Précédent Suivant

Chapitre 4. La victoire de l’opposition et son ascension au pouvoir

p. 125-166


Texte intégral

Aujourd’hui est un jour historique pour le Nigeria et une occasion pour nous de célébrer notre liberté et admirer notre démocratie […] Nous venons de loin pour arriver à ce jour où nous chérissons un gouvernement véritablement démocratiquement élu […] Je voudrais vivement remercier le Président Goodluck Jonathan pour son leadership et son acte d’Homme d’État grâce à l’exemple qu’il vient de donner et qui a rendu les Nigérians fiers partout dans le monde […] J’espère que cet exemple d’accepter gracieusement la défaite électorale deviendra la norme dans le processus politique de notre pays.
Muhammadu Buhari, discours d’inauguration,
Abuja, 29 mai 2015.

1Après avoir présenté les cadres institutionnels et politiques des processus électoraux en Afrique et abordé les stratégies des partis pour se maintenir au pouvoir, nous mettrons ici en évidence le rôle crucial que jouent les stratégies des acteurs politiques de l’opposition dans leurs efforts pour accéder au pouvoir d’État. Il faut pour cela analyser ces diverses stratégies ainsi que leurs facteurs de réussite. L’accent sera mis sur deux principales stratégies : la formation des coalitions électorales et le boycottage des élections.

2Notre but est d’établir si la réussite des partis d’opposition dans les pays qui ont connu une alternance est due ou non aux stratégies qu’ils emploient et, le cas échéant, d’identifier ces stratégies. De toute évidence, l’approche stratégique ou de choix rationnel sera le cadre analytique privilégié ici. Mais d’abord, nous présenterons un aperçu général des alternances pacifiques au pouvoir sur le continent, notamment celles qui ont bénéficié à l’opposition partisane.

Les alternances au pouvoir en Afrique

3Nous avons indiqué, en introduction de cet ouvrage, qu’il y a eu un total de 32 victoires de l’opposition partisane dans 19 pays africains depuis les indépendances, toutes enregistrées depuis 1990 (à l’exception de Maurice en 1982). Nous avons également noté que 25 chefs d’État ou chefs de gouvernement africains avaient été battus aux élections par des candidats de l’opposition dans le même intervalle (voir tableau 4.1). Ces changements s’inscrivent parmi plus de 100 instances d’alternance pacifique au pouvoir sur le continent dans la même période. Évidemment, toutes ces instances n’ont pas bénéficié qu’à l’opposition partisane qui nous intéresse au premier chef. En effet, des personnalités des partis au pouvoir en ont profité aussi, remplaçant d’autres qui avaient très souvent épuisé leurs mandats constitutionnels. Les cas de décès et, très rarement, de désistement volontaire pour un mandat supplémentaire pourtant constitutionnel (les cas de Ketumile Masire en 1998 au Botswana, de Ntsu Mokhehle en 1998 au Lesotho, de Nelson Mandela en 1999 en Afrique du Sud, de France-Albert René en 2004 aux Seychelles et de Joaquim Chissano en 2004 au Mozambique1) ont également permis l’alternance entre des personnalités des partis au pouvoir.

4Des candidats « indépendants », bien que souvent de l’opposition, ont aussi bénéficié de ces instances d’alternance au pouvoir sur le continent. Même si ce n’est pas l’objet de cet ouvrage, il sied de noter qu’environ 20 candidats de partis politiques « d’opposition » sont parvenus au pouvoir grâce à des élections mettant fin à une période de transition2. Ce nombre n’entre pas en compte pour les 31 victoires de l’opposition citées plus haut.

tableau 4.1. Les chefs d’État ou de gouvernement africains « battus » aux élections, 1990-2016

Leader

Pays

Départ

Accession

1

Aristide Pereira

Cap-Vert

Février 1991

Juillet 1975

2

Mathieu Kérékou I1

Bénin

Mars 1991

Octobre 1972

3

Kenneth Kaunda

Zambie

Novembre 1991

Octobre 1964

4

Denis Sassou-Nguesso I2

Congo-B.

Août 1992

Février 1979

5

Didier Ratsiraka

Madagascar

Mars 1993

Juin 1975

6

Pierre Buyoya I3

Burundi

Juin 1993

Septembre 1987

7

André Kolingba

RCA

Septembre 1993

Septembre 1981

8

Hastings Banda

Malawi

Mai 1994

Juillet 1964

9

Anerood Jugnauth I4

Maurice

Décembre 1995

Juin 1982

10

Nicéphore Soglo

Bénin

Mars 1996

Mars 1991

11

Malam Bacai Sanhá I5

G.-Bissau

Février 2000

Mai 1999

12

Abdou Diouf

Sénégal

Mars 2000

Janvier 1981

13

Navinchandra Ramgoolam I

Maurice

Septembre 2000

Décembre 1995

14

Paul Raymond Bérenger

Maurice

Juillet 2005

Septembre 2003

15

Rupiah Banda

Zambie

Septembre 2011

Juin 2008

16

Abdoulaye Wade

Sénégal

Avril 2012

Mars 2000

17

Pakalitha Mosisili I6

Lesotho

Juin 2012

Mai 1998

18

Joyce Banda

Malawi

Mai 2014

Avril 2012

19

Moncef Marzouki

Tunisie

Décembre 2014

Décembre 2011

20

Navinchandra Ramgoolam II

Maurice

Décembre 2014

Juillet 2005

21

Goodluck Jonathan

Nigeria

Mai 2015

Mai 2010

22

Thomas « Tom » Thabane

Lesotho

Mars 2015

Juin 2012

23

Manuel Pinto da Costa

Sao Tomé

Septembre 2016

Septembre 2011

24

Yahya Jammeh

Gambie

Décembre 2016

Juillet 1994

25

John Dramani Mahama

Ghana

Décembre 2016

Juillet 2012

Source : Banque de données compilée par l’auteur.
1. Kérékou a assumé la présidence à deux reprises, la première fois en tant que chef militaire de 1972 à 1991 (Kérékou I) et la seconde fois en tant que président démocratiquement élu, en mars 1996 (Kérékou II). Il quitte la présidence en 2006, après avoir épuisé ses deux mandats constitutionnels.
2. Comme Kérékou au Bénin, Sassou-Nguesso a présidé le Congo à deux reprises, de 1979 à 1992 (Sassou-Nguesso I), puis depuis 1997 (Sassou-Nguesso II ; il était encore au pouvoir au moment de finaliser ce livre).
3. Buyoya est dans le même panier que Kérékou et Sassou-Nguesso (1987-1993 ; 1996-2003). Mais la seconde fois, il n’a pas été battu aux élections. Il s’est retiré du pouvoir conformément aux arrangements de transition prévus dans l’accord d’Arusha d’août 2000 ayant mis fin à une longue guerre civile dans le pays (voir Buyoya, 2011).
4. Jugnauth est revenu au pouvoir une deuxième fois en 2000 avant de le quitter en 2003. Ce départ n’est pas calculé ici, car il était le résultat d’un arrangement électoral entre lui et son successeur, Paul Béranger, et non d’une défaite électorale, comme c’est expliqué plus loin. Après environ dix ans comme président de la République (un poste honorifique), Jugnauth est revenu au pouvoir (primature) une troisième fois en décembre 2014, un mandat qu’il a écourté en démissionnant en faveur de son fils, Pravind Jugnauth, en janvier 2017
5. Sanhá est revenu au pouvoir après les élections présidentielles de septembre 2009. Mais son départ du pouvoir cette fois-là n’est pas pris en compte dans ce tableau, car c’est le destin divin qui l’a emporté (décédé au pouvoir en janvier 2012) et non les urnes d’un processus électoral
6. Mosisili était revenu au pouvoir en mars 2015 aux dépens de celui qui lui avait succédé trois ans plus tôt, Thomas « Tom » Thabane. Il tenait encore la primature à la fin de 2016.

5Ce qui ressort de cet aperçu général, et c’est là notre objectif, c’est que nonobstant la dominance des partis au pouvoir dans les jeux électoraux en Afrique, des candidats de partis d’opposition réussissent malgré tout à les battre et à obtenir la magistrature suprême. Ces victoires n’ont pas été remportées uniquement contre des candidats des partis au pouvoir, mais surtout contre des candidats sortants, avec tous les avantages qu’on peut imaginer pour eux, comme nous l’avons vu au chapitre précédent. Il ne faut pas oublier non plus que bon nombre des partis au pouvoir aujourd’hui et qui parviennent à être réélus ont passé un moment dans l’opposition. Notre souci maintenant est de relever le défi lancé par Gyimah-Boadi (2007), soit de concevoir un modèle d’analyse qui nous permettrait de comprendre comment et dans quelles circonstances les partis d’opposition peuvent battre les partis au pouvoir en Afrique.

Les facteurs explicatifs des victoires de l’opposition

6Duverger soutient que « le nombre des partis joue évidemment un rôle très important dans ce domaine : l’alternance suppose le dualisme » (1973, p. 334), c’est-à-dire qu’il faut un système bipartisan pour qu’un parti de l’opposition parvienne au pouvoir. D’autres auteurs, comme Quermonne (1988), ont identifié le « système bipolarisé », c’est-à-dire une coalition des partis d’opposition contre le parti au pouvoir, comme substitut au système bipartisan pour effectuer l’alternance.

7Ces deux systèmes de partis sont relatifs au cadre institutionnel de la compétition politique (analysé par la théorie institutionnelle) et aux stratégies des acteurs (traitées par la théorie stratégique ou de choix rationnel). À partir de ces deux systèmes (voire conditions) et des postulats théoriques qu’ils sous-entendent, un regard critique sur les 31 cas de réussite de l’opposition en Afrique depuis 1990 montre que toutes ces victoires ont eu lieu dans des contextes où l’une de ces deux conditions avait été satisfaite, à quelques exceptions près que nous verrons plus loin. De ce fait, nous postulons que la réussite des partis politiques de l’opposition à l’emporter contre un candidat du parti au pouvoir briguant la magistrature suprême requiert la satisfaction de l’une de ces deux conditions. Sans que celle-ci soit suffisante pour la réussite, l’absence des deux peut aisément expliquer l’échec, sauf, nous l’avons dit, dans quelques cas d’exception. Ceux-ci peuvent survenir en raison d’une rare combinaison de circonstances particulières, comme le mode de scrutin (notamment le majoritaire à un seul tour), la complaisance du parti au pouvoir envers les électeurs, le poids électoral de l’ethnorégionalisme en faveur d’un parti d’opposition, et la non-participation au scrutin d’autres partis d’opposition importants.

8Il faut toutefois expliquer deux points importants pour éviter toute confusion quant aux hypothèses défendues ici. Tout d’abord, d’aucuns pourraient être tentés de s’interroger sur la valeur explicative réelle des deux conditions ou facteurs avancés plus haut alors même que l’on admet qu’ils sont « essentiels, mais pas suffisants ». Pourtant, cela ne devrait en rien amoindrir leur portée explicative. Utilisons l’analogie d’un demandeur d’emploi qui doit remplir plusieurs conditions. Souligner que celles-ci sont essentielles et incontournables – mais insuffisantes – a une valeur explicative réelle pour comprendre les facteurs ou les mesures qui peuvent aider ce candidat à réunir ces conditions, ou l’en empêcher. Voici ce que nous faisons ici.

9On ne se contente pas de dire que l’opposition doit se coaliser. L’acte de former une coalition en faveur d’un camp (aussi bien l’opposition que le pouvoir) n’est jamais automatique, même au second tour d’une élection présidentielle à deux tours dans laquelle le candidat du parti au pouvoir peut se retrouver face à un seul candidat de l’opposition. En effet, comme lors d’un scrutin présidentiel à un seul tour, les candidats des différents partis de l’opposition ont toujours un choix, et cela n’est pas forcément donné à leurs collègues de l’opposition. Dans bien des cas, comme on le verra ci-dessous, de malheureux candidats de l’opposition au premier tour peuvent s’allier non à leur camarade de l’opposition admis au second tour, mais au candidat du parti au pouvoir, ou même s’abstenir de s’allier à l’un ou l’autre et refuser de donner une consigne de vote. Essayer de désentortiller les bandelettes de cette « momie » politico-stratégique (c’est-à-dire les dynamiques complexes de la formation de coalitions électorales par les partis d’opposition) a une valeur explicative indéniable.

