénique : la science « capable d’améliorer les lignées humaines, non seulement par de judicieuses unions, mais par toutes les influences qui donnent aux forces les plus convenables une meilleure chance de s’épanouir ».
194Francis Galton centre ses efforts sur l’amélioration de la race humaine au moyen des unions conjugales, soit en favorisant le mariage et la reproduction des mieux doués. Il n’en va pas nécessairement de même dans les cercles autour de lui. Ainsi, lors de la conférence célèbre prononcée en Angleterre en 1904, où il définit la nature, les buts et les aspirations de l’eugénique, il suscite des controverses passionnées. George Bernard Shaw est enthousiaste et déclare qu’il voit dans le programme du conférencier le seul moyen de défendre notre civilisation décadente. H. G. Wells, tout en reconnaissant la hauteur de vue du conférencier, soutient au contraire qu’on arriverait plus vite aux mêmes résultats en stérilisant les sujets porteurs d’un défaut146.
195Pendant ce temps, aux États-Unis, une nouvelle attitude se développe parmi les gens cultivés : on est atterré par la tâche énorme de s’occuper des êtres dépendants, des malades, des dégénérés, des aliénés, etc. ; on sent la qualité de la race menacée par le flot d’immigrants. Les idées de Charles Darwin et du philosophe Herbert Spencer (1820-1903) sur l’évolutionnisme confortent cette façon de penser. La vague est raffermie encore vers la fin des années 1880 par la diffusion des théories de Mendel sur l’hérédité. Les idées de Galton arrivent à point nommé. On pense posséder alors une véritable science de l’amélioration de l’espèce.
196L’eugénique se diffuse rapidement en Angleterre et aux États-Unis, puis dans les pays européens, dont l’Allemagne, la Suisse, la Scandinavie, etc. L’ambivalence et l’ambiguïté du concept n’aident pas toujours à saisir les implications éthiques. Paré du prestige de la science, le mot s’adjoint une autre idée, celle d’une propagande et d’une pratique visant à éliminer les éléments non désirables de la société.
197L’eugénisme comprend donc une multitude de moyens, allant des mesures variées pour améliorer la santé de la population, en passant par des moyens préventifs plus radicaux comme la stérilisation des handicapés ou de ceux qui ont une hérédité lourde, jusqu’à l’euthanasie de ceux dont on juge que la vie ne vaut pas la peine d’être vécue. Les voies de la stérilisation et de l’euthanasie semblent peu proposées au XIXe siècle, comme si le respect de la morale les excluait et que l’espoir mis dans le développement de la science et de la médecine les rendait inutiles. Il n’en sera pas de même au XXe siècle !
Vaccination
198La vaccination ne s’implante pas sans débat, ni contestation d’ordre éthique. Certes, certaines autorités religieuses l’approuvent et y voient un moyen octroyé par la Providence divine pour diminuer la maladie et la souffrance (voir p. 211-212). Mais d’autres voix se font entendre. Pour Emmanuel Kant, la médecine de Jenner est inacceptable parce qu’elle abaisse l’homme vers l’animalité. Le pape Léon XII, dans les années 1820, condamne la vaccination parce qu'elle contreviendrait à l’ordre des choses et constituerait « un défi à l’adresse du ciel147 ».
199Suite à l’introduction de la vaccination obligatoire contre la variole dans l’Empire germanique en 1874, des groupes de protestation font leur apparition au nom de la liberté individuelle, seule à pouvoir juger des risques et bénéfices d’une telle mesure. Ces sociétés sont influencées par certains intellectuels et médecins qui croient plutôt aux vertus de la guérison naturelle par l’eau, la diète et les plantes148.
200La question ne porte pas sur l’accessibilité du processus, mais plutôt sur son imposition par l’autorité civile à l’ensemble de la population. Devant les avantages de la technique face à la légèreté du risque, la grande majorité des intervenants au débat juge légitime cette atteinte à la liberté individuelle au nom du bien commun.
Expérimentation sur l’animal
201La multiplication des expériences sur les animaux en laboratoire au XIXe siècle relance de vive manière la question de l’expérimentation. Les opposants dénoncent la cruauté à l’égard des animaux, le gaspillage, voire le principe même de la vivisection, fondé sur un anthropocentrisme injustifié. Il est vrai que la majorité des chercheurs est peu attentive à cet aspect de leur travail. Mais pour Lavoisier, Laplace, Magendie, tout le développement de la science moderne repose sur l’expérimentation animale. Pas question de mettre en cause sa légitimité morale149.
202La position de Claude Bernard est typique à cet égard. Il pousse même à l’extrême la tradition anthropocentrique. La morale chrétienne ne défend qu’une seule chose, c’est de faire du mal à son prochain. L’expérimentation animale (la vivisection) est un droit et un devoir moral.
