Chapitre 3. La Renaissance (XVe et XVIe siècles)
p. 101-136
Texte intégral
1Un renouveau sans précédent éclate au XVe siècle, faisant retour à la culture gréco-romaine masquée par la « civilisation barbare » et l’influence chrétienne. C’est l’irruption de l’humanisme dans l’art, les sciences, la philosophie... Humanisme chrétien encore, mais n’en constituant pas moins un tournant culturel important. C’est le début de la laïcité ou du laïcisme en politique, marqué par la querelle entre les pouvoirs religieux et politique, et accentué par le développement du protestantisme. C’est la croyance naïve dans le pouvoir de l’être humain, amplifiée par la découverte (ou la conquête) du Nouveau Monde1.
2L’état de santé des populations reste précaire comme dans les siècles précédents, mais les gouvernements commencent à s’engager sérieusement dans l’organisation de la médecine et des soins. On voit la fondation de nombreux hospices ou hôpitaux pour recevoir les malades et miséreux de toutes catégories, mais la médecine ne s’exerce pas nécessairement là. C’est plutôt le champ des soins infirmiers.
3La médecine se détache graduellement des philosophies, avec leurs visions essentialistes de la santé et de la maladie, et des religions, avec leurs préjugés et leurs rites, pour explorer vraiment les faits et donner priorité à l’observation. On fait des bonds prodigieux grâce aux progrès de l’anatomie et de la chirurgie, mais les retombées pratiques des connaissances sur la thérapie et les soins n’apparaîtront que plus tard.
4La réflexion éthique médicale quant à elle se poursuit selon trois perspectives (déontologique, laïque, religieuse) qui ne sont pas d’ailleurs en opposition. Sur des points particuliers, les controverses sont favorisées par la liberté de pensée. Cependant, comme la profession elle-même, l’éthique infirmière n’a pas vraiment d’autonomie : elle reçoit son contenu d’ailleurs. Son temps n’est pas encore arrivé.
INTRODUCTION SOCIOCULTURELLE
5Une partie du XVe siècle et le XVIe siècle en entier sont considérés comme faisant partie de la Renaissance.
Principaux événements
6Sur le plan sociopolitique, cette période connaît l’ouverture de l’Europe au Nouveau Monde et aux routes commerciales et maritimes des Indes (1492-1500). Il suffit de mentionner les noms de Jean Cabot, de Christophe Colomb et de Vasco de Gama. Mais la récente chute de Constantinople a des répercussions immédiates plus considérables.
7De nouveau, les grandes puissances européennes se disputent les territoires environnants. C’est la péninsule italienne qui leur sert de champ de bataille (guerres d’Italie : 1494-1559). Le sac de Rome par les troupes de Charles Quint demeure célèbre. François Ier et Charles Quint sont les deux grandes figures de cette période. Mais Elizabeth d’Angleterre domine la politique occidentale dans la seconde moitié du XVIe siècle.
Essor culturel
8L’aristocratie militaire domine dans la majorité des États issus du Moyen Âge. Un pays fait exception : l’Italie. Dans les grandes villes (Venise, Florence, Gênes, Milan, Vérone, Sienne), pivots du système financier et commercial du monde médiéval, se développe, dans un cadre social et politique original, un système de valeurs nouveau. Parmi les marchands, les banquiers, les médecins et les juristes qui forment l’élite dominante de ces villes, un groupe d’intellectuels, les « humanistes », recherchent dans l’étude de l’Antiquité qu’ils veulent faire renaître (la « Renaissance ») une vision nouvelle de l’homme et de sa place dans le monde. Paradoxalement, cette pensée nouvelle profite d’un essor scientifique et technologique sans précédent1.
9La découverte de l’imprimerie permet la diffusion de manuscrits grecs et latins que des savants byzantins expatriés de Constantinople apportent en Italie. On ne se contente plus de copies ou de traductions arabes ou juives du Moyen Âge. Sur le plan scientifique, une nouvelle cosmologie fait son apparition, laquelle remet en cause la croyance que la terre est le centre de l’univers : les œuvres de Nicolas Copernic (1473-1543), Giordano Bruno (1548-1600), Tycho Brahé (1546-1601) et Galileo Galilei (1564-1642) amorcent une révolution scientifique qui oblige l’homme à se penser dans un univers dont il n’est plus le centre. Sur le plan de l’inventaire existant du monde vivant, la découverte du Nouveau Monde oblige géographes, zoologues et botanistes à accroître et renouveler leur savoir. La redécouverte des ingénieurs grecs sera un stimulant dans la promotion de la technique et de la maîtrise du monde : imprimerie, gravure, architecture, instruments de navigation, horlogerie, métallurgie (les premiers canons), etc.
10De toute cette floraison naît « l’humanisme » où l’ici-bas prime sur l’au-delà, où la liberté individuelle prend le primat sur la collectivité, où l’on célèbre la beauté du monde et en particulier celle du corps humain. Cette mutation se manifeste d’abord par l’approche de la nudité. La peinture et la sculpture commencent à représenter des corps dévêtus dans des œuvres à caractère religieux impliquant Adam et Ève par exemple. Michel-Ange ose peindre et sculpter Jésus, homme et fils de Dieu, entièrement nu. Le goût pour l’Antiquité et la mythologie intensifie par la suite la représentation du corps humain. Hercule, Apollon, les nymphes et sylphides retiennent alors l’attention tandis que de nouveaux critères esthétiques s’établissent. Le respect de l’exactitude des proportions anatomiques devient une règle incontournable.
L’Église et la Réforme
11Nous avons vu comment, à la fin du Moyen Âge, la papauté avait perdu du prestige. Une autre épreuve atteint l’Église catholique : la Réforme. Il s’agit d’un vaste mouvement religieux aux formes variées qui veut une Église plus pure. La Réforme sera à l’origine des Églises « protestantes » fondées au XVIe siècle qui soustraient à l’autorité de l’Église catholique une partie de la chrétienté européenne. Luther, Calvin et Érasme défendent l’autorité de la Bible aux dépens de celle de l’Église. Le concile de Trente (1545-63) tente alors une contre-réforme qui vise une clarification des problèmes doctrinaux et un renouveau disciplinaire, et qui remet en activité l’Inquisition2.
12Cependant, même si la Réforme remet en question l’autorité de l’Église et prône la primauté de la liberté individuelle, l’homme de la Renaissance, habitué à un système sécurisant, s’accroche encore à de l’irrationnel : il réclame à l’astrologie, à l’alchimie, à la magie et à la divination un savoir et un pouvoir aptes à maîtriser les mystères du monde visible et invisible3.
SITUATION SANITAIRE
13Les épidémies réapparaissent vers la fin du XVIe siècle, d’autant plus que les voyages vers l’Inde et le Nouveau Monde font surgir de nouvelles maladies contagieuses. Une certaine croissance démographique se manifeste toutefois, alors que les États se relèvent lentement des conséquences désastreuses de la peste noire.
Maladies et épidémies
14Au XVIe siècle, la peste, la lèpre et l’ergotisme font encore des ravages, mais de nouvelles maladies apparaissent, telles que la suette anglaise (fortes fièvres et attaques cardiaques), la trousse-galant (mélange d’influenza et d’encéphalite), le tac ou horion (variété de grippe pulmonaire). Les voyages des explorateurs et les grands mouvements de peuples qui ont agité l’Europe à cette époque vont susciter deux fléaux caractéristiques de la Renaissance : la variole (ou petite vérole) et la syphilis (ou grosse vérole)4.
15S’il est vrai que la variole n’a jamais pris l’aspect terrifiant des grandes épidémies de peste, elle n’en a pas moins régné à l’état endémique pendant des siècles, autant en Europe qu’en Amérique. Dans son compte rendu de la mort de la reine Marie d’Écosse, mère de Marie Stuart, l’historien Macaulay en parle ainsi :
Le désastre de la peste avait été infiniment plus rapide ; mais la peste n’atteignit nos rivages qu’une ou deux fois de mémoire d’homme, tandis que la variole était toujours présente5.
16La situation est plus grave dans le Nouveau Monde. L’Empire aztèque est alors autant sinon davantage décimé par cette maladie (la moitié de la population en meurt) que par les armées des conquistadors, les deux provenant d’outre-mer.
17Quant à la syphilis6, on pense qu'elle a été introduite en Europe par l’équipage de Christophe Colomb revenant de l’île Hispaniola (Haïti) en 1493 et propagée par les soldats et les commerçants. Toujours est-il qu’elle se répand considérablement en France, en Espagne, en Angleterre et au Portugal. Elle atteint aussi l’Afrique et l’Extrême-Orient. Elle figure au premier rang des méfaits que les Portugais apportent aux Indes. Ne connaissant pas le mode de contagion, les mesures préventives sont difficiles. On suppose que l’agent se transmet dans l’air. En 1497, en France, on publie même un décret pour interdire à tout malade, sous peine de mort, de « converser » avec le monde extérieur. Les Écossais sont les premiers à se douter que la syphilis peut être transmise par contact sexuel.
18Enfin, il ne faut pas négliger cette maladie bizarre, appelée « possession démoniaque », qui donne lieu à une multitude de procès de sorcellerie de 1560 à 1640. Paradoxalement, la Renaissance constitue une époque où le rôle déterminant donné aux puissances surnaturelles (Dieu et Satan) et aux astres dans le déclenchement des maladies épidémiques conduit à la recherche de boucs émissaires. Les femmes, les juifs, les étrangers et les marginaux (mendiants, prostituées) en font les frais7.
Facteurs démographiques
19Il y a moins de données démographiques se référant à cette période qu’à celle de la fin du Moyen Âge. Les dénombrements de population restent exceptionnels. Au début du siècle, il existe des registres paroissiaux, mais ils sont tenus très irrégulièrement. Avec le temps, la situation change considérablement : on veut connaître les adeptes des diverses confessions, on veut dénombrer les bras qui assurent les ressources et fournissent les armées, etc.8.
20Il n’y a pas non plus beaucoup de données disponibles au sujet des taux de mortalité et d’espérance de vie. Les décès d’enfants sont mal enregistrés. Une étude de Louis Henry sur la bourgeoisie genevoise de l’époque fixe l’âge moyen à 32 ans et en déduit que de 45 à 50 % des enfants meurent avant d’avoir atteint l’âge adulte. À la fin du siècle, à Venise, l’âge moyen au décès est de 26,6 ans et 20 % de la population seulement dépasse 50 ans9.
21Malgré des données parcellaires, il semble que la Renaissance connaît une croissance démographique assez marquée. Vers l’an 1500, le niveau de peuplement atteint à la veille de la peste noire n’est pas encore retrouvé : par exemple, la France, qui comptait approximativement 19 millions d’habitants en 1340, n’en a plus que 16 millions en 1500 ; de même, l’Italie est passée de 9,3 millions à 5,5 millions. En dépit de ces baisses dramatiques, il semble pourtant qu’autour de 1570 l’Europe occidentale atteint de nouveaux maxima. Et la progression se maintient même si, au dernier tiers du siècle, l’Europe connaît une nouvelle série de catastrophes causées par des guerres, des crises de subsistance et des retours de la peste.
22Tel que déjà mentionné, l’Italie est le principal théâtre d’une des guerres qui ont marqué ce siècle. Le sac de Rome en 1527 entraîne de nombreuses morts, mais la famine et la peste qui suivent causent encore plus de dommages. Comment expliquer alors que la population de Rome va pratiquement doubler en 30 ans (1530-1560) ? Retour des exilés, immigration urbaine... diverses raisons ont pu influencer cette augmentation.
23Rome n’est pas le seul cas d’expansion. L’Espagne — la Catalogne en particulier—, l’Angleterre, l’Allemagne et la ville de Lisbonne connaissent une poussée démographique sans précédent. Les épidémies de peste semblent être plus virulentes en France, au sud de la région parisienne en particulier, et à Venise, qui perd 50 000 habitants (1576-1577). En Angleterre, la population double en l’espace de deux siècles (1379-1579). La poussée démographique est là un stimulant des progrès économiques, à la fois dans l’agriculture et l’élevage et dans les industries extractives et textiles.