10L’autre point à élucider ici relève des types de coalitions que l’opposition pourrait former. Nous intéressant à la fois aux régimes présidentiels et parlementaires, nous considérons les coalitions formées dans l’un ou l’autre de ces deux systèmes politiques. Une telle approche – c’est-à-dire l’étude simultanée et comparative des différents types du même phénomène – est commode dans la littérature existante sur la formation de coalitions (Resnick, 2014). Elle l’est d’ailleurs aussi pour beaucoup d’autres sujets, tant que les attributs particuliers des différents types sont reconnus et pris en compte dans l’analyse, ce que nous faisons ici. En effet, dans le cas des régimes présidentiels, les coalitions sont formées soit au premier tour (ce qui est d’ailleurs la seule possibilité lorsque le mode de scrutin est pluralitaire ou à majorité simple avec un seul tour), soit au second tour. Dans les régimes parlementaires, la coalition peut être formée aussi bien avant l’élection (c’est donc une coalition préélectorale) qu’après la proclamation des résultats en vue donc de former un gouvernement. Cette seconde option n’est pas disponible dans les régimes présidentiels.

11Il est vrai qu’il s’agit là de différents types de coalitions qui sont soumis, à certains égards, à divers calculs et dynamiques stratégiques, comme on le verra un peu plus loin. Il n’est pas moins vrai pourtant que ces différents types ont plusieurs autres dynamiques en commun et qu’ils concourent au même objectif : l’alternance au pouvoir en faveur de l’opposition (Kadima, 2014 ; Resnick, 2014). Le constat qu’on a fait plus haut concernant la nature imprévisible du choix de l’opposition s’applique également ici, et ce, dans l’un ou l’autre type de régime, tant au premier qu’au second tour des élections. Cette incertitude de l’orientation du choix des partis d’opposition s’applique également dans les systèmes parlementaires, aussi bien en amont qu’après l’annonce des résultats, car ce choix est soumis à plusieurs calculs stratégiques de la part des acteurs politiques. Comme l’indique Bogaards, « différents types de systèmes de partis et de régimes politiques offrent différentes opportunités pour la formation de coalition préélectorales, résultant en une série de dynamiques et de tendances » (2014, p. 24). Voilà qui explique pourquoi des partis d’opposition s’allient à d’autres pour être en mesure de former un gouvernement en délogeant un président ou premier ministre sortant, ou refusent une telle coalition, voire s’allient au leader sortant pour le maintenir au pouvoir aux dépens des autres partis d’opposition.

12Dans les lignes qui suivent, nous allons donc examiner ces deux hypothèses comme facteurs explicatifs de la réussite des partis d’opposition en Afrique. Ce faisant, nous porterons un regard critique sur certains facteurs qui empêchent les partis d’opposition de créer ces conditions et de se coaliser. Notre démarche consiste, en effet, à examiner ce qu’il faut faire et ce qui empêche l’opposition de le faire. Suivra cet examen celui d’une stratégie à laquelle les partis politiques de l’opposition ont souvent recours en Afrique, c’est-à-dire le boycottage des élections. Le but est de voir l’efficacité de cette stratégie en vue de réaliser l’alternance en leur faveur.

Le dualisme partisan et l’alternance au pouvoir

13Les faits empiriques semblent appuyer le constat de Duverger concernant le lien entre le système bipartisan et l’alternance au pouvoir, au premier chef dans les vieilles démocraties. En effet, comme on l’a vu au premier chapitre, c’est dans des pays anglo-saxons (comme l’Australie, le Canada, les États-Unis et la Nouvelle-Zélande) utilisant le système bipartisan que l’alternance s’est généralement implantée avant la Seconde Guerre mondiale. Et même quand elle est apparue dans des régimes multipartites après la Seconde Guerre mondiale, il semble qu’elle n’a été possible que là où est survenue une « bipolarisation » des forces politiques, sous la forme d’une coalition des partis d’opposition contre le parti au pouvoir (Quermonne, 1988).

14Ce constat semble aussi valable pour les pays africains où il y a eu alternance au pouvoir. En effet, il s’agit de pays où le parti au pouvoir avait en face de lui un parti d’opposition au poids politique comparable, ou alors les différents partis d’opposition se sont coalisés pour former une alliance formidable contre le parti au pouvoir. Sur les 31 victoires des partis d’opposition enregistrées sur le continent depuis 1990, sept sont intervenues dans des pays ayant un système bipartisan (voir tableau 4.2). Il s’agit du Cap-Vert (1991, 2001 et 2011), du Ghana (2000, 2008 et 2016) et de la Sierra Leone (2007). De toute évidence, on se retrouve ici avec les trois pays bipartisans les plus parfaits identifiés au premier chapitre. Pour rappel, nous y avons noté qu’au Cap-Vert, le pouvoir s’alterne depuis 1991 entre le Parti africain pour l’indépendance du Cap-Vert (PAIVC) et le Mouvement pour la démocratie (MpD), et au Ghana, entre le Congrès national démocratique (NDC) et le Nouveau parti patriotique (NPP), alors que la compétition en Sierra Leone se joue entre le Parti du peuple sierra-léonais (SLPP) et le Congrès de tout le peuple (APC).

tableau 4.2. Les victoires de l’opposition dans les pays bipartisans, 1990-2016

Image

Source : Banque de données de l’auteur.

15Mais qu’est-ce qui explique, au juste, la force du système bipartisan dans la facilitation de l’alternance, contrairement au multipartisme ? Pour nous, l’explication est essentiellement psychologique et stratégique. C’est-à-dire que la nature humaine tend à vouloir changer entre deux alternatives plus ou moins égales chaque fois que l’une aura été usée pour une période donnée. Ainsi, dans un système bipartisan, les électeurs préférant les petits partis, plus faibles, mais voulant une alternance de parti, les désertent pour soutenir l’un des deux candidats les mieux placés, celui qu’ils aiment le plus ou détestent le moins. Mais vu qu’ils désirent le changement – pourvu que des considérations d’ordre idéologique enracinées ne les en empêchent pas –, leur choix s’arrête sur le parti d’opposition le mieux placé.

16Il y a également les phénomènes de « vote sanction » et de « vote stratégique ». Nous postulons que les électeurs mécontents de la performance de leur parti au pouvoir ou les citoyens – pas nécessairement militants ou sympathisants du parti – qui sont déçus par ce dernier choisissent soit de voter pour un autre parti ou candidat, soit de s’abstenir de voter. Ainsi, l’électeur serait plus enclin à s’abstenir s’il ne voit pas de meilleure alternative ou si des considérations idéologiques l’en empêchent, ou encore à voter pour un petit parti afin de réduire la majorité de son parti et ainsi marquer sa désapprobation. Plusieurs chercheurs l’ont noté, dans le cadre d’un vote stratégique ou tactique, l’électeur déçu par son parti préférerait voter pour son deuxième choix pour ne pas « gaspiller » son vote (Riker et Ordeshook, 1968 ; Black, 1978 ; Cain, 1978).

17Par exemple, après avoir examiné la victoire du NPP ou la défaite du NDC – car c’est selon – à la lumière de ces constats, Anebo conclut que « les élections générales de 2000 au Ghana ont été l’occasion pour les électeurs mécontents et aliénés d’exprimer leur frustration et leur désapprobation pour le régime de NDC au pouvoir. Par conséquent, ces individus ont voté pour le principal parti d’opposition » (2001, p. 78 ; notre traduction de l’anglais).

18Il faut rappeler enfin que le bipartisme n’est pas l’unique condition pour réaliser l’alternance au pouvoir. La bipolarisation en est une autre, et elle relève à la fois des systèmes de partis et des stratégies des dirigeants de ces partis. Elle est réalisée par la formation de coalitions électorales.

La bipolarisation ou la formation de coalitions

19La bipolarisation est un type de dualisme, mais avec un caractère ad hoc, au rebours du système bipartisan. Elle résulte de la formation de coalitions électorales par des partis politiques en lice et constitue une stratégie privilégiée pour la réalisation de l’alternance en faveur des partis politiques de l’opposition. Le dualisme dépend généralement des facteurs sociopolitiques du pays, et donc du cadre institutionnel qui peut avoir précédé les acteurs politiques en présence ; il a ainsi besoin de temps pour se matérialiser. En revanche, la bipolarisation dépend grandement des stratégies des acteurs eux-mêmes, sans pour autant être imperméable aux facteurs sociopolitiques prévalant dans le pays.

20Nous nous efforcerons de montrer concrètement, par-delà ces constats généraux, l’utilité stratégique de la formation de coalitions dans un jeu politique comme des élections. Comment peut-elle contribuer à expliquer la réussite de l’opposition partisane dans les pays où elle a réalisé l’alternance en sa faveur ? Nous tenterons aussi de comprendre les facteurs qui pourraient empêcher l’opposition de réussir cette stratégie malgré ses avantages évidents. Avant de répondre à ces questions, cependant, il convient d’expliciter ce qu’on entend par « coalition électorale » et d’analyser les facteurs qui influent sur la formation d’une telle coalition, facilitent son maintien ou contribuent à son éclatement.

21 Définition des contours : Notons d’emblée que peu de politologues en études africaines se sont intéressés, jusqu’à maintenant, à la théorisation des coalitions électorales, à quelques exceptions près (voir Arriola, 2013 ; Kadima, 2006 et 2014 ; Bogaards, 2014 ; Resnick, 2014 ; Van de Walle, 2006). Mais le phénomène est bien étudié dans les sciences sociales, notamment par des politologues et des économistes américains.

22Gamson, l’un des pionniers de la théorie des coalitions, les définit comme des « alliances temporaires, de caractère instrumental, entre des individus ou des groupes dont les buts sont différents » (1961, p. 374 ; traduction par Lemieux, 1998, p. 15). Lemieux précise cette définition en présentant les coalitions comme

des ensembles concertés et temporaires d’acteurs individuels ou collectifs qui ont des rapports de coopération et de conflit […] et qui cherchent par une structuration du pouvoir appropriée à prédominer sur leurs adversaires de façon à ce que les coalisés obtiennent ainsi des avantages plus grands que s’ils n’avaient pas fait partie de la coalition (1998, p. 35).

23Kadima définit une coalition électorale comme « une alliance entre un minimum de deux partis politiques pour une période donnée en vue de poursuivre une série d’objectifs ou de cibles communs à travers une stratégie et des actions communes, la combinaison des ressources et la distribution des bénéfices éventuels » (2006, p. 10).

24Pour Haeringer (2003), dont le cadre théorique est celui de la théorie des jeux, une coalition est un ensemble de joueurs qui se regroupent afin de réaliser certains choix stratégiques qui seraient difficilement soutenables sans ces regroupements. Il introduit une notion importante dont il faudra tenir compte dans l’analyse des facteurs explicatifs de l’échec ou de la réussite partielle de certaines coalitions des partis d’opposition dans les pays africains. Cette notion est celle de la « coopération partielle » qu’on peut qualifier autrement de « coalition partielle ». Une coopération partielle s’observe lorsque deux ou plusieurs joueurs (membres de la coalition) décident d’agir conjointement (c’est-à-dire de coopérer) dans certains types ou champs d’action, mais de ne pas coopérer pour d’autres types d’action.

25À nos fins, il est possible d’élargir cette notion de coopération partielle aux différentes étapes d’une même action, c’est-à-dire de l’élargir au « temps » de l’action, donc de ne pas se limiter à ses « champs ». Par exemple, il est très courant pour les partis politiques d’opposition de pays africains dont le système électoral est majoritaire à deux tours de convenir que chacun présente son propre candidat au premier tour des élections présidentielles, et de s’entendre pour se rallier, au second tour, derrière celui qui aura le mieux performé au premier tour. Nous voyons là un exemple de coopération partielle dans le temps, voire sur des aspects spécifiques de l’action (c’est-à-dire ralliement derrière un candidat unique de l’opposition) faisant l’objet de la coopération. Le scrutin opéré avec ce mode étant composé de deux temps et de deux parties (un premier et un éventuel deuxième tour), s’entendre pour coopérer durant le second tour seulement relève en effet d’une coopération partielle. Cependant, une telle stratégie comporte le risque de disperser les votes de l’opposition et de permettre au parti au pouvoir de gagner les élections dès le premier tour.