Quant à moi, je pense qu’on a ce droit d’une manière entière et absolue. Il serait bien étrange, en effet, qu’on reconnût que l’homme a le droit de se servir des animaux pour tous les usages de la vie, pour ses services domestiques, pour son alimentation, et qu’on lui défendît de s’en servir pour s’instruire dans une des sciences les plus utiles à l’humanité. Il n’y a pas à hésiter ; la science de la vie ne peut se constituer que par des expériences, et l’on ne peut sauver de la mort des êtres vivants qu’après en avoir sacrifié d’autres. Il faut faire les expériences sur les hommes ou sur les animaux. Or, je trouve que les médecins font déjà trop d’expériences dangereuses sur les hommes avant de les avoir étudiées soigneusement sur les animaux. Je n’admets pas qu’il soit moral d’essayer sur les malades dans les hôpitaux des remèdes plus ou moins dangereux ou actifs, sans qu’on les ait préalablement expérimentés sur des chiens ; car je prouverai plus loin que tout ce que l’on obtient chez les animaux peut parfaitement être concluant pour l’homme quand on sait bien expérimenter150.
203Pour l’auteur, la souffrance des animaux importe peu. Le savant doit rester insensible : « Il n’entend plus les cris des animaux, il ne voit plus le sang qui coule, il ne voit que son idée et n’aperçoit que des organismes qui lui cachent des problèmes qu’il veut découvrir151. » Pendant longtemps, explique-t-il encore, la physiologie fut entravée par l’horreur des expériences sur les animaux vivants. En Angleterre, ce préjugé persiste encore, et c’est un des grands obstacles qui ralentissent le développement de la physiologie expérimentale dans ce pays.
204L’Angleterre, en effet, est aux prises avec un débat public passionné, en particulier après la publication de An Introduction to the Principles of Morals and Legislation de Jeremy Bentham. L’auteur y compare le statut des animaux à celui des esclaves de certains pays d’Afrique et relance le débat en déclarant que les critères du langage, de la raison et de l’âme sont dépassés. Ce qu’il faut considérer n’est pas : les animaux peuvent-ils raisonner ou parler ? mais plutôt : peuvent-ils souffrir ? Dans la société anglaise, ceux qui soutiennent les droits des animaux avec le plus d’ardeur font partie de l’aristocratie ou du clergé. Ceux qui défendent le plus l’expérimentation animale sont des médecins et des professeurs d’université. Donc, quand on attaque l’expérimentation animale, c’est d’abord et avant tout une nouvelle méthode (la méthode scientifique) qu’on attaque et une nouvelle discipline (la physiologie). La nouvelle génération de scientifiques ne cherche ni l’approbation du clergé ni les fonds de l’aristocratie. Tout cela représentait un bris fondamental dans les traditions établies et une menace pour les valeurs traditionnelles. Les anti-vivisectionnistes évoquent de multiples raisons : la dissection des animaux est immorale en soi ; elle n’a pas donné de résultats concrets, elle est source de cette nouvelle science qui vient bouleverser l’ordre social. En 1875, ils inspirent un projet de loi en ce sens. Mais les pressions opposées des chercheurs et des médecins auprès des députés amènent un compromis de dernière minute : la loi de 1876 interdit seulement la cruauté envers les animaux152.
205Les États-Unis voient aussi proliférer des groupes de pression abolitionnistes très actifs, même s’il s’y fait beaucoup moins d’expérimentation sur l’animal. Par exemple, un groupe anti-vivisectionniste, soutenu par l’élite new-yorkaise, est fondé en 1866. Il tente de faire passer une loi semblable à celle des Britanniques, mais il n’y réussit pas.
Dissection
206Alors que la question de la dissection des cadavres est réglée un peu partout dans le monde, il n’en va pas de même au Canada.
207Au Canada et au Québec en particulier, durant tout le XIXe siècle, il y a beaucoup d’histoires de vol de cadavres et de procès retentissants. La population est montée contre les voleurs de cadavres et les journaux entretiennent l’indignation. On disséquait avant même l’apparition des écoles de médecine. Les législations imposant les études médicales n’avaient rien prévu pour satisfaire les besoins d’approvisionnement en cadavres, alors que l’étude de l’anatomie et la pratique de la dissection étaient exigées pour avoir le droit de passer l’examen de licence. En 1843, le gouverneur général du Canada sanctionne une loi édictant que « tout cadavre trouvé sur la voie publique, tout individu décédé dans une institution recevant des fonds du gouvernement, serait remis à une salle d’anatomie ou enterré, à moins que le défunt en ait prévu différemment avant sa mort, ou qu’il soit réclamé par des amis ou des parents après sa mort ». La loi n’est pratiquement pas appliquée parce que les inspecteurs nommés pour ce faire n’en font rien. Il faut attendre jusqu’en mars 1883 pour que, avec l’appui de l’archevêque de Québec et celui de l’évêque de Montréal, une loi provinciale ordonne à toutes les institutions de remettre dans les 24 heures aux salles de dissection les corps non réclamés, et cela sous peine d’amende. Encore fallut-il une lettre circulaire du cardinal Taschereau, archevêque de Québec, adressée aux hôpitaux et hospices, les invitant fortement à remettre à la salle d’anatomie les corps non réclamés153.
