Annexe 1. Recherche sur le rôle du jeu dans la vie de l’enfant ayant une déficience physique1
p. 161-171
Texte intégral
1Une recherche d’élaboration, utilisant des données qualitatives, est à la base du modèle ludique présenté dans cet ouvrage. La cueillette et l’analyse des données se sont échelonnées de l’été 1990 au printemps 1991 ; des entrevues ont été réalisées à Montréal, Québec et Rouyn-Noranda. Nous présenterons d’abord un aperçu général du projet de recherche, puis nous donnerons des précisions sur la méthodologie utilisée pour le mener à bien.
Aperçu général
2Le tableau 7 donne, de façon schématique, une vue générale sur cette recherche.
3Pour répondre à la première question — le jeu est-il ou non présent dans la vie l’enfant ayant une déficience physique ? — nous avons pensé que les personnes les plus aptes à donner un avis éclairé étaient les parents d’enfants ayant une déficience physique. Des adultes présentant une déficience physique ont également été interviewés ; à cause de leur expérience de vie, ces personnes étaient susceptibles de fournir des informations des plus pertinentes en nous communiquant leur opinion tant en regard de la première que de la deuxième question. Pour savoir comment le jeu était utilisé en ergothérapie, des ergothérapeutes travaillant auprès d’une clientèle infantile ont aussi été interviewées. Ces trois groupes de participants ont été sélectionnés parce que nous voyions en eux des experts en regard des questions à l’étude ; ils pouvaient donc nous aider à mieux comprendre le phénomène étudié.
4L’objectif ultime de la recherche était d’élaborer un nouveau modèle de pratique en ergothérapie, basé sur le jeu. L’interrogation sous-jacente à ce nouveau modèle de pratique était la suivante : compte tenu de l’objet même de notre profession, de sa philosophie, pourrait-on faire plus et mieux pour la clientèle infantile, en découvrant la richesse jusqu’ici peu exploitée que recèle le jeu comme modalité thérapeutique ?
Méthodologie
5Comme l’objet de la démarche était de pousser plus avant notre compréhension du phénomène du jeu chez l’enfant ayant une déficience physique et de mettre en avant des hypothèses quant à son utilisation en ergothérapie, une recherche qualitative a été utilisée. À partir des opinions des participants, de la signification qu’ils donnent au phénomène à l’étude, une telle méthodologie permet de procéder à une analyse inductive et de dégager les thèmes qui caractérisent ce phénomène (Glaser, 1978 ; Strauss et Corbin, 1990).
Participants
6Dans chaque catégorie (parents, adultes et ergothérapeutes), les participants présentent une grande hétérogénéité entre eux ; pareille hétérogénéité est d’ailleurs ce que l’on recherche afin de maximiser la diversité des participants, nous assurant alors que les thèmes dégagés sont caractéristiques du phénomène à l’étude et non tributaires d’éléments communs aux participants.
7Diverses sources ont permis de recruter les personnes les plus intéressantes pour nous ; un échantillonnage nominatif a été utilisé. Ainsi, les noms des parents ont été fournis soit par l’Association de la paralysie cérébrale du Québec, soit par des ergothérapeutes. L’Association a également proposé certains adultes susceptibles d’être intéressés par l’objet de l’étude et les premiers adultes interviewés ont suggéré d’autres noms. Enfin, les ergothérapeutes ont été recrutés dans deux services d’ergothérapie, l’un à Montréal, l’autre à Québec. Tous ceux qui ont été pressentis pour participer à la recherche devaient être intéressés par le sujet et disponibles pour une entrevue de deux heures environ.
8Les tableaux 8, 9 et 10 présentent les caractéristiques propres à chaque participant, dans chacune des trois catégories.
9Le tableau 8 présente l’information concernant les parents ou, plus spécifiquement, les mères interviewées ; en effet, bien que l’intention initiale ait été d’obtenir l’opinion des deux parents, il n’a pas été possible d’amener les pères à participer à cette démarche (voir nos commentaires là-dessus, au chapitre 2). Les sept mères avaient chacune un enfant atteint de paralysie cérébrale ; les enfants étaient âgés de 15 mois à huit ans. Trois d’entre elles demeuraient à Montréal et les quatre autres, en région éloignée des grands centres urbains. Les rencontres ont eu lieu à leur domicile, en présence de l’enfant.
