Chapitre 2. Le Moyen Âge (du Ve au XVe siècle)
p. 59-99
Texte intégral
1Période de noirceur ou période de lumière, le Moyen Âge s’est vu attribuer les deux titres. Si les premiers siècles sont trop troublés politiquement pour avoir permis un essor important de la culture, un changement majeur s’opère au XIe siècle et surtout au XIIe siècle dans toutes les sphères de la vie : politique, économie, arts, sciences, philosophie, religion1.
2La médecine occidentale stagne plus ou moins pendant plusieurs siècles, dominée par des querelles d’écoles philosophiques qui empêchent les véritables innovations. Les autorités religieuses manifestent aussi certaines réserves face à la science. L’innovation commence au XIe siècle avec la découverte des médecins-philosophes arabes et juifs par l’intermédiaire des croisades et surtout de l’occupation de l’Espagne. Les États commencent timidement à s’intéresser à la profession et à la réglementer. Les soins infirmiers, par contre, ou ce qu’on peut appeler ainsi dans la mesure où ils se distinguent de la médecine, sont l’objet de grand dévouement, de créativité spontanée et d’initiatives institutionnelles.
3L’éthique et la déontologie vivent sur l’acquis : courant hippocratique et morale chrétienne se conjuguent pour déterminer une sorte d’éthos commun. À l’intérieur de ce cadre, l’éthique médicale se précise progressivement, mais c’est l’éthique infirmière qui reçoit la plus grande stimulation de la part du christianisme.
INTRODUCTION SOCIOCULTURELLE
4On ne peut parler du Moyen Âge au plan socioculturel sans distinguer deux grandes périodes : le Haut Moyen Âge (du Ve au XIe siècle) et le Bas Moyen Âge (du XIe au XVe siècle) avec l’année 1050 comme charnière et les XIIe et XIIIe siècles comme âge d’or1.
Principaux événements
Le Haut Moyen Âge
5En 476 ap. J.-C., l’empereur d’Occident abdique sous la pression des invasions barbares. C’est la fin de l’empire romain d’Occident. Sous Justinien (527-565), l’Empire byzantin, dont Constantinople est la capitale, réussit à récupérer certains territoires occidentaux perdus lors des invasions barbares. Mais, pressé de toutes parts par les Slaves, les Avars et les Perses, Justinien est obligé d’abandonner son projet de réunir à nouveau l’est et l’ouest. À l’ouest, le royaume franc, issu des tribus germaniques, est le plus important. Son plus illustre représentant, Charlemagne (768-814), tente de rétablir l’empire romain d’Occident. Mais, dès les IXe et Xe siècles, les invasions vikings et hongroises (magyares) contrecarrent ce rêve. À partir du IXe siècle, l’Europe occidentale va s’émietter au profit d’une multitude de seigneuries : c’est le système féodal. Au sud-ouest, au VIIe siècle, l’invasion arabe propage l’islam sur la rive sud de la Méditerranée et la presque totalité de la péninsule ibérique. Au XIe siècle, une nouvelle dynastie, les Capétiens, contrôle le territoire français. En Europe centrale, les souverains germaniques réussissent à consolider leur pouvoir. Une ère nouvelle apparaît.
Le Bas Moyen Âge
6Le Saint-Empire romain germanique domine l’époque. Les rois issus des deux plus puissants duchés saxons vont diriger cet empire pendant deux cents ans. Henri IV, le plus célèbre d’entre eux, voulant conserver le privilège de nommer les évêques de son royaume, s’engage contre le pape Grégoire VII dans la querelle des Investitures. C’est le début d’une querelle longue de 150 ans.
7En France et en Angleterre, les Capétiens et les Plantagenêts tentent de trouver une solution pour équilibrer la puissance royale et les revendications des nobles. À la mort de Charles IV en France, les disputes à propos de sa succession vont mener à la guerre de Cent Ans. Jusqu’en 1429, il semble bien que l’Angleterre doive l’emporter. Mais, grâce en partie à Jeanne d’Arc, la France reprend graduellement ses possessions, en particulier la Bourgogne et l’Aquitaine (1453).
8En Espagne, la chute de Cordoue en 1236 permet la reconquête de ce territoire par les chrétiens aux dépens des musulmans. Ceux-ci y sont depuis 500 ans, imprégnant de leur culture la presque totalité de la Péninsule : mœurs, architecture, savoir, etc. Les musulmans occupent aussi la Terre sainte d’où l’on tente de les déloger au moyen des croisades (1096-1300).
9Pendant tout ce temps, à l’est, l’Empire byzantin connaît une ère de paix sous la dynastie macédonienne (1000-1200), puis décline rapidement face à l’invasion des Ottomans, jusqu’à sa chute lors de la prise de Constantinople en 1453.
Culture
10À la fin de l’Antiquité et au début du Moyen Âge en Occident, le déclin des villes d’un empire disloqué, la dégradation du commerce et la stagnation de l’économie entravent le progrès culturel. Par contre, les monastères sauvent et développent certains éléments de la culture antique. Graduellement, les écoles monastiques s’ouvrent à des étudiants autres que des clercs. Alcuin, un érudit anglais, vient établir un nouveau type d’école à la cour de Charlemagne afin de former de bons administrateurs.
11Mais c’est surtout à partir du XIe siècle que la culture renaît, même si elle ne touche encore qu’une infime partie de la population : à cette époque, 10 % des gens seulement vivent dans les villes. Les menaces des Hongrois, des Musulmans et des Vikings sont alors choses du passé, et le développement du commerce va permettre à la civilisation européenne de riches contacts avec celles de l’islam et de l’Asie.
12Cette époque voit l’apparition des écoles épiscopales, puis des universités dont celles de Bologne, Paris, Oxford, Cambridge, Montpellier, Toulouse, Valence, Naples, Padoue, Sienne, Saragosse et Salamanque. Depuis longtemps déjà, Salerne en Italie a son école supérieure de médecine (750). Sur les plans philosophique et théologique, sans remettre nécessairement la foi et l’Église en question, on se demande comment concilier la foi et la raison. C’est le début de la scolastique. Anselme au XIe siècle, Pierre Abélard au XIIe et les dominicains Albert le Grand et Thomas d’Aquin au XIIIe en sont les plus illustres représentants. Ces derniers ont contribué à la redécouverte d’Aristote en Occident. Albert le Grand se fait même le défenseur de l’emploi d’une recherche empirique guidée par l’observation et l’expérimentation. En Angleterre, Robert Grosseteste et Roger Bacon appliquent cette méthode aux domaines de la physique et de l’astronomie en particulier.
13La présence des disciples de Mahomet en Espagne et en Sicile ainsi que les croisades en vue de libérer la Terre sainte font découvrir au monde de l’Ouest la grande richesse de la civilisation musulmane. Richesse matérielle certes, grâce aux biens de consommation et aux splendeurs architecturales, mais surtout apports scientifiques et philosophiques. On peut affirmer qu’en général c’est grâce aux Arabes que la tradition hellénistique est préservée et mise en valeur. Les médecins et savants Avicenne (980-1057) et Averroès (1126-1198) permettent aux étudiants occidentaux d’avoir accès aux œuvres oubliées de Platon et Aristote, déjà avant qu’Albert le Grand et Thomas d’Aquin à Paris ne s’en inspirent. L’apport des Arabes est bien marqué aussi en mathématiques (algèbre, géométrie analytique), en physique (optique), en chimie, en astronomie, en calligraphie, en architecture et en médecine.
L’Église et le monde
14Quelle est la place de l’Église chrétienne au sein de ce monde complexe ? Au cours des quatre siècles qui suivent la chute de l’Empire romain, la fusion est difficile entre la civilisation gréco-romaine et les sociétés barbares. La seule unité va venir de la religion, les nouveaux venus ayant été peu à peu convertis. Ce sont surtout les papes et les ordres monastiques qui sont les principaux facteurs d’une unité d’ailleurs plus axée sur la politique que sur une foi véritable. Si à Byzance l’empire est théocratique, en Occident la papauté détient un pouvoir universel. Cette prétention occasionnera la séparation définitive de l’Église romaine des Églises chrétiennes orientales en 1054 (schisme d’Orient).
15Voulant contrôler l’énergie guerrière des chevaliers, véritables tenants du pouvoir en Occident, l’Église de Rome instaure la paix de Dieu pour éviter les guerres entre croyants, mais elle fait aussi appel à eux pour délivrer la Terre sainte par les croisades. Même si ces expéditions apportent d’énormes avantages sur les plans commercial et culturel, comme nous l’avons signalé, elles ont entraîné le massacre de milliers de musulmans et de juifs au nom de la foi au Christ. Sur un autre plan mais avec le même résultat, le pape fait appel aux pouvoirs civils pour combattre les hérétiques cathares, particulièrement nombreux dans le midi de la France.
16À la fin du Moyen Âge, l’immixtion de la papauté en politique entraîne le séjour des papes à Avignon (1309-1377) et le schisme par lequel l’Église se retrouve en 1409 avec trois papes (grand schisme d’Occident). Bien des princes de l’Église sont d’ailleurs corrompus. Diverses initiatives de restauration voient le jour. Entre-temps, des mouvements plus ou moins considérés comme hérétiques préparent la Réforme protestante du siècle suivant.
SITUATION SANITAIRE
17La santé au Moyen Âge n’est pas des plus florissante : la mortalité infantile et l’espérance de vie en sont des indices très révélateurs. Sans compter le nombre important de maladies et d’épidémies.
Maladies et épidémies
18Certains auteurs ont qualifié le Moyen Âge de période de maladie et de famine2. Démographes et historiens de la médecine insistent sur les épidémies de peste et de lèpre. D’autres sources mentionnent aussi la tuberculose, la malaria, le typhus, la suette anglaise et ces grandes meurtrières d’enfants que sont la petite vérole, la dysenterie et autres formes de diarrhée, quoique ces maladies ne fussent pas nécessairement toutes contagieuses. De nombreux comptes rendus de traitements font mention des écrouelles ou scrofule, encore appelée le « mal du roi »3. On mentionne aussi souvent de nombreux cas d’épilepsie. N’est pas négligeable non plus la foule de malades mentaux, de malades chroniques, de handicapés, ces derniers fréquentant par milliers les lieux de pèlerinage de l’Europe médiévale.
19Si la peste noire est la plus connue des épidémies, elle n’a pas été la seule. Au début du Moyen Âge, les invasions et la régression économique contribuent à aggraver la peste bubonique qui sévissait déjà en Asie Mineure, particulièrement à Constantinople au VIe siècle. Bientôt la Gaule du Sud, L'Italie, Marseille, Rome, l’Angleterre sont touchés. De plus, le recul de l’espace agricole et les accidents météorologiques semblent avoir provoqué plusieurs famines, notamment de 585 à 592 en Gaule4.
20Après un répit de quelques siècles, une forte croissance de la population et un changement climatique important ramènent la famine durant le XIVe siècle. La sous-alimentation devient endémique. Le fardeau de la maladie est plus lourd à supporter que la mort elle-même.
Facteurs démographiques
21Les invasions des Barbares et leur implantation sur les territoires de l’Empire romain ne font pas augmenter la population autant qu’on aurait pu le croire. L’étude des cimetières confirme le petit nombre de ces Barbares et leur implantation réduite. Le saccage et la destruction, principalement dans des villes comme Milan et Rome, entraînent une régression économique qui freine la progression démographique du Ve au VIIIe siècle. Cette régression est accentuée par les épidémies et les famines. Tout cela augmente la morbidité et abrège la durée de la vie, tandis que la mortalité infantile s’accroît5.
22D’après les inscriptions funéraires de Choulans (Lyon), aucun défunt ne semble dépasser, au VIIe siècle, l’âge de 60 ans. L’étude des squelettes du cimetière de Grigny (Essonne) aboutit à des conclusions encore plus pessimistes : les groupes d’âges les plus représentés sont les enfants de moins de 10 ans et les adultes de 20 à 29 ans. La mort de Clovis à 45 ans n’est pas considérée comme précoce. Au IXe siècle, les contemporains de Charlemagne voient avec étonnement leur empereur atteindre l’âge de 71 ans.
23Cependant, dès le VIIIe siècle, un certain progrès démographique se fait sentir. Ainsi, selon les hypothèses de J. C. Russell, la Gaule compte 6 millions d’habitants à la fin de la domination romaine pour descendre à 3 millions après les invasions et finalement remonter à 5 millions au milieu du IXe siècle. Selon le même démographe, les Français, Allemands et Anglais compteraient une moyenne de 2,5 enfants par famille au début du Xe siècle. Pour quelle raison ? Forte mortalité ? Mesures préventives ? Avortement ? Abandons d’enfants aux portes des églises ? Difficile de préciser. Mais il faut admettre que la morale catholique ne s’impose pas d’un seul coup avec le triomphe du christianisme.
24C’est entre le XIe et le XIIIe siècle qu’il y a véritablement croissance de la population. Cette situation est révélée par un ensemble d’indices convergents observés en France, aux Pays-Bas, en Angleterre, en Italie et en Allemagne. Deux facteurs principaux président à cet essor : le semis des lieux occupés et l’extension des terres cultivées. En même temps, les vieilles villes se réveillent et de nouvelles sont fondées. Quant à l’espérance de vie au XIe siècle, selon une étude menée par des savants hongrois sur 395 squelettes trouvés dans le cimetière de Kerpusta, elle aurait été de 27 ans. Les enfants de 0 à 9 ans constituent 36,2 % des squelettes retrouvés.
