1. Développement durable et gestion sociale de l’environnement
p. 10-34
Texte intégral
1On ne saurait aborder la gestion environnementale sans expliquer le contexte de son émergence et les défis qu'elle tente de relever. Ce chapitre introductif vise précisément à donner un bref aperçu de la problématique environnementale dans sa dimension matérielle d’une part, et en regard de l’enjeu qu'elle représente pour la société d’autre part. En effet, les dérèglements écologiques ne s’expliquent pas uniquement par l’effet des processus de production industriels ; une multitude d’éléments interreliés, tels que le la diffusion d’un mode de vie consumériste, la pauvreté extrême de certaines populations, de même que les modes de gouvernance nationaux et internationaux entrent en ligne de compte.
La crise environnementale
2Au cours des dernières décennies, la problématique environnementale n’a cessé de prendre de l’importance. La plupart des pays industrialisés ont adopté des lois de protection de l’environnement et se sont dotés de ministères de l’Environnement à partir des années 1970. À l’échelle internationale, les conférences se sont multipliées depuis la conférence des Nations unies sur l’environnement et le développement à Stockholm, en 1972, pour culminer à la conférence de Rio, en 1992, et plus récemment au Sommet de Johannesburg (2002). Ces évènements témoignent d’une mobilisation généralisée face à la dégradation accélérée des écosystèmes planétaires. Par ailleurs, cette dégradation se traduit par une série de phénomènes dont la portée, la gravité et la complexité font l’objet de maints débats sur la scène scientifique et plus encore sur la scène politique. Pour bien comprendre la nature des débats et les enjeux entourant la question environnementale, il est indispensable d’avoir au préalable une connaissance, même superficielle, des principaux phénomènes biophysiques et écologiques en cause.
3Dans une étude effectuée par le Comité scientifique sur les problèmes de l’environnement du Conseil international sur la science, 200 scientifiques provenant de 50 pays différents ont identifié les problèmes environnementaux susceptibles de constituer les enjeux majeurs du XXIe siècle. Parmi eux figurent notamment les changements climatiques, la pollution de l’eau, la biodiversité, la déforestation, la désertification et l’urbanisation.
Le réchauffement planétaire et la diminution de la couche d’ozone
4Sans son atmosphère, la Terre aurait une température moyenne de-18 °C. Mais grâce aux gaz qui l’entourent, et qui emmagasinent les rayons du Soleil atteignant le sol, la planète bénéficie d’un effet de serre naturel de 33 °C, de telle sorte que sa température moyenne est de 15 °C. Cette température a connu plusieurs fluctuations au cours des derniers millénaires, principalement dues aux variations de l’orbite, à l’inclinaison de la Terre et aux cycles du Soleil. Au cours de la dernière époque glaciaire, il y a 18 000 ans, la température moyenne s’élevait à moins de 12 °C, soit une différence de 4 °C avec la moyenne actuelle.
5Depuis les dernières décennies, l’atmosphère s’est chargée de gaz dits « à effet de serre », dont la concentration accrue a pour effet d’amplifier le phénomène naturel que nous venons d’exposer1. L’effet de serre qui en résulte pourrait provoquer une hausse de 3 à 7 °C de la température moyenne de la Terre d’ici le prochain siècle. Une telle transformation du climat perturbera indubitablement l’ensemble des écosystèmes. Outre les répercussions météorologiques, on craint une hausse du niveau de la mer allant de 10 cm à 1 mètre, ce qui aurait pour conséquence d’inonder de vastes régions côtières et d’engloutir plusieurs territoires insulaires, sans compter les perturbations des courants marins susceptibles de déstabiliser la chaîne alimentaire.
TABLEAU 1.1. Les principaux problèmes environnementaux
SOURCE : UNEP, Overview GEO-2000, Major emerging issues identified in the SCOPE survey. 2000. <http://www.grida.no/geo2000/ov-e/ioe13.htm>
6Les gaz à effet de serre correspondent essentiellement au dioxyde de carbone ou gaz carbonique (CO2), responsable d’environ 50 % du réchauffement. Les émissions de CO2 résultent à 80 % de l’industrialisation et de l’utilisation de combustibles fossiles. Les 20 % restants sont dus au phénomène de déforestation. Avec un quart de la consommation mondiale de pétrole, ce sont les États-Unis qui viennent en tête de liste des pays qui contribuent le plus à l’effet de serre.
7La diminution de la couche d’ozone est un phénomène totalement distinct de l’effet de serre, bien qu’il existe certaines interactions entre les deux. L’ozone stratosphérique (à ne pas confondre avec l’ozone au sol impliqué dans le phénomène du smog urbain) protège la Terre des rayons ultraviolets du Soleil. Or, pendant les années 1980, les scientifiques ont découvert un véritable trou dans la couche d’ozone. En 1995, la couche d’ozone en Antarctique avait perdu les deux tiers de son épaisseur sur une surface équivalente à celle de l’Amérique du Nord. Dans l’hémisphère nord, la couche d’ozone a perdu entre 9 et 30 % de son épaisseur. La dégradation de la couche d’ozone est causée par l’émission des hydrocarbures halogénés dont font partie les désormais célèbres chlorofluorocarbones (CFC), gaz utilisés notamment dans les systèmes de refroidissement. Chaque molécule de CFC libérée dans l’atmosphère détruit un nombre considérable de molécules d’ozone.
8La réaction face à ce phénomène important, mais circonscrit, a été rapide et relativement efficace. À la suite de la Convention internationale sur la protection de la couche d’ozone (Vienne, 1985), un nombre significatif de pays se sont engagés à réduire la production et l’utilisation des substances appauvrissant la couche d’ozone (SACO2) par l’adoption du protocole de Montréal (1987). Ce Protocole a été révisé à Londres, en 1990, afin de devancer l’échéancier initialement prévu. Si la question de l’ozone et des CFC semble résolue, des études sur le trafic illégal des CFC appellent à la prudence. Par ailleurs, en supposant que ces substances nocives soient effectivement bannies, il faudra pas moins de 70 ans pour que la couche d’ozone puisse se régénérer entièrement.