24L’humanisme en général et la Réforme en particulier ont certes favorisé une attitude nouvelle face à l’accroissement de la population. Alors que Botero, écrivain italien, déclare qu’il faut équilibrer la virtus generativa avec la virtus nutritiva, Luther incite les jeunes gens à se marier au plus tôt, à procréer et ainsi être fidèles au diktat de la Genèse : « croissez et multipliez ». Un des grands humanistes de la Renaissance, Castiglione (1478-1529), a plutôt le souci de son train de vie : « Je me suis contenté d’un fils, et n’ai pas voulu étendre ma fortune ou mon affection à un autre », ce qui reflète assez bien la mentalité des cours royales d’Europe où avortements et naissances hors mariage n’ont certes pas contribué à l’expansion démographique. Mais ces constatations ne peuvent exprimer tout à fait correctement ce qui se passe dans la population. Un fait est certain : au début du XVIIe siècle, la population de l’Europe occidentale, surtout en Allemagne et en Angleterre, connaît une forte croissance démographique.
ORGANISATION DE LA MÉDECINE ET DES SOINS INFIRMIERS
25Dans le prolongement de l’effort entrepris à la fin du Moyen Âge, l’Église catholique et les universités s’efforcent de contrôler l’exercice de la médecine. La survivance de croyances plus ou moins scientifiques, le foisonnement de charlatans de tout acabit et les tensions entre médecins, chirurgiens et autres soignants entraînent toutefois beaucoup de rivalités entre les différents soignants.
Diversité des soignants
26Le malade de la Renaissance peut s’adresser à une multitude de personnes qui, croit-il, peuvent le soulager ou le guérir. Il y a d’abord les médecins, surtout dans les villes ou à la cour. Diplômés d’université, ils parlent latin et grec, appartiennent à la bonne bourgeoisie, jouissent de privilèges fiscaux dans la plupart des pays d’Europe. Ils se regroupent en collèges pour assurer la permanence de leur fonction et de leurs privilèges. Ils sont davantage voués au savoir encyclopédique qu’à l’efficacité thérapeutique. Ils sont malgré tout bien considérés. Le peuple est souvent impressionné par leur savante argumentation, leur érudition, leur statut social ou leur appartenance à la maison d’un grand personnage. Les vrais médecins sont néanmoins peu nombreux et la population fait donc appel à divers autres soignants10.
27Au premier rang de ceux-ci se situent les chirurgiens. Contrairement aux médecins, il s’agit d’artisans, exerçant un métier manuel, ne parlant pas latin. Ils sont méprisés par les docteurs. La séparation des professions durera 200 ans, même si la formation des chirurgiens devint de plus en plus réglementée et exigeante avec les ans. Les chirurgiens peuvent être répartis en trois catégories : les maîtres-chirurgiens ou chirurgiens de longue robe tel Ambroise Paré, les barbiers-chirurgiens ou chirurgiens de robe courte et enfin les empiriques. Ces derniers sont des illégaux qui exercent la médecine sans aucune formation reconnue. Le terme « charlatan » apparaît à cette époque11. Les apothicaires sont un peu à part.
28D’autres groupes encore interviennent dans les soins. C’est le cas des religieuses et des moines qui continuent de distribuer des remèdes à leurs fidèles. Les seigneurs et leurs épouses jouent aussi un rôle non négligeable en soignant les gens de leurs domaines dans une perspective de bienfaisance teintée de paternalisme12.
29Il importe néanmoins de noter le relatif déclin des soins infirmiers. Certains historiens parlent même de la « période noire » de la pratique infirmière qui connaît les pires conditions de son histoire. De façon générale, les querelles religieuses peuvent être tenues partiellement responsables de la période sombre traversée par les soins infirmiers, surtout en Angleterre. La confiscation des biens de l’Église par Henri VIII entraîne la fermeture des monastères et hôpitaux religieux où étaient formées et œuvraient les infirmières. Les infirmières formées par les religieuses sont négligées et remplacées par du personnel issu des classes illettrées ou même sorti de prison. Les femmes qui s’adonnent alors aux soins sont avant tout des ménagères d’âge moyen. Elles ne font partie d’aucune organisation et ne jouissent d’aucun statut social. Elles sont mal payées et, si elles sont mères de famille, cherchent souvent à compenser le manque à gagner par la prostitution. Plusieurs sombrent dans l’alcoolisme13.
30Cette multiplicité de soignants crée un climat de désordre auquel la recherche d’une certaine institutionnalisation va essayer de remédier.
Institutions médicales et formation
31Deux impératifs semblent se dessiner sur ce plan : d’une part, veiller à ce que les soignants possèdent une formation reconnue et, d’autre part, voir à ce que les malades les plus démunis soient pris en charge. Différents facteurs vont intervenir en ce sens.
32Les institutions (facultés et corporations) mises en place au Moyen Âge continuent d’exister, mais ne se limitent plus à la fonction d’enseignement. Elles deviennent un moyen de se faire reconnaître socialement en tant que profession et une façon de lutter contre la concurrence des autres soignants. Les rivalités entre médecins et chirurgiens illustrent ces luttes parfois âpres.
33Ainsi, en France, la Faculté de médecine est autant une corporation veillant à défendre ses droits et ses membres qu’une structure enseignante. La « licence » confère le droit d’exercer la médecine, mais cette formation porte davantage au goût des humanités qu’à la rigueur scientifique proprement dite. Tournés vers l’action et l’efficacité, les chirurgiens apparaissent comme les grands rivaux des médecins. Il n’est pas surprenant alors qu’une Faculté de médecine soucieuse de protéger ses privilèges voit d’un mauvais œil des chirurgiens qui empiètent souvent sur son propre domaine14.
34Depuis le XIIIe siècle, la chirurgie est en effet considérée par la médecine comme une besogne manuelle et subalterne. Les maîtres en chirurgie possèdent tout de même un collège où, pour être couronné chirurgien de longue robe, il faut étudier quatre ans, subir un examen en latin et soutenir une thèse. Leur plus cher désir consiste à se soustraire à l’autorité de la Faculté de médecine.
35La lutte des chirurgiens pour leur reconnaissance sociale se trouve néanmoins entravée par des querelles internes. Il existe en effet une rivalité entre maîtres-chirurgiens et barbiers-chirurgiens. Ces derniers doivent se limiter aux saignées, à la cure des abcès, aux ventouses et aux pansements. Ils ont leur propre corporation. En 1577, ils demandent leur intégration à l’université, ce qui rebute les chirurgiens de longue robe qui font annuler la mesure. Cette autonomie face à l’université se révèle peut-être bénéfique dans la mesure où elle permet à certains praticiens tel Ambroise Paré d’échapper au monde intellectuel rigide et statique de la médecine universitaire française de la Renaissance.
36Bien plus, en France, l’étroitesse d’esprit démontrée par les collèges, universités et facultés amène le pouvoir politique à critiquer l’isolationnisme du monde scientifique et à créer le Collège royal dont il nomme les professeurs. Le français y remplace le latin dans l’enseignement. D’autres pays suivent cet exemple, chacun privilégiant sa propre langue. Les universités manifestent leur aigreur en s’opposant à la fois à l’enseignement dans les langues vernaculaires et à l’utilisation de ces langues par les chirurgiens lorsqu’ils s’adressent aux blessés.
37Deux autres groupes de soignants se basent sur une formation plus poussée pour faire reconnaître leur spécificité sans que des conflits aussi marqués ne surgissent. C’est le cas des apothicaires qui, avec le développement des universités au XIIIe siècle, se distinguent bientôt des médecins pour préparer les remèdes et, dans une moindre mesure, des sages-femmes dont la formation devient plus rigoureuse à partir de 156015.
38L’accroissement de la demande de soins médicaux, causé par l’augmentation de la population, l’apparition des grandes villes et le développement du commerce, se solde donc par une formation plus poussée de la plupart des soignants. Cette formation a toutefois pour corollaire la marginalisation de l’élément féminin. La plupart des universités européennes excluant les femmes, celles-ci ne peuvent guère devenir elles-mêmes médecins, chirurgiens ou apothicaires. Elles sont donc désormais cantonnées à un rôle subalterne. La quasi-égalité des sexes du Moyen Âge tend à disparaître16.
Soins infirmiers et hôpitaux
39Au début de l’époque, la situation des hôpitaux et des soins infirmiers est catastrophique. En Angleterre, la confiscation des biens d’Église entraîne la fermeture de nombreuses institutions de santé, d’où le renvoi de plusieurs soignants, moines et religieuses, qui jusqu’alors assumaient les soins aux malades. Les hôpitaux deviennent des places d’horreur, puisque aucun groupe de personnes qualifiées ne peut remplacer ces soignants appartenant à des ordres religieux. Le nouveau personnel n’a pas de formation et n’en reçoit pas. Aucun statut social ne peut être rattaché à cette fonction de soignante. De surcroît, la suprématie masculine de l’époque laisse les infirmières sans voix tant en ce qui concerne la dispensation des soins que l’organisation et la gestion des institutions hospitalières. Dans ces conditions, personne n’est intéressé à devenir infirmière.
40Quoique la situation ne soit pas si noire en dehors de l’Angleterre, elle s’est quand même détériorée. En France, par exemple, les hôpitaux devenus riches excitent les convoitises : des administrateurs peu dévoués sont nommés ; des biens sont détournés ; malgré la permanence de beaux engagements, les mœurs des soignants ont changé. Brigitte Rossignol illustre cet état de fait à partir de la ville de Lyon. Elle constate qu’à l’Hôtel-Dieu de cette ville pourtant prospère, il n’existe aucun personnel attitré pour les soins quotidiens des malades. Le médecin, le chirurgien, le barbier-chirurgien et l’apothicaire les visitent tour à tour et les soignent du mieux qu’ils peuvent, mais on ne fait jamais allusion à une personne qui ressemblerait de près ou de loin à une infirmière. Ceci laisse supposer que c’est la population qui s’organise pour soigner les malades17.
41Le XVIe siècle voit poindre une certaine amélioration. On assiste à une deuxième vague de fondations dans les régions catholiques. Plusieurs conciles, surtout le concile de Trente (1545-1563), tentent de réformer la situation en transformant les libres associations de soignants en congrégations religieuses strictes. Aux quatre vœux connus (pauvreté, chasteté, obéissance, service des pauvres), on en ajoute un cinquième, celui de la clôture, c’est-à-dire de l’interdiction de sortir du couvent ou du monastère. Finies les communautés mixtes du Moyen Âge. Finies les associations de laïques visiteuses18.
42Dans les zones réformées, la suppression des communautés religieuses est compensée par des interventions de l’État et des municipalités. Dans les hôpitaux supervisés par des comités de notables locaux, les soignantes, placées sous l’autorité d’une matrone, prennent trois figures différentes : des laïques pauvrement payées ; des « sœurs » qui, sans être incorporées dans une communauté formelle, vivent en célibataires en se consacrant entièrement à leur tâche charitable ; enfin, des « sœurs » appartenant à des « sociétés » protestantes vouées au soin des malades19.
Politiques de santé
43Au début de la période, les mesures de santé publique s’avèrent fort déficientes. Ainsi que cela a été mentionné plus haut, l’Angleterre supprime les ordres religieux catholiques et les monastères qui assuraient jusqu’alors les soins hospitaliers aux pauvres et aux malades. Les souverains de l’époque, Henri VIII et Élizabeth Ire, consacrent plus d’énergie à combattre la mendicité par des mesures répressives qu’à s’attaquer à la source des problèmes20. Quant à la France, l’étude réalisée par Rossignol sur la ville de Lyon démontre que la splendeur de celle-ci n’est que relative : le centre animé de la rue Mercière et des bords de la Saône abrite dans des maisons vétustes et privées d’hygiène une population désemparée devant les maladies et, plus particulièrement, les épidémies21. Sous l’effet des désordres économiques et sociaux, la pauvreté continue en outre d’augmenter au point de menacer l’ordre public.
