Introduction
p. 9-14
Texte intégral
Ne me dérangez pas je suis profondément occupé
Un enfant est en train de bâtir un village
C’est une ville, un comté
Et qui sait
Tantôt l’univers.
Il joue
Saint-Denys Garneau, Le jeu
1Pour l’enfant, le jeu représente un moyen privilégié de prendre contact avec le monde qui l’entoure et de découvrir le plaisir tout à la fois. Bettelheim précise que « [la] plus grande importance du jeu est le plaisir immédiat que l’enfant en tire et qui se prolonge en joie de vivre » (1988, p. 189). De là à conclure qu’un enfant qui joue est un enfant heureux, il n’y a qu’un pas. Rien d’étonnant, donc, à ce que le jeu soit l’activité la plus appréciée de l’enfant. Pour d’autres auteurs, le jeu représente chez l’enfant un besoin fondamental et un signe de santé (Vial, 1981 ; Winnicott, 1975). En 1963, Hartley et Goldenson écrivaient déjà : « Quand un enfant ne peut pas jouer, nous devrions être aussi inquiets que lorsqu’il refuse de manger ou de dormir » (p. 6).
2Plusieurs facteurs extérieurs à l’enfant peuvent entraver son activité ludique. Un milieu de vie n’offrant ni espace ni temps pour jouer constitue un de ces facteurs. De même, si autour de l’enfant on manifeste de l’intolérance à l’égard du mouvement, du bruit, du désordre, si le jeu y est perçu comme une activité frivole et une perte de temps, si la visée éducative l’emporte sur toutes les autres, son répertoire ludique risque alors d’être limité. Également, la condition médicale de l’enfant peut le placer dans une situation de handicap, l’empêcher de développer ses habiletés et ses aptitudes pour le jeu, et par conséquent l’empêcher de découvrir le monde. Ainsi, l’enfant présentant une incapacité motrice risque d’être gêné dans les activités d’exploration et de manipulation requises pour l’élaboration d’un répertoire ludique. Cet enfant, en plus d’être limité dans son corps — et parce qu’il est limité dans son corps —, se trouve dépourvu de moyens quand vient le moment de s’engager dans cette activité prioritaire de l’enfance qu’est le jeu et de satisfaire ce besoin d’agir sur son environnement commun à tous les enfants.
3Par ailleurs, en ergothérapie, le jeu a depuis toujours été perçu comme la modalité privilégiée de l’intervention. La philosophie de l’ergothérapie repose sur quelques concepts clés, tels que la « nature occupationnelle » de l’être humain, sa capacité d’adaptation de même que sa capacité à influer sur sa propre santé. L’homme y est perçu comme un être biopsychosocial, mû par le besoin fondamental d’agir sur son environnement ; l’activité significative donne un sens à cet agir et favorise l’adaptation tout au long de sa vie. L’objet de l’intervention ergothérapique est d’aider l’individu qui se trouve aux prises avec des limitations à développer sa capacité « de choisir, d’organiser et de s’adonner à des occupations significatives qui lui procurent de la satisfaction » (Association canadienne des ergothérapeutes, 1997, p. 34). Traditionnellement, le rendement dans les activités touche trois catégories : la productivité, les loisirs et les soins personnels (ace, 1997).
4Le jeu pouvant être vu comme l’activité significative par excellence de l’enfant et comme une modalité thérapeutique de premier plan, on peut présumer qu’on y recourt constamment dans la pratique ergothérapique auprès d’une clientèle infantile. Qu’en est-il vraiment ? Est-il possible qu’au cours des ans, en ergothérapie, on n’ait utilisé qu’en partie le potentiel thérapeutique du jeu ? Pourrait-on faire plus et mieux pour cette clientèle en découvrant la richesse jusqu’ici peu exploitée que recèle le jeu, à la fois comme domaine d’intervention et comme modalité thérapeutique ? De plus, est-il possible que l’entreprise éducative ou thérapeutique menée auprès de ces enfants ait étouffé le jeu dans leur quotidien ?