La biodiversité3
9Une autre menace globale, mais ayant aussi une dimension et des implications locales ou régionales, est la perte de biodiversité. Alors que le rythme naturel d’extinction des espèces oscille entre une et trois espèces par an, on estime que le rythme actuel est passé à 1 000 espèces par année. Bien que l’on ne connaisse pas toutes les espèces existantes ni l’ensemble des interrelations complexes qu’elles entretiennent entre elles, le processus d’extinction constitue assurément une précarisation de l’écosystème dans son ensemble4.
10Depuis 1960, l’Union mondiale pour la nature (World Conservation Union [IUCN]) publie un recensement des espèces animales menacées d’extinction dont les résultats sont souvent alarmants. Ainsi, 11 % des espèces d’oiseaux sont menacées, parmi lesquels les oiseaux insulaires et les migrateurs sont les plus affectés. Comme pour la plupart des autres espèces, le principal facteur d’extinction est la perte d’habitat. Mais l’invasion du territoire par des espèces étrangères introduites par l’homme, la chasse abusive et enfin les phénomènes de pollution constituent autant de menaces supplémentaires.
11Les études relatives aux mammifères sont plus inquiétantes encore puisqu’elles font état d’un taux de 25 % d’espèces menacées, dont 11 % sont menacées d’extinction immédiate. Ici encore, la perte et la dégradation des habitats sont les premières responsables. De plus, une proportion importante des espèces menacées est en proie à une exploitation directe, dont la chasse, sans compter que la disparition de certaines espèces, telles que les grands prédateurs, provoque bien souvent d’importants bouleversements dans l’écosystème en raison du rôle clé qu’elles jouent dans la chaîne alimentaire et la régulation des populations.
12C’est la situation des poissons qui est la plus inquiétante : 34 % des espèces sont menacées d’extinction, dont 13 % d’extinction immédiate. On déplore ici aussi la dégradation des habitats, l’invasion des espèces étrangères et l’exploitation directe qui affectent autant les poissons d’eau douce que ceux d’eau de mer5.
La déforestation et la désertification
13Le phénomène de la déforestation est intimement lié à celui de la perte de la biodiversité au niveau des écosystèmes, des espèces et de la variabilité intraspécifique. Pendant les années 1980, les forêts recouvraient 28 % de la surface émergée ; en 1990, elles n’en couvrent plus que 26 %. Les pays en voie de développement sont les principales victimes de ce déboisement causé par l’industrialisation, la croissance démographique et l’expansion des activités agricoles, ainsi que par le commerce des produits forestiers. En Afrique tout particulièrement, les besoins énergétiques et les activités agricoles constituent une menace importante pour les forêts6. Dans les pays industrialisés, le déboisement est surtout attribuable à l’urbanisation, à la pollution atmosphérique, ainsi qu’aux incendies (Denniston, 1997 ; UNEP, 1997).
TABLEAU 1.2. Taux d’extinction des espèces de poissons
ÉTAT |
TOTAL |
PART DANS LE TOTAL (EN %) |
Non menacées actuellement |
1 323 |
61 |
Proches de se trouver menacées |
10 |
5 |
Menacées et vulnérables |
443 |
21 |
Menacées d'extinction immédiate |
291 |
13 |
14Paradoxalement, la déforestation favorise tout autant les inondations que la désertification qui touche principalement l’Afrique, et tout particulièrement le Sahel, mais aussi l’Asie et l’Amérique du Sud. Chaque année, six millions d’hectares (soit deux fois la superficie de la Belgique) sont victimes d’une désertification irréversible, tandis que 20 millions d’hectares sont dégradés au point de ne plus être fertiles. Au cours des 50 dernières années, le désert de Thar a progressé d’environ 13 000 hectares par an, tandis qu’au Sahel, on estime que le désert avance de deux kilomètres chaque année. Outre la déforestation, l’agriculture intensive contribue à l’appauvrissement des sols, tandis que leur irrigation entraîne d’autres phénomènes menant à l’érosion, à la stérilisation et éventuellement à la désertification des sols.
L’urbanisation
15Alors que la terre ne comptait que 10 % de citadins au début du siècle, ils représentent aujourd’hui 50 % de la population, et devraient atteindre le nombre de 5 milliards d’ici 2025. Parmi les 33 mégapoles que devrait compter le monde en 2015, 27 seront situées dans les pays en développement. L’urbanisation touche donc de plus en plus de pays pauvres, alors que les populations rurales migrent vers la ville pour bénéficier de conditions économiques légèrement supérieures. En 1980, 29 % de la population du tiers-monde était urbanisée, contre 39 % aujourd’hui. On prévoit que la population urbaine dépassera la population rurale à partir de 2015. Or, la majorité des citadins des mégapoles du tiers-monde vit dans des conditions d’hygiène et de salubrité déplorables. À Addis-Abeba, 85 % des habitants vivent dans des bidonvilles, alors que le Caire est ceinturé de 25 bidonvilles. Ordures, insalubrité, accès difficile à l’eau et manque d’infrastructures sanitaires sont le lot de la grande majorité des villes du tiers-monde.
16Sept villes devraient dépasser les 20 millions d’habitants, dont une seule pourra être qualifiée de riche. Tokyo est aussi la ville qui affiche le plus faible taux de croissance (8 %), alors que des villes telles que Djakarta (93 %), Karachi (117 %) ou Lagos (151 %) sont en expansion rapide7.
17Cette tendance à l’urbanisation a des conséquences importantes sur l’environnement. L’urbanisation est responsable de la stérilisation de dizaines de milliers d’hectares de terre arable chaque année. L’expansion urbaine se faisant généralement sans égard à la qualité agricole de la périphérie, ce sont souvent les terres les plus fertiles qui sont enfouies sous la ville. Mais l’urbanisation entraîne aussi des problèmes environnementaux spécifiques. Le phénomène du smog urbain provoqué notamment par la circulation automobile fait de plus en plus de victimes, tout spécialement dans les villes enclavées telles que Mexico. Le problème des ordures accable aussi bon nombre de villes dont plusieurs n’ont aucun système de collecte. Enfin, les agglomérations urbaines sont de grandes consommatrices d’eau et rejettent, souvent sans traitement, d’importantes quantités d’eaux usées.