44Cette situation conduit les pouvoirs publics non seulement à exiger une plus grande formation des médecins, mais aussi à établir des établissements d’hébergement provisoires. Puis, peu à peu, les communautés urbaines se substituent à l’Église et aux princes dans la gestion des hôpitaux, non seulement sous l’effet de la Réforme, mais aussi en raison des difficultés financières éprouvées par ceux-ci. Cette laïcisation progressive, du moins au niveau administratif, s’opère à la fois dans les pays catholiques et protestants22.
45Comme au Moyen Âge, les hôpitaux et hospices servent davantage à héberger les pauvres et les infirmes qu’à soigner les malades. Quelques salles spécialisées sont réservées aux aliénés mais, dans ce XVIe siècle aussi appelé « siècle de la mélancolie », il n’est pas encore question de les soigner23.
46Dans l’exploration du Nouveau Monde, les colonisateurs amènent avec eux plusieurs membres d’ordres religieux qui deviennent enseignants, infirmiers et médecins dans les colonies. En 1521, Cortés conquiert Tenochtitlan, capitale aztèque rebaptisée Mexico, qui, dès 1524, devient le site du premier hôpital existant sur le nouveau continent : l’Hôpital de l’Immaculée-Conception24.
DÉVELOPPEMENT DES CONNAISSANCES ET DES TECHNIQUES
47La médecine ne reste pas à l’écart du bouillonnement intellectuel de la Renaissance. Beaucoup de praticiens sont aussi mathématiciens, physiciens, astrologues et même alchimistes. Ils commencent aussi à remettre en question les dogmes médicaux et traditions jusque-là acceptés en adoptant une démarche inductive basée sur l’observation et, plus particulièrement, sur l’étude de l’anatomie25. Ceci ne signifie pas pour autant que le recours à la superstition et l’approche déductive soient immédiatement oubliés. Il arrive en effet à la médecine de souffrir encore de son apriorisme, de son attachement à la scolastique et de son désir de plaire. ÉRASME est sévère à ce propos :
La médecine, surtout comme la plupart de nos docteurs la pratiquent aujourd’hui, n’est plus que l’art de plaire à un malade, et à ce point de vue, elle a quelque rapport avec la rhétorique26.
48Le perfectionnement de l’anatomie et le culte du corps humain amènent une collaboration inédite entre médecins et artistes eux aussi attachés à l’étude de l’homme et à sa représentation physique27. Globalement, les perspectives se révèlent différentes. L’artiste ne regarde pas le corps humain de la même façon que l’homme de science : l’un recherche l’esthétique, l’autre, la rigueur et la précision, quoique l’inverse soit parfois vrai. Il semble difficile de concilier l’observation rigoureuse avec la sensibilité dont l’artiste ne peut s’affranchir28. Les deux groupes se trouvent pourtant contraints de travailler ensemble : les anatomistes fournissent les données et descriptions indispensables à toute représentation cherchant la perfection esthétique, tandis que les peintres illustrent ce que les hommes de science veulent diffuser.
49En bref, il semble donc difficile de parler de renaissance médicale avant le XVIIe siècle, malgré l’existence de certaines grandes figures et malgré certains progrès réalisés notamment quant à la connaissance de l’anatomie.
Grandes découvertes
50La découverte de l’anatomie constitue indéniablement la plus grande contribution de la Renaissance au développement des connaissances médicales. Comme les artistes, les médecins dirigent alors leurs observations vers le corps humain.
51Les premiers amphithéâtres d’anatomie apparaissent à Padoue en 1490, à Montpellier en 1551, à Bâle en 1588 et à Paris en 1606. Chaque université reçoit un contingent de cadavres, limité à trois ou quatre, provenant généralement des corps de condamnés à mort non réclamés par la famille. Avec le temps, on dispose de cadavres à volonté. L’école de Padoue détient la plus grande influence en ce domaine. Elle regroupe un grand nombre de professeurs ayant à la fois identifié des structures anatomiques qui portent encore leur nom et diffusé leur savoir et leur technique à de nombreux élèves. André Vésale, Fallope, Acquapendente découvrent le corps humain ; William Harvey établit la circulation du sang ; Ambroise Paré s’enhardit à opérer des vivants29.
52Mais alors qu’à l’origine la dissection servait davantage à confirmer les thèses de Galien, Aristote, etc., elle commence vraiment à donner ses fruits, c’est-à-dire à devenir une nouvelle méthode de connaissance, centrée sur l’observation et la découverte des faits empiriques. Une approche inductive apparaît ou, mieux, si l’on veut tenir compte d’une tradition oubliée, réapparaît, s’affirme et se précise.
Léonard de Vinci (1452-1519)
53Les études anatomiques de Léonard de Vinci se poursuivent pendant 45 ans grâce à de multiples dissections. Ses représentations de la conformation des muscles se révèlent exactes. Le meilleur exemple du souci de perfection énoncé plus haut réside probablement dans le mythe du « nombre d’or » qui l’amène à présenter comme symbole de la beauté idéale un homme bien proportionné dans un cercle. Il s’intéresse en outre au cœur, organe de vie, dont il parvient à illustrer avec une grande précision les quatre cavités, cordages et valvules inclus. Il mesure le pouls en fonction du temps et évalue à sept onces le volume de sang présent dans les cavités cardiaques30.
54Il n’échappe pourtant pas à l’influence philosophique de son époque. Certaines erreurs de ses dessins ne sont explicables que par la croyance contemporaine selon laquelle « la nature est pleine d’infinies raisons qui ne sont jamais apparues dans l’expérience ». Il vient au seuil de la découverte de la circulation sanguine, mais en est empêché par l’acceptation de la théorie de Galien quant à l’existence de pores invisibles dans les parois internes du cœur31. Ses reproductions n’atteignent qu’un public restreint, bien qu’elles se répandent après 1570.
Paracelse (1493-1541)
55Philippus Aureolus Theophrastus Bombastus Von Hohenheim, dit Paracelse, est un médecin, alchimiste et philosophe suisse. Il rejette Aristote et Galien de manière spectaculaire, allant jusqu’à brûler en public les œuvres de Galien. Très controversée, sa pensée est centrée sur un système général de correspondance : l’âme est l’image du monde et réunit en elle tous les éléments constitutifs de ce monde. Chaque viscère est associé à un astre en rapports réciproques, le cœur au soleil, le foie à Jupiter par exemple. Plus que par la contemplation des objets extérieurs et par le raisonnement sur eux, l’être humain peut arriver à la connaissance par une sympathie entre l’objet et ce qui lui correspond à l’intérieur de lui-même. Selon lui, médecin et chirurgien sont complémentaires : judicando, tu es médecin, curando, chirurgien32.
56Ce médecin célèbre est à l’origine d’une école de pensée, l’iatrochimie, qui fonde la théorie et la pratique médicales exclusivement sur des éléments chimiques. Il réalise certaines percées thérapeutiques en appliquant ses principes au traitement des plaies dues aux armes et améliore ainsi le traitement de celles-ci par des pansements émollients non douloureux. Il introduit aussi les terres dans la pharmacopée et préconise l’emploi de métaux et métalloïdes tels les sels d’antimoine pour le traitement de nombreux états cliniques. Il recommande en outre le mercure pour guérir la syphilis, bien que les effets secondaires soient souvent tragiques.
57Il aurait pu être considéré comme le père de la chimie pharmaceutique, mais son influence demeure limitée en raison de son attachement à certaines traditions du Moyen Âge et de son originalité associant à la fois rationalité et occultisme33.
Vésale (1514-1564)
58D’origine flamande et fils d’apothicaire, Andreas Vesalius naît à Bruxelles. Le souci d’observation et la précision du trait le caractérisent. Il soutient sa thèse de doctorat à Padoue en 1537. Il publie à Bâle en 1543 De humani corporis fabrica, œuvre monumentale considérée par certains comme le fondement de l’anatomie moderne. Il y établit une nomenclature des os, muscles et vaisseaux grâce à des illustrations nombreuses et admirables réalisées par un élève de Titien. Une deuxième édition de 1555 met en doute les « pores » de la cloison interventriculaire décrits par Galien. Ces « pores », d’abord qualifiés d’invisibles, deviennent inexistants et le « sang qui transpire à travers la cloison » est désormais réputé transpirer à travers la cloison. Malgré sa grande admiration pour Galien, en cinq ans de travail Vésale note 200 inexactitudes dans l’œuvre galénique, y compris la reconnaissance d’éléments humains ( !) qui ne se trouvent que chez les singes ou les chiens. Il en vient à penser que son illustre prédécesseur n’avait jamais pratiqué de dissection humaine, se contentant d’inférer chez l’humain à partir de dissections animales. Il fait par ailleurs une véritable révolution pédagogique, alors qu’il est professeur de faculté, en disséquant lui-même les cadavres, commentant ses gestes, ajoutant des explications, montrant les spécimens, s’accompagnant de grands schémas ou d’un squelette pour aider les étudiants à se situer34. Cette innovation lui attire à la fois des éloges et des critiques.
59Vésale n’établit pourtant ni l’étanchéité de la cloison cardiaque ventriculaire ni la présence de valvules veineuses qui invalideraient les concepts galéniques. Les travaux d’Ibn-al-Nafis, disparus dans la tourmente qui a touché le Moyen-Orient, ne semblent pas avoir atteint l’Occident. L’originalité de Vésale réside d’une part dans sa quête de rationalité et, d’autre part, dans son souci constant d’établir une nomenclature anatomique. Il révolutionne en partie les concepts anatomiques galéniques. Surtout, il parvient à transformer les méthodes purement théoriques de l’enseignement anatomique de son époque35.
Ambroise Paré (1509-1590)
60Ambroise Paré est un chirurgien français né à Laval, en Mayenne. D’abord barbier-chirurgien, il devient par la suite stagiaire à l’Hôtel-Dieu de Paris puis chirurgien militaire. En 1554, il entre dans la confrérie de Saint-Côme, formée de chirurgiens de longue robe qui doivent soutenir une thèse en latin devant les médecins. Il va bientôt soigner autant les « pauvres soldats » que les grands personnages dont le roi Henri II. Son époque est celle de l’apparition des armes à feu et des blessures qui en résultent. Paré s’y intéresse et utilise un modèle mécanique et balistique qui contredit le modèle traditionnel de la médecine, soit celui de l’empoisonnement par le projectile. Pour soigner Henri II blessé à l’œil par une lance, il fait reproduire la blessure chez quatre suppliciés de la Bastille avant de les disséquer pour mieux comprendre les caractéristiques de la blessure. Bien avant l’ère de la radiologie, il peut repérer ce projectile dans le corps du blessé et le retirer. Il soigne aussi les traumatismes crâniens et va jusqu’à utiliser la trépanation. Pourtant, comme les chirurgiens de son époque, il œuvre dans le cadre de la médecine humorale qu’il ne renie pas. Il n’en reste pas moins que sa connaissance de la pathologie externe est souvent plus précise et parfois plus efficace que celle de ses contemporains plus érudits. On dit même que ses lacunes académiques l’ont aidé à devenir un excellent chirurgien. Ce que d’autres qualifiaient de « rudesse » ou même de « brutalité », Paré le voit comme autant de qualités de « promptitude » et d’« urgence » qui rendent la profession « socialement indispensable et quasi royale36 ».
61Bien qu’il ne cesse d’affirmer la primauté de l’expérience et de l’observation, il reste tributaire des idées de son temps. Il a fait faire des bonds importants à la chirurgie. Selon Sournia, il doit surtout sa gloire à ses qualités humaines et à son œuvre encyclopédique37.
Méthodes diagnostiques et thérapeutiques
62Si certains innovateurs accroissent les connaissances, transforment les concepts médicaux et l’approche de la maladie, il ne faut pourtant pas conclure que la pratique suit immédiatement. Les grandes découvertes scientifiques ne contribuent pas toujours immédiatement à l’évolution de la pratique.