*
208Il est difficile de fixer des seuils en histoire. L’évolution n’est pas homogène d’un pays à l’autre, ni même à l’intérieur d’un même pays. Parfois une découverte n’est pas connue immédiatement (on n’est pas à l’ère des mass medias) ou n’est simplement pas reconnue. Son impact est différé. Toujours est-il que 1750 ou 1789 — pour avoir une date symbolique — marque un seuil important tant au plan social et politique qu’au plan de la médecine et des soins ; en revanche, on ne trouve pas de seuil analogue à la fin du XIXe, pour le démarquer du XXe.
209Durant cette période, on peut dire que le monde médical est marqué par un contrôle de plus en plus grand de l’État sur les professions médicale et infirmière, de même que sur les institutions de santé, en particulier l’hôpital. La profession d’infirmière est maintenant reconnue, quoique perçue en stricte dépendance du médecin. Globalement, la médecine est devenue scientifique, basée sur la rigueur et la précision des sciences dites exactes : anatomie, biologie, chimie, statistique... et mettant en œuvre une méthode qui se veut rigoureuse, la méthode anatomo-clinique. Cette perspective entraîne une sorte de réductionnisme de l’être humain (réductionnisme méthodologique, sinon anthropologique) et une vision déterministe des choses. Bien que la transition soit lente, les hôpitaux se modernisent pour devenir les institutions modernes que nous connaissons.
210Au plan éthique, les codes de déontologie édictés par les associations professionnelles apparaissent et prolifèrent. Le contenu est de plus en plus détaillé. L’esprit est laïc, parfois laïciste. Toujours est-il qu’il n’est plus exprimé dans une perspective chrétienne, sauf peut-être dans certains pays.
L’éthique médicale est centrée sur la maladie... et le développement des connaissances, beaucoup plus que sur le malade lui-même. Les codes de déontologie contiennent surtout des règles de bonne conduite.
L’éthique infirmière reste holiste. Elle s’intéresse au respect de la vie et à la bienfaisance, certes, mais elle est surtout marquée par l’obéissance et la soumission aux médecins.
L’éthique de la recherche, par contre, est peu développée et n’est guère exigeante. Elle reste une affaire privée : les associations, les États, la population n’y interviennent pratiquement pas.
Notes de bas de page
1 Voir Louis-Marie Morfaux, Vocabulaire de la philosophie et des sciences humaines, Paris, Armand Colin, 1980, p. 201.
2 Fernand Braudel, Civilisation matérielle, économie et capitalisme. XVe-XVIIIe siècle, Paris, Colin, 1979.
3 Le capitalisme, tel que défini par Proudhon en 1857 : régime économique et social dans lequel les capitaux, sources de revenu, n’appartiennent pas en général à ceux qui les mettent en oeuvre par leur propre travail (voir Braudel, p. 206).
4 Jean Heffer et William Serman, Le XIXe siècle. Des révolutions aux impérialismes 1815-1914, Paris, Hachette (coll. Histoire de l’humanité), 1992, p. 104-110.
5 Idem, p. 119-125.
6 Selon l’Église catholique, l'erreur moderniste était de vouloir renouveler l’interprétation du christianisme traditionnel à la lumière des découvertes de l’exégèse moderne : voir Morfaux, p. 221.
L'ultramontanisme est une doctrine catholique qui met l’accent sur l’autorité des papes au détriment des traditions ecclésiales nationales.
7 Maurice Bariéty et Charles Coury, Histoire de la médecine (coll. Les grandes études historiques), Paris, Fayard, 1963, p. 558-560 et 562-563.
8 Josephine A. Dolan, Louise M. Fitzpatrick et E. K. Hermann, Nursing in Society : A Historical Perspective, Philadelphie, W. B. Saunders, 1983 (15e éd.), p. 131-132.
9 Marcel Reinhard, André Armengaud et Jacques Dupaquier, Histoire générale de la population mondiale, Paris, Montchrestien, 1968 (3e éd.), p. 198-206 ; 274-275.
10 Idem, p. 301 ; 315 ; 322 ; 390.
11 Jacques Léonard, La médecine entre les pouvoirs et les savoirs, Paris, Aubier, 1981, p. 64.
12 Reinhard et al., p. 299 ; 395-408 ; 421.
13 Idem, p. 317-322,415, 421-422.
14 Idem, p. 324-325.
15 Terence Murphy, « The French Medical Profession’s Perception of its Social Function between 1776 and 1830 », dans Medical History, 23 (1973), p. 274 ; C. Hanaway, « From Private Hygiene to Public Health : A Transformation in Western Medicine in the Eighteenth and Nineteenth Centuries », dans Lloyd C. Stevenson (dir.), A Celebration of Medical History, Baltimore, Johns Hopkins University Press, 1982, p. 111 ; Bariéty et Coury, p. 566-569.
