Chapitre 1. L’Antiquité (du VIIIe siècle av. J.-C. au Ve siècle ap. J.-C.)
p. 17-58
Texte intégral
1Les sources de l’éthique médicale et infirmière en Occident remontent à la culture gréco-romaine. Si l’on peut distinguer à l’origine l’histoire de deux peuples (grec et romain), celle-ci au fil des ans est devenue commune, constituant un seul terreau culturel. Partie de Judée, la religion chrétienne s’y est développée à la fois influencée par cette culture et l’influençant. Cet amalgame a permis le développement d’une culture marquée par le travail de la raison1.
2À l’origine liée surtout aux lieux de culte et aux rites plus ou moins magiques, la pratique de la médecine et des soins a progressivement acquis son autonomie, faisant précisément appel au travail de la raison (observation, analyse, expérimentation), mais limitée par des visions philosophiques essentialistes de la réalité et donc de la santé et de la maladie. Médecins et philosophes se confrontent au même objet, les premiers tel Hippocrate plus préoccupés de l’efficacité des thérapies, les seconds tel Aristote davantage intéressés à comprendre l’organisation et le fonctionnement du corps humain.
3Au début, médecine et soins infirmiers ne sont guère distingués. Ces deux professions ne sont pas réglementées. Il y a une variété d’intervenants, du charlatan au « scientifique », en passant par des esclaves pleins de bonne volonté et de compassion, faisant appel à un savoir « populaire » non négligeable. Médecine et soins sont des affaires privées.
4Au milieu de cet éventail, un groupe se dégage autour de la figure d’Hippocrate, se distinguant par son souci de la rigueur scientifique et ses exigences éthiques. Celles-ci ont acquis subséquemment (notamment à partir du Bas Moyen Âge) une influence considérable, notamment dans le condensé appelé le Serment d’Hippocrate. L’éthique des soins est incluse dans cette vision. À la fin de l’Antiquité, l’une et l’autre (éthique médicale et éthique infirmière) recevront une impulsion différente du christianisme naissant.
INTRODUCTION SOCIOCULTURELLE
5Pour mieux comprendre le monde de la santé, situons d’abord le contexte socioculturel, comme il a été expliqué dans l’introduction générale.
Principaux événements
6Du troisième millénaire jusqu’aux environs du VIIIe siècle avant J.-C., le peuple grec s’est constitué à partir de trois civilisations successives : les Minoens, les Mycéniens et les Doriens. Du VIIIe siècle (période de l'Odyssée d’Homère) jusqu’au milieu du Ve siècle avant J.-C., la pauvreté des sols et les ambitions commerciales amènent les colonisateurs grecs à fonder des cités à l’étranger, notamment sur les côtes de l’Asie Mineure et de la mer Noire.
7Le Ve siècle, appelé aussi celui de Périclès, voit l’apogée d’une des grandes cités-États, Athènes, et cela malgré deux guerres, l’une contre les envahisseurs perses et l’autre contre les cités rivales, Sparte et Thèbes (guerre du Péloponnèse). Au milieu du IVe siècle avant J.-C., profitant de l’affaiblissement des grandes cités-États, Philippe II de Macédoine et surtout son fils, Alexandre, réussissent à bâtir un empire qui durera trois siècles (période hellénistique). Uni par la même culture et la même langue, de la Méditerranée jusqu’en Inde, l’empire sera finalement absorbé par les Romains autour de l’an 30 avant J.-C.1.
8Après une période archaïque (du VIIIe au IVe siècle avant J.-C.), marquée par la colonisation grecque et la fondation de Rome, et ponctuée de luttes de pouvoir incessantes, la péninsule italienne donne naissance à une nouvelle société. À l’apogée de la république, Rome se rend maître de presque toute la Méditerranée, en particulier par ses victoires sur les Grecs et sur l’empire carthaginois en Afrique du Nord (300-155 avant J.-C.).
9Mais bientôt éclatent les guerres civiles qui se terminent avec la victoire d’Octave. Devenu l’empereur Auguste, Octave inaugure l’ère du principat (30 av. J.-C.-253 ap. J.-C.). L’empire se consolide en menant des guerres un peu partout pour conquérir la plus grande partie de l’Europe actuelle, le nord de l’Afrique, tout le Moyen-Orient jusqu’en Arménie et en Assyrie. Puis les forces centralisatrices s’affaiblissent même si l’empire réussit à survivre grâce surtout aux réformes militaires, juridiques et sociales de Dioclétien et de Constantin (IIIe-IVe siècle ap. J.-C.). La faiblesse de leurs successeurs, conjuguée aux grandes invasions barbares, à la montée de l’empire d’Orient et à la naissance des royaumes germaniques, fait en sorte que l’empire d’Occident s’effondre (476 ap. J.-C.). C’est la fin de l’Antiquité2.
Cultures grecque et latine
10On ne peut évoquer la grande civilisation grecque sans parler de démocratie, même si cette démocratie ne ressemble pas totalement à la nôtre. Une autre composante de la pérennité de cette civilisation est la recherche du beau et de l’équilibre dans la nature et le cosmos dont l’être humain fait partie, et qu’il exprime par l’art et la philosophie. Mais l’homme grec n’est pas exclusivement artiste et philosophe. À partir du VIIe siècle avant J.-C. apparaissent les premiers savants du monde occidental : philosophes, historiens, géomètres, botanistes, physiciens, médecins3.
11Même s’il est plus humaniste que théiste, le Grec considère que les dieux sont constamment présents dans sa vie. À l’exception de quelques philosophes, on ne remet pas leur existence en question, car ils sont partie intégrante de la communauté. Ce n’est qu’à l’époque hellénistique, sous l’influence des religions à mystères, venues de Perse (cultes d’Isis, de Mithra et de Dionysos), qui proposent une nouvelle raison de vivre et promettent l’éternité à leurs initiés, qu’on se rend compte graduellement de l’incapacité des dieux de l’Olympe à donner des réponses aux questions existentielles de l’être humain4.
12Si on a tant louangé l’esprit démocratique des Grecs, c’est sans dévaloriser le génie de la constitution romaine qui a été un mélange de trois formes de gouvernement (monarchie, aristocratie et démocratie). On admire aussi les Romains pour leur mentalité pratique : l’art où ils ont excellé, l’architecture, s’exprime dans des travaux d’utilité publique (ponts, routes, aqueducs, basiliques, amphithéâtres). Limiter l’Antiquité romaine à des œuvres purement pratiques serait toutefois trahir l’histoire. On ne peut oublier Cicéron et ses réflexions sur l’État idéal ni les nombreux historiens, sculpteurs, philosophes, savants, qui ont fixé la mémoire d’une civilisation qui marque encore l’Occident5.
13Dans ce contexte, le facteur religieux a été déterminant. Les anciens Romains conçoivent la cité ou toute communauté civilisée comme le lieu où cohabitent les dieux et les hommes. Ces derniers doivent s’assurer de garder de bonnes relations avec les premiers par le biais du culte et d’obtenir ainsi leurs faveurs. Tous les actes religieux sont célébrés au nom de la communauté, ces pratiques n’étant pas uniquement le lot des grands collèges sacerdotaux (prêtres, pontifes, flammes, augures, etc.), mais aussi bien des magistrats et des sénateurs. Les influences hellénistique et orientale sont cependant énormes : non seulement la société romaine intégrera-t-elle les dieux grecs, par exemple Asclépios (= Esculape), mais la plèbe s’adonnera de plus en plus aux cultes perses (Isis, Mithra, etc.)6.
14Au sein de cette culture gréco-romaine se développe une nouvelle religion venue du Moyen-Orient. Ses livres saints et sa littérature postérieure, notamment sa littérature des IVe et Ve siècles, dite littérature patristique, font partie intégrante de la culture7. Persécuté à diverses reprises sous l’empire, le christianisme va devenir religion d’État au début du IVe siècle, grâce surtout à l’empereur Constantin. Ce fait, associé au déclin subséquent de l’empire, va lui donner une influence considérable sur le plan social. Jusqu’à entraîner plus tard (au XIe) un changement dans la façon de se situer dans l’histoire : avant et après Jésus-Christ8.
15C’est sur cet horizon politique et socioculturel, changeant au cours des nombreux siècles évoqués, que naissent et se développent des conceptions variées de la santé et de la maladie, des initiatives multiformes de soins et traitements, des recherches diverses d'ordre biomédical Mais ces activités, il va sans dire, sont étroitement associées à la situation sanitaire.
SITUATION SANITAIRE
16Deux points permettent de saisir la situation sanitaire d’une époque : les principales maladies et épidémies, les facteurs démographiques.
Principales maladies et épidémies
17Il n’y a pas lieu de faire une énumération exhaustive des maladies de l’Antiquité, d’autant plus que la description des symptômes ou la terminologie employée par les auteurs anciens ne correspondent pas toujours exactement à ce que nous connaissons aujourd’hui. En général, on fait allusion à des fièvres et frissons, à des maladies propres aux jeunes et aux vieillards et à celles qui se produisent en hiver. Plus précisément, les auteurs anciens mentionnent les paralysies, la phtisie, le tétanos, les troubles digestifs et l’ictus apoplectique (crise d’épilepsie généralisée). Les blessures de guerre, telles que décrites par Homère dans l’Iliade à propos de la guerre de Troie, sont causées en majorité par les pointes de javelot et les flèches. Grâce à Galien (IIe), médecin des gladiateurs, nous en connaissons un peu plus sur le type de blessures subies par ces combattants9.
18Il est très difficile d’identifier la nature des maladies infectieuses et épidémiques de l’Antiquité. Hippocrate (–Ve) relève indubitablement une épidémie d’oreillons sur l’île de Thassos. La fièvre à laquelle il fait référence, à cette occasion, est probablement la malaria. Mais il est impossible pour les experts médicaux actuels d’affirmer avec certitude que la description des symptômes et des facteurs de progression des maladies faite par Hippocrate correspond à la diphtérie, la tuberculose et/ou l’influenza. Un fait est certain toutefois, selon William McNeill : le père de la médecine grecque n’a jamais fait allusion dans ses écrits à la variole, à la rougeole et à la peste bubonique qui ont tant fait de victimes en Europe un peu plus tard10.
19Est-ce à dire que l’Antiquité n’a pas connu de grandes épidémies ? Même si on discute encore de la nature exacte des maladies contagieuses de l’Antiquité, il est sûr qu’au début de la guerre du Péloponnèse Athènes subit une épidémie de peste qui tue un tiers de sa population. L’historien Thucydide en a parlé avec force détails11. L’ampleur de la malaria est attestée en Grèce durant des siècles : certains historiens y voient même une cause de la décadence de la Grèce12. Et il est certain que Rome surpeuplée et la campagne avoisinante se retrouvent constamment aux prises avec elle à partir du Ier siècle avant J.-C. jusqu’au IVe siècle après J.-C. De plus et surtout à compter de l’an 125 après J.-C., la peste touche tout l’empire. L’épidémie commence en Afrique du Nord. Les nombreux déplacements des légions romaines facilitent la contagion. La peste de 164-189, bien décrite par le médecin Galien13, et celle de 265-281, encore plus dévastatrice, vont faire des millions de victimes, de l’Égypte au sud jusqu’à l’Écosse au nord. Cette dernière va durer seize ans et provoquer une panique généralisée en Italie : des milliers de paysans abandonnent leurs champs pour encombrer les villes et causer de nouvelles trouées de la maladie ; on en vient à craindre l’extinction de la race humaine. Durant les trois siècles suivants, on voit réapparaître le fléau en Gaule, en Espagne, en Afrique du Nord, à Rome, à Vienne et en Bretagne : il tue des milliers de personnes sans qu’on connaisse exactement la nature et les causes de cette maladie extrêmement contagieuse.
Facteurs démographiques
20Certaines études démographiques démontrent que, durant toute l’Antiquité (et jusqu’au XVIIe siècle), la longévité des adultes et des adolescents dans le monde statistiquement repérable fluctue, selon les régions et les époques, de moins de 30 ans à un peu plus de 40 ans. En Grèce, en se basant sur des inscriptions funéraires, il n’y aurait pas eu beaucoup de variations du Ve siècle avant J.-C. jusqu’à la Renaissance : l’espérance de vie à la naissance serait passée de 21 à 30 ans. En partant d’inscriptions équivalentes dont le nombre est assez réduit et qui se limitent à l’aristocratie gallo-romaine au IVe siècle de notre ère, l’espérance de vie est de 44 ans chez les hommes et de 33,7 années chez les femmes. Il faut signaler toutefois que l’ensemble des groupes d’âges et des classes sociales ne sont pas nécessairement représentés sur les stèles grecques ou romaines14.
21Niveau élevé de mortalité infantile, famines, épidémies, guerres, émigrations, autant de facteurs qui ont affecté la puissance de ces deux empires et ont contribué à leur déclin. Mais un des problèmes majeurs de l’Antiquité grecque et latine a été le faible taux de natalité. Certes, aux différentes époques en Grèce, gouvernants et philosophes (Aristote et Platon en particulier) incitent la population à procréer. D’autres, par contre, comme Hésiode et Épicure, préconisent l’infécondité. Le concubinage, l’homosexualité, la répudiation fréquente des épouses, les procédés anticonceptionnels, l’avortement, l’abandon des nouveau-nés sont d’usage courant. Dans ce contexte, une union conjugale stable et une famille prolifique s’avèrent l’exception. Au IIe siècle avant notre ère, l’historien Polybe dénonce la situation : « C’est tout au plus si les gens d’aujourd’hui consentent à avoir un ou deux enfants, afin de les laisser riches et de les nourrir dans le luxe15. » Dans l’Empire romain, on ne peut négliger non plus la responsabilité de l’État face à la décroissance démographique. Les impôts démesurés imposés aux paysans ont découragé la natalité et ont fait fuir ceux-ci de leurs terres.
ORGANISATION DE LA MÉDECINE ET DES SOINS
22L’histoire des soins commence avec celle des espèces vivantes et se poursuit avec l’apparition de 1'homo sapiens que les ethno-paléontologues font remonter à cinq ou six millions d’années. Et cette histoire se construit autour du souci permanent d’assurer la continuité de la vie. Soigner... veiller à... représentent un ensemble d’actes qui ont pour but d’entretenir la vie des êtres vivants, de permettre à celle-ci de se développer et de lutter contre la mort, celle de l’individu autant que celle du groupe, de la communauté, voire de l’espèce. En ce sens, prendre soin est l’une des plus vieilles expressions de l’histoire humaine pour assurer sa survie16.