TABLEAU 1.3. Projections des mégapoles pour l’an 2015
VILLE |
PAYS |
NOMBRE D'HABITANTS |
TAUX DE CROISSANCE |
Tokyo |
Japon |
28,7 millions |
8 % |
Bombay |
Inde |
27,4 millions |
89 % |
Lagos |
Nigeria |
24,4 millions |
151 % |
Shanghai |
Chine |
23,4 millions |
59 % |
Djakarta |
Indonésie |
21,2 millions |
93 % |
Saõ Paulo |
Brésil |
20,8 millions |
29 % |
Karachi |
Pakistan |
20.6 millions |
117 % |
18Il existe un double rapport entre la question urbaine et la protection de l’environnement. D’une part, les agglomérations urbaines peuvent constituer une menace sérieuse pour les écosystèmes planétaires et, d’autre part, les villes correspondent elles-mêmes à des écosystèmes fragilisés qui peuvent s’avérer menaçants pour leurs habitants.
19Les menaces que font peser les agglomérations urbaines sur les écosystèmes planétaires sont multiples : contribution à l’effet de serre, menace pour la biodiversité, pollution des eaux douces et marines, contamination des sols. Les changements climatiques, par exemple, sont intimement liés aux politiques urbaines en matière d’énergie et de transport. Les deux premières causes de l’accroissement observé des émissions de gaz carbonique dans l’atmosphère sont la consommation des combustibles fossiles (pour les trois quarts) et les changements d’utilisation des sols, principalement la déforestation (Dessus, 1994, p. 47). Dans les pays industrialisés, près de 75 % de l’énergie est consommée dans les villes (Magnin, 1997). Quant aux transports, ils consomment 50 % des produits pétroliers et contribuent à 30 % des émissions de gaz à effet de serre d’origine anthropique.
20En détruisant les habitats naturels, l’expansion des villes a pour sa part des conséquences néfastes sur la biodiversité mais aussi sur la capacité de production alimentaire. Comme les villes s’établissent généralement dans des régions fertiles, leur expansion se traduit par des pertes nettes de terres arables. En Indonésie, par exemple, l’expansion des villes a condamné 20 000 hectares de terres agricoles en 1994. La situation semble encore plus critique en Chine où l’on estime que de 1987 à 1992 près de 2,6 millions d’hectares de terres ont été sacrifiés à l’urbanisation8. Tout comme l’agriculture et l'élevage intensif ou l’exploitation commerciale des forêts qui entraînent la transformation et le morcellement des forêts, des terres humides ou des prairies, l’expansion des banlieues contribue aussi à la disparition des habitats naturels.
La croissance démographique et la surpopulation
21La question de la surpopulation a longtemps été au cœur des débats entourant la problématique environnementale. Dans une optique malthusienne, on pouvait craindre qu’une croissance démographique exponentielle couplée à une croissance arithmétique de la production agricole n’entraîne de graves problèmes d’approvisionnement9. Heureusement, les derniers chiffres de L'ONU excluent l’hypothèse d’une explosion démographique et prévoient que la population devrait atteindre 9,4 milliards en 2050, pour se stabiliser à quelque 11,5 milliards en 215010. Le taux d’accroissement est passé de 2 % en 1960 à 1,4 % aujourd’hui, et la planète se peuple d’environ 80 millions d’individus par année, après avoir connu un sommet historique de 92 millions en 1992. Bien entendu, le taux moyen d’accroissement cache de grandes disparités, puisque dans plusieurs pays, le taux de natalité ne permet pas le renouvellement de la population (Europe, Canada, Asie orientale), alors que dans d’autres, la transition démographique n’a pas encore commencé et le taux de fécondité se situe aux alentours de 4,4 enfants par femme.
22Si la taille d’une population a certainement un impact sur l’environnement, on ne peut faire de corrélation directe entre la croissance démographique et la dégradation de la planète. Même s’il est vrai que les pays les plus pauvres sont responsables de 90 % de la croissance démographique, ce sont les populations des pays riches qui pèsent le plus lourdement sur les écosystèmes planétaires. Ainsi, les 30 pays les plus riches consomment 70 % de l’énergie, 75 % des métaux, 85 % du bois et 60 % des aliments de la planète. Ils sont également responsables de 80 % de la pollution. Le Canadien moyen consomme entre 30 et 50 fois plus de ressources qu’un habitant des pays sous-développés. En fait, le mode de vie a une grande incidence sur la capacité de charge de la planète et si celle-ci est en mesure de supporter 6 milliards de vrais végétariens, elle ne pourrait en revanche supporter que 2,5 milliards de Nord-Américains. Enfin, outre les questions de distribution, c’est aussi le mouvement d’industrialisation qui amplifie les dangers de la croissance démographique. Ainsi, alors que la population a quadruplé depuis 1900, l’activité économique a été multipliée par 20, l’utilisation des combustibles fossiles par 30 et la production industrielle par 50. Selon le rapport Brundtland, à la multiplication par deux de la population d’ici les 50 prochaines années pourrait correspondre une multiplication par un facteur de 5 à 10 de l’économie mondiale.
23Pour compléter ce tour d’horizon forcément incomplet de la crise environnementale au niveau global, il faudrait aborder la question des déchets industriels, celle de la pollution des eaux fluviales et maritimes, ainsi que des Grands Lacs, sans négliger la disponibilité et l’accès à l’eau potable qui sont l’objet de nombreux débats à l’heure actuelle (Petrella, 1998). Il faudrait aussi traiter des problématiques liées aux produits chimiques, à l’agriculture et aux transformations génétiques. Enfin, on ne peut faire abstraction de la question énergétique, à laquelle sont liées maintes dégradations souvent graves (l’effet de serre, le smog urbain, etc.) ainsi que celle du transport qui y est intimement liée (Brown, 1992).