63Malgré des avancées spectaculaires, par exemple en chirurgie avec Tagliacozzi, les médecins ne peuvent encore utiliser leur savoir anatomique sur le plan clinique pour deux raisons majeures. En premier lieu, les interventions sur les viscères profonds se révèlent impossibles à cause des risques d’infection. De plus, l’anatomie reste descriptive et les médecins demeurent très ignorants de la fonction des organes qu’ils découvrent38. Une rupture apparaît ainsi entre « connaissances » et « soins » tandis que la quête des premières semble primer sur les seconds. En effet, si les unes connaissent une nette progression, les autres demeurent basés sur la tradition. La formation des médecins les rend de plus en plus savants, mais ils disposent toujours de peu de moyens techniques, et, donc, d’une faible efficacité thérapeutique. Il plaît en outre à certains d’utiliser un langage savant marquant leur supériorité par rapport aux patients. La dichotomie entre les aspects cognitifs et thérapeutiques des soins de santé s’élargit ainsi au fur et à mesure que se développent les connaissances.
64Dans la pratique, l’ensemble des autres soignants demeurent beaucoup plus proches des malades, leur parlent dans leur langue et se préoccupent davantage de leur bien-être ; mais il leur manque alors les connaissances indispensables pour être efficaces sur le plan médical. Les chirurgiens peuvent être cités en exemple. À la différence des médecins, ils se caractérisent par leur quête d’efficacité thérapeutique et leur habitude de s’adresser aux malades dans la langue usuelle du pays. Ils ne rejettent pas pour autant la recherche de connaissances puisqu’ils suivent une formation de plus en plus rigoureuse et s’efforcent de s’intégrer dans la pratique des dissections d’abord réservée aux médecins. En fait, la nature même de leur travail les pousse à établir des liens entre les connaissances, anatomiques notamment, et leurs applications pratiques au niveau des soins. Ils allient donc à la fois le souci du patient hérité de la tradition hippocratique et la quête de connaissances basée sur l’observation issue de la Renaissance39.
65En conséquence, la thérapeutique de la Renaissance reste donc, dans son ensemble, rudimentaire et collée à celle des siècles précédents.
66L’approche médicale considère toujours que la maladie résulte d’un déséquilibre des humeurs. Il s’agit dès lors de commencer par diagnostiquer le trouble humoral. Pour ce faire, le médecin, après avoir inspecté succinctement l’état des téguments et des muqueuses, palpe le pouls d’une façon purement qualitative, puis passe à l’examen des humeurs au moyen de la saignée, de l’analyse des excrétions et des urines. Il va même jusqu’à les goûter. Son savoir-faire réside dans l’administration d’une thérapeutique contraire au tempérament morbide de l’individu ou de l’organe atteint tout en prenant en compte que tout viscère a son correspondant sidéral. Ce sont les mouvements des planètes qui règlent les périodes de purgation, de saignées et de coupe de cheveux. Enfin, l’horoscope du malade peut aider à choisir le moment le plus favorable pour la prise de médicaments ou la date d’une opération40.
67Il importe donc d’éliminer les humeurs « peccantes » au moyen de saignées, purgations, lavements et d’une pharmacopée faisant appel aux trois règnes. Cette pharmacopée va s’accroître énormément à la Renaissance, favorisée d’une part par l’intérêt porté à l’alchimie et à la chimie et, d’autre part, grâce à la découverte de la faune et de la flore du Nouveau Monde. Salsepareille, millepertuis, fleur de la passion et bois de gaïac (utilisé contre la syphilis) sont largement employés. La chair de vipère est recommandée jusqu’au XIXe siècle. L’iatrochimie montre finalement combien les médicaments métalliques tels le mercure, l’antimoine et même certaines pierres précieuses peuvent être en vogue41.
68D’un autre côté, les approches religieuses et magiques continuent cependant d’avoir cours, surtout lorsque se produisent des épidémies. Il importe alors d’invoquer Dieu et les saints : à chaque maladie se rattache la dévotion à un saint spécifique. Le recours à la magie, plus clandestin, est cependant courant : mages, devins, astrologues prospèrent et proposent amulettes, formules incantatoires, philtres et remèdes mais aussi poisons et antidotes42.
Apport de l’imprimerie
69La Renaissance est néanmoins le théâtre d’une innovation majeure dont les conséquences indirectes sur les soins de la santé révéleront toute la portée dans les siècles suivants. Les progrès de l’imprimerie permettent en effet la publication et la diffusion d’ouvrages médicaux. Les dissections étant en effet réservées par la force des choses à un public restreint, les professeurs d’anatomie se trouvent encouragés à utiliser les livres pour reproduire et diffuser le fruit de leur travail. Berengario da Carpi (1470-1530), professeur à Bologne, est le premier à faire imprimer des pages d’anatomie illustrées et expliquées. Bien que les premières représentations négligent les règles de la perspective et aboutissent à des dessins plats sans relief, ces règles commencent à être employées en 1517 et se généralisent par la suite. Le livre médical apparaît à la fin du XVIe siècle. Des traités d’hygiène alimentaire se multiplient alors dans toutes les langues. D’abord situés à Lyon, les principaux ateliers se retrouvent à Paris dès le XVIIe siècle43.
70En somme, malgré l’ouverture d’esprit de ses intellectuels et malgré des progrès considérables, la Renaissance ne parvient pas à échapper totalement à l’influence des dogmes et traditions, ce qui limite indéniablement la portée de ses découvertes. Il reste beaucoup de flou concernant la physiologie du corps humain et les rapports entre les divers organes. Par exemple, malgré des progrès considérables depuis Galien sur le fonctionnement du cœur, les connaissances restent approximatives. Il faudra attendre le siècle suivant pour comprendre vraiment la circulation sanguine44. La contribution du XVIe siècle au niveau de l’anatomie descriptive constitue néanmoins une étape indispensable et irréversible de l’évolution de la science médicale.
ANTHROPOLOGIE MÉDICALE ET CULTURELLE
71La conception de la santé et de la maladie ne connaît pas de changement majeur pendant la Renaissance. Les courants médicaux et chrétiens demeurent dominants. Le bouillonnement intellectuel du XVe siècle entraîne néanmoins une certaine évolution de chacun de ces courants et, surtout, des relations entre les deux. Le nouveau regard posé sur le corps humain illustre particulièrement bien cette situation. Le courant féminin, toujours présent, perd toutefois de l’importance.
Courant médical
72Pour les scientifiques de la Renaissance (médecins, anatomistes et autres), comme pour ceux de la période précédente, il y a une unité profonde de l’univers. Le microcosme et le macrocosme se rejoignent. L’univers terrestre est en lien et en interaction avec l’univers sidéral.
73Reprenant et complétant les connaissances de siècles précédents, ils tiennent pour acquis que le corps humain, comme tous les objets, est composé des quatre éléments : feu, terre, air, eau, qui se conjuguent selon des proportions diverses avec les quatre qualités : le chaud, le froid, le sec et l’humide. La santé résulte de l’équilibre des humeurs, notamment la bile, le phlegme... Lequel équilibre est en rapport avec la nourriture, le régime de vie, l’hygiène, ainsi qu’avec le monde sidéral. Tout viscère, comme nous venons de le dire, a son correspondant astral ; chaque organe corporel est corrélé avec un signe du zodiaque : ainsi le cœur est régi par le soleil, le cerveau par la lune, etc. La santé dépend donc aussi bien de la bonne disposition des astres que du régime global de vie.
74En contraste, la maladie résulte d’un déséquilibre des humeurs. Le corps humain subit des altérations en liaison avec le mouvement des planètes. Ainsi les comètes déclenchent les pestes, le moment de la naissance conditionne l’état de la santé d’un chacun, les lignes de la main déterminent le caractère. Cardano, Paracelse, Ficin, Fernel, tous relient vicissitudes astronomiques et physiologiques45.
Courant chrétien
75Alors que les médecins cherchent à savoir de quoi est composé le corps humain, les courants religieux issus du catholicisme et de la Réforme s’interrogent sur la place de l’être humain dans l’ensemble de la création divine. Globalement, la pensée chrétienne ne se distingue pas de la pensée scientifique. D’une part, les savants sont presque tous chrétiens, souvent même théologiens. D’autre part, les théologiens intègrent (sauf exceptions) la vision « scientifique » de leurs contemporains sur le corps, la santé, la maladie, y compris l’influence des astres et des esprits. Mais souvent s’y mêlent des dogmes religieux et des superstitions de toute nature46. La présence récurrente des épidémies y joue un rôle important.
Pour l’Église, le mal a pénétré dans le monde par le péché originel, et la liaison entre le mal moral et le mal physique reste très vivante. Épidémies et maladies diverses sont envoyées par Dieu pour châtier les hommes ; catholiques et protestants s’accordent sur ce point, et Calvin fera brûler quatorze personnes accusées d’avoir attiré la peste sur Genève par leurs incantations. Ambroise Paré pense que les phénomènes monstrueux sont dus à la colère divine. Sorciers, juifs, conjonctions astrales et démons sont des agents pathogènes plus puissants que nos virus, et bien des médecins, comme l’Espagnol Luis Lobera d’Avila, l’Italien Silvatico, le Français Ranchin, souhaiteraient la constitution d’une médecine catholique, fondée sur la morale autant que sur la pathologie47.
76La folie est souvent assimilée par les théologiens et le peuple à la possession diabolique. On comprend que, dans cette perspective, les malades n’aillent pas voir le médecin, mais fassent prières, neuvaines, pèlerinages et autres exercices pieux.
77Cette conception du mal et de la maladie fait presque perdre de vue un autre élément essentiel du mystère chrétien qui porte sur la beauté et la bonté du corps humain créé par Dieu et racheté par le Christ, ainsi que sur la grandeur de l’intelligence et le légitime souci de pousser le plus loin possible les limites des connaissances. C’est en quoi le courant humaniste heurte par moment les autorités ecclésiales et soulève ses réserves sinon ses condamnations.
Courant féminin
78La dichotomie connaissances/soins présentée plus haut prévaut aussi dans les soins infirmiers. On commence à réaliser qu’un nursing efficace est basé sur une connaissance minimum de l’anatomie. Mais la Renaissance, dans sa quotidienneté, n’a pas été propice à une évolution rapide à ce propos. Le principe de base du nursing demeure celui de la charité chrétienne et non celui de l’hygiène et de l’efficacité48. Le recul de la religion et la marginalisation des femmes dans la formation universitaire s’additionnent pour rendre à peu près muet le courant féminin pendant la Renaissance.
ÉTHIQUE ET DÉONTOLOGIE MÉDICALES
79Comment les gens de la Renaissance se sont-ils situés au plan éthique ? L’évolution avec le siècle précédent est à peine perceptible. Le changement de mentalité ne se fera sentir que plus tard. Pour le moment se poursuit un mélange de déontologie laïque et de théologie morale, tandis que s’amplifient les controverses sur la moralité de certains comportements.
Perspective déontologique
80Comme par le passé, on insiste moins sur la compétence que sur l’honorabilité, la bonne réputation et la personnalité du médecin49. Ainsi les règlements internes des corporations et collèges de médecins, d’apothicaires et de chirurgiens, aussi bien à Londres qu’à Amsterdam, ont bien plus pour but de surveiller la conduite de leurs membres que leur professionnalisme. Ils distinguent très rarement une pratique illicite d’une faute professionnelle (malpractice), soulignant que lors de leur demande d’accréditation les postulants ont à prouver qu’ils sont de bonnes personnes autant par leur honorabilité que par leurs connaissances. Le même point de vue se retrouve dans la littérature et les tracts dénonçant le charlatanisme qui a proliféré à la Renaissance. Encore ici, on ne fait pas de distinction entre la réputation du charlatan et sa pratique. John Cotta en 1612 va jusqu’à affirmer que même un bon remède peut causer du tort lorsque recommandé par tous ces charlatans n’ayant pas la connaissance et les vertus des médecins50. À l’inverse, le chirurgien Fabricius (1533-1619) affirme que « même les mauvais remèdes pourraient être efficaces lorsque administrés par un médecin honnête et dévot51 ». On peut deviner qu’une telle prise de position, au début de l’ère moderne, ne peut que renforcer l’attitude des « dogmatistes » qui privilégient la raison au dépens de l’intuition et de l’expérience. À moins d’y voir aussi, pour une part, une application de ce qu’on appelle aujourd’hui l’« effet placebo ».
