6. Le modèle ludique et les parents
p. 141-155
Texte intégral
Deux facteurs semblent cruciaux pour assurer une interaction parents-professionnels efficace : la communication et le respect.
Schulz, 1985
1Depuis qu’a paru la dernière édition du Modèle ludique (1998), un ouvrage destiné aux parents des enfants ayant une déficience physique ou intellectuelle et s’inscrivant dans la philosophie de ce modèle a été publié (Ferland, 2001a). Le présent chapitre s’en inspirera pour présenter les différentes connaissances et compétences que l’ergothérapeute peut mettre à la disposition des parents1. Au préalable, nous traiterons des difficultés particulières reliées à ce rôle parental. Puis, nous verrons comment on conçoit le rôle des parents dans le modèle ludique et quels sont les objectifs poursuivis auprès de la famille. Nous toucherons également un mot des frères et sœurs.
Devenir parent d’un enfant qui présente une déficience
2Devenir parent d’un enfant différent des autres, c’est un bouleversement majeur dans sa vie. C’est devoir faire face à une situation à laquelle personne n’est préparé. C’est aussi vivre des sentiments complexes et intenses : la colère, la tristesse, la détresse, l’impuissance et la frustration. C’est faire le deuil de l’enfant normal qu’on attendait. Les professionnels de la santé parlent abondamment de la dernière phase à laquelle doit tenter de parvenir tout parent qui se trouve dans cette situation, soit l’acceptation du handicap. Cette notion d’acceptation est en général perçue de façon très simpliste et très statique (Miezio, 1983), comme si les parents atteignaient ce stade et s’y maintenaient, une fois pour toutes. Or, les sentiments vécus au moment de la naissance risquent de resurgir à diverses étapes du développement de l’enfant : par exemple, au moment prévu pour l’apparition de diverses fonctions telles que le langage, la marche et au moment de l’entrée à l’école, de l’adolescence.
3Chacune de ces étapes peut représenter pour les parents un moment difficile à traverser ; l’acceptation de la déficience n’est ni statique ni définitive. Graduellement, les parents apprennent à découvrir leur enfant, à l’aimer et à apprivoiser le handicap. Durant les premiers mois et les premières années de l’enfant, la douleur risque d’être omniprésente.
4Le fait que leur enfant présente une déficience amène aussi les parents à connaître des milieux qu’ils souhaiteraient ne jamais avoir eu l’occasion de fréquenter, celui de la réadaptation et de l’éducation spécialisée. Face à ces professionnels, ils peuvent ressentir des sentiments ambivalents ; certes, ils sont heureux que ces services spécialisés existent, mais ils aimeraient être en mesure de répondre seuls aux besoins de leur enfant.
5Même si cette situation est angoissante pour les deux parents, il semble que le stress affecte toujours plus la mère que le père (Crow, 2000 ; Larson, 2000). En effet, c’est la mère qui assume en général la responsabilité de l’enfant : routine des soins, accompagnement aux thérapies, contacts avec les intervenants, aménagement de l’horaire familial pour faire place aux besoins particuliers de l’enfant. Les deux problèmes les plus fréquemment mentionnées par les mères de ces enfants sont le manque de temps et le manque d’énergie. Ne nous étonnons pas, alors, qu’elles aient le sentiment d’être débordées et épuisées (Tétrault, 1990).
6Face aux parents, nous devons faire preuve d’une grande humilité professionnelle. Oui, nous avons des connaissances, compétences et techniques spécifiques pour travailler avec l’enfant, mais nous ne connaîtrons jamais complètement ce que vivent les parents au quotidien. Demandons-nous comment nous réagirions à leur place. Nous voyons cet enfant une heure à la fois, cet enfant qui n’est pas le nôtre et qui ne fait pas naître chez nous des sentiments intenses et contradictoires ; les parents, eux, sans y être aucunement préparés, prodiguent au quotidien des soins à cet enfant, et ce pendant de longues années. Évitons de porter des jugements hâtifs sur la façon de faire de certains parents ; essayons plutôt de comprendre leur situation et de leur fournir des pistes susceptibles de les aider.
7Par ailleurs, quand on vit avec un enfant qui présente une incapacité motrice, et qui se trouve d’autre part entouré de professionnels de la réadaptation, le risque est grand que toute l’attention se concentre sur le handicap de l’enfant. Ce risque semble réel si l’on considère que, dans la recherche menée par Hinojosa (1990), il appert que les mères s’appuient beaucoup sur l’opinion des professionnels de la réadaptation pour toute décision concernant l’enfant.