23En se développant au cours des siècles, cette pratique s’est lentement distinguée en deux champs : les soins infirmiers et la médecine, le premier occupé principalement par des femmes, le second par des hommes. Mais durant l’Antiquité — et même après — il ne faut ni trop distinguer les deux champs, ni trop limiter leur appartenance à un sexe en particulier. De même, si la médecine s’organise surtout dans les temples, il existe aussi un courant de médecine laïque.
Soins familiaux
24Pendant des milliers et des milliers d’années, la pratique des soins se rattache aux activités de la femme lors des incidents qui tissent la trame de la vie quotidienne et lors d’événements particuliers comme la maternité, la maladie, la vieillesse, la mort. On peut pointer le rôle de la sage-femme et de la nourrice au début de la vie et, à la fin, le rôle des mères ou conjointes autour de la toilette mortuaire.
25La plupart du temps, lorsque les pratiques antiques de soins sont évoquées par les historiens, elles le sont par rapport à un savoir médical détenu par les hommes avec quelques allusions à l’héritage de connaissances sur les plantes17. Or les femmes ont toujours été guérisseuses, soignant à l’aide de plantes et échangeant entre elles les secrets de leurs pratiques. Elles ont pendant des siècles exercé une médecine sans diplôme, formant leur savoir au contact les unes des autres et le transmettant dans l’espace et dans le temps, de voisine en voisine, et de mère en fille18.
26Le rôle des sages-femmes est particulièrement important. Mais, attention, s’il y a des sages-femmes simples accoucheuses, d’autres sont de véritables obstétriciennes, connaissant toutes les formes de thérapies (diète, drogue, chirurgie, hygiène) et attentives autant aux grandes théories médicales qu’aux particularités des cas individuels. Soranus (IIe), qui donne ces détails, les appelle les sages-femmes idéales19.
Coutumes et institutions médicales
27Dans la Grèce antique, les temples ont été les lieux privilégiés du développement de la médecine et des soins. Assez souvent, ces lieux privilégiés se situent près de sources aux pouvoirs curatifs ou sur le sommet d’une montagne20. Oniromancie, divination, incantation, magie sont de pratique courante. On a parlé précédemment de la popularité du dieu Asclépios. Une de ses filles s’appelle Panacée, synonyme aujourd’hui de remède universel ; le nom de la seconde, Hygie, est à la racine de notre mot hygiène. Le prêtre n’est que l’interprète des dieux. Ainsi, autour du VIIIe siècle avant J.-C., sur le mont Pélion en Thessalie, au centre de la Grèce, se fonde la communauté des Asclépiades qui est constituée de prêtres-médecins : elle fera rapidement école et essaimera au cours des ans, à Épidaure, à Cos, etc. Hippocrate en fera partie (–Ve).
28Entre-temps, les Asclépiades inaugurent une révolution. Ils croient toujours que la guérison est obtenue grâce au bon vouloir du dieu, mais le prêtre sert désormais d’intermédiaire. Dans cette perspective, le médicament est recommandé par le dieu, mais le travail de diagnostic et de thérapeutique est fait par le prêtre-médecin-infirmier. Les Asclépiades développent ainsi des connaissances à partir de leurs propres observations cliniques et tiennent des archives. Ils inaugurent une approche rationnelle, globale, empirique.
29Parallèlement au courant des Asclépiades, d’autres centres importants de réflexion et de pratique médicale existent, comme à Cnide en Asie Mineure et à Crotone en Sicile, où la médecine sort de sa phase magique et mise avant tout sur l’observation critique et minutieuse21. À côté des praticiens-médecins, d’autres scientifiques s’intéressent aussi à la médecine, à savoir les philosophes. Il existe dans toute l’Antiquité un lien étroit entre médecine et philosophie. L’entrelacement des disciplines est tel qu’on « trouve des philosophes comme Alcméon de Crotone (–VIe) dont la gloire repose entièrement sur la théorie médicale et des médecins comme Sextus qui étaient avant tout philosophes22 ». Signalons encore Empédocle (–Ve), mais surtout Socrate, Platon, Aristote qui ont tous trois beaucoup parlé de médecine et de sciences naturelles. Socrate était lui-même fils de sage-femme ; Aristote, fils de médecin.
30Il faut dire toutefois que ces institutions constituent l’exception. À cette époque, n’importe qui peut s’improviser guérisseur. Il n’y a aucun permis de pratique et les patients sont à la merci de praticiens aux théories très différentes et souvent contradictoires. Du point de vue de la pratique professionnelle, il existe divers types de fonctionnement. Beaucoup de médecins s’établissent dans une cité, y visitant les malades ou les recevant chez eux. Ils s’occupent en général des gens riches. Depuis une époque lointaine, il existe aussi des médecins-artisans itinérants qui offrent leurs services moyennant rémunération. Démocédès de Crotone (–VIe) est un des premiers médecins salariés mentionnés dans la littérature. Homère nous parle de médecins militaires qui accompagnent l’armée et n’hésitent pas à guerroyer eux-mêmes ; ils savent notamment soigner et panser les blessures. On sent bientôt le besoin, au sein des communautés, de disposer en permanence d’un praticien payé à même les impôts. Au Ve siècle avant J.-C. à Athènes, la cité met à sa disposition un local servant aux consultations, aux opérations et à l’hospitalisation des malades. Les malades qui n’ont pas les moyens de recourir aux soins d’un médecin privé y sont soignés gratuitement23.
31Les médecins sont en général des hommes libres. Cependant, il arrive qu’un homme riche fasse instruire un de ses esclaves pour ensuite être soigné par lui. Certains médecins ont aussi des esclaves qui leur servent d’auxiliaires et acquièrent ainsi la pratique de l’art. En général, la médecine est tenue en haute estime, même si ceux qui la pratiquent ne sont pas tous instruits. Un fabuliste de l’époque déclare que les Athéniens ont une si haute opinion de la médecine qu’ils défendent aux femmes et aux esclaves de l’exercer24. Au temps de Périclès cependant, les femmes peuvent être médecins, même si elles sont confinées d’ordinaire dans des tâches de soignantes et d’accoucheuses. Pour les maladies intimes, par pudeur, les femmes préfèrent faire appel à un médecin de leur sexe25.
32Pendant longtemps, les Romains font appel à des médecins grecs et sont tributaires de la médecine grecque. Caton le déplore amèrement. Nous devons cependant aux Romains une innovation qui survit encore de nos jours : l’hôpital. Le premier est édifié sur l’île de Tiberina où, selon la légende, une mission romaine a rapporté d’Épidaure un serpent sacré du temple d’Asclépios, ce qui a mis fin à une épidémie. L’extension à travers l’empire de ce type d’institution est due à l’armée. Chaque légion possède son officier médecin et parfois son hôpital. À mesure que les frontières de l’Empire romain s’étendent, on édifie de grands hôpitaux militaires en divers points stratégiques le long des voies de communication. À Novaesium, par exemple, le long de la voie romaine de Cologne, on peut encore voir les ruines d’un hôpital militaire comportant près de quarante salles disposées le long des corridors. On a aussi trouvé à Pompéi des demeures de médecins ayant pu servir de cliniques privées pour malades plus fortunés et, à Rome même, il y a des infirmeries pour civils indigents26.
33Avec le rayonnement du christianisme, les soins aux malades et aux indigents prennent de l’importance. Ainsi, dans les communautés chrétiennes, dès les premiers siècles, l’Ordre des diaconesses s’occupe de visiter les malades d’une manière structurée. Ces infirmières avant la lettre s’efforcent de pratiquer l’art des soins, c’est-à-dire les œuvres de miséricorde corporelle, tout en faisant preuve d’une grande compassion à l’égard des souffrants, des pauvres et des prisonniers. Dans la Rome des IIIe et IVe siècles, au sein d’une société assez souvent indifférente à la misère, de nobles femmes riches, converties au christianisme, brillantes, douées de leadership social, créent des hôpitaux et des couvents. L’élan est donné par sainte Hélène (Flavia Helena), mère de Constantin, qui fonde le premier geroncomion au début du IVe siècle.
34Dans cette perspective, on ne saurait passer sous silence l’apport remarquable de trois femmes de la noblesse romaine : Marcella, Fabiola et Paula. Grande collaboratrice de saint Jérôme, Marcella transforme son riche palais de Rome en un monastère voué aux soins des malades et des pauvres. Femme intelligente et très vertueuse, dévouée au travail, à la prière et à l’étude, elle se consacre à l’enseignement des soins infirmiers jusqu’à sa mort au cours d’une attaque des Wisigoths, sous Alaric en 410. Une autre femme, Fabiola, après s’être convertie au christianisme fonde à Ostie un asile pour les infirmes, les malades et les pauvres. On la décrit comme étant particulièrement habile pour le soin des plaies les plus purulentes et les lésions de toutes sortes. Elle cultive l’art du pansement. Son nom est souvent mentionné comme patronne des infirmières. Paula, qui devient veuve à l’âge de 33 ans, utilise sa fortune acquise par héritage pour fonder le premier hôpital chrétien à Jérusalem. Elle est parmi les femmes les plus éduquées de l’époque et apporte une importante contribution financière à saint Jérôme pour la traduction de la Bible. Pendant plus de vingt ans, elle s’occupe des soins aux malades et aux indigents. Ces femmes ont joué un rôle remarquable dans le domaine hospitalier et dans celui des soins aux malades. Elles ont en quelque sorte frayé la voie aux soins infirmiers. Selon Patricia Donahue, aucun groupe de femmes n’arrivera à surpasser ces dernières tant leur force intellectuelle, leur énergie vitale, leur habileté d’organisatrice et leur détermination sont grandes. Elles ouvrent toute grande la voie aux communautés religieuses de femmes hospitalières27.
35Les autorités religieuses ne sont elles-mêmes pas en reste. Le concile de Nicée (325) ordonne aux évêques d’établir un hôpital dans chaque ville où il y a une cathédrale et, à la fin du IVe siècle, le concile de Carthage (398) ordonne de maintenir un hospice tout près des églises. Avec les années se met en place une sorte de quadrillage d’établissements aux noms divers : abri pour les étrangers, asile pour les malades ou les vieillards, orphelinat, avant de s’appeler Maison-Dieu. La partie orientale de l’empire n’est pas moins pourvue que la partie occidentale, elle la devance même. Il faut préciser, cependant, que ces établissements n’ont rien de commun avec nos hôpitaux ou cliniques modernes : les techniques médicales et soignantes sont rudimentaires28.
Formation des soignants
36En Grèce, selon Homère, le demi-dieu Chiron enseigne la médecine et la chirurgie sur le mont Pélion en Thessalie et forme Asclépios en lui enseignant l’art de guérir par la parole, les herbes et le couteau. Chez les Asclépiades, les prêtres se communiquent l’art de guérir de père en fils en insistant sur les régimes alimentaires, les bains, la gymnastique, les massages et une certaine forme de psychothérapie. L’étude des rêves semble aussi avoir été enseignée et pratiquée. Hippocrate insiste particulièrement sur la nécessité d’une formation académique pour les infirmières. Il ira jusqu’à libérer celles qui sont esclaves. Même si on connaît de nombreux écrits d’Hippocrate et de ses disciples, on ne sait pas toutefois comment se dispense leur enseignement29.
37D’autres lieux de formation existent comme à Crotone en Sicile. Mais, en dehors de ces écoles, la formation médicale et infirmière est très hétérogène et plutôt défaillante30.
38À Rome, on a retrouvé des bas-reliefs ou fresques d’une catacombe de la Via Latina représentant un médecin entouré de ses élèves donnant une leçon d’anatomie. L’enseignement médical se dispense dans des écoles spécialisées. Fondée en l’an 14 avant J.-C., la Schola Medicorum de Rome se maintient jusqu’à l’époque de Théodoric (Ve siècle ap. J.-C.) ; d’autres écoles existent à Avranches, Bordeaux, Marseille, Metz, Saragosse et Éphèse31. Par contre, le plus célèbre médecin de l’empire, Galien, n’a pas établi d’école, pas plus qu’il n’a réuni autour de sa personne un groupe de disciples fervents.
39Aux IIIe et IVe siècles à Rome, les chrétiens et chrétiennes qui se consacrent aux malades partagent leurs connaissances et leurs techniques avec les apprenti(e)s intéressé(e)s. Les trois dames mentionnées précédemment sont particulièrement passionnées par la transmission des connaissances. À cet égard l’apport de Paula mérite d’être souligné. Selon l’historienne Gloria Grippando, elle est la première femme à enseigner aux infirmières d’une façon rigoureuse et systématique. Elle élève la conception des soins infirmiers au rang d’art distinct32.
Santé publique
40Les peuples anciens ont de bonnes connaissances en santé publique. Ainsi, bien que le sujet ne soit pas très documenté, il semble que les pays méditerranéens ne connaissent pas de famines importantes pendant l’Antiquité. Les Minoens de Crète, prédécesseurs des Grecs, s’intéressent beaucoup aux mesures d’hygiène : ils installent dans leurs villes un vaste réseau d’égouts et fixent les emplacements pour les dépôts d’immondices. Dans les ruines grecques, on ne trouve pas trace de dispositions de ce genre. Par contre, Empédocle passe pour être parvenu à enrayer une épidémie dans sa ville natale en ordonnant d’assécher un marécage et en faisant procéder à des fumigations à l’intérieur des maisons33.
41Les Romains de l’Antiquité sont célèbres pour leurs installations et mesures sanitaires. Il faudra attendre le milieu du XIXe siècle pour retrouver des structures équivalentes. Le système de drainage du Cloaca Maxima date du VIe siècle avant J.-C. En 312 avant J.-C., un premier aqueduc apporte de l’eau pure aux Romains. Les ruines d’Herculanum et de Pompéi (79 ap. J.-C.) ont révélé un système hydraulique élaboré relié à des chasses d’eau pour cabinets d’aisance. Qui n’a pas entendu parler des latrines publiques installées par l’empereur Vespasien au Ier siècle après J.-C. ? Les thermes de Caracalla et de Dioclétien, semblables à nos saunas modernes, se répandent dans tout l’empire dès le IIIe siècle après J.-C. Sur le plan des mesures sanitaires, il y a des règlements pour assurer la conservation de la nourriture périssable, en particulier la viande, et l’entreposage d’une énorme quantité de maïs afin de prévenir les famines. On en vient aussi à proscrire les enterrements à l’intérieur des murs de la cité ; et la crémation, plus hygiénique, est adoptée, du moins jusqu’à l’avènement du christianisme34.