25La fin du Moyen Âge est marquée par un XIVe siècle absolument catastrophique. Entre 1315 et 1317, la population de l’Europe aurait baissé de 10 % à cause de la famine. C’est le terrain idéal pour l’apparition de la peste noire6 (1348). Les historiens prétendent qu’à la fin du XIVe siècle cette épidémie aurait tué au moins le quart ou le tiers de la population européenne7. L’espérance de vie n’est plus que de 20 ans. De 15 à 30 % des enfants meurent avant d’avoir atteint l’âge de un an.
ORGANISATION DE LA MÉDECINE ET DES SOINS
26Après une période de stagnation, l’organisation de la médecine et des soins connaît une évolution certaine au XIe siècle. Des courants divers coexistent.
Coutumes et institutionnalisation médicales
27Durant le Haut Moyen Âge, comme dans l’Antiquité, il existe plusieurs types de soignants8. Médecins, chirurgiens, barbiers, apothicaires, herboristes, sages-femmes, aides médicaux, surveillants de bains, exorcistes, moines et moniales exercent à leur façon les fonctions d’un médecin généraliste moderne. Certains ont une longue formation, d’autres non. Jusqu’au Xe siècle, il n’y a pratiquement pas de distinctions sémantiques entre les différents praticiens9.
28Les traditions médicales héritées du monde grec sont perdues ou oubliées : seuls quelques textes sont traduits en latin et connus de rares érudits, en particulier dans le sud de la Gaule et le nord de l’Italie.
29Peu de témoignages demeurent sur la pratique de la médecine empirique. On sait toutefois qu’à partir du VIe siècle les monarques germaniques et francs emploient régulièrement des médecins de tout acabit pour eux et leur famille : prêtres et laïcs, nobles et roturiers, théoriciens et apprentis cliniciens, Francs et étrangers, chrétiens et juifs. Il y a aussi les soignants associés aux monastères : certains moines et moniales ont une expertise importante bien avant la création des facultés universitaires.
30La grande majorité de la population est traitée par des praticiens locaux, en majorité hommes et femmes laïques, parfois moines ou membres du clergé séculier. Ces soignants ne peuvent toutefois guérir les malades chroniques et les lépreux. Ces derniers constituent alors la principale clientèle de la guérison surnaturelle. En cas d’insatisfaction ou de non-guérison, on passe facilement d’une thérapeutique à l’autre.
31Il y a un seul cas où la pratique médicale et les exigences du permis de pratique sont régies par la loi civile. Il s’agit du code des Wisigoths installés au sud-ouest de la France (VIe -VIIe siècle ap. J.-C.).
32Aux VIIIe et IXe siècles, les monastères deviennent les grands centres de la science et de la culture. Les moines ont le privilège d’exercer la médecine, sauf la chirurgie (peur du sang versé) et l’obstétrique (pudeur). Certains deviennent de grands médecins10.
33Le XIe siècle marque un tournant11. Cette période permet l’émergence d’un corps de praticiens mieux défini et différencié, alors que les standards et processus d’apprentissage, de licence et de pratique deviennent plus clairs, malgré certaines variations d’une région à l’autre. En même temps, on voit apparaître des institutions médicales spécialisées telles que les facultés universitaires avec programmes d’études bien structurés12, les corporations et académies de médecins, les praticiens en médecine publique et les hôpitaux.
34Parmi les mesures les plus strictes pour encadrer la pratique médicale, nous retrouvons les Assises de la cour des bourgeois (début XIIe siècle). Il s’agit d’un recueil de vingt-trois lois ayant rapport à la pratique de la médecine dans le royaume latin de Jérusalem aux XIIe et XIIIe siècles. On ne permet à personne de pratiquer la médecine tant qu’il n’a pas passé un examen devant les meilleurs médecins de la région et en présence de l’évêque. Il est possible que cet examen soit la première forme de contrôle connue en Occident pour accéder à la profession médicale.
35Un autre exemple d’origine laïque régissant l’accession des candidats à la médecine est la Loi du royaume des Deux-Siciles (1140-1141). Roger II publie une ordonnance par laquelle quiconque désire pratiquer la médecine doit comparaître devant les officiers et juges de la cour pour subir un examen et obtenir une licence. Quiconque exerce la médecine sans avoir obtenu cette autorisation risque l’emprisonnement et la confiscation de ses biens.
36Un progrès est encore enregistré quand le petit-fils de Roger II, l’empereur Frédéric II, promulgue le Liber Augustalis (1241) à partir duquel l’examen pour l’obtention de la licence se passe devant les maîtres de l’école médicale de Salerne. La licence est émise par l’empereur. La raison invoquée pour ces exigences est la protection de la santé des fidèles sujets du royaume : on a bien conscience du mal irréparable causé par l’inexpérience des médecins.
37En se référant au traité écrit par Arnaud de Villeneuve vers l’an 1300, écrit Guy Bourgeault, il est permis de se demander si vraiment la pratique médicale du Moyen Âge s’est conformée aux législations évoquées plus haut13.
38En dehors des trois exemples de législation précédents, les corporations et facultés universitaires essaient aussi de contrôler l’exercice de la profession et de promulguer des codes de déontologie. On se demande quels sont les standards requis dans l’attribution des permis de pratique, qui les établit et les rend opérationnels. À partir du milieu du XIIIe siècle, ces questions sont abondamment discutées au sein des universités et des corporations. Dans les facultés de médecine on trouve une élite professionnelle beaucoup plus instruite qu’au début du Moyen Âge, grâce aux traductions latines d’auteurs tels qu’Hippocrate, Galien et leurs disciples arabes. Ces érudits n’ont toutefois pas autant d’influence qu’on serait porté à le croire : la majorité des praticiens ne fréquentent pas l’université. Quant aux corporations, elles existent surtout chez les chirurgiens, les barbiers, les apothicaires et, à une échelle plus restreinte, chez les médecins de l’élite. Ce sont alors ces organismes qui accordent les permis de pratique, le plus souvent après l’examen de la compétence du candidat.
39Ici et là, on veut limiter la pratique des femmes médecins parce qu’elles exercent souvent sans permis et de façon trop empirique14. Mais parmi les médecins officiels, il y a des femmes et même en nombre étonnamment élevé, selon Christian Feldmann. À Francfort, au XIVe siècle, quatorze femmes sont enregistrées. À Salerne, elles sont admises aux études universitaires. Des professeurs féminins y enseignent15, la première et la plus célèbre étant Trotula au XIe siècle. Même s’il est difficile de distinguer les faits de la légende qui s’empare rapidement d’elle, l’existence de Trotula, sa qualité de médecin, sa renommée, certains écrits sont incontestables16.
40L’historienne Monica Green conteste deux opinions largement répandues, à l’effet que durant le Moyen Âge la santé des femmes était une affaire de femmes et que la sage-femme n’était qu’une accoucheuse, opinions d’ailleurs contradictoires puisqu’en dehors des accouchements les femmes étaient aussi sujettes à des maladies. Selon elle, il n’y a pas de division sexuelle des soins ; il y a des femmes dans toutes les spécialités médicales (quoiqu’en plus petit nombre que les hommes) et la sage-femme est souvent une véritable gynécologue-obstétricienne17.
41Il faut bien se rendre compte par ailleurs que, de toutes manières, le nombre d’hommes médecins — catégorie officielle — est très réduit. Selon Raymond Villey, l’importante faculté de médecine de Salerne compte une dizaine de médecins enseignants. À Paris en 1311, on ne dénombre que 29 médecins. Et au XVe siècle, la faculté de médecine ne compte que de 10 à 15 élèves18.
42Les études étant favorisées par l’Église, les clercs deviennent si passionnés de médecine qu’ils se font souvent praticiens et mettent leurs connaissances au service des malades, particulièrement des princes. Certains acquièrent prestige, autorité et richesse aux dépens de leurs fonctions religieuses. Dès 1131, le concile de Reims interdit aux moines la pratique de la médecine. L’interdiction est reprise à Rome en 1139 et à Tours en 1167, puis étendue au clergé séculier au début du XIIIe siècle. La formation des médecins reste cependant soumise à certaines règles ecclésiastiques. À Paris, les médecins attendront jusqu’en 1452 pour être dispensés du célibat19. De même l’Église veut-elle que les chrétiens ne soient pas traités par des juifs, mais sans trop de succès, car ces derniers sont parmi les plus compétents.
L’Œuvre au noir20
43Parallèlement à ce mouvement d’encadrement et de professionnalisation, les autorités religieuses et la médecine officielle pourchassent toute pratique et tout savoir suspects de magie ou sorcellerie. Bien des praticiens sont ainsi obligés de vivre dans la clandestinité pour éviter les poursuites de l’Inquisition. Mais cet ostracisme frappe surtout les femmes.
44Pendant des siècles, ce sont les femmes-guérisseuses qui s’occupent de soigner les gens du peuple. Elles ont à leur disposition mille remèdes à base d’herbes aux vertus curatives, que l’on retrouve parmi les médicaments modernes, et connaissent de nombreuses pratiques de soins du corps. Pendant des siècles, le seul médecin du peuple fut la sorcière. Mais plus ces femmes deviennent expertes et autonomes dans leur pratique, plus elles sont considérées comme démoniaques et surtout comme une menace à l’ordre établi. Toute recette de guérison et toute conduite tendant à provoquer des résultats extraordinaires sans l’approbation des autorités religieuses et de la médecine officielle sont considérées comme de la sorcellerie.
45On ne saurait taire l’opiniâtreté avec laquelle les autorités récusent tout savoir acquis par les femmes guérisseuses, proclamant que toute femme qui ose dispenser des soins sans avoir fait d’études médicales est déclarée « sorcière et doit périr ». Des milliers de sorcières guérisseuses et de sages-femmes sont alors persécutées et exécutées21. Parfois l’entrée dans les écoles de médecine est interdite aux femmes, y compris aux « miresses », ces femmes qui dans le Haut Moyen Âge exerçaient officiellement dans les cités une médecine reconnue. Les Inquisiteurs réservent leur plus grande colère pour la sagefemme et affirment : « Les plus grandes injures à la foi, en ce qui concerne l’hérésie des sorcières, sont accomplies par les sages-femmes ; et ceci est clair comme de l’eau de source si l’on prend connaissance des confessions que certaines ont faites avant d’être brûlées22. » En général, il semble bien que les pouvoirs de la femme paraissent aux hommes comme une menace, à cause peut-être de sa connaissance vécue du corps, de sa proximité avec la vie et la mort, mais aussi plus concrètement à cause du caractère impur attaché au sang (menstruation, accouchement) et de l’image de tentatrice qu’elle représentait (occasion de péché).
46Les pratiques de soins connues par les femmes guérisseuses entrent alors dans le monde du silence et de la clandestinité. Elles reparaîtront par la suite sous la forme de vocation religieuse, de devoir chrétien dicté par l’amour du prochain, d’altruisme, de désintéressement, de dévouement, mais toujours encadrées par les autorités officielles, médicales ou religieuses.
Hospices et soins infirmiers
47En dehors des soins prodigués dans le réseau familial et populaire par les femmes (mères de famille, sages-femmes, etc.), l’organisation des soins infirmiers reçoit au Moyen Âge un élan considérable, surtout à partir de la fin du XIe siècle, et prend des formes variées, notamment au moyen d’un réseau d’hôpitaux-hospices.
48Les premiers hôpitaux viennent des monastères et la façon dont les moines et moniales s’occupent des malades sert de modèle aux laïcs. Les monastères ont une infirmerie où les malades reçoivent des traitements. On y trouve fréquemment une pharmacie et un jardin de plantes médicinales. Les moines et moniales s’occupent également des pèlerins et des voyageurs. Les Bénédictins (fondés au VIe siècle) et les Franciscains (fondés au XIIe siècle) s’illustrent dans ces fonctions d’assistance. Sans parler des grandes fondations comme les Hospitaliers du Saint-Esprit à Montpellier, ceux de Saint-Antoine dans l’Isère ou les ordres militaro-hospitaliers comme celui de Saint-Jean. On voit naître aussi des communautés religieuses de femmes vouées aux soins des malades : elles succèdent à l’œuvre des patriciennes romaines et à l’ordre des Diaconesses. Les plus célèbres sont les Augustines de l’Hôtel-Dieu de Paris, fondées au VIIe siècle et réformées au XIIIe siècle. Elles deviennent le modèle des congrégations hospitalières23.
49La volonté de créer des hôpitaux vient souvent aussi des ecclésiastiques. Le Concile de 816 établit que chaque évêché doit avoir des refuges pour les pauvres. Les évêques et les communautés religieuses en fondent effectivement plusieurs dans les deux ou trois siècles qui suivent. Un grand nombre d’hôpitaux encore existants sont fondés au Moyen Âge, comme l’Hôtel-Dieu de Lyon, l’Hôtel-Dieu de Paris, l’Hôpital du St-Esprit, et encore l’Hôpital d’York, le St. Bartholomew et le St. Thomas à Londres24. Plusieurs se trouvent le long des routes empruntées par les croisés.
50À mesure que le temps passe, des bienfaiteurs laïques fondent des hôpitaux : rois, reines, nobles, marchands cossus, corporations, fraternités, municipalités, tous endossent des maisons pour le soin des pauvres, des malades, des infirmes et des personnes âgées. En Angleterre, en 1370, l’Hôpital d’York contient déjà plus de 200 malades en plus des infirmes et des sans-abri25.