26La définition étant ainsi posée, il importe maintenant de s’attarder aux facteurs qui incitent les acteurs politiques à se coaliser et à ceux qui peuvent les en empêcher. Il est vrai que l’objectif principal de toute coalition ou alliance est d’unir les ressources de ses membres pour atteindre un but difficile à réaliser autrement. Mais quels sont les calculs stratégiques que font les acteurs avant de décider de former ou d’adhérer à une alliance ou à une coalition ?

27 Facteurs de réussite : Suivant Gamson (1961), Chertkoff (1966) et Lemieux (1998), nous pouvons dégager quatre principales catégories de facteurs pouvant influencer la décision des acteurs politiques d’adhérer ou non à une coalition : a) les bénéfices escomptés (pay-offs) par les participants ; b) les contributions requises des participants ; c) les liens entre les participants ; et d) la probabilité de succès de la coalition3.

28Pour la première catégorie, notons que les bénéfices recherchés – l’une des principales motivations de cet acte stratégique – sont au cœur de la théorie des coalitions. Après tout, en effet, « c’est pour obtenir davantage de bénéfices que s’ils agissaient seuls ou dans une autre coalition que des acteurs cherchent à former une coalition victorieuse » (Lemieux, 1998, p. 23). Cela cadre bien avec la notion de « jeu essentiel » (essential game) identifiée par Gamson (1961) comme une caractéristique de la « coalition parfaite » (full-fledged coalition). Il postule qu’une condition importante pour la formation et le maintien d’une coalition est que ses acteurs arrivent à la conclusion que de rester en dehors de la coalition aboutira à une perte certaine.

29Mais il faut préciser que les bénéfices ne se mesurent pas seulement en termes utilitaristes. En effet, au-delà des postes gouvernementaux que les membres d’une coalition préélectorale peuvent s’attendre à occuper en cas de victoire de leur coalition, il y a bien des préférences stratégiques non utilitaristes, comme les considérations idéologiques. Pareillement, certains acteurs accordent une grande valeur aux bénéfices à long terme, et leur absence – malgré l’existence de bénéfices à court terme – pourrait les dissuader d’adhérer à une coalition donnée.

30Arriola (2013) concentre ses arguments au sujet des coalitions en Afrique sur la deuxième catégorie de conditions citées, c’est-à-dire les contributions requises des participants. Il soutient que le principal facteur de succès d’une coalition de l’opposition réside dans ses moyens financiers. Selon lui, ces moyens permettent non seulement au chef de la coalition d’opposition de donner des avantages immédiats aux autres membres de la coalition, mais aussi de contrer les velléités de cooptation du parti au pouvoir. Tout en reconnaissant l’importance du financement pour le bon déroulement des activités politiques et des campagnes électorales, comme nous l’avons vu au premier chapitre, on peut douter de la pertinence de la caractérisation que fait l’auteur de ce facteur et du poids qu’il y accorde, notamment en ce qui concerne l’idée de « retombées immédiates ». Ce pourrait être le cas de quelques individus, mais il est difficile de soutenir cette caractérisation de façon généralisée.

31Sur cette question de la contribution des participants aux ressources de la coalition, il convient de souligner l’importance des considérations sociales (ethniques) et régionales, selon les cas (Kadima, 2014). En effet, et sans pour autant exagérer leur poids ou le généraliser dans tous les contextes africains, il y a parfois des coalitions à base sociorégionale très prononcée, en plus des coalitions essentiellement partisanes. Cela arrive lorsqu’un chef de parti ou un candidat indépendant4, de par la composition transversale des membres de son parti (ou de ses soutiens, dans le cas d’un candidat indépendant) d’un point de vue régional ou communautaire/ethnique, réussit à rassembler suffisamment d’électeurs de part et d’autre des clivages sociorégionaux du pays. C’est ce qu’Arriola (2013) qualifie de « coalition multiethnique ».

32Cependant, comme les voix des communautés sont souvent canalisées dans des partis politiques, ceux-ci demeurent le socle de ces coalitions, sauf dans le cas des candidatures indépendantes. Ce qui advient dans une telle coalition est que ses différents membres présentent la voix potentielle de leur communauté comme leur « contribution à l’effort de guerre » de la coalition. Ils tentent ensuite de persuader les membres de leur communauté ou de leur région de soutenir la coalition. Le poids de ces membres est donc mesuré à l’aune de la taille démographique réelle ou supposée de leur communauté5, ou de la frange de celle-ci qui leur est prétendument acquise.

33Qu’il n’y ait pas de confusion : nous reconnaissons que les coalitions partisanes gagnantes en Afrique comprennent toujours des acteurs multiethniques, comme on l’a vu au chapitre 1. La particularité de ce que nous avançons ici est que les considérations sociorégionales peuvent avoir une importance très prononcée dans une situation donnée, au point qu’un parti politique qui réussit à en tirer partie – grâce à sa propre large composition transversale – peut se passer d’une alliance formelle avec d’autres leaders ou partis politiques. C’est ce qui est arrivé au Malawi en 1994 et en 2012, comme nous le verrons plus loin dans ce chapitre.

34Quant au troisième facteur de succès d’une coalition, c’est-à-dire les liens entre les participants, Mazur (1968) part d’une approche dite non rationnelle pour introduire la notion de considérations « affectives » ou « émotionnelles » qui peuvent influencer la décision de certains acteurs d’adhérer à une coalition. La proposition de l’auteur est qu’il y a « des déterminants émotionnels qui ne sont pas quantifiables et qui ne se prêtent pas aux postulats utilitaristes ou maximalistes des théories du choix rationnel » (p. 198), mais qu’ils sont importants dans l’explication de la décision d’un acteur d’adhérer ou non à une coalition.

35En tout cas, les acteurs prennent en considération la probabilité de succès d’une coalition avant d’accepter d’en faire partie. En d’autres termes, chaque acteur voulant adhérer à une coalition doit s’assurer que la coalition aura un poids face aux acteurs en dehors de la coalition ou face à ceux qui forment une autre coalition (Chertkoff, 1966). Sur ce point, le choix du candidat de la coalition de l’opposition a une importance capitale. Si les coalisés de l’opposition veulent être plus tactiques, ce choix ne doit pas être fondé uniquement sur la base électorale de ce candidat, mais surtout sur une analyse de l’acceptabilité du candidat aux yeux des supporters et sympathisants des autres partis d’opposition et, surtout, des personnes déçues par le parti au pouvoir ; ce choix doit être fondé, donc, sur la probabilité que le candidat recueille des voix au-delà de l’opposition loyale.

36Pour en avoir une idée objective, il s’agit d’imaginer un vote sous le modèle « alternatif » entre les différents prétendants à la chefferie de la coalition d’opposition, d’une part, et le candidat du parti au pouvoir et, le cas échéant, les autres candidats, d’autre part6. Un comité ou une autre structure de la coalition effectue alors une analyse objective – en tenant compte des facteurs nécessaires – pour déterminer à qui, parmi les membres de la coalition, les militants des autres candidats accorderaient leur deuxième choix lors du vote. Ainsi, celui qui recueille le plus de voix dans ce processus imaginé mais objectif est en principe le candidat idéal de la coalition. Il peut être minoritaire en soi – possiblement en raison de considérations communautaires –, mais son profil ou la personne elle-même est susceptible de faire gagner à l’opposition non seulement ses propres voix acquises, mais aussi celles de certains militants non catégoriques du parti au pouvoir.

37 Facteurs d’échec : Plusieurs facteurs peuvent faire échouer ou compromettre le succès des coalitions électorales, en Afrique comme ailleurs. Il s’agit d’abord, et tout naturellement, de l’absence des facteurs qui contribuent à leur succès. Mais d’autres s’y ajoutent. Un de ces facteurs, comme nous venons de le voir, est la difficulté pour les partis d’opposition de réaliser une analyse objective des critères guidant le choix d’un candidat consensuel, en faveur duquel les autres doivent stratégiquement se retirer. Les acteurs politiques sont parfois en mesure de faire cette analyse objective, mais échouent à se conformer à ses résultats. Cela fait souvent des alliances électorales de l’opposition de simples mécanismes de coopération ou de concertation, plutôt que les structures de coordination qu’on attend d’une véritable coalition. En effet, les différents acteurs politiques reconnaissent bien la nécessité et les avantages de former des coalitions pour battre le candidat du parti au pouvoir. Cependant, ils sont tiraillés entre deux logiques. D’une part, l’objectif commun des partis d’opposition est de réaliser l’alternance et de déloger le parti au pouvoir. D’autre part, cependant, chacun voudrait être le représentant de l’opposition qui bénéficie de cette alternance.

38En d’autres termes, bon nombre de candidats ou leaders de l’opposition sont bien en faveur d’une coalition, voire d’une candidature unique de l’opposition, mais à condition qu’ils soient, eux, ce candidat unique. Examinant cette problématique dans le cas des pays d’Europe de l’Est et d’Amérique latine au début des années 1990, Przeworski a exprimé cette réalité très éloquemment :

la lutte [des partis et des mouvements d’opposition] pour la démocratie se déroule toujours sur deux fronts : contre le régime autoritaire en vue d’établir la démocratie, d’une part, et contre leurs propres alliés en vue de remporter ou d’obtenir la meilleure place sous la démocratie, d’autre part (1991, cité par Arriola, 2013, p. 6 ; notre traduction).

39Un autre facteur pouvant empêcher la formation ou le succès de coalitions électorales de l’opposition est l’incertitude et le manque de confiance entre ses différents ténors. Cette incertitude est plus marquée dans les régimes présidentiels que parlementaires. En effet, lors de discussions entre les différents acteurs de l’opposition en vue de former une coalition électorale au premier ou au second tour d’une élection présidentielle, les bénéfices sur lesquels ils pourraient miser comme « butin » de leur alliance sont généralement les postes au gouvernement futur et dans l’administration, y compris les structures parapubliques. Cependant, les partenaires de la coalition n’ont aucune garantie que leur « candidat unique » honorera ces promesses électorales une fois au pouvoir et ils n’ont que très peu de moyens pour le contraindre à les honorer, comme le montre bien Kadima (2014) dans le cas du Kenya, après l’élection de Mwai Kibaki en 2002.

40Dans les systèmes parlementaires, cette incertitude existe, mais elle est moins pesante. Étant donné que la tête du gouvernement (le président ou le premier ministre exécutif) est nommée par les représentants des différents partis au Parlement, les partenaires de la coalition disposent d’un pouvoir clair pour contraindre son chef à honorer ses promesses. À moins que le leader de la coalition ne trouve d’autres alliés au Parlement, ses alliés initiaux déçus peuvent faire tomber son gouvernement ou empêcher sa formation, en se retirant de la coalition pour forcer des élections anticipées ou ouvrir la voie à d’autres cycles de concertations et de formation de coalition.

41Un exemple intéressant de ce constat concernant les régimes parlementaires nous est offert par la formidable expérience de la coalition MMM-MSM (regroupant le Mouvement militant mauricien et le Mouvement socialiste mauricien) en 2000 à Maurice. Depuis le regain de son indépendance en 1968, l’île Maurice avait toujours eu un premier ministre indien, groupe ethnique majoritaire sur l’île. À l’approche des élections générales de septembre 2000, le MSM, dirigé par Anerood Jugnauth, un Indien, n’avait aucun siège au Parlement, tandis que le MMM, dirigé par Paul Bérenger, de la minorité européenne d’origine française, était le principal parti d’opposition avec 25 députés sur 66 élus au Parlement7. À cause de l’absence de l’un au Parlement et de l’appartenance ethnique du leader de l’autre, ni le MSM ni le MMM n’avait une chance réaliste de défaire le parti travailliste au pouvoir.

42Les chefs des deux partis ont alors décidé de se coaliser, réalisant des sacrifices, mais aussi des arrangements clairs pour le partage des responsabilités et des avantages en cas de victoire. Ce faisant, ils ont été guidés par le constat que nous venons de faire sur les régimes parlementaires et le poids social des candidats. En effet, ils ont convenu que s’ils remportaient le scrutin, le chef du MSM deviendrait le premier ministre durant les trois premières années du quinquennat (pour obtenir l’électorat indien), et qu’il serait remplacé par son homologue du MMM durant les deux dernières années du mandat (pour reconnaître son poids politique de l’heure). Durant ces deux dernières années, leur majorité parlementaire voterait pour que Jugnauth devienne le président non exécutif du pays. Grâce à cette ingéniosité politique, la coalition a remporté le scrutin et l’accord du partage de pouvoir a été scrupuleusement respecté, faisant de la coalition MMM-MSM la plus longue coalition gouvernementale dans l’histoire de Maurice. Les deux partis sont même restés unis lorsqu’ils ont perdu le pouvoir en juillet 2005.