16 Antonio Drolet, « Un hôpital municipal à Québec en 1834 », dans Cahiers d’histoire, 22 (1990), p. 66-69.
17 Michel Foucault, Machines à guérir. Aux origines de l’hôpital moderne, Bruxelles, Pierre Mardaga, 1979, p. 7 ; C. Hanaway, 1982, p. 108 ; Othmar Keel, « The Politics of Health and the Institutionalisation of Clinical Practices in Europe in the Second Half on the xviiith century », dans W. F. Bynum et R. Porter (dir.), William Hunter and the Eighteenth Century Medical World, Cambridge, Cambridge University Press, 1985, p. 206-257.
18 J. P. Goubert, « La médicalisation de la société française à la fin de l’Ancien Régime », dans Sonderdruck aus Francia, 8 (1981), p. 248 ; Hanaway, p. 111-112.
19 Michel Foucault, Naissance de la clinique, Paris, PUF, 1963, p. 63-86 ; Laurence Brockliss, « L’enseignement médical et la Révolution », dans Histoire de l’éducation, 42 (mai 1989). p. 86-96.
Ces officiers de santé devaient assurer des services médicaux permanents à la population rurale, mais ne pouvaient oeuvrer qu’à l’intérieur des départements où ils avaient reçu leur permis de pratique. Voir Andreas Holger Maehle, « History of Medical Ethics : 19th century (Europe) », dans W. Reich (dir.), Encyclopedia of Bioethics, Londres, Collier MacMillan, 1995 (2e éd.), p. 1546. Dans le roman de G. Flaubert, Madame Bovary, le mari de l’héroïne est un de ces « officiers de santé ».
20 Chester R. Burns, « North America : 17th to 19th Century », dans W. Reich (dir.), Encyclopedia of Bioethics, 1978 (1re éd.), Londres, Collier MacMillan, p. 965-967.
21 J. A. Brooks et Ann E. Kleine-Kraft, « Evolution of a Definition of Nursing », dans Advances in Nursing Science, 5 (juillet 1983), p. 51-85, notamment p. 65-66.
22 Jacques Bernier, La médecine au Québec, naissance et évolution d’une profession, Québec, Presses de l’Université Laval, 1989, p. 2-3 et 65-110 ; Denis Goulet, Histoire de la Faculté de médecine de l’Université de Montréal, 1843-1993, Montréal, VLB, 1993, p. 16-24 ; idem, Histoire du Collège des médecins du Québec 1847-1997, Montréal, Collège des médecins, 1997, p. 27-74 ; Charles-Marie Boissonnault, « Création de deux écoles de médecine au Québec », dans Cahiers d’histoire, 22 (1970), p. 70-74.
23 Dolan et al, p. 142-144.
24 Denise Francillon « Quand l’histoire des femmes se noue avec celle des infirmières », dans Perspective Soignante, 2 (sept. 1998), p. 117.
25 René Magnon, « Entre le sabre, le goupillon et la faculté », dans Marie-Françoise Collière et Evelyne Diébolt (dir.), Pour une histoire des soins et des professions soignantes, AMIEC, cahier no 10 (1988), p. 47-60.
26 M-F Collière, « Les soins à domicile, du pain aux pauvres honteux... à la pénicilline », dans Pour une histoire des soins et des professions soignantes, p. 187-234, notamment p. 209.
27 Nicole Rousseau, « De la vocation à la discipline », dans L’Infirmière canadienne, mai 1997, p. 41. Selon les travaux de l’historienne Baly, citée par Rousseau, Florence Nightingale n’aurait pas été formée au Kaiserwerth Hospital en Allemagne, comme on semble le croire, mais elle n’y aurait fait qu’un courte visite d’observation.
28 Rousseau, p. 42 ; Gloria M. Grippando, Nursing Perspectives and Issues, Albany (N.Y.), Delmar Publ., 1977, p. 204-206.
29 Denise Lalancette, « L’Ordre professionnel », dans Olive Goulet (dir.), La profession infirmière. Valeurs, enjeux, perspectives, Montréal, Gaétan Morin, 1993, p. 93-112.
30 Dolan et al, p. 171-189.
31 Édouard Desjardins, Suzanne Giroux et Eileen C. Flanagan, Histoire de la profession infirmière au Québec, Publication AIIQ, Saint-Jean, Les Éd. du Richelieu, 1970, p. 62 ; Grippando, p. 204-206 ; Lalancette, p. 94.