10Les caractéristiques des participants adultes ayant une limitation physique chronique sont présentées au tableau 9. Deux autres participants ont été interviewés, mais les entrevues que nous avions eues avec eux n’ont pu être utilisées : atteints d’une maladie dégénérative, leur façon de voir les choses reposait sur une dynamique tout à fait différente de celle des autres et plus susceptible d’aider à comprendre l’enfant présentant une maladie dégénérative que l’enfant ayant une déficience physique chronique. Les participants résidaient à Montréal et ont été interviewés soit sur leur lieu de travail, soit à leur domicile.
tableau 8. Caractéristiques des participants : parents
participants (âge) | caractéristiques familiales | condition de l’enfant |
Mère # 1 (de 40 à 50 ans) | conjoint présent fils de 16 ans | quadriplégie spastique ; fauteuil roulant ; non verbal |
Mère # 2 (de 20 à 30 ans) | conjoint présent fils de 6 ans | quadriplégie spastique |
Mère # 3 (de 50 à 60 ans) | conjoint présent | quadriplégie spastique ; fauteuil roulant ; tableau de communication |
Mère # 4 (de 40 à 50 ans) | conjoint absent depuis 4 ans fille de 11 ans | quadriplégie spastique ; verbal ; problèmes visuels ; apprentissage pour fauteuil roulant électrique |
Mère # 5 (de 20 à 30 ans) | conjoint présent fille de 7 ans | encéphalopathie dystonique ; non verbal ; fauteuil roulant |
Mère # 6 (de 20 à 30 ans) | conjoint présent | encéphalopathie herpétique |
Mère # 7 (de 20 à 30 ans) | conjoint présent fils de 2 ans | quadriplégie spastique ; non verbal |
11Le tableau 10 présente les informations concernant les ergothérapeutes interviewées.
tableau 9. Caractéristiques des participants : adultes
PARTICIPANTS | SEXE | ÂGE | CONDITION PHYSIQUE |
Adulte # 1 | M | 43 ans | paralysie cérébrale ; ambulatoire |
Adulte # 2 | F | 27 ans | ostéogenèse imparfaite ; fauteuil roulant |
Adulte #3 | F | 29 ans | paralysie cérébrale ; fauteuil roulant |
Adulte #4 | F | 32 ans | paralysie cérébrale ; fauteuil roulant |
Adulte # 5 | F | 44 ans | paralysie cérébrale ; ambulatoire |
Adulte #6 | F | 50 ans | malformations congénitales aux membres supérieurs ; utilisation fonctionnelle des pieds |
tableau 10. Caractéristiques des participants : ergothérapeutes
PARTICIPANTS | ANNÉES D’EXPÉRIENCE | CLIENTÈLE (âge et type) | LIEU D’EXERCICE |
Ergo # 1 | 5 | 0-5 ans : IMOC* | centre de réadaptation |
Ergo#2 | 11 | 0-5 ans : IMOC | centre de réadaptation |
Ergo # 3 | 6 | 0-5 ans : IMOC grave | centre de réadaptation |
Ergo # 4 | 13 | 3-6 ans : IMOC | centre de réadaptation |
Ergo # 5 | 15 | 0-6 ans : IMOC grave | centre de réadaptation |
Ergo # 6 | 26 | 0-5 ans : IMOC | centre de réadaptation |
Ergo # 7 | 26 | 0-5 ans : retard de développement | centre de réadaptation |
Ergo # 8 | 11 | 0-6 ans : retard de développement | centre de réadaptation |
Ergo # 9 | 3 | 0-12 ans : maladies neuro-musculaires et IMOC | centre de réadaptation |
Ergo# 10 | 7 | 0-6 ans ; spina bifida et IMOC | centre de réadaptation |
Ergo # 11 | 9 | 0-5 ans : retard de développement | centre de réadaptation |
Ergo# 12 | 4 | 0-21 ans : IMOC | école spécialisée |
Ergo# 13 | 9 | 0-21 ans : IMOC | école spécialisée |
12Leur expérience clinique variait de trois à 26 ans. Sur les 13 ergothérapeutes, sept travaillaient à Montréal et six à Québec. Elles étaient toutes de sexe féminin et sept d’entre elles avaient un ou plusieurs enfants. Deux d’entre elles offraient leurs services professionnels en milieu scolaire spécialisé, alors que les 11 autres travaillaient dans un centre de réadaptation. Elles ont été interviewées dans leur milieu de travail.