43Ce qui ressort de ces discussions sur les facteurs de réussite et d’échec des coalitions électorales est que la formation de coalitions constitue une stratégie importante dans les jeux compétitifs, mais qu’aucun facteur unique n’est à même d’expliquer les calculs complexes que font les acteurs politiques avant de créer une coalition ou d’y adhérer. Les jeux d’alliance du parti au pouvoir ne doivent pas non plus être négligés, car celui-ci engage les mêmes consultations et emploie les mêmes stratégies pour bénéficier du soutien d’autres acteurs politiques, parfois au sein de l’opposition elle-même (Bogaards, 2014 ; Kadima, 2014). Et comme nous l’avons déjà dit à maintes reprises, le parti au pouvoir dispose généralement de plus de moyens que les partis d’opposition. Il convient alors de considérer le contexte sociopolitique particulier des groupes qui font l’objet de l’analyse. C’est l’approche qui nous guidera dans l’examen des expériences et des tentatives de formation de coalitions électorales dans les pays africains.

La formation de coalitions comme stratégie électorale

44Peut-on établir, à partir de ce qui précède, une certaine corrélation, voire un lien de causalité entre la stratégie de formation de coalitions et la possibilité de victoire électorale des partis d’opposition en Afrique ? Van de Walle (2006) pense qu’il y a une corrélation entre les deux, mais que le lien causal est moins prégnant. Il conditionne la corrélation au niveau de démocratisation des pays concernés. C’est donc de celui-ci que dépend, pour lui, la probabilité de fraude électorale dans un pays, en même temps qu’il détermine la probabilité qu’une coalition de l’opposition aboutisse ou non à une victoire électorale.

45Certes, le lien causal est moins clair, mais la corrélation est plus évidente que Van de Walle ne l’a relevé. Dès les premières pages de son ouvrage sur les coalitions multiethniques en Afrique, Arriola soutient que « les retombées potentielles de la coordination entre les partis d’opposition sont évidentes en Afrique subsaharienne, où les acteurs politiques de l’opposition sont généralement divisés sur des bases ethniques » (2013, p. 1). Après avoir présenté quelques données sur les élections présidentielles tenues en Afrique subsaharienne entre 1985 et 2005, il avance la conclusion suivante :

La coordination électorale entre les acteurs de l’opposition aurait pu contribuer à augmenter le nombre d’alternances au pouvoir de façon substantielle. L’issue aurait pu être différente [en faveur de l’opposition] dans environ 40 % des 74 élections présidentielles tenues entre 1985 et 2005. Si les trois principaux candidats de l’opposition [dans chaque élection] avaient réussi à former une coalition électorale ou à opérer des désistements stratégiques de leurs candidatures en faveur du mieux placé, le cumul de leurs scores électoraux aurait été supérieur aux voix du candidat du parti au pouvoir dans ces élections (Arriola, 2013, p. 6-7 ; notre traduction de l’anglais).

46On peut pousser et vérifier cette conclusion en se basant sur les similitudes entre la bipolarisation et le système bipartisan. Supposons que le parti au pouvoir détienne la majorité des voix dans un régime à mode de scrutin pluralitaire ; aucun parti d’opposition dans le système multipartite ne pourrait le déloger sans le soutien d’un ou de plusieurs autres partis d’opposition, ce qui arrive souvent au second tour dans les systèmes majoritaires à deux tours. Or la formation de cette coalition rend le système en quelque sorte bipolaire, ne serait-ce que de facto. Peu importe, alors, l’étape à laquelle la coalition est formée ; le système cesse d’être multipartiste dès lors que cette coalition est constituée. Il en est ainsi parce qu’elle se fait en amalgamant un bon nombre de partis d’opposition en une alliance qui se mesure au parti au pouvoir. Cette alliance laisse aussi entre elle et les partis d’opposition qui n’y appartiennent pas un écart similaire à celui qui existe entre les deux principaux partis d’un système dualiste et les autres forces politiques. Précisons que la coalition dont il est question ici est celle qui est formée par les principaux partis d’opposition ou autour d’eux, selon leur poids électoral au moment du scrutin.

47Cela offre une démonstration logique des similitudes et, donc, du lien entre la formation de coalitions et l’alternance, du moment où le lien entre l’alternance et le système bipartisan est entendu. Il reste maintenant à démontrer empiriquement, à partir des 24 autres cas d’alternance au pouvoir par les partis d’opposition (24 cas sur 31, donc sans compter les sept cas intervenus dans des systèmes bipartisans) en Afrique entre 1990 et 2016 (voir tableau 4.3), que la formation de coalition est une condition nécessaire, quoique pas suffisante, pour la victoire électorale de l’opposition dans les systèmes multipartites.

48Comme il est évident à la lecture des tableaux 4.2 et 4.3, les 31 cas d’alternance au pouvoir par un parti d’opposition en Afrique entre 1990 et 2016 sont advenus dans des systèmes bipartisans ou grâce à une coalition formée par un certain nombre de partis d’opposition, rendant donc le système « bipolarisé ». Dans les pays où le système électoral est pluralitaire, où il n’y a donc pas de second tour, c’est dès le premier tour que l’opposition forme une coalition. Étant donné que l’élection se gagne dans ces pays par une simple majorité, il est possible que la coalition d’opposition ne soit pas très grande ; mais lorsqu’elle connaît l’adhésion des principaux partis d’opposition, elle constitue souvent une coalition formidable avec des chances accrues de victoire (Resnick, 2014 ; Arriola, 2013). Citons les cas gambien (2016), sénégalais (2000) et kenyan (2002) pour illustrer ce point.

49En Gambie, depuis le coup d’État de juillet 1994 contre le gouvernement civil de Dawda Kairaba Jawara, Yayah Jammeh avait instauré un régime militaro-civil et autoritaire et remporté toutes les élections. Il faisait notamment face à un leader charismatique dans l’opposition, Usainou Darboe, chef du Parti démocrate unifié (UDP). Selon Fofana (2016), à chaque élection, les tentatives de coalition de l’opposition contre Jammeh se sont butées sur le choix du candidat unique de la coalition, car Darboe, s’estimant le mieux qualifié, insistait pour assurer le leadership de toute coalition. À quelque chose malheur est bon : Darboe a été arrêté et emprisonné à la mi-2016 pour atteinte à la sûreté de l’État. Sans espoir qu’il sorte de prison à temps pour les élections présidentielles du 1er décembre 2016, son parti lui a trouvé un remplaçant comme candidat à la présidence, en la personne d’un homme d’affaires du nom d’Adama Barrow.

tableau 4.3. Les victoires de l’opposition dans les pays multipartites, 1990-2016

Image

Source : données compilées par l’auteur.
1. Dans les cas où le tour n’est pas précisé, il s’agit soit de systèmes majoritaires à un seul tour, soit de cas de coalition dès le premier tour. De même, il faut se référer à la liste des abréviations pour les significations de ces sigles.
2. Nous maintenons les deux appartenances (CPR et indépendant) de Marzouki, car il avait été élu par l’Assemblée constituante en décembre 2011 sous les couleurs du Congrès pour la République (CPR), arrivé en deuxième position à l’élection de la Constituante du 23 octobre 2011. Cependant, aussitôt qu’il a pris ses fonctions de président de la République, il a démissionné de la présidence de son parti, conformément à la Loi portant organisation provisoire des pouvoirs publics, et c’est en candidat indépendant qu’il s’est présenté au scrutin présidentiel de 2014, qu’il perd devant le candidat de Nidaa Tounès, Beji Caid Essebsi, au second tour.

50À la fin octobre, quelque sept partis d’opposition ont mis leurs différends de côté pour former une coalition et soutenir Barrow comme leur candidat unique. Considérée comme consensuelle et modérée, la coalition de l’opposition autour d’une telle personnalité a été le facteur clé de la victoire historique et – pour certains, comme Fofana (2016) et Roger (2016) – surréelle de l’opposition à l’issue du scrutin présidentiel du 1er décembre 2016. Jammeh a lui-même initialement reconnu sa défaite, même s’il s’est rétracté une semaine plus tard pour contester les résultats ; mais l’histoire avait bel et bien été écrite. Devant les pressions diplomatiques et militaires de la CEDEAO, de l’UA et des Nations unies, Jammeh a fini par céder le pouvoir au gagnant du scrutin, mettant ainsi fin à 22 ans d’un règne sans partage dans ce petit pays d’Afrique de l’Ouest, situé comme une langue dans la bouche du Sénégal, à part sa petite ouverture sur l’océan Atlantique.

51Au Sénégal, lors du premier tour de l’élection présidentielle de février 2000, le leader de l’opposition Abdoulaye Wade, candidat du Parti démocratique sénégalais (PDS), s’était placé en deuxième position avec 31 % des voix contre 41,3 % pour Abdou Diouf, le président sortant du Parti socialiste (PS). Ce résultat a forcé un second tour. Ayant contesté individuellement le premier tour du scrutin, les leaders de presque tous les autres principaux partis d’opposition se sont ralliés derrière Wade, dans le cadre d’une grande coalition dénommée Sopi (« changement », en wolof). Cette coalition autour de Wade a permis à l’opposition, pour la première fois dans l’histoire postcoloniale du Sénégal, de conquérir le pouvoir exécutif avec 58,49 % des voix.

52Il semblerait, cependant, qu’aussitôt la coalition au pouvoir, des dissensions ont surgi entre les partenaires du Sopi sur certains termes de l’accord qui avait permis cette alternance. La preuve en est que la plupart des leaders de la coalition ont quitté Wade quelques mois seulement après leur victoire électorale8. Pour cette raison peut-être, une coalition similaire, dénommée Rassemblement des forces du changement (RFC)/Benno bok Yaakkar, a facilité, selon Naudé (2012), douze ans plus tard, l’ascension de Macky Sall, ancien premier ministre de Wade avec qui il était en rupture de ban, à la présidence de la République, en mars 2012.

53Le Kenya offre aussi un exemple dans la victoire de la Coalition nationale arc-en-ciel (NARC) en 2002. Pour conquérir le pouvoir suprême après plusieurs tentatives futiles depuis l’instauration du multipartisme en 1991, les leaders d’une douzaine de partis politiques de l’opposition, regroupés au sein de deux grandes alliances, ont formé la NARC à l’approche des élections générales de décembre 2002. Avec l’ambition de conquérir le pouvoir et de rassurer les différents membres de la coalition, les leaders de la NARC ont adopté des documents légalisés contenant les structures de la coalition, les modalités de partage des postes clés ainsi que des mécanismes de gestion des différends qui pourraient surgir au sein de la coalition une fois au pouvoir. Mwai Kibaki, un membre influent de l’Alliance nationale du Kenya (NAK, une des deux grandes alliances), a été désigné comme le candidat présidentiel unique de la coalition, et tous les autres postes clés du gouvernement ont été assignés à des leaders de la coalition. La coalition a remporté les élections présidentielles contre Uhuru Kenyatta, le candidat adoubé par le président sortant Daniel arap Moi.

54Cependant, ces accords sont restés confidentiels et, comme au Sénégal en 2000, l’éclatement de la coalition deux ans seulement après sa victoire est généralement attribué au non-respect de certains termes de ces accords ainsi qu’à des différends personnels et à des dynamiques internes à la coalition.

55De même, aucune des quatre victoires de l’opposition enregistrées à Maurice depuis 1990 n’a été remportée par un seul parti politique. Toutes ont été au compte de coalitions de partis d’opposition, tout comme les victoires de l’opposition au Lesotho.

56À l’inverse, l’échec des principaux partis d’opposition à se coaliser rend très facile la victoire du candidat du parti au pouvoir. Les résultats de l’élection présidentielle gabonaise d’août 2009 en sont un cas de figure. Le système électoral y étant pluralitaire (majorité simple), Ali Bongo, le candidat du Parti démocratique du Gabon (PDG, au pouvoir) l’a remportée avec seulement 41,5 % des voix selon la Commission électorale. Or ses deux principaux adversaires, André Mba Obame (deuxième place) et Pierre Mamboundou (troisième place) ont obtenu environ 25 % des voix chacun. Avec un total de plus de 50 % des voix (soit 8 % de plus que le candidat du parti au pouvoir), une coalition entre ces deux personnalités aurait très vraisemblablement assuré la victoire de l’opposition.

