Chapitre 4. Le début des Temps modernes (XVIIe et XVIIIe siècles)
p. 137-179
Texte intégral
1Le développement du commerce, le début de l’industrialisation, les découvertes scientifiques, l’esprit du protestantisme entraînent le déplacement du centre économique de l’Europe. L’humanisme des deux siècles précédents se transforme et entraîne le courant philosophique des Lumières centré sur le triomphe de la raison, cette fois en opposition à la croyance religieuse1.
2En médecine, un nouveau paradigme s’impose, fondé sur le dualisme corps-esprit développé en particulier par Descartes. Le corps humain est désormais considéré comme une machine et doit être traité comme tel. La personne du malade s’efface au profit de l’organe malade. C’est le début de la méthode anatomo-clinique. À côté de cette médecine en progrès, la pratique infirmière s’avère modeste, sinon marginale et dévalorisée, sauf dans certaines initiatives.
3En marge de la pensée chrétienne se développe de plus en plus une éthique déontologique centrée sur les devoirs et obligations des professionnels de la santé.
INTRODUCTION SOCIOCULTURELLE
4Au-delà des troubles politiques qui ponctuent l’époque, on peut relever quelques faits majeurs qui l’ont marquée : l’importance accrue des États territoriaux, le déplacement de l’économie vers les États du Nord et les débuts de la révolution industrielle. Au plan des idées, l’époque est marquée par la naissance du capitalisme et l’influence de la philosophie des Lumières.
Principaux événements
5La mort de Philippe II d’Espagne en 1598 et celle d’Élizabeth d’Angleterre en 1603 semblent sonner le glas de l’État de la Renaissance, c’est-à-dire de cette grande bureaucratie royale dirigée par une masse de courtisans et d’officiers où le gaspillage était à l’honneur1.
6Toutefois, pour l’Europe occidentale et centrale, ce qui va marquer le passage des temps médiévaux à l’époque moderne, c’est la guerre de Trente Ans (1618-1648), opposant les princes allemands protestants à l’autorité impériale catholique, le Saint-Empire romain germanique. Le traité de Westphalie qui met fin à cette guerre ébranle deux forces oppressives traditionnelles : la dynastie des Habsbourgs et l’Église catholique. Ceci aura aussi comme résultat une importance accrue des États territoriaux aux dépens des empires.
7Ces États connaissent toutefois au XVIIe siècle une crise sociopolitique importante. Les troubles de la Fronde en France, le coup d’État aux Pays-Bas, les troubles dans l’Empire espagnol, les révoltes en Andalousie et à Naples sont des signes avant-coureurs du déclin de la monarchie aristocratique. Les deux révolutions en Grande-Bretagne vont permettre, dès le début du XVIIIe siècle, l’avènement d’une monarchie parlementaire.
8Pendant ce temps, la monarchie absolue en France demeure. Elle est accompagnée de grands progrès industriels, économiques et scientifiques. Mais en 1685, la révocation de l’édit de Nantes, qui protégeait les protestants et les calvinistes en particulier, occasionne une forte émigration de ces derniers vers les Pays-Bas, la Suisse et l’Outre-Rhin. Quelques années plus tard, c’est le début des hostilités entre la France et la Grande-Bretagne : elles dureront pratiquement un siècle. La lutte pour la suprématie en Europe et la domination des mers, liée au contrôle du commerce avec les Indes, l’Afrique occidentale, les Antilles et l’Amérique du Nord, se soldent par le traité de Paris en 1763 qui consacre la suprématie des Anglais sur la France et l’Espagne ruinées par les guerres et les dépenses aux colonies.
L’économie en mouvement
9Si on peut parler d’un phénomène qui dépasse les guerres et les changements sociaux accompagnant cette époque, c’est le déplacement du centre de gravité économique de l’Europe du sud au nord, c’est-à-dire de la Méditerranée catholique à la mer du Nord protestante. Deux puissances sont à l’origine de cet état de choses qui prépare l’ère industrielle de la deuxième moitié du XVIIIe siècle : l’Angleterre et les Provinces-Unies des Pays-Bas2.
10Comme on l’a vu, le règne des princes s’effondre graduellement au profit des États territoriaux qui veulent revenir au mercantilisme des cités, tel que l’avaient connu Venise et Gênes aux XVe et XVIe siècles. Fondé sur l’intérêt de la société en matière économique, ce mercantilisme s’appuie sur la croissance de la production manufacturière et le développement des marchés du Nouveau Monde. C’est ainsi qu’Amsterdam, principal centre d’activités des Pays-Bas, devient au cours du XVIIe siècle la Venise du Nord. Tout comme l’Angleterre, les Provinces-Unies connaissent une affluence sans précédent due au commerce et à la finance. Ces changements viennent bouleverser une société traditionnelle dont le prestige jusque-là était fondé sur la terre, la naissance et les privilèges (ce qu’on a appelé l’Ancien Régime). La France, sous une partie du règne de Louis XIV, réussit à allier privilèges à réussite économique, alors que l’Espagne n’y parvient pas.
La nouvelle culture
11Sur le plan des idées, le souffle de liberté apparu avec la Réforme du XVIe siècle (Luther, Calvin et Henri VIII) entraîne une réduction de l’influence de l’Église catholique et permet l’émergence d’un courant de pensée antireligieux. Les méthodes de recherche scientifique prônées par Francis Bacon (1561-1626), Thomas Hobbes (1588-1679) et John Locke (1632-1704) remettent en question l’autoritarisme et la pensée déductive des autorités philosophiques, théologiques et scientifiques de l’époque précédente. Locke en particulier va défendre le droit de propriété et la liberté de contrat, ce qui va mener directement à la philosophie fondamentale du capitalisme3.
12Au plan des sciences naturelles, les hommes commencent à se poser des questions auxquelles ils s’attendent à trouver des réponses rationnelles basées sur des faits. Cette méthode de raisonnement mène à l’observation objective et aux expérimentations physiques et physiologiques formant la base des sciences naturelles modernes. Les mathématiques et la physique se développent avec Galilée, Descartes et Newton. Cette attitude scientifique va aussi mener à la fondation de la médecine moderne dont Harvey (1578-1657) et Sydenham (1624-1689) sont les précurseurs.
13L’Ancien Régime avait hérité du Moyen Âge un ensemble d’idéaux qui exaltaient les vertus militaires et chrétiennes — le courage, le dévouement, l’austérité et le sacrifice —, de sorte que l’armée et l’Église se complétaient, et que leurs membres possédaient une égale dignité. Cet idéal est contesté par les nouveaux philosophes. Ces derniers prônent que la conduite humaine, tout comme l’univers matériel, est justiciable de l’examen scientifique, et que la société et le gouvernement doivent être étudiés scientifiquement dans l’intérêt du bonheur purement humain. Leurs attaques les plus violentes sont dirigées contre l’Église catholique que la plupart d’entre eux considèrent comme la source de la superstition et le plus grand obstacle à l’étude rationnelle des problèmes de la vie et des gouvernements4. Cette culture centrée sur la foi en la raison sera appelée les Lumières. Son monument fétiche s’avère l’Encyclopédie, ouvrage de vulgarisation scientifique et philosophique du milieu du XVIIIe siècle.
SITUATION SANITAIRE
14Guerres, famines, maladies continuent à faire des ravages. L’émigration vers les Amériques s’accroît considérablement. Dans la plus grande partie de l’Europe, la croissance de la population, caractéristique du XVIe siècle, s’interrompt au cours des dernières années du siècle pour faire place à une stagnation, sinon à un recul, qui se prolonge jusqu’au milieu du XVIIIe siècle.
Épidémies
15À cette époque troublée, l’hygiène alimentaire demeure précaire. Certaines populations déshéritées, soumises à une nourriture insuffisante ou mal équilibrée, paient un lourd tribut aux maladies par carence. Le scorbut continue à décimer les gens de mer, du moins jusqu’au milieu du XVIIIe siècle5.
16Les maladies infectieuses continuent à faire d’énormes ravages, au moins jusqu’au milieu du XVIIIe siècle. Seule la lèpre est en franche régression. Elle se cantonne désormais aux régions tropicales des quatre autres continents. Durant tout le XVIIe siècle, et jusqu’en 1750, la peste bubonique, vieux legs du Moyen Âge, fait des millions de morts en Italie, en Hollande, en Allemagne et en Prusse. Au XVIIIe siècle, le typhus, la diphtérie, la coqueluche, la fièvre scarlatine, les oreillons et l’influenza (grippe) font de nombreuses victimes, surtout qu’on ne connaît pas l’origine de ces maladies infectieuses. Mais il y a aussi différentes affections exotiques, importées pour la plupart des Indes ou des Amériques, qui font leur apparition en Europe. La plus virulente est la fièvre jaune, appelée aussi vomito negro, qui atteint des endroits aussi distancés que Lisbonne, Philadelphie et la Guadeloupe.
17Au XVIIe siècle, le record de malignité et de diffusion revient toutefois à la malaria (fièvre palustre) et, au XVIIIe, à la variole (petite vérole). Les fièvres palustres intermittentes entretiennent une mortalité considérable, plus spécialement dans les plaines marécageuses du littoral italien. Ainsi, à Rome, pendant le concile de 1623, huit cardinaux et trente religieux succombent au mal. Quant à la petite vérole, on évalue à 40 000 le nombre de décès annuels en Angleterre au XVIIIe siècle.
Facteurs démographiques
18Même s’il n’y a pas de comparaison possible entre le nombre catastrophique des mortalités dues à la peste noire au XIVe siècle et celles que l’on retrouve à l’époque moderne pré-industrielle, la progression démographique y est très lente. Des crises de subsistance répétées frappent toutes les régions de l’Europe : une longue histoire d’intempéries s’échelonne de façon intermittente de 1590 à 1740 et influence nécessairement les récoltes. Les prix des denrées de base augmentent. S’ajoutent les affres de la guerre et celles de la peste, du moins jusqu’en 16856.
19Les malheurs de la guerre de Trente Ans (1618-1648) affectent principalement l’Europe centrale et l’Allemagne, provoquant morts, disette et abandon des cultures. La simultanéité de la guerre et de la peste fait diminuer dramatiquement les populations de ces régions. Ainsi l’ensemble Bohême-Moravie-Silésie comptait 4 millions d’âmes avant la guerre et à peu près 2,5 millions en 1650. La population de l’Allemagne en 1700 est inférieure à son niveau de 1600 ; elle ne le retrouve que vers 1750, un siècle après la fin de la guerre.
20Dans les grandes villes d’Italie, la population régresse. Venise et Pavie sont caractéristiques à cet égard. Ce fléchissement correspond à la dégradation progressive de l’économie, au déclin de la zone méditerranéenne, supplantée par la zone atlantique. L’activité diminue et, avec elle, les ressources. La morbidité s’accroît : à Venise, l’âge moyen au décès est de 30 ans en 1700. La nuptialité fléchit et le nombre de familles s’abaisse. Même aux Pays-Bas, la population stagne entre 1700 et 1750. En France, une certaine stabilité démographique se maintient. Les rois savent transporter les guerres hors du territoire et Colbert, par son édit de 1666, craignant la dépopulation, accorde une pension de 1000 livres aux pères de 12 enfants vivants.
21Le cas le plus intéressant demeure celui de l’Angleterre. La peste à Londres fait 100 000 victimes sur une population de 400 000 habitants en 1665. Trente ans plus tard, 50 % de la population de l’Angleterre a moins de 20 ans. Jusqu’en 1740 la mortalité infantile est toutefois très élevée : 516 sur 1000 en 1730 et 300 sur 1000 en 1740. Mais comme nous le verrons au chapitre suivant, la deuxième moitié du XVIIIe siècle change complètement les données démographiques.
22En Amérique, en 1642, la Nouvelle-France ne compte que 450 habitants. L’arrivée de milliers de colons et des Filles du Roy envoyées par Colbert va faire en sorte qu’en 1740 la population s’élève à 60 000 habitants. Malgré épidémies et disettes dans un climat très rude, la fécondité est très élevée. Le nombre d’enfants par famille se situe entre huit et neuf. Mais il y a aussi un grand nombre de décès chez les femmes avant l’âge de 50 ans et un taux de mortalité infantile de 245 décès pour 1000 naissances.
23Plus au sud, aux États-Unis d’Amérique, on n’a pas de statistiques sur l’émigration européenne de cette époque. On sait cependant que des milliers d’esclaves noirs ont peuplé les États du Sud. En 1700, la population américaine est estimée à 275 000 habitants, pour atteindre 889 000 en 1740. Faute d’études démographiques sérieuses, on ne connaît pas les taux de fécondité par famille ni ceux de la mortalité infantile, ce qui aurait pu expliquer en partie l’accroissement considérable de la population.
ORGANISATION DE LA MÉDECINE ET DES SOINS INFIRMIERS
24Les exigences populationnistes confrontées aux épidémies contraignent les autorités politiques à exercer une responsabilité de plus en plus marquée à l’égard des soins médicaux. Une véritable politique de santé émerge ainsi peu à peu, tandis que la formation et la pratique des soignants deviennent de plus en plus institutionnalisées.
Politique de santé
25Dans les pays d’Europe de l’Ouest, les fonctions de législation médicale et d’assistance étaient traditionnellement sous la responsabilité des autorités locales. L’ampleur des épidémies et des épizooties (qui frappent les animaux) liée aux perspectives populationnistes démontre l’insuffisance de cette approche. La guerre de Trente Ans avait déjà soulevé le problème de l’hygiène des troupes sans qu’on y donne vraiment suite. L’avènement des grandes agglomérations urbaines et leurs mauvaises conditions sanitaires aggravent la situation dès le début du XVIIIe siècle. Le bien-être de la population et, de là, la prospérité économique de l’ensemble du pays se trouvent menacés. La réponse doit être organisée et efficace. Elle sera à la fois politique et médicale.