Les témoignages des mères
8De la recherche rapportée à l’annexe 1 il ressort que, dans certains cas, toute la place est laissée aux professionnels de la réadaptation, ou accaparée par eux : « Ils [les professionnels] m’ont dit de faire ça [...] ; ils ont décidé de faire telle chose. »
9D’autres sous-estiment la valeur des activités qui n’ont pas été suggérées par ces professionnels. Par exemple, une mère à qui je demandais quelle activité semblait procurer du plaisir à son enfant a longuement hésité avant de me répondre :
Vous allez trouver ça insignifiant, mais c’est quand je fais des pommes de terre en purée. J’amène mon fils près de moi dans la cuisine ; je lui montre la pomme de terre et la lui fais toucher. Je lui explique qu’après l’avoir pelée elle sera blanche et humide. Quand il l’a à nouveau touchée, je lui explique que je vais les faire cuire et qu’elles seront moins dures. Après avoir ajouté du beurre et du lait et avoir réduit les pommes de terre en purée, je lui fais voir que ça devient un peu comme de la neige et je lui fais goûter. Vous devriez voir ses yeux... il suit tout ça, il est très intéressé !
10Où cet enfant aurait-il pu apprendre toute cette magie de la transformation de la pomme de terre ailleurs qu’auprès de sa mère et chez lui ? Grâce à cette activité, la mère augmente le bagage de connaissances de son enfant et l’aide à s’ouvrir au monde qui l’entoure ; de plus, cet enfant a du plaisir à participer à une activité avec sa mère. Pourquoi alors cette mère hésite-t-elle à en parler, sinon parce qu’elle craint qu’une activité si simple et si peu rattachée aux difficultés de l’enfant soit perçue comme étant sans valeur ? Aurait-on tellement « thérapeutisé » les parents qu’ils n’osent plus se comporter comme des parents ?
11Il semble également qu’en plus d’être filtré par les professionnels l’agir de la mère le soit aussi par l’enfant lui-même. Nous avons déjà mentionné que le plaisir de l’enfant est un thème très valorisé par toutes les mères interviewées (voir le chapitre 2), mais certaines s’oublient complètement et laissent l’enfant décider seul des activités qu’elles font avec lui. Ainsi, dans les entrevues, alors qu’il était facile pour les mères d’expliquer ce que leur enfant aimait faire, elles avaient plus de difficulté à cerner ce qu’elles aimaient faire avec leur enfant. « Moi, ce que j’aime le plus faire avec mon enfant ? Attendez un peu... je ne me suis jamais posé la question. » Toutes leurs activités semblent partir de leur enfant et la place que s’accordent les mères est toujours tributaire du plaisir de l’enfant. Peut-être cela indique-t-il qu’elles n’ont pas réussi à instaurer une interaction avec leur enfant qui les satisfasse vraiment, qu’elles n’ont pas réussi à découvrir leur part de plaisir dans cette interaction.
12De plus, en dehors des activités avec leur enfant, la plupart des mères ne réservent pas davantage de place à leurs propres besoins. Quand on leur demandait si elles prenaient du temps pour elles, pour des activités quelles aimaient et qu’elles faisaient régulièrement, leurs réponses laissaient croire que la majorité d’entre elles consacraient tout leur temps à leur enfant. De plus, plusieurs éprouvaient une grande réticence à demander de l’aide, même au conjoint. Il n’est pas étonnant alors d’avoir recueilli des commentaires aussi navrants que ceux-ci : « J’ai l’impression que, depuis sa naissance, je ne vis pas vraiment » ; « Je passe à côté de ma vie, je suis comme en attente ».
13Par ailleurs, les professionnels que doivent consulter les parents ne semblent pas avoir suffisamment de disponibilité ni répondre à leurs attentes. Les mères interviewées nous disent : « J’aime quand ils [les thérapeutes] expliquent ce qu’ils font » ; « Il y a tellement de choses que j’aimerais savoir, que j’aimerais comprendre, mais ils [les thérapeutes] ont rarement le temps de me répondre ».