57Évidemment, les élections ne sont pas toujours des calculs logiques ou linéaires, et d’aucuns pourraient dire que le scrutin aurait pu être truqué même avec leur coalition. En effet, plusieurs partis d’opposition ont formé une grande coalition autour de Jean Ping lors des élections présidentielles d’août 2016, et Ali Bongo a été déclaré vainqueur de ce scrutin. Notons cependant que la sincérité du scrutin de 2016 est remise en cause, la coalition de l’opposition et plusieurs observateurs trouvant invraisemblables le nombre des voix et le taux de participation reconnus pour le président sortant, notamment dans la province du Haut-Ogooué (MOE-UE, 2016)9. Il faut signaler qu’il y a d’autres observateurs qui soutiennent le contraire, comme Pambou (2016). Soit ; mais une coalition similaire en 2009 aurait pu rendre cela difficile, quoique pas impossible, car c’était un moment où la soif de changement était encore très vive dans le pays, quelques mois seulement après le décès d’Oumar Bongo. Qui plus est, les joueurs d’une équipe de football ne doivent pas refuser de faire des passes entre eux pour marquer contre l’équipe adverse sous prétexte que cette équipe ou l’arbitre ne reconnaîtrait pas leurs buts. En effet, soit on est dans le match et on mouille les maillots jusqu’au bout, en faisant toutes les combinaisons possibles et autorisées, soit on déclare forfait et on ne joue pas.

58Un autre exemple se trouve dans la défaite de l’opposition zambienne aux élections présidentielles de décembre 2001. Après avoir exercé le pouvoir pendant deux mandats consécutifs, Frederik Chiluba n’était plus rééligible. Ainsi, Levy Mwanawassa a porté le drapeau du parti au pouvoir, le MMD. En face de lui se trouvaient les candidats de neuf partis d’opposition qui n’ont pas apprécié le besoin ni l’idée de se coaliser. Le système électoral étant alors pluralitaire à un seul tour10 – comme au Gabon –, le candidat du parti au pouvoir a été élu avec seulement 29,15 % des voix, contre 27,2 % pour le candidat du Parti uni pour le développement national (UPND) Anderson Mazoka, une différence d’à peine 1,95 %. Pourtant, le troisième candidat (de l’opposition, bien entendu) a obtenu 13,17 % des voix, le quatrième 10,12 % et le cinquième 8,9 %. Une coalition entre Mazoka et n’importe lequel de ces autres candidats de l’opposition leur aurait assuré la victoire11.

59Ce que nous enseignent ces exemples, c’est que les partis politiques de l’opposition sont obligés de se coaliser dès le premier et seul tour dans un système politique opérant le mode pluralitaire pour les scrutins présidentiels, comme au Gabon et en Zambie avant 2016. Par contre, dans les pays opérant le mode majoritaire à deux tours, c’est souvent au second tour (même s’ils peuvent le faire dès le premier tour, et ce serait d’ailleurs mieux) que les partis d’opposition se rallient au candidat ayant obtenu le plus de votes au premier tour, comme on vient de le voir pour le Sénégal.

60À ceux qui seraient tentés de dire que l’opposition n’a d’autre choix que de se coaliser au second tour, et donc de minimiser la valeur explicative de notre hypothèse, il sied de rappeler que cela n’est pas automatique. Il n’est pas non plus acquis que les différents candidats de l’opposition au premier tour reportent leur voix sur leur collègue. L’élection présidentielle sénégalaise de 2000 nous en fournit d’ailleurs un exemple. Djibo Kâ, le leader de l’Union pour le renouveau démocratique (URD), arrivé en quatrième position au premier tour avec environ 7 % des voix, a boudé la coalition d’opposition et s’est rallié au candidat du parti au pouvoir. Cela illustre aussi le fait que les partis au pouvoir ne sont pas en reste dans les jeux d’alliance.

61Ces exemples montrent enfin l’impact positif de la formation de coalitions sur les chances de l’opposition d’effectuer l’alternance au pouvoir. Il est fort possible d’en déduire presque une impossibilité, pour les partis d’opposition des pays multipartites, notamment lorsque le parti au pouvoir est dominant, d’effectuer l’alternance sans se coaliser. Il est vrai que la formation de coalitions n’est pas une condition suffisante pour effectuer l’alternance, et il est possible que le parti au pouvoir soit tellement solide et populaire que la coalition de l’opposition ne puisse pas le déloger. Les cas de l’ANC en Afrique du Sud, du BDP au Botswana et du CCM en Tanzanie illustrent bien ce scénario.

62Il est également possible que des régimes autoritaires anticipent la formation de la coalition de l’opposition par une opération de fraude massive, afin de gagner le scrutin dès le premier tour (Van de Walle, 2006). Mais il est possible d’arguer que la désunion des partis politiques d’opposition facilite cet exercice de truquage, car le parti au pouvoir peut l’utiliser comme un alibi pour cacher, voire blanchir ses actes déloyaux. Cela est d’autant plus vrai qu’une réelle coalition des principaux partis de l’opposition est susceptible d’influencer les calculs des membres de la coalition gouvernementale qui ne voudraient pas finir du mauvais côté de l’histoire (Langston, 2006). La preuve en est que la plupart des gouvernements issus de la victoire de ce genre de coalitions d’opposition comportent de nombreux éléments autrefois associés au régime défunt.

63L’échec des partis d’opposition à former une coalition cohérente peut également jouer contre eux par le biais du taux de participation. Dans une situation de désunion de l’opposition vis-à-vis d’un parti au pouvoir ou d’une mouvance présidentielle – donc coalition au pouvoir – cohérente et bien organisée, il est attendu que bon nombre de militants de l’opposition s’abstiendront de voter. Ceux-ci ne veulent pas « gaspiller » leur vote pour un candidat qui n’a aucune chance réaliste de gagner, mais ne souhaitent pas non plus voter pour le candidat du parti au pouvoir. Nous estimons donc que la formation de coalitions peut avoir l’effet de mobiliser ces votes « perdus » en faveur de l’opposition.

Les coalitions à base sociorégionale

64Comme nous l’avons indiqué plus haut, les victoires électorales de Bakili Muluzi du Front démocratique uni (UDF) en mai 1994 et de Peter Mutharika du Parti progressiste démocrate (DPP) au Malawi en mai 2014 n’ont pas suivi la voie classique de coalition entre partis politiques. Elles ont largement été le résultat de coalitions régionales, ou partisanes à base régionale et communautaire.

65Il convient de rappeler, en effet, que le scrutin présidentiel de 1994 a été disputé entre trois principaux partis politiques et un quatrième parti « mineur »12. Les trois étaient l’UDF de Muluzi, qui l’a emporté avec 47 % des voix ; le Parti du congrès malawite (MCP) du président sortant Kamuzu Hastings Banda, arrivé en deuxième position avec 33,45 % des voix ; et l’Alliance pour la démocratie (AFORD) du syndicaliste Chakufwa Chihana, qui a reçu 19 % des voix. Ces résultats présentent un système plutôt tripartite, donc multipartite, ce qui semble contredire notre argument sur la nécessité du bipartisme ou de la bipolarisation pour effectuer l’alternance. Mais la victoire de Muluzi dans un système tripartite peut tout à fait être expliquée par une rare combinaison d’au moins trois facteurs importants.

66Le premier facteur est le mode de scrutin au Malawi, qui est majoritaire à un seul tour. En d’autres mots, le gagnant n’a besoin que d’une majorité simple, ce qui explique la victoire du candidat de l’UDF avec moins de 50 % des voix. Mais cela ne suffit pas pour expliquer la situation. En effet, le chef de l’AFORD a été le premier acteur politique à exiger publiquement – et depuis 1992 – l’établissement du multipartisme, ce qui lui a valu d’être incarcéré. Pour cette raison, le parti avait cru être en mesure de remporter le scrutin présidentiel vis-à-vis du MCP, au pouvoir depuis environ trois décennies et ayant été décrié pour son autoritarisme sous Banda. Aussi, le leader de l’AFORD s’estimait le plus instruit et le plus « propre » des trois principaux candidats, car le président de l’UDF et bon nombre de ses cadres étaient issus du MCP.

67Le deuxième facteur, qui est peut-être le plus saillant, est le poids du régionalisme qui semble profondément caractériser le paysage politique malawite. Le Malawi étant constitué de trois grandes régions – le Nord, le Centre et le Sud –, les différentes échéances électorales y ayant eu lieu depuis l’instauration du multipartisme avec le référendum de juin 199313 ont montré que les Malawites tendent à voter pour les candidats de leur région, ou pour le parti censé en être le plus représentatif. Pourtant, le Nord, bastion électoral de l’AFORD, ne représentait que 11 % de l’électorat national avec seulement cinq des 24 circonscriptions électorales, tandis que le MCP dominait le Centre qui constitue environ 39 % de l’électorat avec 9 des 24 circonscriptions, et que l’UDF dominait au Sud, plus peuplé, avec environ 50 % de l’électoral national et 10 des 24 circonscriptions électorales (Chirwa, 1994 ; Kalipeni, 1997 ; Tsoka, 2009 ; Van Donge, 1995).

68Finalement, le troisième facteur réside dans la formation d’alliances « régionales ». De par leur passé au sein du MCP et avec la présence de quelques figures du Centre au sein de leur parti, les leaders de l’UDF avaient des sympathisants dans la région centrale, la deuxième en importance électorale après la leur. Par contre, il devenait de plus en plus évident, à l’approche du scrutin présidentiel, que le candidat de l’AFORD aurait du mal à bénéficier du soutien d’électeurs en dehors du Nord et que le parti au pouvoir devrait se contenter des électeurs du Centre (Van Donge, 1995).

69Les résultats des scrutins présidentiel et législatif de 1994 ont reflété cette réalité et confirmé ces prédictions. Pour le premier qui nous intéresse ici, c’est-à-dire le présidentiel, l’UDF l’a emporté avec 78 % de toutes les voix exprimées dans son bastion du Sud, 27 % des voix du Centre, et 4,5 % des voix au Nord. L’AFORD n’a gagné que dans sa région du Nord, où il a recueilli environ 88 % des voix (mais sur 11 % seulement de l’électorat national), et seulement 7,5 % et 5,23 % des voix, respectivement, au Centre et au Sud. Le candidat du parti sortant n’a quant à lui brillé que dans son fief du Centre, où on lui a crédité 64 % des voix, en plus de 16 % des voix au Sud et 7,3 % des voix au Nord. Voilà ce qui explique ce cas exceptionnel et, du même coup, ce en quoi il n’invalide pas notre argumentation centrale.

70Une situation similaire a prévalu en 2014, lors de l’élection de Peter Mutharika contre la présidente sortante Joyce Banda. Il sied d’abord de rappeler que le Parti progressiste démocrate (DPP) qui a porté Mutharika au pouvoir est le parti créé par son défunt grand-frère Bingu wa Mutharika (décédé en avril 2012 et remplacé par sa vice-présidente Banda) en 2005, quelques mois à peine après son élection à la présidence du pays sous les couleurs de l’UDF, à cause de désaccords avec son parti d’origine (Dulani, 2008 ; Tsoka, 2009). S’il est vrai que les scandales de corruption ayant éclaboussé son gouvernement quelques mois avant le scrutin ont joué un rôle dans la défaite de la présidente sortante, la plaçant même en troisième position avec seulement 20 % des voix, contre les 36 % de Mutharika et les 28 % de Lazarus, voici la conclusion d’un analyste malawite que nous partageons :

Les élections de 2014 étaient une véritable réédition du scrutin présidentiel de 1994, et d’ailleurs de toutes les élections au Malawi depuis lors […] Après Chihana, la présidente Banda était une candidate bien assise au Nord ; vous pouvez ne pas être d’accord avec moi, mais la réalité est que le Parti du peuple (PP) de Mme Banda était plus présent au Nord que dans toute autre région du pays. Cette région étant son fief, Banda est arrivée troisième, tout comme Chihana avant elle, puisque le Nord est la troisième région en ce qui concerne la population, après le Sud et le Centre, respectivement. Peter Mutharika a remporté le scrutin avec une assise incontestable au Centre, la région la plus peuplée du pays, alors que Lazarus Chakwera, à l’instar de Kamuzu Banda, Gwanda et Tembo avant lui, s’est placé en deuxième position, recueillant la majorité de ses voix au Centre du pays, la deuxième région la plus peuplée (Sibande, 2005)14.