26En Angleterre, en Suisse et en France, les pouvoirs politiques prennent de plus en plus conscience de la nécessité de mesures visant à améliorer le bien-être des populations. L’épidémie de peste de 1720 conduit le Parlement britannique à adopter des règlements à visées sanitaires et à appliquer de rigoureuses mesures de quarantaine et de désinfection par aération et fumigation. La Suisse publie des manuels d’hygiène alimentaire. En France, dans la foulée de la centralisation amorcée par Louis XIII, Louis XIV intervient pour prendre les mesures globales nécessaires à la protection de ses sujets. Administrateurs et médecins se retrouvent au coude à coude dans une même bataille. Les intendants du roi organisent les secours ; ils le font sur la base des avis fournis par les grandes facultés telles que celles de Montpellier ou de Paris et en s’adjoignant l’aide des médecins sur le terrain7. Les limites thérapeutiques attirent en outre l’attention sur la nécessité de la prévention, comme l’illustre l’importance accordée à l’expertise sanitaire en matière d’eau8. Combattre les épidémies exige une action concertée État-médecins. À la fin du XVIIe, la France est particulièrement bien organisée. « Dans chaque subdivision, un médecin et plusieurs chirurgiens sont désignés par l’intendant pour suivre les épidémies qui peuvent se produire dans leur canton ; ils se tiennent en correspondance avec le médecin en chef de la généralité. » Il apparaît de plus en plus clairement que, pour être efficace, cette politique devrait être doublée d’une police, c’est-à-dire d’un corps d’inspecteurs de santé. En 1776, effectivement, l’État crée la Société royale de médecine avec pouvoir d’enquête, d’étude et de prescription. Elle est en conflit avec la Faculté9.
27Au niveau de la santé publique, le principal événement est toutefois la médecine du travail. C’est Bernadino Ramazzani da Carpi (1633-1714) qui aborde cet aspect pour la première fois. Dans son traité De morbis artificum paru à Modène en 1700, il décrit des maladies liées à une cinquantaine de métiers différents. Soucieux de prévention avant tout, il indique les moyens d’éviter ces maladies ainsi que certaines règles de travail et d’hygiène collective10.
28L’humanisme des Lumières et l’utilitarisme économique se rejoignent ainsi pour préconiser une surveillance étatique de la santé publique et, de façon plus concrète, l’élaboration d’une politique de santé permettant la gestion rationnelle du corps social et du capital humain11. Dans ce contexte de raison d’État, l’efficacité perçue en termes collectifs devient peu à peu le mot d’ordre prévalant dans l’organisation des soins de santé. C’est dans cette perspective qu’il importe d’évaluer dans quelle mesure la médecine (médecins et autres soignants) se révèle capable de répondre à la nouvelle tâche qui lui est confiée.
Formation des soignants
Les médecins
29Pour être efficaces, les médecins doivent désormais disposer d’une formation socialement reconnue. L’effort entrepris à cet égard depuis la fin du Moyen Âge n’empêche pas que cette formation demeure très disparate jusqu’au XVIIIe siècle. Leur seul point commun semble résider dans le Serment d’Hippocrate12.
30Les chirurgiens et les apothicaires sont considérés comme des travailleurs manuels et suivent un apprentissage pratique. En France, seuls les maîtres chirurgiens suivent quatre ans d’études dans leur collège afin d’obtenir le titre de « chirurgien de longue robe » (voir le chapitre précédent). Une école de chirurgie est pourtant fondée en 1724 contre la volonté de la Faculté de médecine.
31Les médecins, eux, fréquentent l’université et obtiennent un doctorat. Cette formation suscite pourtant elle-même de nombreux reproches. À la veille de la Révolution de 1789, les médecins sont encore formés selon les directives des décrets de Marly datant de 1707. Ce décret stipulait que la médecine serait enseignée dans toutes les universités du royaume qui avaient ou avaient eu une faculté ; que les étudiants ne recevraient leur diplôme qu’après trois ans d’études dûment vérifiées ; que chaque année ils subiraient un examen avant de recevoir le titre de bachelier, de licencié et de docteur ; qu’ils devraient assister obligatoirement aux cours d’anatomie, de pharmacie chimique et galénique et aux démonstrations de plantes13. Les écoles de médecine sont trop nombreuses ; elles dispensent un enseignement exclusivement théorique, négligent les progrès accomplis en mathématique et en physique et suivent des programmes souvent incohérents basés sur des examens superficiels14.
32Selon l’historien Laurence Brockliss, ces accusations, en général fondées, sous-estiment pourtant l’effort d’institutionnalisation entrepris et se révèlent trop négatives sur quelques points15. Elles se réfèrent en premier lieu à des facultés moyennes, sous-estimant Paris et Marseille. Elles négligent aussi le fait que des possibilités d’instruction pratique sont largement répandues et utilisées, soit sous la forme d’un système de semi-apprentissage selon lequel l’étudiant s’attache à un médecin hospitalier ou devient assistant dans une clinique privée, soit sous le mode d’inscription à des cours privés d’anatomie, de chirurgie et de matières médicales. Il lui est alors possible de disséquer lui-même, d’apprendre l’art de préparer les échantillons anatomiques, de faire des expériences et même des interventions chirurgicales. Il importe en outre de noter que, si les facultés assurent la formation théorique, les corporations doivent vérifier l’ensemble de la formation des médecins, y compris son aspect pratique. Ces exigences sont appliquées dès 1735 à Paris. L’existence de seulement 34 corporations rend cette vérification incertaine à la campagne, mais la formation est certainement meilleure que l’on croit dans les villes. Les critiques adressées à la formation médicale, continue Brockliss, sous-estiment finalement un dernier élément pourtant fondamental : l’émergence d’une nouvelle approche empirique axée sur l’observation et l’accumulation d’informations sur chaque maladie. Cette quête de formation plus structurée et ce nouvel angle d’approche préparent en fait la voie aux mutations plus fondamentales qui vont caractériser la fin du XVIIIe siècle.
33La médecine française n’est pas un cas isolé puisque les mêmes changements se retrouvent à la même époque dans d’autres grandes capitales européennes. Ainsi, l’Italien Morgagni, par ses dissections, ouvre la porte à la quête des lésions internes. À Londres, les frères Hunter créent une école de médecine et de chirurgie basée sur la dissection et l’observation des lésions des organes et tissus. Cette école forme un très grand nombre d’élèves, au moins 3000 en 27 ans incluant des élèves américains, et est à la base de plusieurs publications16. Des foyers médicaux concurrents et puissants se constituent ainsi dans nombre de villes européennes.
34Par contre, aucun contrôle public ou émanant d’une quelconque autorité ne vient régir la préparation des médicaments. Chaque apothicaire réalise ses propres mélanges et certains médecins se joignent à eux pour vendre des « potions miraculeuses » sur les champs de foire, développant ainsi le scepticisme et les sarcasmes de la population à l’égard des thérapies médicamenteuses17.
35La Nouvelle-France connaît aussi des hommes de l’art : médecins, chirurgiens, barbiers, apothicaires. Durant le Régime français, jusqu’en 1759, la plupart viennent de France. Pour les autres, « on se transmettait les connaissances de pères en fils ou de patrons à apprentis. On ne passait pas d’examens. Il n’existait aucune législation réglant l’étude et la pratique de la médecine et de la chirurgie ». Pas surprenant dans ce contexte qu’à côté d’eux « [aient pullulé] des guérisseurs, des charlatans, des fratres, comme on les appelait, parcourant les campagnes, reboutant, vendant des herbes et des panacées18 ».
Les infirmières
36Les infirmières apparaissent encore une fois quelque peu en retrait. La formation se fait selon l’initiative personnelle auprès d’autres femmes expérimentées. On ne mesure cependant pas toujours suffisamment la qualité des connaissances ainsi acquises19. L’organisation est plus explicite dans les communautés religieuses, notamment les communautés de femmes. On apprend cependant graduellement à reconnaître la nécessité de programmes structurés dans leur éducation et leur pratique. Selon Josephine Dolan, les premiers balbutiements à cet égard datent de la fin du XVIIIe siècle20. Mais des initiatives en ce sens existaient bien avant.
37Ainsi en France, Vincent de Paul et mademoiselle Legras (née Louise de Marillac) sont à l’origine de l’instruction destinée aux filles qui ont pour mission de soigner. La première école d’infirmières aurait été fondée le 23 novembre 1633 par Vincent de Paul, prêtre et réformateur social, dans une maison située au 43, rue du Cardinal-Lemoine à Paris. Cette école réunissait des jeunes filles âgées de moins de 28 ans qui jouissaient d’une réputation irréprochable et d’une santé sans faille. Elles constituent une communauté : les Filles de la Charité. La direction de l’école est assurée par Louise de Marillac. On enseigne aux Filles l’écriture et la lecture au besoin. Toutes les semaines, Vincent de Paul leur donne des conférences spirituelles. Son auditoire est composé des sœurs de la maison et de celles qui ont pu venir de Paris et des environs. Le choix des sujets traités lors des conférences s’inspire des circonstances, en fonction des besoins ou des suggestions de Louise de Marillac. La forme oratoire est chaleureuse, vivante, persuasive. De son côté, Louise de Marillac enseigne comment il faut assister les pauvres malades, donner les médicaments, panser les plaies et soigner d’autres maux. Patricia Donahue parle d’un programme d’études qui inclut expérience à l’hôpital, visites aux domiciles, soins aux malades. Plus tard, certains cours seront donnés par des médecins. Avec les vivres, les Filles apportent les remèdes. Les principaux sont les saignées, les lavements, les purges... sans compter les médicaments courants. Le travail des Filles est tel qu’elles seront vues parfois comme concurrentes des pharmaciens et des médecins, et critiquées pour exercice illégal de la médecine. L’œuvre vit des dons, legs, aumônes paroissiales et quêtes21.
38Selon le docteur Gaston Parturier, Vincent de Paul a lui-même étudié la médecine pendant deux ans auprès d’un médecin arabe éminent, et pratiqué comme médecin de campagne et médecin d’hôpital22. Aussi n’est-il pas surprenant qu’il ait été préoccupé d’un véritablement enseignement médical pour les soignantes, même si les conférences qui nous restent sont presque exclusivement d’ordre spirituel.
39En Allemagne, Franz May, médecin réformiste, publie en 1784 à Mannheim ses Instructions pour les gardes-malades destinées aux deux écoles de formation qu’il a créées en 1781 et 1783, respectivement à Mannheim et à Karlsruhe. Dans ce manuel, May développe de longues instructions de chimie et de physique et traite de l’emploi des différents remèdes. Les cours durent trois mois23.
Une pratique de plus en plus institutionnalisée
40La coexistence des soins individuels et des préoccupations en matière de santé publique amène le soignant à exercer son art soit chez le patient lui-même, soit à l’hôpital.
Soins à la maison
41Les soins à la maison demeurent surtout l’apanage des infirmières. Les maladies infectieuses causant des milliers de morts, il leur incombe d’œuvrer en tant que praticiennes autonomes auprès des malades à la maison24. Les pays catholiques échappent à la crise des soins connue par les pays de la Réforme, dans la mesure où ils continuent à profiter de l’engagement des ordres religieux dans ce domaine.
42Précurseur du travail social en France, l’œuvre de Vincent de Paul est nouvelle et significative. En 1628, il rassemble des femmes de haut rang social dans une société charitable (les Dames de la Charité), avec pour mission de distribuer des secours aux déshérités, d’offrir une aide aux prisonniers, aux prostituées, aux vieillards miséreux, aux enfants abandonnés, ainsi que d’aider les Augustines à soigner les malades à l’Hôtel-Dieu de Paris. Cela étant insuffisant, en 1629 il commence à réunir des filles de la campagne, puis il fonde avec Louise de Marillac, comme nous l’avons dit, une communauté de femmes, les Filles de la Charité, qui pourront consacrer tout leur temps à la visite et aux soins des malades à domicile. Les besoins sont tels que ces groupes de visiteuses essaiment dans toute la France. Elles donneront naissance aux infirmières visiteuses.
43La Nouvelle-France connaît une situation analogue. À Québec, la première infirmière connue, Marie Hubou-Hébert, veuve de l’apothicaire Louis Hébert, venue s’établir au Québec en 1617, visite les malades et s’occupe de ceux qui lui sont désignés par les Jésuites25. En 1738, à Montréal, madame d’Youville fonde les Sœurs Grises, non cloîtrées, qui se consacrent aux visites des malades à domicile. C’est en outre à cette époque que la crèche d’Youville ouvre ses portes pour accueillir les enfants abandonnés26. Plus tard suivront les maisons et centres pour femmes violentées et personnes indigentes.
44Les médecins démontrent en général peu d’intérêt pour ce type de pratique qui laisse le praticien itinérant confronté à des analyses de cas disséminés ne permettant pas d’acquérir une meilleure connaissance des maladies27. Les patients fortunés bénéficient évidemment de soins à domicile, mais le médecin doit alors parvenir à gagner leur confiance par ses bonnes manières et être suffisamment habile pour prescrire ce que chacun de ces patients capricieux est disposé à accepter.
Développement des hôpitaux
45Un trait important de cette époque concerne néanmoins l’importance accordée aux hôpitaux. Les préoccupations étatiques en matière de santé publique s’accompagnent en effet d’une prise en charge de ces établissements en tant qu’institutions sociales destinées à promouvoir le bon état physique de tous. De nombreux asiles et hôpitaux sont ainsi fondés. Les communautés religieuses féminines, comme les Augustines et les Ursulines, se dévouent à la tâche. Des laïques les secondent, comme les Dames et les Filles de la Charité. Des réformateurs interviennent périodiquement.
46Le but poursuivi semble toutefois difficile à atteindre. Destinés à soigner, les établissements de santé continuent néanmoins à exercer leur traditionnelle fonction d’assistance et de contrôle social. Les hôpitaux se peuplent rapidement d’une foule bigarrée où se mêlent incurables et vagabonds, vieillards et enfants, malades et bien-portants. Ils deviennent clairement insalubres. Louis XIV, visitant l’Hôtel-Dieu de Poitiers, le constate lui-même.
Le bâtiment est si petit et la situation si malsaine que les malades et les religieuses n’ont pas de logement suffisant. L’infection du lieu faute d’air et d’étendue est seule capable de faire mourir les malades et de rendre malades les personnes les plus saines, ainsi que nos médecins nous ont fait rapport28.
47La situation ne s’améliore guère rapidement, puisque le rapport de Jacques Tenon, rédigé en 1788, décrit les hôpitaux de Paris comme encombrés de miséreux et souffrant d’un entassement qui dissémine les infections. L’hygiène fait en effet défaut dans tous les hôpitaux, même les plus récents. Cette situation déplorable contribue évidemment à accroître la crainte de l’hôpital dans le peuple29, tandis que les médecins doivent eux-mêmes affronter un milieu particulièrement éprouvant.
48Le tableau n’est cependant pas tout noir. Il y a des hôpitaux bien organisés, bien médicalisés, comme les Hôtels-Dieu de Paris. La situation est d’ailleurs plus belle dans d’autres pays.