14Selon Kazak (1987), cette insatisfaction des parents peut être ramenée au fait que le professionnel concentre son intervention sur l’enfant et néglige les besoins de la famille. Il apparaît opportun de reconsidérer notre travail auprès des parents pour tenir compte du contexte familial et mettre en œuvre une intervention qui soit centrée sur les besoins de la famille (Law, 1998). Le modèle ludique s’inscrit dans cette optique.
15Avant de préciser comment intervenir dans le modèle ludique, considérons d’abord les rôles des parents et des thérapeutes face à l’enfant.
Les rôles distincts et complémentaires des parents et des thérapeutes
16En distinguant les besoins fondamentaux de l’enfant de ses besoins particuliers (voir la figure 4), on évite de considérer l’enfant ayant une déficience physique seulement du point de vue de ses limitations et de faire de sa vie, et de celle de sa famille, un quotidien « thérapeutique ». L’enfant ayant une déficience physique est avant tout un enfant, il a donc les mêmes besoins fondamentaux que les autres enfants : besoins physiologiques, besoin de sécurité, besoin d’affection ; tout parent doit répondre à ces besoins. De plus, si ces parents ont d’autres enfants, leur principale tâche doit être d’offrir un environnement qui favorise le développement de l’enfant déficient tout en satisfaisant aux besoins de toute la famille (Hinojosa et Kramer, 1997).
17Par ailleurs, comme cet enfant présente une condition physique particulière, il a des besoins particuliers ; c’est là notre raison d’être. Il faut absolument éviter de « thérapeutiser » les parents, sinon le risque est grand que les besoins fondamentaux de l’enfant soient négligés et que le surmenage des parents compromette la qualité de vie de leur famille. Ainsi, parents et professionnels ont des rôles distincts à assumer auprès de cet enfant, répondant à des besoins différents.
18Ces rôles sont également complémentaires. D’une part, les parents nous sont d’une aide précieuse au moment de la prise de contact avec l’enfant pour nous aider à mieux le connaître et à mieux personnaliser l’intervention ; grâce aux informations qu’ils nous fournissent, ils nous secondent dans notre rôle de thérapeute. D’autre part, ces parents sont d’abord et avant tout des parents et nous pouvons les aider à assumer leur rôle parental ; nous verrons plus bas comment mettre en œuvre cette approche centrée sur les besoins de la famille.
19Dans le modèle ludique, parents et intervenants établissent donc une relation semblable à un partenariat ; chacun des partenaires fournit son apport propre, mais de qualité égale.
20Voyons quels sont les objectifs du travail avec les parents dans le cadre du modèle ludique.
Le modèle ludique dans la vie quotidienne
21Ainsi que l’illustre la figure 5, le rôle de l’ergothérapeute peut se résumer de la façon suivante :
faciliter la vie quotidienne avec l’enfant et la dispensation des soins ;
aider les parents à entretenir avec leur enfant une interaction satisfaisante pour les deux parties ;
aider les parents à favoriser chez l’enfant l’ouverture au monde qui l’entoure et à l’accompagner dans ses découvertes, leur permettant de la sorte de reconnaître de nouvelles facettes chez leur enfant.
22Dans le modèle ludique, la tâche des parents n’est pas le prolongement de celle des thérapeutes ; elle en est distincte, mais tout aussi importante. On ne demande pas aux parents d’appliquer des techniques thérapeutiques pour assurer la continuité du traitement ; on les aide dans leur quotidien avec l’enfant. On ne demande pas aux parents de travailler sur les limitations de leur enfant. Au contraire, on les incite à investir les éléments non touchés par la déficience, leur permettant de découvrir les intérêts et les habiletés de leur enfant.
23Trois questions de base, en rapport avec les objectifs mentionnés plus haut, peuvent orienter l’intervention de l’ergothérapeute. Par la suite, nous délimiterons les compétences dont dispose l’ergothérapeute pour y parvenir.
Parmi les activités que vous devez faire avec votre enfant, quelles sont celles qui sont difficiles ou désagréables pour vous ou pour votre enfant ?
24Il y a de fortes chances que l’on retrouve ici les activités reliées aux soins à donner à l’enfant : soins d’hygiène, d’alimentation, d’habillement. Faciliter les soins quotidiens à donner à l’enfant, donc réduire la difficulté et le temps qu’ils exigent, contribue à diminuer le surmenage qui touche les mères d’enfants ayant une déficience physique (Cherry, 1989 ; Tétreault, 1993). Faciliter le travail de la mère dans l’ensemble de ses activités quotidiennes est aussi fort approprié. Mais notre contribution professionnelle doit aller plus loin encore si on vise véritablement le mieux-être de l’enfant et de toute sa famille.