32 R. Castel, L’ordre psychiatrique, Paris, Éd. de Minuit, 1976, p. 142.
33 Foucault [1979], p. 23 ; Goubert [1981], p. 252-253 ; Philippe Meyer et Patrick Triadou, Leçons d’histoire de la pensée médicale, Paris, Odile Jacob (coll. Sciences humaines et sociales en médecine), 1996, p. 93 ; Gilles Voyer, Qu’est-ce que l’éthique clinique ?, Montréal, Fides (coll. Catalyses), 1996, p. 15-31 ; George Rosen, Front Medical Police to Social Medicine, New York, SHP, 1974, p. 231 ; I. Waddington, « The Role of the Hospital in the Development of Modem Medicine : A Sociological Analysis », dans Sociology, 7 (1973), p. 214 ; Keel, [1985], p. 223.
34 Rousseau, p. 41.
35 Dolan et al., p. 137-140.
36 Bariéty et Coury, p. 1158-1159 ; Meyer et Triadou, p. 73.
37 Jusqu’à tout récemment, les salles d’autopsie étaient souvent désignées par l’expression chez Morgagni.
38 Meyer et Triadou, p. 74 ; Keel [1985], p. 211 ; J. Goldstein, Console and Classify : The French Psychiatrie Profession in the Nineteenth Century, Chicago, University of Chicago, 1987, p. 60.
39 Bariéty et Coury, p. 1181.
40 Foucault [1981], p. 101.
41 Jean-Charles Sournia, Histoire de la médecine, Paris, La Découverte, 1992, p. 218-219 ; Meyer et Triadou, p. 88-93.
42 Bariéty et Coury, p. 660-668 ; Meyer et Triadou, p. 124-131 ; Sournia, p. 209-214. Patrice Boussel, Histoire de la médecine et de la chirurgie de la Grande Peste à nos jours, Paris, Éd. de la Porte verte, 1979, p. 204-206.
À moins d’indication contraire, les références qui suivent sont tirées de l’Introduction à l’étude de la médecine expérimentale, Paris, Garnier-Flammarion, 1966.
43 Selon Louise L. Lambrichs, l’expression n’est pas très exacte, d’une part parce que Bernard s’inscrit dans une lignée de chercheurs qui mériteraient autant que lui ce titre (Laënnec, Lavoisier, Laplace, surtout Magendie ; Spallanzani ; Virchow, Ludwig), et, d’autre part, parce qu’il a restreint son champ de recherche à la physiologie expérimentale, et non à la médecine comme telle qu’il n’a jamais voulu pratiquer quoique médecin lui-même (La vérité médicale, Paris, Laffont, 1993, p. 12,147-154, 232).
44 Claude Bernard, Leçons sur les effets des substances toxiques et médicamenteuses, Paris, 1857, p. 23-24.
45 Meyer et Triadou, p. 111 ; 128.
46 J. Hunter avait déjà élaboré cette problématique histologique (voir chap. 4, p. 155).
47 Bariéty et Coury, p. 654-657 ; Paul Weindling, « From Infections to Chronic Diseases : Changing Patterns of Sickness in the Nineteenth and Twentieeth Centuries », dans Andrew Wear, déjà cité, p. 307.
48 Cité par Bariéty et Coury, p. 703.
49 Bariéty et Coury, p. 626-644.
50 Dolan et al., p. 152 ; Sournia, p. 241-242 ; Meyer et Triadou, p. 135 ; Sherwin B. Nuland, Les héros de la médecine, Paris, Presses de la Renaissance, 1989, p. 225-245.
51 Dolan et al, p. 230 ; Boussel, p. 193 ; Sournia p. 240 ; Meyer et Triadou, p. 135.
52 Meyer et Triadou, p. 181-182.
53 Bariéty et Coury, p. 576.
54 Boussel, p. 193 et 199-201 ; Sournia, p. 222-226 ; Meyer et Triadou, p. 167-179.
Malgré l’apport indéniable de Pasteur au développement de la médecine, certains aspects de son travail, notamment pendant la période où il s’occupe de la rage, sont l’objet de controverses : utilisation sans le mentionner des découvertes de collaborateurs et d’autres chercheurs, mensonge sur produits employés, risque démesuré, manque de rigueur méthodologique, geste euthanasique (voir Louise L. Lambrichs, La vérité médicale, Paris, Robert Laffont, 1993).
55 Dolan et al, p. 230-231.
56 Weindling, p. 310 ; Sournia, p. 227-230.
57 Rousseau, p. 42.
58 Voir les discussions de Meyer et Triadou à cet égard, p. 111-116.
59 Claude Bernard, Introduction à l'étude de la médecine expérimentale, p. 109.
60 Foucault [1979], p. 7.
61 Othmar Keel, Cabanis et la généalogie épistémologique de la médecine clinique, thèse de doctorat, Université McGill, 1977 ; idem, La généalogie de l’histopathologie. Une révision déchirante. Philippe Pinel, lecteur discret de James Carmichael Smyth (1741-1821), Paris, Vrin, 1979 ; idem, « La pathologie tissulaire de John Hunter », dans Genesrus, 37 (1980), p. 47-61 ; idem, « La problématique institutionnelle de la clinique de la fin du XVIIIe siècle aux années de la Restauration », dans Bulletin canadien d’histoire médicale, 2/2 (1985), p. 183-204.