42Malgré de telles mesures de prévention, les Romains ont connu de nombreuses épidémies. Ils savent du moins qu’une grande quantité de citadins entassés ne peuvent vivre sainement et dignement s’ils ne bénéficient pas d’approvisionnement en eau potable, de rues propres et de systèmes d’égouts. Un problème persiste : personne ne connaît la cause des maladies épidémiques. Si les eaux apparemment pures sont contaminées à la source, tous les citadins risquent leur vie. Les mesures d’hygiène de la Rome impériale, extraordinaires pour l’époque, deviennent inefficaces durant ces longues années d’épidémies35.
DÉVELOPPEMENT DES CONNAISSANCES ET DES TECHNIQUES
43Pendant près de trois millénaires, la pensée médicale est à peu près inexistante et l’imploration des dieux demeure l’essentiel de la pratique médicale chez les premiers Grecs comme dans les premières civilisations du Proche-Orient, telles celles des Égyptiens, Assyriens, Juifs. Les progrès viendront de la nouvelle approche (plus rigoureuse et plus rationnelle) introduite dans la médecine grecque à partir du VIIIe siècle avant Jésus-Christ. Trois facteurs y prédisposent :
une mythologie particulière où la personne humaine, parente des dieux, est valorisée ;
une nouvelle philosophie de la connaissance basée sur le travail de la raison, inductif et déductif, en quête d’une connaissance objective du réel à partir des faits et phénomènes naturels ;
le développement des échanges avec les autres cultures qui permettent notamment de comparer les médecines36.
Figures de proue
44Hippocrate représente indéniablement la figure de proue dont l’influence a le plus clairement imprégné non seulement la médecine de l’Antiquité mais aussi celle des siècles suivants. Bien qu’elles soient relativement plus modestes, les contributions au développement du savoir médical de deux autres personnages, Aristote et Galien, méritent aussi d’être mentionnées.
Hippocrate
45Né dans l'île de Cos vers 460 avant J.-C. (et mort vers 377), Hippocrate a un destin facilité par son appartenance à une famille aristocratique détentrice d’un pouvoir et d’un savoir dans le domaine médical, les Asclépiades. Son propre père et ses deux fils sont également médecins37.
46Au sein des controverses de son époque, il est certainement l’inspirateur et l’auteur de quelques traités de la collection qui porte son nom, soit le Corpus Hippocraticum. De style et de lexique variés, cette œuvre rédigée par une pluralité d’auteurs comprend 96 écrits (ou 60 selon certains auteurs), dont le célèbre Serment et 23 lettres apocryphes. Parmi les écrits, mentionnons : L’ancienne médecine, Du régime, Épidémies, Nature de l’homme, La consultation, Le pronostic. Leurs compositions s’échelonnent sur un siècle : de la seconde moitié du Ve siècle au début du IVe siècle avant J.-C. et révèlent parfois des divergences doctrinales.
47Bien que la collection recèle encore des pratiques magiques ou religieuses, sa nouveauté réside dans sa rationalité et dans l’importance accordée à l’observation des cas. Les titres des chapitres s’accordent avec l’ampleur de l’écriture et expliquent au moins en partie pourquoi le Corpus est resté une référence médicale depuis plus de 25 siècles : diagnostic, pronostic, épidémiologie... En 1804, Laënnec écrit encore une thèse de médecine intitulée Proposition sur la doctrine d’Hippocrate. Une certaine « pensée hippocratique » se dégage en effet de l’ensemble du Corpus au-delà de ses différences et contradictions. Ces œuvres sont aussi célèbres pour la part d’éthique médicale que l’on y retrouve.
Aristote
48Aristote vécut de 384 à 322 avant J.-C. Disciple de Platon, lui-même disciple de Socrate, il écrit une œuvre philosophique considérable. Il est aussi féru de biologie et de sciences naturelles, observe la réalité et pratique des dissections animales. Il s’intéresse tout particulièrement à la circulation sanguine et établit le rôle du cœur comme réservoir à l’origine de tous les vaisseaux qui distribuent le sang à travers le corps. En embryologie, il détermine deux principes : celui du développement embryonnaire par étapes et celui de la croissance plus rapide de l’embryon mâle que celle de l’embryon femelle. L’embryon humain passe par des âmes successives (végétale, animale, rationnelle) et il ne reçoit cette troisième, c’est-à-dire ne devient véritablement humain, que lorsqu’il est suffisamment développé, formé, animé, après un certain délai, à savoir après 40 jours pour l’embryon mâle et après 90 jours pour l’embryon femelle38.
Galien
49Galien est un Grec de Pergame en Asie Mineure, ville célèbre en raison de son sanctuaire consacré au dieu guérisseur Asclépios. Il est né autour de l’an 130, a beaucoup voyagé, puis a vécu à Rome et est mort vers l’an 200. Il fait partie d’une société qui apprécie la culture grecque, en particulier celle de la période classique. Médecin, il est donc éduqué au contact des grands philosophes grecs et de la tradition médicale hippocratique ; il se révèle en effet un grand admirateur d’Hippocrate qu’il s’efforce d’interpréter correctement, voire de compléter. Galien s’intéresse lui aussi à un grand nombre de sujets, passant de la philosophie à l’anatomie, la physiologie, la biologie, la pharmacie, la physique, l’astronomie et la géographie. Sa production médicale est considérable et comporte près de 500 ouvrages dont 83 seulement nous sont parvenus par l’intermédiaire des Arabes. Il fait de nombreuses dissections animales. Il pratique même la chirurgie en faisant son apprentissage auprès des gladiateurs romains39.
50Il revient à Galien d’avoir établi que les ingrédients d’une prescription contenant plus d’un médicament doivent être dosés en qualités et degrés et qu’il faut calculer leur quantité respective. Cette conception résistera jusqu’au milieu du XIXe siècle. C’est aussi lui qui, à l’encontre des Stoïciens et des Aristotéliciens, affirme que le centre de la sensibilité et du mouvement est le cerveau et non le cœur. D’un autre côté, il commet des erreurs en passant trop vite de la dissection animale à l’anatomie humaine, ou en élaborant de mauvaises hypothèses pour expliquer les faits observés, par exemple, en circulation sanguine lorsqu’il invente le double courant centrifuge à partir des deux ventricules communiquant entre eux par des pores invisibles.
51Galien jouit d’une influence considérable dans la mesure où son théisme lui permet de rejoindre à la fois les chrétiens, les juifs et les musulmans. Son discours est ainsi véhiculé et défendu tout autour de la Méditerranée. Cette popularité va permettre à ses contributions de se transmettre pendant plusieurs siècles jusqu’à ce que de nouvelles approches conceptuelles et méthodologiques rendent évidentes certaines de ses erreurs.
Méthodes diagnostiques et thérapeutiques
52La volonté de soigner étant inhérente à la médecine, les actes diagnostiques et thérapeutiques remontent aux débuts mêmes de celle-ci.
53Au temps d’Homère, aussi bien les médecins que les femmes-soignantes connaissent l’art de laver et soigner les blessures tout en apaisant les souffrances par des baumes et l’utilisation des plantes. Ils savent donc œuvrer utilement, bien que la majorité attribue encore aux dieux les causes des maladies. L’oniromancie, la divination, l’incantation et la magie sont les manifestations d’une tentative continuelle de pacte avec le surnaturel40. Les historiens Meyer et Triadou parlent du « bric-à-brac médical antique » pour décrire « l’arsenal à velléités thérapeutiques des trois premiers millénaires de la médecine41 ». Sournia est cependant plus nuancé et parle de l’existence de « professionnels laïques, hommes de métiers, qui effectuent des gestes efficaces, que leur ont appris des praticiens plus anciens », notamment égyptiens, sans l’aide de formules magiques ou de sacrifices aux dieux42.
54Dans la foulée des Asclépiades, Hippocrate introduit des changements majeurs, basés sur le développement de l’observation clinique. Les signes sont donc à la base du diagnostic et du pronostic. En se basant sur le texte d’Hippocrate intitulé La consultation, on peut résumer la méthode hippocratique sous la forme des cinq préceptes ci-dessous :
souci de l’observation des faits ;
grande importance accordée aux signes ;
conception rationnelle de la maladie qui n’exclut toutefois pas une pensée religieuse ;
réflexion à la fois philosophique et technique sur la médecine en tant qu’art (techne) ;
respect d’une déontologie exigeante43.
55Certains textes guident très précisément les médecins quant à la façon d’observer. Il importe alors de « prendre le corps du malade comme objet d’examen : vue, odorat, toucher, goût, raison ». Dans les cas de pneumopathies, certains médecins vont jusqu’à coller directement l’oreille contre la poitrine du malade pour écouter les bruits intérieurs. Laënnec perfectionnera cette méthode vingt-quatre siècles plus tard. Les références chirurgicales à Hippocrate (–Ve) et à Aulus Cornelius Celse (–Ier) permettent de conclure qu’on traite les pierres à la vésicule biliaire, les amygdales, le goitre, les hernies, les cataractes et les maladies de l’oreille44.
56Partageant avec les philosophes la tentative de séparer mythe et raison, magie et nature, Alcméon (–VIe) ajoute le souci de la vérification empirique là où les philosophes semblent avoir fait appel davantage à des postulats ou à des hypothèses difficilement vérifiables45.
57Les progrès au niveau de la méthode et des connaissances ne se traduisent pourtant pas immédiatement dans la pratique. Les soignants ne parviennent pas à ordonner et transformer les habitudes millénaires. D’une part, les enseignements d’Hippocrate ne sont pas diffusés et adoptés dans l’ensemble du monde antique ; ils sont d’ailleurs en concurrence, sinon en opposition, avec d’autres enseignements. D’autre part, la médecine hippocratique elle-même continue d’utiliser les thérapeutiques d’antan en termes de saignées, cataplasmes, décoctions et tisanes. Malgré ces limites, la médecine grecque — par l’utilisation de la raison, la répétition de l’observation et la classification des signes — constitue un tournant épistémologique majeur. Elle ne représente pas encore un progrès réel en termes de guérison ou de santé, mais constitue néanmoins une étape conceptuelle indispensable dans l’histoire de la pensée médicale46.
ANTHROPOLOGIE MÉDICALE ET CULTURELLE
58Les interprétations magico-religieuses et spéculatives des médecines égyptienne, babylonienne et grecque non hippocratique ne suscitent guère d’intérêt pour une connaissance approfondie du corps. La santé et la maladie relèvent tout simplement du caprice des divinités ou des puissances surnaturelles, et l’homme est condamné à les subir sans pouvoir faire autre chose qu’invoquer ces dernières. Un prêtre fait tout aussi bien l’affaire, sinon mieux, qu’un médecin pour comprendre l’être humain et l’aider.
59L’évolution, notamment la sécularisation qui s’est produite selon diverses voies depuis le VI e siècle avant Jésus-Christ, entraîne des visions anthropologiques nouvelles et s’explique tout autant par elle. Le mouvement d’oscillation est constant. Ainsi peut-on distinguer un courant pratique thérapeutique (hippocratique) d’un courant plus théorique (philosophique) à côté d’un courant existentiel toujours présent (familial) et, à partir des IIe et IIIe siècles, en concurrence avec une nouvelle vision religieuse (chrétienne)47.
Courant hippocratique
60Le Corpus Hippocraticum présente généralement le corps comme un tout composé d’un certain nombre d’éléments simples : air, feu, terre, eau. L’influence d’Empédocle est ici manifeste. Dans le traité intitulé La nature de l'homme48 est exposée la fameuse théorie des quatre humeurs : sang, phlegme, bile jaune et bile noire. L’unanimité de vues n’existe pourtant pas dans la collection et certains traités parlent de sang, de phlegme, de bile et d’eau. Quelles qu’elles soient, ces humeurs contiennent chacune deux des quatre qualités essentielles : chaud, froid, sec ou humide. Et c’est l’équilibre dans tout cela qui constitue la santé. La pathologie hippocratique laisse toutefois supposer que les organes, pas plus que telle ou telle partie du corps, ne sont les causes des maladies : ils sont simplement malades, atteints par une cause extérieure ou par un déséquilibre — souvent inexpliqué — des humeurs49.
61Précisons. Selon la médecine hippocratique, l’état de santé résulte d’une double dialectique d’accommodation et d’adaptation : d’une part, de l’individu et des éléments dont il constitue le tout et, d’autre part, de l’individu et du milieu dont il est un élément. Ainsi, la totalité organique doit surmonter les propriétés des puissances opposées qui l’habitent. Dans le même mouvement, cette totalité doit s’adapter à l’évolution de son milieu extérieur subissant lui-même les variations saisonnières de climat. Si l’homme était un, c’est-à-dire toujours en parfait accord avec son milieu, jamais il ne souffrirait. L’homme, malade ou bien portant, n’est donc pas un pur produit de la nature mais plutôt un produit de l’« art ». La nature en effet a fourni la nourriture aux animaux ; les êtres humains, quant à eux, ont dû trouver les techniques, la cuisson par exemple et le dosage nécessaire, à savoir l’« art », pour que ces mêmes aliments soient assimilés par lui sans danger. Mais comme il y a les malades et les bien portants, les plus forts et les plus faibles, on a tôt fait de réaliser la nécessité d’un dosage et d’une quantité d’aliments propres à chaque cas. C’est comme cela, pensent les auteurs hippocratiques, que l’on passe de l’art culinaire à l’art médical50.
62La philosophie grecque traite abondamment de l’âme humaine. Dans la médecine hippocratique, on considère l’âme comme matérielle et, de ce fait, on tient compte à la fois des affections physiques et psychiques. Une peur peut ainsi se voir attribuer la responsabilité d’une attaque d’épilepsie. Le médecin grec connaît la psychosomatique, bien que son diagnostic soit souvent erroné51.
63Bref, le Corpus Hippocraticum considère la nature comme hostile pour l’être humain. Le médecin doit donc inventer par l’artifice les conditions de vie de ce dernier sans pouvoir se référer à une norme venue des dieux et déterminant un modèle auquel il faudrait se conformer comme le préconisait Platon. L’harmonie n’est donc pas l’effet d’un hasard favorable, mais bien d’une dynamique consciente. La médecine hippocratique contribue ainsi à transformer l’idée que l’homme peut se faire de lui-même. En lieu et place d’une humanité soumise aux divinités et au surnaturel, apparaissent désormais des êtres humains responsables. Et par le fait même l’être humain devient lui-même un sujet d’intérêt52. Par ailleurs, la conception hippocratique du corps, de la santé et de la maladie renvoie à une approche que l’on peut qualifier d’« holiste » dans la mesure où elle tient compte à la fois de tous les aspects de l’être humain et des relations de celui-ci avec son environnement. Le soin infirmier entre spontanément dans cette perspective et c’est probablement pour cette raison qu’Hippocrate valorise les personnes qui s’y adonnent53.