Parmi les activités que vous aimez faire avec votre enfant, quelles sont celles auxquelles il réagit bien ?
25Ces activités, appréciées tant du parent que de l’enfant, doivent être valorisées, reconnues comme importantes par les parents ; elles représentent des moments privilégiés pour établir une interaction entre le parent et l’enfant. Comme l’écrit Brazelton (1981), l’essence du « parentage » ne repose pas sur ce que l’on fait avec l’enfant, mais plutôt sur l’échange, sur les rapports qui se mettent en place entre le parent et l’enfant. Les intervenants doivent inciter les parents à reconnaître l’importance de ces activités dans leur quotidien et à les conserver précieusement.
Parmi les activités auxquelles vous voyez les autres enfants s’adonner, quelles sont celles que vous souhaiteriez offrir à votre enfant ?
26En concentrant constamment nos énergies et celles des parents sur les difficultés de l’enfant, on amène les parents à ne retenir que les limitations de l’enfant et à oublier qu’il est d’abord un enfant ; on restreint d’autant ses expériences. En posant cette question, on ouvre la porte à l’initiative, aux intérêts et à l’imagination des parents. On leur donne le droit de penser à leur enfant tel qu’il est, c’est-à-dire comme à un enfant.
27S’ils pensent à ce que font les autres enfants, les parents pourront avoir quantité de réponses à cette question : explorer la chasse d’eau, découvrir la magie du magnétophone, se livrer à des expériences de chimie avec les ingrédients de la cuisine, apprivoiser l’aspirateur, fouiller dans les armoires, s’occuper d’un animal. Alors, il sera possible de leur faire comprendre l’importance de ces activités toutes simples qui sont pour leur enfant autant de fenêtres sur le monde.
28Pour certaines activités, une adaptation sera requise ; l’ergothérapeute est le professionnel qui peut le mieux aider le parent à adapter l’activité aux possibilités de l’enfant. D’autres activités ne demandent que l’accord et le soutien du thérapeute ; en effet, les parents peuvent avoir peur de nuire aux thérapies. Si l’enfant accompagne la famille en camping, est-ce contre-indiqué qu’il couche par terre ou qu’il fasse un tour de chaloupe ? Pour ce type d’activités, les parents ont en quelque sorte besoin de l’autorisation du professionnel de la réadaptation. Nous l’avons dit, les parents se fient beaucoup à l’opinion de ces professionnels qu’ils voient comme les experts pour tout ce qui concerne leur enfant. À nous de recadrer les choses et de donner aux parents l’assurance dont ils ont besoin pour offrir diverses expériences à leur enfant. L’important demeure toujours que l’activité choisie plaise tant au parent qu’à l’enfant ; c’est en l’essayant que l’on connaîtra la réaction de l’enfant.
29L’approche proposée vise donc à rendre au parent le plaisir d’interagir avec son enfant en suscitant une variété d’expériences et elle lui permet de découvrir chez son enfant d’autres facettes que celle du handicap. Il se rend alors compte que, malgré les limitations physiques, son enfant peut devenir curieux, exprimer de l’intérêt pour ce qui se passe autour de lui et avoir le goût d’y réagir. Parents et enfants découvriront alors le plaisir de l’activité partagée. Encore faut-il que le parent ait suffisamment d’assurance, de temps et d’énergie pour le faire. Le rôle du thérapeute est d’encourager les parents à interagir de la sorte avec leur enfant et de faciliter leur rôle de parents.
30Tentons de définir les connaissances, compétences et techniques particulières dont dispose l’ergothérapeute pour travailler dans ce sens avec les parents.
Connaissances et compétences spécifiques de l’ergothérapeute au service des parents2
Aider les parents dans leur vie quotidienne
31Face aux difficultés que peuvent éprouver les mères dans leurs activités quotidiennes avec l’enfant, l’ergothérapeute peut leur offrir des moyens pour en simplifier l’exécution : positionnement pour alimenter l’enfant, aides techniques pour faciliter le bain ou l’habillement, techniques pour le transporter. Ces mesures, qui simplifient les activités entreprises avec l’enfant, peuvent aussi protéger la santé de la mère et particulièrement lui éviter des problèmes de dos.