62 Nicholas D. Jewson, « The Disappearance of the Sick Man from Medical Cosmology, 1770-1870 », dans Sociology - The Journal of the British Sociological Association, 10/2 (mai 1976) 225-244.
63 Stanley Joël Reiser, Medicine and the Reign of Technology, Cambridge, Cambridge University Press, 1978, p. 43-44. Voir aussi Goubert, « La médicalisation de la société française, 1770-1830 », dans Réflexion historique, vol. 9, nos 1 et 2 (1982), 6 ; Keel, [1985] p. 213.
64 Collière, Promouvoir la vie. De la pratique des femmes soignantes aux soins infirmiers, Paris, Inter Éditions, 1982, p. 296.
65 Cité par Collière, [1982] p. 296.
66 Extraits du Congrès International du Nursing (Chicago, 1893).
67 Foucault [1979], p. 7 ; Hanaway, p. 108 ; Léonard [1981] p. 64 ; Goubert [1982], p. 6.
68 Goubert [1982], p. 6 ; Hanaway, p. 108 ; Castel [1976], p. 141.
69 K. Hébert, « La médicalisation, évolution du discours médical français aux XVIIIe et XIXe siècles », dans Cahiers d’histoire, vol. XVIII, no 1 (printemps 1998), p. 44,48-50 ; M. Sirois, « De Vicq d’Azir à Pasteur. Le long combat de la médicalisation en France (1750-1900) », dans Cahiers d’histoire, vol. XVIII, no 1 (printemps 1998), p. 104 et 108.
70 Goubert [1981], p. 246-247 et [1982] p. 5.
71 Léonard, p. 64.
72 F. E. Fodéré, Essai historique et moral sur la pauvreté des nations, Paris, Marne, 1813, p. 3.
73 Cité par Castel, [1976] p. 142.
74 B. A. Morel, « Préface » au Traité des dégénérescences physiques, intellectuelles et morales de l’espèce humaine, Paris, J. B. Baillière, 1857.
75 Philippe Pinel, Traité médico-philosophique sur l’aliénation mentale, Paris, 1809, p. 492. Voir aussi Danielle Laudy, « Les aliénistes des XVIIIe et XIXe siècles. Élite d’utopistes ou instruments de contrôle social ? », dans Cahiers d’histoire, vol. XVIII, no 1 (printemps 1998), p. 74-78.
76 Georges Minois, L’Église et la science. Histoire d’un malentendu, tome 2, De Galilée à Jean-Paul II, Fayard, 1991, p. 209-214.
77 Idem, p. 209.
78 Idem, p. 210.
79 Idem, p. 213. Voir aussi Yves-Marie Bercé, Le chaudron et la lancette. Croyances populaires et médecine préventive, Paris, Presses de la Renaissance, 1984.
80 A. H. Maehle, p. 1547.
81 Thomas Percival, Medical Ethics : Or a Code of Institutes and Precepts, Adapted to the Professional Conduct of Physicians and Surgeons, Londres, J. Johnson et R. Bickerstaff, 1803.
82 Guy Bourgeault, L’éthique et le droit face aux nouvelles technologies médicales, Montréal, Les Presses de l’Université de Montréal, 1990, p. 190-191.
83 Roy Porter, « History of Medical Ethics : Europe (Great Britain) in the Nineteenth Century », dans W. Reich (dir.), Encyclopedia of Bioethics, 2e éd., 1995, p. 1551.
84 Idem, p. 1550-1551 ; Laurence B. McCullough, « Britain and the United States in the 18th Century », dans W. Reich (dir.), Encyclopedia of Bioethics, 1978 (1re éd.), p. 960.
85 McCullough, p. 961-962.
86 Albert J. Jonsen, « History of Medical Ethics : Introduction to the Modem Period », dans W. Reich (dir.), The Encyclopedia of Bioethics, 1978 (1re éd.), p. 952.
87 Porter, p. 1551.
88 Maehle, p. 1545.
89 Maehle, p. 1546.
90 Idem, p. 1546-1547.
91 Porter, p. 1551-1552.
92 Ibidem.
93 Idem, p. 1553.
94 Burns, p. 965-967.
95 Idem, p. 966.
96 Ibidem ; David J. Roy et John Williams, « History of Medical Ethics : The Americas (Canada in the 19th Century) », dans W. Reich (dir.), Encyclopedia of Bioethics, 1995 (2e éd.), p. 1632-1633.
97 Goulet, p. 45.
98 Burns, p. 1633.
99 John R. Williams, « Revision of the Code of Ethics : A Backgrounder for the CMA Annual Meeting », dans Canadian Medical Association Journal, 151 (1994), 209-211.