49La Nouvelle-France connaît ses premiers hôpitaux à cette même époque. En 1639, six infirmières venues de France (trois Augustines et trois Ursulines) s’établissent à l’Hôtel-Dieu de Québec fondé par la duchesse d’Aiguillon. Elles ont entre 24 et 29 ans et assurent la gestion de l’hôpital, le financement et l’organisation du travail au chevet des malades. Malgré l’absence de formation académique, les Augustines se proclament comme étant professionnellement les gardiennes des malades, que ce soit le jour ou la nuit. Ces femmes doivent affronter les durs hivers, les guerres contre les Amérindiens et les épidémies de petite vérole et de typhus. Elles se dévouent autant auprès des Iroquois que des colons. Les notices biographiques de plusieurs d’entre elles font état de qualités souvent exceptionnelles, notamment pour la pharmacie. Les médecins peuvent se fier à elles pour l’administration de plusieurs remèdes ou pour les saignées. C’est le cas de sœur Marie-Angélique Viger de Saint-Martin dont le biographe rappelle la notoriété, spécialement dans le traitement des chancres. Elle excelle aussi en chirurgie, jusqu’à risquer de sa propre main une deuxième amputation sur un pauvre malade, le docteur n’ayant pas réussi la première30.
50Ces récits héroïques parviennent en France aux oreilles d’une élève des Ursulines de France, Jeanne Mance. Celle-ci se joint bientôt à une organisation de Dames de la Charité qui l’initient aux soins infirmiers. Grâce aux largesses de madame de Bullion, elle fonde l’Hôtel-Dieu de Montréal en 1644 puis revient en France pour recruter du personnel parmi les sœurs infirmières de Saint-Joseph de la Flèche. Elle assume ensuite la direction de l’hôpital, utilise les herbes médicinales du jardin de l’établissement, prépare ses propres remèdes et procède à des saignées.
51D’autres fondations suivent : l’Hôpital général de Montréal en 1688, l’Hôtel-Dieu de Trois-Rivières en 1697, etc. Les épidémies dévastatrices du début du XVIIIe siècle causent la mort de plusieurs sœurs. De façon générale, les difficultés rencontrées n’empêchent pas ces femmes de jouer leur rôle indispensable d’infirmières, aussi bien à domicile qu’à l’hôpital.
Écoles cliniques
52Le changement majeur de cette époque concerne la création des écoles cliniques de médecine pour contrebalancer l’enseignement donné dans les facultés, centré sur la théorie et les systèmes (library medicine). Ce nouvel enseignement veut privilégier les analyses de cas. La première école clinique semble avoir vu le jour à Padoue en Italie, dès le XVIe siècle. Elle a servi de modèle à l’école de Leiden, dans les Pays-Bas, créée en 1656, avec François de La Boë et dont le plus illustre successeur sera Boerhaave. De là part un mouvement de création qui touche toute l’Europe : Édimbourg en 1720, puis Londres, Oxford, Cambridge, Dublin. Après 1733, c’est le tour de Vienne et Göttingen. Pavie suit en 1781 avec Tissot. À Paris, l’initiative nouvelle est lente à démarrer ; elle commence dans les hôpitaux militaires en 1775.
53Les historiens ne s’entendent pas sur la nature et l’importance de ce changement. Michel Foucault y voit une innovation spécifique à l’époque et qui sera complètement transformée à la fin du XVIIIe siècle. L’analyse de cas, explique-t-il, c’est-à-dire l’enseignement par la pratique, existe depuis longtemps et existera après, mais d’une tout autre conception. Dans la présente école clinique, il ne s’agit pas d’analyser un cas dans toutes ses particularités, mais de réunir les cas les plus aptes à instruire les étudiants. Il ne s’agit pas d’examiner un malade pour découvrir sa maladie, mais de présenter l’exemple parfait d’une maladie déjà connue. On n’est pas préoccupé d’acquérir de nouvelles connaissances, de découvrir de nouvelles vérités, voire de proposer une thérapie pour un malade concret, mais de disposer de la vérité déjà acquise. Il s’agit en somme d’un pur instrument pédagogique31. Pour sa part, Othmar Keel ne pense pas qu’il y ait eu une telle coupure ni avec le passé, ni avec l’avenir. L’enseignement pratique, l’analyse de cas, a toujours été de même nature. Le nouvel enseignement clinique basé sur l’anatomie pathologique profite considérablement du grand nombre de malades rassemblés dans le cadre hospitalier et dans les hôpitaux militaires, surtout à partir de 1750. Le lien entre théorie et pratique est simplement accentué. Il ne fera que s’accentuer encore davantage au XIXe siècle. S’il y a un moment à privilégier, ce serait 175032.
DÉVELOPPEMENT DES CONNAISSANCES ET DES TECHNIQUES
54En tant que discipline, la médecine connaît de profonds changements33. Elle s’inscrit en effet à merveille dans la philosophie des Lumières puisque, par principe et par vocation, elle refuse le fatalisme et valorise plutôt la raison et l’intervention. L’idée d’une « souveraine liberté du vrai » appelle la primauté du regard et de l’observation dans une médecine des symptômes qui remplace graduellement celle des essences à partir de la fin du XVIIe siècle. Les querelles d’ordre métaphysique cèdent la place à l’observation et à la raison, c’est-à-dire à ce qui se vérifie, s’analyse et se palpe. Sournia résume la situation de la façon suivante :
Si l’univers résulte d’une création divine, il n’en apparaît pas moins comme un ensemble cohérent, accessible à une étude méthodique effectuée au moyen de nouveaux instruments d’observation34.
55L’autopsie de cadavres s’avère alors un outil précieux, même si on n’en voit peut-être pas encore toute la pertinence en raison du vieux préjugé aristotélicien selon lequel le cadavre ne peut renseigner sur le vivant, la mort sur la vie. Toujours est-il que, au milieu du XVIIe siècle, Harvey à Londres, puis au milieu du XVIIIe Morgagni et Hunter n’ont pas de difficultés à faire ouvertement des autopsies. On trouve des salles d’autopsie à Pavie, Vienne, Paris (Hôtel-Dieu). Le décret de Marly en 1707 prescrivait déjà : « Enjoignons aux magistrats et aux directeurs des hôpitaux de fournir les cadavres aux professeurs pour faire les démonstrations d’anatomie et pour enseigner les opérations de chirurgie35. »
Francis Bacon et l’émergence d’un nouveau paradigme
56Si la Renaissance a été accompagnée d’un essor de l’anatomie et, donc, de la chirurgie, le XVIIe siècle est l’époque d’un renouveau de la médecine clinique. La contribution de Francis Bacon (1561-1626) se révèle déterminante à cet égard.
57Ce député de la Chambre des Communes, professeur de droit et grand chancelier, s’intéresse principalement aux méthodes et au progrès des sciences. Son livre Du progrès et de la promotion des savoirs, publié en anglais en 1605, fait l’inventaire des connaissances de son époque et de leurs lacunes. Dans les dix pages consacrées à la médecine, il déplore plusieurs comportements des médecins : absence d’analyses comparatives, insuffisance de dissections, arbitraire dans la composition des médicaments, etc. « Tout cela, explique-t-il, est cause du fait que souvent les médecins empiriques et les vieilles femmes sont plus heureux dans les traitements qu’ils administrent que les savants docteurs36 » Aussi prône-t-il une nouvelle approche de la connaissance scientifique en élaborant une méthode inductive basée sur l’empirisme, doctrine philosophique selon laquelle la connaissance humaine dérive tout entière, directement ou indirectement, de l’expérience sensible, externe ou interne. Il favorise ainsi une induction lente et prudente partant du particulier pour monter graduellement vers les généralisations et les formulations théoriques. Il ne nie pas l’existence de Dieu, mais préfère s’en distancer lorsqu’il est question de science. Il considère que sa méthode constitue un moyen d’acquérir un véritable pouvoir sur le réel et, par le fait même, d’améliorer la santé et le bien-être de l’humanité. Les idées de Bacon trouvent une audience favorable chez plusieurs médecins, déjà sensibilisés à une telle perspective par les progrès de la chirurgie37.
58Cette perspective joue en effet un rôle clef dans le développement de la pensée médicale moderne dans la mesure où elle affine, confirme, propage, généralise l’approche pratique des chirurgiens. Depuis l’Antiquité, alors que la médecine se perdait encore dans des spéculations invérifiables, les chirurgiens devaient se baser sur les signes physiques pour établir leur diagnostic. Ils devaient voir et palper bien avant que les écoles de Paris et de Vienne le recommandent pour les maladies internes. Faute de savoir localiser, ils n’auraient jamais pu réaliser de trépanations ou de laryngotomies. Leur étude de l’anatomie enrichit dès lors la littérature médicale d’informations utiles aux médecins38. La médecine clinique, basée sur l’observation et la pratique, qui se fait et s’apprend au lit du malade, émerge ainsi peu à peu en Italie, en Hollande, en Autriche, en Grande-Bretagne et en France. L’approche déductive à partir de théories métaphysiques sur les maladies cède ainsi la place à une démarche beaucoup plus inductive.
Grandes découvertes
59Ce nouvel esprit de systématisation et de quête d’objectivité conduit plusieurs chercheurs tels que Linné, Buffon et Pinel à tenter une classification rationnelle des faits au sein de chacune des sciences naturelles. Des notions quantitatives empruntées aux mathématiques et à la physique sont ainsi peu à peu introduites dans la connaissance du corps humain39. Il en résulte de grandes découvertes réalisées par des précurseurs de la médecine moderne.
William Harvey (1578-1657) et la circulation sanguine
60Ce médecin anglais est associé à l’une des plus extraordinaires découvertes. Né dans le Kent, il étudie à Canterbury et Cambridge et est reçu docteur en médecine à la célèbre Université de Padoue en 1602. Il s’adonne tout particulièrement à l’art de la dissection. À son retour à Londres, il enseigne l’anatomie et la médecine, pratique à l’hôpital St. Bartholomew et devient le médecin attitré de Jacques Ier et Charles Ier. Son travail le plus célèbre réside dans sa théorie sur la circulation du sang qui va bouleverser les idées traditionnelles sur le corps humain. Il publie en effet, en 1628, Exercitatio anatomica de motu cordis et sanguinis in animalibus. Ses dissections lui permettent d’établir que le sang avance constamment dans une direction à partir du côté droit du cœur, se purifiant en passant par les poumons, et revient vers le côté gauche d’où il est pompé dans une autre direction au moyen des artères pour revenir au cœur par les veines. Cette découverte majeure remet en question le système de Galien selon lequel les deux sangs, veineux et artériel, coulent dans des directions parallèles. Pour réfuter l’approche galénique, il fallut la fréquence des dissections humaines, la création des premières universités, et surtout un changement de mentalité. Plusieurs médecins de Padoue avaient entrevu comment le sang circulait dans le corps, mais le mérite de la synthèse revient à Harvey40.
Thomas Sydenham (1624-1689)
61Un autre médecin anglais apparaît aussi comme une figure de proue de la médecine moderne. Après des études à Oxford, Cambridge et Montpellier, Thomas Sydenham professe à Londres. Ami du naturaliste Boyle et du philosophe Locke, il se veut avant tout un simple praticien puisant sa science dans la seule observation des faits. Son originalité et son mérite tiennent à l’exactitude et à la finesse des descriptions cliniques, à la précision des cadres nosologiques et à la clarté de son interprétation des maladies métaboliques, infectieuses ou nerveuses. Ne parlant plus de la maladie en général mais invoquant les maladies, il distingue les affections spécifiques à partir de « symptômes pathologiques » présents chez plusieurs malades41. Tant que les mécanismes qui aboutissent à l’apparition des symptômes sont inconnus, il lui paraît illusoire de vouloir procéder à des traitements : diète, purgatifs (plutôt que saignée), écorce de quinquina contre les fièvres, laudanum (teinture alcoolique d’opium) font alors l’affaire. Sa rigueur sert d’exemple et ses livres, Methodus curandi febris (1666), Observationes medicae (1675) et Tractatus de Podagra et Hydrope, Opera universa (1685), constituent des contributions majeures à la séméiologie et à la nosologie42.
Hermann Boerhaave (1668-1738)
62Adepte de Sydenham, ce fils d’un pasteur hollandais est médecin et enseigne à Leiden. Il dispose de connaissances encyclopédiques très structurées en médecine, botanique, chimie et philosophie. Il délaisse lui aussi les constructions théoriques et exige la plus grande clarté dans les observations anatomo-cliniques. Soignant diverses têtes couronnées, il est considéré comme le meilleur praticien d’Europe et sa renommée dépasse même les limites de ce continent pour s’étendre jusqu’en Chine43.
63Boerhaave réalise des recherches nosologiques distinguant les maladies des organes solides et celles des humeurs, puis réalise des découvertes cliniques concernant la valeur pronostique du pouls. Son enseignement passe aussi par des livres tels que Elementa chemica, Institutiones medicae (1708) ou De usu ratiocinii in medicina (1703). Il fonde en outre une école de médecine de renommée internationale. Ni lui ni Sydenham ne remettent pourtant en question les enseignements d’Hippocrate concernant l’altération des humeurs, l’influence de l’air et du climat sur l’évolution des maladies, la notion des tempéraments, etc.44.
John et William Hunter
64Les frères John et William Hunter illustrent un élément particulier de la nouvelle approche anatomo-clinique, c’est-à-dire le lien entre la chirurgie et la médecine. William Hunter (1718-1783) possède une double formation médicale et chirurgicale acquise auprès d’un chirurgien apothicaire. Il fonde à Londres une école dont les cours commencent en 1746. Son frère John (1728-V93) fréquente cette école et complète sa formation par une expérience pratique dans les hôpitaux. Il acquiert ainsi une formation générale dans toutes les branches de la médecine et est en outre associé à des recherches en anatomie, en physiologie, en pathologie médicale, en obstétrique et en chirurgie. Il perçoit ainsi l’interaction entre ces domaines et parvient à les intégrer. Il est reconnu en histoire médicale pour avoir défini la maladie comme une dysfonction ou comme une modification pathologique du fonctionnement des organes et des parties. Cette approche implique l’existence de lésions des organes et tissus qu’il faut apprendre à connaître par dissection anatomopathologique. Cette rupture radicale avec les conceptions essentialistes traditionnelles de la maladie confère un caractère scientifique à la fois à la médecine et à la chirurgie en posant les bases de la physiologie comparée45.
65Dans un autre champ du savoir, en embryologie, la description des ovaires et des testicules, puis la découverte des œufs (De Graaf) et animalcules (Van Leeuwenhœk), rendue possible par l’utilisation du microscope, sont l’occasion d’un débat scientifique passionné entre ovistes et animalculistes (voir plus loin l’encadré).