Le monde Industrialisé et l’environnement
L'Amérique du Nord est la plus grande consommatrice d'énergie et de ressources per capita au monde, ce qui a d'importantes conséquences sur la santé comme sur l’environnement. Bien que l'émission de certains polluants atmosphériques ait été réduite au cours des dernières années, l’Amérique du Nord demeure la principale source de gaz à effet de serre. Les Nord-Américains consomment en moyenne 1600 litres d'essence par année comparativement à 330 pour les Européens.
L’Amérique du Nord figure aussi parmi les plus grands consommateurs d’eau : un Canadien utilise en moyenne deux fois plus d’eau qu’un Européen. Cette surconsommation n'est pas sans effet sur la qualité et la disponibilité de l’eau. Par ailleurs, si de nets progrès ont été enregistrés en ce qui concerne le fleuve Saint-Laurent, fa qualité de l'eau des Grands Lacs demeure variable.
En ce qui concerne les sols, les principaux problèmes sont l’érosion et la contamination dues aux activités agricoles et industrielles (incluant la surutilisation de pesticides et de fertilisants). Quant à la biodiversité, on estime que 254 espèces sont en voie de disparition au Canada, tandis que 21 sont considérées disparues. Soulignons également que les stocks de poissons des régions côtières se sont effondrés.
De son côté, l’Europe produit à elle seule un tiers des gaz à effet de serre. Les sols sont menacés d’érosion, d'acidification et de salinisation, lis sont appauvris par une surutilisation des fertilisants et des pesticides, et contaminés par des métaux lourds et certains polluants organiques. De plus, les ressources en poissons de la mer du Nord ont chuté de façon alarmante.
Le développement durable
24Si la crise environnementale a pu paraître localisée à ses débuts, alors que l’on s’inquiétait surtout de l’effet de certains produits toxiques utilisés à des fins précises (dont le problème des DDT peut être un exemple), elle se présente aujourd’hui comme étant globale et structurelle. C’est-à-dire que les bouleversements écologiques que connaît actuellement la planète sont d’une ampleur telle qu’ils réactualisent certaines questions philosophiques fondamentales et remettent en question des notions telles que le progrès, le bien-être, les besoins ou même le développement. Ce faisant, la crise environnementale questionne l’organisation sociale et interpelle, par le fait même, les acteurs sociaux qui doivent se positionner par rapport à elle. Mais elle questionne aussi en priorité le système économique caractéristique des sociétés industrielles, le modèle de développement et les modes de gouvernance aux échelles nationale et internationale. Les systèmes de régulation reposent encore sur une structure territoriale nationale qui rend la coordination difficile lorsque l’on fait face à des enjeux globaux comme le réchauffement de la planète. Ainsi, alors que l’économie se mondialise et qu’émergent de nouvelles instances visant à réguler le commerce mondial (L'OMC, le G8, le G20, etc.), l’environnement appelle aussi une gouvernance mondiale au sein de laquelle puissent être coordonnés les efforts des différents pays vis-à-vis de l’environnement. Par ailleurs, le système de production industriel et la consommation de masse qui caractérisent nos sociétés et leur organisation économique sont intimement liés à la crise écologique que nous connaissons. La crise interroge donc les modèles de développement et de progrès tels qu’on les a compris jusqu’ici, et requiert une réflexion sur les rapports entre le système économique et la base écologique de la vie et des sociétés humaines.
25Depuis quelques années, les écologistes, les gouvernements et même les entreprises font de plus en plus appel à l’idée de développement durable comme moyen de relever le double défi du développement et de la protection de l’environnement. Popularisé en 1987 par le rapport de la commission Brundtland, le concept de développement durable réfère à un développement qui répond aux besoins des générations présentes sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs. Le développement durable s’inspire notamment du concept d’écodéveloppement mis de l’avant lors de la conférence des Nations unies sur l’environnement humain qui s’est tenue à Stockholm en 1972. Le terme aurait été utilisé pour la première fois en 1980, alors que l’Union internationale pour la conservation de la nature et de ses ressources y faisait explicitement référence dans sa stratégie mondiale de conservation. Si on peut se réjouir du quasi-consensus dont jouit l’idée de développement durable aujourd’hui, il ne faut pas oublier que derrière un même terme se cachent des conceptions et des interprétations bien différentes. De façon schématique, on peut regrouper les différentes interprétations du développement durable en trois définitions types.
26La première définition assimile développement durable et croissance économique ou rentabilité financière, au point où l’on parlera de croissance ou même de rentabilité durable. Cette interprétation, qui a l’avantage de ne pas trop bousculer les pratiques et les modes d’évaluation actuels, fait malheureusement l’impasse sur les défis réels auxquels est confrontée une économie moderne qui n’internalise pas les coûts environnementaux et qui produit elle-même les problèmes qu'elle prétend résoudre. En témoigne l’utilisation du produit national brut comme mesure universelle du développement, en dépit du fait que celui-ci calcule comme un accroissement de la richesse une opération de décontamination et qu’il ne reflète pas les passifs environnementaux11.
FIGURE 1.1. Le développement durable comme harmonisation de l’économie et de l’environnement
FIGURE 1.2. Le développement durable comme intersection des sphères économique, sociale et environnementale
27La deuxième définition insiste sur l’idée que le développement durable correspond à une harmonisation entre l’environnement et l’économie. Elle reconnaît que l’économie actuelle repose sur des postulats qui ont des effets néfastes sur l’utilisation et la gestion des ressources. C’est dans cette optique que l’on met de l’avant l’idée d’une internalisation des coûts visant à intégrer les impératifs écologiques aux processus économiques.