100 Selon Locke, il y certains droits individuels indépendants de tout régime politique. Tout régime politique qui se prétend juste doit reconnaître ces droits. Un de ceux-ci, c’est le droit à la santé. En conséquence, dans toute société démocratique, on s’attend à ce que les devoirs des médecins soient dus à leurs patients directement et non à l’État (McCullough, p. 958).
101 McCullough, p. 953.
102 Idem, p. 953-959.
103 Idem, p. 961.
104 Claude Bernard, Introduction à l’étude de la médecine expérimentale, Paris, GarnierFlammarion, 1966. Les citations qui suivent sont tirées de cette édition.
On trouve aussi quelques notes sur l’éthique de C. Bernard dans Claire Ambroselli, L’éthique médicale, Paris, PUF (coll. Que sais-je ?, 2422), 1988 ; David Rothman, « Were Tuskegee and Willowbrook “Studies in Nature” ? », dans Hastings Center Report, 12/2 (avril 1982), p. 5 ; Pierre Gendron, Claude Bernard, rationalité d’une méthode, Paris, Vrin, 1992, p. 84-88.
105 L’auteur dit : « Le principe de moralité médicale et chirurgicale ». Strictement, il devrait dire « un principe », car la phrase précédente, en parlant de devoirs et de droits, exprime bien un premier principe de moralité : celui de chercher positivement le bien du patient.
106 Des chercheurs de son époque, en particulier ceux qui s’intéressent au comportement des bactéries, n’hésitent pas à infecter des mourants (Albert Jonsen, The Birth of Bioethics, Oxford, Oxford University Press, 1998, p. 127).
107 Maehle, p. 1547.
108 Ibidem.
109 Ibidem.
110 Albert Jonsen [1998], p. 128, citant Vikenti Veressaïev (V. V. Smidovitch), Memoirs of a Physician, trad. Simeon Liden, New Yord, Alfred Knopf, 1916, reproduit dans Jay Katz, Experimentation with Human Beings, New York, Russell Sage Foundation, 1972, p. 284-291.
111 Cité par Desjardins et al., p. 105.
112 Patsy Kilpatrick Keyser, From Angels to Advocates : The Concept of Virtue in Nursing Ethics front 1870 to 1980, dissertation présentée à la Faculty of Texas à Dallas, mai 1989.
113 Ibidem.
114 L. Freitas, « Historical Roots and Future Perspectives Related to Nursing Ethics », dans Journal of Professional Nursing, 6/14 (1990), p. 197-205.
115 Grippando, p. 83.
116 Keyser, déjà cité.
117 D. C. Viens, « A History of Nursing’s Code of Ethics », dans Nursing Outlook, 37/1 (1989).
118 J. Calhoun, « The Nightingale Pledge. A Commitment that Survives the Passage of Time », dans Nursing and Health Care, 14/3 (1993).
119 Voir la citation, page 209.
120 McCullough, p. 961.
121 Hoerni et Bénézech, Le secret médical. Confidentialité et discrétion en médecine, Paris, Masson, 1996, p. 9-11 ; Raymond Villey, Histoire du secret médical, Paris, Seghers, 1986, p. 55-73 (citation, p. 67).
122 Villey, p. 71-73.
123 Tom L. Beauchamp et Ruth R. Faden, « History of Informed Consent », dans W. Reich (dir.), Encyclopedia of Bioethics, 1995 (2e éd.), p. 1233.
124 Martin S. Pernick, « The Patients Role in Medical Decision Making : A Social History of Informed Consent in Medical Therapy », dans Making Health Care Decision, U.S. President's Commission for the Study of Ethical Problems in Medicine and Biomedical and Behavioral Research, vol. 2,1982.
125 Marie-Hélène Parizeau, Le concept éthique de consentement à l’expérimentation humaine, thèse de doctorat, Université de Paris, Val-de-Marne, 1988, p. 239-250. L’auteure s’inspire beaucoup de R. Faden et T. Beauchamp, A History and Theory of Informed Consent, Oxford, Oxford University Press, 1986. Voir aussi Guy Bourgeault, p. 190-191.
126 John T. Noonan, Contraception et mariage. Évolution ou contradiction dans la pensée chrétienne, traduit de l’américain par M. Jossua, Paris, Cerf, 1969 (éd. amér., 1966), p. 491,513-514.
127 Le physiologiste Félix Archimède Pouchet montrait en 1845, à partir d’observations faites sur les animaux que, chez tous les mammifères, la conception ne se produisait qu’au cours de la menstruation et de un à douze jours après les règles. Voir F. A. Pouchet, Théorie positive de l’ovulation spontanée et de la fécondation des mammifères et de l’espèce humaine, basée sur l’observation de toute la série animale, Paris, 1847 (Noonan, p. 555-556).
128 Noonan [1969], p. 526, 559-560, 623.
129 Albert Jonsen [1998], p. 298 ; Noonan, p. 522.
130 John T. Noonan et al, The Morality of Abortion : Legal and Historical Perspectives, Cambridge (Mass.), Harvard University Press, 1970, p. 36-39.