Le contrôle du Parlement comme tremplin pour la présidence

71Les victoires de Beji Caid Essebsi de Nidaa Tounès (Appel de la Tunisie ; NT) en décembre 2014 en Tunisie, et d’Evaristo Carvalho du parti Action démocratique indépendante (ADI) à Sao Tomé-et-Principe en septembre 2016 ont été rendues possibles grâce à un jeu d’alliances qui a commencé par le contrôle du Parlement. Dans un cas comme dans l’autre, ces manœuvres étaient préalables au scrutin présidentiel.

72En Tunisie, il n’y a pas eu d’alliance préélectorale classique entre NT et d’autres formations politiques. Cependant, il convient de reconnaître un fait important relatif à la position du parti Ennahda, la première force politique du pays devenue deuxième après les élections législatives d’octobre 2014. Ayant dominé l’Assemblée constituante depuis octobre 2011 et le gouvernement auquel cette Assemblée avait donné naissance en décembre de la même année, Ennahda a cédé sa première place à NT à l’issue des élections législatives de 2014. Ce dernier avait remporté 85 sièges sur 217, contre 69 pour Ennahda, grâce à une vaste campagne anti-Ennahda – sinon anti-islamiste – qui a vu naître une coalition idéologique.

73Avec ses 69 sièges, la configuration du nouveau Parlement tunisien (l’Assemblée des représentants du peuple) est devenue bipartite, dominée par les deux partis qui contrôlaient 70 % des sièges, avec un écart net entre Ennahda et les troisième et quatrième partis, qui ont recueilli seize et quinze sièges respectivement. Disposant de cette force au Parlement, Ennahda jouissait d’un important électorat au pays s’il souhaitait le mobiliser pour l’élection présidentielle. Or, et c’est là le fait remarquable, le parti a décidé de ne pas présenter de candidat à la présidentielle de novembre 2014 et de ne pas donner non plus de consigne de vote. D’ailleurs, tout porte à croire qu’une entente avait été conclue entre les deux partis avant le scrutin présidentiel, notamment après une rencontre entre leurs dirigeants respectifs à Paris à la fin 2013 (Fatnasi, 2015).

74Déjà, peu après les législatives d’octobre 2014 et sachant qu’il serait contraint à former une coalition pour avoir une majorité de sièges, Essebsi, le leader de NT, avait affirmé sa disposition à former une coalition avec tout le monde, sans exclure Ennahda. C’est ce qui s’est confirmé quand les deux partis ont formé avec d’autres un gouvernement de coalition en début 2015, quoiqu’avec une dominance logique de NT. Ainsi, non seulement NT a-t-il utilisé sa victoire au Parlement comme tremplin pour la présidence, il a aussi su composer avec d’autres forces politiques et bénéficier de leur soutien pour la présidence.

75L’on peut supposer également que NT a bénéficié de l’analyse régionale et pragmatique d’Ennahda. En effet, l’expérience du Parti justice et liberté (PJL), issu du mouvement politico-religieux des Frères musulmans (FM) en Égypte, peut avoir pesé sur la décision d’Ennahda de ne pas briguer la présidence. Il convient de rappeler que dès le lendemain de la révolution de février 2011 en Égypte, les FM, bien implantés dans le pays malgré leur interdiction sous le régime défunt de Hosni Moubarak, se sont bien préparés pour les législatives tout en disant ne pas vouloir briguer la présidence. Ils estimaient que les attentes des populations étaient telles que le premier gouvernement issu des urnes ferait face à une grande déception populaire s’il ne réussissait pas à satisfaire ces attentes parfois démesurées et irréalistes, mais légitimes15.

76Il semble que c’est le positionnement du comité ou conseil militaire ayant pris le pouvoir après le départ forcé de leur camarade Moubarak (notamment avec ses interventions dans les élections législatives) qui a poussé les FM à briguer la présidence de juin 2012 à travers le PJL qu’ils venaient de créer. Ils ont remporté le scrutin avec Mohamed Morsi, mais c’était là une dérogation de leur propre analyse initiale et de certains propos publics. Malheureusement pour eux, l’armée et leurs opposants « libéraux » ont utilisé leur échec à satisfaire aux attentes populaires pour les renverser dans le putsch du 3 juillet 2013. Plutôt que de voir cette situation comme l’échec d’un parti d’opposition novice dans la gestion des affaires publiques et arrivé au pouvoir, de surcroît, dans des circonstances particulièrement difficiles, beaucoup d’analystes l’ont présentée comme l’échec des islamistes. D’une manière ou d’une autre, Ennahda était visé par ces commentaires et le parti de Rached Ghannouchi n’a pas voulu connaître le même sort que leur homologue égyptien, d’où la décision de ne pas présenter de candidat aux présidentielles. Cette décision a évidemment fait l’affaire de NT, déjà majoritaire au Parlement.

77À Sao Tomé-et-Principe, la victoire d’Evariste Carvalho, au scrutin présidentiel d’août et septembre 2016, était la confirmation d’une dominance de fait qui durait depuis plusieurs années. En effet, son parti, l’ADI, contrôlait le Parlement depuis les élections législatives de 2010, avec 26 des 55 sièges. Le très influent premier ministre de cohabitation, Patrice Trovoada, n’était autre que le chef de l’ADI. En d’autres mots, l’ADI contrôlait et le Parlement et le gouvernement. Qui plus est, le président sortant, Pinto da Costa, que Carvalho a battu, s’était présenté aux élections en tant que candidat indépendant, sans le soutien de son parti historique, le Mouvement pour la libération de Sao Tomé-et-Principe (MLSTP). Il avait pourtant dirigé ce parti comme parti unique dans les années 1970 et 1980, et ce parti était la deuxième force politique au Parlement avec 21 sièges sur 55.

Des cas déviants

78D’après les données disponibles, seuls deux cas de victoire de l’opposition partisane dévient de nos deux postulats explicatifs. Il s’agit des victoires de Laurent Gbagbo du Front populaire ivoirien (FPI) en Côte d’Ivoire en octobre 2000 et de Michael Sata du Front patriotique (PF) en Zambie en septembre 2011. Mais le premier de ces deux cas peut facilement être expliqué par les circonstances particulières ayant entouré le scrutin.

79L’explication la plus simple est que l’élection avait été boycottée par le Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI), l’ancien parti au pouvoir et l’un des principaux dans le pays, alors que le candidat du Rassemblement des Républicains (RDR) Alassane Dramane Ouattara n’avait pas été autorisé par la junte au pouvoir, sous le général Robert Gueï, à contester le scrutin. Il en avait été empêché par une interprétation controversée d’une clause de la Constitution ivoirienne. En effet, Henri Konan Bédié du PDCI, alors président de l’Assemblée nationale, avait succédé au président Felix Houphouët-Boigny à la mort de celui-ci en décembre 1993, aux dépens de Ouattara, alors premier ministre, qui convoitait le même fauteuil.

80En vue d’empêcher la participation de Ouattara, populaire, à l’élection présidentielle de 1995, Bédié avait fait rédiger en 1994 un nouveau code électoral, en y incluant le fameux concept de l’ivoirité dans la disposition sur l’éligibilité à la présidence de la République, sur la base de laquelle, ayant déjà remis en cause la nationalité ivoirienne de Ouattara, il a exclu son principal rival. Si cela a pu empêcher la participation de Ouattara aux élections de 1995, Bédié a fait passer cette clause discriminatoire du code électoral à l’article 35 d’une nouvelle Constitution adoptée en 1999 pour empêcher plus fortement encore la participation de Ouattara aux échéances électorales de 2000.

81Et quand Bédié a été renversé par un coup d’État militaire le 24 décembre 1999, son tombeur, le général Gueï, a maintenu la même disposition vis-à-vis de Ouattara pour l’élection présidentielle d’octobre 2000. Le climat politique ayant amené l’ancien président Bédié et son parti, le PDCI, à boycotter le scrutin, Gbagbo est resté le seul candidat d’envergure devant la junte militaire discréditée lors de ce scrutin, rendant très facile sa victoire, même sans recours à une quelconque coalition électorale (Souaré, 2007 ; Nations unies, 2001).

82Concernant le cas zambien, il convient de rappeler qu’à l’issue des élections générales de septembre 2011, Michael Sata, le candidat du PF, a remporté le scrutin présidentiel avec 43 % des voix, en s’imposant dans quatre des neuf provinces du pays, et non les moindres : Lusaka, Copperbelt, la province du Nord et Luapula. Il a donc battu le président sortant Rupiya Banda qui n’a récolté que 36 % des voix. Hakainde Hichilema, le troisième candidat et patron du Parti uni pour le développement national (UPND), a quant à lui obtenu 19 % des voix en s’imposant dans la province méridionale (Southern Province) du pays. Sept autres candidats se sont partagé les 2 % restants. Il est évident ici que le système partisan n’était pas dualiste, et il n’y avait pas eu de coalition claire.

83Il est vrai qu’en 2009, le parti de Sata avait scellé une alliance avec celui de Hichilema pour conjuguer leurs efforts et leurs ressources contre le président en vue du scrutin de 2011. Le marché impliquait que Sata serait le candidat unique de la coalition pour la présidence, que Hichilema serait son vice-président et que son parti obtiendrait 40 % des postes au gouvernement. Mais cette alliance s’est écroulée en 2010, soit un an avant le scrutin de septembre 2011. La victoire de Sata ne peut donc pas être expliquée, non plus, par un jeu d’alliances, quand bien même il aurait obtenu l’adhésion de quelques figures du parti au pouvoir.

84La victoire de Sata est expliquée par la plupart des analystes par quatre facteurs interconnectés : il y a d’abord le déclin graduel du MMD au fil des ans, notamment depuis le décès de Mwanawasa en 2008. Ce déclin s’est fait sous fond d’allégations de corruption à l’encontre du président sortant Banda, et c’est le deuxième facteur explicatif. Un troisième facteur réside dans les accusations de liens obscurs entre Banda (qui est homme d’affaires) et des entreprises chinoises. Pourtant, et c’est le quatrième facteur, l’opposition ne cessait de vilipender les entreprises chinoises, les accusant d’exploitation abusive des ressources naturelles du pays et de maltraitance des ouvriers zambiens. D’ailleurs, le discours anti-chinois était une des pierres angulaires de la campagne électorale de Sata, une campagne empreinte de populisme qui enchantait bon nombre de ses supporters ruraux.

85Eu égard au mode de scrutin pluralitaire d’alors, Shishuwa offre une cinquième explication, fondée sur le poids ethnodémographique des fiefs électoraux des trois principaux partis politiques en faveur du PF. Pour cet observateur zambien :

D’ici la mi-2011, il était évident, eu égard au niveau de soutien dont jouissait Sata dans ses fiefs électoraux, que tout ce qu’il devait faire pour remporter le scrutin présidentiel était maintenir ses soutiens dans ses fiefs et de perdre honorablement (pas trop perdre) en dehors de ses fiefs électoraux. En d’autres termes, il n’avait pas à remporter les autres provinces, mais il devait simplement éviter de les perdre gros. Et voici ce qui s’est passé (2011).

86En vertu de ce qui précède, il est évident que le cas zambien est difficilement explicable par l’une de nos deux hypothèses, ce qui en fait une véritable exception.

Le boycottage des élections

87Selon Bratton (1998), voilà une autre stratégie à laquelle ont généralement recours les partis d’opposition en Afrique, tout comme ailleurs dans les pays en voie de démocratisation. Pour illustrer à quel point cette stratégie est employée par les partis d’opposition, Beaulieu (2004, 2006) fait état de 66 cas d’élections boycottées par les partis d’opposition dans 44 pays de par le monde entre 1990 et 2002. Lindberg tente de minimiser la fréquence des boycottages électoraux en Afrique subsaharienne, quoique son argument se fonde peut-être sur la contestation des résultats seulement et non le scrutin lui-même. Il fournit néanmoins des données montrant qu’au moins un principal parti d’opposition a boycotté, respectivement, 34 % et 29 % des élections présidentielles et législatives dans la région entre 1989 et juin 2003 (Lindberg, 2006).