32L’ergothérapeute peut faire davantage. Selon l’étude de Larson (2000), « orchestrer » les activités des mères d’enfants ayant une déficience contribue à maintenir l’harmonie familiale. Cette « orchestration » comprend entre autres la planification, l’organisation, la recherche de l’équilibre, l’anticipation et la capacité de trouver un sens aux activités. L’ergothérapeute peut participer de façon significative à une telle « orchestration » des activités des mères.
33La planification des activités, l’organisation de l’environnement et la simplification des tâches sont des pistes de travail empruntées par l’ergothérapeute auprès des clients qui ont peu d’énergie ou de force, mais rarement auprès des parents d’enfants ayant une déficience. Pourtant ceux-là aussi manquent d’énergie et de temps ; c’est en travaillant à cela que nous rendrons leur vie plus facile. Alors, ils apprendront à conserver leur énergie et à récupérer un peu du temps qui leur fait tellement défaut.
34Planifier ses activités, c’est-à-dire prévoir ce qu’il y a à faire, permet de mieux les répartir dans la journée. Dresser une liste des tâches à accomplir permettra à la mère de faire alterner des activités requérant beaucoup d’énergie avec d’autres qui sont moins exigeantes. Mettre sur papier les questions à soulever avec le médecin lors du prochain rendez-vous lui évitera de perdre de l’énergie à se remémorer constamment les questions à poser. Combiner des activités dans un même lieu ou à un même moment (préparer le repas en surveillant les devoirs de l’aîné, rentrer le courrier en allant porter les ordures à l’extérieur) évitera des déplacements inutiles.
35L’organisation de l’environnement peut aussi faire des miracles pour faciliter le travail de ces mères. À nous de les faire bénéficier de notions d’ergonomie. Placer un banc à l’entrée de la maison évitera à la mère, avant de sortir avec l’enfant, de devoir l’habiller par terre, donc dans une position inconfortable. L’utilisation d’une desserte pour tout apporter en une fois sur la table permettra de sauver des pas. Le fait d’avoir des armoires rangées pour que tout soit à la portée de la main simplifiera le travail. Il est également souhaitable d’y placer ce qui sert le plus souvent à la hauteur située entre les épaules et les hanches ; c’est la zone d’utilité. Les objets lourds, quant à eux, devraient se retrouver à la hauteur des hanches ; les placer plus haut ou plus bas risque d’entraîner des maux de dos ou une fatigue inutile. Un petit tabouret pour y mettre le pied lors d’une station debout prolongée évitera de répartir le poids du corps sur les deux jambes de façon statique. L’enfant pourra peut-être ouvrir lui-même les robinets pour se laver les mains de façon indépendante si les poignées sont suffisamment grosses : c’est alors du travail en moins pour la mère et une expérience d’autonomie pour l’enfant.
36Nous connaissons aussi plusieurs façons de simplifier les activités en recourant aux principes de la physiologie humaine. En voici quelques exemples : quand cela est possible, préférer s’asseoir plutôt que rester debout pour effectuer ses activités, utiliser les plus gros muscles pour transporter l’enfant (en le tenant appuyé sur la hanche plutôt qu’en le prenant seulement avec les bras et le dos), utiliser les deux bras pour transporter un objet lourd plutôt que de le faire avec une seule main, à bout de bras, pousser un meuble plutôt que de le tirer.
37En analysant avec les parents une journée type, l’ergothérapeute peut proposer de nombreuses suggestions visant à améliorer leur quotidien.