81Certains textes de l’époque nous instruisent sur la mentalité populaire face à la pratique de la médecine. Ainsi, beaucoup de médecins découvrent que l’aspect commercial, mercantile, de leur profession n’est pas bien considéré par le public : accepter des frais à l’avance est vu comme digne des charlatans. Les médecins auront tôt fait de parler d’honoraires et non de frais. Plusieurs d’entre eux continuent à traiter les pauvres gratuitement52.
82Selon Abel Lefranc, « l’un des ouvrages les plus riches d’expérience et les plus pénétrés de la réalité que nous ait transmis le XVIe siècle au sujet de la pratique médicale est sans conteste celui de Laurent Joubert », médecin ordinaire des rois de France et de Navarre, chancelier et juge de la faculté de médecine de Montpellier. Analysant une plainte adressée aux grands médecins de Paris concernant la durée des visites à domicile, Joubert fait une analyse minutieuse de l’emploi du temps de ces praticiens et conclut par un commentaire où voisinent observations et déontologie.
Il s’ensuit nécessairement que chacune de ces dernières [visites] ne seront guère que d’un demi-quart d’heure, car il faut contenter chacun des malades. De la sorte, le médecin ne fait qu’entrer et sortir. Il s’informe en courant de l’état du patient, touche le pouls, voit l’urine, dit un mot de ce qu’il faut faire, et passe à un autre. Certes, on ne peut lui reprocher sa trop grande rapidité, puisqu’il ne lui est pas possible de faire autrement et que tous ceux qui l’appellent savent à quoi s’en tenir.
83Suit une série de notations qui prouvent combien Joubert veut coller à la réalité.
Il arrive, en effet, que le médecin répond qu’il ne peut se rendre à l’appel qu’il reçoit, vu le grand nombre de malades qu’il a à secourir. On lui réplique alors : « Monsieur, vous ne ferez qu’entrer et sortir, le malade pensera être guéri seulement par votre vue. Qu’il vous voie une fois le jour en passant, et il sera satisfait ». Autant en disent un autre et un troisième et un quatrième. Que faire en la circonstance ? Mais, dira quelqu’un, ne faut-il pas avoir égard à la qualité des personnes et s’arrêter plus longuement auprès de hauts personnages : grand seigneur, évêque, abbé, comte, baron, président, conseiller, trésorier général des finances et autres gens d’honneur qui ont de quoi le reconnaître et récompenser, plutôt qu’auprès de gens de condition plus modeste. [L’auteur répond à cela] qu’il faut bien faire son devoir envers tous et s’acquitter fidèlement de sa charge. En outre, il y a des clients plus recommandés, comme les proches parents, les alliés, amis, familiers, et ceux à qui on a quelque grande obligation. Ceux-là doivent être préférés aux autres, quels que soient le grade et le rang qu’ils tiennent53.
84Sans mettre en doute l’honnêteté de l’ensemble des praticiens, il est clair que certains d’entre eux, peu scrupuleux, emploient des procédés louches ou charlatanesques pour attirer la clientèle. Par exemple, un médecin d’une petite ville du Poitou fait interroger ses patients par sa femme ; il écoute secrètement les informations données par le patient ; et, quand il se montre et regarde les urines, il peut rapidement diagnostiquer plein de choses, à la grande admiration du patient.
85Le prix des visites et des consultations varie considérablement d’un lieu à l’autre, d’un praticien à l’autre, d’un malade à l’autre. Les médecins des grands personnages sont rémunérés grassement ; chez beaucoup de médecins de ville et de campagne, les honoraires sont bas, voire inexistants. Certaines villes passent des contrats de service avec certains médecins et exercent alors un contrôle sur les honoraires. Pour prévenir la collusion, dans nombre de villes, les autorités prennent soin d’interdire de la manière la plus formelle toute entente entre le médecin et l’apothicaire54.
Atmosphère religieuse
86Toute la pratique médicale baigne encore dans une atmosphère religieuse. Le médecin a des devoirs religieux, notamment celui de voir à ce que les malades aient accès à la confession et à l’extrême-onction. À la suite d’une bulle du pape Pie IV, les nouveaux docteurs de Lyon, d’Avignon et de Paris doivent jurer d’inviter leurs malades à appeler le prêtre dès la seconde visite pour être confessés, et de cesser les soins s’ils ne s’y résolvent pas après la troisième visite55.
87Avant d’être reçus, les apothicaires parisiens doivent prêter un serment analogue à celui des médecins. Le serment implique, entre autres, « de vivre et de mourir en la foi chrétienne ». En encore : « de ne toucher aucunement aux parties honteuses et défendues des femmes, que ce ne soit pas grande nécessité, c’est-à-dire lorsqu’il sera question d’appliquer dessus quelques remèdes56 ».
88La plupart des auteurs insistent sur un juste équilibre à trouver entre les connaissances académiques et la vertu d’un bon praticien. Selon plusieurs, cette dernière vient de Dieu bien plus que d’une connaissance académique. De là à conclure que les médecins « inspirés » sont supérieurs aux praticiens formés aux idées païennes ou islamiques ayant cours dans les facultés de médecine, il n’y a qu’un pas à franchir. Paracelse s’inscrit dans cette perspective57.
89Si la sorcellerie et le mysticisme peuvent encombrer les connaissances et les pratiques, la croyance peut aussi être équilibrée. On a beaucoup insisté sur la profonde piété chrétienne d’Ambroise Paré. La préface de son livre publié en 1545 se termine par une humble prière au Créateur. Combien significative surtout la phrase célèbre qu’il répète tant de fois à la fin de ses descriptions cliniques : « Je le pansai, Dieu le guérit. » Beaucoup de livres de médecins arabes portent la formule : « Après ce traitement, le malade guérira, si Dieu le veut58. »
90Mais les mentalités différentes vont surtout se manifester quant à la fonction du médecin sur les plans spirituel et corporel59. Le médecin catholique Condrochi a souligné abondamment le lien étroit entre l’esprit et le corps et leur influence réciproque, un sujet éminemment important pour tous les praticiens œuvrant en pays catholiques. « Puisque la sympathie entre le corps et l’âme est si étroite que les vices de l’esprit influencent le corps et qu’en retour les maladies du corps affaiblissent l’esprit », Condrochi en arrive à la conclusion que le médecin doit s’occuper de la guérison du corps, la partie la plus grossière de l’humain, mais aussi de celle de l’âme60. C’est à peu près la pensée d’Érasme (1466-1536) qui, louangeant la médecine, déclare que les médecins non seulement déterminent effectivement si le patient est mélancolique ou possédé, mais qu’en rétablissant l’équilibre des humeurs ils font en sorte que la possession diabolique s’avère impossible61. Rodrigo Castro, lui, insiste sur les moyens naturels de guérir la maladie, fidèle à sa philosophie de l’importance du corps en médecine.
ÉTHIQUE ET DÉONTOLOGIE INFIRMIÈRES
91Comment parler d’une éthique infirmière au cours de cette période tant décriée comme la période noire des hôpitaux et du nursing ? Il est difficile de porter des jugements trop sévères à l’égard des femmes qui remplissent ces fonctions parce qu’elles n’ont pas d’autres choix pour survivre62. Curieusement, ni les médecins ni les autorités de l’époque ne se portent à la défense de la qualité des soins offerts à la population du temps. Dans ce contexte, peut-on parler alors d’une absence d’éthique de soins chez les infirmières sans s’interroger sur l’absence d’une éthique institutionnelle chez les principaux décideurs du temps ?
92Cependant, même si les hôpitaux sont en détresse, tout n’est pas perdu de la générosité et des acquis des siècles précédents. Un peu partout en Europe, des soignants et des soignantes, religieux et laïques, se dévouent auprès des malades et des souffrants de toute catégorie. Surtout à partir du XVIe siècle. On ne risque pas de se tromper en évoquant, comme pour la période précédente, d’une part, une éthique de la compassion, de la sollicitude et de la bienfaisance et, d’autre part, une éthique du respect de la vie, de l’honnêteté, de la confidentialité, de la vérité. Il n’y a rien, cependant, qui ressemble à une éthique professionnelle spécifique. C’est plutôt l’éthique religieuse qui suscite et anime les gens concernés.
93Il n’est pas superflu de mentionner que le mot « nursing » n’est pas étranger aux premiers balbutiements éthiques des soins infirmiers. Issu du mot français nourrice, lui même provenant du latin nutrire et nutrix, le « nursing » signifie nourrir, allaiter, abriter, bercer, prendre soin de... Tous ces mots se rattachent à des comportements caractérisés par le don de soi. Il est facile d’y déceler les qualités ou les vertus attendues d’une infirmière et d’y reconnaître les attributs propres au rôle féminin63.
QUESTIONS ÉTHIQUES PARTICULIÈRES
94On connaît déjà les grandes préoccupations des médecins, des soignantes, des Églises chrétiennes pour le respect de la vie, l’interdit du meurtre, la compassion, la vérité et la bienfaisance. Tout cela demeure. Mais à l’aube des Temps modernes, suite au développement de la science médicale et de l’ouverture au monde, beaucoup de penseurs non chrétiens et même chrétiens occidentaux remettent en question ou relativisent certains diktats ou interdits de la morale séculaire.
Confidentialité
95Diversement selon les pays, Italie, Espagne, France, plus marquée en France pour la chirurgie que pour la clinique, l’exigence du secret médical revient dans l’espace public à la Renaissance. Les théologiens distinguent entre le secret naturel (relevant de la loi naturelle) dont fait partie le secret médical, et le secret de la confession. Mais le premier reste très important. Chez François Ranchin, le secret médical est d’ailleurs toujours assimilé au secret de la confession. En 1598, les nouveaux statuts de la Faculté de médecine de Paris édictent : « Que personne ne divulgue les secrets des malades, ni ce qu’il a vu, entendu ou compris. » Dans la confrérie des chirurgiens de Bordeaux, le nouveau venu doit jurer, entre autres choses, « de garder les secrets de ses clients ». Dans les statuts de la corporation de Montbéliard, il est interdit de violer le secret médical sous peine d’amende64.
96Cependant, comme au Moyen Âge, le secret ne s’étend pas à la protection de l’identité du malade dans les publications scientifiques. Ambroise Paré, par exemple, donne le nom de ses patients comme preuve de l’authenticité de ses affirmations65.
Vérité au malade
97Doit-on informer le malade de son diagnostic et de son pronostic pour qu’il prenne en toute connaissance de cause les décisions concernant sa santé et sa vie ? La question ne se pose pas véritablement ainsi, même si on peut imaginer qu’un minimum d’information est donné par le médecin au malade, ne serait-ce qu’afin qu’il puisse suivre la thérapie proposée.
98Doit-on ou non mentir afin de protéger la santé d’un malade ? Telle est la question qui s’est posée à la Renaissance, surtout dans la péninsule Ibérique. Les positions officielles protestante et catholique ne semblent pas être différentes : mentir est immoral. Elles ne font pas l’unanimité. D’un côté, on voit un médecin aux prises avec ce dilemme moral consulter un expert en théologie. Mais d’un autre côté, on connaît d’autres médecins soutenant que la décision d’employer la ruse est du domaine de la médecine et non de la théologie. C’est ainsi que Henriques écrit une dissertation contre toute forme de tromperie, pendant que Castro, fort de sa formation hippocratique et galénique, justifie la ruse en vue d’aider la guérison66.
Contraception
99L’influence augustinienne dévalorisant la sexualité a pratiquement disparu. La menace de l’hérésie cathare condamnant la procréation a perdu de sa force. On ne sent pas encore le danger de surpopulation, d’autant plus que les enfants meurent jeunes et que de nombreuses épidémies déciment les populations. Pourtant, bien des couples démunis trouvent lourd d’avoir un nouvel enfant. Des bourgeois et des nobles ne veulent pas fragmenter le patrimoine. Aux pauvres et aux riches désirant limiter leur famille se présentent les possibilités suivantes : d’un côté la continence des époux, l’étreinte réservée et le mariage tardif ; de l’autre, potion contraceptive, coït interrompu, rapport oral ou anal. Il n’y a pas de contraceptifs vraiment différents de ceux qui existaient depuis l’Antiquité67.