OVISME ET ANIMALCULISME
Au sujet de la reproduction des êtres sexués, le XVIIe siècle vit naître une curieuse théorie qui stipulait que l’œuf engendré par la mère représentait, à titre principal, l’élément générateur. La semence mâle intervenait dans l’acte reproducteur uniquement à titre secondaire : elle exerçait seulement une action stimulante sur les œufs en diffusant une sorte de vapeur ou aura seminalis. « On alla jusqu’à affirmer que le fœtus, loin d’être formé, progressivement, à partir de l’œuf, se trouvait, dès l’origine, déjà présent dans celui-ci. » Il était minuscule, recroquevillé sur lui-même, comme enfermé dans des langes. Il était en quelque sorte « préformé » ; et il ne faisait que se développer au cours des mois de gestation.
La découverte dans le sperme humain, en 1677 grâce au microscope, d’une foule considérable d’« animalcules » qui étaient munis d’une queue, d’une tête et de mouvement amena une révolution. L’animalcule détrôna l’ovule. L’ovisme laissa la place à l’animalculisme. Ici encore, les naturalistes penseront qu’un seul des deux sexes assure la fonction génératrice. Ce n’est plus l’œuf, mais l’animalcule qui contient l’embryon. Celui-ci encore une fois est considéré comme préformé. Des dessins de l’époque le montrent comme un enfant en miniature, la tête enfoncée dans les bras, les genoux repliés. Ce petit homme rabougri fut appelé homonculus par Hartsoeker en 1694.
* Pour plus de détails voir Käty Ricard, Penser la vie. La biologie et l'avenir de l’homme, Paris, Desclée de Brouwer, 1991, p. 175-181 (citation p. 177) ; Philippe Meyer et Patrick Triadou, Leçons d'histoire de la pensée médicale (coll. Sciences humaines et sociales en médecine), Paris, Odile Jacob, 199S, p. 197 ; Angus McLaren, « The Pleasures of Procreation : Traditional and Biochemical Theories of Conception », dans W. F. Bynum & R. Porter (dir.), William Hunter and the Eighteenth-Century Medical World, Cambridge, Cambridge University Press, 1985, p. 523-341.
Méthodes diagnostiques et thérapeutiques
66Au-delà des difficultés rencontrées au niveau de la connaissance, d’importantes limites entravent la pratique clinique. D’un autre côté, le développement des pays du Nouveau Monde attire l’attention sur leur conception de la médecine.
La société occidentale
67L’activité des chercheurs est presque entièrement absorbée par les sciences expérimentales. Il faut du temps avant que les applications se fassent sentir dans le domaine des soins aux malades. Diverses expérimentations à visée thérapeutique, par exemple contre la syphilis, sont menées notamment dans les armées, où le cadre coercitif et disciplinaire fournit une population captive46. Mais c’est très peu. Bien que Molière ne semble pas très objectif dans l’évaluation de la médecine, il n’en demeure pas moins que ses écrits font état au XVIIe siècle d’une ignorance à peu près complète de la nosologie des maladies par les médecins : à toutes les questions qui lui sont posées, le bachelier de la cérémonie burlesque du Malade imaginaire répond inlassablement « clysterium donare, postea saignare, ensuita purgare47 ».
68À titre d’exemples, le microscope, mis au point par Antoine Van Leeuwenhœck dès les années 1670, demeure longtemps loin du lit du malade, dans les mains de naturalistes et de botanistes. La découverte de l’agent de la gale en 1590 par Thomas Mouffet (1553-1604) et celle du bacille de la peste par le père jésuite Athanase Kircher (1602-1680) de Wurzbourg en 1671 ne se traduisent par aucune retombée concrète48.
69Sournia souligne qu’aucune innovation thérapeutique majeure n’est réalisée en dehors de l’utilisation de l’écorce de quinquina contre les fièvres en général. Il n’y a pas de codification précise ni de contrôle rigoureux de la préparation des médicaments. Les malades demeurent attachés aux purgations, saignées et ventouses. Les plus fortunés vont prendre les eaux dans les villes balnéaires à l’image de Montaigne ou de madame de Sévigné. La thérapeutique semble pour le moment délaissée au profit de l’acquisition des connaissances49.
70La chirurgie constitue toutefois une exception. C’est en effet à cette époque que les connaissances anatomiques acquises grâce aux dissections et l’élévation du standard d’éducation des chirurgiens semblent porter fruit. D’importants progrès sont réalisés quant aux diagnostics et traitements de certaines maladies des articulations, des voies urinaires, des yeux et des dents. De nouvelles techniques sont mises au point pour les amputations et hernies, la chirurgie plastique se modernise et la chirurgie orthopédique apparaît50.
71Comme pour la chirurgie, les pratiques infirmières connaissent aussi un essor. Les conditions de l’époque empêchent évidemment les soignantes de réaliser des percées sur le plan des connaissances, mais il importe de signaler leur contribution sous la forme d’un autre type de découvertes directement liées au bien-être du malade. Grâce à leur imagination et à leur ingéniosité apparaissent dans les maisons divers types de bassinoires, des biberons, des tasses et plats chauffants, des chaises munies d’éventails et autres objets destinés au confort du malade51.
72Les débuts de l’approche anatomo-clinique et les découvertes qui l’accompagnent n’ont cependant pas été sans heurts ni difficultés. L’époque est encore noyée dans les contradictions de nombreux systèmes philosophiques et dans les préjugés tenaces. Trop souvent l’expérimentation scientifique, en particulier d’ordre médical, est aveuglée par un raisonnement aprioriste asservi à la tradition qui ne veut reconnaître que l’autorité d’Aristote, de Galien et d’Hippocrate. En Espagne, en Italie et en France, on se cantonne encore souvent à une médecine riche en démonstrations formalistes mais pauvre en résultats thérapeutiques. La célèbre Faculté de médecine de Paris en est un exemple frappant. Ses membres s’intitulent « très illustres médecins docteurs de l’école de médecine orthodoxe de Paris, gardiens de la vraie médecine hippocratique52 ». C’est précisément de cette suffisance que se moque Molière dans plusieurs de ses pièces et dont le docteur Diafoirus est un prototype célèbre.
73Le XVIIe siècle et le début du XVIIIe apparaissent ainsi comme une période de transition pour la médecine. Celle-ci adopte graduellement une approche anatomo-clinique basée sur l’observation et la rigueur scientifique, tandis que de grands cliniciens apportent des contributions fondamentales à la connaissance du corps humain. Les applications pratiques sont pourtant décevantes. La médecine veut devenir une science avec des connaissances objectives, mais sa pratique demeure encore orientée vers des considérations subjectives liées à la pratique de chaque médecin et aux volontés du patient. La médecine quoique grandie demeure immobile. En fait, cette période semble surtout préparer le terrain aux grandes mutations des deux siècles qui vont suivre53.
Les Indiens d’Amérique du Nord
74En Amérique du Nord, les méthodes employées par les autochtones ont influencé les pionniers européens dans la façon de se soigner au cœur d’un climat bien différent de celui de leur continent d’origine. Déjà au XVIe siècle, au temps de Jacques Cartier, c’est grâce aux connaissances des Indiens que l’on peut guérir les matelots atteints du scorbut. Les sages-femmes jouent un rôle important à la naissance. On connaît les mesures d’isolement contre les maladies contagieuses54.
75Selon les Amérindiens, la maladie est la conséquence d’un manque de respect à l’égard de la nature, dont son propre corps. Tout, minéraux, végétaux, animaux et humains, est habité par l’esprit de la nature (Manito). Cette dernière contient tout ce qui est nécessaire à l’élimination des symptômes déplaisants qui minent la santé du corps. Le plus souvent, cela consiste en l’utilisation d’herbes et de plantes. Toutefois, si celles-ci ne parviennent pas à soulager le mal physique, on a alors recours au médecin sorcier ou chaman qui a les connaissances psychologiques nécessaires pour éliminer les causes des symptômes. C’est le Kijé Manito ou l’Esprit de l’Esprit qui a donné ce pouvoir à certains hommes.
76Le chaman se sert d’incantations, prières, danses, chants et tambour. Il n’est pas nécessairement herboriste, mais est souvent accompagné du mashhkikiwinini qui apporte son « sac à médecine » rempli d’herbes et d’instruments pour faire les décoctions, les mélanges à tisanes, etc. Le sac contient aussi un couteau d’obsidienne (pierre dure) pour les opérations, incisions, lancements d’ulcères ou d’abcès. Fétiches et reliques font aussi partie de la panoplie du chaman55.
ANTHROPOLOGIE MÉDICALE ET CULTURELLE
77Le contexte social, politique et scientifique des XVIIe et XVIIIe siècles s’accompagne d’une modification dans la conception du corps humain, de sa santé et de sa maladie, tandis que la médecine se voit confier un nouveau rôle.
Le triomphe de la raison
78Le siècle des Lumières accorde clairement la primauté à l’observation et, surtout, à la Raison. L’Homme se sent désormais capable d’expliquer, voire de maîtriser, les phénomènes qui l’entourent. Il cherche dès lors à prendre un rôle de plus en plus actif dans la maîtrise de sa destinée. Sur le plan scientifique, cet enthousiasme se manifeste par les multiples découvertes mentionnées précédemment. Depuis la Renaissance, le corps se présente comme un matériau dont on peut rendre compte à partir de l’observation56. L’Homme rationnel de l’époque des Lumières doit pourtant aussi surmonter un dangereux écueil hérité du passé en termes d’opposition possible entre la foi et la science. L’œuvre de Descartes se révèle particulièrement influente sur ces deux plans, la raison et le corps.
Le dualisme cartésien
79Dans une perspective semblable à celle de Bacon ou plus tard de Leibniz, mais plus directement orientée vers la médecine, le philosophe français René Descartes (1596-1650) élabore un système médico-philosophique qui tente de concilier l’idéalisme métaphysique et le matérialisme scientifique. Il débouche sur une conception dualiste suivant laquelle le corps humain, distinct de l’âme pensante, « obéit aux lois de la mécanique57 ». Il ne contredit pas l’approche religieuse, mais la situe « à côté » ou « en dehors » de la science. « Ce moi, c’est-à-dire l’âme, par laquelle je suis ce que je suis, est entièrement distinct du corps », écrit Descartes dans le Discours de la méthode ; et encore : « Je nie absolument que je sois un corps ». Le corps n’est que le cadavre que l’âme vient animer. Donc, d’un côté la machine, qui fonctionne totalement par elle-même, de l’autre, l’âme ou la raison totalement autonome qui peut en théorie tout comprendre et tout expliquer.
80À des degrés divers, plusieurs médecins, dont Boerhaave lui-même, adoptent cette conception. La physiologie humaine et animale est alors perçue en termes de forces mécaniques. Le corps apparaît comme une machine composée de solides et fluides dont les interactions plus ou moins parfaites déterminent l’état de santé et de maladie58. Il s’agit dès lors d’observer la réalité, de formuler une hypothèse visant à expliquer ce que l’on constate puis de reproduire cette chaîne de causalité dans une expérimentation pour finalement conclure en la véracité ou la fausseté de l’hypothèse. La Raison demeure en tout temps la clef de la démarche.
81Cette perspective rompt clairement avec la philosophie galénique selon laquelle tout changement physiologique s’expliquerait par l’autocontrôle des formes substantielles des différentes parties du corps. Les traditions ne sont pourtant pas tout à fait balayées puisque, pour Descartes lui-même, le fonctionnement du corps est causé par de mystérieux esprits animaux, tandis que le philosophe Leibniz (1646-1716) imagine l’existence d’une multitude d’êtres élémentaires infiniment petits, indivisibles, animés et pensants, les « monades » dont l’ensemble cohérent constitue le corps humain59. Sournia décèle dans ces conceptions l’influence du souffle vital et du pneuma de l’Antiquité60. Le dualisme cartésien sera de toute façon contesté par la suite lorsqu’une philosophie médicale vitaliste viendra préciser que l’action mécanique n’est qu’un canal destiné à favoriser la réalisation d’un pouvoir interne actif et sensible (voir le lexique, p. 15). Il n’en demeure pas moins que cette approche dualiste et mécaniste sert de cadre philosophique à la méthode anatomo-clinique qui s’imposera au siècle suivant et se retrouvera dans la pensée positiviste et déterministe du XIXe siècle. Elle joue par le fait même un rôle fondamental dans la mise en place de la médecine moderne. La place accordée aux malades par les médecins s’en trouve transformée.
Relations patient-médecin
82La contribution de deux historiens, Jewson et Reiser, mérite ici d’être citée. Le premier, Nicholas D. Jewson, distingue deux types d’anthropologie médicale, l’une orientée vers la personne et l’autre vers l’objet61 Dans la première (bedside medicine), l’attention porte sur le sujet malade, les jugements sont basés sur des attributs individuels. Les décisions sont fondées sur la discussion et la négociation. Elles revêtent donc nécessairement une dimension subjective. Dans la seconde (hospital medicine), le processus de décision se fonde sur le statut formel et la reconnaissance sociale des individus. Ceux-ci sont perçus comme des « objets » dans une perspective objective.
83Jewson considère que la bedside medicine, « médecine au chevet du patient », prévaut au XVIIe siècle et pendant une partie du XVIIIe dans la mesure où le malade, s’il appartient à la classe dirigeante, « dit » sa maladie, choisit le médecin et le type de traitement qui lui paraît efficace. Les relations personnelles et le dialogue sont ici essentiels. Le médecin doit savoir inspirer confiance à ses patients de façon verbale et non verbale. Le malade détermine ainsi le cours du développement du savoir médical62 (Voir le tableau p. 162)
84Cette conclusion pour le moins étonnante, compte tenu des remarques présentées plus haut sur l’évolution de la médecine à cette époque, souligne néanmoins des aspects importants. Elle établit tout d’abord un élément de référence auquel il sera possible de comparer les changements ultérieurs. Elle rappelle en outre à quel point l’époque concernée constitue une période charnière pendant laquelle coexistent des éléments anciens, tels que les liens personnels avec les malades, et d’autres plus modernes, tels que les débuts de la méthode anatomo-clinique. La médecine dont parle Jewson existe effectivement, bien qu'elle ne concerne qu’une frange minime de la population. Curieusement, c’est l’étude de l’aspect pratique de la médecine qui le conduit à décrire une époque déjà quelque peu révolue. Le hiatus entre cette pratique et le développement des connaissances se trouve à nouveau souligné.