131 Jonsen [1998], p. 287-288.
132 Idem, p. 288-289.
133 Idem, p. 303, citant John Kobler, The Reluctant Surgeon : A Biography of John Hunter, Garden City (N.Y.), Doubleday and Company, 1960 p. 283, ainsi que A. D. Hard, « Artificial Impregnation », dans Medical World, 27 (1909), p. 136. Voir aussi Guy Durand, Quel avenir ? Les enjeux de la manipulation de l’homme, Montréal, Leméac (coll. Quel ?), 1978, p. 92-93 ; G. Leach, Les biocrates manipulateurs de la vie, Seuil, 1973, p. 87-105.
134 Jonsen [1998], p. 233, citant Chauncey Leake (dir.), Percival's Medical Ethics, Baltimore, Williams et Wilkins, 1927, II, III, p. 91.
135 Maehle, p. 1545.
136 Jonsen [1998], p. 233. citant C. F. H. Marx, « Medical Euthanasia », dans Journal of the History of Medicine and Allied Sciences, 7 (1972), p. 404-416.
Notons, pour comparer avec le vocabulaire actuel, que chez Carl F. H. Marx, le mot euthanasie a une connotation positive et que l’éditorialiste de Boston traite de l’arrêt de traitement et non du fait de provoquer intentionnellement la mort (voir chap. 4, p. 175, n. 101).
137 Idem, p. 234, citant « Permissive Euthanasia », dans Boston Medical and Surgical Journal, p. 20 (1884).
138 Margaret P. Battin, « Suicide », dans W. Reich (dir.), Encyclopedia of Bioethics, 1995 (2e éd.), p. 558-559.
139 Bruce W. Fye, « Active Euthanasia : An Historical Survey of its Conceptual Origins and Introduction into Medical Thought », dans Bulletin of History of Medicine, 52/4 (1978), p. 492-502.
140 Harold Van der Pool, « Death and Dying : Euthanasia and Sustaining Life », dans W. Reich (dir.), Encyclopedia of Bioethics, 1995 (2e éd.), p. 558.
141 Léon Daudet, Souvenirs des milieux littéraires, politiques, artistiques et médicaux, Paris, Nouvelle librairie nationale, 1920, p. 204-205. L’anecdote est aussi rapportée par Olivier Postel-Vinay, dans Science et Vie, 801 (janvier 1984), p. 33.
142 René Vallery-Radot, Vie de Pasteur, p. 632. Voir aussi R. Lépine, « Non, Pasteur n’a pas pratiqué l’euthanasie », dans Science et Vie, 808 (janvier 1985), p. 71.
Dans l’analyse minutieuse qu’elle fait de l’oeuvre de Pasteur, y compris de cette anecdote, Louise L. Lambrichs ne tranche pas, ni sur le nombre de Russes soignés (6,19 ou 24), ni sur leur sort (décès ou guérison). Elle insiste seulement sur la difficulté de connaître la vérité historique et sur l’habitude de cacher certains faits pour ne pas nuire au développement de la science ou à la réputation des grands scientifiques (p. 98-105).
143 Jean Sutter, L’eugénique. Problèmes, méthodes et résultats, Paris, PUF, 1950, p. 15-34 ; Stanislas de Lestapis, art. « Eugénisme », dans Catholicisme, t. 14, col. 679-680 ; Van der Pool, p. 167 ; Jonsen, p. 168 ;
144 Van der Pool, p. 167, citant Charles Darwin, Descent of Man and Selection in Relation to Sex, New York, Appleton, 1922 (2e éd.), p. 136.
145 Sutter, p. 19.
146 Idem, p. 22.
147 J. H. Baudet et J. M. Pelisse, « La vaccination jennerienne », dans La Presse médicale, 25 déc. 1969, p. 2118.
148 Maehle, p. 1547.
149 Georges Chapouthier, « Réflexion éthique sur la pratique de l’expérimentation », dans T. Leroux et L. Létourneau (dir.), L’être humain, l’animal et l’environnement. Dimensions éthiques et juridiques, Montréal, Thémis, 1996, p. 33-46 ; Pierre Gendron, « Expérimentation animale et responsabilité scientifique », dans idem, p. 63-76 ; Lise Houde, « Bases historiques et contemporaines de l’expérimentation animale », dans idem, p. 47-55.
150 Claude Bernard, Introduction à l’étude de la médecine expérimentale, Paris, Garnier-Flammarion, 1966, p. 153.
151 Idem, p. 154.
152 Houde, p. 49-50, repris parfois presque textuellement.
153 Sylvio Leblond, « Les voleurs de cadavre ou “résurrectionnistes” », dans Cahiers d’histoire, 22 (1970), p. 154-173.
Notes de fin
1 Comme pour le période précédente, celle-ci se termine un peu avant la fin du siècle. Elle s’étend approximativement de 1780 à 1880.
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