Des enfants
p. 226-227
Texte intégral
1Quand un enfant, soit masle, ou femele est parvenu à l’aage de cinq à six mois, le pere et la mere font un festin de ce qu’ils ont de meilleur, auquel ils invitent un jongleur avec cinq, ou six de ses disciples. Ce jongleur est ce qu’estoient autrefois les sacrificateurs. Il sera despeint dans la suitte1. Le pere de famille, en luy addressant la parole, luy dit qu’il est invité, pour percer le nez, et les oreilles de son enfant, et qu’il offre ce festin au soleil, ou à quelqu’autre divinité pretendue, dont il declare le nom, la priant d’avoir pitié de son enfant, et de luy conserver la vie. Le jongleur repond ensuitte, suivant la coustume et fait son invocation à l’esprit, que le pere a choisy. On luy presente à manger, et à ses disciples, et s’il reste quelques mets, il leur est permis de les emporter avec eux. Quand on a finy de manger, la mere de l’enfant met devant les conviés des pelleteries, des chaudieres, ou autres marchandises, et remet son enfant entre les mains du jongleur, qui le donne à un de ses disciples à tenir. Après avoir finy sa chanson à l’honneur de l’esprit invoqué, il tire de son sac un poinçon plat fait d’un os, et une grosse alaine. Du poinçon, il en perce les deux oreilles de l’enfant, et de l’alaisne le nez. Il remplit les cicatrices des deux oreilles avec de petits roulleaux d’ecorce, et dans le nez °il met un petit bout de plume, qu’il y laisse jusqu’à ce qu’il soit guerry avec un certain onguent, dont il le panse. Quand il est guerry, il y place du duvet de cigne, ou d’outarde2.
2Cet enfant a pour berceau une planche fort mince, qui est ornée vers la teste de rassades, ou de grelots, ou bien de ronds ou de canons de porcelaine3. Si le pere est bon chasseur, il y fait mettre touts ses apiffements4 ; quand c’est un garçon il y aura un arc attaché, si c’est une fille, il n’y a que les apiffements simplement5. Lorsque l’enfant pleure, sa mere le berce en chantant une chanson, qui contiendra les devoirs de l’homme pour son fils, et ceux des femmes pour sa fille.
3Aussitost qu’il commence à marcher, on donne à un garçon un petit arc avec des pailles dures, pour les lancer en se divertissant. Quand il est devenu un peu plus grand, ce sont de petites flesches de bois tres legeres. Mais s’il a une fois atteint l’aage de huit à dix ans, il s’occupe à faire la chasse aux ecureuils, et aux petits oiseaux. Voilà comme il se forme et se rend capable d’estre un jour adroit à la chassse. C’est la methode des nations d’en haut ; celles d’icy bas ne se servent plus de ces sortes de circoncisions, et n’appellent pas de jongleurs pour la faire6. Les peres ou quelques amis de la famille font cette ceremonie sans autre formalité7.
Notes de bas de page
1 Perrot ne « despeint » ni les jongleurs ni les sacrificateurs « dans la suitte ». Sur le rôle des jongleurs, voir la « Relation » de Lamothe-Cadillac (dans P. Margry, Découvertes et établissements des Français, t. V, p. 108-110).
2 Lorsqu’il aborde la question des sacrifices et des cérémonies liés au « temps marqué pour donner un nom aux enfans », Lafitau cite textuellement ce paragraphe du Mémoire de Perrot (voir Moeurs, 1.1, p. 261-262).
3 « Les femmes appellent aussi un rond, le bourrelet qui leur sert à relever leurs cheveux en se coëffant » (Dictionnaire de Trévoux, 1721).
4 Lafitau décrit précisément le berceau amérindien et n’emploie jamais le terme « apiffements » (voir Moeurs, t. II, p. 593-595). Il s’agit sans doute d’une erreur du copiste, qui aura mal lu le mot « attiffement », que recense Jean Nicot dans son Thresor de la langue francoyse (1606) : « Comptus, huius comptus, voyez Tifer ». Au verbe « tifer », on lit : « Tifer, ou Atifer », c’est-à-dire orner. Au xvie siècle, on trouvait les termes « attifet » et « attiffeure », deux substantifs qui désignaient un ornement, une parure (voir Edmond Huguet, Dictionnaire de la langue française du seizième siècle, Paris, Librairie ancienne Edouard Champion, 1925,1.1, p. 385).
5 Cette description du berceau amérindien est assez semblable à celle que produit Lafitau (voir Moeurs, t. I, p. 593-595).
6 Les « nations d’en haut » sont celles des Grands Lacs, alors que celles d’« icy bas » sont les nations qui vivent plus près des habitations françaises de la colonie, puisque Perrot écrit ses « mémoires » après son retour à Québec.
7 C’est la deuxième fois que Perrot prête aux Amérindiens une pratique « judaÿque », voir supra, p. 193. Pour sa part, Lafitau ne signale l’existence d’une forme de circoncision que chez les Mexicains (Moeurs, t. II, p. 120).
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Mœurs, coutumes et religion des sauvages de l’Amérique septentrionale
Nicolas Perrot Pierre Berthiaume (éd.)
2004