100Il semble que les médecins ne se soient pas intéressés à la contraception. « À l’encontre des ouvrages médiévaux comme ceux d’Avicenne et de Gaddesden, les livres de gynécologie publiés à cette époque ne renferment aucune information sur la contraception. » Par exemple, le traité d’Eucharius Roesslin en 1513 et celui d’Ambroise Paré sont silencieux sur le sujet.
101Certains théologiens, sans nécessairement encourager la contraception, insistent sur certains aspects du mariage mis en veilleuse jusque-là. L’un d’eux essaie d’accorder l’amour spirituel et l’amour charnel dans le mariage. Un autre ose avancer que les penchants sexuels de l’être humain sont par eux-mêmes naturels et bons. Dans le même sens, on va jusqu’à affirmer : « Il n’y a pas plus de péché à s’unir pour le plaisir qu’à manger une pomme pour le plaisir qu’elle procure. » Enfin, le spécialiste de la théologie du mariage de cette période, Tomas Sanchez (1550-1610), admet les contacts sexuels entre époux en dehors du coït et, ce faisant, légitime l’amour et l’érotisme comme des valeurs distinctes de la procréation. Il y a là les germes d’une nouvelle attitude envers le mariage et la sexualité. Mais ils n’auront guère de suite.
102Globalement, la contraception continue d’attirer la réprobation des autorités civiles et religieuses en étant identifiée à l’homicide. Martin Le Maistre, professeur réputé de Paris et moraliste écouté, considère que le coït interrompu et l’usage de poisons contraceptifs sont pires que la fornication, car ces actes sont perpétrés « contre la vie d’un homme à naître68 ». Pour la première fois, un concile œcuménique, celui de Trente (1545-1563), parle du rôle de l’amour dans le mariage, mais l’allusion à l’amour est subordonnée à la fin principale du mariage et aucune conséquence ne suit sur le sens des rapports sexuels69. Les autorités de l’Église continuent d’appliquer le canon Si aliquis (voir chapitre précédent). Le catéchisme romain publié en 1566 et la bulle de Sixte V en 1588 ne font pas dans la nuance : la contraception contrevient au cinquième commandement de Dieu et constitue un homicide.
Avortement
103Au sujet de l’avortement, les grandes questions éthiques de la Renaissance sont les suivantes : Quand le fœtus a-t-il une âme humaine ? L’avortement peut-il être permis lorsque le fœtus n’est pas encore animé ? Peut-il être permis si la vie de la mère est en danger ? On connaît déjà ces questions : la Renaissance va donner l’occasion aux casuistes de raffiner les distinctions entre fœtus animé et inanimé, intention directe ou indirecte, acte à double effet, doute et certitude, etc. Mais il existe constamment une tension entre ces théologiens moralistes, les médecins philosophes et surtout la législation papale. Alors que certains veulent remettre en question la prohibition absolue de l’avortement, la tendance à Rome est d’opter pour la prudence dans l’optique de protéger les droits de l’embryon incapable de se défendre lui-même. Quant aux médecins philosophes, ils trouvent souvent vaines les discussions sur l’animation du fœtus.
104Pour sa part, Tomas Sanchez énumère certains cas où l’avortement pourrait être permis : par exemple, en cas de viol ou si la mort de la mère ne peut être évitée à l’occasion d’une naissance. Il se sert alors du principe du double effet : l’intention de tuer est indirecte si l’objectif premier de la mère est de sauver sa propre vie70.
105D’autres théologiens et canonistes tels que Antonin de Florence (1581) et Navarrus, déjà cité au chapitre précédent, jugent la moralité de l’acte en rapport avec l’âge du fœtus. Leur opinion s’appuie sur la théorie, commune à l’époque, selon laquelle le fœtus ne possède pas d’âme rationnelle avant plusieurs jours. C’est pourquoi, disent-ils, si on a le moindre doute que le fœtus soit animé et que l’on procède à l’avortement, on pèche mortellement71 ; mais, si l’on est certain que le fœtus est inanimé, l’avortement serait moralement acceptable dans certaines circonstances graves.
106Le médecin et philosophe Paolo Zacchia conteste en 1621 les distinctions basées sur Aristote qui voyait le fœtus comme étant doté successivement d’une âme végétative, animale, puis humaine. Défendant le principe thomiste de l’unité de la personne, Zacchia affirme qu’il y a une âme humaine dès le début de l’existence de l’embryon. Toutefois, sur le plan légal, le médecin est d’accord avec des pénalités légères si on avorte avant 40 jours et des peines plus sévères après ce temps.
107Sur le plan canonique, en 1588, le pape Sixte V, désirant surtout éradiquer la prostitution à Rome, publie la bulle Effraenatam qui proclame que tout avortement — et il ne fait pas d’exception pour l’avortement thérapeutique — est un homicide et passible d’excommunication. Et cela s’applique quel que soit l’âge du fœtus. Trois ans plus tard, tenant compte de la controverse existant chez les théologiens, le pape Grégoire XIV temporise : il juge tout avortement immoral, mais l’excommunication s’applique seulement lorsque le fœtus « a une âme72 ».
Suicide
108La pensée catholique officielle sur le suicide se résume en deux phrases. Nous ne pouvons quitter ce monde sans la permission expresse de Celui qui nous y a placés. C’est Lui qui devrait nous en retirer quand cela lui plaît et non pas nous.
109Séduit par la pensée et les coutumes gréco-romaines, l’écrivain français Michel de Montaigne (1533-1592) au mitan de sa vie se fait le défenseur de pensées peu orthodoxes :
La plus belle mort, c’est celle qu’on se donne volontairement [...]. Dieu nous donne la permission de poser un tel geste lorsqu’il nous réduit à une condition telle que vivre serait pire que mourir [...]. Une souffrance intolérable et la crainte d’une mort horrible me paraissent des motivations dignes de pardon73.
110À l’époque où il écrit ce texte (livre II, chap. 3), soit vers 1573-1574, « Montaigne, encore sous l’influence de Sénèque et des stoïciens, éprouve une admiration philosophique pour la mort volontaire ». Selon André Lanly, les événements de la vie politique ont fait évoluer sa pensée. Sa philosophie dernière, ses idées sur la douleur et la mort, son idéal moral, se trouvent dans le livre III, chapitre 12, écrit quelque 10 ans plus tard : il pense alors qu’il faut rejeter les leçons des philosophes stoïciens et suivre simplement la nature. Le type d’homme qu’il admire n’est plus Caton d’Utique qui s’est suicidé froidement, mais Socrate qui a accepté dignement sa condamnation et surtout les paysans qu’il voit souffrir et mourir simplement quand la vie (c’est-à-dire ici la guerre et la peste) les y force74.
Eugénisme
111Les idées portant sur la nécessité de protéger la qualité de l'espèce humaine et notamment de sélectionner les meilleurs sujets pour l’œuvre procréatrice, réapparaissent avec force à cette époque. Des auteurs comme Rabelais, Érasme et Montaigne s’en montrent constamment préoccupés.
112Les méfaits de la consanguinité ont été signalés depuis des siècles. Le livre d’Érasme, De matrimonio christiano, paru en 1650, est le premier réquisitoire sérieux contre elle. Les mariages consanguins continuent d’être prohibés par les législations civiles et religieuses de manière très étendue. Le moraliste Tomas Sanchez, déjà cité, qui a rédigé la majorité des écrits canoniques de l’époque sur le mariage, affirme que le fondement le plus solide à propos de la prohibition des unions incestueuses est que le partage du sang parmi les proches parents fait qu’il s’affaiblit au cours des générations suivantes. Si on attend que plusieurs générations passent avant de permettre la procréation, on protège ainsi les descendants. Malgré les imprécisions scientifiques et un certain simplisme, commence à poindre à l’horizon une prise de conscience eugénique75.
113Dans un autre ordre d’idées, aussi surprenant que cela puisse paraître, Michel de Montaigne pose déjà une question que seule la génétique moderne a pu résoudre. Au sujet de la douleur épouvantable que son père et lui partageaient, douleur due à des pierres à la vessie, il écrit :
Je suis né il y a plus de 25 ans avant que mon père ne tombe malade et au moment où il était en pleine santé. Où donc cette tendance naturelle à une telle infirmité couvait-elle ?... Comment est-elle restée si cachée en moi que je ne l’ai ressentie que plusieurs années après ? Quelqu’un peut-il m’éclairer au sujet de ce processus76 ?
114Avec de telles questions, nous pouvons affirmer que nous nous trouvons à l’aube des Temps modernes.
Euthanasie
115L’idée d’euthanasie est parfois liée à celle d’eugénisme. Le texte de la Renaissance le plus connu sur le sujet est celui de Thomas More, juriste et homme d’État britannique (1478-1535). Dans son livre Utopia, écrit en 1516, réfléchissant sur le meilleur gouvernement possible, Thomas More imagine un pays où la mort puisse être provoquée dans certains cas, sous le contrôle des autorités et dans l’intérêt du bien commun, cependant non sans le consentement du malade.
Ils soignent les malades avec la plus grande sollicitude et ne négligent rien qui puisse contribuer à leur guérison, ni en fait de remède, ni en fait de régime. Si quelqu’un est atteint d’une maladie incurable, ils cherchent à lui rendre la vie tolérable en l’assistant, en l’encourageant, en recourant à tous les médicaments capables d’adoucir ses souffrances. Mais lorsque à un mal sans espoir s’ajoutent des tortures perpétuelles, les prêtres et les magistrats viennent trouver le patient et lui exposent qu’il ne peut plus s’acquitter d’aucune des tâches de la vie, qu’il est à charge à lui-même et aux autres, qu’il survit à sa propre mort, qu’il n’est pas sage de nourrir plus longtemps le mal qui le dévore, qu’il ne doit pas reculer devant la mort puisque l’existence lui est un supplice, qu’une ferme espérance l’autorise à s’évader d’une telle vie comme d’un fléau ou bien à permettre aux autres de l’en délivrer ; que c’est agir sagement que de mettre fin par la mort à ce qui a cessé d’être un bien pour devenir un mal, et qu’à obéir aux conseils des prêtres, interprètes de Dieu, c’est agir le plus pieusement et saintement. Ceux que ce discours persuade se laissent mourir de faim, ou bien sont endormis et se trouvent délivrés sans même avoir senti qu’ils meurent. On ne supprime aucun malade sans son assentiment et on ne ralentit pas les soins à l’égard de celui qui le refuse. Mourir ainsi sur le conseil des prêtres est à leurs yeux un acte glorieux. Celui en revanche qui se tue pour quelque raison qui n’a pas été approuvée par les prêtres et le sénat n’est jugé digne ni d’une sépulture ni d’un bûcher ; il est honteusement jeté dans quelque marais77.
116Ce texte, rarement cité en entier d’ailleurs, appelle plusieurs commentaires.
Il concerne d’abord les circonstances d’une maladie intolérable, incurable, qui enlève tout plaisir à l’existence.
Il exige le consentement du malade mais aussi l’autorisation des autorités, prêtres et magistrats. L’acte est moins une question de droit personnel du malade que de souci du bien commun.
L’acte est entièrement justifié par l’espérance dans l’au-delà. Le contexte général est d’ailleurs celui d’une existence et d’une culture qui a acquis une grande familiarité avec la mort et l’au-delà. La mort est la réponse au désir le plus profond et le plus général des utopiens.
Quoique l’idée de suicide et d’euthanasie soit claire de prime abord, la pensée s’avère de fait plus subtile. Il y est question de se laisser mourir de faim (inanition) ou de prendre de l’opium (s’endormir), selon l’interprétation du texte latin de Marie Delcourt et certaines traductions anglaises anciennes.