85Sans contredire directement son collègue Jewson, l’historien Stanley Reiser perçoit déjà une différence entre le XVIIe et le XVIIIe siècles. Dans le premier cas, le médecin utilise surtout des techniques verbales et visuelles pour poser un diagnostic. Il écoute la description des symptômes faite par le patient et observe son apparence et celle de ses liquides corporels. Au XVIIIe siècle, le médecin commence à se servir de techniques manuelles. Morgagni et ses successeurs dissèquent les cadavres pour trouver la lésion laissée par la maladie et la relier aux symptômes décrits par le patient63. De façon plus générale, l’écoute, l’inspection et l’auscultation prennent une place grandissante dans l’activité diagnostique64. Ces précisions témoignent d’une nouvelle tendance selon laquelle les diagnostics seront de plus en plus réalisés en fonction de critères objectifs, en regard desquels la description subjective du patient et la perception tout aussi subjective du médecin occuperont une place de plus en plus restreinte. Les remarques de Reiser signalent à tout le moins que la médecine du XVIIIe siècle s’oriente vers une anthropologie axée vers l’objet.
86Il est encore une fois significatif de noter que le travail des infirmières œuvrant au domicile des malades n’adopte pas cette perspective, dans la mesure où leurs relations demeurent individuelles et centrées sur le souci de la personne et de sa souffrance, sur le rapport aux proches et même sur l’attention à la dimension spirituelle.
Anthropologie chrétienne
87Malgré le développement d’une approche rationnelle et objective de la santé et de la maladie, inspirée du dualisme cartésien et culminant dans une vision laïciste, par exemple avec les encyclopédistes, la conception chrétienne de la vie, du corps, de la santé et de la maladie continue d’influencer une grande partie des soignants, notamment les infirmières. Descartes lui-même est controversé, sinon condamné par certaines autorités ecclésiales.
88Sans reprendre tout ce qui a été dit sur les périodes précédentes, rappelons cependant la vision chrétienne unifiée de l’être humain, corps et âme, mais où la primauté de l’âme est manifeste. Au plan du fonctionnement du corps humain, l’âme dirige tout ; on est spontanément animiste ou vitaliste, quoique ces termes soient ambigus. La maladie a bien souvent une cause spirituelle, conséquence ou punition pour tel ou tel péché individuel ou collectif. En conséquence la guérison dépend tout autant de la médecine de l’âme que de celle du corps. Contre les épidémies, prières et processions sont plus efficaces qu’hygiène et autres protections. Pour choisir les praticiens, notamment les sages-femmes, les qualités personnelles sont plus importantes que la compétence. Et on attend d’eux, notamment des infirmières, qu’elles s’occupent autant, sinon plus, du salut des malades que de leur guérison.
89D’une manière générale, « le clergé du XVIIIe siècle, s’il ne combat pas la pénétration de l’esprit scientifique, de la médecine en particulier, n’est pas en mesure non plus de la favoriser ». Son attitude entretient même, involontairement, la perpétuation des superstitions. Au sortir du séminaire, le clerc ignore presque tout des connaissances scientifiques. « Pis : on lui a enseigné pendant deux ans à se méfier du savoir humain, de l’intelligence appliquée aux choses profanes, qui peut conduire à l’orgueil, et qui au mieux est une perte de temps, une vanité qui détourne notre attention de la seule chose importante : notre salut65. » Malgré cela, bien des prêtres de campagne s’intéressent à la science, à la santé et à la médecine. Ils donnent en chaire des conseils pratiques sur la vaccination, les paratonnerres, l’allaitement des nourrissons, etc., quand ils ne soignent pas eux-mêmes leurs paroissiens et ne participent pas au développement de l’agriculture ou de la pêche. Bien plus, parmi les religieux et les chanoines, il existe de véritables savants qui font la promotion de la pensée scientifique et contribuent au progrès des connaissances.
ÉTHIQUE ET DÉONTOLOGIE MÉDICALES
90Au cours des premières décennies du XVIIe siècle, l’éthique médicale emprunte encore beaucoup aux conceptions de l’Antiquité et du Moyen Âge. Le médecin est grandement influencé par la métaphysique et la religion. Mais les préoccupations éthiques portent surtout sur les règles de préséance, de concurrence, de bonne conduite, de rémunération. Ni les facultés ni les confréries ne s’intéressent aux véritables questions de morale professionnelle. Elles se préoccupent davantage de la dignité de leurs membres, du décorum des cérémonies et des bonnes manières confraternelles que de leurs obligations envers les patients et la société66.
91Grâce aux progrès scientifiques et à la philosophie des Lumières, l’éthique médicale devient plus critique à l’égard des influences sociales, culturelles et religieuses. Elle devient peu à peu une étude rationnelle des devoirs des praticiens face à leurs patients, de la profession face à la société, et de la société à l’égard des indigents et des malades. Si, au début du XVIIe siècle, être bon médecin signifie surtout qu’il faut posséder certaines qualités morales, le milieu du XVIIIe anticipe l’ère moderne : le médecin compétent est celui qui allie la maîtrise théorique et pratique de son art à la sympathie ou à l’empathie pour ses patients. Il a, de plus, des obligations professionnelles et sociales de mieux en mieux définies.
La révolution scientifique introduite par le « siècle des Lumières » entraîne un certain changement dans la conception que l’on se fait du « bon » médecin. Cette conception n’est plus exclusivement basée sur la vertu et les qualités morales, mais associe désormais celles-ci au savoir. Le bon médecin devient progressivement non seulement celui qui possède ces qualités, mais aussi celui qui a acquis un savoir reconnu et poursuit en outre la quête de connaissances en se basant sur des expériences plutôt que sur un savoir livresque. Le souci de l’efficacité à la fois thérapeutique et préventive de la médecine se profile à l’horizon67.
92En dehors des théologiens toujours présents dans le champ de l’éthique, de nombreux citoyens (médecins, juristes, philosophes) s’intéressent à l’éthique médicale et publient sur le sujet. Notons, entre autres, en France, le médecin Jean Bernier et le médecin juriste Jean Verdier ; en Italie Paolo Zacchia ; en Allemagne A. Fritsch, F. Hoffmann, J. P. Frank ; en Angleterre, Samuel Bard, John Gregory et, chevauchant le siècle suivant, Thomas Percival. Par ailleurs, les corporations professionnelles, de plus en plus organisées, imposent des règles, quand ce ne sont pas de véritables codes de déontologie, tandis que les gouvernements interviennent de plus en plus dans la pratique des professions de la santé.
Perspective chrétienne
93Certains médecins du XVIIe siècle gardent la mentalité antérieure concernant la supériorité des médecins dont les connaissances étaient « inspirées de Dieu ». On y discute encore de l’ouvrage de Battista Condrochi, écrit en 1591, à savoir De la façon consciencieuse et chrétienne de guérir. En 1684, le théologien et jurisconsulte Ahasverius Fritsch publie un volume traitant des péchés du médecin. Même s’il y a plusieurs fautes qu’on peut considérer comme séculières et même sociales, il en énumère quelques-unes qu’on peut qualifier de religieuses : 1) soigner sans implorer l’aide divine ; 2) ne pas implorer le patient de rechercher cette aide ; 3) se fier plus à sa compétence médicale qu’à la grâce divine68. Le médecin français Jean Bernier recommande aux médecins de parler aux malades de confession dès les premiers jours.
94Friedrich Hoffmann, professeur de médecine en Allemagne, écrit en 1738 que le médecin se doit d’être chrétien, car il exercera alors la miséricorde à l’égard des plus pauvres à qui il ne refusera aucun service : l’exercice de la médecine vient de la bonté divine. Par ailleurs, il ne doit pas discuter religion ni être superstitieux69.
95Enfin, le docteur Samuel Bard d’Edimbourg, lors du discours d’inauguration du King’s College Medical School à New York, en mai 1769, déplorant le manque de connaissances des médecins des colonies d’Amérique, déclare : « Quant à ceux qui n’ont ni émulation ni modestie, ni habiletés tout en ne se donnant pas la peine de les acquérir, je leur recommanderais fortement de s’arrêter au commandement de Dieu : “Tu ne tueras point”70. »
96En Amérique du Nord, la majorité des médecins considèrent que Jésus-Christ est aussi important comme source d’inspiration que tous les grands médecins de l’Antiquité. La valeur d’un médecin ou de sa personne relève de ses croyances et pratiques religieuses. En 1710, le philosophe Cotton Matter considère que les médecins qui se conforment à la clause de confidentialité du Serment d’Hippocrate font office de véritables confesseurs71.
97Malgré l’existence de ce courant religieux, on ne peut dire qu’à cette époque les préoccupations religieuses dominent encore chez les praticiens. Le début des Temps modernes est à la recherche d’une déontologie séculière, susceptible d’être présentée dans des codes d’éthique professionnelle.
Perspective déontologique et séculière
98La réflexion déontologique d’inspiration séculière emprunte des voies variées. Comme dans les siècles précédents, il y a d’abord des individus (médecins, humanistes ou philosophes) qui réfléchissent sur les exigences de la pratique médicale. S’étend aussi la pratique du serment prêté quand on commence à exercer la médecine. Et les premiers codes de déontologie professionnelle apparaissent.
99Au XVIIe siècle, on recherche tant bien que mal à définir ce qu’est un médecin vertueux. On parle de prudence, de générosité, du respect de la justice. Hoffmann pense que le médecin devrait être aussi philosophe : « En effet, les deux branches de la philosophie, l’éthique et la physique, se rejoignent dans la pratique médicale. »
100Fritsch fait allusion à un serment prêté par des finissants en médecine dans une université d’Allemagne à la fin du XVIIe siècle et qui explicite l’engagement de ceux-ci face à leurs futurs clients. Le serment requiert de faire honneur à la Faculté, de ne pas négliger les patients, de consulter des experts lorsque nécessaire. Il proscrit l’avortement. Il prescrit aussi que les honoraires doivent être ajustés selon les moyens des patients. Le pauvre doit être traité gratuitement. Aucun pacte secret ne doit être signé avec des pharmaciens72.
101Le cadre de la philosophie des Lumières73 aidera à élargir le débat et surtout à fonder philosophiquement et socialement le rôle du médecin et les repères éthiques. Les philosophes écossais Francis Hutcheson (1694-1746) et David Hume (1711-1776) auront beaucoup d’influence à cet égard. Le docteur Samuel Bard, déjà cité, s’inspire de la théorie de Hutcheson, l’intuitionnisme, c’est-à-dire la croyance que les principes moraux peuvent être connus immédiatement sans argumentation. Intuitivement, le médecin vertueux connaît ses devoirs, à savoir ceux de guérir les malades et d’agir avec bienveillance74. De son côté, le médecin John Gregory suit l’école de Hume qui prétend que le point central de notre vie morale est la sympathie, soit la capacité d’évaluer les actions et les choses de la même manière que les autres humains : pas besoin de révélation ou d’autorités pour vous dicter la vérité.
102John Gregory (1724-1773), célèbre professeur de médecine à Édimbourg et le plus éminent éthicien de sa profession à l’époque, écrit une œuvre maîtresse ayant quatre objectifs : 1) décrire le tempérament requis pour devenir un bon médecin ; 2) élaborer les qualités morales nécessaires ; 3) donner certaines règles de bonne conduite ; 4) insister sur la somme de connaissances requises pour pratiquer avec succès et garder sa réputation75. Le bon médecin comprend, en même temps que son patient, tout ce qu’impliquent la douleur, la maladie et une vie dévaluée. Son devoir premier est le soulagement de la douleur et non pas la recherche de la gloire personnelle. Une des conséquences de sa sympathie envers le malade est le devoir de confidentialité : toute dérogation pourrait retarder ou empêcher sa guérison. Une autre est l’ouverture aux suggestions du patient par rapport au traitement.
103Un des premiers codes médicaux nord-américains, publié par la Medical Society of New Jersey en 1766, définit le rôle du médecin comme étant celui de donner tout le réconfort et l’aide dont son art le rend capable. La bienfaisance occupe ainsi le centre de la pratique.
104En Amérique, la crainte à l’égard des personnes étrangères au cercle étroit des médecins se reflète dans le serment de la Medical Society of New Jersey. Un de ses articles énonce qu’on doit être capable de consulter d’autres collègues, à savoir des médecins et non des apothicaires. Ceci démontre bien l’esprit de l’époque : la médecine doit relever du domaine exclusif des médecins et chirurgiens en excluant apothicaires, herboristes et autres praticiens76.
105Dans la recherche de la définition d’un médecin vertueux, on semble oublier souvent sa compétence : on s’attache à sa personnalité, à ses relations avec le patient, avec les autres praticiens et avec la société. Toutefois, suite aux progrès engendrés par les découvertes scientifiques et à leurs applications pratiques en médecine, à une meilleure connaissance du corps humain, la formation académique et clinique devient toutefois un préalable déontologique. Dès le début du XVIIe siècle, Castro insiste sur l’importance de la connaissance scientifique pour pratiquer la médecine. Il définit celle-ci comme l’art de préserver ou redonner la santé par le raisonnement et l’expérience. Pour John de Leipzig, au début du XVIIIe siècle, le premier devoir moral du médecin est la connaissance de son art77. Même s’il croit que le succès ultime de la lutte contre la petite vérole dépend de Dieu, Cotton Matter admet que la validité du processus de vaccination doit être vérifiée par des essais cliniques sous la supervision des médecins78. Dans son œuvre maîtresse, on sait que John Gregory insiste pour que ces derniers aient la maîtrise des connaissances et pratiques médicales. On verra comment Wolfgang Rau veut éliminer les charlatans et comment Samuel Bard déplore l’ignorance et le laisser-aller des praticiens dans les colonies79.
106Finalement, à analyser toutes ces exigences, on voit que se profile lentement le désir de réglementer la profession. Il existe déjà toutefois une tension à la fin de cette période entre ceux qui, comme Samuel Bard, voudraient se fier à la conscience des médecins tout en rejetant un contrôle externe, et ceux qui, comme John Gregory, proposent que la médecine soit régie par des juges connaissant la médecine et représentant les intérêts de la société80.
Perspective sociale et légale
107Les nouvelles exigences en santé publique amènent non seulement le pouvoir politique à entretenir de nouveaux rapports avec la profession médicale, mais conduisent aussi les médecins eux-mêmes à se considérer différemment et à percevoir leurs patients d’une autre manière. La profession médicale constitue désormais une élite sociale destinée à protéger le patrimoine humain de la patrie.
108Par sa dimension collective, l’hygiène publique s’oppose à la médecine individuelle. Elle implique au niveau d’un État la constitution d’une « conscience médicale chargée d’une tâche constante d’informations, de contrôle et de contrainte81 ». Un nouveau type d’interaction s’établit ainsi progressivement entre le pouvoir politique et le savoir médical. Cette collaboration s’accompagne d’une nouvelle conception d’un devoir social incombant à la profession médicale. Le médecin ne travaille plus seulement pour le bien de ses patients, dans la perspective défendue par Hippocrate, mais œuvre aussi pour la grandeur de sa patrie. Un conflit d’allégeance risque ainsi de surgir entre l’intérêt individuel et l’intérêt collectif.