51La plupart de ces établissements sont contrôlés par les autorités religieuses ou les princes, mais de plus en plus souvent avec le temps par les municipalités.
52Le personnel est religieux dans la majorité des cas : moines ou moniales. Beaucoup d’établissements sont mixtes et à nombre fixe. Ainsi, à Amiens, il y aura 8 sœurs, 4 frères laïques et 2 prêtres plus 1 clerc apte à leur succéder ; à Angers, 10 sœurs, 10 frères laïques et 10 clercs ; à Paris, 25 sœurs « et pas plus », 30 frères laïques « et pas plus », 4 prêtres « et pas plus ». On prévoit que les sœurs et les frères habitent dans deux bâtiments séparés et leur collaboration est régie par une réglementation minutieuse. Aucune place n’est prévue pour un médecin officiel26. Il y a aussi des regroupements purement séculiers dont les membres ne prononcent aucun vœu de vie monastique, mais se consacrent à la visite des malades, prennent soin des orphelins et des enfants trouvés et conduisent aussi les malades à l’hôpital. Les plus célèbres sont les béguines de Flandres, en Belgique, qui ont construit des ermitages communaux aux portes des cités avant d’ériger des hôpitaux. En France, un des plus prestigieux hôpitaux fondés par des béguines est l’Hôtel-Dieu de Beaune, en 144327.
53À la fin du XVe siècle, l’Europe se trouve ainsi couverte par un réseau d’hôpitaux. Cependant, il n’existe aucune réglementation. Les critères d’admission, les sorties et les soins proprement dits ne font l’objet d’aucun contrôle. De nombreux abus surviennent, notamment sur le plan financier, malgré les tentatives de surveillance établies, par exemple, par le décret du pape Clément V en 1311 et par la charte de l’archevêque de Canterbury en 1414. L’hôpital médiéval n’est pas seulement un centre médical mais aussi, et surtout, une institution à vocation philanthropique et spirituelle.
Amorces de formation académique
54Vers la fin du Xe siècle, les écoles épiscopales du nord de la France, telles que celles de Reims et de Chartres, enseignent la médecine et remplacent graduellement les monastères comme centres de culture intellectuelle. Mais on en est encore à un enseignement très notionnel. L’exception : Salerne, en Italie, fondée en 750, qui, dès le milieu du Xe siècle, est reconnue comme centre laïque par excellence de l’étude de la médecine empirique28.
55Le Liber Augustalis promulgué par l’empereur Frédéric II décrète que l’aspirant médecin, avant de passer l’examen, doit étudier la logique pendant trois ans, la médecine (incluant la chirurgie) pendant cinq ans et pratiquer pendant un an sous la supervision d’un médecin expérimenté.
56Vers la fin du Moyen Âge, la médecine académique est devenue plus accessible grâce aux facultés universitaires elles-mêmes qui donnent des cours occasionnels aux chirurgiens et barbiers. De plus, la traduction des œuvres de prestige en langues vernaculaires et l’imprimerie naissante en permettent un meilleur accès. À Cordoue (Espagne) et à Salerne (Italie), les médecins et les étudiants médecins des trois grandes religions monothéistes se côtoient pour comparer et augmenter leurs connaissances.
57Par contre, il n’y a pas d’école de sciences infirmières. On se forme en pratiquant et, notamment, en se mettant à l’école des plus anciennes. Pour empirique qu'elle soit, cette formation n’est cependant pas négligeable. Chez les Augustines, par exemple, on distingue explicitement la double formation religieuse et hospitalière nécessaire aux soignantes.
Santé publique
58Si on réussit à structurer d’une certaine façon les professions et institutions touchant les soins de santé, on peut penser que les autorités gouvernementales sont aussi préoccupées par la santé publique29.
59C’est l’Italie qui donne le ton à ce propos. Dès le XIIIe siècle, il existe dans les municipalités de ce pays des médecins payés à même les fonds publics. Graduellement, ils font leur apparition dans le reste de l’Europe. Il semble que la préoccupation majeure des autorités soit de les mettre à la disposition des citoyens les plus démunis. Le médecin s’engage à les traiter gratuitement.
60Les gouvernements sont particulièrement incités à employer les connaissances médicales au service du bien commun à cause des nombreuses épidémies qui frappent l’Europe pendant deux siècles et demi à la fin du Moyen Âge. Encore ici, l’Italie est à l’avant-garde : à l’occasion de l’épidémie de peste de 1348-1351, deux villes du Nord créent des commissions de santé publique qui se dissolvent et réapparaissent selon la gravité de la situation. Au XVe siècle, ces commissions deviennent permanentes, du moins en Italie. Une de leurs obligations consiste à voir à ce que tous les décès causés par la contagion leur soient rapportés. Un peu plus tard, les commissions exigent des médecins et des chirurgiens un certificat médical indiquant la cause présumée de tout décès, contagieux ou pas. On demande aussi à ces organismes de faire la ségrégation des lépreux et d’instaurer des règlements régissant l’hygiène publique. À beaucoup d’endroits dans le reste de l’Europe, à défaut de ces commissions, les autorités gouvernementales délèguent des médecins pour s’occuper de santé publique. On produit une pléthore de tracts tentant d’expliquer la maladie à la population, de l’éduquer au sujet de la prévention et des traitements. Quelques médecins vont en profiter pour élargir leur rôle traditionnel afin d’y inclure leur engagement en santé publique.
DÉVELOPPEMENT DES CONNAISSANCES ET DES TECHNIQUES
61Au début du Moyen Âge, les perturbations intérieures et extérieures de l’Empire romain ne créent pas un climat favorable à la réalisation de grandes découvertes. Le dogme médical hérité d’Hippocrate et de Galien freine les innovations. Par contre, le monde arabe est caractérisé par un climat de paix et de tolérance religieuse. Les califes encouragent le développement des connaissances, stimulent les concertations multidisciplinaires et rassemblent les savants dispersés dans leur empire.
Grandes découvertes médicales et scientifiques
62Au Moyen Âge, la médecine occidentale est largement dominée par les traditions d’Hippocrate et de Galien, tandis que se développe parallèlement, et parfois en opposition, une quête de connaissances fondées sur l’observation et la raison. Une étape cruciale est franchie sur le plan épistémologique par la pratique des dissections humaines dans le dernier quart du XIIIe siècle, même si celles-ci sont peu nombreuses et servent davantage à confirmer les connaissances traditionnelles qu’à en découvrir de nouvelles30. L’apport le plus marquant viendra des mondes juif et musulman. De grands médecins tels les Ibn Suleiman al Israeli Ishaq en Tunisie et Hasdaï ibn Shaprout à Cordoue au Xe siècle, mais surtout Avicenne, Averroès, Maimonide et Ibn-al-Nafis aux XIe et XIIe siècles enrichissent la pratique médicale. Il leur revient d’avoir précisé certains concepts et perfectionné certains traitements31.
Avicenne (980-1037)
63Philosophe et médecin iranien, Abou Ali ibn Abdellah ibn Sina, dit Avicenne, naît en 980 à Afshana à l’extrême est de l’empire et finit sa vie à Ispahan en Iran en 1037. Il est l’auteur de près de 200 ouvrages portant sur des sujets aussi variés que l’astronomie, la mécanique, l’acoustique, la musique et l’optique. Ses contributions à la philosophie et à la médecine lui confèrent une gloire inégalée par les autres médecins arabes.
64Il réalise en effet une synthèse des théories philosophiques de l’époque, elles-mêmes héritières d’Aristote et de Platon. Cette œuvre colossale va servir de référence à tous les philosophes et métaphysiciens du Moyen Âge. Sur le plan médical, il est l’auteur du livre connu en Occident comme le Canon de la médecine. Cet ouvrage répertorie toutes les maladies de l’homme, de la tête aux pieds, incluant l’amour, classé parmi les maladies cérébrales avec l’amnésie et la mélancolie. Il sera considéré pendant huit siècles comme l’un des fondements de la vérité et figurera parmi les enseignements obligatoires des universités32.
65Avicenne se révèle néanmoins décevant au niveau clinique proprement dit. Le Canon ne permet pas de tirer d’enseignements utiles pour soigner le malade. Il simplifie en outre la réalité en penchant pour une causalité unique qui, par exemple, attribue au mouvement des astres l’entière responsabilité de la date des saignées et du pronostic des maladies, tandis que la géométrie des polygones fixerait la cicatrisation des plaies33.
Averroès (1126-1198)
66Abu Walid ibn Rosch, dit Averroès, partage sa vie entre Cordoue et Marrakech. Il est à la fois juriste, physicien, théologien et médecin. Il apporte deux contributions importantes à la médecine. Il décèle le rôle de la rétine dans la vision et constate que la variole n’atteint jamais deux fois le même individu.
67Son œuvre principale se situe néanmoins sur le plan philosophique où il lui revient d’avoir soulevé l’épineux problème des relations entre la réflexion et la foi ou, plus précisément, entre la science et le dogme. Il pose ainsi des questions qui continueront de préoccuper les siècles suivants : Comment concilier la vérité révélée, chrétienne ou musulmane, avec le réel et le rationnel ? La médecine a-t-elle le droit d’entraver des phénomènes dont Dieu fixe l’évolution34 ?
Maïmonide (1135-1204)
68Moshe ibn Maimoun, dit Maïmonide, né à Cordoue et issu d’une longue lignée de rabbins est à la fois médecin, talmudiste et philosophe juif. Il est probablement l’un des médecins les plus connus de cette époque. Exilé de Fez au Maroc par le fanatisme des Almohades, il vit un long exode jusqu’en Égypte où il devient le médecin du sultan Saladin. Pourvu d’une vaste culture à la fois théologique, philosophique et médicale, il est l’auteur d’une œuvre considérable reprenant et enrichissant les auteurs grecs. Ses nombreux ouvrages, écrits en arabe, sont traduits en hébreu par son disciple Samuel Ibn Tibbon. Ses Commentaires sur Hippocrate et Galien, ses Aphorismes, ses Lettres sur la diététique, son Régime de santé, son De coitu, son Traité des poisons, demeureront primordiaux tout au long du Moyen Âge et de la Renaissance35.
69Les médecins arabes et juifs de l’Empire musulman connaissent donc la médecine grecque et la respectent. Ils la commentent, la complètent, la corrigent et y ajoutent le fruit de leurs propres expériences. Ils en demeurent néanmoins tributaires et ne la transforment pas36.
Ibn-Al-Nafis (1211-1288 ou 1296)
70Né à Damas, Ibn-Al-Nafis dirige l’hôpital Al Mansouri situé au Caire. Il écrit près de 400 traités de médecine. Admirateur d’Hippocrate et d’Avicenne, il critique la conception galénique de la circulation du sang. Selon lui :
Il n’y a point de passage entre les deux ventricules. La cloison entre les deux ventricules est plus épaisse que dans toutes les autres parties du cœur [...]. L’opinion de celui qui prétend que cette partie est très poreuse est donc archi-fausse. Ce qui l’a induit en erreur est son opinion préconçue, à savoir que le sang qui se trouve dans le ventricule gauche serait passé par ces porosités et cela est faux. Le passage du sang dans le ventricule gauche se fait par les poumons après que ce sang a été chauffé et remonté du ventricule droit37.
71Ibn-Al-Nafis parvient donc non seulement à réfuter l’erreur de Galien quant à la porosité de la cloison interventriculaire et au passage du sang entre les deux ventricules, mais il remplace en outre cette erreur par la découverte de la circulation pulmonaire.
72La prise de Bagdad par les Mongols en 1258 interrompt, dans le monde musulman, cette ambiance favorable aux découvertes. La Méditerranée occidentale prend le relais de la créativité. À partir du XIe siècle, en Espagne notamment, des médecins juifs, arabes et chrétiens comparent leur savoir. Les cinq siècles de la Reconquista espagnole permettent ainsi des échanges fructueux. À partir du XIVe siècle, les Grecs de Constantinople émigrent vers les pays chrétiens et y introduisent une littérature ancienne originale. Les dissections se poursuivent au XIVe siècle, se généralisent dans les universités à partir du XVe siècle et permettent de faire quelques progrès en anatomie. Cette discipline demeure néanmoins balbutiante jusqu’aux XVIe et XVIIe siècles où elle deviendra une préoccupation majeure38.
Pratiques diagnostiques et thérapeutiques
73Deux types d’approches thérapeutiques se côtoient. D’une part, la médecine naturelle ou « scientifique » de ceux qui traitent les patients en employant les propriétés physiques des végétaux et des minéraux. Et, d’autre part, la médecine surnaturelle de foi au Christ par la médiation des apôtres et des saints qui opèrent les guérisons par la parole ou le toucher et, éventuellement, des reliques. En théorie, les apologistes chrétiens s’efforcent de dissocier ces approches, sans pourtant les opposer. En pratique, les médecins reconnus peuvent évoquer la volonté divine, recourir à la prière, voire recourir à des sortilèges et incantations, alors que les saints et les charismatiques recommandent parfois une médication naturelle ou pratiquent même la chirurgie. Dans les abbayes, des moines recopient les textes anciens et cultivent des plantes médicinales pour les prescrire aux malades sans y voir de contradiction avec leur foi39.