Cueillette de données
13Les principales données ont été recueillies au cours d’entrevues menées dans le milieu de vie naturel du participant : domicile ou lieu de travail. De plus, la méthode de l’observation participante a été utilisée au centre de stimulation précoce de l’Association de la paralysie cérébrale de Montréal et au service d’ergothérapie du Centre Cardinal-Villeneuve, à Québec. Enfin, nous avons tenu un journal de bord pendant toute la durée du projet.
Entrevues
14Les entrevues étaient enregistrées sur magnétophone, transcrites mot à mot grâce à un traitement de texte, puis converties pour être analysées à l’aide de 1’« Ethnograph 5 » (Seidel, Kjolseth et Seymour, 1985), qui est un logiciel informatique conçu pour faciliter l’aspect mécanique de l’analyse de contenu.
tableau 12. Entrevue avec les parents d’enfants ayant une déficience physique
commentaires des parents quant à la présence du jeu et du plaisir dans la vie quotidienne de l’enfant |
commentaires des parents quant à l’expression des émotions par leur enfant |
définition du jeu par les parents Qu’est-ce que le jeu pour vous ? La même définition s’applique-t-elle à votre enfant ? |
commentaires des parents quant au plaisir dans leur vie avec l’enfant |
tableau 13. Entrevue avec les adultes ayant une déficience physique
comment être fonctionnel à l’âge adulte |
quelle aide doit-on apporter à l’enfant qui a une déficience physique ? |
suggestions pour améliorer nos services |
tableau 14. Entrevue avec les ergothérapeutes
le jeu dans la pratique ergothérapique |
définition du jeu |
l’objectif de l’intervention ergothérapique |
le jeu dans le travail avec les parents |
15Pour chaque groupe de participants, les questions clés destinées à lancer l’entrevue sont présentées aux tableaux 12,13 et 14 ; ces questions étaient ouvertes afin de laisser le plus de latitude possible aux participants. Tout au long du processus, les données recueillies dans les entrevues précédentes influençaient la cueillette des données ultérieures, ce qui s’est traduit par l’ajout de nouvelles questions ou de précisions apportées à certaines autres.
16Les entrevues se sont poursuivies tant et aussi longtemps que de nouveaux éléments relatifs au jeu furent ajoutés. Après sept entrevues avec les mères, cette saturation théorique (Strauss et Corbin, 1990) fut atteinte. Chez les adultes, il a fallu six entrevues pour atteindre la saturation théorique, alors qu’avec les ergothérapeutes treize entrevues ont été nécessaires.
Observation participante
17L’observation participante a eu lieu principalement au centre de stimulation précoce de l’APCQ OÙ les enfants allaient passer des demi-journées. L’observation participante s’est effectuée à cinq reprises, à raison de trois heures chaque fois, parfois le matin, parfois l’après-midi, lors des activités normales du centre. Il était alors possible d’observer les réactions de l’enfant aux objets, aux gens, adultes et autres enfants, et également l’expression de ses sentiments ; cette observation permettait de valider l’information recueillie durant les entrevues avec les mères. De plus, l’observation participante s’est effectuée à quatre reprises, lors de séances de thérapie dans un des deux services d’ergothérapie qui collaboraient avec nous.
Journal de bord
18Nous avons tenu un journal de bord pendant toute la durée du projet pour consigner les idées ou réflexions personnelles suscitées par le contact avec les participants, également des observations, des hypothèses et des réactions personnelles à des lectures sur le sujet. Tout en permettant de suivre la progression de la recherche, le journal de bord nous aidait aussi à structurer notre analyse réflexive tout au long de la recherche. Ces notes ont été elles aussi converties pour être analysées à l’aide de l’« Ethnograph ».
Analyse des données
19Dans ce type de recherche, l’analyse des données n’est pas une phase en soi, séparée de celle de la cueillette des données, mais elle s’effectue de façon concomitante (Tesch, 1990).