109Le rôle social du médecin va graduellement faire partie des préoccupations éthiques de cette époque. L’œuvre de Rodrigo Castro, Medicus Politicus, citée au chapitre précédent, écrite en 1614, contient une section intitulée : « Les devoirs du médecin face au public ». Un siècle plus tard, John de Leipzig inclut des questions de santé publique lorsqu’il parle des devoirs du médecin82 Au même moment, en Amérique, Cotton Matter intervient dans une controverse suscitée par la vaccination contre la petite vérole83. Mais ce n’est qu’au milieu du XVIIIe siècle en Europe que le rôle social du médecin se concrétise dans le concept de surveillance médicale par l’État.
110Bien que l’aspect légal ne constitue pas la préoccupation majeure de l’époque, on en retrouve des bribes dans certains écrits. En se sens, Wolfgang Thomas Rau (1721-1772) prétend que les devoirs des médecins ne consistent pas uniquement à aider les malades, mais à s’occuper de la santé de la population en général. Pour être efficace, la surveillance étatique se doit d’abord d’identifier le personnel médical qualifié. Et Rau de prôner une législation qui pourrait gérer l’éducation des praticiens de la médecine, édicterait des mesures de santé publique, éduquerait les citoyens au plan de la santé et qui éliminerait les charlatans84. Déjà en 1614, Castro prétendait qu’un pseudo-médecin, ou charlatan, coupable de faute professionnelle devrait être traduit devant les tribunaux, tandis que les diplômés de l’Académie devraient être jugés par des professeurs et non par des juges ignorant l’art médical85.
111Il faudra attendre l’œuvre monumentale de Johan Peter Frank, dont on reparlera au chapitre suivant, pour que les devoirs légaux du médecin soient systématiquement traités et inclus dans ces questions de santé publique.
ÉTHIQUE ET DÉONTOLOGIE INFIRMIÈRES
112En éthique infirmière on peut distinguer deux courants, quoique les deux s’inscrivent dans une perspective religieuse. Un seul auteur s’impose : Vincent de Paul.
Courant chrétien
113L’esprit chrétien suscite beaucoup d’initiatives et de dévouement. Depuis longtemps des religieuses travaillent auprès des malades dans les hôpitaux, comme les Augustines à l’Hôtel-Dieu de Paris. Vincent de Paul et Louise de Marillac inaugurent le concept et le travail d’infirmières visiteuses. Leur conception de la charité bouleverse les esprits et enthousiasme ceux qui sont épris du sens de la justice et de l’équité dans le progrès socio-sanitaire.
114Quoique non officiellement religieuses, les Filles de la Charité deviennent rapidement dans les faits des religieuses non cloîtrées. À une époque où le concile de Trente oblige les religieuses à respecter la clôture, c’est-à-dire à limiter leurs activités à l’intérieur des monastères, il fallait beaucoup d’audace, de courage et d’adresse à Vincent de Paul pour réussir ce que François de Sales n’avait pas pu maintenir avec les Visitandines.
Vous n’êtes pas religieuses, mais vous le devez être en effet. [...] Car qui dit religieuse dit une cloîtrée, et les Filles de la Charité doivent aller partout. C’est pourquoi, mes sœurs, encore que nous ne soyez pas enfermées, néanmoins il faut que vous soyez aussi vertueuses.
[... ] n’ayant pour monastère que les maisons des malades et celle où réside la supérieure, pour cellule une chambre de louage, pour chapelle l’église paroissiale, pour cloître les rues de la ville, pour clôture l’obéissance.
115L’enseignement de Vincent de Paul porte sur deux volets : les qualités personnelles des Filles et les exigences du travail. Les arguments s’appuient sur les sources du christianisme, des Pères de l’Église, principalement saint Augustin, et reflètent les orientations du récent concile de Trente. Les entretiens portent sur la vocation des Filles de la Charité en lien avec le service aux pauvres, aux malades et sur les règles communes et particulières, notamment sur les vertus chrétiennes, la pratique des sacrements, les fautes à éviter et les vertus des sœurs défuntes86.
116Le terme « soin » toutefois est peu utilisé. Lorsqu’il l’est, c’est au sens de « veiller à », « s’occuper de » et ceci aussi bien par rapport aux corps qu’aux âmes. Ce passage de Vincent de Paul est éloquent à ce sujet :
Voyez-vous, mes sœurs, votre soin ne regarde pas seulement les corps, mais principalement les âmes. Notre-Seigneur n’a pas seulement eu soin des personnes malades, quant au corps, mais aussi des âmes. Vous lui succédez, vous devez tâcher de l’imiter, aussi bien que les apôtres ont eu soin des corps et des âmes. II faut que vous disiez en votre esprit lorsque vous allez voir un malade : Dieu m’a donné le soin de ce malade non seulement de son corps, mais de son âme87.
117Tous les soins corporels sont donc accompagnés par les soins spirituels. Le secours que ces Filles donnent aux malades vise principalement à les consoler, les encourager et les instruire des choses nécessaires au salut. Elles font faire aux malades des actes de foi, d’espérance et de charité envers Dieu et le prochain, des actes de contrition. Elles les incitent à pardonner à leurs ennemis. Elles visent à les préparer à la mort si la maladie est mortelle, sinon à reprendre une vie chrétienne exemplaire.
118À regarder de près la perspective, on pourrait cependant noter une certaine évolution par rapport à la perspective des siècles précédents : la spiritualité est davantage centrée sur la personne même du malade. Analysant la constitution des Filles de la Charité, J.-C. Guy note qu’« il s’agit moins de servir dans le pauvre la personne du Christ, mais en servant le pauvre d’imiter la charité du Christ. Et surtout, les soins corporels sont désormais mentionnés avant les soins spirituels88. »
Courant déontologique
119Quoique la perspective chrétienne demeure dominante, il semble y avoir ici un début de mise en règle de certains aspects éthiques de la pratique des femmes soignantes.
120La base de toutes les instructions faites par Vincent de Paul et reprises par Louise de Marillac demeure la règle, inspirée de saint Augustin, dont le précepte le plus clair est l’obéissance totale. Obéir pour servir, voilà la règle ultime. Aussi, chaque action est prévue, réglée, pensée ; et toute initiative individuelle et personnelle est à bannir. En même temps, la règle sauvegarde et protège contre l’ambition, la curiosité, l’émancipation de ces femmes. La règle met sans cesse en garde contre la faute possible, la faute qui guette partout et constamment. Comme le mentionne Marie-Françoise Collière, la règle ordonne toutes les activités, du lever au coucher. Elle décide de l’usage de la parole, impose toutes sortes de silence et fixe les rapports sociaux envers les dames visiteuses, les médecins et les confesseurs, c’est-à-dire toutes personnes qui usent du droit de dicter leur conduite89. Elle inaugure l’orientation des futurs codes d’éthique centrés sur les vertus personnelles des soignantes.
121Vincent de Paul dit sans ambages aux Filles de la Charité : « Faites sans retard ce qui regarde le service des pauvres ; et si, au lieu de faire votre oraison le matin, il vous faut aller porter une médecine, allez-y90. » Attentif à l’efficacité et soucieux d’éviter le surmenage, il leur recommande de ne pas se consacrer à plus de huit malades à la fois91. De manière générale, il attend d’elles qu’elles soient « intelligentes, actives, ponctuelles, obéissantes aux médecins pour le temps, l’heure et la qualité des remèdes, tenant leurs comptes dans un ordre parfait92 ». Le souci d’efficacité professionnelle est bien présent.
122À la fin de leur cours de formation dans les écoles créées en Allemagne par Franz May, les infirmières doivent jurer l’obéissance aux médecins, l’observance des règles d’hygiène, de propreté ainsi que de bonne conduite93.
QUESTIONS ÉTHIQUES PARTICULIÈRES
Confidentialité
123Après le silence relatif du Moyen Âge et de la Renaissance, aucun doute qu’au XVIIe siècle le secret devient une notion officielle et publique. Il concerne tous les intervenants du monde de la santé : médecins, chirurgiens, apothicaires, sages-femmes, etc. Le secret garde son caractère d’obligation morale, mais petit à petit des auteurs en parlent en termes juridiques et les corporations qui se fortifient en font une exigence déontologique. En 1684, l’Allemand Fritsch écrit que « le médecin est en faute s’il ne se garde de ne pas partager les secrets du malade ». En 1689, créant une expression qui reviendra souvent par la suite, le médecin français Jean Bernier en fait l’âme de la médecine : « Quand le médecin a donc reçu le précieux dépôt du cœur du malade, il faut que son cœur et sa bouche l’ensevelissent dans le silence, et qu’ils lui servent pour ainsi dire de tombeau... Il n’est pas moins obligé à garder ce secret que le confesseur à garder celui de son pénitent. » L’auteur précise que, dans les publications scientifiques, le nom et l’identité des malades doivent être cachés. Dans un livre daté de 1763, le médecin et juriste Jean Verdier écrit : « Les secrets qui sont confiés aux médecins sont des dépôts sacrés qui ne leur appartiennent pas. La raison, la religion et les statuts leur enjoignent de garder sur eux un silence inviolable. » Suivant l’exemple de la Faculté de médecine de Paris (chap. 3), la confrérie des chirurgiens exige le même engagement (1699). À partir de 1761, on imprime sur toutes les thèses de médecine, à Paris comme à Montpellier, un engagement au respect du secret. Les deux médecins moralistes britanniques les plus connus, John Gregory et Thomas Percival, insistent eux aussi sur cette obligation. En Allemagne, des auteurs comme Friedrich Hoffmann (1738) et Johann Peter Frank ne cessent de demander aux médecins une discrétion absolue. En 1794 le droit civil prussien en fait une obligation légale. De plus en plus, le secret est d’ailleurs vu comme un absolu.
124Malgré ce caractère absolu du secret, suite à l’intervention grandissante des pouvoirs publics dans la médecine, des injonctions en sens contraire s’expriment déjà, concernant notamment la déclaration des malades contagieux et la dénonciation des blessés de guerre ou de rixe. En 1640, le chancelier de la Faculté de médecine de Montpellier demande le signalement des infections. En 1664, la ville de Strasbourg impose aux chirurgiens de dénoncer les blessures criminelles. En 1666, un édit de Louis XIV oblige les maîtres chirurgiens à déclarer à la police les blessés qu’ils traitent.
125Cependant, sur ce sujet comme sur celui du témoignage en justice, les éthiciens sont divisés. Pour Zacchia et Percival, lorsque le médecin est requis de témoigner en justice, il doit parler. Ce n’est pas l’opinion de Bernier, qui par ailleurs accepte de dévoiler les cas de maladies contagieuses. Pour Verdier, absolument aucune dérogation n’est acceptable parce que le secret est une exigence du droit naturel. Hoffmann et Frank, au contraire, acceptent deux exceptions : les maladies contagieuses et le témoignage en justice. Il va sans dire que le refus d’obéir à ces ordres pour suivre sa conscience peut entraîner et a de fait entraîné des peines parfois sévères94.
126La protection de l’anonymat du malade dans les publications scientifiques n’est cependant pas encore acquise. On est plus discret que dans les siècles précédents, mais parfois le nom du malade est signalé, par exemple chez Morgagni et Sydenham95.
Contraception
127Un nouveau contraceptif apparaît au milieu du XVIIe siècle : le préservatif ou condom. Mais ce moyen « ne posait pas une question morale essentiellement différente de celle que posait déjà le coït interrompu ». De toute manière, il n’a pas la faveur des médecins parce qu’il est alors coûteux et d’efficacité douteuse96.
128À la fin de la période qui nous intéresse, soit le milieu du XVIIIe siècle, une certaine évolution a déjà marqué la vie de l’Église catholique au sujet de la contraception. Elle est toujours condamnée, en particulier par le droit canonique et le catéchisme romain, mais les théologiens, en particulier Alphonse de Liguori, sonnent le glas de la vision traditionnelle de la contraception comme homicide. La contraception devient, selon la doctrine catholique, une violation des fins du mariage, en particulier de l’obligation de remplir le devoir conjugal, mais elle n’est plus considérée comme un homicide. Si la fin de l’acte sexuel demeure l’enfant, beaucoup de théologiens s’éloignent de la position médiévale pro-augustinienne pour adopter plutôt celle de Thomas d’Aquin pour qui le plaisir au cours des rapports sexuels est reconnu comme une valeur97
Avortement
129La doctrine établie jusqu’alors au sujet de l’avortement suscite de nouvelles controverses. Le professeur de médecine à Louvain Thomas de Feynes conteste l’enseignement aristotélicien quant à l’animation tardive du fœtus, prétendant que celle-ci se produit immédiatement ou peu de temps après la conception. En 1621, le docteur Paolo Zacchia répudie aussi la doctrine d’Aristote. Chez les naturalistes (comprenons : les médecins, les biologistes), en général l’embryologie aristotélicienne est remplacée par l'ovisme, lui-même détrôné à la fin du XVIIe siècle par l’animalculisme, l’une et l’autre théorie enseignant toutefois que le fœtus est « préformé » (voir l’encadré sur l’ovisme et l’animalculisme, p. 156).
130Ces théories interviennent forcément dans la querelle sur le moment de l’animation du fœtus et renforcent la condamnation de l’avortement au plan moral. Ainsi, à la fin du XVIIe siècle, le serment prêté par les finissants de certaines universités allemandes le proscrit-il.
131Cependant, tout en condamnant l’avortement en général, plusieurs théologiens font des distinctions et évoquent des situations où l’avortement serait moral. En 1679, le pape Innocent XI condamne certaines opinions « comme scandaleuses et pernicieuses », par exemple celle qui prétend qu’il est probable que le fœtus ne reçoive d’âme raisonnable qu’au moment de la naissance et donc que l’avortement ne constitue jamais un homicide au sens strict. Fuyant également les excès du rigorisme et du laxisme, Alphonse de Liguori (1696-1787) propose divers repères pour des situations complexes, mais son opinion est bien difficile à saisir98 Les théologiens se débattent à distinguer la valeur morale des opinions probables, plus probables, moins probables : nous sommes en plein paradigme casuistique dans le mauvais sens du mot99.
Euthanasie
132La Renaissance invitait l’homme à se faire maître et possesseur de la nature, à déterminer lui-même son destin, sinon sa nature. « Pour un moderne comme Bacon, écrit Hubert Doucet, la science nouvelle devait permettre de faire vivre hommes et femmes en bonne santé jusqu’à un âge avancé. » La médecine, en combattant ses faiblesses, allait diminuer la fréquence des maladies incurables. Le thème de la prolongation jusqu’à un âge extrêmement avancé est au cœur du mythe du progrès, comme l’a montré Gerald Gruman : lorsque la médecine ne pourra plus rien en raison de l’âge et des souffrances, il sera alors normal de pratiquer l’euthanasie100.