Courant essentialiste
64Le siècle d’or de la Grèce (–IVe) est marqué par des débats philosophiques importants qui auront une répercussion directe sur la conception de la santé, de la maladie et de la médecine. Socrate et Platon conservent une vision essentialiste des choses : l’être humain est soumis à des valeurs d’essence supérieure. Il existe une sorte de modèle intemporel de santé. Le corps est formé, certes, d’éléments matériels inertes par eux-mêmes comme la terre, l’air, l’eau et le feu, mais la santé consiste dans la conformité à un modèle naturel déterminant la juste proportion des humeurs. Ce schéma déductif est bien différent de la médecine hippocratique.
65Quoique plus collé à l’observation, Aristote a lui aussi une vision essentialiste des choses54. Conformément à sa théorie de la composition de toutes choses en matière et forme, l’être humain est un composé de corps et d’âme. Le corps est formé d’éléments matériels inertes, comme chez Platon, mais aussi d’un élément semi-matériel essentiel à son fonctionnement, le pneuma.
[Il s’agit] d’une substance organique semi-matérielle, un air inné et donc différent de l’air extérieur. Il [est] réchauffé par une chaleur également innée, non assimilable au feu, une sorte de mystérieuse « vapeur » cardiaque55.
66Le pneuma joue un rôle majeur, notamment dans « la transmission de l’âme, présente dans la semence du père, à la matière embryonnaire fournie par la mère ». Le père et la mère jouent ainsi chacun un rôle dans la génération humaine, mais l’un est actif, l’autre purement passif. Le pneuma acquiert ainsi une « potentialité presque miraculeuse56 » et suggère dès lors une parenté entre le monde terrestre et celui des dieux57. Cette hypothèse, élaborée pour rendre compte des faits observés, aura une influence considérable en philosophie, en théologie et en médecine. Elle sera acceptée, en particulier, par tous les médecins dès la deuxième moitié du IVe siècle avant Jésus-Christ et aura de l’influence jusque tard à la Renaissance.
67La pensée de Galien est ambivalente. Médecin, admirateur d’Hippocrate, il en adopte la pensée et la méthode de travail. Mais l'humorisme galénique se présente néanmoins comme un système figé : les quatre humeurs correspondent aux quatre qualités (chaud, froid, sec, humide) et se combinent en neuf tempéraments selon la prédominance d’une ou deux humeurs. Le souci de logique va mener à un système qui finira par s’éloigner de la philosophie hippocratique bâtie sur l’histoire du malade sans référence à une forme idéale et normative58.
Courant familial
68En parallèle à cette activité de soignants et soignantes liée à la médecine, on doit évoquer l’anthropologie sous-jacente à la pratique de soins véhiculée par les femmes dans le cadre familial : sages-femmes, mères et filles s’occupant des maux quotidiens des membres de la famille et des soins aux mourants ; et esclaves au service des familles riches. Cette pratique conditionne tout un ensemble d’attitudes, de conceptions et d’approches du corps et de la maladie. Ainsi Françoise Loux montre comment l’étude de la puériculture traditionnelle (façon de coucher l’enfant, de le bercer, de le couvrir, de l’allaiter) nous éclaire sur l’ensemble des attitudes et des pratiques traditionnelles à l’égard du corps tout entier et de la maladie en général59. C’est aussi autour du corps que s’élaborent les soins de première nécessité qui se traduisent par un ensemble de stimulations — le toucher, le contact avec l’eau, l’utilisation de plantes adoucissantes et odoriférantes —, et qui permettent également d’établir un jeu relationnel entre celui qui reçoit les soins et celle qui les donne. Et c’est autour de la toilette mortuaire que s’élaborent toutes sortes de pratiques rituelles de purification, d’embaumement faites par les femmes.
69Dans cette perspective, les soins s’adressent au corps global qui ne saurait être dissocié de l’esprit et qui est relié à tout l’univers. Ils se communiquent par le corps de celles qui soignent tout autant que par leur esprit. Il s’agit d’une conception vraiment unifiée et holiste de l’être humain.
Courant chrétien
70Le christianisme qui se propage durant les derniers siècles de l’Antiquité comporte une vision du corps, de la santé, de la maladie et de la souffrance sensiblement différente de celle de la culture grecque et de la culture populaire. Différente aussi de sa culture d’origine, soit la culture hébraïque.
71La culture hébraïque avait une conception très unitive de la personne humaine : le corps, c’est l’être humain, chair et esprit, comme totalité. Mais le christianisme récent est influencé aussi par la culture philosophique grecque, notamment platonicienne, pour qui l’âme est distincte du corps et supérieure à celui-ci. Selon Platon, en effet, « le corps n’est qu’une limitation contingente imposée à l’âme pendant sa vie au domaine des mortels et dont il convient de se dégager autant que possible pour que l’âme puisse répondre à sa véritable vocation qui est la pure contemplation des Idées60 ». Ce trait, accentué par la doctrine de l’immortalité de l’âme et la croyance en la survie, entraîne une sorte de dévalorisation du corps humain et de la vie présente au profit d’une préparation à la vie éternelle. « Gagner son ciel », « mériter son salut », ces idées sont très répandues. Évêque d’Hippone, en Afrique du Nord, Augustin résume bien le paradoxe de la vie chrétienne : les chrétiens vivent en même temps dans deux cités : cité de Dieu et cité terrestre, c’est-à-dire cité des bons et cité du mal. Ils doivent se défendre de la seconde pour participer pleinement à la première.
72Dans cette optique et accentuant l’idée largement répandue dans la culture ambiante que la maladie est un fait survenant de l’extérieur de la personne, le christianisme a compris la souffrance, la maladie, la mort comme des expressions de la volonté divine : châtiment pour le péché, épreuve pour vérifier la solidité de la foi ou occasion d’imiter le Christ souffrant. Tel est, en effet, le sens donné entre autres au récit de la punition d’Adam et Ève dans la Bible, au livre de Job, à l’événement de la mort du Christ. Il en découle une conception ascétique de la vie et une morale exigeante.
73Cette conception de la vie terrestre, entre autres facteurs, peut expliquer une sorte de désintéressement des chrétiens des premiers siècles pour la médecine et le rétablissement de la santé. Cette attitude passive n’est pourtant pas présente dans la pratique des soins, comme nous l’avons vu, mais pour des motifs éthiques sans lien avec cette anthropologie.
ÉTHIQUE ET DÉONTOLOGIE MÉDICALES
74Hors des cercles de médecins-prêtres tels que les Asclépiades et, plus tard, les communautés chrétiennes, on ne peut parler rigoureusement d’éthique ou de déontologie systématique de la médecine et des soins. Face à la prolifération de guérisseurs de toutes sortes, à l’absence de véritables écoles de médecine et de mesures législatives ou corporatives régissant la pratique, il est difficile de faire une synthèse du comportement moral des praticiens de l’Antiquité. Cependant, après avoir attiré l’attention sur le Serment d’Hippocrate, nous présenterons un certain panorama de la littérature et enfin la perspective chrétienne.
Le Serment d’Hippocrate
75Parmi tous les écrits de la collection hippocratique, se distingue un texte solennel, appelé le Serment d’Hippocrate, qui aura dans l’avenir, notamment à partir du Bas Moyen Âge, une importance exceptionnelle. Il mérite de retenir l’attention.
Le contenu du Serment
76Très tôt, le texte s’est constitué et a été reproduit dans une forme à peu près définitive. Ce n’est que dans les époques fort postérieures que l’on en fera des adaptations religieuses ou laïques.
77Sans compter l’invocation des dieux et la courte conclusion, on peut diviser le texte en deux grandes parties : l’engagement corporatiste et le code d’éthique proprement dit61. La première précise les devoirs de l’élève-médecin à l’égard de son maître et de la famille de ce dernier, ainsi que les obligations de l’élève-médecin à transmettre à son tour la connaissance médicale. Cette partie constitue une expression forte et déjà élaborée des sentiments et attitudes qui doivent inspirer les membres de la profession :
déférence envers les maîtres ;
bienveillance envers leur famille ;
solidarité entre les membres de la profession.
78La seconde partie donne un certain nombre de règles éthiques étonnantes par leur précision, leur rigueur et leur nombre :
agir à l’avantage des patients (bienfaisance) ;
éviter tout mal et injustice (ne pas nuire) ;
refuser empoisonnement et avortement ;
ne pas pratiquer l’opération de la taille ;
éviter la séduction des patients et des membres de leur famille, y compris les esclaves ;
garder secrètes les informations sur la vie privée des patients (confidentialité).
SERMENT D’HIPPOCRATE
Je jure, par Apollon, médecin, par Esculape, par Hygie et Panacée, par tous les dieux et toutes les déesses, les prenant à témoin que je remplirai, suivant mes forces et ma capacité, le serment et l’engagement suivants :
Je mettrai mon maître de médecine au même rang que les auteurs de mes jours, je partagerai avec lui mon avoir et, le cas échéant, je pourvoirai à ses besoins. Je tiendrai ses enfants pour des frères, et, s’ils désirent apprendre la médecine, je la leur enseignerai sans salaire ni engagement.
Je ferai part des préceptes, des leçons orales et du reste de l’enseignement à mes fils, à ceux de mon maître, et aux disciples liés par un engagement et un serment suivant la loi médicale, mais à nul autre.
Je dirigerai le régime des malades à leur avantage, suivant mes forces et mon jugement, et je les écarterai de tout mal et de toute injustice. Je ne remettrai à personne du poison, si on m’en demande, ni ne prendrai l’initiative d’une pareille suggestion ; semblablement, je ne remettrai à aucune femme un pessaire abortif. Je passerai ma vie et j’exercerai mon art dans l’innocence et la pureté. Je ne pratiquerai pas l’opération de la taille, je la laisserai aux gens qui s’en occupent. Dans quelque maison que j’entre, je le ferai pour l’utilité des malades, me préservant de tout méfait volontaire et corrupteur, et surtout de la séduction des femmes et des garçons, libres ou esclaves. Quoi que je voie ou entende dans la société pendant l’exercice ou même hors de l’exercice de ma profession, je tairai ce qui n’a jamais besoin d’être divulgué, regardant la discrétion comme un devoir en pareil cas.
Si je remplis ce serment sans l’enfreindre, qu’il me soit donné de jouir heureusement de la vie et de ma profession, honoré à jamais parmi les hommes ; si je le viole et que je me parjure, puissé-je avoir un sort contraire !
Littré, tome VI, p. 628-633, reproduit par
Laurent Ayache, dans Hippocrate, p. 72-73.
79Dans cet ensemble, l’interdit de l’opération de la taille surprend. L’opération, appelée aussi lithotomie, consistait à inciser la vessie pour en extraire la pierre. On ne sait trop quel était le sens de l’interdiction : confiner le médecin à sa propre expertise, renvoyer les opérations risquées à d’autres (barbier ou chirurgien-barbier) ou interdire toutes les chirurgies ? En dehors de cet élément, tous les préceptes concernent des règles proprement éthiques. On centre souvent le Serment sur la règle du ne pas nuire au point où celle-ci apparaît parfois comme prioritaire, sinon comme unique. En réalité, les exigences sont beaucoup plus larges : bienfaisance, bienveillance, respect de la vie, intégrité et pureté, discrétion et confidentialité, éventuellement collaboration avec les collègues.
Origine du Serment
80L’époque de la composition du Serment fait problème auprès des spécialistes. Les hypothèses vont du VIe siècle avant J.-C. jusqu’au Ier siècle de l’ère chrétienne. Ludwig Edelstein, après une étude très poussée du texte dont on dispose, en arrive à la conclusion qu’il ne peut avoir été composé avant le IVe siècle avant J.-C., parce qu’il révélerait toutes les caractéristiques du pythagorisme tel qu’envisagé à cette époque62. Selon Paul Carrick, l’influence stoïcienne est tout aussi possible. Toujours est-il que les manuscrits que nous possédons datent tout au plus des Xe et XIe siècles, ce qui ne nous assure aucunement de l’authenticité de chaque élément du texte, même si la plupart des auteurs s’entendent pour y voir une influence importante, sinon une composition d’Hippocrate63.
81Plusieurs hypothèses demeurent quant aux intentions et à l’utilisation première de ce manifeste :
il est prêté au sein d’une corporation de médecins de type familial ;
il forme le statut d’une société d’artisans qui s’organisent en secret afin de se distinguer des charlatans et des autres guérisseurs ;
il est simplement l’expression d’un idéal recherché sans référence à un temps ou à un lieu précis.
82La difficulté ici réside dans le fait que, dès le VIe siècle avant J.-C., la société grecque s’ouvre au monde extérieur et que graduellement les corporations de médecins de type familial et de caractère sacré ne peuvent continuer à exercer la profession sous ces modes antiques. Selon le témoignage de Platon, Hippocrate lui-même était prêt à enseigner la médecine moyennant rémunération à quiconque pouvait se l’offrir : ce qui est contraire au Serment64. Autre problème : certains textes de la Collection montrent que plusieurs médecins pratiquent l’avortement, alors que le Serment s’y oppose65. De là à tirer la conclusion que beaucoup de médecins, même de tradition hippocratique, ne connaissent pas le Serment, il n’y a qu’un pas. L’hypothèse la plus vraisemblable reste qu’il s’agit d’un serment prêté avant d’être admis parmi les Asclépiades.
Philosophie du Serment
83L’insistance sur la bienfaisance, liée au silence du Serment sur l’information du malade et partant sur l’exigence du consentement préalable aux soins, a conduit des auteurs récents à voir le Serment comme l’expression d’un paternalisme inacceptable, opposé au droit du patient à déterminer lui-même le bien qu’il recherche dans les soins médicaux. Même si le Serment a sanctionné un tel paternalisme au cours des âges, il n’est pas certain que cette interprétation corresponde exactement à la philosophie du Serment et que le souci du bien du patient exclue la discussion et l’assentiment du patient. À tout le moins, le contexte général de la pratique de la médecine ne justifie pas cette interprétation restrictive66.
84Plus globalement, il serait vain de voir dans le Serment et d’ailleurs dans l’ensemble du Corpus une certaine limitation, au nom d’une morale philosophique ou religieuse, d’un pouvoir technique de la médecine. Il faut y rechercher plutôt une définition de l’art médical. Ainsi, lorsque le médecin promet d’écarter l’injustice, il s’engage à pratiquer l’art médical qui consiste en la recherche de l’harmonie des totalités, non seulement organique, mais aussi politique et même cosmique. Quand le médecin promet de ne pas fournir de poison, cela relève de la définition de la médecine : le médecin, c’est celui qui connaît la mesure (bon dosage) et l’opportunité, c’est-à-dire celui qui sait utiliser le « pharmakon » (terme qui désigne à la fois le poison et le médicament) pour le bénéfice du patient67.