Enfin, certains commentateurs se demandent sérieusement si More, fervent catholique, mort martyr, prenait sa fiction au sérieux ou s’il n’y voyait qu’une simple fantaisie. L’œuvre contient des éléments pour justifier les deux interprétations. Il est manifeste à tout le moins que l’auteur imagine une société idéale telle que la raison naturelle peut la concevoir avant le complément qu’apporte la Révélation chrétienne. Le livre se termine pourtant par cette remarque : « Il y a dans la république utopienne bien des choses que je souhaiterais voir dans nos cités... » Mais comment savoir lesquelles78 ?
Dissection
117La préoccupation de l’anatomie requiert une évolution des mentalités à l’égard de la dissection des cadavres. Le dilemme posé par ces opérations se manifeste dans toute son acuité : d’un côté, l’être humain créature divine dont la dépouille mortelle mérite le respect ; de l’autre, la quête de connaissances et les bienfaits susceptibles d’en résulter pour le même être humain. La tradition favorisant le progrès des connaissances, la dissection des cadavres s’accentue79.
118Les pouvoirs publics et l’Église catholique continuent de faire preuve d’une tolérance grandissante quand ils ne les approuvent pas explicitement. Les dissections sont d’abord acceptées dans les circonstances précises de l’enseignement médical et se limitent aux corps non réclamés des condamnés à mort. Elles le sont aussi, et encore plus peut-être à cette époque, pour permettre aux artistes de peindre ou sculpter leurs chefs-d’œuvre. En 1482, le pape Sixte IV, qui avait étudié dans les deux universités italiennes, Bologne et Padoue, apporte son appui à l’Université de Tübingen, en publiant une bulle qui déclare la dissection humaine permise si le clergé local ne s’y oppose pas80. En 1492, le prieur de l’église du Saint-Esprit à Florence autorise le jeune Michel-Ange à faire des dissections. Les dissections se passent d’ailleurs souvent dans les églises en présence des membres du clergé, comme l’illustrent des dessins de l’époque. Au XVIe siècle, la question est réglée : le pape Clément VII (1523-1534) autorise officiellement l’enseignement pratique de l’anatomie.
119Généralement, les cadavres sont fournis au compte-goutte. La résistance vient des médecins, peu intéressés par l’opération, et des autorités civiles. Vésale lui-même, au début de sa carrière, à Paris, doit en voler sur les gibets et dans les cimetières ; mais la faculté de Paris n’est pas la plus progressiste. Durant un séjour à Louvain, il raconte lui-même comment il a rapporté un squelette chez lui morceau par morceau, pour ne pas être découvert. Précaution bien inutile, car, quand il demande un cadavre pour ses dissections, le bourgmestre lui-même lui en fournit un. Plus tard, à Padoue où il enseigne, les autorités lui fournissent autant de cadavres qu’il lui faut. Il leur arrive même de surseoir aux exécutions tant que Vésale n’a pas besoin d’un nouveau sujet. Fallope, Acquapendente, Harvey utilisent autant de cadavres qu’ils veulent. À la fin du XVIe siècle, on note un nombre élevé de dissections pratiquées. Dans les universités italiennes, à Montpellier et à Paris, des cadavres autres que ceux des condamnés à mort sont utilisés81.
120Au XVe siècle, entre autres à Montpellier, les dissections donnent lieu à un véritable cérémonial religieux au cours duquel une messe est célébrée pour le disséqué et pour les intervenants. L’autopsie peut se prolonger trois ou quatre jours ; elle se termine par une réunion solennelle comprenant concert, banquet et même une représentation théâtrale. La sépulture est toujours donnée aux corps suppliciés82.
Expérimentation sur l’animal
121La controverse sur l’utilisation des animaux en laboratoire continue. Les religions (et les cultures) qui croient à la métempsycose s’y opposent vigoureusement. Quelques penseurs occidentaux s’y rattachent. Mais la tradition occidentale (Aristote, Galien, Augustin, Thomas d’Aquin) dans son ensemble va massivement dans un autre sens. L’homme est au centre de la création, voire le maître. Il est donc légitimé de se servir des animaux pour ses besoins : nourriture, transport, expérimentation. Même si cet anthropocentrisme a été entendu parfois comme justifiant tous les excès, la tradition occidentale insiste de plus en plus sur la nécessité d’éviter la cruauté et le gaspillage83.
122À la Renaissance, cela n’est pas surprenant, l’anthropocentrisme triomphe autant en philosophie qu’en théologie. C’est l’opinion, par exemple, de Michel de Montaigne : tout en reconnaissant qu’il existe des ressemblances entre l’homme et l’animal, et que l’animal est une créature de Dieu digne d’un certain respect, il juge légitime l’expérimentation sur les animaux, mais condamne la cruauté envers eux.
Discrimination
123Un nouveau sujet controversé, à la Renaissance, est celui du traitement des malades difficiles et des ennemis. Rodrigo Castro, ayant lui-même souffert de discrimination en tant que juif, déclare dans sa préface de Medicus Politicus : « Même si le médecin est dérangé par le délire, la divagation, l’emportement de son patient, il n’a pas le droit de lui refuser son aide84. » En ce sens, il est en désaccord avec Alessandrini, un médecin catholique, se basant supposément sur Hippocrate, qui affirme que l’aide médicale ne devrait pas être prodiguée à de mauvaises gens, à des êtres humains sans valeur et aux ennemis. Au contraire, Castro, dans un second livre, et son neveu Benedict plaident en faveur du médecin tendant la main à l’ennemi, ce qui devient un beau témoignage en faveur de l’humanisme séculier85.
Prévention
124L’apparition de la syphilis à la Renaissance va poser une nouvelle question éthique86. Au moment où les Écossais découvrent qu’il y a un rapport entre la syphilis et les relations sexuelles, le puritanisme ambiant invente une interprétation moralisatrice. Comme aux époques précédentes, la chrétienté considère que la maladie est une punition divine et aussi une occasion de réfléchir à ses péchés et finalement de se convertir. À une époque où la chasse aux sorcières est loin d’être terminée, les boucs émissaires sont nombreux : les autres nations ayant apporté d’Amérique la maladie, les femmes, les marginaux par qui passe la dépravation morale. Pour William Clowes the Elder (1540-1604), pourtant médecin, la prévention passe par une réforme morale et non par des conseils sur l’hygiène postcoïtale que prônent certains auteurs plus humanistes.
125Dans les pays au sud des Alpes, même si l’interprétation théologique de la syphilis est semblable à ce qui précède, on admet plus facilement les « faiblesses » des hommes : « Au moins qu’ils trouvent des femmes non infectées », déclare Gaspar Torrella de Valencia. L’anatomiste Gabriele Fallopio (1523-1562) croit avoir trouvé une méthode de prévention afin d’éviter la maladie « française » : envelopper le pénis dans un bandage avec un onguent approprié. Il prétend lui aussi que la maladie est d’origine divine, mais ne peut expliquer qu’elle touche des sages-femmes et des enfants. Pour Rudio Eustachio (1551-1611), la meilleure prévention est d’éviter les prostituées, « non pas pour préserver la santé de ces dernières, mais pour la santé de leurs clients ».
126Daniel Sennert, professeur à Wittenberg (1572-1637), quant à lui, croit que la prévention rendra les hommes irresponsables. Il se situe entre les praticiens méditerranéens, qui fournissent des moyens prophylactiques tout en continuant d’invoquer Dieu, et les médecins et chirurgiens anglais, qui voient d’abord la maladie à travers les lentilles de la morale87. Mais l’argumentation ne cache-t-elle pas l’intuition de l’inefficacité des moyens médicaux et la perception du danger des maladies vénériennes ?
127La nouveauté de la question — et la peur liée à la syphilis — ramène au temps des superstitions. Chez la plupart des auteurs de la Renaissance, les femmes sont les agents infectieux actifs de la maladie. Plusieurs auteurs, y compris Paracelse, ont même fait des rapprochements entre la lèpre et la syphilis : « Cette dernière vient des rapports sexuels entre un Français lépreux [sic] et une prostituée ayant des lésions utérines88. » Et en 1620, J. C. Scaliger écrit : « Le pauvre homme pourrait être guéri en ayant des relations avec une vierge. » Il ajoutait qu’en Afrique d’où provient la maladie, la guérison venait d’une femme de Numidie ou d’Éthiopie89.
Obligation de soigner en cas d'épidémie
128Durant les épidémies, il n’y a pas d’obligation déontologique explicite de soigner les pestiférés, quoique cela semble relever du devoir général de bienfaisance. La plupart des soignants acceptent cependant de le faire. Comme au XIVe siècle, diverses mesures les incitent et même les forcent à le faire. Il est vrai qu’il existe déjà diverses mesures protectrices : quarantaine, isolement des malades contagieux dans un hôpital particulier, dispositions des cadavres. En Italie, on peut affirmer publiquement que le médecin peut éviter la contagion. En France, on invente une nouvelle mesure protectrice : ceux qui soignent les contagieux doivent se distinguer en portant une longue robe de lin, enduite d’une pâte aromatisée, susceptible d’éviter la contagion. En certains endroits, ceux qui s’engagent auprès des malades contagieux doivent renoncer à fréquenter les personnes saines90.
*
129Malgré un renouveau sans précédent (comparable en partie à celui du XIe siècle), notamment dans les domaines artistique, littéraire et scientifique, la médecine et les soins changent relativement peu à la Renaissance. Les nouvelles connaissances issues de l’anatomie et de la chirurgie ne porteront véritablement leurs fruits que plus tard. L’éthique médicale et infirmière elle-même ne change pratiquement pas. Elle n’apparaît guère comme une préoccupation majeure. Il n’y a pas d’ailleurs de figures marquantes qui se détachent véritablement des autres.
L’éthique médicale et infirmière reste dans une perspective de chrétienté, ou mieux de religiosité, la pensée protestante ne se séparant guère de la catholique sur ce point, et la pensée juive et islamique se situant dans la même perspective.
Les controverses sur les questions éthiques particulières sont cependant plus vives : avortement, contraception, vérité, dissection, discrimination, obligation de traitement en cas d’épidémie, etc. On y sent une conséquence de la liberté de pensée. Et peut-être, quoique ceci apparaîtra davantage plus tard, une conséquence de visions différentes sur le corps humain et la vie présente, sur l’intelligence et la soif de connaître. Toujours est-il qu’on peut y déceler une démarcation qui ne fera que se développer dans les siècles à venir : un courant qui voit l’éthique sous l’autorité culturelle et juridique des médecins (plus tard, des cliniciens) et un autre qui considère l’éthique médicale au sein d’un système culturel et religieux plus large.
Pour le reste, on se retrouve comme dans la période précédente. Les mêmes valeurs sont prônées : respect de la vie, respect du corps humain, bienfaisance, honnêteté, confidentialité, vérité, etc.
Notes de bas de page
1 Benichi et al., in J. Marseille (dir.), Histoire. Les fondements du monde contemporain, Paris, Nathan, 1996, p. 109 ; Marie-Josée Imbault-Huart, « La Renaissance, la médecine et la chirurgie », dans B. Crenn (dir.), Ambroise Paré et son temps, Actes du colloque international 1990, Laval (Mayenne), Assoc. pour la commémoration du quadricentenaire de la mort d’Ambroise Paré, 1991, p. 95-107 ; Jean-Charles Sournia, Histoire de la médecine, Paris, La Découverte, 1992, p. 120 et suiv.
2 Benichi et al., p. 120.
3 Idem, p. 105.
4 Patrice Boussel, Histoire de la médecine et de la chirurgie de la Grande Peste à nos jours, Paris, Éditions de la Porte verte, 1979, p. 22-30 ; Kenneth Watker, Histoire de la médecine, Verviers, Marabout Université, 1962,248-255.
5 Cité par Walker, p. 254-255.
6 Ce nom dérive d’un poème écrit par Frascator en 1530. Il décrit les souffrances d’un jeune berger, Syphilis, lequel, ayant encouru la colère des dieux de l’Olympe, fut frappé d’un mal répugnant. L’auteur parle aussi du traitement de la maladie par le gaïac — bois sacré — et le mercure, remèdes importés du Nouveau Monde, peu après l’apparition de la maladie en Europe. (Walker, p. 248).