28Or, pour bon nombre d’auteurs, cette deuxième définition est largement insuffisante dans la mesure où elle fait abstraction d’un troisième pôle pourtant indissociable de l’idée d’un développement durable : la dimension sociale. La définition tripolaire, où le développement durable se situe à l’intersection des préoccupations environnementales, économiques et sociales, est reprise dans plusieurs textes officiels. Au Québec, l’article 5 de la Loi sur la Régie de l’énergie, aujourd’hui amendé, a peut-être été la première référence législative au concept de développement durable. Il illustrait cette définition tripolaire en énonçant que : « Dans l’exercice de ses fonctions, la Régie favorise la satisfaction des besoins énergétiques dans une perspective de développement durable. À cette fin, elle tient compte des préoccupations économiques, sociales et environnementales ainsi que de l’équité au plan individuel comme au plan collectif. »
29La définition tripolaire du développement durable semble plus large et plus progressiste que les autres. Mais cela dépend en fait de la manière dont seront appréhendés chacun des pôles de même que leur articulation. Une définition progressiste du développement durable, en rupture avec l’ancienne conception du développement, n’autorise pas les mécanismes de compensation entre les pôles, que certains appellent capital naturel, capital économique et capital humain. En d’autres termes, une telle définition refuse de considérer qu’un accroissement des exportations peut compenser une baisse de la qualité de l’eau dans l’évaluation du niveau de vie d’une population donnée. C’est pourquoi une définition véritablement opérante du développement durable suppose une hiérarchisation des dimensions économique, environnementale et sociale. Ainsi, puisqu’on ne saurait imaginer de développement sans le maintien du support écologique de toute vie humaine, la préservation de l’environnement doit être posée comme une condition du développement durable. Par ailleurs, dans la mesure où le développement vise à répondre aux besoins des populations, la dimension sociale constitue un objectif du développement durable. L’économie et le système de production et de distribution constituent, quant à eux, des moyens à mettre au service du développement. Enfin, l’idée d’équité intergénérationnelle, mais aussi intragénérationnelle, traverse le développement durable dans toutes ses dimensions et constitue à la fois un objectif, une condition et un moyen.
TABLEAU 1.4. Les facettes du développement durable
DÉVELOPPEMENT DURABLE |
|
Environnement (respect de la capacité de charge) |
Condition |
Société (développement) |
Objectif |
Économie (efficacité) |
Moyen |
Équité (intra-et intergénérationnelle) |
Condition, objectif et moyen |
30L’idée d’un développement durable et d’une nouvelle gestion de l’environnement traduit la nécessaire redéfinition de nos rapports moraux avec une nature dont nous sommes désormais responsables. On peut schématiser ces rapports à travers l’histoire de l’humanité en trois grandes périodes : la soumission, la domination et la responsabilité. La période de soumission ou d’adaptation, pendant laquelle l’être humain est tributaire des aléas du milieu naturel, se caractérise par un rapport sacré entre l’humain et la nature : celle-ci est crainte, respectée voire déifiée. L’agriculture, puis l’urbanisation, marquent les débuts d’un rapport de domination ou de contrôle de la nature par l'humain, qui atteindra son apogée idéologique au Siècle des lumières et sera concrétisé avec l’ère industrielle. La nature est alors perçue comme un ennemi qu’il faut mater12. Enfin, la période qui s’ouvre aujourd’hui traduit un rapport plus complexe et aussi plus ambigu. Les rétroactions du milieu naturel mettent en cause la vision déterministe de la gestion de l’environnement et les irréversibilités qui se font jour suscitent des interrogations sur l’avenir de l’espèce humaine. Nous sommes entrés dans une société du risque et dans une ère de la responsabilité à l’égard de notre propre devenir.
TABLEAU 1.5. Comparaison des deux paradigmes de développement (inspiré de Waaub, 1991)
PARADIGME ACTUEL |
DÉVELOPPEMENT DURABLE |
|
Objectifs |
Satisfaction des besoins immédiats |
Satisfaction des besoins à long terme Équité |
Types de besoins |
Besoins solvables |
Besoins liés à l’épanouissement (au développement) de la personne humaine |
Conditions |
Liberté des échanges |
Respect de la capacité de charge de la biosphère Équité |
Moyens |
Économie de marché libre-échangiste |
Autonomie alimentaire locale Économie orientée, dé matérialisée, distributive (équitable) et efficiente |
Outils |
Comptabilité de l'abondance et de la production de surplus |
Comptabilité des gains et des pertes (environnementales, sociales et autres), de la distribution des ressources, de ta progression vers le développement |
Mesures |
PIB (investissements, consommation, dépenses gouvernementales, import-export), taux de croissance de l’activité économique |
Indicateurs de développement durable : satisfaction des besoins, distribution des ressources, intégrité du milieu naturel, efficience de l'utilisation des ressources |
La gestion sociale de l’environnement
31La problématique environnementale moderne émerge pendant les années 1960. À partir de cette époque, plusieurs questions de santé publique et des catastrophes industrielles sont venues alimenter un mouvement de contreculture où la pollution n’était en fait que l’un des nombreux sujets de récrimination adressés à la société capitaliste. Dans les années qui ont suivi, la médiatisation de certaines découvertes scientifiques telles que les pluies acides, l’amincissement de la couche d’ozone, les changements climatiques, ainsi que plusieurs catastrophes industrielles majeures telles que celles de Bhopal, de l'Exxon Valdez ou de Tchernobyl ont frappé l’imaginaire collectif à un point tel qu’au début des années 1990, l’environnement figurait parmi les principales préoccupations des citoyens de plusieurs pays industrialisés.
32Dans la foulée des législations sociales adoptées pendant les années 1970, les gouvernements ont formé des ministères dédiés à l’environnement et les premières législations environnementales ont alors vu le jour. Toutefois, si ces législations ont possiblement contribué à ralentir le rythme de la dégradation environnementale, elles n’ont certainement pas contré la tendance en matière de pollution et d’épuisement des ressources, si bien qu’à l’heure actuelle, les conférences, les traités et les conventions internationales sur les grands problèmes environnementaux se succèdent, et les tensions entourant les questions environnementales à l’échelle nationale sont plus vives que jamais.
33La problématique environnementale n’est plus seulement une question technique et scientifique. Elle est devenue un véritable enjeu sociopolitique qui oppose non seulement les écologistes aux industriels, comme à ses débuts, mais aussi les pays du Nord aux pays du Sud. C’est pourquoi, si l’objectif du développement durable obtient l’assentiment de tous, son application se heurte à des intérêts divergents. Par ailleurs, sa mise en œuvre requiert de nouveaux modes de gestion et de décision qui restent encore à développer.