20Dès la première entrevue, les données brutes ont été transcrites et converties dans un micro-ordinateur pour être analysées à l’aide de l’« Ethnograph ». Ce logiciel facilite l’aspect mécanique de l’analyse de contenu ; il permet de numéroter chaque ligne du fichier. À partir de la lecture et de la relecture de la version numérique de la transcription, des segments du texte sont repérés grâce à un ou à plusieurs mots servant de codes. Cette codification doit être révisée et modifiée au besoin au fur et à mesure que l’analyse se raffine. Pour chaque portion de l’étude (parents, adultes, ergothérapeutes), plus de trois versions de codes ont été successivement mises en place. À titre d’exemple, à la deuxième entrevue avec une mère, celle-ci a parlé du jeu accessible qui est devenu un nouveau code, étant donné que celui-si était absent à la première entrevue. Également, après avoir examiné et comparé les codes utilisés, certains d’entre eux ont été modifiés. Cette révision des codes à l’intérieur des fichiers des différents participants est très importante et demande un retour fréquent aux données brutes afin de s’assurer que la codification correspond toujours au contexte d’origine.
21Une fois la codification terminée, l’analyse comparative continue permet d’identifier des catégories en émergence et de dégager des thèmes caractéristiques du phénomène étudié. La figure 2 (Influence mutuelle entre la mère et l’enfant, en regard du plaisir), présentée au chapitre 2, découle de l’analyse approfondie et de la comparaison des fichiers individuels de chaque mère et illustre diverses catégories qui ont émergé et mené au thème du plaisir mère-enfant.
22Au cours de l’analyse des données, les résultats ont été testés à partir de la recension bibliographique et avec des personnes qui étaient en rapport étroit avec les participants. En regard des parents, ces personnes étaient le directeur du centre de stimulation précoce et une personne de l’apcq, responsable des services offerts aux parents pour la région de Québec. En regard des ergothérapeutes, la directrice d’un des deux services d’ergothérapie a pu corroborer l’information recueillie. De plus, deux vérificateurs externes possédant une expertise en recherche qualitative ont participé à l’analyse des données.
23Dans toute recherche, on fait appel à diverses stratégies pour assurer toute la rigueur nécessaire à la démarche. Nous avons utilisé les stratégies suivantes : l’échantillonnage nominatif des participants, l’échantillonnage temporel de l’observation participante, l’analyse réflexive, la triangulation des méthodes de cueillette de données, la triangulation des sources de données et la consultation de vérificateurs externes au cours de l’analyse des données (voir Krefting, 1991, pour plus de détails sur ces stratégies).
24En conclusion, j’aimerais faire un commentaire quant à la recherche qualitative utilisée dans cette étude. En y regardant de plus près, il m’apparaît que la démarche suivie s’apparente fort à la démarche thérapeutique privilégiée en ergothérapie. Partant d’une approche holistique du sujet d’investigation, les participants eux-mêmes ont fourni la clé pour dégager les éléments caractéristiques du phénomène étudié. Il s’agit d’une démarche centrée sur le participant et qui permet d’obtenir non pas une compréhension objective et comptabilisée du phénomène, mais bien une compréhension, dirions-nous, de l’intérieur. Dans ce type de recherche, on met l’accent sur l’expérience et le savoir des participants pour nous aider à mieux comprendre ce qui les concerne. Il n’est pas étonnant que la recherche utilisant une approche qualitative soit de plus en plus employée en ergothérapie.
Bibliographie
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Réréfrences
Glaser, B.G. (1978). Theoretical sensitivity — Advances in the methodology of grandet theory. Mill Valey: The Sociology Press.
10.5014/ajot.45.3.214 :Krefting, L. (1991). Rigor in qualitative research: The assesment of trustworthiness. American Journal of Occupational Therapy, 45, 214-222.
Seidel, J.V., Kjolseth, R. et Seymour, E. (1985). The Ethnograph. Littleton: Qualis Research Associates.
Strauss, A.L. et Corbin, J. (1990). Basics of qualitative research: Grounded theory procedures and technics. Beverly Hills: Sage Publications Inc.
Tesch, R. (1990). Qualitative research — Analysis types and software tools. London: The Falmer Press.
Notes de bas de page
1 Cette recherche a été subventionnée par l’Association de la paralysie cérébrale du Québec (apcq).
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