88Cependant, comme d’autres sujets relatifs aux partis d’opposition, notamment en Afrique, seulement une poignée d’analystes s’y sont intéressés en tant que sujet d’étude scientifique ou ont rendu publics leurs travaux. Le mémoire de DEA de Jean-Aimé Ndjock, portant sur Le boycott électoral en Afrique subsaharienne et soutenu en 1999 à l’Institut d’études politiques de Lyon, peut être considéré comme un travail original en ce qui concerne l’Afrique subsaharienne. Il y a ensuite la thèse de doctorat d’Emily Ann Beaulieu traitant du même thème à l’échelle mondiale et soutenue en 2006 à l’Université de Californie à San Diego, en plus de ses autres travaux tirés de cette thèse (Beaulieu, 2006). Quelques travaux de Lindberg (2004a, 2004b, 2006), de Bratton (1998), de Schedler (2007) ainsi que le mémoire de maîtrise d’Ian Smith, soutenu à l’Université d’État de Géorgie en août 2009, s’ajoutent à cette liste somme toute modeste.

89Il est question ici d’analyser ce phénomène comme stratégie des partis d’opposition en Afrique. L’analyse se limitera aux élections présidentielles et législatives. Qu’est-ce qui pousse les partis d’opposition à privilégier cette stratégie, et quel rôle peut-elle jouer dans la réalisation de l’alternance au pouvoir ? Mais avant cela, que signifie le phénomène de « boycottage électoral » en termes analytiques ?

Le sens et les motifs du boycottage électoral

90Ndjock définit le boycottage électoral comme « une forme d’abstention volontaire, collective et publiquement concertée » (1999, p. 8). Pour Beaulieu, il y a boycottage électoral « lorsqu’un ou plusieurs partis d’opposition refusent publiquement de participer à une élection en guise de protestation » (2004, p. 1 ; notre traduction de l’anglais).

91Insistant sur le caractère de « protestation », cette dernière définition semble réduire le boycottage électoral à une stratégie de réaction, les partis d’opposition ne boycottant les scrutins que pour exprimer leur désaccord envers une chose qu’ils désapprouvent dans le processus électoral. S’il est vrai que ceci constitue la principale caractéristique, sinon la cause des boycottages, il ne faut cependant pas faire abstraction des autres aspects ou motivations du boycottage, comme nous le verrons ci-dessous. Ainsi, Smith (2009) élargit cette définition pour dire que le boycottage électoral est une situation dans laquelle un parti politique renonce volontairement à son droit de contester un scrutin16.

92Là aussi, il faut noter que le terme « non-participation active » (dans le texte original reproduit en note de bas de page) indique non seulement le refus des partis protestataires de participer au vote, mais aussi qu’ils entreprennent des actions visant à empêcher les autres d’y participer. Or ceci n’est pas toujours le cas. Il arrive d’ailleurs souvent que les boycottages électoraux constituent une non-participation passive, c’est-à-dire que les boycotteurs se contentent de bouder les élections sans rien entreprendre contre ceux qui décident autrement.

93Ainsi, nous inspirant de ces définitions, nous considérons le boycottage électoral simplement comme le refus d’un ou de plusieurs partis politiques de contester un scrutin électoral dont ils jugent le processus défavorable.

94Attardons-nous maintenant sur les raisons pour lesquelles des partis d’opposition décident de boycotter des scrutins présidentiels ou législatifs. La littérature existante relève deux principaux facteurs explicatifs aux boycottages électoraux. Le premier est la perception que l’opposition se fait du nombre d’anomalies ou du degré d’injustice d’un processus électoral qu’elle risque de perdre malgré sa popularité, justement en raison de ces anomalies attribuables au parti au pouvoir (Smith, 2009, Beaulieu, 2006a). Ndjock soutient que c’est en vue de « riposter » aux manœuvres de truquage « perpétrées par les tenants du pouvoir [que] les opposants africains ont trouvé la stratégie du boycott électoral » (1999, p. 8).

95Lindberg établit une certaine corrélation entre le degré de participation des principaux partis d’opposition africains dans un processus électoral donné et les perceptions de fraude électorale qu’ils en ont. Ainsi, plus l’opposition juge que le processus est truqué, plus elle tend à le boycotter. Bratton (1998) préfère l’expliquer par un simple désaccord entre le parti au pouvoir ou l’organe de gestion des élections et les partis d’opposition sur certaines règles du jeu. Le but du boycottage dans ce cas est généralement d’obtenir les réformes nécessaires pour rendre le processus plus juste pour tous les acteurs.

96L’autre explication de ce phénomène consiste à dire que le boycottage électoral est simplement une ruse qu’emploient parfois les partis d’opposition pour masquer leur faiblesse et sauver la face, sachant qu’ils perdront la course de toute façon. Ainsi, Bratton appelle à ce que l’on soit « attentif à la possibilité que le boycottage d’une élection, plutôt que d’être une réaction à un processus électoral imparfait, soit une ruse des partis d’opposition ayant conclu qu’ils n’ont aucune chance de l’emporter » (1998, p. 53 ; notre traduction). L’objectif d’un tel stratagème de l’opposition serait non seulement de masquer ses propres faiblesses, mais aussi de discréditer le parti au pouvoir ou l’organe de gestion des élections (Lindberg, 2004a).

97Beaulieu tente de réconcilier ces deux explications en suggérant une typologie des boycottages électoraux. Elle distingue deux types de boycottage, selon le nombre ou l’importance des boycotteurs par rapport aux partis qui décident de participer au scrutin. Ainsi, elle identifie les « boycottages majeurs » et les « boycottages mineurs ». Par un boycottage majeur, elle entend une situation où la plupart des principaux partis de l’opposition décident de ne pas participer au scrutin, ce qui fait des boycottages mineurs des actions de non-participation décidées par des partis d’opposition de moindre envergure. Beaulieu range la première des explications susmentionnées dans la catégorie des boycottages majeurs, tandis que les boycottages mineurs seraient, selon elle, généralement motivés par des considérations particularistes des boycotteurs, des considérations souvent détachées des caractéristiques du processus électoral (Beaulieu, 2006).

98À notre avis, ces deux explications ne doivent pas être présentées de façon dichotomique. En effet, la distinction n’est pas aussi nette entre les deux types qu’identifie Beaulieu et les caractéristiques sous-entendues dans les variables explicatives précitées. Comme nous le verrons ci-dessous, un ou plusieurs partis politiques majeurs peuvent boycotter une élection sans que ce soit nécessairement à cause des imperfections du processus, mais bien parce qu’ils ne pensent pas pouvoir l’emporter contre le parti au pouvoir, néanmoins critiquable à certains égards – et ce dernier point leur offrira un prétexte pour justifier le boycottage. D’ailleurs, il est contestable d’insinuer que les petits partis de l’opposition se défendent de participer au scrutin pour sauver la face. En effet, ce scénario est plus valable pour les grands partis, car ce sont eux qui ont une chance réelle de gagner les scrutins.

99Cela étant, nous retenons que les boycottages peuvent être motivés par des préoccupations sur la crédibilité du processus électoral, tout comme ils peuvent être des stratagèmes employés par les partis d’opposition. La décision de boycotter peut d’ailleurs être fondée sur ces deux facteurs simultanément, même si ce n’est pas souvent le cas. Bien souvent, en effet, les partis d’opposition africains participent à des élections dont ils sont conscients des imperfections du processus. Peut-être pensent-ils que ces imperfections ne seront pas de nature à les empêcher de réussir, ou alors veulent-ils simplement – surtout dans le cas des nouveaux participants au processus électoral – jauger leur poids électoral dans le paysage politique national.

Le boycottage électoral et l’alternance au pouvoir

100Comme nous l’avons indiqué, le boycottage électoral est une stratégie courante des partis d’opposition en Afrique. Bon nombre de pays africains ont connu des boycottages. La question ici est de mesurer l’effet de cette stratégie ou le rôle qu’elle peut jouer dans la réalisation de l’alternance au pouvoir en faveur des partis d’opposition.

101Il semble se dégager de la littérature existante un consensus selon lequel les boycottages auraient très peu d’effet immédiat sur l’alternance (Ndjock, 1999 ; Smith, 2009). Une exception peut être faite dans le cas des menaces qui obligent le régime au pouvoir à entreprendre des réformes réclamées par l’opposition pour rendre le processus électoral plus juste, et grâce auxquelles l’opposition finit par participer. Cela suppose que la menace du boycottage était motivée par la première variable explicative citée plus haut, c’est-à-dire les anomalies réelles ou anticipées dans le processus électoral, des imperfections que l’opposition considère être le principal facteur qui pourrait l’empêcher de gagner. Mais puisque ce n’est pas souvent le cas, les effets immédiats du boycottage électoral sont généralement vus comme un prix à payer à court terme pour obtenir des bénéfices à long terme.

102Ici, il convient de noter qu’il arrive souvent que d’autres partis se désolidarisent des autres partis et finissent par « boycotter le boycott » (Ndjock, 1999, p. 53). Si cela arrive et que le parti au pouvoir finit par disputer le scrutin avec ces autres partis, les boycotteurs auraient offert une victoire facile au candidat du parti au pouvoir, ou ils pourraient perdre des sièges au Parlement, dans le cas des élections législatives. Il n’y a donc souvent pas d’effet positif immédiat au boycottage électoral en ce qui a trait à l’alternance en faveur de l’opposition (Beaulieu, 2004). Il peut d’ailleurs comporter de sérieux risques pour les boycotteurs dans la mesure où les boycottages successifs par un parti peuvent lui faire perdre la sympathie de bon nombre de ses militants (Ndjock, 1999 ; Staino, 2009). Le boycottage peut également compliquer le maintien de la cohésion à long terme au sein du parti, à moins que la décision de boycotter soit toujours une décision collective approuvée par les principaux leaders et militants du parti.

103Les exemples abondent quant aux coûts à court terme que paient parfois les partis d’opposition pour le boycottage électoral. Au Ghana, par exemple, le boycottage par le NPP et d’autres partis de l’opposition des élections parlementaires du 29 décembre 1992 a permis au NDC de remporter presque tous les sièges au Parlement, soit 189 sur 200. Pourtant, certains de ces sièges auraient pu être gagnés par ce principal parti de l’opposition. En effet, son candidat venait juste d’obtenir 30 % des voix au scrutin présidentiel du mois précédent (Boahen, 1995)17.

104L’opposition a justifié son action en citant des irrégularités et des cas de fraude massive ayant émaillé le processus de scrutin présidentiel (Lyons, 1997). Mais les résultats immédiats escomptés par l’opposition n’ont jamais été obtenus. Malgré la pression de la « communauté internationale », les partis d’opposition n’ont pas atteint le principal objectif de leur action, c’est-à-dire le report du scrutin pour assurer davantage de transparence (Oquaye, 1995 ; Boahen, 1995). Cependant, leur absence à la première législature de l’ère multipartite (la IVe République) a diminué la légitimité populaire de celle-ci (Jeffries et Thomas, 1993).

105Un élément des processus électoraux qui entraîne souvent un boycottage par les partis d’opposition est le processus de recensement ou d’enrôlement des électeurs. En effet, quand ils sont en désaccord avec la commission électorale ou le gouvernement – donc l’administration publique – sur certains aspects du processus électoral, les partis d’opposition demandent souvent à leurs militants de boycotter le processus de recensement. Certains s’y opposent même de façon violente, en s’attaquant aux recenseurs, comme au Bénin, dans le cadre de la confection de la Liste électorale permanente informatisée (LEPI), introduite par les autorités électorales en prélude aux élections présidentielles de 2011 ; plusieurs partis d’opposition ont pendant trop longtemps boycotté ce processus. Pourtant, le président sortant, Yayi Boni, avait demandé à ses supporters de s’enrôler massivement, ce qui a finalement été payant pour lui (Souaré, 2011).

106Là comme ailleurs sur le continent, l’opposition finit souvent par demander à ses militants de s’enrôler alors qu’il est trop tard pour un enrôlement massif. Or, comme on l’a dit au chapitre précédent, la liste électorale est d’une importance capitale dans tout processus électoral. Son boycottage s’avère donc le plus souvent contre-productif pour l’opposition18.