5Le modèle ludique est le fruit d’une recherche entreprise pour alimenter la réflexion sur les deux thèmes suivants : la place du jeu dans la pratique de l’ergothérapie auprès de cette clientèle et la place du jeu dans la vie de l’enfant ayant une déficience physique. Utilisant une démarche qualitative, cette recherche a fait appel à des parents d’enfants ayant une déficience physique, à des adultes ayant vécu avec une limitation physique depuis leur naissance et à des ergothérapeutes travaillant auprès d’une clientèle infantile. De plus, des enfants présentant une déficience physique ont été observés en séances de traitement en ergothérapie et en centre de stimulation précoce.
6La recension de la documentation et l’analyse des résultats obtenus a permis d’élaborer un nouveau cadre conceptuel, d’où est issu le modèle ludique. Depuis que l’ouvrage a été publié pour la première fois en 1994, le modèle ludique lui-même a fait l’objet de recherches portant, entre autres, sur le cadre conceptuel et sur les instruments d’évaluation. De nouvelles utilisations de ce modèle ont également été explorées. Par ailleurs, en ergothérapie, plusieurs nouvelles parutions consacrées au jeu ont vu le jour au cours des dernières années.
7Le premier chapitre traite du jeu dans la vie de l’enfant normal : on y présente un survol du développement de l’enfant à travers son jeu, de même que du développement séquentiel du jeu. L’analyse d’une activité de jeu nous permet de comprendre que le jeu est à la fois un reflet et un stimulant du développement de l’enfant, dans ses différentes sphères. Puis, une définition de ce phénomène complexe est proposée, de même qu’une réflexion sur l’attitude ludique.
8Le deuxième chapitre est consacré au jeu de l’enfant présentant une déficience physique. Après avoir défini la déficience physique, on précise quel est l’état actuel des connaissances sur le jeu chez cette clientèle. Ensuite, les témoignages de parents d’enfants ayant une déficience physique nous aident à comprendre le rôle du jeu dans le quotidien de ces enfants. Comme le modèle ludique a été utilisé, depuis 1994, auprès d’autres clientèles infantiles, nous tenterons de cerner les caractéristiques du jeu chez les enfants présentant des problèmes autres que physiques, tels que la déficience intellectuelle et les troubles envahissants du développement.
9Le rôle du jeu en ergothérapie fait l’objet du troisième chapitre. Partant de ce qui est au cœur même de l’ergothérapie, on étudie l’histoire et la philosophie du jeu dans la profession. Puis on tente de cerner la place du jeu dans la pratique clinique en se basant sur les témoignages des ergothérapeutes ayant participé à la recherche. Une étude plus récente permet d’actualiser les résultats relatifs à cette pratique. Également, les adultes qui vivent depuis leur naissance avec une déficience physique et qui furent interviewés au cours de la recherche font part de leur expérience de vie et alimentent, par leurs commentaires et leurs recommandations, la réflexion sur la pratique de l’ergothérapie. Leurs propos peuvent, entre autres, nous aider à centrer notre intervention sur les besoins de ces enfants.
10Le quatrième chapitre expose le cadre conceptuel du modèle ludique, précisant le questionnement initial de l’auteure, l’appréhension du jeu, les énoncés de départ. On définit également les concepts clés et on prête une attention particulière aux concepts de capacité d’agir et d’attitude ludique. Par la suite, les études de validation de ce cadre conceptuel menées jusqu’à ce jour sont examinées ; elles concernent les enfants ayant une déficience physique ou une déficience intellectuelle, les adultes présentant une incapacité grave et permanente et les communautés culturelles.