133Le mot euthanasie est employé pour la première fois dans les langues modernes par Francis Bacon, dans son livre The Advancement of Learning publié en anglais en 1605. Ce texte est parfois interprété de manière ambiguë ou erronée comme s’il signifiait le fait d’accélérer ou de provoquer directement la mort101. En réalité, le mot désigne ici le devoir du médecin d’accompagner le malade et de soulager sa souffrance dans la mesure du possible. Dans les pages qu’il consacre à la médecine, il constate que les médecins de son temps « abandonnent bien souvent le traitement, en considérant parfois que le mal est incurable par nature, parfois qu’il a dépassé le point où l’on peut soigner ». Aussi déplore-t-il « le fait que l’on ne fasse point de recherche quant au traitement parfait de nombreuses maladies, ou quant aux termes extrêmes des maladies102 ». Puis il passe au soulagement de la douleur et à l’accompagnement des mourants.
Plus encore, j’estime que c’est la tâche du médecin non seulement de faire retrouver la santé, mais encore d’atténuer la souffrance et les douleurs. Et ce, non seulement quand un tel adoucissement est propice à la guérison, mais aussi quand il peut aider à trépasser paisiblement et facilement. [...] Or les médecins, au rebours de cette idée, se font scrupule de rester auprès de leur patient après que la maladie a été jugée désespérée ; ils se l’interdisent de manière quasi religieuse. À mon sens, ils devraient au contraire à la fois perfectionner leur art et apporter du secours pour faciliter et adoucir l’agonie et les souffrances de la mort103.
134Dans l’édition latine de 1623, sous le titre Instauratio Magna, la fin du texte cité est légèrement différente et un peu plus longue :
[...] Mais de notre temps, les médecins semblent se faire une loi d’abandonner les malades dès qu’ils sont à l’extrémité ; au lieu qu’à mon sentiment, s’ils étaient jaloux de ne point manquer à leur devoir, ni par conséquent à l’humanité, et même d’apprendre leur art plus à fond, ils n’épargneraient aucun soin pour aider les agonisants à sortir de ce monde avec plus de douceur et de facilité. Or cette recherche, nous la qualifions de recherche sur l’euthanasie extérieure, que nous distinguons de cette autre euthanasie qui a pour objet la préparation de l’âme et nous la classons parmi nos recommandations104.
135L’auteur, au dire de Patrick Verspieren, entrevoit donc le développement d’une médecine palliative, comme nous dirions aujourd’hui, capable de transformer les derniers moments de la vie, à condition de ne pas être séparée de l’accompagnement spirituel du malade (préparation de l’âme). Tout cela, selon Francis Bacon, dans le but de permettre de réaliser un vieux rêve de l’humanité : échapper aux affres des derniers moments de la vie et s’éteindre, l’heure venue, de manière douce et paisible105.
136L’idée de provoquer la mort est cependant très claire chez son compatriote, le philosophe Hume (1711-1776). Celui-ci soutient que, si l’on peut moralement prolonger la vie, on peut aussi y mettre un terme ; c’est la conséquence logique de la maîtrise de l’homme sur la vie. Cette idée a-t-elle été reprise par la morale ou la déontologie médicale ? Il ne semble pas. Pas plus qu’elle ne rallie l’opinion du grand philosophe allemand Emmanuel Kant (1724-1804), lequel considère aussi comme immorale l’euthanasie volontaire. Selon lui, on violerait alors le devoir face à Dieu, le maître de la vie.
Suicide
137La même diversité de pensée existe par rapport au suicide. David Hume commence son essai intitulé Le suicide par une attaque directe contre la fausse religion et la superstition qui oblige une personne à prolonger une existence misérable... de peur d’offenser son Créateur. Il critique ensuite les arguments de Thomas d’Aquin sur le suicide. Hume prétend qu’une maladie grave, une souffrance accablante et le désir de mourir qui les accompagne devraient être des signes non équivoques d’un appel à cesser de vivre. Comme Socrate et Platon, il avance que c’est même un devoir face à la société106.
138S’inspirant d’une tout autre philosophie que l'empirisme de Hume, le philosophe Kant affirme, au contraire : « Conserver sa vie est un devoir, et c’est en outre une chose pour laquelle chacun a encore une inclination immédiate. » Selon Kant, explique Léon Ménard, « il existe des devoirs envers soi-même tout aussi impératifs que les devoirs envers les autres et la société. Et loin d’être secondaires, de telles obligations constituent la condition sine qua non de toutes les autres. Qui ne se sent pas lié envers soi-même ne saurait, de plein gré, consentir à des responsabilités extérieures qui pourraient lui paraître arbitrairement imposées. » Le suicide est immoral, explique Kant, car on ne peut attribuer à cet acte une portée universelle : ce serait nier la possibilité même de la morale ; la nature serait en contradiction avec elle-même. Il est immoral aussi parce qu’il porte atteinte à la dignité de la personne humaine en ne considérant plus celle-ci comme une fin en soi, mais en la réduisant au rôle de moyen. Ainsi, « le suicide met directement en cause la suprême valeur, celle qui fait la clef de voûte de l’univers moral : la dignité de la Personne humaine où se rejoignent, au fond de notre être, l’Univers et le Singulier107 ».
139De manière identique mais avec une argumentation différente, la très grande majorité des théologiens catholiques condamne le suicide de manière absolue et élabore la notion de suicide indirect pour justifier certains cas frontières que raconte la Bible ou que rapporte l’histoire108.
140Sans être indifférents à ces débats éthiques, les médecins comme l’ensemble de la population ont plutôt tendance à voir dans le suicide un acte pathologique et antisocial. C’est pourquoi la loi ecclésiastique et les lois civiles imposent des sanctions contre le suicide. L’Allemagne le dépénalisera en 1751, la France en 1791, mais ces pays constituent l’exception.
Dissections
141Les dissections de cadavres humains à des fins d’études d’anatomie ne posent plus de problèmes éthiques. On a déjà dit comment le décret de Marly en 1707 enjoignait aux magistrats et aux directeurs d’hôpitaux de fournir les cadavres nécessaires aux professeurs. Après la révolution de 1789, plus de 500 cadavres sont fournis annuellement à l’École de Paris109. La question ne préoccupe plus les autorités religieuses, ni les théologiens.
Expérimentation sur l’animal
142Malgré une tradition majoritaire, la controverse sur la légitimité des expérimentations sur les animaux n’a jamais vraiment cessé au cours des âges. On peut même dire qu'elle reprend de plus belle aux XVIIe et XVIIIe siècles, avec deux protagonistes majeurs, Descartes et Bentham110.
143Le philosophe français René Descartes, en effet, pousse à l’extrême l’anthropocentrisme. L’humain se distingue complètement de l’animal. Celui-ci n’a pas d’âme raisonnable ; partant, il lui manque le langage, il n’a aucune forme de conscience, il ne souffre pas. Il est une « machine », comme le corps humain d’ailleurs. L’expérimentation est donc permise sans aucune limite. La même idée était chez Francis Bacon, lequel déplorait que les médecins ne fissent pas assez de dissections pour vraiment établir des comparaisons et fonder une connaissance plus certaine.
144C’est à cause surtout de cette insensibilité qu’une partie de la philosophie des Lumières changera de paradigme. Déjà Voltaire critiquait son compatriote. Mais c’est surtout le philosophe britannique Jeremy Bentham qui change radicalement la perspective. La question, dit-il, n’est pas de savoir si les animaux sont capables de raisonner, ni s’ils savent parler, mais peuvent-ils souffrir ? Et sa réponse est « oui ». Le fait que tous les êtres vivants aient en commun l’expérience de la souffrance entraîne pour les humains un devoir, un devoir direct, de minimiser la souffrance chez les animaux. L’éthique, en effet, l’éthique utilitariste s’entend, repose sur le principe de minimiser la souffrance et de maximiser le bonheur dans la société et dans la nature.
145Cette position, en réalité révolutionnaire, ne fait évidemment pas l’unanimité à son époque. Elle trouve un opposant de taille dans la personne d’Emmanuel Kant, qui reprend l’anthropocentrisme traditionnel. Pour le philosophe allemand, l’homme est foncièrement distinct de l’animal. Seul l’homme est une fin en soi ; seul l’homme a des droits et des devoirs. Les autres créatures sont des moyens et peuvent être employés par l’homme comme des moyens. Et le philosophe de reprendre l’argument, déjà présent chez Thomas d’Aquin, à l’effet que la cruauté envers le animaux est interdite à cause des possibles retombées dans les rapports entre humains.
La violence assortie de cruauté dans la façon de traiter les animaux [...] est opposée au devoir de l’homme envers lui-même, parce que cela émousse en l’homme la sympathie à l’égard de leur souffrance, affaiblit et anéantit peu à peu une disposition naturelle, très profitable à la moralité dans la relation avec les autres hommes111
*
146Période de progrès des connaissances et de consolidation de la méthode anatomo-clinique, période de changement de paradigme philosophique, les XVIIe et XVIIIe siècles sont au plan médical une sorte de période charnière dont les fruits n’apparaîtront qu’à l’époque suivante.
147L’éthique est, elle aussi, en période de transition.
La perspective religieuse, voire catholique, reste prégnante, surtout chez les infirmières, mais un courant laïque et même laïciste se développe. Auparavant, la déontologie restait empreinte d’esprit chrétien ; maintenant elle s’en dégage pour ouvrir une voix parallèle.
Aussi, ce sont peut-être moins les règles morales qui changent à cette période que l’anthropologie et la philosophie sous-jacentes.
Notes de bas de page
1 H. R. Trevor-Roper, De la Réforme aux Lumières, traduit de l’anglais par Florence Ratier, Paris, Gallimard, 1972, p. 89-99,104-105 ; Georges Livet, La guerre de Trente Ans, Paris, PUF (coll. Que sais-je ?, 1083), 1963, p. 6 ; C. B. A. Behrens, L’Ancien Régime, Paris, Flammarion, 1969, p. 16-21.
2 Trevor-Roper, p. 8,120-131.
3 Gerald J. Griffin et Johanne King Griffin, History and Trends of Professional Nursing, St. Louis (Mo.), The C.V. Mosby Company, 1973 (7e éd.), p. 26-27.
4 Behrens, p. 119-120 et 130.
5 Maurice Bariéty et Charles Coury, Histoire de la médecine, Paris, Fayard, 1963, p. 557-563, ouvrage bien documenté, entrecoupé d’anecdotes et accessible aux profanes.
6 Marcel Reinhard, André Armengaud et Jacques Dupaquier, Histoire générale de la population mondiale, Paris, Montchrestien, 1968 (3e éd.), p. 146-279.
7 C. Hanaway, « From Private Hygiene to Public Health : A Transformation in Western Medicine in the xviiith and xixth Centuries », dans Lloyd G. Stevenson (dir.), A Celebration of Medical History, Baltimore, Johns Hopkins University Press, 1982, p. 116-117.
8 J.-P. Goubert, La conquête de l’eau. L’avènement de la santé à l’âge industriel, Paris, Laffont, 1986.
9 Michel Foucault, Naissance de la clinique. Une archéologie du regard médical, Paris, PUF, 1963, p. 10 et 25-26 ; Terence D. Murphy, « The French Medical Professions Perception of its Social Function between 1776 and 1830 », dans Medical History, 23 (1973), p. 274.
10 Cité dans Goubert, p. 566-567.
11 Michel Foucault, Les machines à guérir. Aux origines de l’hôpital moderne, Bruxelles, Pierre Mardaga, 1979, p. 8 ; idem, Surveiller et punir. Naissance de la prison, Paris, Gallimard, 1981, p. 223 ; J.-P. Goubert, « La médicalisation de la société française, 1770-1830 », dans Réflexions historiques, vol. 9, no1 (1982) 5 ; Othmar Keel, « The Politics of Health and the Institutionalisation of Clinical Practices in Europe in the Second Half of the Eighteenth Century », dans W. F. Bynum et R. Porter (dir.), William Hunter and the Eighteenth-Century Medical World, Cambridge, Cambridge University Press, 1985, p. 214 ; Jacques Léonard, La médecine entre les pouvoirs et les savoirs, Paris, Aubier, 1981, p. 42-64 ; Hanaway, p. 112.
12 Murphy, p. 253.
13 Foucault [1963], p. 44.
14 Laurence Brockliss, « L’enseignement médical et la Révolution », dans Histoire de l’éducation, 42 (mai 1989), p. 83-88 ; Philippe Meyer et Patrick Triadou, Leçons d’histoire de la pensée médicale, Paris, Odile Jacob (coll. Sciences humaines et sociales en médecine), 1996, p. 72. La confusion y règne : « On se procure les chaires comme des charges, les professeurs donnent des cours payants ; les étudiants achètent leurs examens ; et font écrire leurs thèses par des médecins besogneux » (Foucault, p. 44).
15 Brockliss, ibidem.
16 Keel, p. 227-229.
17 Jean Charles Sournia, Histoire de la médecine, Paris, La Découverte, 1992, p. 166-169.
18 Sylvio Leblond, « Histoire de la médecine au Canada français », dans Cahiers d’Histoire, 22 (1970), p. 15-23 (citations p. 17 et 18).
19 Au cours de l’histoire, le passé des femmes soignantes non religieuses a été étouffé, laissant dans l’ombre leurs savoirs et leurs expériences pendant des siècles et cédant la place au modèle de la femme « consacrée ». Lorsque ces femmes soignantes non religieuses accèdent à la possibilité de diffuser leurs savoirs par des enseignements et par des écrits, leurs connaissances deviennent l’apanage de maîtres chirurgiens et de médecins qui s’en emparent pour publier leurs propres manuels. De nombreux exemples sont relatés par Collière qui met en perspective le silence gardé sur les savoirs de ces femmes soignantes non religieuses. Voir Marie-Françoise Collière, « Une histoire usurpée. L’histoire des femmes soignantes », dans M.-F. Collière et E. Diébolt (dir.), Pour une histoire des soins et des professions soignantes, AMIEC, cahier no10, Sainte-Foy-lès-Lyon, 1988, p. 187-234.
20 Josephine A. Dolan, Louise M. Fitzpatrick et E. K. Hermann, Nursing in Society : A Historical Perspective, Philadelphie, W. B. Saunders, 1983 (15e éd.), p. 102-126.