Gouvernance et politiques environnementales
34De façon schématique, les gouvernements ont recours à quatre types de politiques publiques pour protéger l’environnement : l’action directe, la réglementation, les instruments économiques et l’exhortation. L’action directe réfère aux actions positives que peut prendre un gouvernement en matière de protection de l’environnement, comme dépolluer un site ou doter une région d’infrastructures de dépollution. La réglementation concerne les textes législatifs civils, pénaux ou statutaires adoptés par les différentes juridictions qui touchent l’environnement. Les instruments économiques sont des réglementations de nature économique, comme la fiscalité ou les permis échangeables13. Enfin, l’exhortation regroupe tous les programmes visant à favoriser l’action volontaire et repose donc sur le bon vouloir des acteurs sociaux.
La réglementation
35Il aura fallu plusieurs décennies pour que le droit reconnaisse l’environnement comme objet spécifique. La collectivisation des problèmes environnementaux a entraîné une déterritorialisation des questions environnementales, faisant passer celles-ci du domaine privé au domaine public. La protection de l’environnement a cessé d’être tributaire des droits individuels de propriété pour acquérir le statut de bien collectif, de telle sorte qu’on est passé d’un régime de droit individualiste à un régime de droit collectiviste en matière d’environnement à un moment où ce droit acquérait le statut d’objet de droit14 (Daigneault, 1992).
36C’est une évolution qui se fait beaucoup plus difficilement au plan international. À cette échelle, en effet, les principaux acteurs demeurent des États territoriaux et il n’existe pas véritablement d’instance supérieure susceptible de représenter les intérêts de la communauté planétaire dans son ensemble. Le droit international de l’environnement est donc confronté à la difficulté de concilier la protection des ressources communes et la souveraineté des États (Brunnée, 1994).
37La protection de l’environnement est assurée par une multitude de textes législatifs qui dépassent largement les lois spécifiques de protection de l’environnement. On distingue généralement cinq sources de droit de l’environnement : le droit commun (règles de bon voisinage, responsabilité civile) ; les lois sur les ressources (protection des ressources naturelles, par exemple, lois sur les pêches, les mines ou les forêts) ; les lois d’aménagement du territoire (urbanisme, territoire agricole) ; les recours concernant les nuisances (à l’échelle des municipalités) ; et les lois environnementales proprement dites.
38Sur le plan pratique, on peut regrouper les mesures juridiques de protection de l’environnement selon quatre grands types : la protection, le contrôle, la surveillance et la restauration. Les principaux mécanismes utilisés dans le cadre des activités industrielles sont la norme de rejet, l’interdiction (ou la norme o), les permis et autorisations (droit de regard sur la gestion et l’exploitation) et le droit de surveillance. Daigneault (1992) présente une classification fort pertinente de ces mécanismes en fonction du déroulement des projets. En amont s’appliquent des mécanismes tels que les autorisations préalables, les procédures d’évaluation d’impact, les règles de zonage et les programmes d’assainissement. Pendant qu’ils exercent leurs activités, les industriels sont soumis à des règles de sécurité ainsi qu’à un contrôle de leurs rejets. Ils doivent aussi répondre à des obligations plus générales telles que le droit du public à l’information qui peut donner lieu à des programmes de déclaration obligatoire. Enfin, en aval de l’activité industrielle s’appliquent des mécanismes tels que les programmes et ordonnances de dépollution, les sanctions pénales et les sanctions civiles.
39La profusion de textes législatifs relatifs à l’environnement et les nombreux programmes qui s’y rattachent ne signifient pas que l’environnement soit surréglementé, bien au contraire. Tout en dénonçant le laxisme dont les gouvernements font preuve au moment de l’application des lois, les juristes s’accordent généralement pour dire que le droit de l’environnement est un droit jeune et qu’il reste encore à développer (Halley, 1997). C’est pourquoi les politiques de déréglementation proposées en réponse à l’inefficacité de la réglementation ont engendré un certain scepticisme dans le domaine de l’environnement, voire une vive opposition. Il n’en reste pas moins que le corpus en droit de l’environnement est tel qu’il peut être difficile de s’y retrouver, notamment en raison de la duplication des paliers de juridiction propre aux fédérations, qui ont chacun leurs responsabilités en ce qui concerne l’environnement.
Les instruments économiques
40Le courant de la déréglementation, qui a débuté principalement aux États-Unis à partir des années 1970, consiste à privilégier des méthodes alternatives de régulation en remplacement des politiques de Command & Control traditionnelles. Plus spécifiquement, il s’agit de mettre à profit la dynamique du marché en vue d’atteindre des objectifs sociaux.
41Selon l'OCDE, ce mode alternatif de régulation comporte plusieurs avantages, tels que flexibilité, transparence, prévention, compétitivité et décentralisation. On affirme, par exemple, que ce type de régulation est plus flexible parce qu’il ne prescrit que les buts et non les moyens à prendre pour obtenir un objectif donné. Ainsi, en autant qu’elle atteint les objectifs fixés, une entreprise peut adopter la technologie et les procédés de production qui lui conviennent. De plus, les instruments économiques se caractérisent par des « efficiences » statique et dynamique. L’efficience statique signifie que le coût agrégé de dépollution pour atteindre une cible environnementale donnée sera moins élevé avec ce type d’instruments qu’à l’aide d’une réglementation15. Quant à l’efficience dynamique, elle signifie que les instruments économiques constituent un incitatif permanent dans la mesure où une entreprise tentera toujours de réduire le coût que représente une taxe environnementale par exemple. Enfin, les instruments économiques permettent aux pouvoirs publics de générer des recettes.
42Parmi les instruments économiques, on distingue tout d’abord les instruments fiscaux des instruments non fiscaux, comme le système de permis échangeables utilisé principalement aux États-Unis, et la consigne qui est déjà plus largement répandue. Mais ce sont les instruments fiscaux qui retiennent le plus l’attention ces dernières années. L’OCDE distingue quatre catégories de mesures fiscales de protection de l’environnement. Les taxes sur les émissions sont des prélèvements fiscaux calculés en fonction d’une quantité déterminée de polluants. C’est l’application directe du principe pollueur-payeur. Les redevances d’utilisation correspondent plutôt à un paiement exigé en contrepartie de l’utilisation d’infrastructures publiques de dépollution, tels les systèmes de traitement des eaux. En plus d’être une application du principe pollueur-payeur puisqu’elle permet de financer le coût de dépollution, cette taxe est aussi une application du principe utilisateur-payeur, à l’instar du système de péage sur les voies routières. Les taxes ou redevances sur les produits sont imposées sur un bien dont la production, l’usage ou la mise au rebut est nuisible à l’environnement. Enfin, la catégorie des allégements fiscaux recouvre les dispositions visant à stimuler certains comportements, comme des investissements dans un nouvel équipement antipollution.