74Les contacts avec la médecine arabe permettront par la suite d’ajouter à la pharmacopée différents ingrédients venus de l’Inde, du Moyen-Orient et du Maghreb40. Il importe en outre de mentionner que, si la pratique médicale demeure conservatrice tout au long du Moyen Âge, les techniques chirurgicales, elles, se perfectionnent peu à peu. Aux XIIIe et XIVe siècles, les chirurgiens savent drainer les suppurations, enlever les tumeurs superficielles, traiter les hernies, retirer les corps étrangers, suturer les plaies et même effectuer des trépanations et atténuer les souffrances des opérés grâce à l’opium41. Arnaud de Villeneuve est célèbre pour ses amputations.
75Avec le temps, une meilleure organisation de la formation et de la profession médicale contribue à l’élaboration de méthodes diagnostiques et thérapeutiques meilleures et plus uniformes.
76Par ailleurs, d’autres soignants et soignantes continuent à pratiquer parallèlement aux médecins. Les infirmières avant le nom travaillent peu avec les médecins. Elles jouissent d’une liberté très grande. Bien que les besoins spirituels fassent partie de leurs priorités, elles interviennent aussi sur le plan matériel. Ainsi, elles nourrissent les malades, les lavent, leur donnent les médicaments, changent leurs draps, pansent leurs blessures et veillent globalement à leur propreté. Certaines possèdent des connaissances très grandes. Guérisseuses, sages-femmes ou sorcières, elles possèdent une foule de remèdes qui ont fait leurs preuves au cours des ans. Leur arsenal thérapeutique est d’ailleurs très voisin de celui des médecins, avec qui on peut parfois les confondre.
77Ainsi en est-il de la figure de Hildegarde de Bingen, religieuse qui a sûrement agi comme médecin dans ses monastères et au cours de ses voyages.
Hildegarde de Bingen (1098-1178)
78Mystique, visionnaire, musicienne, savante et écrivaine du XIIe siècle, Hildegarde de Bingen a exercé une influence considérable en Allemagne du Nord. Après avoir passé des années dans l’ombre d’un monastère bénédictin en Rhénanie, elle publie ses visions (trois livres) qui lui valent un destin extraordinaire. Elle fonde des monastères, prêche dans des églises, entretient une correspondance suivie avec des personnes de tous les milieux, y compris avec les personnalités les plus marquantes comme l’empereur Frédéric Barberousse et le pape Eugène III.
79Son œuvre scientifique est tout aussi saisissante. Elle publie deux traités de médecine ou de sciences naturelles, les seuls composés en Occident au XIIe siècle, qui constituent une véritable encyclopédie des connaissances du temps en Allemagne. Ces propos dépassent la simple description ; ils établissent des rapports entre les productions de la nature et les êtres humains, recherchent les connaissances relatives à l’homme, à son équilibre, à sa santé. Dans un langage déroutant pour nous, Hildegarde décrit une grande quantité de maladies physiques, psychologiques et existentielles et propose des médicaments (herbes et régimes de vie) qui peuvent soulager ou guérir. Véritables traités de médecine psychosomatique et environnementale, ses livres énumèrent notamment les propriétés curatives de 213 variétés de plantes et de 55 arbres, en plus de douzaines de dérivés minéraux et animaux. On la nomme parfois la première femme médecin, bien qu’elle ait exercé en dehors des facultés et des hôpitaux42.
ANTHROPOLOGIE MÉDICALE ET CULTURELLE
80Tel que signalé précédemment, la pensée médicale du Moyen Âge est dominée par deux principaux courants : l’un est basé sur la foi, l’autre sur la raison. Le contrôle de l’Église demeure prépondérant jusqu’au XIe siècle, mais la redécouverte de la médecine grecque à partir du XIIe siècle, grâce à Avicenne et Averroès notamment, accentue le prestige de cette médecine jusqu’à la Renaissance. Ces deux approches, tantôt opposées, tantôt complémentaires, déterminent en grande partie les diverses conceptions de la santé et de la maladie. Le courant féminin déjà à l’œuvre dans l’Antiquité demeure extrêmement vivant et porte sa propre anthropologie43.
Courant « rationaliste »
81Héritier d’Hippocrate, de la médecine grecque en général et de la philosophie elle-même, ce courant met l’accent sur l’observation et le travail de la raison. Mais, selon l’importance donnée à tel ou tel facteur, ce courant donne naissance à plusieurs écoles de médecine qui rivalisent entre elles44.
Les « méthodistes » recommandent de se fier à l’observation de « phénomènes » ou « symptômes ».
Les « empiriques » choisissent de se baser uniquement sur la répétition des observations.
Les « rationalistes » privilégient les éléments organiques du corps et affirment que l’étude des quatre éléments va au-delà du domaine de la médecine.
Les « dogmatistes » enfin, dont Galien fait partie, accordent une large place à la logique philosophique au sein de la pensée médicale.
82Par-delà leurs divergences, ces différents courants débouchent sur une nouvelle conception de la médecine et, plus particulièrement, du savoir médical. Basé sur l’observation et le travail de la raison, ce savoir constitue désormais un champ spécifique qui requiert une formation académique particulière dans des institutions spécialisées. Cette nouvelle conception du savoir médical autorise et même oblige les médecins à chercher dans l’anatomie une partie des informations indispensables à la reconnaissance de leur discipline et, donc, à pratiquer des dissections humaines45.
83Les dissections se déroulent selon un rituel bien précis. Le maître qui dispose d’un cadavre le fait savoir à ses élèves afin de procéder rapidement à la dissection pour éviter la putréfaction. Les dissections ont lieu en plein air en raison de l’odeur en été et dans un local spacieux, parfois une église, en hiver. Le préparateur découpe et le démonstrateur désigne les parties mises à nu tandis que le maître, siégeant en haut d’une chaire — symbole de sa supériorité et à distance de la senteur —, commente. En général, les dissections servent à confirmer les thèses de Galien46.
84Ainsi, malgré des progrès indéniables, la médecine demeure globalement théorique et dogmatique. Les théories d’Hippocrate, de Galien, puis d’Avicenne sont prises comme des dogmes. Il est très difficile d’y contrevenir. Un peu comme en théologie s’impose le respect d’Augustin, de Thomas d’Aquin et, d’une certaine façon, d’Aristote redécouvert. Si l’observation semble contredire les autorités, on a tendance à conclure qu’on se trompe soi-même. L’historien E. Ackerknecht décrit cette perspective comme une médecine livresque, library medicine47.
85Dans un autre ordre d’idées, on peut déceler dans la pratique clinique deux tendances opposées : l’attention à l’organe malade et l’attention à l’ensemble de la personne. Un contemporain de Maimonide décrit ainsi le dilemme : « Galien, par son art, ne traitait que le corps de l’homme ; celui de Maimonide traite tout à la fois son corps et son esprit48. »
Courant chrétien
86Le XIe siècle voit émerger une dimension oubliée : le bon médecin est aussi philosophe et même théologien. C’est celui qui apporte à son patient le meilleur de chaque monde : des conseils sur la santé corporelle mais aussi spirituelle ; une vision globale intégrant connaissances médicales et croyances religieuses. Cela dénote une vision unifiée de l’être humain (corps et âme) et du cosmos (naturel et surnaturel).
87La pensée de Hildegarde de Bingen est exemplaire à ce propos. Hildegarde a une vision unifiée du cosmos et de l’être humain, vision intégrant toutes les connaissances scientifiques à ses croyances théologiques. Il y a une corrélation entre le macrocosme (la cosmologie) et le microcosme (le corps et ses organes). Les anges, les astres, les vents, les éléments influencent les forces physiques de l’être humain et son état d’esprit par l’intermédiaire des humeurs. La maladie est rendue possible à cause des dérèglements apportés dans la nature par le péché des origines, sans être pour autant une conséquence des péchés personnels ou une épreuve envoyée par Dieu. La santé du corps dépend de l’équilibre des humeurs. L’art de guérir consiste à rétablir cet équilibre, qui correspond à l’image originelle de l’être humain dans le plan de Dieu. Le Christ est le grand médecin49.
88Si les médecins arabes ont su poser le problème des relations entre foi et science en s’interrogeant sur le rôle de la médecine dans les desseins divins, l’Église catholique semble avoir trouvé une solution à ce dilemme en intégrant à la médecine ses conceptions, ses valeurs et ses règles.
Courant féminin
89Le courant féminin évoqué dans l’Antiquité se répand quelque peu au Moyen Âge dans la mesure où des femmes soignantes travaillent désormais dans les hôpitaux. Leur approche demeure holiste et axée sur le bien-être global de la personne malade. Elles-mêmes influencées par les courants chrétiens et rationalistes, ces infirmières avant le nom appliquent pour chaque cas concret des préoccupations issues de ces deux approches. Elles s’occupent en effet non seulement des soins médicaux requis par l’état de santé des malades (médicaments, pansements), mais en outre de leur confort général, aussi bien sur le plan matériel (nourriture, propreté) que sur le plan spirituel. Elles peuvent être considérées comme les principales pourvoyeuses de soins.
ÉTHIQUE ET DÉONTOLOGIE MÉDICALES
90Trois courants se croisent au cours du Moyen Âge en ce qui touche l’éthique et la déontologie médicales. L’idéal hippocratique, malgré le contexte chrétien et musulman, demeure très présent dans les écrits s’adressant aux médecins. Certaines lois réglementent la pratique de la médecine sans pourtant supplanter la recherche d’un idéal éthique. Le courant chrétien enfin a plus d’influence sur le plan de l’action caritative et institutionnelle que sur celui de l’écriture.
L’idéal hippocratique
91On a longtemps cru que le Corpus et le Serment d’Hippocrate n’avaient été redécouverts qu’au Bas Moyen Âge, soit à partir du XIe siècle, et en particulier grâce au rayonnement de Salerne. L’autorité de l’Église romaine laissait croire que seuls les principes de la foi chrétienne avaient de l’influence sur les médecins de l’époque. Certaines analyses faites au milieu du XXe siècle sur des manuscrits issus des monastères du nord de l’Europe50 démontrent au contraire qu’il existe des liens très étroits entre ces écrits et ceux d’Hippocrate ainsi qu’une absence relative d’allusions à la foi ou à la Bible quand il s’agit d’éthique ou de déontologie médicale. On peut même parler d’une médecine de plus en plus pragmatique et sécularisée à mesure qu’on se dirige vers la Renaissance, tout en reconnaissant la présence marquante de l’Église auprès des pauvres et des démunis.
92L’influence du Corpus Hippocraticum et du Serment est évidente dans la description du médecin idéal, fournie dans la majorité des manuscrits retrouvés, comme l’indique cet extrait :
Le médecin devrait être affable et modeste tout en étant fiable. Il ne doit pas manquer de connaissances tout en étant humble ; il devrait prendre soin du riche et du pauvre, de l’esclave et de l’homme libre et cela également selon leurs besoins respectifs. De plus, si on lui offre une certaine compensation, qu’il l’accepte plutôt que de la refuser. Si on ne lui offre rien, qu’il ne le requière pas parce qu’aucun montant ne peut équivaloir au bénéfice acquis. Entrez dans les maisons de telle manière que vous vous concentriez uniquement sur la guérison du malade. Soyez conscient du Serment d’Hippocrate et abstenez-vous de toute culpabilité, surtout d’immoralité et d’actes de séduction. Gardez secret tout ce qui se passe ou se dit à l’intérieur de la maison51.
93À partir du XIIIe siècle, on peut parler de l’existence d’un corps d’obligations morales professionnelles : parler, acquérir une bonne connaissance du métier, ne pas dépasser ses limites, affronter la contagion, soigner gratuitement les pauvres, veiller à ce que les malades soient confessés, etc. À ceci s’ajoutent des considérations plus terre à terre, telles que les questions de concurrence, d’honoraires et de prestige. Certains auteurs signalent encore qu’il ne faut pas soigner les cas désespérés52.
94Le devoir de bienfaisance reste central : faire du bien, ne pas nuire. S’inspirant d’auteurs du Moyen Âge, Navarrus précise que, même s’il ne cause pas la mort, le médecin pèche s’il administre un médicament à un patient sans savoir s’il va lui nuire ou non dans le but d’expérimenter, de se procurer un revenu ou de cacher son ignorance. De plus, il faute s’il est client d’un apothicaire avec qui il est de connivence, soit pour vendre au patient des médicaments corrompus, soit pour prescrire une plus grande quantité que nécessaire.
95Les médecins du Haut Moyen Âge ne connaissent à peu près pas de codes de déontologie, mais plutôt un ensemble de recommandations idéales inspirées pour la plupart par les écrits hippocratiques. Alors que l’ensemble des textes monastiques de l’époque sont empreints de piété et de mysticisme, il est remarquable que, lorsqu’ils traitent d’éthique médicale, ils empruntent des équivalents hippocratiques. La sécularisation graduelle de la vie médiévale, sous l’influence du commerce et de l’urbanisation, aura tôt fait de tourner l’homme et les médecins en particulier vers des préoccupations éthiques de plus en plus terrestres et de moins en moins centrées sur l’au-delà.
96Signe des temps, on retrouve les mêmes règles déontologiques chez les médecins juifs. Ainsi, Assaph de Tibériade (VIe siècle, Syrie) reprend les principes d’Hippocrate :
Vous ne préparerez pas de poison pour un homme ou une femme qui voudrait tuer leur prochain. Vous n’en donnerez pas la composition et n’en remettrez à personne. Vous n’en direz rien53.
97Quatre siècles plus tard, Ibn Suleiman Ishaq (Xe siècle, Tunisie) écrit un Guide du médecin, où on lit :
Ne néglige pas de visiter et de soigner les pauvres, rien n’est plus noble [...]. Réconforte le patient par une promesse de guérison, même si tu n’y crois pas : venant de toi une telle affirmation peut aider la nature [...]. Réclame tes honoraires quand la maladie culmine, car une fois guéri le malade oubliera ce que tu auras fait pour lui54.
