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Préface

p. 9-12


Texte intégral

1Au moins deux raisons m’ont amené, rompant avec une certaine retenue, voire une distance qui était la mienne pendant de nombreuses années avec cette pratique, à rédiger la préface de cet ouvrage. La première raison est l’intérêt du sujet très peu traité et peu documenté, qui est pourtant un levier essentiel de l’avancée démocratique sur notre continent.

2La deuxième raison est la qualité de l’auteur : Issaka Souaré est de tous les terrains, polyglotte (parlant français, anglais, arabe et plusieurs langues africaines) et formé à diverses sources, ce qui lui donne une expérience riche et variée. Gros travailleur, il est plein d’un enthousiasme pouvant être vif et sobre. Son parcours lui donne un sens de la diplomatie, car il connaît les limites à ne pas franchir. Issaka Souaré est un cadre engagé, pas dans le sens militant politique, mais en vertu de sa non-indifférence aux justes causes et aux grandes batailles pour la liberté, la justice et la paix en Afrique. Voilà ce qui nourrit cet ouvrage, ce me semble.

3Issaka Souaré trace l’historique de l’avènement de la démocratie et de l’émergence des partis politiques en Afrique postcoloniale. Il nous fait vivre les temps forts des régimes à parti unique nés au sortir de l’indépendance au prétexte de préserver l’unité nationale, et des juntes militaires qui ont régimenté beaucoup de pays du continent, dans les décennies 1970 et 1980, après l’échec des partis uniques devenus patrimoniaux et consacrant des présidences à vie.

4L’auteur se concentre surtout sur la situation des partis politiques de l’opposition, notamment leurs stratégies de conquête du pouvoir. Il a choisi, pour des raisons méthodologiques, de ne s’intéresser qu’à la période postcoloniale. Pourtant, il aurait été intéressant d’avoir un aperçu de l’histoire de la démocratie en Afrique durant la période précoloniale, qui témoigne de l’existence de valeurs et pratiques démocratiques différentes de la démocratie moderne, occidentale et multipartisane que nous connaissons aujourd’hui.

5L’auteur soutient à juste titre que, durant les années de dictature des juntes militaires et des régimes à parti unique sur le continent, ce sont des organisations de la société civile et des associations professionnelles qui ont « assuré » le relais entre le monopartisme et le multipartisme dans la plupart des pays africains à partir de la seconde moitié des années 1980. Mais tout le mérite revient, ce me semble, à la presse d’avoir vaincu l’autocensure et d’avoir mis à l’épreuve les censeurs, d’avoir aidé à l’expression de diverses sensibilités et à leur rapprochement. C’est la liberté de presse qui a facilité la création des associations de la société civile, puis le développement de la vie partisane (partis politiques).

6Pour mieux expliquer la problématique centrale de son ouvrage, c’est-à-dire les stratégies de conquête du pouvoir « suprême » par les partis politiques de l’opposition en Afrique, l’auteur s’intéresse dans un premier temps et fort opportunément aux cadres institutionnels de la compétition politique. En effet, il faut un minimum d’ouverture et de respect des principes et règles démocratiques pour que l’opposition puisse avoir une chance de parvenir au pouvoir. Il faut la bonne gouvernance ; il faut de la transparence.

7De même, l’auteur a tout à fait raison lorsqu’il insiste, aux chapitres 4 et 5 de l’ouvrage, sur l’importance des efforts propres de l’opposition indépendamment des stratégies des partis au pouvoir. N’est-il pas toujours temps encore aujourd’hui de s’interroger sur certaines questions existentielles, comme le sens et la signification des partis politiques dans nos sociétés africaines, la nature de leur financement (public ou privé), la place souvent corruptrice de l’argent dans les activités politiques et la vie des partis ?