11Le cinquième chapitre est consacré à l’application clinique du modèle ludique. Après avoir défini les objectifs généraux, on traite de l’évaluation du comportement ludique chez l’enfant et on présente les deux instruments, proposés dans l’édition originale et révisés par la suite. De plus, on se penche sur les études menées avec ces instruments depuis 1994. La planification de l’intervention est précisée : définition des objectifs thérapeutiques et des principes directeurs. Suivent le rôle de l’ergothérapeute et le matériel suggéré pour favoriser l’évolution de l’enfant. Un tableau retraçant le développement du comportement ludique, en trois étapes, est proposé comme guide tant de la planification que de l’intervention elle-même et un exemple concret est présenté. De nouveaux thèmes ont été ajoutés à la présente édition : la réaction des parents et des membres de l’équipe de soins au modèle ludique, l’amélioration des habiletés motrices dans cette approche. Enfin, on présente une étude sur l’efficacité de cette intervention de même que des témoignages de thérapeutes.
12Le sixième chapitre concerne les parents et l’application du modèle ludique à la maison. Dans la présente édition, ce chapitre a été revu en profondeur. La réflexion portant sur le fait d’être parents d’un enfant différent des autres s’enrichit de témoignages de parents. Puis, on délimite les rôles distincts et complémentaires des parents et des thérapeutes. Une fois définis les objectifs poursuivis auprès des parents, on propose des pistes d’action concrètes. Les connaissances et compétences spécifiques que l’ergothérapeute peut mettre au service des parents sont explicitées. On conclut ce chapitre par quelques considérations concernant la fratrie de l’enfant.
13Enfin, les annexes présentent des informations complémentaires. L’annexe 1 précise quelle fut la méthodologie utilisée lors de la recherche initiale qui a mené à l’élaboration du modèle ludique : type de recherche, caractéristiques des participants, collecte et analyse des données. Comme divers résultats de cette recherche sont présentés tout au long des chapitres, le lecteur qui aura consulté cette annexe les comprendra mieux. L’annexe 2 expose la procédure d’administration de l’Évaluation du comportement ludique et l’annexe 3, celle de l’Entrevue initiale avec les parents. Ces procédures ont été mises au point après la publication de la première édition de cet ouvrage ; elles permettront aux cliniciens de mieux comprendre les instruments et faciliteront leur utilisation en milieu clinique.
14Cet ouvrage se veut une réflexion sur ce domaine d’activités propre à l’enfance qu’est le jeu et sur l’apport de l’ergothérapie au mieux-être de l’enfant présentant une déficience physique. Cette démarche repose sur un principe fondamental, soit celui de considérer l’enfant ayant une déficience physique d’abord et avant tout comme un enfant et sur le désir d’obtenir, pour lui et pour sa famille, non seulement une autonomie optimale, mais aussi une qualité de vie satisfaisante. Lui permettre de participer à la thérapie, l’aider à développer, dans ses activités d’enfant, une capacité d’agir et une attitude qui l’amèneront à composer plus facilement avec les défis quotidiens et l’aborder dans sa globalité, voilà quelques-uns des objectifs du modèle ludique.
15Améliorer la qualité de vie d’un enfant, c’est agir sur la qualité de vie de toute sa famille. Cette visée renvoie donc à un important enjeu social.
Bibliographie
références
Association canadienne des ergothérapeutes (1997). Promouvoir l’occupation : une perspective de l’ergothérapie. Ottawa : caot Publications ace.
Bettelheim, B. (1988). Pour être des parents acceptables — une psychanalyse du jeu. Paris : Robert Laffont.
Ferland, F. (1994). Le modèle ludique : le jeu, l’enfant avec déficience physique et l’ergothérapie (2e éd., 1998). Montréal : Les Presses de l’Université de Montréal.
Hartley, R.E. et Goldenson, R.M. (1963). The Complete book of Children’s Play. New York : Crowell.
Vial, J. (1981). Jeu et éducation — Les ludothèques. Paris : Presses universitaires de France.
Winnicott, D.W. (1975). Jeu et réalité : l’espace potentiel. Paris : Gallimard.
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