85Enfin, l’éthique du Serment place le critère régulateur de la conduite du médecin, moins dans une morale personnaliste ou humaniste au sens moderne, que dans la recherche de la réputation. De la même façon que chaque élément du corps humain fait partie d’un tout, le médecin fait partie du corps médical et de l’ensemble de la société dont il est solidaire : « Le médecin, en cherchant à rétablir du mieux qu’il peut l’harmonie des corps malades, préserve donc la santé du corps médical qui consiste en son insertion harmonieuse dans la société68. »
86Bref, tout en ayant des ressemblances importantes avec la littérature philosophique contemporaine, notamment pythagoricienne et stoïcienne, le Serment constitue un ensemble unique en son genre. Ses règles éthiques sont beaucoup plus exigeantes que la loi grecque, l’éthique platonicienne ou aristotélicienne, et la pratique commune des médecins. Il concerne tous les aspects de la personnalité et de la vie des soignants. Il implique une conception particulière de l’art médical. Il aura une influence considérable sur les codes d’éthique ou de déontologie médicale postérieurs69.
Panorama général
87En dehors du Serment, les autres écrits du Corpus Hippocraticum et les autres œuvres littéraires de l’époque contiennent des indications d’ordre éthique. Celles-ci constituent un ensemble hétérogène non négligeable.
88On retrouve dans la littérature antique des textes décrivant les qualités d’un bon médecin. Dans les Préceptes de la collection hippocratique, l’auteur écrit : « Où il y a amour de l’être humain, il y a amour de l’art » ; mais dans le reste du Corpus, on recherche en vain quelque préoccupation philanthropique. Scribonius Largus et un auteur anonyme du IIIe siècle ap. J.-C. déclarent que le médecin devrait être disponible pour tous ceux qui lui demandent de l’aide, quelle que soit leur condition sociale. Plus souvent qu’autrement, il semble que le médecin soit motivé par l’amour de l’argent, de l’honneur et de la gloire. Enfin, selon Galien, l’important, qu’on soit médecin ou non, est la compétence dans l’art de guérir70.
89Souvent dans le Corpus Hippocraticum, et chez d’autres auteurs comme Celse (Ie), les médecins sont accusés d’avoir causé du mal, particulièrement lorsque la thérapie n’a pas réussi. Mais Lucien de Samosate (IIe), écrivain grec, met un bémol à cette opinion : « En général, les diffamateurs veulent se rendre crédibles en altérant les vraies qualités de l’homme qu’ils désirent calomnier. Alors, ils insinuent qu’un médecin est un empoisonneur. » On comprend alors que les règles de comportement que l’on retrouve dans divers écrits sont motivées par la préoccupation constante chez le médecin de garder une bonne réputation. Ainsi, dans plusieurs écrits, il est recommandé de révéler seulement ce qui est nécessaire, afin que les non-initiés ne puissent critiquer le traitement. Ce dernier ayant réussi, comme chez Galien à l’égard de l’empereur Marc-Aurèle, on décrit alors en détail les symptômes et le traitement71. Le même motif explique probablement que plusieurs ouvrages recommandent aux médecins de ne pas se charger des cas désespérés.
90Le risque de déconsidération, face à un mauvais diagnostic ou à une thérapie inadéquate, fait même en sorte que les médecins rivalisent souvent d’astuce et même de tromperies. Deux exemples peuvent illustrer ces avancées : 1) pour s’assurer de la collaboration du malade, certains hippocratiques suggèrent d’épater le patient et son entourage en prononçant le diagnostic et le pronostic avant même d’avoir interrogé ou touché le malade ; 2) pour soigner une personne souffrant à l’oreille, on suggère le stratagème suivant :
rouler de la laine autour du doigt, instiller un corps gras chaud, ayant placé la laine dans la paume de la main, placer la main au-dessous de l’oreille de manière que le malade croie qu’il lui sort quelque chose, puis jeter cela dans le feu. Tromperie72.
91Sans aller aussi loin, certains médecins ont tendance à exagérer les vrais dangers afin que la guérison soit spectaculaire et que leur réputation en sorte grandie (Celse et Ménandre).
92D’un point de vue plus positif, certaines règles d’étiquette ou de psychologie élémentaire existent. Un des traités de la collection se consacre au complet au comportement que le médecin doit adopter : propreté personnelle, habit décent, odeur agréable, air grave et humain, geste rassurant, mœurs honnêtes. Dans les maisons privées, le médecin est entouré de la famille et des amis du malade. Il fait appel à ces personnes pour l’aider à l’occasion73.
93Le Serment insiste sur l’interdit des relations sexuelles avec le patient ou la patiente et les membres de sa famille, y compris les esclaves. Il est surprenant que les auteurs anciens ne fassent à peu près pas mention de ce sujet. Même un des auteurs les plus critiques de l’époque à l’égard des médecins, Pline, n’en parle que très brièvement74.
94Le comportement des médecins repose donc, pour une bonne part, sur la prudence, voire sur la précaution, la réserve, l’astuce, la stratégie. Un auteur résume bien la situation :
Je conseille d’être singulièrement réservé tant dans la médecine en général que dans ses prédictions, bien persuadé que, le pronostic réussissant, on serait admiré par un malade intelligent mais que, échouant, on serait, outre la haine, exposé à passer pour fou75.
95Une pratique négligente, incompétente ou criminelle peut-elle encourir les foudres de la loi ? L’opinion traditionnelle chez les historiens veut qu’en Grèce le médecin en tant que tel soit exempt de poursuites, à l’exception du cas d’homicide délibéré. Toutefois, une étude démontre qu’il peut être tenu responsable d’une négligence ou d’une incurie professionnelle76. Dans la loi romaine, un médecin peut être poursuivi en dommages lorsque la victime est un esclave. Mais puisqu’on ne peut pas évaluer pécuniairement la vie d’un homme libre, la responsabilité du médecin se limite alors, le cas échéant, à des compensations pour frais encourus77.
Perspective chrétienne
96Influencés par leur vision anthropologique, les Pères de l’Église considèrent la souffrance et la mort comme des passages obligés vers une réalité supérieure et éternelle. Si les premiers chrétiens, suivant l’exemple de leur Maître, font preuve d’une grande compassion à l’égard des souffrants et des malades, ils se sont en revanche peu intéressés à la médecine, même après l’empereur Constantin et la reconnaissance du christianisme comme religion d’État (313). Galien est théiste sans plus. Avec un certain extrémisme, le moine Jérôme va jusqu’à affirmer que le malade ne devrait pas se faire soigner pour certains maux puisqu’ils sont envoyés par Dieu pour sa purification et son instruction78.
97Dans ces conditions où l’activité médicale semble peu préoccuper les pasteurs chrétiens, il est difficile de parler d’une éthique médicale spécifique aux chrétiens. Mais le christianisme contient un enseignement moral détaillé sur des questions particulières comme la contraception, l’avortement, le suicide, l’euthanasie, explicitant l’interdit biblique fondamental : tu ne tueras pas. Il comporte aussi d’autres indications sur la véracité, la discrétion, la compassion, qui déterminent le rapport à autrui considéré comme un frère. Il s’agit d’une éthique qui s’adresse à tous les chrétiens, voire à tous les humains, mais qui ne rend pas impropre pour autant l’expression d’éthique médicale chrétienne. Et on ne doit pas oublier, par ailleurs, que, compte tenu de l’influence du christianisme à partir du IVe siècle, elle s’avère l’éthique médicale commune.
ÉTHIQUE ET DÉONTOLOGIE INFIRMIÈRES
98Durant toute cette période de l’Antiquité, il est très difficile de parler d’une éthique ou d’une déontologie infirmière. Il n’y a pas d’écrit spécifique sur le sujet. Et surtout il n’y a pas de praticien identifié comme tel. Les « soins infirmiers » sont assurés en grande partie par les femmes, à la maison ou sous l’égide des médecins (eux-mêmes faisant souvent office d’infirmiers ou travaillant avec un esclave infirmier), jusqu’à ce qu’apparaissent les hospices et hôpitaux gérés par des chrétiens ou des chrétiennes au IIIe siècle.
99On peut cependant rappeler certaines données explicites et en dégager d’autres de la pratique quotidienne des divers soignants. Deux courants de pensée sont d’ailleurs perceptibles : laïque et religieux.
Contexte laïque
100On peut imaginer que, pendant des siècles, l’éthique des soignants est celle de la culture ambiante, marquée par les divergences de sensibilités et de théories philosophiques. L’objectif des soignants de toutes catégories, spécialement dans ce que nous avons appelé le courant familial, devait être identique : préserver et maintenir la continuité de la vie humaine, apaiser et soulager la souffrance des êtres humains. On imagine que l’attitude sous-jacente à ces pratiques était tout empreinte de compassion, de sollicitude et, pourquoi pas, d’amour.
101La littérature hippocratique a vraisemblablement exercé son influence ici aussi, d’autant plus que ses écrits traitent également de soins infirmiers. Il y aurait donc lieu de rappeler certains préceptes du Serment : respect de la vie, bienfaisance, confidentialité, pudeur. Au IIe siècle, Soranus exige des sages-femmes qu’elle sachent rassurer leurs patientes et leur exprimer de la sympathie. Il leur demande d’être disciplinées et sobres afin d’être disponibles en tout temps. Il attend encore d’elles discrétion, propreté, absence de cupidité et de superstition79.
Influence chrétienne
102Par contre, la pratique des soins reçoit du christianisme naissant un élan considérable. Alors que la plupart des païens fuient les malades, les chrétiens se font un devoir de les soigner, de les nourrir, de les désaltérer. Le précepte du respect de la vie n’a pas été compris que négativement (ne pas tuer, ne pas mutiler, ne pas faire tort), mais aussi positivement : soigner, panser, accompagner. Et plus largement encore : assurer lit, nourriture, confort, bien-être.
103Le précepte de l’amour du prochain, notamment de l’amour du pauvre, s’est exprimé tout naturellement dans le soin du blessé, du malade, du miséreux, du prisonnier, etc. Rapidement on en vient à thématiser la pratique chrétienne autour des sept œuvres de miséricorde corporelle : nourrir, abreuver, accueillir, vêtir, soigner, visiter, ensevelir les morts. On a signalé précédemment comment l’esprit chrétien a donné naissance à beaucoup d’hospices et d’hôpitaux. L’exemple de Fabiola et d’autres femmes pieuses est déterminant. Ainsi s’est répandue une éthique de la compassion et de la sollicitude, jouxtée à une éthique de la responsabilité allant jusqu’à prendre personnellement en charge le malade et à se former professionnellement pour maîtriser et perfectionner les règles de l’art. Don de Dieu, la vie est sacrée. Temple de l’Esprit, le corps humain appelle le respect quel que soit son état. Image du Christ, chaque malade appelle à une générosité et à un dévouement sans limite. Ce qui est fait à l’un d’eux est considéré comme fait au Christ lui-même.
104La pratique des préceptes de respect de la vie et d’amour du prochain est renforcée par une autre valeur chrétienne voulant que la rédemption de l’âme ne puisse s’obtenir que par les œuvres de miséricorde. L’influence de l’anthropologie chrétienne dualiste avec sa dévalorisation du corps, de la santé et de la vie présente, est renversée par le souci de la poursuite du salut, par la volonté de mériter la vie éternelle grâce à la pratique de l’amour du prochain sous toutes ses formes.
Il faut bien saisir ce que cette pratique nouvelle (porter remède aux misères de l’homme) avait alors de révolutionnaire. L’Antiquité pré-chrétienne ne la connaissait pas, du moins sous cette forme : il n’existait pas d’établissements hospitaliers (sauf ceux organisés pour les soldats de la Rome impériale) ; le soin des malades [...] était considéré comme une œuvre méprisable, indigne d’un homme libre. Aussi lorsque la parole et l’exemple de Jésus reprennent ces gestes modestes et les illuminent par la charité, la situation s’inverse complètement. Désormais, pour tout chrétien, tout homme est un frère, et d’abord celui qui est dans la peine. Dès lors le soin des malades, qui jusque-là n’était que vulgaire occupation d’esclaves, devient pour tout chrétien, homme ou femme, obligation sacrée80.
105Le soin des malades. Cette expression n’avait pas alors le sens technique qu’il a pris par la suite : « À l’origine, il s’agissait d’une action plus simple et plus globale : prendre soin des infirmes, des faibles, des pauvres nécessiteux, et subvenir à l’ensemble de leurs besoins, spirituels autant que matériels81. » À cette époque, aider à faire son salut est tout aussi important, sinon plus, que de redonner la santé. Au septénaire signalé à la page précédente pour caractériser la pratique chrétienne, s’en ajoutait un second, celui des sept œuvres de miséricorde spirituelle : conseiller, corriger, enseigner, consoler, pardonner, supporter, prier. Soigner relève du don de soi et requiert une générosité qui peut être sans limite.
106Pour le reste, l’éthique infirmière renvoie à l’éthique chrétienne générale et également au Serment d’Hippocrate : interdiction de l’euthanasie, du fœticide, de l’avortement, de l’aide au suicide, de la contraception, du mensonge, de la duperie, de la transgression du secret. Toutes questions inspirées par le respect de la dignité humaine.
QUESTIONS ÉTHIQUES PARTICULIÈRES
107À l’intérieur de la perspective générale se posaient, comme aujourd’hui, de multiples questions particulières. Compte tenu de la diversité des anthropologies, des motivations et des intérêts, il n’est pas surprenant qu'elles prêtaient à controverses. Voyons quelques-unes de ces questions.
Confidentialité
108Le Serment affirme l’exigence de respect de la confidentialité et le devoir du secret. Certains commentateurs en voient la source dans un souci corporatiste de protection des médecins. Il semble plutôt, selon Hoerni et Bénézech, qu’il relève du respect de la vie privée ; il protège l’individualisme qui culmine au siècle de Périclès ; il est un corollaire de l’intrusion nécessaire du médecin dans l’intimité des individus et de leur foyer82.
109Sans pouvoir affirmer que ce principe soit tombé en désuétude par la suite, on n’en trouve pas de commentaires explicites dans les siècles suivants. Pour Celse (Ier siècle), un médecin bavard vaut, pour le malade, une seconde maladie. Malgré son admiration pour Hippocrate, Galien (IIe) n’en parle guère. Ni plusieurs autres écrivains contemporains importants. Cicéron (–Ier) en parle une seule fois comme d’un devoir important : « Le médecin doit se taire même s’il lui en coûte. » Comment expliquer ce silence relatif ? Oubli véritable ou exigence évidente ? Il est impossible de savoir avec certitude. Dans l’Antiquité, l’obligation du secret n’a pas d’existence légale, elle est une simple règle déontologique. Le devoir du secret semble aussi relever des règles générales de la vie en société que l’on retrouve même avant, dans la littérature bouddhiste et la littérature médicale indienne83.