FIGURE 1.3. Les instruments économiques
La consigne au Québec
Au Québec, le système de consignation permet de récupérer 80 % des contenants de bière et de boissons gazeuses, c’est-à-dire environ 7,95 milliards de contenants en aluminium, en plastique et en verre. Lorsqu’il achète un de ces produits, le consommateur paie une consigne allant de 5 à 20 cents. Versée à Recyc-Québec, cette somme est remboursée au consommateur lors du retour du contenant chez le détaillant. Le détaillant reçoit pour sa part une prime de 2 cents par contenant en compensation des frais de manutention et d’expédition au recycleur. Le système de consignation du Québec s’équilibre financièrement jusqu'à un taux de récupération de 70 %. Au-delà de ce taux, il engendre des coûts. Sur le plan environnemental, la consigne a permis la récupération avoisinant les 80 % pour l'aluminium, le plastique et le verre. Le poids des contenants récupérés est passé d’environ 30 000 tonnes par année en 1992 à 42 700 tonnes en 1998.
43Si les instruments économiques peuvent comporter des avantages au plan théorique, leur application soulève de nombreux problèmes ; c’est pourquoi en pratique, les instruments économiques ne sont guère la panacée aux problèmes environnementaux des sociétés industrielles capitalistes. D’une part, la mise en place d’instruments économiques peut nécessiter de lourdes infrastructures administratives, comme c’est le cas pour les permis échangeables. D’autre part, les cas où des instruments économiques, et en particulier des taxes environnementales, ont eu un effet incitatif réel sont rares, ce qui fait douter de leur efficacité en matière de protection de l’environnement16. Enfin, il est clair que l’introduction de certaines mesures fiscales, telle la taxe sur le carbone, donne lieu à des oppositions massives de la part des groupes industriels susceptibles d’être touchés, comme c’est le cas pour les entreprises pétrolières17.
Les mesures volontaires et l’ISO 14000
44Les mesures volontaires constituent souvent le second volet des politiques de déréglementation. Le Conférence Board du Canada les définit comme un engagement du secteur privé à protéger l’environnement au-delà des exigences juridiques. En plus d’améliorer l’image corporative, elles peuvent procurer un avantage concurrentiel, mais aussi réduire les coûts de conformité législative (New Directions Group, 1997).
Les permis échangeables aux États-Unis
Entré en vigueur en 1995, l'Acid Rain Program (ARP) a été mis en place à la suite de l’amendement du Clean Air Act (1990). Il vise à réduire les émissions de SO2 des centrales électriques américaines à 50 % de leur niveau de 1980 d’id l’an 2010. Limité à environ 250 installations dans un premier temps, le programme en touche aujourd'hui plus de 2 000. Le permis émis dans le cadre de l'ARP donne le droit d’émettre une tonne de SO2 par année. Les entreprises peuvent obtenir ou s’échanger des permis entre elles lors d’enchères annuelles, mais seulement 3 % des permis font l'objet d'échanges. Elles peuvent aussi conserver leurs permis pour une utilisation ultérieure. Chaque unité doit détenir un nombre de permis équivalent ou supérieur à ses émissions annuelles, faute de quoi elle doit payer une amende indexable, qui s’élevait en 2000 à 2 682 S.
SOURCE : Dany Brouillette, Implantation du protocole de Kyoto dans le cos de politiques internes différentes : modélisation et analyse de l'efficacité. Université Laval, vendredi 23 mars 2001, Pour en savoir plus : <http://www.epa.gov/airmarket/>.
45La série de normes de gestion environnementale ISO 14000 est souvent présentée comme l’une des initiatives volontaires privées sur lesquelles les pouvoirs publics fondent le plus d’espoir. Toutefois, comme nous le verrons, la série ISO 14000 sème énormément de confusion parmi les industriels et les pouvoirs publics quant aux rôles respectifs des normes industrielles et de la réglementation. Face à l’intérêt que peut susciter pour certains un système privé de surveillance de la performance environnementale, la norme ISO 14001 est pourtant claire par rapport au fait qu'elle ne se substitue nullement à la réglementation, ni n’impose d’obligations environnementales au sens strict. En fait, les exigences de la certification ISO 14001 ont trait à la configuration et au fonctionnement du système de gestion environnementale, et non à la performance environnementale effective des entreprises18. Ce n’est pas surprenant dans la mesure où ces normes n’ont pas été élaborées en vue de protéger l’environnement, ce qui n’est pas la mission de l’International Standard Organisation, mais bien en vue de fournir un outil de gestion environnementale universel tout en évitant que la protection de l’environnement ne devienne une barrière non tarifaire et n’entrave ainsi la libre circulation des biens. En somme, l’efficacité écologique du système de l’ISO 14001 repose notamment sur l’existence préalable et l’application des règlements, et des sanctions environnementales mises en oeuvre par les gouvernements.
Notes de bas de page
1 Pour une description détaillée du phénomène dans toute sa complexité, voir le reportage de Francine Charron, Yves Lévesque et Jeannita Richard, Le réchauffement de la planète, collection Découverte/Société Radio-Canada (42 min 47 s), Montréal, Société Radio-Canada, 1998.
2 Les SACO comprennent les CFC (fréons), les halons, les HCFC, etc.
3 Pour en savoir plus sur la convention sur la biodiversité, voir le site Web suivant : <http://www.biodiv.org>.
4 Bien que l’on s’entende généralement sur le chiffre de 13 millions, les estimations du nombre d’espèces existantes oscillent entre 3 et 100 millions. De ce nombre, 1,75 million d’espèces ont été recensées, parmi lesquelles figurent beaucoup de petites espèces, telles que les insectes. Les études relatives à la biodiversité portent néanmoins surtout sur les vertébrés (50 000 espèces), dont on peut penser qu’ils sont un indicateur de choix pour évaluer l’état des écosystèmes.