107S’agissant cependant des effets à long terme du boycottage électoral, la probabilité qu’il entraîne des gains pour l’opposition semble généralement positive (Smith, 2009 ; Staino, 2009). Selon Beaulieu (2004, 2006), le boycottage d’un scrutin en raison d’irrégularités dans le processus électoral peut délégitimer le processus et exposer devant les observateurs étrangers les pratiques frauduleuses du régime au pouvoir. Ces derniers pourraient exercer des pressions sur le régime au pouvoir, conduisant enfin à des réformes significatives à l’avenir.

108Ainsi, mais sans faire de lien avec le boycottage des élections parlementaires de décembre 1992, Aubynn (2002), Bratton (1998), Jeffries (1998) et Lyons (1997) notent que la qualité des scrutins présidentiel et législatif de 1996 au Ghana s’est beaucoup améliorée par rapport à ceux de 1992. Ils expliquent cela par le fait que le processus a subi des réformes importantes, ce qui a valu l’appréciation de tous les observateurs et l’acceptation des résultats par l’opposition.

109Nonobstant ce qui précède, il n’est évident ni du cas ghanéen ni des cas d’autres pays africains que le boycottage électoral constitue une stratégie sûre pour effectuer l’alternance, ni même pour obtenir les réformes nécessaires pour la réaliser. En effet, il faudrait réunir deux conditions principales pour qu’il en soit ainsi. D’abord, le boycottage doit être total, ou au moins respecté par tous les principaux partis de l’opposition. Or, la désunion de l’opposition aidant, ce type de boycottage serait de cinq à quinze fois moins fréquent que les boycottages partiels selon Lindberg (2004a) et Ndjock (1999). Il faut ensuite que les acteurs locaux et surtout internationaux devant lesquels l’on veut exposer l’« illégitimité » du régime soient convaincus de ce jugement et prennent les mesures escomptées. Celles-ci pourraient consister, par exemple, dans le cas des acteurs locaux, en un soulèvement populaire. S’agissant des bailleurs de fonds, ces mesures consisteraient en des actes de pression ou des sanctions contre le régime au pouvoir.

110Mais l’efficacité, voire la probabilité que cette deuxième condition soit respectée, notamment en ce qui concerne l’action des acteurs internationaux, dépend de deux facteurs. D’une part, les considérations géopolitiques et économiques des boycotteurs doivent être alignées sur celles de ces acteurs internationaux, sans quoi certains d’entre eux pourraient agir contrairement à ce qu’attendent les boycotteurs. D’autre part, il faut considérer l’importance qu’accorde le régime au pouvoir aux réactions de ces acteurs, ainsi que sa capacité à les contourner. S’il ne leur accorde aucune considération ou s’il est en mesure de contourner ces pressions, elles deviennent moins efficaces, comme nous l’avons démontré au chapitre 2.

Les actes de protestation

111Une autre stratégie qu’emploient souvent les partis d’opposition africains et qui s’apparente au boycottage est celle des actes de protestation : les manifestations de rue et les « villes mortes ». Comme pour le boycottage, l’objectif de ces gestes de protestation est généralement d’obtenir des réformes politiques. Les premières sont généralement actives, c’est-à-dire qu’elles impliquent des actions menées par les organisateurs à l’encontre du gouvernement assimilé au parti au pouvoir. Très souvent, ces manifestations sont organisées conjointement par les partis d’opposition et des organisations de la société civile. Parfois, elles ont pour origine des mots d’ordre de centrales syndicales sur des questions sociales, lesquelles sont très facilement politisées. Censées être pacifiques, elles finissent parfois dans des bains de sang. Cette tournure violente est souvent le résultat de la mauvaise gestion des foules, voire de la répression intentionnelle par les forces de sécurité et de maintien de l’ordre. Mais cette répression est parfois la réaction des forces de l’ordre à des actes de provocation, voire de vandalisme par des militants de l’opposition ou des bandits qui profitent de la manifestation pour piller et vandaliser des biens publics et privés.

112Quant aux « villes mortes », elles sont censées être des manifestations passives où les protestataires décident de rester à la maison. Cependant, il arrive très souvent qu’elles se transforment en des manifestations actives et violentes, lorsque des manifestants ou des bandits décident que la ville doit mourir pour tout le monde, et que personne n’a le droit de travailler19.

113Comme dans le cas du boycottage, mais peut-être de façon plus rapide, ces actes peuvent faciliter des réformes pouvant contribuer, à terme, à une plus grande transparence du processus électoral. Mais ses conséquences négatives peuvent être plus pénibles pour l’opposition que le simple boycottage, notamment lorsque ces manifestations sont fréquentes et violentes. D’une part, le niveau très bas du revenu de la majorité des populations africaines les oblige à travailler chaque jour pour gagner leur pain. Ainsi, un certain sentiment de fatigue peut les gagner et les rendre cyniques par rapport aux multiples manifestations. Une fois ce niveau atteint, l’opposition perd son moyen de pression et risque de perdre sa crédibilité. D’autre part, des citoyens lambda qu’on empêche de travailler et dont les biens privés sont volés ou saccagés dans les manifestations violentes répétées de l’opposition peuvent s’en forger une perception négative, voire accumuler de la colère à son endroit.

114Évidemment, certains partis et autres mouvements d’opposition peuvent percevoir les soulèvements populaires comme ceux ayant caractérisé le printemps arabe (2010-2011) ou les manifestations ayant obligé Blaise Compaoré à quitter le pouvoir au Burkina Faso en octobre 2014 comme un moyen efficace d’effectuer l’alternance. Certes, mais cela sort du cadre du présent ouvrage, dont la préoccupation majeure est l’explication des conditions de réalisation de l’alternance au pouvoir en faveur de l’opposition par les urnes et non la rue.

***

115Il ressort de notre analyse que le bipartisme – qui dépend du système de partis dans le pays – et la bipolarisation – qui émane des efforts des acteurs politiques en face et qui se traduit par la formation d’une coalition cohérente par les acteurs de l’opposition – sont les deux principales conditions pour effectuer l’alternance partisane. Cela met en jeu deux variables interdépendantes qui s’influencent mutuellement, c’est-à-dire les stratégies des leaders de l’opposition et le système de partis lors du scrutin présidentiel (selon qu’il est bipartisan ou bipolarisé), ainsi qu’une variable dépendante, c’est-à-dire l’alternance au pouvoir. Les trois variables sont liées dans la mesure où les deux premières contribuent, ensemble, à expliquer l’alternance ou non au pouvoir.

116Nous avons tout de même souligné que la satisfaction de l’une des deux conditions contenues dans les variables interdépendantes ne suffit pas pour effectuer l’alternance, mais leur non-satisfaction explique aisément l’absence d’alternance.

117Pour ce qui est du boycottage des élections, nous estimons que cette stratégie peut contribuer à l’introduction de mesures de réformes politiques et au processus électoral à long terme. Nous avons démontré, cela dit, qu’elle n’a pas d’incidence évidente et immédiate sur la possibilité d’alternance dans un pays.

Notes de bas de page

1 Dans le cas de Chissano, il sied de noter que la nouvelle Constitution du 2 novembre 1990, sur la base de laquelle il avait été élu en 1994, prévoyait (article 118-5) trois mandats consécutifs de cinq ans pour le président de la République. Il pouvait donc briguer un troisième mandat constitutionnel grâce aux élections de 2004, auquel il a renoncé. La nouvelle Constitution de janvier 2005 (article 147-5) prévoit cependant deux mandats consécutifs de cinq ans, mais l’on peut briguer deux autres mandats après une rupture d’au moins cinq ans (article 147-6).

2 Le qualificatif « opposition » est mis entre guillemets ici parce qu’il n’y avait pas de parti au pouvoir pendant ces périodes de transition. C’est en nous basant sur le fait que les partis en question étaient dans l’opposition avant la période de transition qu’on peut attribuer leur victoire à l’opposition.

3 La liste n’est pas exhaustive. Nous nous limitons cependant à ces catégories en gardant à l’esprit le contexte et l’objectif spécifiques des coalitions qui nous intéressent.

4 C’est souvent la principale stratégie et chance des candidats indépendants qui se présentent comme rassembleurs. Mais nous nous concentrons ici sur la victoire des candidats « partisans ».

5 Les recensements de population ne sont pas fréquents dans la plupart des pays africains, et les considérations identitaires ou communautaires (notamment l’affiliation ethnique ou religieuse) ne figurent pas nécessairement dans les questionnaires de recensement. C’est pourquoi la plupart des « statistiques » à cet égard sont fondées sur des suppositions ou des estimations des membres des différentes communautés, lesquelles estimations s’enracinent parfois dans l’imaginaire populaire et aboutissent dans des annuaires et des rapports internationaux, avec pour conséquence de « rendre scientifique » ou de « confirmer » des estimations non vérifiées.

6 Le modèle « alternatif » est un système électoral de vote unique transférable dans lequel les électeurs votent pour tous ou une partie des candidats en lice, en leur accordant leurs voix par ordre de préférence. Si personne ne réussit à obtenir la majorité absolue sur la base des premiers choix, le dernier placé parmi les candidats est éliminé et ses voix sont reparties entre les autres candidats et ainsi de suite, jusqu’à ce qu’un candidat recueille la majorité absolue. Ce mode électoral est en vigueur pour l’élection des membres de la Chambre des représentants du Parlement australien, pour l’élection présidentielle en Irlande et pour les élections municipales dans certains États des États-Unis.

7 Comme on l’a vu au chapitre 2, le Parlement mauricien compte 72 membres, dont 66 élus et huit attribués aux « meilleurs perdants ».

8 Voir aussi le numéro spécial de Politique africaine, « Sénégal 2000-2004, l’alternance et ses contradictions », no 96 (décembre 2004).

9 Avec une différence totale d’environ 6 000 voix en faveur du président sortant selon les résultats provisoires (environ 11 000 d’après les résultats définitifs publiés par la Cour constitutionnelle), les résultats de la province du Haut-Ogooué se sont avérés cruciaux pour déterminer le vainqueur entre Bongo et Ping. Mais alors que la moyenne du taux de participation national a été estimée autour de 60 %, il était de 93 % dans cette province, avec quelque 71 714 inscrits qui auraient voté à 98 % pour le président sortant, lui permettant donc de remporter le scrutin avec 49,8 % des voix contre 47,24 % pour Ping (Rainfroy, 2016).

10 Comme nous l’avons indiqué au chapitre 2, c’est en janvier 2016 que l’opposition zambienne a réussi à faire modifier le mode électoral de la majorité simple (un seul tour) à la majorité absolue (deux tours).

11 Tous ces scores électoraux, initialement tirés de la banque de données du projet « African Elections Database » au http://africanelections.tripod.com/, ont été vérifiés grâce à d’autres sources.

12 Le quatrième parti était le Malawi Democratic Party (MDP) de Kamlepo Kalua, qui n’a reçu que 0,5 % des voix.

13 Le référendum avait pour enjeu de maintenir ou d’abolir le système de parti unique, et le résultat a été en faveur de l’abolition, d’où le rétablissement du multipartisme et l’élection présidentielle de mai 1994.

14 Notre traduction de l’anglais. Sur cette conclusion, voir aussi Dionne et Dulani (2014).

15 Entretiens avec plusieurs membres des FM et d’autres mouvements et acteurs politiques, Le Caire, février et mars 2011, août et septembre 2013. Plusieurs membres ou sympathisants d’Ennahda partageaient la même logique en début 2011. Entretiens à Tunis, mars 2011.

16 Notre traduction synthétique de l’anglais. Dans les mots de l’auteur : « A situation in which a political party or faction that is legally allowed to contest in elections makes a decision to organize active non-participation in the elections by members and followers rather than contesting. »

17 Le professeur Adu A. Boahen était le candidat du NPP au scrutin présidentiel du 3 novembre 1992. Son témoignage est donc d’une importance particulière.

18 Entretiens avec L’Haus Henri Agnero, expert des opérations électorales ayant participé au processus d’enrôlement dans plusieurs pays africains, Kinshasa, juillet et septembre 2016.

19 Parfois, des gens restent chez eux les jours de manifestation non par respect du mot d’ordre des organisateurs, mais par crainte pour leur vie et leurs biens, ce qui rend difficile de mesurer le degré de réussite de ces manifestations.

Précédent Suivant

Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.