98Dans la même perspective se développe pour les apothicaires une éthique professionnelle spécifique. Ainsi en 1422, à Paris, la Faculté de médecine rassemble, comme à l’accoutumée, tous les herboristes de la ville pour leur faire prêter un serment d’office. Ce serment porte sur la possession de certains manuels, le choix des clercs assistants, mais contient aussi de véritables engagements d’ordre éthique :
utiliser des poids médicinaux justes et vrais ;
n’employer aucune médecine éventée ou corrompue ;
ne pas remplacer une ancienne médecine par une autre sans le consentement du maître qui l’a ordonné ;
ne donner aucune médecine qui n’ait été prescrite par un maître ;
n’accepter de recette d’aucun charlatan.
99Que ce serment soit plus ou moins imposé par la faculté de médecine, désireuse de contrôler la pratique, mais aussi de s’assurer que les prescriptions des médecins soient suivies, il n’en comporte pas moins le début d’une véritable déontologie professionnelle basée sur une éthique de la connaissance et de l’honnêteté55.
Réglementation civile
100Même si la codification et le contrôle civil des comportements médicaux sont encore à leurs balbutiements, diverses législations déjà évoquées sont significatives56.
101Le Code des Wisigoths (VIe-VIIe siècles) contient une multitude de lois régissant la pratique médicale. Une de ces lois stipule que le médecin, après avoir posé son diagnostic et avant de commencer le traitement, doit signer un contrat. Une autre loi prévoit que, si le traitement, fait sous contrat, aboutit à la mort du patient, le médecin n’aura pas droit aux honoraires, mais ne sera pas passible de poursuite. Une série de lois prévoit ensuite des sanctions pour une phlébotomie (saignée) débilitante ou mortelle. En ce dernier cas, le médecin devra être remis entre les mains des parents qui pourront faire de lui ce qu’ils veulent. Il faut dire que la saignée était employée trop souvent à cette époque. Par contre, une loi stipulait que le médecin ne devrait pas être emprisonné sans qu’il ait donné sa version. On prévoit la peine de mort pour un médecin ayant fourni un pessaire abortif et l’esclavage pour une femme libre l’ayant demandé. La femme esclave, elle, recevra deux cents coups de fouet57.
102Dans les Assises de la cour des bourgeois (avant 1245), dix-huit lois sur vingt-trois ont rapport à la responsabilité du médecin quant à une pratique négligente. Celle-ci est surtout jugée en fonction des résultats défavorables de types spécifiques de traitements, allant de prescriptions de laxatifs contre la dysenterie à la cautérisation des hémorroïdes avec un fer chaud. Si le patient en meurt et qu’il est un esclave, son propriétaire a droit à une indemnisation monétaire. Mais si la victime est libre, le médecin sera pendu après avoir été fouetté en public et promené avec un urinoir dans les mains, car « il est juste et raisonnable d’effrayer les autres devant une pratique médicale négligente58 ».
103Promulgué par l’empereur Frédéric II en 1241, le Liber Augustalis contient plusieurs règles d’ordre éthique : le médecin doit visiter son patient deux fois par jour et, à la requête de celui-ci, une fois la nuit. Les honoraires sont basés sur la distance à parcourir. On oblige aussi le médecin à jurer qu’il restera fidèle aux directives du gouvernement, qu’il soignera gratuitement le pauvre et dénoncera aux autorités tout apothicaire ne préparant pas les médicaments selon la qualité ou la pureté requises59.
104Les autres professions de la santé, elles aussi, commencent à être réglementées soit par les corporations elles-mêmes, soit par les facultés de médecine, soit par les pouvoirs publics. Ainsi en 1353, une ordonnance du roi Jean le Bon exige que la visite des officines des apothicaires se fasse deux fois l’an par le maître du métier d’apothicaire accompagné de deux maîtres en médecine nommés par le doyen de la Faculté et de deux apothicaires désignés par le prévôt de Paris60.
Influence religieuse
105Même si la grande majorité des textes d’éthique, de déontologie et d’étiquette médicales ne font pas constamment appel aux réalités de l’au-delà, l’action du médecin est perçue comme subordonnée à celle de Dieu. En général, le médecin est bien considéré, au point qu’on parle souvent des prêtres comme médecins des âmes. Le canon du IVe concile du Latran (1215) compare même le prêtre et le médecin dans leur conduite à l’égard du malade : « Les deux doivent être délicats et circonspects, prompts et appliqués à poser un diagnostic, prudents dans leur traitement et respectueux du secret lié à leur fonction respective61 »
106Dans l’introduction au manuscrit de Bamberg (voir ci-dessus la n. 50), l’auteur cite Isaïe 26, 12 qui proclame : « Dieu opère toutes ses œuvres par notre entremise », et Luc 18, 27 : « Sans moi vous ne pouvez rien faire. » Dans le manuscrit de Paris du IXe siècle, on dit que la médication divine doit être employée pour toute guérison, car la puissance de Dieu est l’agent approprié pour restaurer nos corps mortels. Enfin, dans celui de Bruxelles du Xe siècle, l’auteur fait appel à Hippocrate, tout en prétendant que les médecins ne réussissent que ce qui est voulu par les dieux62
107Une version christianisée du Serment d’Hippocrate, de date incertaine, démontre bien la croyance en la présence et l’aide de Dieu dans les actes bénéfiques posés par le médecin.
SERMENT D’HIPPOCRATE
VERSION CHRISTIANISÉE
Béni soit Dieu le Père de notre Seigneur Jésus Christ qui est béni à tout jamais ! Je n’entacherai d’aucune façon l’apprentissage de l’art médical. Je ne remettrai à personne du poison, si on m’en demande, ni ne prendrai l’initiative d’une pareille suggestion. Semblablement, je ne donnerai à aucune femme un traitement abortif, qu’il soit oral ou vaginal. Mais j’enseignerai cet art à ceux qui désirent l’apprendre, sans salaire ni engagement.
Je dirigerai le régime des malades à leur avantage, suivant mes forces et mon jugement. Je passerai ma vie et j’exercerai mon art dans la pureté et la sainteté. Dans quelque maison que j’entre, je le ferai pour l’utilité des malades, me préservant de tout méfait, intentionnel ou non, touchant la mort ou les blessures, ou la fornication avec les femmes ou les hommes, libres ou esclaves. Quoi que je voie ou entende dans la société pendant l’exercice ou même hors de l’exercice de ma profession, je tairai ce qui n’a jamais besoin d’être divulgué, regardant de tels secrets comme absolument sacrés.
Si je remplis ce serment sans l’enfreindre, puisse Dieu me venir en aide dans ma vie et ma profession et être honoré à jamais parmi les hommes ; si je le viole et que je me parjure, puissé-je avoir un sort contraire63 !
108Ce code insiste un peu moins que d’autres sur les aspects corporatistes. Il rappelle fermement le respect de la vie (avortement, poison), de la pureté, de la confidentialité. L’interdiction de pratiquer la taille (de pratiquer la chirurgie) n’apparaît pas dans cette version, mais d’autres versions plus tardives mentionnent cette défense64.
109Enfin, cette belle prière qui a longtemps été attribuée à Maimonide rend hommage à ce Dieu inspirateur de l’amour de l’art médical et de l’épanouissement de toute créature, quelque infime qu'elle soit. Elle contient des règles morales exigeantes qui doivent orienter la conduite du praticien.
PRIÈRE DITE DE MAÏMONIDE
Mon Dieu, remplis mon âme d’amour pour l’Art et pour toutes les créatures. N’admets pas que la soif du gain et la recherche de la gloire m’influencent dans l’exercice de mon Art, car les ennemis de la vérité et de l’amour des hommes pourraient facilement m’abuser et m’éloigner du noble devoir de faire du bien à tes enfants.
Soutiens la force de mon cœur pour qu’il soit toujours prêt à servir le pauvre et le riche, l’ami et l’ennemi, le bon et le mauvais. Fais que je ne voie que l’homme dans celui qui souffre.
Fais que mon esprit reste clair auprès du lit du malade et qu’il ne soit distrait par aucune chose étrangère afin qu’il ait présent tout ce que l’expérience et la science lui ont enseigné, car grandes et sublimes sont les recherches scientifiques qui ont pour but de conserver la santé et la vie de toutes les créatures.
Fais que les malades aient confiance en moi et mon Art pour qu’ils suivent mes conseils et mes prescriptions. Éloigne de leur lit les charlatans, l’armée des parents aux mille conseils, et les gardes qui savent toujours tout : car c’est une engeance dangereuse qui, par vanité, fait échouer les meilleures intentions de l’Art et conduit souvent les créatures à la mort. Si les ignorants me blâment et me raillent, fais que l’amour de mon Art, comme une cuirasse, me rende invulnérable, pour que je puisse persévérer dans le vrai, sans égard au prestige, au renom et à l’âge de mes ennemis.
Prête-moi, mon Dieu, l’indulgence et la patience auprès des malades entêtés et grossiers.
Fais que je sois modéré en tout, mais insatiable dans mon amour de la science.
Éloigne de moi l’idée que je peux tout. Donne-moi la force, la volonté et l’occasion d’élargir de plus en plus mes connaissances. Je peux aujourd’hui découvrir dans mon savoir des choses que je ne soupçonnais pas hier, car l’Art est grand mais l’esprit de l’homme pénètre toujours plus avant65.
110Au-delà de cette perspective religieuse et de ces règles éthiques christianisées, dans son action personnelle auprès de ses malades, le médecin doit se préoccuper avant tout du bien spirituel, comme le prescrit entre autres le IVe concile du Latran (1215) :
Par le présent décret nous décidons et ordonnons strictement aux médecins des corps, quand ils sont appelés auprès des malades, de les avertir et de les amener avant tout à appeler les médecins des âmes ; ayant ainsi pourvu au salut spirituel des malades, on peut appliquer dans de meilleures conditions le remède corporel puisque lorsque cesse la cause cesse aussi l’effet. Ce décret est motivé entre autres par le fait que les malades alités, recevant de leur médecin l’avis de pourvoir au salut de leur âme, tombent dans un désespoir tel que s’aggrave pour eux le péril de mort. Le médecin qui viendrait à transgresser notre présent décret une fois qu’il aura été promulgué par les évêques doit être interdit de l’entrée dans l’église jusqu’à due satisfaction de cette violation66.
111La philanthropie et la compassion évangélique à l’égard du malade marquent ainsi le Moyen Âge et c’est à ce titre que le médecin est en général bien considéré. La compassion semble même primer sur l’efficacité en tant que mot d’ordre de la pratique médicale67.
ÉTHIQUE ET DÉONTOLOGIE INFIRMIÈRES
112Pour toute la période du Moyen Âge, tout comme pour l’époque de l’Antiquité, il est difficile de parler d’une éthique et d’une déontologie infirmières spécifiques. La profession infirmière étant peu organisée, sauf dans les ordres ou les associations religieuses, l’éthique chrétienne exerce une influence dominante, autant par l’attitude de compassion proposée que par l’évaluation morale des actes et interventions concrètes.
La compassion
113Le soin aux malades fait partie des œuvres de miséricorde. Il faut entendre par là, non seulement le geste extérieur de soigner, mais aussi l’attitude intérieure. Cette miséricorde ressort de la charité fraternelle. Pour Hildegarde de Bingen, par exemple, ce serait réellement le pire des malheurs si jamais il arrivait « qu’on ne fasse plus attention à la santé de son prochain et qu’on n’use plus de miséricorde envers l’autre ». Selon elle, Marie est la « Mère de la médecine », « la médiatrice de la vie », « elle nous transmet la miséricorde comme la meilleure médecine »68.
114La compassion est aussi une attitude fortement prêchée et présentée comme essentielle à la pratique soignante. Elle est vue, elle aussi, comme une exigence de l’amour du prochain et de l’amour de Dieu. Elle est commandée par la reconnaissance de la dignité de la personne humaine et du respect qui lui est dû. Il importe, dans la pratique des soins, de manifester de la compassion envers les pauvres, les indigents, les humbles et de les aider comme s’il s’agissait de Jésus-Christ lui-même.
115Conformément à l’esprit du temps, on met l’accent sur les soins spirituels, les soins de l’âme (par exemple, la confession au prêtre est obligatoire à l’entrée à l’hôpital), mais ce n’est pas au détriment du soin des corps. Celui-ci fait partie de la vie quotidienne des religieux et religieuses. Ainsi une des règles de saint Benoît insiste sur le fait que l’abbé responsable du monastère doit établir une infirmerie et veiller sur la qualité des services :
Le soin des malades doit être placé au-dessus de tout autre devoir comme si le Christ lui-même était servi. Il est du devoir très particulier de l’abbé (l’abbesse) de voir à ce que les malades ne souffrent d’aucune négligence. Le responsable de l’infirmerie doit être d’une fiabilité à toute épreuve, renommé pour sa piété, sa diligence et sa sollicitude dans l’exercice de ses fonctions (Règles de saint Benoît)69.
116De plus, la tradition des Sœurs Augustines commence à s’établir, à l’effet que la vie spirituelle ne doit pas retirer les soignants du service des malades, mais, au contraire, les y porter avec plus d’amour et de ferveur. En cas de conflit, le service des malades passe avant l’assistance à la messe70.