Favoriser une interaction parents/enfant mutuellement satisfaisante
38Pour avoir plus de plaisir avec leur enfant, les parents bénéficieront de tout ce qui les aidera à mieux le comprendre et à le connaître par-delà sa déficience. Le fait de discuter avec eux des effets de la déficience sur le développement et le comportement de l’enfant peut les rassurer quant à leurs compétences parentales ; les réactions parfois négatives de leur enfant dans certaines situations seront mieux analysées et ne seront pas systématiquement interprétées comme étant la preuve de leur incompétence à comprendre leur enfant. Partager avec les parents notre connaissance du développement sensoriel des enfants leur permettra de saisir l’importance d’activités quotidiennes toutes simples qui incitent l’enfant à regarder, écouter, toucher, sentir et bouger, et de reconnaître leurs effets sur le développement de l’enfant. Dans le même sens, préciser aux parents la séquence de développement des diverses habiletés les aidera à suivre l’évolution de leur enfant et à avoir des attentes réalistes à son endroit. Ils comprendront mieux leur enfant. Enfin, les sensibiliser au développement global de l’enfant, faisant ressortir son comportement dans les autres sphères que celle liée à ses limitations, aidera les parents à regarder leur enfant d’un autre œil et peut-être à découvrir chez lui des forces insoupçonnées. L’ergothérapeute dispose pour cela d’un outil de travail fort efficace : l’analyse d’activité. En faire la démonstration aux parents les amènera à découvrir leur enfant dans sa globalité, à comprendre la complexité d’une activité de prime abord toute simple, à mieux apprécier les efforts de l’enfant et à savoir reconnaître ses progrès.
39Connaissant mieux leur enfant non seulement dans ses difficultés, mais surtout dans ses potentialités, ils seront plus enclins à réaliser avec lui des activités au quotidien et ils s’apercevront que celui-ci, à son tour, réagit à leurs actions. S’ils sont invités à miser sur les forces de leur enfant, cette interaction sera d’autant plus agréable pour les deux parties en cause.
40L’attitude ludique peut aussi enrichir les rapports entre les parents et l’enfant. Aborder les tâches quotidiennes avec humour, ajouter un brin de folie dans la routine, tout cela peut changer la couleur de la journée et rendre le contact avec l’enfant plus serein et plus agréable. Beaucoup de parents d’enfants qui présentent des incapacités importantes soulignent que c’est leur sens de l’humour qui les a le plus aidés à surmonter les difficultés (Ferland, 2001a). L’humour bénéficie aussi à l’enfant qui a alors comme modèles des personnes qui, malgré les difficultés, savent rire et s’amuser dans la vie. Aidons les parents à développer ou à retrouver cette attitude-là.
Aider parents et enfants à faire des découvertes ensemble
41Si on aide les parents à découvrir leur enfant, à comprendre qu’en dépit de ses limitations il peut être souriant, curieux, avoir des intérêts, à découvrir l’importance d’activités toutes simples pour l’expérience de vie de leur enfant, ils seront alors mieux outillés pour jouer leur rôle de parents, chose que parfois on oublie quand tous nos efforts ne se concentrent que sur l’enfant. Alors, les parents tout autant que l’enfant auront plaisir à partager des activités et à découvrir le monde ensemble. Les suggestions à offrir sont nombreuses et elles peuvent s’insérer dans le quotidien de tout parent : raconter une histoire, chanter, l’inciter à regarder les oiseaux dans le ciel, lui faire sentir le parfum d’une fleur, glisser dans la neige, se balancer au parc, s’amuser à prétendre que les animaux ont échangé leurs cris respectifs, lui faire choisir le vêtement qu’il veut porter, rire avec lui.
42Au cours de ces activités, l’enfant enrichit son bagage d’expériences et les parents se rendent compte que leur enfant aime faire des découvertes avec eux.
43Dans le modèle ludique, on invite donc les parents à miser sur les forces de l’enfant, ses difficultés étant prises en compte par de nombreux professionnels. On aide les parents à occuper leur véritable place auprès de leur enfant en tant que parents et à découvrir le plaisir avec lui. Par ailleurs, un autre élément doit également être pris en considération par les thérapeutes qui offrent leurs services à des enfants. Tout parent, y compris celui d’un enfant ayant une déficience physique, a des besoins qui lui sont propres, en tant qu’être humain, en tant qu’adulte, en tant que conjoint, besoins dont il doit s’occuper lui-même ; l’enfant ne peut combler tous ces besoins. Le parent doit s’occuper de lui en tant qu’individu, prendre sa place dans sa propre vie, s’aimer suffisamment pour se faire plaisir. Il faut comprendre que cela permet non seulement de répondre à ses besoins, mais peut aussi servir de soupape, permettre en quelque sorte de recharger ses batteries.
44Ce travail d’accompagnement du parent peut se faire lors de rencontres individuelles ou de visites à domicile. Il est aussi possible de discuter certains des thèmes précédemment mentionnés lors de rencontre de groupes de parents ; ces rencontres réunissant des personnes qui vivent des expériences similaires sont susceptibles d’apporter un soutien précieux aux parents.
