Avant-propos
p. 11-15
Texte intégral
1Le questionnement éthique est aussi vieux que l’humanité. Dès que l'animal s’est détaché de la nature, s’est posé à lui le problème des choix à faire, la question de l’usage de la liberté. Dès que l'homo sapiens est apparu, a surgi la question de la fin, de la visée, des moyens, etc. Que doit-on faire ? Tout ce qui est possible est-il légitime ? Quelles normes suivre ? Quels critères se donner ? Sur quels fondements bâtir ?
2Le champ de la santé, de la vie et de la mort, de la maladie et de la souffrance, ne fait pas exception. De tout temps, la pratique des soins a suscité des questions éthiques. Inextricablement mêlée à l’application des connaissances, au développement des techniques médicales et infirmières, s’est posée la question des choix éthiques. Questions pratiques, questions théoriques, les deux plans coexistent.
3Les Grecs, à l’origine de la culture occidentale, faisaient déjà de l’éthique médicale et infirmière un sujet important de réflexion. Hippocrate et Aristote restent des monuments incontournables pour comprendre notre monde. Ainsi en est-il de leurs successeurs au cours des siècles : Galien, Hildegarde de Bingen, Maimonide, Descartes, Claude Bernard, Thomas Percival, Florence Nightingale, Henri Dunant, etc. Utiles pour comprendre le passé, leurs apports s’avèrent aussi une source de richesse pour aujourd’hui et demain. Héritage et projet : deux éléments à conjuguer ensemble.
4Histoire. Ce livre s’est donné pour but de présenter la réflexion éthique dans le monde de la santé en Occident depuis l’Antiquité jusqu’aux années 1960, alors que le surgissement de la bioéthique (le nom et surtout la « discipline ») est venu changer considérablement le paysage et la problématique. Quoiqu’il s’intéresse à tout l’Occident, l’ouvrage se concentrera graduellement pour les siècles récents sur la France, l’Angleterre, l’Amérique du Nord, le Québec.
5Éthique. Le mot est entendu ici dans un sens large. Il n’est pas vraiment distingué de morale. Au fond, il veut désigner l’ensemble de la réflexion éthique concernant le monde de la santé, que celle-ci soit de l’ordre du questionnement ou du contenu normatif, que celle-ci vienne des milieux philosophiques, religieux, médicaux ou corporatifs et juridiques. Dans la déontologie, y compris dans les codes de déontologie des diverses corporations, quoique de manière plus limitée, il y a en effet une part d’éthique. Celle-ci mérite qu’on s’y intéresse. Les codes de déontologie sont souvent appliqués comme des « recettes » ; ils n’en constituent pas moins des acquis de civilisation et peuvent servir de tremplin pour une réflexion plus approfondie. Les diverses législations comportent aussi une part d’éthique qui ne doit pas être négligée. Part parfois minimale ; d’autres fois, exigeante et interpellante.
6Éthique infirmière. L’expression « éthique infirmière » n’existait pas dans les temps anciens. Pas plus d’ailleurs que la profession d’infirmière. Et pourtant, il y avait des soignantes ; et elles étaient animées par une éthique. Voulant faire l’histoire de l’éthique infirmière en Occident, nous n’aurions donc pas eu raison de commencer au XIXe siècle, ni d’avoir peur des mots. À notre avis, ce qui prépare une institution entre aussi dans son histoire.
7Éthique médicale et infirmière. Même si ces deux professions sont habituées à travailler côte à côte (à l’origine on ne les distinguait d’ailleurs pas toujours), il est rare que les deux adjectifs se côtoient par rapport au mot « éthique ». Pourtant, y a-t-il logiquement parenté plus naturelle ? Ce livre vise donc à traiter les deux histoires ensemble, en parallèle, en interrelation. Intuitionnant qu’il dévoilera des oppositions scandaleuses, mais aussi des complémentarités riches d’avenir. Cependant, si l’histoire de la pensée, des faits et de l’éthique médicale est amplement écrite et connue, il n’en va pas de même de l’histoire infirmière : pour connaître celle-ci, il faut décoder les pratiques populaires, l’histoire des femmes, les courants dits hérétiques, etc.
8Histoire contextuelle. La réflexion éthique est tributaire, pour une bonne part, des circonstances, des possibilités techno-scientifiques, des visions existentielles, bref, de la culture. D’un côté, en effet, les idéologies, les croyances, les options philosophiques influencent l’éthique. D’un autre côté, les découvertes techno-scientifiques entraînent souvent une modification du questionnement éthique, sans compter l’apparition de nouvelles questions. Aussi ce livre s’efforcera-t-il de situer l’histoire de l’éthique dans son contexte culturel. À chaque période de l’histoire seront donc présentés les grandes découvertes et les grands noms (les figures de proue) du monde de la santé. Bien plus, l’attention portera sur le contexte anthropologique : conception de la médecine et des soins, conception du corps humain et de la santé, de la vie et de la mort. Ce contexte anthropologique établit souvent le lien entre le développement techno-scientifique et l’éthique. Enfin, pour aider les lecteurs non spécialistes de l’histoire, chaque chapitre (qui délimite une période) commencera par une description succincte d’ordre politico-socio-culturel. Nous avons pensé que les lecteurs auront autant de plaisir que nous en avons eu à le décrire, à situer le développement de l’éthique et l’évolution des soins médicaux et infirmiers dans son contexte culturel.
9À la suite de ces remarques, le plan du présent ouvrage se dessine donc de lui-même d’une manière toute conventionnelle.