117C’est cette attitude, c’est cette conception de la profession qui explique qu’on y consacre sa vie, qu’on en fasse ce qu’on appellera plus tard une vocation.
Le service du pauvre
118La miséricorde et la compassion ont pour visée le service du pauvre. L’expression est courante à l’époque. Elle évoque une sorte de mystique. Elle indique bien l’esprit ou la spiritualité des soignants et des soignantes. Sous une forme ou l’autre, on retrouve l’engagement suivant : « Je m’offre ainsi à Dieu pour servir les pauvres malades de la maison. » Mais il ne suffit pas de dire que les pauvres malades sont les bénéficiaires des soins, ils sont aussi les véritables maîtres des biens de la communauté et du personnel.
D’abord, il leur [les frères et les sœurs] faut considérer qu’ils sont venus dans la maison des pauvres pour les servir. Qu’ils n’abusent donc pas [...] des biens qui ne leur appartiennent pas et qu’ils ne cherchent pas à y dominer mais à servir. Car l’honneur ou le tort fait aux pauvres rejaillit sur le Christ (statuts de l’Hôpital d’Aubrac)71.
119Aussi les pauvres malades doivent-ils toujours avoir la priorité dans l’emploi du temps comme dans la distribution des biens : nourriture, lit, chaleur, etc. Notons cette directive donnée au personnel de l’hôpital d’Amiens : « De crainte que le malade guéri ne rechute si on le renvoie trop vite, qu’on l’héberge encore sept jours dans la maison s’il le désire. »
120Le souci du salut relève moins d’un prosélytisme récupérateur que du souci du bien global du malade, dont la primauté revient au bien spirituel et, secondement, de la conviction (habituelle à l’époque) que la maladie peut être la conséquence du péché. Agir sur la cause peut aider à supprimer le symptôme.
121Chez les Augustines de l’Hôtel-Dieu de Paris, le vœu de clôture est remplacé par celui de servir les pauvres et les malades. Cela dit toute l’importance de cette motivation.
Normes chrétiennes
122Sous cette même influence chrétienne, la pratique infirmière demeure imprégnée du souci de protection et de préservation de la vie humaine. Si la compassion décrit l’attitude attendue, le respect de la vie constitue le critère d’appréciation des actes acceptables ou inacceptables. L’influence de la morale chrétienne est manifeste, qu’il s’agisse de l’avortement, du suicide, de l’euthanasie, etc. Le respect du secret (naturel et professionnel) est aussi une valeur importante. Le refus du mensonge et de la duperie oriente enfin vers la transparence dans les rapports avec les malades et les mourants.
123Compassion, charité, respect de la personne, respect de la vie, bienveillance, vérité, sont les valeurs essentielles de la profession et de l’éthique infirmières au Moyen Âge. Ces valeurs sont marquées du sceau de la spiritualité et de la morale catholique. Il s’agit, à proprement parler, d’une éthique de la vertu. Elle imprégnera la profession pendant des siècles.
QUESTIONS ÉTHIQUES PARTICULIÈRES
124La réflexion éthique accompagne la vie. Elle porte sur les diverses questions concrètes que la vie soulève, questions anciennes et questions nouvelles : confidentialité, contraception, avortement, euthanasie, pudeur, etc. Parfois, il y a controverses entre auteurs, médecins et théologiens, et, fait à noter, divergences de vue entre la réflexion théologique proprement dite et la législation ecclésiastique (droit canon).
Confidentialité
125En général, on parle peu du secret médical durant le Moyen Âge. La prière dite de Maimonide, tout empreinte du souci de compassion, ne parle pas de la confidentialité. Ni Lanfranc ni Yperman, qui ont rédigé des règles de conduite pour les chirurgiens au XIIIe siècle. Ni les premiers statuts de la Faculté de médecine de Paris (1270). Mais il faut se souvenir de la situation précaire de la médecine : « Ce n’est qu’à partir du XIIIe siècle, avec les confréries et les facultés, commente Villey, qu’on pourrait s’attendre à trouver des règles professionnelles pour les médecins. » On peut penser que le secret médical est absorbé dans l’exigence générale de la discrétion qui s’impose à tous et dans l’exigence du secret de la confession, déclaré inviolable par le concile de Carthage au IVe siècle. On en trouve cependant des traces importantes chez des auteurs arabes. L’existence d’un serment pour les médecins et spécialement du Serment d’Hippocrate est aussi attesté par certains témoins, comme Jérôme et Cassiodore. Il faut se souvenir enfin de l’importance du serment dans cette société : le serment est sacré, l’ordre social repose davantage sur le serment que sur les lois.
126Mais déjà les lois interfèrent avec l’éthique. Par exemple, à Bologne et Venise au XIIIe siècle, à Paris au XIVe, certaines lois exigent des médecins et chirurgiens de dénoncer les blessés et malades qu’ils soignent pour fin sécuritaire (police) ou fin sanitaire (épidémies)72.
Contraception
127La contraception est un sujet de controverses important tout au long du Moyen Âge. En dehors des techniques populaires, les connaissances des Anciens sont connues par les traités arabes, notamment le Canon de la médecine d’Avicenne. D’autres connaissances s’ajoutent. Dans ses traités d’ordre scientifique, Albert le Grand reprend et discute de tout cela, en s’abstenant d’ailleurs de tout jugement moral, celui-ci étant réservé à ses traités théologiques. La question est d’autant plus importante que les cathares condamnent la procréation et favorisent la contraception.
128Pour la pensée chrétienne, l’héritage le plus important de cette époque au sujet de la contraception est le canon Si aliquis, inspiré des pénitentiels du XIe siècle et qui deviendra loi canonique au XIIe et sera repris au XIIIe dans les Décrétales du pape Grégoire IX. La contraception y est fermement condamnée comme homicide.
Si quelqu’un, pour satisfaire ses désirs, ou par haine (méchanceté préméditée), fait quelque chose à un homme ou à une femme qui empêche celle-ci ou celui-là d’avoir des enfants, ou leur donne une boisson telle qu’il ne puisse plus engendrer ou elle concevoir, qu’il soit tenu pour homicide73.
129La réflexion théologique est cependant plus nuancée que la loi canonique. Tout en y voyant une faute grave, plusieurs théologiens, dont Albert le Grand et Thomas d’Aquin, refusent d’y voir un homicide, parce qu’on ne peut affirmer qu’un enfant serait né. Selon eux, l’acte contraceptif est fautif parce qu’il contredit la fin principale du mariage74, supprime la fonction fécondante du coït, et surtout contrevient à ce que la nature prévoit. D’où la fortune de l’expression acte contre nature qui englobe divers autres actes sexuels réprouvés. Mais les deux auteurs précisent que la faute est moins grave que l’homicide et ne saurait aucunement être tenue comme son équivalent75.
Avortement
130On se rappelle que, loin d’accepter l’avortement comme on le faisait dans le monde antique, les chrétiens des premiers siècles le condamnent sévèrement, même s’il n’est pas toujours facile de faire la différence dans les écrits entre avortement, contraception, stérilisation et infanticide, ni entre faute morale et peine canonique. La situation ne fera que se complexifier au Moyen Âge, où on peut distinguer deux courants76.
131D’un côté, une ligne dure à prédominance canonique. Ainsi, le canon du concile d’Elvire (IVe), qui excommunie ceux qui concourent à un avortement, est inséré dans les lois du royaume franc de Charlemagne au VIIIe siècle. Plusieurs pénitentiels des Xe et XIe siècles considèrent de même l’avortement comme un meurtre. Le sommet est atteint dans les très officielles Décrétales du pape Grégoire IX en 1234. Dans le chapitre 12 qui porte sur les homicides volontaires et involontaires, le canon 5 reprend la formule Si aliquis déjà citée qui qualifie d’homicide tout avortement sans distinction. Et pourtant le canon 20 Sicut ex du même chapitre laisse perplexe, puisque, dans l’analyse d’un cas compliqué, il ne prévoit pas la peine liée à l’homicide pour l’avortement d’un fœtus de moins de 40 jours. Ce qui rejoint précisément le courant d’opinion à dominante théologique.
132Plusieurs penseurs, en effet, surtout des théologiens par opposition à des canonistes, s’inspirant de Jérôme et d’Augustin, eux-mêmes inspirés d’Aristote, jugent que l’avortement ne constitue un meurtre au sens strict que lorsque le fœtus est formé, c’est-à-dire après plusieurs semaines, puisqu’il n’y a pas d’âme humaine avant cette date. C’est le cas des deux auteurs les plus influents du milieu du XIIe : le canoniste Gratien à Bologne dans son célèbre Décret77 et le théologien Pierre Lombard à Paris dans son livre des Sentences. Plus tard, à Paris, le penseur le plus influent de l’Église médiévale, Thomas d’Aquin (1225-1274), considère lui aussi que le péché se référant à l’avortement est une question de degré selon les différents stades de développement du fœtus, même si la législation canonique ne fait pas de différence. Sans être qualifié d’homicide au sens strict, l’avortement d’un fœtus non formé reste cependant non acceptable, parce qu’il s’agit d’une personne en devenir78.
133Quant à l’avortement thérapeutique, c’est une question déjà discutée à l’époque. Navarrus, célèbre canoniste du XVIe siècle, conclut sa synthèse des opinions ayant cours au Moyen Âge en reprenant la distinction entre fœtus animé (qui a une âme humaine) et fœtus inanimé.
Le médecin commet une faute (péché) s’il donne à une femme enceinte quoi que ce soit qui provoque un avortement, même s’il l’administre pour la sauver de la mort, s’il croit ou a un doute que le fœtus a une âme. Mais s’il doute réellement que le fœtus ait une âme rationnelle, il peut administrer ce qui pourrait sauver la mère puisqu’il n’aurait pas alors la responsabilité de la mort d’un autre, qu’il soit corporel ou spirituel79.
134Nous ne sommes pas loin de la position du philosophe et médecin arabe Avicenne qui enseigne que l’avortement peut parfois être nécessaire lorsque la continuation de la grossesse peut mettre la vie de la mère en danger80.
Suicide
135Étant donné les caractéristiques de la société médiévale, il est vraisemblable que les médecins et les soignants comme les autres citoyens adhéraient à la doctrine catholique sur le suicide. À cet égard, la pensée d’Augustin domine l’Occident jusqu’au XIVe siècle, époque à laquelle commence à lui succéder celle de Thomas d’Aquin. Mais alors que le premier mettait l’accent sur la Révélation, le second influencé par Aristote argumente davantage du point de vue rationnel. Il reprend, bien sûr, l’interprétation augustinienne du précepte biblique : « tu ne tueras pas » et applique cette prohibition au geste suicidaire. Mais cette position est renforcée par une réflexion sur les devoirs qui découlent de la loi naturelle. Le suicide va d’abord contre la tendance naturelle à s’aimer soi-même. Il contrevient ensuite à la nature et aux intérêts de la société. Il porte atteinte enfin à la propriété de Dieu sur la vie : choisir sa mort n’appartient pas à la juridiction humaine. Ce sont là trois raisons qui interdisent le suicide de manière absolue. Face aux héros de l’Ancien Testament qui se sont enlevé la vie, Thomas d’Aquin rappelle l’opinion d’Augustin, à savoir que leur geste ne peut se comprendre que parce qu’ils auraient reçu un appel particulier de Dieu81.
Euthanasie
136L'euthanasie active ne trouve aucun défenseur. La morale hippocratique et la morale chrétienne conjuguent leur influence. Se référant à un canoniste du XVe siècle, Navarrus déclare sans ambiguïté que le médecin qui volontairement cause la mort d’un patient, soit par pitié ou à la demande de ce dernier, est coupable de meurtre selon le droit canon82.
Recherche et expérimentation
137En Occident, le concept d’expérimentation sur les humains, surtout dans le but d’évaluer l’efficacité d’un nouveau médicament ou de traitement, existe depuis l’Antiquité. On en parle dans certains écrits de médecins grecs et romains et dans les traités de médecine arabe. Un érudit tel qu’Avicenne insiste sur le fait que « toute expérimentation ne sera concluante que si elle est faite sur le corps humain ; tester un médicament sur un lion ou un cheval ne prouve rien quant à ses effets potentiels sur les humains ». Toutefois, on ne connaît pas grand’ chose sur la fréquence des expériences et sur le type de sujets observés. Les cas cités le plus souvent touchent l’efficacité des poisons sur les condamnés à mort83.
138Sur le plan éthique, deux savants célèbres ont traité de ces questions. Moïse Maimonide conseille à ses collègues médecins de traiter leurs patients comme des fins en eux-mêmes, et jamais comme des moyens d’accéder à de nouvelles connaissances. Le second, Roger Bacon (1214-1294), met les médecins en garde contre le risque d’erreur ou d’échec :
Il est infiniment difficile et dangereux d’exécuter certaines opérations sur le corps humain. Les sciences pratiques et opérationnelles qui ont comme objet les corps insensibles peuvent multiplier leurs expériences jusqu’à ce qu’elles se débarrassent de leurs déficiences et de leurs erreurs, mais un médecin ne peut faire la même chose à cause de la noblesse du matériel sur lequel il opère ; le corps humain requiert qu’aucune erreur ne soit faite lorsqu’on pratique une opération. C’est pour cette raison que la méthode expérimentale est si ardue au plan médical84.