Et les autres enfants ?
45Si notre approche se veut véritablement centrée sur la famille, on doit tenir compte des autres enfants. Comment les aider ? Comment les inclure dans notre démarche ?
46Dans l'ouvrage destiné aux parents et mentionné précédemment (Ferland, 2001a), un chapitre entier traite des frères et sœurs et des autres enfants. Contentons-nous ici de souligner certains points. Être le frère ou la sœur d’un enfant différent des autres n’est pas facile (Unruh, 1992) ; ces enfants éprouvent fréquemment à l’égard de leur frère ou de leur sœur de la tristesse, de la colère, du ressentiment, de l’ambivalence, de l’embarras devant leurs amis, et ils craignent que leurs parents les aiment moins. Ces diverses réactions émotives sont rarement exprimées ouvertement, mais elles se lisent dans leurs actes. Ils essayent d’attirer l’attention : crises, coups, insolence, mauvaise humeur, querelles, désobéissances. Par ailleurs, l’attitude des parents envers l’enfant ayant une déficience physique influencera grandement les réactions des frères et sœurs. Pour eux tout comme pour les parents, il ne s’agit pas de les Élire participer à la thérapie, d’en faire des aides-thérapeutes, mais bien de les aider à découvrir eux aussi le plaisir d’interagir avec cette sœur ou ce frère différent des autres.
47Ces enfants ont besoin d’être rassurés quant à l’amour de leurs parents, d’avoir un espace personnel qui leur permette d’être avant tout des enfants, d’exprimer ces sentiments qui les étreignent, de comprendre l’état de leur frère ou sœur. Ils ont aussi besoin de créer des liens fraternels avec cet enfant. Pour ce faire, le jeu peut à nouveau être une activité de choix. Très souvent, les frères et sœurs ont des rapports plus spontanés avec l’enfant ayant une déficience que leurs parents. Si on les laisse jouer ensemble, ils lui parleront comme à un autre enfant, lui expliqueront beaucoup de choses, le feront rire et parfois ils se mettront en colère. Autrement dit, ils créeront de vrais liens fraternels. C’est en se côtoyant que les frères et sœurs apprennent à s’aimer mutuellement et qu’ils grandissent à travers cette expérience.
48Pour l’enfant qui présente une déficience, les frères et sœurs peuvent s’avérer des partenaires de jeu précieux pour accroître son bagage de connaissances et d’expériences. Le piège à éviter est de demander à la fratrie de suppléer les parents.
49Ainsi appliqué en collaboration avec les parents et la fratrie, le modèle ludique tente de répondre aux besoins de la famille, au quotidien, et met à contribution les compétences et connaissances de l’ergothérapeute puisées tant dans son expérience auprès des enfants que dans sa formation de base.
50Tout autant qu’avec l’enfant que l’on aborde d’abord et avant tout comme un enfant, les parents sont reconnus d’abord et avant tout comme des parents, ayant parfois besoin qu’on leur fournisse une aide supplémentaire pour assumer leur rôle. De plus, on vise pour les parents le plaisir d’interagir avec leur enfant. Miser sur le plaisir partagé entre le parent et l’enfant, c’est miser sur une valeur sûre, c’est miser sur le mieux-être de toute la famille. De la sorte, on contribue à rendre la vie de la famille semblable à celle des autres, bien que l’un de ses membres soit différent des autres.
Bibliographie
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Références
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Notes de bas de page
1 Le lecteur trouvera de nombreuses suggestions complémentaires dans Ferland (2001a), particulièrement aux chapitres 4 (« Je fais découvrir le plaisir à mon enfant »), 5 (« Je découvre le plaisir avec mon enfant ») et 6 (« La déficience vue par les enfants »).
2 Pour plus de détails sur ce thème, le lecteur est invité à lire : Ferland, F. (2001b).
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2016
La détention avant jugement au Canada
Une pratique controversée
Fernanda Prates et Marion Vacheret (dir.)
2015
La Réussite éducative des élèves issus de l'immigration
Dix ans de recherche et d'intervention au Québec
Marie McAndrew (dir.)
2015
Agriculture et paysage
Aménager autrement les territoires ruraux
Gérald Domon et Julie Ruiz (dir.)
2014