7 Boussel, p. 30-31 ; Imbault-Huart, p. 115-116.
8 Marcel Reinhard, A. Armengaud et J. Dupaquier, Histoire générale de la population mondiale, Paris, Monchrestien, 1968 (3e éd.), p. 108 et 125.
9 Idem, p. 114, citant L. Henry, Anciennes familles genevoises, I.N.E.D., 1956.
10 Imbault-Huard, p. 127-129 ; Sournia, p. 153-154 ; Harold Cook, « History of Medical Ethics : Europe », dans W. Reich (dir.), Encyclopedia of Biœthics, Londres, Collier MacMillan, 1995 (2e éd.), p. 1538-1539 ; Sherwin B. Nuland, Les héros de la médecine, traduit de l’américain par D. Authier et J. Lahana, Paris, Presses de la Renaissance, 1989 (éd. angl., 1988), p. 107.
11 Les empiriques, ces illégaux, comprenaient les renoueurs, qui réduisaient les fractures et les luxations ; les inciseurs qui opéraient les hernies, abaissaient les cataractes, faisaient les trépanations et châtraient les hommes et les animaux ; les lithotomistes qui incisaient le périnée afin d’atteindre la vessie pour en extraire le calcul ; les dentistes, le plus souvent des bateleurs dans une atmosphère de foire ; les sages-femmes (Imbault-Huart, p. 128-129).
Selon Sournia, le mot « charlatan » tire son origine du verbe italien « ciarlare » qui signifie crier et fait référence à ceux qui vendent leurs remèdes sur les tréteaux des foires et marchés, en rameutant les clients à grands cris (Sournia, p. 154).
Selon Nuland, les chirurgiens de longue robe n’existaient qu’à Paris, regroupés dans la Confrérie de Saint-Côme.
12 Sournia, p. 153-154.
13 Gerald J. Griffin et Johanne King Griffin, History and Trends of Professional Nursing, St. Louis (Mo.), The C.V. Mosby Company, 1973 (7e éd.), p. 25.
14 Imbault-Huard, p. 124-132; Sournia, p. 153-154.
15 Imbault-Huard, p. 128-129.
16 Cook, p. 1540.
17 Brigitte Rossignol, Médecine et médicaments au XVe siècle à Lyon, Lyon, Presses universitaires de Lyon, 1990, chap. 3, p. 39-57.
18 J.-C. Guy, « La vie religieuse et la santé de l’homme ; » dans Religieuses dans les professions de la santé, 277/278 (mai-août 1980), p. 251-252.
19 André Petitat, Les infirmières. De la vocation à la profession, Montréal, Boréal, 1989, p. 43.
20 Josephine Dolan, Louise M. Fitzpatrick et E. K. Herman, Nursing in Society : A Historical Perspective, Philadelphie, W. B. Saunders, 1983 (15e éd.), p. 87.
21 Rossignol, p. 5-7.
22 G. Rosen, « The Hospital: Historical Sociology of a Community Institution », dans From Medical Police to Social Medicine : Essays on the History of Health Care, New York, Science History Publications, 1974, p. 284.
23 Sournia, p. 153; Imbault-Huard, p. 107-109.
24 Dolan et al., p. 97.
25 Sournia, p. 156.
26 Érasme, 43, chap. 3, p. 9.
27 Sournia, p. 141 et 148.
28 La nécessité esthétique impose un compromis où les observations des scientifiques se trouvent en quelque sorte déformées. Ainsi, le maniérisme, caractérisé par des corps allongés, presque étirés, des têtes souvent trop petites et des silhouettes ondulées marque l’iconographie anatomique du seizième siècle. Le baroque influencera de la même manière la représentation anatomique au siècle suivant (Sournia p. 144).
29 Philippe Meyer et Patrick Triadou, Leçons d’histoire de la pensée médicale, Paris, Odile Jacob (coll. Sciences humaines et sociales en médecine), 1996, p. 53 ; Sournia, p. 140.
30 Meyer et Triadou, p. 54 ; Sournia, p. 139-142.
31 Boussel, p. 34.
32 Sournia, p. 151 ; Boussel, p. 62.
33 Sournia, p. 151.
34 Roger Rullière, Abrégé d’histoire de la médecine, Paris, Masson, 1981, p. 98 ; Meyer et Triadou, p. 55 ; Sournia, p. 143-144 ; Nuland, p. 69-97.
35 Boussel, p. 50 ; Sournia, p. 143-144.
36 Anne-Marie Moulin, « Ambroise Paré : stratégie professionnelle et périple intellectuel », dans Ambroise Paré et son temps, Actes du Colloque international 1990, p. 173-185.
37 Sournia, p. 145-147.
38 Idem, p. 148.
39 Idem, p. 154.
40 Imbault-Huart, p. 116-147 ; G. Minois, L’Église et la science. Histoire d’un malentendu, tome 1 : De saint Augustin à Galilée, 1990, Paris, Fayard, p. 300.
41 Imbault-Huart, p. 117-118.
42 Idem, p. 118.
43 Sournia, p. 141-155.
44 L’idée est pourtant déjà présente chez Michel Servet, médecin espagnol et théologien protestant, brûlé à Genève pour hérésie et dont les ouvrages furent presque tous détruits.
45 Minois, p. 299-300.
46 Sournia, p. 139 ; Minois, p. 298-301.
47 Minois, p. 299.
48 Imbault-Huart, p. 136.
49 Cook, p. 1541.
50 Idem, citant John Cotta, « A Short Discovery of the Unobserved Dangers of Several Sorts of Ignorant and Unconsidered Practisers of Physicke in England », Londres, William Jones et Richard Boyle, 1612.
51 Idem, p. 1541-1542, citant Hildanus Gulielmus Fabricius, « Lithotomia Vesicae: That is, an Accurate Description of the Stone in the Bladder », Londres, Jolin Norton, 1640.
52 Idem, p. 1540.
53 Cité par Abel Lefranc, La vie quotidienne au temps de la Renaissance, Paris, Hachette, 1963, p. 162-165.
54 Lefranc, p. 167-169.
55 Raymond Villey, Histoire du secret médical, Paris, Seghers, 1986, p. 70.
56 Minois, p. 299.
57 Cook, citant Allen G. Debus, The Chemical Philosophy: Paracelsian Science and Medicine in the Sixteenth and Seventeenth Centuries, New York, Science History Publications, 1977.
58 Nuland, p. 110; Sournia, p. 147.
59 Winfried Schleiner, Medical Ethics in the Renaissance, Washington D.C., Georgetown University Press, 1995, p. 204-206.
60 Idem, p. 204-205, citant Battista Condrochi, De christiana ac tuta medendi ratione, Ferrara, 1591.
61 Idem, p. 205, citant Erasmus, Collected Works, vol. 29, Toronto, Toronto University Press, 1989.
62 Griffin, p. 25.
63 Danielle Blondeau, « Évolution et définition du service infirmier », dans D. Blondeau (dir.), Éthique et soins infirmiers, Montréal, Presses de l’Université de Montréal, 1999, p. 121.
64 Bernard Hoerni et Michel Bénézech, Le secret médical. Confidentialité et discrétion en médecine, Paris, Masson, 1996, p. 8 ; Villey, p. 32-38.
65 Villey, p. 71-73.
66 Schleiner, p. 204. Il cite Henrique Jorge Henriques, Retrato del perfecto medico, Salamanca, 1595, ainsi que Rodrigo Castro, Medicus Politicus, Hambourg, 1614. Castro était un médecin juif espagnol pratiquant à Hambourg.
67 John T. Noonan, Contraception et mariage. Évolution ou contradiction dans la pensée chrétienne, trad. de l’anglais par Marcelle Jossua, Paris, Cerf, 1969 (éd. amér., 1966), p. 387-490 (attention, ces pages vont du XVe au XVIIIe siècle).
68 Idem, p. 460, citant Martin Le Maistre, Questions morales, II, fol. 62v-63r.
69 Idem, p. 411, citant la session 24 du concile de Trente, 11 novembre 1563.
70 John T. Noonan et al, The Morality of Abortion: Legal and Historical Perspectives, Cambridge (Mass.), Harvard University Press, 1970, p. 27-35.
71 Idem, p. 26-27, citant saint Antonin de Florence, « The Various Vices of Physicians », dans Summa sacrae theologiae, Venise, 1581, 3.7.2.
72 Idem, p. 33, citant Effraenatam, Codicis iuris fontes, Rome, R Gasparri, 1927, et Sedes apostolica, Codicis iuris fontes, I, p. 330-331.
73 Pierre Villey, Les essais de Michel de Montaigne, Paris, PUF, 1978 (3e éd.), 2e vol., renvoyant au livre II, chap. 3, p. 351-362. Les mêmes idées se retrouvent au livre I, chap. 20.
74 Michel de Montaigne, Essais, adaptation et traduction en français moderne (éd. par André Lanly), Genève/Paris, Éditions Slatkine, 1987, 3 tomes. Pour les commentaires de A. Lanly, voir tome II, p. 26, note infrapaginale 23 et tome III, p. 247, note 1 ; p. 260, note 134 et p. 261, note 142.
75 W. W. Bassett « Eugenics and Religious Law: Christianity », dans W. Reich (dir.), Encyclopedia of Bioethics, 1995 (2e éd.), p. 779-782. Citant Tomas Sanchez, « De impedimentis », dans Disputationum de sancto matrimonio sacramento, vol. 3 (1605) ; Jean Sutter, L’eugénique. Problèmes, méthodes, résultats, Paris, PUF, 1950, p. 57.
76 Michel de Montaigne, Les essais, livre II, chap. 37, p. 763-764.
77 Thomas More, L’Utopie ou Le traité de la meilleure forme de gouvernement, texte latin édité et traduit par Marie Delcourt, Genève, Droz, 1983,2e partie, p. 109-110.
78 On ne pourra probablement jamais trancher avec certitude. Voir Marie Delcourt, citée dans la note précédente, 1re partie, p. 22-24 et 160, puis 2e partie, p. XI ; Peter Ackroyd, The Life of Thomas More, Doubleday, 1998 ; Minois, p. 449.
79 Minois, p. 299 ; Sournia, p. 140 ; Nuland, p. 73-86.
80 Nuland, p. 73.
81 Signalons le cas du professeur Rondelet qui fit scandale à Montpellier en faisant disséquer devant lui le cadavre de son fils, puis celui de sa belle-mère. Voir les notes historiques de Marguerite Yourcenar à la fin de L’Œuvre au noir, p. 462,465, 466.
82 Minois, p. 196. Voir aussi Philippe Castan, Naissance médiévale de la dissection anatomique, Montpellier, Éd. Sauramps Médical, 1985, p. 175-189.
83 Alberto Bondolfi, « La relation entre les êtres humains et les animaux en Occident », dans T. Leroux et L. Létourneau (dir.), L’être humain, l’animal et l’environnement. Dimensions éthiques et juridiques, Montréal, Thémis, 1996, p. 13-32.
84 Schleiner, p. 73-78, citant Castro, Medicus Politicus, Hambourg, 1614.
85 Idem, p. 206, citant Castro, Flagellum calumniantium, Amsterdam, 1631.
86 Idem, p. 162-190.
87 Idem, p. 181-182, citant Daniel Sennert, Opera omnia, Lyon, 1666.
88 Idem, p. 184-185, citant Paracelsus, Chirurgia magna, Strasbourg, 1573.
89 Idem, p. 189-190, citant J. C. Scaliger, Exoticarum exercitationum liber de subtilitate, Hanovre, 1620.
90 Daniel M. Fox, « The Politics of Physicians’ Responsability in Epidemics: a Note on History », dans Hastings Center Report (avril-mai 88), p. 5-10. On peut voir une allusion à cette pratique dans M. Yourcenar, L’Œuvre au noir, p. 126.
Notes de fin
1 Selon les auteurs, deux dates sont proposées pour le début de la Renaissance : 1453, la chute de Constantinople ; et 1492, la découverte de l’Amérique et la fin de la Reconquista dans la péninsule Ibérique. La période couvre tout le XVIe siècle.
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