110Par ailleurs, l’éthique chrétienne naissante insiste sur le devoir de discrétion et le respect de la confidentialité. On peut imaginer que les soignants chrétiens se soient souciés de cette exigence.
Vérité au malade
111L’obligation d’informer, de dire la vérité au malade afin qu’il puisse donner son consentement en toute connaissance de cause, ne fait pas partie explicite du Serment. On peut la présupposer implicite : le fait d’avoir recours au médecin est un choix qui tient lieu de consentement. Et le patient peut toujours changer de soignant84.
112Ce manque d’information est contrebalancé par le devoir de bienfaisance. Pour Hippocrate, la médecine a pour but de faire du bien aux malades et de les prévenir du mal. Les moyens thérapeutiques étant limités, on comprend que l’auteur insiste sur le devoir négatif : au moins ne pas nuire.
113En dehors du Serment, la littérature ne fournit pas d’indices de consensus. Dans les cas où il n’y a plus d’espoir de guérison, certains textes du Corpus conseillent de ne rien dire. D’autres auteurs sont plutôt d’avis qu’il faut aviser le malade lui-même pour qu’il puisse écrire ses dernières volontés. Du moins faudrait-il avertir la parenté dans les cas où le patient est en danger tout en laissant un certain espoir au malade. Enfin, sans en faire un absolu, Galien déplore le fait que certains médecins font preuve de cruauté lorsqu’il s’agit de dire la vérité aux malades85. Cicéron écrit que l’annonce d’un mal à venir n’est justifiée que lorsqu’un moyen d’y échapper est joint à l’avertissement86.
114De manière générale, le souci de la vérité et de la transparence amène les auteurs chrétiens à condamner toutes formes de mensonge et de duperie. Particulièrement en cas de maladie mortelle, alors que le salut de l’âme est en jeu et que le malade peut avoir besoin de mettre de l’ordre dans ses affaires temporelles et spirituelles.
Contraception
115La littérature médicale de l’Antiquité fait état de plusieurs mesures contraceptives, la plupart issues de croyances folkloriques. Quelques-unes de ces méthodes ont peut-être été efficaces, quoique la limitation des naissances ait été plutôt la conséquence de la pratique abortive et de l'exposition des nouveau-nés87. Toutefois, à certaines époques, craignant une baisse de population, les législateurs menacent occasionnellement les personnes fautives de sanctions officielles. Ainsi, le roi Philippe V de Macédoine (– IIe) interdit la contraception, l’avortement et l’infanticide, bien plus préoccupé par la crainte de voir son pays affaibli militairement que par des scrupules d’ordre moral88.
116Parmi toutes les philosophies de l’Antiquité, le stoïcisme a eu probablement le plus d’impact sur la pensée chrétienne au sujet de la sexualité. Epictète, Sénèque et Marc Aurèle (Ier-IIe) ont éminemment insisté sur le pouvoir de la raison humaine pour régir les émotions afin d’accéder à la paix intérieure. Selon eux, le désir sexuel, tout comme la colère et la peur, est en soi irrationnel, perturbateur et sujet aux excès. Il doit donc être refréné, sinon éliminé. Dans le premier cas, il est bon pour autant qu’il soit au service d’un objectif rationnel, à savoir la procréation. Un stoïcien tel que Plutarque (50-125) affirme conséquemment que l’activité sexuelle ne doit pas s’exercer hors mariage. L’union conjugale est un devoir naturel pour tous à l’exception de ceux voulant consacrer leur vie à la philosophie. Elle demeure le contexte idéal pour développer la maîtrise de soi et une vie vertueuse. Plutarque ajoute que le mariage est l’état par excellence de l’amour érotique et de l’amitié89.
117Le christianisme des premiers siècles a partagé avec les stoïciens ce soupçon face à la passion et la croyance en la primauté de la raison pour diriger la vie morale. Chez les chrétiens de cette époque, on affirme que l’attrait sexuel est bon en soi parce qu’il fait partie de la création, mais qu’il est sérieusement perturbé depuis le péché originel, puisque la passion qui le cause échappe à la raison. Seule la procréation demeure l’explication rationnelle à l’union sexuelle, le christianisme rejoignant ainsi la pensée de la philosophie stoïcienne. Il est donc logique que la pensée chrétienne interdise la contraception, au même titre que l’avortement. Augustin, par exemple, est très ferme pour condamner le recours au rythme biologique de la femme (déjà connu, quoique très imparfaitement) que pratiquaient les manichéens pour empêcher la procréation, laquelle constituait à leurs yeux l’emprisonnement d’une âme spirituelle dans une prison de chair.
Avortement
118Même si on trouve dans le Serment une injonction à ne pas donner de pessaire abortif à une femme, il ne faut pas en déduire que l’avortement était prohibé. De fait, dans l’ensemble, les lois grecque et romaine le permettent. Toutefois, c’est une offense criminelle de l’opérer sans le consentement du père. Sur le plan de l’éthique, la situation est plus diversifiée. Après avoir décrit comment l’union d’un homme et d’une femme devrait générer la descendance la plus saine possible, Socrate souhaite des lois strictes afin d’assurer cet objectif :
[...] on devrait empêcher tout embryon conçu hors des unions reconnues légalement de voir le jour et, en cas contraire, les parents devraient comprendre qu’on ne doit pas le laisser vivre et donc agir en conséquence90.
119De même, Aristote souhaite l’avènement d’une loi déclarant qu’aucun enfant difforme ne puisse vivre. De plus, si un couple a déjà trop d’enfants, il devrait recourir à l’avortement avant que la vie et la raison ne soient apparues. De toute façon, Aristote affirme qu’un fœtus ne devient véritablement humain qu’après une certaine étape de la grossesse, c’est-à-dire lorsqu’advient l’âme rationnelle91.
120Les textes anciens traitant de gynécologie parlent rarement des mesures abortives et de leur moralité. Toutefois, au IIe siècle après J.-C., le médecin Soranus d’Éphèse fait allusion à deux écoles de pensée à ce propos : certains médecins rejettent tout avortement en s’inspirant d’Hippocrate et aussi parce que, selon eux, il est du devoir spécifique du médecin de préserver ce qui a été engendré par la nature ; d’autres vont prescrire des mesures abortives, mais seulement pour des raisons médicales, par exemple lorsque la santé de la mère est compromise, les refusant par contre s’il s’agit de détruire l’embryon conçu dans l’adultère ou pour préserver la beauté féminine (Gynécée, 1,60). Soranus ne tranche pas le débat, quoiqu’il affirme ne pas comprendre les médecins qui s’y opposent quand la santé de la mère est compromise. De plus, il préfère la contraception, prétendant qu’elle est plus sécuritaire92. En résumé, la littérature de l’époque rapporte une certaine éthique anti-avortement, mais il semble bien que les praticiens font régulièrement des avortements et que ces actes ne sont pas sanctionnés socialement ou légalement.
121La morale chrétienne est d’un autre ordre, et plus exigeante93. Un des premiers écrits post-évangéliques de l’Antiquité, la Didachè (Ier), renferme une injonction formelle contre l’avortement et le fœticide : « Tu ne tueras pas le fœtus au moyen de l’avortement ou l’enfant qui vient de naître94. » D’une manière générale, durant les trois siècles suivants, l’enseignement chrétien condamne la contraception et l’avortement, qu’on ne distingue d’ailleurs pas toujours clairement, non seulement parce que ces actes vont à l’encontre d’une des fins essentielles du mariage, la procréation, mais aussi parce qu’ils contreviennent au respect de la vie. L'exposition d’enfant est condamnée au même titre. Il existe pourtant des nuances importantes d’un auteur à l’autre. Au IVe siècle, le concile d’Elvire est très sévère : il excommunie tous ceux qui concourent à un avortement. Mais Augustin d’Hippone, dont l’influence sera considérable, précise que l’avortement ne constitue un homicide au sens strict que lorsque le fœtus est formé, c’est-à-dire doué d’une âme rationnelle, et donc seulement après quelques mois. L’avortement précoce est donc moins grave. L’influence d’Aristote cependant ne se fera vraiment sentir qu’à partir du XIIe siècle.
Abstention et arrêt de traitement
122Le monde grec du Ve siècle avant J.-C., nous l’avons vu précédemment, valorise l’exercice physique, la santé et l’équilibre entre le corps et l’esprit afin d’avoir des citoyens valeureux et utiles. De là à considérer les malades chroniques et les handicapés comme des inférieurs, il n’y a qu’un pas. Il n’est donc pas surprenant que cette philosophie encourage l’abstention ou l’arrêt de traitement à l’égard des personnes gravement atteintes. Platon, par exemple, demande aux médecins de ne pas soigner les gens entièrement minés par la maladie.
123De plus, plusieurs médecins craignent de perdre leur réputation s’ils s’acharnent à soigner un patient irrécupérable95, nous l’avons déjà évoqué. L’idée est claire chez Celse : « Un médecin prudent ne doit pas toucher à ceux qui ne peuvent guérir, de peur de passer pour le meurtrier de celui qui succombe96. » Dans le Corpus Hippocraticum, cependant, on conseille au médecin de ne pas éviter les cas qui semblent difficiles : c’est plutôt la marque d’un charlatan d’esquiver ces problèmes.
Euthanasie
124Un cas particulier est celui des enfants difformes et maladifs. La plupart du temps, ils sont abandonnés à la naissance ou subséquemment si on les considère trop maladifs. Cela cadre bien avec la philosophie mentionnée ci-dessus : selon Platon, leur existence serait un trop lourd fardeau pour la Cité.
125Chez l’adulte, une fois le pronostic établi, qu’arrive-t-il si le malade est condamné ? En d’autres mots, encourage-t-on l’euthanasie97 ? À en croire Platon, Démosthène, Plutarque et le Pseudo-Quintilien, un médecin qui prolonge la vie d’un homme condamné à mourir agit mal. Quant à donner la mort, le problème est plus complexe. Si on se fie au Serment d’Hippocrate, le médecin ne peut donner un médicament mortel. Aretaeus (IIe) est du même avis ; il précise toutefois que, pour respecter les désirs de celui qui demande la mort, il est permis de donner un médicament afin de soulager de trop grandes souffrances. Cependant, pour la plupart des médecins de l’époque — et la loi ne les condamne pas —, il est normal d’aider au suicide d’un patient, excepté s’il s’agit d’un soldat ou d’un esclave. Ludwig Edelstein, grand spécialiste de l’ère hippocratique, écrit à ce sujet : « Tout au cours de l’Antiquité, beaucoup de personnes ont préféré la mort volontaire à une agonie interminable [...]. Plusieurs médecins fournissent à leurs patients les poisons que ces derniers leur demandent. » Ils prétendent alors qu’on ne viole pas l’esprit de l’aphorisme hippocratique « aider ou du moins ne pas nuire ».
Eugénisme
126Le souci de préserver la qualité de l’espèce humaine ou de l’améliorer est sous-jacent à certaines pratiques contraceptives et abortives, comme nous l’avons vu succinctement. Mais il en existe diverses autres manifestations. Les Grecs et les Romains notamment luttent de diverses manières contre les malformations physiques et mentales. La prohibition de l’inceste, qui a donné dans la suite des âges l’interdiction de diverses formes de mariage consanguin, comporte très vraisemblablement une part de volonté eugénique. Il en va de même du souci qu’ont certains auteurs de ne favoriser que les naissances légitimes à l’intérieur du mariage. La mesure la plus draconienne est certainement l'exposition des nouveau-nés mal constitués, à laquelle s’est d’ailleurs opposée l’Église chrétienne naissante. Plus largement, on pourrait évoquer certaines mesures d’hygiène publique. Selon Jean Sutter, « on pourrait citer de nombreux textes de Platon ou de Théognis de Mégare (–VIe) exprimant des idées semblables à celles de l’Eugénique moderne98 ».
Suicide
127Platon rapporte qu’à Athènes le suicidé devait être enterré à l’écart des autres défunts, avec la main coupée et enterrée séparément. Cependant, dans la société antique grecque et romaine, le suicide est généralement accepté et jugé préférable à une trop grande souffrance et au déshonneur99. Toutefois, contrairement à une opinion répandue au XXe siècle, le suicide y est une question mineure, somme toute peu traitée et toute en nuance. Il est d’ailleurs bien davantage une question de liberté — la liberté de vivre ou de mourir dans les circonstances où la raison le justifie — que de désespoir, de dépression ou de découragement100.
128Les philosophes grecs font preuve d’une réelle tolérance envers le suicide : aucune doctrine ne l’approuve ni ne le condamne absolument. On peut cependant distinguer deux courants de pensées. D’un côté, les écoles à tendance spiritualiste ou mystique, comme les pythagoriciens et les platoniciens, dénoncent le suicide comme un acte d’insubordination à l’autorité divine et une sorte de déséquilibre menaçant le bonheur de l’âme dans l’après-vie. Mais ils l’acceptent dans certaines circonstances. D’un autre côté, les philosophes, comme les épicuriens, les cyniques et surtout les stoïciens, admettent le suicide, le justifient, voire le recommandent dans certains cas. Les stoïciens, en particulier, l’ont tenu pour un acte de la plus haute vertu en en faisant non seulement le droit exclusif du sage, mais aussi un devoir du sage envers lui-même quand celui-ci venait à perdre ses raisons de vivre. Certains en ont fait « l’acte philosophique par excellence, en accordant à l’individu la liberté de disposer de sa vie quand ses raisons de vivre sont, non plus contrariées cette fois, mais atteintes au degré suprême », car la vie ne peut plus lui apporter alors rien qui vaille et il risque toujours de déchoir.
129La position d’Aristote se situe à mi-chemin entre les deux précédentes. En général, au nom du devoir civique, du devoir social, il n’approuve pas ceux qui se donnent la mort. Selon lui, une vie vertueuse requiert de la noblesse pour faire face à la mort avec courage plutôt que de quitter cette vie lâchement lorsqu’on est confronté à la souffrance. Toutefois certaines circonstances spéciales — qu’il ne précise pas — peuvent l’excuser. Pour leur part, les disciples d’Hippocrate s’opposent eux aussi au suicide, voire au suicide assisté : nous sommes la possession des dieux et nous pécherions par là contre nos maîtres.