10Il comprend six chapitres :
l’Antiquité (du VIIIe s. av. J.-C. au Ve s. ap. J.-C.) ;
le Moyen Âge (du Ve au XVe s.) ;
la Renaissance (XVe et XVIe s.) ;
le début des Temps modernes (XVIIe et XVIIIe s.) ;
l’ère industrielle (de la fin du XVIIIe s. à la fin du XIXe s.) ;
l’époque contemporaine (la première moitié du XXe s.).
11Chaque chapitre se subdivise en huit parties :
introduction socioculturelle ;
situation sanitaire ;
organisation de la médecine et des soins ;
développement des connaissances et des techniques ;
anthropologie médicale ;
éthique et déontologie médicales ;
éthique et déontologie infirmières ;
questions éthiques particulières.
12Les limites des époques sont difficiles à fixer. Même les historiens ne s’entendent pas toujours entre eux. De plus, l’évolution de la médecine et des soins ainsi que de l’éthique correspondante ne suit pas toujours celle de la politique. Enfin, l’influence d’un grand personnage ou d’un fait important peut ne se faire sentir que plusieurs décennies plus tard. Malgré ces difficultés, pour faciliter la compréhension nous avons choisi de suivre globalement les limites classiques des époques.
13Éthique contextuelle, histoire de l’éthique, il s’agit naturellement d’une œuvre de synthèse. Bien des détails sont donc laissés de côté. Bien des anecdotes sont rapportées à titre indicatif. Les références permettent de compléter les connaissances de qui voudra bien approfondir. Quoique substantiel, il s’agit enfin d’un livre de vulgarisation. Les auteurs n’ont pas toujours consulté les sources premières, surtout pour les périodes anciennes, se contentant de profiter du travail déjà fait par les historiens de métier, signalant au passage les désaccords perçus. Pour simplifier, on a souvent regroupé les références plutôt que d’alourdir chaque phrase d’un renvoi en bas de page. Le système de références est organisé par chapitre : la première référence à une œuvre y étant complète, les suivantes succinctes. Les noms des auteurs d’une époque analysée ont été mis en petites capitales lors de leur première apparition dans le texte ou lorsqu’il s’agissait d’insister sur leur importance, et cela afin de les distinguer de ceux des historiens contemporains qui ont parlé d’eux. La traduction des textes accessibles uniquement en anglais relève de notre responsabilité. De même, les tableaux et encadrés non signés sont de notre composition.
14Signalons enfin que, même si chacun des quatre signataires s’est occupé en particulier de certains dossiers, le travail collectif de structuration et de précision est tel que l’œuvre est vraiment commune.
LEXIQUE
Paradigme
Depuis quelques années, le mot paradigme est employé pour désigner un modèle d'organisation de la pensée et de la pratique, comme on parle du « modèle québécois » pour indiquer la façon dont le Québec entrevoit, gère et justifie son économie depuis les années 1960. Un paradigme renvoie donc à une façon de penser, justifier et vivre une certaine réalité. Ainsi, le paradigme médical des années 1980 n’est plus celui des années1950.
Anthropologie
On distingue généralement l’anthropologie culturelle de l’anthropologie philosophique. La première renvoie à la description des diverses cultures, notamment des cultures dites primitives : mœurs, paramètres physiques des personnes, façon de penser, etc. La seconde désigne la conception qu’on a de l’être humain, sa définition, sa nature. L’anthropologie médicale désigne donc la façon dont on conçoit la médecine, la santé, la maladie, la mort... chez telle personne ou à telle période, conception qui a une influence plus ou moins avouée sur la pratique.
Empirique
Le mot implique toujours un souci extrême des faits, par opposition aux théories plus ou moins décollées de la réalité. Il accepte des sens multiples, à partir d’un sens populaire jusqu’à une théorie philosophique spécifique.
Dans l’histoire de la médecine et des soins, le mot désigne d’abord une approche de la réalité (santé, maladie, thérapie) collée sur l’observation des faits concrets. Par exemple, la médecine d’Hippocrate. Plus tard, on a désigné sous le nom d’empiriques les soignants qui n’avaient pas de formation universitaire ou, plus largement, pas de formation reconnue. Au XIXe siècle, le mot est accolé à la méthode anatomo-clinique, à savoir à une méthode rigoureuse d’observation et de contrôle des faits.
En philosophie, l’empirisme désigne un système de pensée qui s’appuie exclusivement sur l’expérience et l’observation, refusant tout appel à une théorie ou à une transcendance.
Vitalisme
Le mot désigne, de manière générale, une théorie d’après laquelle les phénomènes vitaux, notamment humains, sont irréductibles aux phénomènes physicochimiques. L’éventail va de ceux qui font intervenir un souffle, un esprit, une âme jusqu’à une cause transcendante, qui elle-même peut être de diverses natures.
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Enjeux éthiques et technologies biomédicales
Contribution à la recherche en bioéthique
Jocelyne Saint-Arnaud
1999
Histoire de l’éthique médicale et infirmière
Contexte socioculturel et scientifique
Guy Durand, Andrée Duplantie, Yvon Laroche et al.
2000
L’avènement de la médecine clinique moderne en Europe
1750-1815 : politiques, institutions et savoirs
Othmar Keel
2001
Les sciences infirmières
Genèse d’une discipline
Yolande Cohen, Jacinthe Pepin, Esther Lamontagne et al. (dir.)
2002
Partir du bas de l’échelle
Des pistes pour atteindre l’égalité sociale en matière de santé
Ginette Paquet
2005
Enseignement et recherche en santé publique
L’exemple de la Faculté de médecine et de l’École d’hygiène de l’Université de Montréal (1911-2006)
Benoît Gaumer, Georges Desrosiers et Jean-Claude Dionne
2007