8En effet, certains partis d’opposition s’affirment et s’activent sur la scène politique seulement à la veille des élections, juste le temps de négocier des places et des prébendes et de rejoindre la majorité au pouvoir. Beaucoup de ces partis n’ont aucune vie partisane (assemblées générales, vie des structures de base, comités, sections, congrès autres que le congrès constitutif), aucun contact d’écoute et d’explication avec leurs adhérents, et beaucoup ont plus d’adhérents que de militants, lesquels sont de surcroît rarement encadrés. Ces partis d’opposition font peu d’usage des langues nationales, surtout dans les échanges écrits. Il y a peu de formation pour les cadres. Lorsqu’il y en a, ces formations sont souvent sans contenu idéologique ou politique réel. Au sein de ces partis, peu de membres contribuent financièrement ou matériellement à la vie du parti, qui est alors laissé entre les mains de quelques fortunés qui achètent et distribuent des cartes de membres – quand elles existent.

9Des règles plus rigides et fermes devraient être mises en place pour contrôler le nombre de partis, pour consacrer systématiquement le décès des partis quand les statuts ne sont pas respectés, pour réduire le « nomadisme politique » et pour réglementer les transferts des mandats d’un parti à un autre.

10L’analyse de plusieurs partis d’opposition en Afrique depuis 1990 permet à l’auteur d’expliquer comment certains d’entre eux ont réussi, grâce à de réelles stratégies de conquête bien élaborées, à surmonter ou à contourner les rapports de force, particulièrement dans des situations défavorables. Je comprends Souaré quand il met l’accent sur la formation de vraies coalitions électorales comme stratégie gagnante pour les partis d’opposition, puisqu’il est évident que « l’union fait la force ». Cependant, ne faut-il pas s’interroger sur la nature des forces coalisées ? On parle souvent de « chef de l’opposition ». Ne faudrait-il pas parler de « chef du principal parti d’opposition » ou de « chef du premier parti de l’opposition » pour ne pas scléroser toute l’opposition, voire la soumettre à la corruption et au chantage ?

11Pour consolider les dynamiques d’opposition et de contestation, ne faut-il pas s’interroger sur les limites des partis en Afrique à un moment où se mettent en place des politiques de décentralisation et d’intégration régionale sur le continent ? Les partis n’ont-ils pas intérêt à avoir des dimensions panafricaines et, avec eux aussi, les contre-pouvoirs ou pouvoirs de contrôle (presse, cours constitutionnelles, cours suprêmes, commissions électorales, associations de défense des droits de l’Homme et autres associations de la société civile) ? Il faut que les partis politiques sortent des logiques ethniques et du nationalisme sans perspective, étroit ou borné.

12Plusieurs des critiques souvent formulées contre les partis au pouvoir en Afrique sont aussi valables pour les partis d’opposition, dont certains paraissent être des propriétés personnelles ou familiales de leurs fondateurs.

13Or, pour favoriser l’alternance et l’existence d’un rôle pour l’opposition, ne faut-il pas clairement prendre position contre les putschs et autres formes non conventionnelles de prise du pouvoir, contre les prises de pouvoir par la rue et contre les violences ? Ne faut-il pas éviter de mettre les moyens techniques au-dessus de l’engagement humain, personnel et militant (vote électronique ou autres mesures similaires, par exemple, ouvrant la voie à de possibles manipulations et mystifications) ? Pour favoriser l’alternance et donc la possibilité que les oppositions arrivent au pouvoir par un changement pacifique de statut, développons le concept de « compromis démocratique », c’est-à-dire le dialogue entre parties qui devient fondamental et la base des échanges ; le dialogue à temps, rejet de la violence, du pouvoir patrimonial et du pouvoir familial. Il faudra aussi d’autres mesures, dont les suivantes :

  • exigence de liberté d’opinion et d’expression, et gestion équitable des médias ;

  • exigence de la bonne gouvernance ;

  • limitation du financement et contrôle des ressources des partis et des campagnes électorales ;

  • équilibre dans la gestion des institutions chargées de l’organisation des élections ; et

  • meilleure définition et gestion des périodes de transition.

14Je souhaite que cet ouvrage soit une grande référence pour tout leader politique, tout étudiant ou chercheur qui s’intéresse aux questions de démocratie, de gouvernance et de partis politiques en Afrique, et à celles d’une Afrique « sans frontières », d’une Afrique aux frontières assumées, et d’une Afrique unie, diverse et plurielle.

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