21 René Magnon, « Entre le sabre, le goupillon et la faculté », dans Pour une histoire des soins et des professions soignantes, p. 47-60, notamment p. 49 ; Marie-Françoise Collière, « Les soins à domicile, du pain aux pauvres honteux... à la pénicilline », dans Pour une histoire des soins et des professions soignantes, p. 193-203 (à la note 27, l’auteur conteste le titre de première école d’infirmières, pourtant attribué par Magnon) ; Patricia Donahue, Nursing the Finest Art. An Illustrated History, Toronto, Mosby, 1985, p. 220-222 ; Édouard Desjardins, Suzanne Giroux et Eileen Flanagan, Histoire de la profession infirmière au Québec, Publication AIIQ, Saint-Jean, Les Éd. du Richelieu, 1970, p. 22-25 ; Dolan et al, p. 90-92.
22 Gaston Parturier, La vocation médicale de saint Vincent de Paul, Lyon, Cartier, 1943, 163 p., notamment p. 141. L’auteur signale que Vincent de Paul était ainsi mieux formé que bien des médecins agréés par la Faculté de médecine de Paris.
23 Denise Francillon, « Quand l’histoire des femmes se noue avec celle des infirmières », dans Perspective soignante, 2 (septembre 1998), p. 103-125.
24 Dolan et al., p. 117-118.
25 Idem, p. 97.
26 Idem, p. 117-118.
27 G. B. Risse, « Medicine in the Age of Enlightment » dans A. Wear (dir.), Medicine in Society : Historical Essays, Cambridge, Cambridge Univ. Press, 1992, p. 185.
28 Patrice Boussel, Histoire de la médecine et de la chirurgie de la Grande Peste à nos jours, Paris, Éd. de la Porte verte, 1979, p. 105.
29 Meyer et Triadou, p. 72 ; Boussel, p. 104.
30 Le collectif Clio, L’histoire des femmes au Québec depuis quatre siècles, Montréal, Le Jour, 1992, p. 47 ; Dolan et al., p. 97-98 et 116-117.
François Rousseau, La croix et le scalpel. Histoire des Augustines de l’Hôtel-Dieu de Québec, (1639-1989), Sillery, Septentrion, 1989, p. 249 ; idem, L’œuvre de chère en Nouvelle-France. Le régime des malades à l’Hôtel-Dieu de Québec, Québec, PUL, 1983 ; Dolan et al., p. 116-117.
31 Foucault [1963], p. 56-58.
32 Othmar Keel, « La problématique institutionnelle de la clinique en France et à l’étranger de la fin du XVIIIe siècle à la période de la Restauration », dans Bulletin canadien d’histoire de la médecine, 2/2 (1985), p. 183-204 et 3/1 (1986), p. 1-30 ; Othmar Keel et Philippe Hudon, « L’essor de la pratique clinique dans les armées européennes, 1750-1800 », dans Genesrus, 54 (1997), p. 37-58.
33 Goubert [1982], p. 5 ; Sournia, p. 158 ; Foucault [1963], p. 38. Voir le tableau, p. 162.
34 Sournia, p. 158.
35 Foucault [1963], p. 125-127.
36 Francis Bacon, Du progrès et de la promotion des savoirs, 1605, avant-propos, traduction et notes par Michèle Le Dœuff, Gallimard, 1991 (citation, p. 151).
37 Meyer et Triadou, p. 63 ; Sournia, p. 158.
38 Owsei Temkin, The Double Face of Janus and Other Essays in the History of Medicine, Baltimore, Johns Hopkins University Press, 1951, p. 490-491.
39 Bariéty et Coury, p. 481-482.
40 Dolan et al., p. 102 ; Meyer et Triadou, p. 42-62 ; Sournia, p. 159.
41 Boussel, p. 114 ; Sournia 165.
42 Boussel, p. 111.
43 Bariéty et Coury, p. 545-547 ; Sournia, p. 165.
44 Sournia, p. 166.
45 Keel [1985], p. 229.
46 Keel [1997]. p. 44-58.
47 Boussel, p. 97.
48 Meyer et Triadou, 65,
49 Sournia, p. 166-169.
50 Temkin, p. 490-491.
51 Dolan, p. 111.
52 Bariéty, p. 476-478.
53 Meyer et Triadou, p. 68 ; Sournia, p. 167-172.
54 Desjardins et al., p. 26-27.
55 Bernard Assiniwi, La médecine des Indiens d’Amérique, Montréal, Guérin Littérature (coll. Nature et mystères), 1988, p. 11-37. Ce volume contient aussi une liste exhaustive des plantes médicinales (p. 69-417) utilisées par les Amérindiens et une bibliographie assez complète sur les Indiens d’Amérique. On peut parcourir aussi avec intérêt le livre de James W. Herrick, Iroquois Medical Botany, Syracuse (N.Y.), Syracuse University Press, 1995, pour son approche anthropologique.
56 Voir Richard M. Zaner, « Embodiment : the Phenomenological Tradition », dans W. Reich, Encyclopedia of Bioethics, Londres, Collier MacMillan, 1995 (2e éd.), vol. 1, p. 294.
57 Cité par Morfaux, p. 210.
58 Cité dans Brockliss, p. 90-91.
59 Bariéty et Coury, p. 476-478.
60 Sournia, p. 159.
61 Nicholas D. Jewson, « The Disappearance of the Sick Man from Medical Cosmology, 1770-1870 », dans Sociology, 10/2 (1976), p. 225-244.
L’auteur emploie constamment l’expression cosmologie médicale. Nous transposons en anthropologie médicale, considérant que son expression correspond à notre concept d’anthropologie.
62 Jewson, p. 228.
63 Stanley Joël Reiser, Medicine and the Reign of Technology, Cambridge, Cambridge University Press, 1978.
64 Goubert, p. 6 ; Keel, p. 213.
65 Georges Minois, L'Église et la science. Histoire d’un malentendu, tome 2, De Galilée à Jean-Paul II, Paris, Fayard, 1991, p. 48-61 et p. 146-159 (les citations se trouvent aux p. 154 et 155).
66 Raymond Villey, Histoire du secret médical, Paris, Seghers, 1986, p. 39-53.
67 Harold J. Cook, « History of Medical Ethics : Europe (Renaissance and Enlightment) », dans W. Reich (dir.), Encyclopedia of Bioethics, 1995 (2e éd.), p. 1541 et suiv.
68 Albert R. Jonsen, « History of Medical Ethics : Western Europe in the Seventeenth Century », dans W. Reich (dir.), Encyclopedia of Bioethics, Londres, Collier MacMillan, 1978 (1re éd.), p. 954-956.
69 Idem, p. 956.
70 Chester R. Burns, « History of Medical Ethics : Central Europe in the Seventeenth Century », dans W. Reich (dir.), Encyclopedia of Bioethics, 1978 (1re éd.), p. 964, citant Samuel Bard, A Discourse upon the Duties of a Physician with some Sentiments on the Usefulness and Necessity of a Public Hospital, delivered before the President and Governors of King’s College at the Commencement Held on the 16th of May 1769, as Advice to those Gentlemen who then received the First Medical Degrees Conferred by that University, New York, A&J Robertson, 1769, p. 6.
71 Jonsen [1978], p. 954-956.
72 Idem, p. 955.
73 Cette philosophie séculière et souvent anti-religieuse aura été préparée dès le XVIIe siècle par les philosophes Thomas Hobbes (1588-1679) et Baruch Spinoza (1632-1677), qui déjà se départissent explicitement d’une perspective religieuse et tentent de construire l’éthique sur une base complètement rationnelle. En Amérique puritaine, on s’oppose à cette philosophie, ennemie de la foi. Mais les puritains réussissent à concilier leur croyance religieuse avec l’idée d’une liberté morale humaine capable de découvrir par elle-même le sens du bien et du mal. Au milieu du XVIIIe siècle, les intellectuels protestants adoptent les idées de Locke, Rousseau, Montesquieu, surtout en se qui touche la liberté, la loi naturelle et les droits naturels, ce qui se concilie fort bien avec leur conception d’une nouvelle république. Albert J. Jonsen, The Birth of Bioethics, Oxford, Oxford University Press, 1998, p. 66-67.
74 Laurence B. McCullough, « History of Medical Ethics : Britain and the U.S. in the Eighteenth Century », dans W. Reich (dir.), Encyclopaedia of Bioethics, 1978 (1re éd.), p. 957-961.
75 John Gregory, Lectures on the Duties and Qualifications of a Physician, Londres, Stahan/Creech, 1788. Voir L. B. McCullough, p. 960.
76 Idem, p. 959.
77 Jonsen [1978], p. 954-955.
78 Burns, p. 963.
79 McCullough, p. 957-962.
80 Idem, p. 963, citant Bard et John Gregory, Observation on the Duties and Offices of Physician, and on the Method Prosecuting Enquiries in Philosophy, Londres, Stahan & Cadell, 1770.
81 Foucault [1963], p. 26.
82 Jonsen [1978], p. 954-955.
83 Burns, p. 963.
84 McCullough, p. 957.
85 Jonsen [1978], p. 955.
86 Marie-Françoise Collière, « Les soins à domicile, du pain aux pauvres honteux... à la pénicilline », dans M.-F. Collière et E. Diébolt (dir.), Pour une histoire des soins et des professions soignantes, p. 187-234, notamment p. 198.
87 Idem, p. 197.
88 Cité par J.-C. Guy, « La vie religieuse et la santé de l’homme », dans Religieuses dans les professions de la santé, 277/278 (mai-août 1980), p. 254.
89 Collière [1988], p. 199.
90 Desjardins et al., p. 23.
91 Dolan et al, p. 90-92.
92 Desjardins et al, p. 24.
93 Francillon, p. 103-125.
94 Bernard Hoerni et Michel Bénézech, Le secret médical. Confidentialité et discrétion en médecine, Paris, Masson, 1996, p 8-9 ; Raymond Villey, Histoire du secret médical, p. 39-53.
95 Villey, p. 71-73.
96 John T. Noonan, Contraception et mariage. Évolution ou contradiction dans la pensée chrétienne, Paris, Cerf, 1969, p. 443.
97 Jonsen [1998], p. 488.
98 Idem, p. 287 et 315.
99 Historiquement, le terme casuistique a été utilisé après coup au XXe siècle pour désigner une partie de la théologie morale (catholique et protestante) ou, mieux, une manière de concevoir la morale fréquente à partir du XIIIe siècle. Il s’agit d’une perspective en principe déductive, mais en réalité très situationniste, où l’expert (le théologien, le prêtre ou le pasteur) dicte au sujet (le plus souvent, le pénitent) ce qu’il doit faire dans les situations complexes de la vie, aboutissant dans bien des cas à une morale laxiste, c’est-à-dire à la justification d’actes dérogatoires aux principes reconnus au départ.
Voir Guy Durand, Introduction générale à la bioéthique. Histoire, concepts et outils, Montréal, Fides, 1999, p. 96-98 ; Vincent Carraud et Olivier Chaline, art. « Casuistique », dans Monique Canto-Sperber (dir.), Dictionnaire d’éthique et de philosophie morale, Paris, PUF, 1996, p. 213-222.
100 Hubert Doucet. Les promesses du crépuscule. Réflexions sur l’euthanasie et l’aide médicale au suicide, Montréal, Fides, 1998, p. 58-61. La source est Gerald Gruman, History of Ideas about the Prolongation of Life, New York, Arno Press, 1977, p. 75.
101 Voir Igor Barrère et Étienne Lalou, Le dossier confidentiel de l’euthanasie, Paris, Stock, 1962, p. 111 ; Jean-Yves Coffi, art. « Euthanasie », dans Monique Canto-Sperber (dir.), Dictionnaire de l’éthique et de la philosophie morale, Paris, PUF, 1996, p. 543 ; Doucet, p. 59.
En réalité, le mot euthanasie ne prendra le sens de « provoquer la mort » qu’à la fin du XIXe siècle, d’abord dans une perspective eugénique, puis au milieu du XXe siècle dans une perspective individualiste du droit au choix du moment de sa mort.
102 Francis Bacon, Du progrès et de la promotion des savoirs, 1605, traduction et notes par Michèle Le Dœuff, Paris, Gallimard, 1991, p. 150.
103 Idem, p. 150-151.
104 Dans M. Bouillet (trad.), OEuvres philosophiques de F. Bacon, Hachette, 1834, cité par Verspieren.
105 Notre analyse est confortée par les études de François Sarda, Le droit de vivre et le droit de mourir, Paris, Seuil, 1975, p. 150-151 ; et surtout Patrick Verspieren, « Quand y a-t-il euthanasie ? », dans le polycopié L’euthanasie, Cahier du Centre Sèvres, Paris, 1985, p. 7-11 ; idem, article « euthanasie », dans Encyclopedia Universalis, Paris, 1984, p. 613 ; Sophie Aurenche, L’euthanasie, la fin d’un tabou ?, Paris, ESF (coll. Droit de regard), 1999, p. 14-19 ; Patrick Thominet, L’euthanasie au regard de l’histoire des mentalités, mémoire d’un diplôme universitaire, Hôpital de la Salpêtrière.
106 David Hume, Hume on Religion, 1783 (éd. R. Wollheim), New York, World Publishing, 1963 : Tom L. Beauchamp, « Suicide in the Age of Reason », dans Suicide and Euthanasia. Historical and Contemporary Themes, Dordrecht, Kluwer, p. 183-219.
107 Emmanuel Kant, Fondements de la métaphysique des moeurs, traduction de V. Delbos, Paris, Vrin, 1987, p. 62, 96, 106 (citation p. 62). Voir aussi Léon Meynard, Le suicide, Paris, PUF, 1954, p. 46 et 76-82 (les citations de Meynard se trouvent aux p. 76 et 77).
108 Guy M. Bertrand, « Le contexte chrétien actuel. Pour une révision de la morale traditionnelle », dans Les suicides, Cahiers de recherche éthique, no11, Montréal, Fides, p. 215-240.
109 Meyer et Triadou, p. 74.
110 Alberto Bondolfi, « La relation entre les êtres humains et les animaux en Occident », dans T. Leroux et L. Létourneau (dir.), L’être humain, l’animal et l’environnement. Dimensions éthiques et juridiques, Montréal, Thémis, 1996, p. 13-32 ; Pierre Gendron, « Expérimentation animale et responsabilité scientifique », dans idem, p. 63-76.
111 Emmanuel Kant, Œuvres complètes, t. III, cité par Gendron, p. 71.
Notes de fin
1 La période s’étend du début du XVIIe siècle à la fin du XVIIIe, où divers événements déterminent un changement important : 1760,1789.
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