5 « En Amérique du Nord, 37 % des espèces d’eau douce sont soit déjà disparues, soit en danger. En Europe le chiffre est de 42 %. En Afrique du Sud, on peut craindre que, en l’absence de mesures de protection, les deux tiers des 94 espèces de poissons ne disparaissent. Dans les régions semi-arides du Mexique, 68 % des espèces indigènes et endémiques ont disparu » (Lester R. Brown et al., L’état de la planète, Paris, Economica, 1998, p. 14).
6 « [L’Éthiopie] comptait environ 40 % de sa surface en forêts vers 1900,16 % en 1960 ; il en compte 4 % à ce jour ! » (René Dumont, « Déforestation : érosion, inondations et sécheresses accrues », dans Marc Schmitz, Les conflits verts, Bruxelles, GRIP, 1992, p. 51).
7 À noter que l’expansion des villes repose désormais davantage sur leur démographie interne que sur l’exode rural. Voir Philippe Bernard, « Les villes, avenir du monde », Le Monde, 4 juin 1996.
8 Cette superficie aurait pu fournir du riz à pas moins de 330 000 Indonésiens. Gary Gardner, « Préserver les terres cultivables dans le monde », dans Lester R. Brown et al, L’état de la planète, Paris, Economica, 1997, p. 65.
9 Rappelons ici la démonstration de Malthus à l’effet que, la population croissant de façon exponentielle et la productivité agricole ne suivant qu’une progression géométrique, tôt ou tard il arriverait un point où les ressources de la planète ne pourraient plus suffire à nourrir sa population. Cet argument a été repris par de nombreux écologistes, mais a été pourfendu par d’autres affirmant qu’il faisait abstraction des avancées technologiques. Bien que ce scénario soit effectivement un peu simpliste, puisqu’il passe sous silence les phénomènes de distribution, par exemple, il n’en reste pas moins qu’il illustre les limites de la capacité de charge de la planète auxquelles la crise environnementale nous confronte.
10 ONU, « La population mondiale en mutation », Le Monde. Dossiers & documents, no 277, juin 1999.
11 Le produit intérieur brut mesure les flux économiques attribuables à la consommation, aux investissements, aux dépenses gouvernementales et à la balance commerciale. Il ne fait aucun cas des passifs environnementaux, c’est-à-dire de la détérioration de la base écologique, si bien qu’un pays pourrait afficher une excellente performance économique en termes de PIB, tout en dilapidant ses ressources naturelles ; de ce point de vue, le PIB n’est donc pas une mesure appropriée d’un développement durable. Les failles du système de comptabilité nationale en regard de la question environnementale, mais aussi de l’équité et de la mesure non économique du bien-être ont donné heu à un important courant de réflexion sur les indicateurs du développement durable. À ce sujet, on consultera avec profit les travaux de Hazel Henderson et ses indicateurs, <http://www.flynnresearch.com/calvert.htm>.
12 Le commentaire d’un documentaire sur le détournement du Nil illustre bien la représentation de la nature qui avait cours à l’époque industrielle. On y présente les travaux du barrage comme une victoire contre la méchante et cruelle nature. Voir Salah El Tohami, Les quatre journées glorieuses, Égypte, 1964, 25 min.
13 Les permis échangeables correspondent à des « permis limités de polluer » qui peuvent être échangés entre les entreprises. Si la performance environnementale d’une entreprise est telle qu'elle pollue moins que la limite prescrite par le permis qu elle détient, elle pourra vendre à l’entreprise voisine la portion non utilisée de son droit de polluer. Cette dernière pourra alors acheter ce permis si celui-ci est moins coûteux qu’une modernisation de ses équipements.
14 Affirmer que l’environnement est objet de droit ne signifie pas pour autant que l’environnement soit sujet de droit, ni que cela puisse constituer une évolution souhaitable. Comme le démontre Luc Ferry dans Le nouvel ordre écologique (1992), donner à l’environnement le statut de sujet de droit, comme le préconisent les tenants de l’écologie profonde, pourrait mener à des glissements dangereux, tels que celui d’un arbitrage entre l’environnement et la vie humaine. D’un point de vue politique et juridique en effet, il est hasardeux d’octroyer à une entité telle que l’environnement un statut de sujet à moins de reconnaître que l’environnement doit être protégé pour lui-même, et non en raison de sa fonction de support de la vie humaine. S’il peut être philosophiquement et moralement défendable d’attribuer une valeur ontologique à l’environnement et à la vie en général, on ne peut transposer une telle position sur la scène politique sans risquer de voir certains acteurs sociaux s’arroger le droit et la légitimité de représenter l’environnement, et détenir de la sorte des pouvoirs indus à l’égard d’autres citoyens. La protection de l’environnement demeure un principe à défendre dans le cadre d’un forum où participent des citoyens engagés. Procéder autrement mènerait à une dynamique dogmatique s’écartant du principe de forum démocratique.
15 Avec une réglementation, deux firmes ayant des coûts de dépollution différents devront atteindre un même objectif, tandis qu’avec les instruments économiques, le niveau de dépollution atteint par les firmes pour qui le coût de dépollution est le plus faible peuvent compenser pour les firmes pour lesquelles ce coût est plus élevé, menant ainsi à une dépollution dont le coût agrégé est moindre.
16 La Suède mise à part, c’est davantage par le réinvestissement des recettes dans des équipements antipollution qu’à travers leur effet incitatif que les mesures fiscales mises en oeuvre jusqu’à maintenant ont contribué à l’objectif de protection de l’environnement. Voir C. Gendron et M. Naud, « La fiscalité environnementale », Conférence internationale de Pékin sur la comptabilité, Pékin, mai 1998.
17 La taxe sur le carbone est une taxe imposée à un agent en fonction de ses émissions de gaz carbonique.
18 La série ISO 14000 comporte des normes de gestion ainsi que des normes sur les produits (conception, étiquetage).
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