130Les Romains connaissent toutes les doctrines grecques face au suicide, mais ils sont surtout stoïciens. Chacun à sa façon, Cicéron, Sénèque, Épictète, Marc-Aurèle justifie le suicide : dans certaines circonstances — comme une grande souffrance, le déshonneur —, il vaut mieux quitter ce monde avec noblesse plutôt que d’attendre passivement une mort cruelle. La manière de faire est importante. Le suicide est œuvre de raison et de liberté. Aussi n’est-il que l’apanage du sage et n’est-il pas justifié chez les gens du peuple.
131Au tout début de l’Église, les penseurs chrétiens hésitent souvent à condamner le suicide puisqu’ils considèrent parfois le martyre ou le sacrifice de sa vie comme des formes de suicide louables. Ainsi Eusèbe, Ambroise, Jérôme soutiennent-ils par exemple qu’une vierge peut se donner la mort pour éviter d’être violée. Mais Augustin est catégorique, tout en distinguant les situations. Il condamne toute tentative de s’enlever la vie et cela sans exception. Plusieurs pages de La Cité de Dieu y sont consacrées. Face aux persécuteurs, s’il faut avoir le courage d’accepter la mort plutôt que de renier sa foi (vrai martyre), il n’est pas permis d’aller soi-même se livrer spontanément aux persécuteurs, comme certains croyants étaient tentés de faire. Les femmes qu’on vénère pour s’être enlevé la vie plutôt que d’être violées ont agi en toute bonne foi selon leur conscience (sainteté), mais objectivement elles se sont trompées. Les héros de l’Ancien Testament, comme Abraham immolant son fils ou Samson ébranlant les colonnes du temple pour écraser les ennemis et mourant avec eux, sont justifiés parce qu’ils ont agi sous l’inspiration de Dieu. Il n’est pas question de légitimer le suicide pour échapper à de grandes souffrances, il faut plutôt profiter de celles-ci pour grandir spirituellement101.
Expérimentation
132A-t-on connu et pratiqué dans l’Antiquité l’expérimentation sur les humains et les animaux ? Hippocrate écrit : « Toute expérience est incertaine : les traitements qui ont réussi précédemment peuvent bien être inefficaces dans ce cas-ci102. » Par contre, face à des cas désespérés, il est arrivé que des médicaments jamais utilisés ont été prescrits avec succès. Toutefois, les médecins de formation hippocratique craignent les généralisations. La maxime « ne pas nuire » les porte à adapter les traitements aux besoins particuliers et à la condition de leurs patients afin de les guérir. Chez les médecins de formation hippocratique, on peut affirmer qu’en général la recherche médicale consiste à observer le déroulement de la maladie et les effets du traitement, qu’il soit traditionnel ou innovateur.
133Dans le monde romain, Pline l’Ancien (Ier), hostile aux médecins, est d’avis que ceux-ci acquièrent leurs connaissances en profitant de notre état critique pour faire des expériences au détriment de nos vies (Histoire naturelle, 29, 8, 18). Malgré cette opinion, on reconnaît en général les bienfaits d’expériences directes sur les patients pour l’avancement des connaissances médicales. Galien va même jusqu’à suggérer de comparer les effets de plantes médicinales données parallèlement à une personne en pleine santé, à quelqu’un de légèrement malade et au patient très malade. Par contre, à d’autres occasions, il apporte des nuances. Il s’abstiendrait de tester certains remèdes lorsqu’il y en a d’autres dont les effets sont plus connus, car il pourrait mettre en danger la vie des malades. En bref, vu que l’État n’exerce aucun contrôle sur l’expérimentation médicale, le médecin est laissé à sa conscience ou à la crainte d’être accusé de meurtre ou de perdre sa réputation103.
134Préoccupés de préciser la pensée chrétienne sur les questions de leur temps, certains auteurs comme Tertullien et Augustin traitent sommairement de l’expérimentation. Soucieux de condamner toute activité susceptible de causer du mal à quiconque, ils en rejettent la pratique.
Dissection
135Plus ou moins rattachée à l’expérimentation, la question de la dissection ou de la vivisection est l’objet de controverses, surtout lorsqu’elle porte sur les êtres humains, même s’il est loin d’être certain que celle-ci ait été effectivement pratiquée104. Platon, Démostène, Plutarque en parlent pour la condamner. Aristote a recours à la dissection animale. Il aurait disséqué lui-même une cinquantaine d’espèces d’animaux, des abeilles aux éléphants, surtout des taupes et des caméléons, ainsi que des embryons humains105, mais il s’oppose à la dissection des cadavres humains. Il recommande souvent aux étudiants en biologie de pratiquer des dissections ; il donne même des directives pour ce faire. D’un côté, explique-t-il, l’être humain possédant seul une âme raisonnable, étant seul capable de raisonner et de poursuivre le bonheur, rien ne s’oppose à ce qu’il utilise les animaux à son profit, y compris en expérimentant sur eux. D’un autre côté, Aristote s’oppose à la dissection humaine : « Il estime que la mort dénature les organes, leur laissant un air de ressemblance mais non de similitude avec ce qu’ils sont à l’état vivant106. » Celse rapporte le cas des Ptolémées (première moitié du IIIe siècle avant J.-C.) qui auraient permis à des médecins d’Alexandrie la vivisection sur des criminels : il désapprouve cette pratique et traite ces médecins de tueurs qui, au lieu de se préoccuper de la santé des êtres humains, décident de leur mort107. Au IIe siècle, la dissection de cadavres humains est interdite dans l’Empire romain. Pour Galien, expérimenter sur l’animal ne présente aucun problème de conscience, mais, selon lui, il vaut mieux choisir des porcs ou des chèvres parce qu’on évite ainsi de voir l’expression de la souffrance si évidente chez les primates. Lui-même se limite à la dissection animale, mais « suggère à ses élèves des pratiques clandestines allant jusqu’à la profanation des tombes108 ». Le Pseudo-Quintilien présente le cas hypothétique de deux jumeaux atteints de la même maladie mystérieuse dont le père décide la vivisection de l’un afin de découvrir la nature du mal : l’auteur, sous forme de procès, offre à notre analyse les arguments de la poursuite et de la défense109.
136La doctrine chrétienne est elle-même en concordance avec la pensée anthropocentrique ambiante. Critiquant certaines sectes qui s’opposaient à l’abattage des animaux, Augustin au IVe siècle fixe la tradition chrétienne sur la légitimité de l’expérimentation animale.
137En somme, si la dissection effective d’êtres humains demeure très hypothétique dans l’Antiquité, celle des animaux est répandue, ceci, comme l’affirme Galien, afin d’acquérir de nouvelles connaissances ou de vérifier de nouvelles théories110.
Responsabilité sociale
138Enfin, il semble bien que les médecins n’aient pas ce qu’on appellerait aujourd’hui une conscience sociale bien développée. Ils choisissent les malades qu’ils veulent bien traiter. Rapportant le cas du médecin ayant soigné son propre père et refusé le même service à sa belle-mère, Lucien de Samosate (IIe siècle après J.-C.) en déduit qu’on ne peut imposer une telle œuvre enseignée par les dieux aux hommes de science : on devrait plutôt essayer de les persuader et ils devraient eux-mêmes prendre plaisir à venir au chevet du malade. Cette démarche ne devrait pas être asservie à un code de lois111. En résumé, la dimension sociale se retrouve dans la valeur intrinsèque d’un art que le praticien se doit d’exercer le mieux possible. Mais il reste qu’il vend ses services selon son bon vouloir à ceux qui le demandent et qui en défraient les coûts112.
*
139Que retenir à propos de l’éthique médicale et infirmière de cette longue période de treize siècles, où se forge la civilisation occidentale, et où les professions de médecin et d’infirmier-infirmière étaient peu distinctes et peu exclusives l’une de l’autre ?
Tout d’abord, la présence relativement faible de la perspective éthique. Pour la majorité de ceux qui interviennent dans le domaine (charlatans, devins, esclaves, proches, professionnels...) l’exigence éthique est peu importante. Seuls les praticiens du courant hippocratique tranchent et, plus tard, les intervenants inspirés par l’esprit chrétien. Dans les deux cas, on est en présence d’exigences élevées.
L’éthique apparaît principalement comme une affaire privée. Question de conscience personnelle. Tout au plus une affaire d’école à laquelle on se rattache librement. L’État intervient peu.
Elle apparaît aussi principalement comme une affaire de raison. Les dieux, particulièrement présents durant la période homérique, s’estompent par la suite de la pratique officielle pour laisser place au travail de la raison, aussi bien pour comprendre l’organisation et le fonctionnement du corps humain, la nature de la santé et de la maladie que pour déterminer l’éthique des comportements. Même avec l’arrivée de la religion chrétienne, les règles éthiques relèvent surtout de la réflexion sur le respect de la vie, la bienfaisance, la solidarité, le sens de la profession. Elle relève aussi, pour une bonne part, de la réputation de la profession, qu’il ne faut pas entendre de manière trop corporatiste, mais plutôt en rapport avec l’harmonie sociale.
L’éthique professionnelle est tributaire de la culture du temps et des philosophies particulières. Cela est spécialement vrai avec le développement du christianisme, où l’esprit chrétien et les règles morales s’imposeront notamment dans la pratique infirmière. On ne peut être surpris alors de la diversité de pensée et de la multiplicité des controverses d’ordre éthique.
Ce qui frappe enfin, c’est la modernité des questions et du questionnement. Étrangement, on trouve déjà des discussions sur des questions encore d’actualité, et certaines (comme celle concernant l’expérimentation sur l’être humain) sont abordées comme nous le faisons aujourd’hui, par exemple en parlant de groupes témoins.
Notes de bas de page
1 Margaret Oliphant, L'atlas du monde antique, Paris, Solar, 1994.
2 Jochen Martin, La Rome antique, Paris, Bordas (coll. Histoire & Civilisations), 1994 ; M. Michaux et R. Loonbeek, L’Antiquité-Rome, Paris, Casterman (coll. Histoire et Humanités), 1960.
3 Christian Papeians, La Grèce, Bruxelles, Artis-Historia (coll. Arts et Civilisations), 1988.
4 Mario Vegetti, « L’homme et les dieux », dans J.-P. Vernant (dir.), L’homme grec, Paris, Seuil (coll. L’Univers historique), 1993, p. 319-355.
5 Martin, p. 96 ; Michaux et Loonbeek, p. 257-259.
6 John Scheid, « Le prêtre », dans L’homme romain, Paris, Seuil (coll. L’Univers historique), 1992, p. 83-87 ; Michaux et Loonbeek, p. 82-83.
7 La littérature patristique est l’oeuvre des grands auteurs chrétiens, appelés Pères de l’Église.
8 Martin, p. 264-309. C’est au VIe siècle que l’on commence à compter le temps à partir de la naissance du Christ, à la demande du pape, en suivant les calculs du moine Denys le Petit, mathématicien et astrologue. Auparavant, chaque peuple calculait à partir d’une date importante de sa propre histoire. Le nouvel usage fut encouragé par Charlemagne au VIIIe siècle. Mais ce n’est vraiment qu’à partir du XIe qu’il se répand.
9 Jean-Paul Levy, Le pouvoir de guérir. Une histoire de l'idée de maladie, Paris, Odile Jacob, 1991, p. 61 ; Kenneth Walker, Histoire de la médecine, Verviers, Marabout Université, 1962, p. 28-41 et 52-57 ; William H. McNeill, Plagues and Peoples, Garden City (N.Y.), Anchor Press/Doubleday, 1976, p. 100 ; James Longrigg, « Epidemic, Ideas and Classical Athenian Society », dans T. Ranger et P. Slack (dir.), Epidemics and Ideas. Essays on the Historical Perception of Pestilence, Cambridge, Cambridge University Press, 1992, p. 22-23; Frederick F. Cartwright, Disease and History, New York, Thomas Crowel Company (coll. Biddis), 1972, p. 11-14.
10 McNeill, p. 100.
11 Selon Thucydide, les premiers symptômes consistaient en une fièvre subite et très élevée accompagnée d’une inflammation oculaire ; la gorge et la langue prenaient la couleur du feu et la respiration devenait irrégulière et malodorante. Bientôt la douleur atteignait la poitrine, le coeur et s’ensuivait une évacuation de bile. Une soif inextinguible s’emparait du malade qui devenait bientôt insomniaque. Du septième au neuvième jour, la fièvre brûlante emportait la plupart des victimes. Les autres se retrouvaient avec une diarrhée qui pouvait être fatale ou une infection des extrémités (doigts et orteils) dégénérant en nécrose : dans Histoire de la guerre du Péloponnèse, 2e tome, chap. 49, cité par Longrigg, p. 22-23.
12 Voir M. D. Grmek, Diseuses in the Ancient Greek World, Baltimore, The Johns Hopkins University Press, 1989 (éd. amér. 1983), p. 282-283 ; Idem, Les maladies à l’aube de la civilisation occidentale, Paris, Payot, 1983, p. 402-403.
13 Les premiers symptômes sont en tous points semblables à ceux décrits par Thucydide, mais Galien fait allusion à une éruption cutanée, parfois sèche, parfois pustuleuse, apparaissant vers le neuvième jour de la maladie. Mais plusieurs étaient morts auparavant. La présence de pustules a fait croire à plusieurs historiens que ce furent les premiers signes d’une épidémie de variole. Cité par Cartwright, p. 13-14.
14 Marcel Reinhard, André Armengaud et Jacques Dupaquier, Histoire générale de la population mondiale (préface d’Alfred Sauvy), Paris, Montchrestien, 1968 (3e éd.), p. 36-56 ; Don R. Brothwell, « Paleodemography », dans W. Brass (dir.), Biohgical Aspects of Demography, Londres/New York, Taylor & Francis/Bames & Noble, 1971, p. 119.
15 Reinhard et al., p. 36 et suiv. ; la citation de Polybe vient de Histoires, xxxviii, 4.
16 Marie-Françoise Collière, Promouvoir la vie. De la pratique des femmes soignantes aux soins infirmiers, Paris, Inter Éditions, 1982, p. 25-27.
17 Idem, p. 36. Selon Marie-Françoise Collière, on ne s’est pas suffisamment inquiété de comprendre les origines du nursing, c’est-à-dire de ce qui donnera naissance aux pratiques infirmières et plus tard aux « soins infirmiers » et aux « sciences infirmières ». Au point où on est venu à croire que, avant le développement de la médecine, les pratiques de soins des femmes n’avaient jamais existé (Collière, p. 37).
18 Barbara Ehrenreich et Deirdre English, Sorcières, Sages-Femmes et Infirmières. Une histoire des femmes et de la médecine, Montréal, Éd. du remue-ménage (traduit de l’américain par Lorraine Brown et Catherine Germain), 1978 (éd. amér. 1976).
19 Soranus, Gynecology, livre I, cité par M. B. Etziony, The Physicians Creed, Springfield (III.), Charles C. Thomas, 1973, p. 110-111.