139Quant à l’expérimentation sur les animaux, elle ne semble pas faire problème au plan éthique. L’anthropocentrisme régnant la justifie facilement. Par ailleurs on est sensible à la souffrance éventuelle des animaux. Ainsi, au XIIIe siècle, Thomas d’Aquin précise deux idées. D’un côté, la hiérarchie entre les êtres justifie une relation instrumentale entre les plus hauts et les plus bas. Les plantes sont au service des animaux, et les animaux au service des humains. D’un autre côté, il est possible à l’homme d’avoir de vrais sentiments de compassion envers les animaux, de telle sorte que, si l’expérimentation sur les animaux est permise, la cruauté à leur égard est illégitime. Elle l’est notamment pour un motif anthropocentrique : Dieu interdit la cruauté envers les animaux afin que l’homme s’interdise plus facilement la cruauté envers ses semblables.
140Sans être théoricien, François d’Assise représente un courant de pensée plus écologique. Son amour des animaux est légendaire. Mais sa pensée ne contredit pas pour autant l’anthropocentrisme ambiant ni l’éthique qui en découle.
Dissection humaine
141Pendant longtemps, pour développer l’anatomie, on se contente de cadavres de porcs dont l’intérieur est censé se rapprocher de celui de l’humain. Les premières dissections de cadavres humains ont sûrement eu lieu dans le dernier quart du XIIIe siècle. La première a probablement été effectuée à Bologne en 1281. Certaines sont ensuite attestées dans diverses villes en 1286, 1302,1315, 1316... quoiqu’elles paraissent être des événements exceptionnels. Plusieurs auteurs récents font état d’une opposition de l’Église catholique : l’un cite l’édit de Tours en 1167 ; un autre mentionne une bulle du pape Boniface VIII, peu après 1281, qui condamnerait la dissection de cadavres humains et en excommunierait les auteurs85. En réalité, l’Église catholique ne semble pas s’y opposer pour fin d’enseignement de l’anatomie et de la médecine. L’édit de Tours concerne l’interdiction faite aux prêtres de pratiquer la chirurgie en raison de leur mission spirituelle. La bulle de Boniface VIII ne concerne pas les dissections d’ordre médical, mais les « découpeurs de cadavres », c’est-à-dire la pratique instaurée durant les croisades de découper en morceaux les cadavres des nobles croisés pour faire brûler les chairs et ramener les os dans leur patrie. Les sanctions que l’on cite concernent des cas particuliers où, par exemple, les vols de cadavres dans les cimetières alimentent les dissections clandestines. En 1348, le pape Clément VI, non seulement autorise mais ordonne que l’on procède à l’autopsie de victimes de la peste à Sienne86. De leur côté, les médecins laïques, par exemple ceux de Salerne et de Montpellier, ne semblent pas très intéressés par cette pratique. Et les autorités civiles ne les autorisent qu’avec parcimonie. Par exemple, en 1308 ou 1368 (date incertaine), le Grand Conseil de Venise n’autorise qu’une dissection par an. En 1340, l’Université de Montpellier en prévoit deux87. En 1376, le duc d’Anjou ordonne de remettre chaque année un cadavre de condamné à la Faculté de médecine pour dissection. L’anatomie ne deviendra une préoccupation majeure qu’au XVIe siècle. En 1405, l’école de médecine de Bologne inclut dans son cursus studiorum des démonstrations d’anatomie comportant des dissections de cadavres humains : l’archevêque ne soulève pas la moindre objection. L’évêque de Padoue non plus quand l’université de cette ville fait de même en 1429.
Eugénisme
142Le souci eugénique est peu présent durant cette période de l’histoire. La pensée chrétienne s’élève contre l’avortement et l'exposition des nouveau-nés, mais elle propage surtout l’idée que chaque être humain est précieux aux yeux de Dieu, quels que soient ses handicaps. Chacun, et notamment les plus mal lotis, mérite donc protection, respect et commisération de la part des autres. Cela n’empêche pas, au contraire, de favoriser certaines mesures d’hygiène publique et de travailler à améliorer les conditions de vie en général. Mais la mesure la plus typique de l’époque est peut-être la régulation des mariages consanguins, bien que les motifs en puissent être des plus divers.
143Les lois de l’Église catholique ayant une certaine signification eugénique sont renfermées en effet dans les canons prohibant les mariages entre consanguins. Ces règles sont parmi les plus anciennes de la tradition chrétienne. Les pénalités encourues par ceux et celles qui violent cette loi exogamique ont varié au cours des âges, mais le cœur de cette tradition demeure constant et révèle une répugnance extrême à accepter le mariage de proches parents. Pour les catholiques, tous les mariages consanguins en ligne directe, c’est-à-dire entre un aïeul et son descendant, et en ligne collatérale jusqu’au quatrième degré, soit entre cousins, sont prohibés. Le IVe concile du Latran en 1215 considère ces mariages comme incestueux88.
144Trois raisons principales sont invoquées pour prohiber de tels mariages. La première concerne la possibilité que de tels mariages sapent le respect dû aux parents et conséquemment à tous les proches. On invoque ensuite le danger moral pour la vie familiale, danger provenant de la possibilité de corruption en bas âge. En troisième lieu, cette prohibition empêcherait la dislocation de la famille due à la compétition sexuelle, et obligerait ainsi à la multiplication des amitiés et à l’expansion de la charité. Certains auteurs modernes croient que la vraie raison de lois si sévères était la volonté de briser le monopole d’immenses propriétés détenues par quelques familles. Mais il est très clair que le souci eugénique joue un rôle important.
Responsabilité sociale
145Un sujet particulier intéressant à cette période est l’attitude des médecins face à leur responsabilité sociale durant la série d’épidémies dévastatrices. La littérature de l’époque nous révèle que, s’il y a des médecins qui refusent de traiter les malades et fuient, plusieurs demeurent et tentent de les aider. Certains témoignages démontrent que leur motivation est empreinte de compassion, de charité et d’un sens du devoir. Il existe, par ailleurs, des mesures incitatives prises par les municipalités : honoraires supplémentaires, perte de statut professionnel, garantie d’un permis de pratique dans la ville89.
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146On ignore jusqu’à quel point les règles ou les directives d’ordre éthique sont suivies. Les instances séculières ont de plus en plus leur mot à dire, surtout à partir du XIIe siècle. Les corporations et les universités ont leurs propres règles. Cependant, une chose est assurée : alors que les règles des instances séculières, corporatives et académiques s’appliquent régionalement, la loi canonique, interprétée par les moralistes et les théologiens, a une portée universelle parmi les chrétiens, du moins théoriquement.
147Toutefois, les cours ecclésiastiques et civiles existent côte à côte : normalement les premières complètent les secondes, mais elles peuvent aussi entrer en conflit. Une chose est assurée : l’autorité morale de l’Église exerce une grande influence, au moins indirectement, sur les organisations professionnelles et sur les praticiens en tant qu’individus. Souvent d’ailleurs, la société séculière fait appel aux autorités ecclésiastiques en vue d’approuver et de renforcer les exigences requises pour être reçu médecin et exercer la profession.
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148Comment caractériser l’éthique médicale et infirmière de cette longue période de dix siècles, où globalement, avec évidemment des hauts et des bas, la science médicale met l’accent tantôt sur la théorie (dogmes médicaux), tantôt sur l’observation empirique (respect des faits), où la pratique s’institutionnalise et où les divers intervenants se spécialisent ?
Contrairement à l’époque précédente, l’éthique médicale et infirmière devient une affaire sociale, une affaire publique. Les corps sociaux, l’État, sont étroitement impliqués. L’Église catholique elle-même agit comme corps social et sa doctrine détermine la vérité qui s’impose à chaque conscience (y compris parfois par la force).
Cette éthique est remarquablement homogène, malgré certaines controverses sur des points particuliers. Et elle est chrétienne. Le christianisme marque en effet fondamentalement la culture occidentale : les emprunts à la culture gréco-romaine pré-chrétienne, au judaïsme ou à l’islam sont euxmêmes christianisés.
Le critère central de cette éthique est le respect de la vie. C’est lui qui sert de repère principal à la réflexion et à la discussion, c’est-à-dire au travail de la raison discursive. La bienfaisance s’interprète sur cet horizon.
Mais cette éthique insiste beaucoup aussi sur l’attitude intérieure, la motivation, à savoir la compassion, la sollicitude, la miséricorde. Replacée dans un cadre plus vaste, c’est une éthique de la vertu, une éthique qui ne se préoccupe pas que des actes extérieurs mais aussi de l’intériorité, de la motivation.
Notes de bas de page
1 Gordon M. Patterson, The Essentials of Medieval History. The MiddleAges, Piscataway (N. J.), Research and Education Association, 1990, p. 40-108. Voir aussi Benichi et al, Histoire. Les fondements du monde contemporain, Paris, Nathan, 1996.
2 Katharine Park, « Medicine and Society in Medieval Europe », dans A. Wear (dir.), Medicine in Society : Historical Essays, Cambridge, Cambridge University Press, 1992, p. 60-63. Park parle d’un univers de maladies pour compléter l’affirmation de Jacques Le Goff qui décrit la civilisation médiévale européenne comme rongée par la famine (La civilisation de l'Occident medieval, Paris, Arthaud [coll. Les grandes civilisations], 1967, p. 290).
Pour cette section, voir aussi Kenneth Walker, Histoire de la médecine, Verviers, Marabout Université, 1962, p. 93-94 ; Marcel Reinhard, André Armengaud et Jacques Dupaquier, Histoire générale de la population mondiale, Paris, Montchrestien, 1968 (3e éd.), p. 60-96 ; J. C. Russell, The Control of Late Ancient and Medieval Population, Philadelphie, The American Philosophical Society, 1985, p. 111-160 ; G. Patterson, p. 62-63.
3 Walker, p. 64-65 : abcès froid fistulisé, d’origine tuberculeuse, des ganglions du cou. On croyait que l’imposition des mains par le roi pouvait opérer la guérison.
4 Reinhard et al, p. 62-63.
5 Idem, p. 60-96 ; Russell, p. 139-176.
6 « La peste, qui semblait avoir disparu en Europe depuis le IXe siècle, peut présenter deux formes : la peste bubonique, mortelle dans les trois quarts des cas, transmise presque uniquement par des piqûres de puces, et la peste pulmonaire, encore plus redoutable, qui passe d’homme à homme par l’haleine et la salive », Reinhard et al., p. 96.
7 Certains disent entre la moitié et les deux tiers.
8 Park, p. 65-75.
9 Idem, p. 65, citant Loren C. MacKinney, Early Medieval Medicine with Special Reference to France and Chartres, Baltimore, 1937, p. 131-132.
10 Édouard Desjardins, Suzanne Giroux, Eileen C. Flanagan, Histoire de la profession infirmière au Québec, Saint-Jean, Publication AIIQ, Les Éd. du Richelieu, 1970, p. 20.
11 Park, p. 75-81 ; Roger Rullière, Abrégé d’histoire de la médecine, Paris, Masson, 1981, p. 76-80 ; Darrel W. Amundsen, « History of Medical Ethics », dans W. Reich (dir.), Encyclopedia of Bioethics, Londres, Collier MacMillan., 1978 (1re éd.), p. 945-946 ; Guy Bourgeault, L’Éthique et le droit face aux nouvelles technologies médicales, Bruxelles/Montréal, De BoeckWesmael/Les Presses de l’Université de Montréal, 1990, p. 189-190.
12 Parmi les plus célèbres, mentionnons l’école de Salerne, déjà citée, l’école de médecine de Montpellier, mentionnée pour la première fois en 1137. L’Université de Bologne fut fondée vers 1170, celle de Paris en 1200, celle d’Oxford en 1214, Montpellier en 1220, Cambridge en 1221, Naples en 1224, Toulouse en 1229, Sienne en 1241, Salamanque en 1243.
13 Bourgeault, p. 190.
14 Park, p. 76-78.
15 Christian Feldmann, Hildegarde de Bingen. Moniale et génie, traduit de l’allemand par M. Léveillé, Montréal, Médiaspaul, 1995, p. 122.
16 Ferruccio Bertini, « Trotula le médecin », dans La vie quotidienne des femmes au Moyen Âge, Paris, Hachette, 1991, notamment p. 163-173.
17 La proportion minime des femmes par rapport aux hommes s’explique par les conditions du temps. Mais les conclusions de plusieurs études faussent notre connaissance du Moyen Âge parce que leurs sources se limitent à des documents officiels (permis médical, testament, transfert de propriété, rapport judiciaire), leurs paramètres sont trop limités (les catégories reconnues par les autorités) et leur méthode est restrictive (on ne retient que les praticiens dont le nom atteste l’identité de façon certaine, alors que les femmes praticiennes sont souvent anonymes : ainsi parle-t-on couramment des « femmes de Salerne » pour indiquer les femmes médecins et professeurs de cette école devenue université. Cf. Monica Green, « Women’s Medical Practice and Health Care in Medieval Europe », dans Sisters and Workers in the Middle Ages, Chicago, The University of Chicago Press, 1989, p. 39-78, Voir aussi Ferruccio Bertini, p. 163-165.
18 Raymond Villey, Histoire du secret médical, Paris, Masson, 1986, p. 23-25.
19 Jean-Charles Sournia, Histoire de la médecine, Paris, La Découverte (coll. Histoire des sciences), 1992,87-88 ; G. Minois, L’Église et la science. Histoire d’un malentendu, tome 1 : De saint Augustin à Galilée, 1990, Paris, Fayard, p. 196. Le pape Jean XXI (1276-1277) est lui-même médecin et naturaliste (Minois, p. 203).