20 Walker, p. 27.
21 Robert Flacelière, La vie quotidienne en Grèce au siècle de Périclès, Paris, Hachette, 1976, p. 174-178.
22 Thomas De Koninck, Gilbert Larochelle et André Mineau, « Archéologie de la médecine et de l’éthique », dans Laval Théologique et Philosophique, 55/2 (juin 99), p. 227-245. La citation suivante est de Michael Frede, p. 229.
23 Andrew Wear, « Introduction », dans A. Wear (dir.), Medicine in Society. Historical Essays, Cambridge, Cambridge University Press, 1992, p. 2; Vivian Nutton, « Healers in the Medical Market Place », dans Medicine in Society: Historical Essays, déjà cité, p. 20; Gloria M. Grippando, Nursing Perspectives and Issues, Albany (N.Y.), Delmar Publ., 1977, p. 13; Flacelière, p. 177.
24 Walker, p. 34.
25 Flacelière, p. 178.
26 Walker, p. 50-51 et 59.
27 Patricia Donahue, Nursing the FinestArt. An Illustrated History, Toronto, Mosby, 1985.
28 Josephine A. Dolan, Louise M. Fitzpatrick et E. K. Hermann, Nursing in Society. A Historical Perspective, Philadelphie, W. B. Saunders, 1983 (15e éd.), p. 46-50 ; J.-C. Guy, « La vie religieuse et la santé de l’homme au cours des temps », dans Religieuses dans les professions de la santé, 277/278 (mai-août 1980), p. 240-250.
29 Philippe Meyer et Patrick Triadou, Leçons d’histoire de la pensée médicale, Paris, Odile Jacob (coll. Sciences humaines et sociales en médecine), 1996, p. 26-27 ; Walker, p. 27-31 ; Dolan et al., p. 34.
30 Meyer et Triadou, p. 27.
31 Martin, p. 334.
32 Grippando, p. 46-50.
33 Michael Jameson, « Famine in the Greek World », dans P. Garnsey et C. R. Whittaker (dir.), Trade and Famine in Classical Antiquity, The Cambridge Philological Society, 1983, p. 6-16 ; Peter Garnsey, « Famine in Rome », dans ibidem, p. 56-65 ; Walker, p. 26 et 37.
34 Cartwright, p. 8-10.
35 Idem, p. 10.
36 Meyer et Triadou, p. 25-26 ; Winnie Frohn et Charles Maloney, « Aux sources de la tradition : Hippocrate », dans J. Dufresne, F. Dumont, Y. Martin (dir.), Traité d’anthropologie médicale. L’institution de la santé et de la maladie, Montréal, Presses de l’Université du Québec, Institut québécois de la recherche sur la culture, p. 962-963.
37 Roger Rullière, Abrégé d’histoire de la médecine, Paris, Masson, 1981, p. 5 ; Laurent Ayache, Hippocrate, Paris, PUF (coll. Que sais-je ?, 2660), 1992, p. 18 ; Charles Lichtentaeler, « Égarements dans le labyrinthe hippocratique », dans M. D. Grmek (dir.), Hippocratica (Actes du colloque hippocratique de Paris, sept. 1978), Paris, Éd. CNRS, 1980, p. 347-355; Robert Veatch, « Medical Codes and Oaths », dans W. Reich (dir.), Encyclopedia of Bioethics, Londres, Collier MacMillan, 1995, p. 1419-1427; Meyer et Triadou, p. 31.
38 Meyer et Triadou, p. 42. Voir surtout Philippe Caspar, Penser l’embryon. D’Hippocrate à nos jours, Tournai, Éd. Universitaires, 1991, p. 19-25 ; Idem, « La problématique de l’animation de l’homme : survol historique et enjeux dogmatiques », dans Nouvelle Revue Théologique, 113 (1991), p. 3-24.
À propos du délai de 90 jours pour l’animation du foetus féminin, il y a un certain flottement dans la présentation de la pensée d’Aristote. Dans son Histoire des animaux, liv. VII, 583 b (traduction de Pierre Louis, p. 139), Aristote écrit bien 90 jours, tout en précisant que ce délai n’est pas absolu. Certains auteurs mentionnent plutôt 80 jours : il peut s’agir d’une coquille (comme en convient par exemple Philippe Caspar à propos de la page 7 de son article, mentionné ci-dessus), ou d’une altération faite par analogie avec la Bible (Lév. 12,2-5), qui fixe à 40 et 80 jours le délai de purification de la femme accouchée selon qu’il s’agit d’un nouveauné mâle ou femelle.
39 Owsei Temkin, « Changing Concepts of the Relation of Medicine to Society: In Early History », dans R. J. Durling (dir.), Social Medicine: Its Derivations and Objectives, Leiden, E. J. Brill, 1949, p. 3-6, 54-55 et 112; Jonathan Barnes, « Galen on Logic and Therapy », dans R. J. Durling et F. Kudlein (dir.), Galen's Method of Healing, Leiden, E. J. Brill, 1991, p. 51; Rullière, p. 6-7 et 65.
40 Ayache, p. 12 ; Frohn et Maloney, p. 962-963 ; G. Bratescu, « Éléments archaïques dans la médecine d’Hippocrate », dans La collection hippocratique et son rôle dans l’histoire de la médecine, Leiden, E. J. Brill, 1975, p. 41-49.
41 Meyer et Triadou, p. 26.
42 Jean-Charles Sournia, Histoire de la médecine, Paris, La Découverte (coll. Histoire des sciences), 1992, p. 37-38.
43 Meyer et Triadou, p. 33.
44 Meyer et Triadou, p. 36 ; Levy, p. 61 ; Walker, p. 28-41 et 52-57.
45 De Koninck et al., p. 230.
46 Meyer et Triadou, p. 37.
47 Pour faciliter la compréhension des auteurs anciens, le schéma suivant peut aider. Il est tiré de F. Lebrun, Se soigner autrefois. Médecins, saints et sorciers aux XVIIe et XVIIIe siècles, Paris, 1983, p. 194. Il nous a été fourni par Marc Séguin, du collège de Maisonneuve.
48 Peut-être écrit par Polybe, disciple et gendre d’Hippocrate, selon Meyer et Triadou, p. 32.
49 Frohn et Maloney, p. 964.
50 Ayache, p. 56-62 et 82-85.
51 Frohn et Maloney, p. 965.
52 Ayache, p. 120 ; Frohn et Maloney, p. 963 ; Meyer et Triadou, p. 37.
53 Dolan, p. 34.
54 Meyer et Triadou, p. 44-45.
55 Aristote, cité par Meyer et Triadou, p. 44.
56 Ibidem.
57 Selon Meyer et Triadou, Aristote aurait ainsi adhéré à un certain vitalisme encombrant dans un héritage hippocratique matérialiste, naturel et laïque. Le professeur Othmar Keel nous signale que ce jugement est très réducteur : le vitalisme n’est pas nécessairement encombrant ; et il y a aussi un certain vitalisme chez Hippocrate.
58 Ayache, p. 123.
59 Cité par Collière, p. 39.
60 Jean-François Malherbe, dans G. Durand et J.-F. Malherbe, Vivre avec la souffrance. Repères théologiques, Montréal, Fides (coll. Vie, santé et valeurs), 1992, p. 66.
61 Ludwig Edelstein, Hippocrates the Oath, Chicago, Ares Publishers, 1979, p. 4; Paul Carrick, Medical Ethics in Antiquity: Philosophical Perspectives on Abortion and Euthanasia, Dordrecht, D. Reidel, 1985, p. 70; Edmund Pellegrino, « Ethics », dans JAMA, 275 (juin 1996), p. 1807-1808; Veatch, p. 1419-1434; Nutton, p. 19.
62 Edelstein, p. 7 et 55.
63 En sens contraire, voir Vivian Nutton, p. 19, note 17 (l’auteure se réfère souvent à Edelstein, mais ne partage pas sa thèse sur l’origine du Serment sans toutefois donner des preuves à l’appui.) ; pour Frohn et Maloney (p. 972) : « Les hippocratisants pensent toutefois que le Serment n’était le fait que d’un groupe restreint de médecins, dont Hippocrate luimême ne faisait pas partie. »
64 Nutton, p. 19, note 18.
65 Frohn et Maloney, p. 972.
66 Veatch, p. 1427-1428.
67 Ayache, p. 73-74.
68 Idem, p. 74.
69 On se plaît aujourd'hui à critiquer le Serment, d une part pour son élitisme et son corporatisme, d’autre part pour son manque de considération pour l’autonomie du patient, la justice, le pluralisme éthique et la responsabilité sociale des médecins. Si ces critiques peuvent être pertinentes aujourd’hui, elles ne justifient guère l’anachronisme qui amène à dévaloriser le Serment. Voir l’exposé de la situation par Edmund Pellegrino, déjà cité.
70 Darrel W. Amundsen, « History of Medical Ethics: Antiquity », dans W. Reich (dir.), Encyclopedia of Bioethics, Londres, Collier MacMillan, 1978, p. 930-931.
71 Idem, p. 932.
72 Cité par Frohn et Maloney, p. 970-971.
73 Idem, p. 971.
74 Amundsen [1978], p. 932-933.
75 Le traité « Prorrhétique » II, c. 2, cité par Ayache, p. 117.
76 Darrel W. Amundsen, « The Liability of the Physician in Classical Greek Legal Theory and Practice », dans Journal of the History of Medicine and Allied Sciences, 32 (1977), p. 172-203.
77 Amundsen [1978], p. 936.
78 Idem, p. 938-950.
79 79. Soranus, Gynecology, livre I, cité par Etziony, p. 110-111.
80 J.-C. Guy, p. 238. Cité aussi par Verspieren, voir la note suivante.
81 Patrick Verspieren, « Vie, santé, mort », dans B. Lauret et F. Refoulé (dir.), Initiation à la pratique de la théologie, tome IV : Éthique, Paris, Cerf, 1983, p. 360.
82 Bernard Hoerni et Michel Bénézech, Le secret médical. Confidentialité et discrétion en médecine, Paris, Masson (coll. Médecine et Histoire), 1996, p. 6 ; Raymond Villey, Histoire du secret médical, Paris, Seghers, 1986, p. 8-20.
83 Ibidem.
84 Marie-Hélène Parizeau, Le concept éthique de consentement à l’expérimentation humaine, thèse de doctorat, Université de Paris, Val-de-Marne, 1988, p. 240 ; Villey, p. 934.
85 In Hip. epid., lib.sextum, com 4.
86 De divinatione, 2, 25, 55.
87 La coutume consiste à abandonner sur la place publique le nouveau-né que l’on ne veut pas garder.
88 Albert Jonsen, The Birth of Bioethics, New York/Oxford, Oxford University Press, 1998, p. 296; John T. Noonan, Contraception et mariage. Évolution ou contradiction dans la pensée chrétienne, Paris, Cerf (traduit de l’américain par M. Jossua), 1969 (éd. amér., 1966), p. 17-184 ; Carrick, p. 104-107.
89 Margaret A. Farley, « Sexual Ethics », dans W. Reich (dir.), Encyclopedia of Bioethics, 1995, p. 2365, s’inspirant de Michel Foucault, L’histoire de la sexualité, Paris, Gallimard, vol. 1, 1976.
90 Platon, La République, V, 461e, cité par Jonsen, p. 285.
91 Jonsen, p. 285, citant Aristote, La politique des Athéniens, VII, 16,1335b ; Histoire des animaux, VII, 3,583b ; De anima, 414a-415b.
92 Amundsen [1978], p. 933, citant Soranus d’Ephèse, Gynecology, Baltimore, Johns Hopkins University Press (trad. Owsei Temkin), 1956,1, xix, p. 63.
93 Jonsen, p. 296-297 ; Noonan, p. 116-117.
94 Idem, p. 286, citant La Didachè, trad. James A. Kleist, Westminster, Newman Press, 1948, 2.2, 5.2.
95 Carrick, p. 104-107.
96 Villey, p. 14.
97 Albert Jonsen, p. 262 ; Amundsen [1978], p. 934-935 ; Ludwig Edelstein, dans O. Temkin & C. L. Temkin (dir.), Ancient Medicine: Selected Papers of Ludwig Edelstein, Baltimore, Johns Hopkins University Press, 1967, p. 12.
98 Jean Sutter, L’eugénique. Problèmes, méthodes, résultats, Paris, PUF, 1950, p. 15.
99 Le mot suicide, quoique d’étymologie latine, n’est utilisé qu’à partir du XVIIe siècle, en latin et en français.
100 Yolande Grisé, « L’éthique romaine et le suicide », dans Les suicides (Cahiers de recherche éthique, no 11), Montréal, Fides, 1985, p. 93-114 ; Margaret Battin, art. « Suicide » dans M. Canto-Sperber (dir.), Dictionnaire d’éthique et de philosophie morale, Paris, PUF, 1996, p. 1485.
101 Augustin, La Cité de Dieu, liv. I, ch. 16-28. Voir Andrü Krawchuk, « La tradition Judéo-chrétienne et le suicide », dans Les suicides, p. 115-119 ; Jonsen, p. 262.
102 Jonsen, p. 125, citant Hippocrate, Aphorismes, I, dans W. H. S. Jones (trad.), Hippocrates with an English Translation, Cambridge (Mass.), Harvard University Press, 1959, p. 99.
103 Amundsen [1978], p. 936.
104 Meyer et Triadou précisent que s’il y a eu des dissections de corps humains, morts ou vivants, durant l’Antiquité, ce ne fut que durant une courte période de cinquante ans, sous les Ptolémées, au IIIe siècle avant J.-C. (p. 43).
105 M. Clagett, Greek Science in Antiquity, New York, Abelard-Schuman, 1995; Anthony Preus, Science and Philosophy in Aristotle’s Biological Works, Hildesheim, George Olms Verlag, 1975 » p. 41-42.
106 Meyer et Triadou, p. 43, citant Aristote.
107 Jonsen, p. 126, citant Celse, De Medicina, proemium, 23-27 et 40-44, dans W. G. Spencer, Celsus De Medicina with an English Translation, Cambridge (Mass.), Harvard University Press, 1960, vol. 1, p. 15,23.
108 Meyer et Triadou, p. 43.
109 Amundsen [1978], p. 935-936.
110 Idem, p. 935-936.
111 Idem, p. 936, citant Lucien de Samosate, Le déshérité, p. 23.
112 Idem, p. 937.
Notes de fin
1 Pour les fins de ce volume, cette période s’étend du VIIIe siècle avant Jésus-Christ jusqu’à la fin de l’empire romain d’Occident, au Ve siècle (476).
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