20 Selon le titre d’un roman de Marguerite Yourcenar.
21 Barbara Ehrenreich et Deirdre English, Sorcières, sages-femmes et infirmières. Une histoire des femmes et de la médecine, traduit de l’américain par L. Brown et C. Germain, Montréal, Éd. du remue-ménage, 1978 (éd. amér., 1976), p. 22. Certains auteurs écrivent : « des millions de femmes persécutées », mais aucun historien ne retient ce chiffre aujourd’hui.
22 Barbara Ehrenreich et Deirdre English, Des experts et des femmes. 150 ans de conseils prodigués aux femmes, traduit par L. E. Arsenault et Z. de Koninck, Montréal, Éd. du remueménage, 1982 (éd. amér., 1979), p. 50.
23 Institut des Religieuses Augustines de l'Hôtel-Dieu de Paris, Paris, Letouzey et Ané (coll. Les ordres religieux), 1924, p. 1-13. Selon M.-F. Collière, l’importance des religieuses est telle qu’elle a relégué « au silence le passé des femmes soignantes non religieuses. C’est ainsi que tout un pan de connaissances et d’expériences en matière de soins tombe dans l’oubli ou est récupéré par les hommes médecins » (M.-F. Collière, « Une histoire usurpée. L’histoire des femmes soignantes », dans Marie-Françoise Collière et Evelyne Diébolt [dir.], Pour une histoire des soins et des professions soignantes, Sainte-Foy-lès-Lyon, AMIEC, cahier no 10,1988, p. 23-46).
24 Desjardins et al, p. 21.
25 G. Rosen, « The Hospital : Historical Sociology of a Community Institution », dans From Medical Police to Social Medicine : Essays on the History of Health Care, New York, Science History Publications, 1974, p. 278-283.
26 J.-C. Guy, « La vie religieuse et la santé de l’homme au cours des temps », dans Religieuses dans les professions de la santé, 277/278 (mai-août 1980), p. 244-250.
27 Josephine Dolan, Louise Fitzpatrick et E. Hermann, Nursing in Society. A Historical Perspective, Philadelphie, W. B. Saunders C., 1983 (15e éd.), p. 73-76.
28 Park, p. 66-81.
29 Amundsen, p. 948.
30 Si l’on excepte les macabres expériences permises par Frédéric II au début du XIIIe siècle, les ouvertures de cadavres n’apparaissent dans les textes qu après 1275. Voir Minois, p. 196 ; Philippe Meyer et Patrick Triadou, Leçons d’histoire de la pensée médicale, Paris, Odile Jacob (coll. Sciences humaines et sociales en médecine), 1996, p. 53. Voir le développement plus loin, p. 94-95.
31 Meyer et Triadou, p. 49 ; Danielle Jacquart et Françoise Micheau, La médecine arabe et l’Occident médiéval, Paris, Maisonneuve et Larose, 1990, p. 54 ; Jean-Charles Sournia, Histoire de la médecine, Paris, La Découverte, 1992, p. 83-84.
32 Jacquart et Micheau, p. 192-201 ; Sournia, p. 77.
33 Sournia, p. 77-78.
34 Sournia, p. 82-83.
35 Rullière, p. 77.
36 Jacquart et Micheau, p. 54 ; Meyer et Triadou, p. 49-50 ; Sournia, p. 82.
37 Ibn-Al-Nafis dans le Commentaire anatomique du Canon d’Avicenne, cité par Meyer et Triadou, p. 51.
38 Meyer et Triadou, p. 50-53 ; Sournia, p. 83.
39 Park, p. 21-22 et 64.
40 Jacquart et Micheau, p. 205.
41 Sournia, p. 99-101.
42 Régine Pernoud, Hildegarde de Bingen. Conscience inspirée du XIIIe siècle, Monaco, Éd. du Rocher, 1994, p. 8,118 et 119 ; Ellen Breindl, Hildegarde de Bingen. Une vie, une œuvre, un art de guérir en âme et en corps, Saint-Jean-de-Braye, Éd. Dangles, 1994, p. 295.
43 Sournia p. 91 ; Owsei Temkin, « Changing Concepts of the Relation of Medicine to Society : In Early History », dans Social Medicine : Its Derivations and Objectives, New York, Commonwealth Fund, 1949, p. 178-179.
44 Danielle Jacquart, « The Introduction of Arabie Medicine Into the West », dans S. Campbell, B. Hall et D. Klausner (dir.), Health, Disease and Healing in Medieval Culture, New York, St. Martin’s Press, 1992, p. 187 ; Jonathan Barnes, « Galen on Logic and Therapy », dans R. J. Durling et F. Kudlein (dir.), Galen’s Method of Healing, Leiden, E. J. Brill, 1991, p. 187 ; Temkin, p. 15.
45 Rullière, p. 76-80.
46 Sournia, p. 140-141.
47 E. Ackerknecht, A Short History of Medicine, New York, The Ronald Press, 1968, p. 89.
48 Jacques Soulier, Du serment d’Hippocrate à l’éthique médicale, thèse de médecine, Marseille, 1985.
49 Breindl, p. 141, 145, 161 et 162.
50 Il s’agit de dix-sept documents traduits du grec au latin du Ve au VIIe siècle. Les copies latines ont été retrouvées dans différentes villes du nord de l’Europe : Paris, Chartres, Bamberg, Londres, Rome, Bruxelles, etc. Quatre des documents traitent des aspects spirituels de la médecine, ainsi que de la personnalité et de l’éducation du médecin. La majorité ont un aspect plus pratique et touchent l’étiquette, les relations avec les femmes en tant que patientes, la prise de pulsations, les conduites appropriées au chevet du malade. Se référer à Loren C. MacKinney, « Medical Ethics and Etiquette in the Early Middle Ages : The Persistence of Hippocratic Ideals », dans Bulletin of the History of Medicine, 26/1 (janv.-fév. 1952), p. 6-9.
51 MacKinney, p. 12 ; texte reconstitué à partir de trois manuscrits (Paris, Chartres et Londres) datant des Ixe, xe et XIVe siècles.
52 Voir Villey, p. 29-31.
53 Sournia, p. 68.
54 Ibidem.
55 Jacquart et Micheau, p. 212.
56 Voir plus haut, p. 65-66.
57 Amundsen, p. 943-944.
58 Idem, p. 945-946.
59 Idem, p. 946.
60 Jacquart et Micheau, p. 212.
61 Amundsen, p. 940.
62 MacKinney, p. 5-6 et 9-11.
63 Voir W. H. S. Jones, The Doctor’s Oath : An Essay in the History of Medicine, Cambridge, Cambridge University Press, 1957, p. 22-25, trad. angl. du texte grec. Nous avons traduit en français.
64 Robert Veatch, « Medical Codes and Oaths : History », dans W. Reich (dir.), Encyclopedia of Bioethics, Londres, Collier MacMillan, 1995 (2e éd.), p. 1421.
65 Version française tirée de Jacques Soulier. Voir aussi R. Villey, p. 22-23 ; et l’introduction du Code de déontologie des médecins français, France, 1947. On retrouve une version un peu différente dans Maurice-Ruben Hayoun, Maïmonide ou l’autre Moïse, Paris, J.-C. Lattès, 1994, p. 94-95. Une version anglaise, plus longue, dans Fred Rosner, Medicine in the Bible and the Talmud, New York, Yeshiva University Press, 1977, p. 136-138.
Plusieurs commentateurs récents contestent l’authenticité de l’attribution de la prière à Maïmonide. On en attribue plutôt la composition à Marcus Herz, médecin et intellectuel allemand du XVIIIe siècle. Voir Fred Rosner, « Moses Maimonides : Correcting Two Misconceptions », dans The Mount Sinai Journal of Medicine, 62 (1995), p. 165-166 ; M. Nevins, The Jewish Doctor : A Narrative History, Northvale (N. J.), Jason Aronson, 1996. Certains pensent qu’elle a été composée à partir de la prière du médecin juif Jacob Zahalon au XVIIe siècle. Il est cependant admis qu’elle correspond bien à l’esprit de Maïmonide et à celui des médecins juifs du Moyen Âge.
66 Guy, p. 249.
67 Sournia, p. 101-102 ; Amundsen, p. 940.
68 Cité par H. Schipperges, Hildegarde de Bingen, Traduit de l’allemand par P. Kemner, Paris, Brepols, 1996, p. 116-117.
69 Dolan et al, p. 56.
70 Institut des religieuses Augustines de l’Hôtel-Dieu de Paris, p. 97-110. M.-F. Collière dit plutôt que les soins du corps n’étaient justifiés qu’en vue des soins de l’âme (p. 62). Cela nous paraît exagéré.
71 Cité par Guy, p. 247.
72 Bernard Hoerni et Michel Bénézech, Le secret médical. Confidentialité et discrétion en médecine, Paris, Masson, 1996, p. 6-7 ; Raymond Villey, Histoire du secret médical, Paris, Seghers, 1986, p. 22-32.
73 John T. Noonan, Contraception et mariage. Évolution ou contradiction dans la pensée chrétienne, traduit de l’américain par M. Jossua, Paris, Cerf, 1969 (éd. amér., 1966), p. 219-239, citation p. 219.
74 Certains théologiens, comme Jean Damascène, Abélard, Hugues de Saint-Victor, font une place à l’amour dans le mariage et la sexualité. D’autres, comme Albert le Grand, Thomas d’Aquin, Richard de Mediavilla (Middleton), valorisent timidement le plaisir lié à l’acte conjugal. Ils ne seront guère suivis avant des siècles.
75 Noonan [1969], p. 297-329.
76 John T. Noonan et al., The Morality of Abortion. Legal and Historical Perspectives, Cambridge (Mass.), Harvard University Press, 1970 p. 14-21 ; Amundsen, p. 943-944.
77 Idem, p. 20, citant Gratien, Decretum 2.32.2.7-10, dans Corpus juris canonici, Leipzig, Friedberg, 1879-1881.
78 Thomas d’Aquin, La somme théologique, IIa-IIae, q. 64, art. 8 ; idem, Le livre des sentences, IV, 3.1.1.
La thèse aristotélicienne de la succession des âmes reprise par Thomas d’Aquin n’est cependant pas acceptée par tous. Elle ne Test pas, par exemple, par Albert le Grand, ni plus tard par Érasme. Voir Philippe Caspar, « L’animation de l’embryon chez Érasme de Rotterdam », dans Éthique. La vie en question, Paris, 3 (hiver 1992), p. 60-64.
79 Cité par Amundsen, p. 943.
80 Noonan [1970], p. 21, citant C. Singer et E. Ashworth Underwood, A Short History of Medicine, Oxford, Oxford University Press, 1962 (2e éd.).
81 Thomas d’Aquin, La somme théologique, IIa-IIae, q. 64, art. 5. Voir Andrü Krawchuk, « La tradition judéo-chrétienne et le suicide » dans Les suicides, Cahiers de recherche éthique, Montréal, no 11, Fides, 1985, p. 120-123 ; Amundsen, p. 943.
82 Amundsen, p. 942-943.
83 David Rothman, « Research, Behavorial and Biomedical », dans W. Reich (dir.), Encyclopedia of Bioethics, 1995 (2e éd.), p. 2248-2257 ; J. R Bull, « The Historical Development of Clinical Therapeutic Trials », dans Journal of Chronic Diseases, 10/3 (1959), p. 218-248.
84 R. Bacon, cité par Rothman.
85 Meyer et Triadou, p. 53 ; David Sanders et Jesse Dunkeminier,» Medical Advance and Legal Lag : Hemodialysis and Kidney Transplantation », dans UCLA Law Review, 15/267 (1968), p. 405.
86 Minois, p. 196-197 ; Sherwin B. Nuland, Les héros de la médecine, traduit de l’américain par D. Authier et J. Lahana, Paris, Presses de la Renaissance, 1989 (éd. angl., 1988), p. 73 ; Philippe Castan, Naissance médiévale de la dissection anatomique, Montpellier, Éd. Sauramps Médical, 1985, p. 39 et 175-189 ; E. Ackerknecht, A Short History of Medicine, New York, The Ronald Press, 1968, p. 90-91.
Voir aussi James J. Walsh, The Popes and Science : The History of the Papal Relations to Science during the Middle Ages and down to our Own Time, New York, Fordham University Press, 1911,430 pages. L’auteur reproduit le texte de la bulle de Boniface VIII et explique pourquoi elle a vraisemblablement donné lieu à un malentendu (p. 28-35). Il dénonce, en particulier, le contenu et l’influence du livre du Dr Andrew D. White sur l’opinion américaine aux yeux de laquelle l’Église catholique s’est opposée à la dissection durant tout le Moyen Âge.
87 Ou plutôt une aux deux ans. Selon Castan, p. 38.
88 W. W. Bassett, « Eugenics and Religious Law : Christianity », dans W. Reich (dir.), Encyclopedia of Bioethics, 1995 (2e éd.), p. 779-782 ; George Duby, Le chevalier, la femme et le prêtre. Le mariage dans la France féodale, Paris, Hachette, 1981.
89 Amundsen, p. 948-950 ; Daniel M. Fox, « The Politics of Physicians ; Responsability in Epidemics : A Note on History », dans Hastings Center Report (avril-mai 1988), p. 5-10.
Notes de fin
1 Certains historiens font commencer le Moyen Âge en 476, l’année de la chute de l’Empire romain d’Occident. La période s’étend jusqu’au milieu ou à la fin du XVe siècle : chute de Constantinople en 1453, ou découverte de l’Amérique et fin de la Reconquista espagnole en 1492.
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