Chapitre 7. Débats contemporains
p. 104-121
Texte intégral
GÉNÉTIQUE, BIOLOGIE ET SUICIDE
1DEPUIS PLUS DE 100 ANS, les scientifiques ont observé que, si un suicide est commis au sein d’une famille, les générations suivantes verront augmenter leurs risques de suicide. Le fait que les membres de la famille d’une personne qui s’est suicidée soient plus à risque de suicide est un constat incontournable. Même si le risque de suicide du membre d’une famille où un suicide a eu lieu dans les générations antérieures est plus élevé que chez les membres de familles n’ayant pas vécu un décès par suicide, il reste que, puisque le suicide est en général un événement rare, le risque du suicide d’un autre membre de la famille demeure relativement peu élevé, même dans ces familles.
2L’une des questions primordiales qui se pose est de savoir jusqu’à quel point on peut recourir aux explications génétiques et biologiques pour comprendre le risque élevé de suicide chez certaines familles. Nous savons qu’un décès par suicide a un effet négatif sur l’ensemble des membres d’une famille. Jusqu’au début des années 1970, un fort débat avait lieu entre les chercheurs qui mettaient l’accent sur les aspects psychosociaux des déterminants du risque suicidaire et les chercheurs insistant sur les aspects biologiques et héréditaires. Aujourd’hui, la grande majorité des chercheurs s’entendent pour dire que les aspects biologiques et génétiques jouent un rôle dans l’augmentation du risque suicidaire mais qu’il n’existe pas de « gène du suicide » ni d’indicateur génétique ou biologique pouvant identifier si un individu va se tuer ou non. Nous savons cependant qu’il existe une interaction complexe entre les expériences des êtres humains et les aspects biologiques et génétiques de leur cerveau.
3Un grand nombre de recherches sur la biologie du suicide portent sur la sérotonine et autres substances qu’on appelle les « neurotransmetteurs ». Les recherches conduites depuis près de 30 ans indiquent que les personnes présentant un déficit dans le fluide céphalo-rachidien de la substance chimique 5-HIAA (qui est un produit transformé de la sérotonine) sont plus à risque de présenter des comportements suicidaires. Il existe un lien entre un faible niveau de sérotonine et la dépression, les comportements agressifs et l’impulsivité. Mais les mécanismes qui font en sorte que certains individus présentent un niveau moins élevé de sérotonine sont relativement complexes. Par exemple, le Prozac et certains médicaments psychotropes contre la dépression se lient aux transmetteurs de la sérotonine, les molécules qui réabsorbent la sérotonine et qui en diminuent donc le niveau disponible au cerveau. L’effet de ces médicaments antidépresseurs est de rendre disponibles moins de transporteurs de sérotonine, de sorte qu’il y ait plus de sérotonine disponible pour le cerveau. Les chercheurs étudient ces mécanismes complexes, mais les recherches ne se limitent pas à la seule sérotonine : les complexités de la sécrétion et de l’élimination de ces substances dans certaines parties spécifiques du cerveau font aussi l’objet de multiples études.
4Les études sur les aspects génétiques du suicide sont basées en partie sur celles des jumeaux identiques (monozygotes) et non identiques (hétérozygotes). Les études de l’ensemble des 399 décès par suicide chez des jumeaux rapportées dans diverses études indiquent que, lorsqu’il y a suicide d’un jumeau, 13,2 % des jumeaux identiques se suicident tous les deux, mais ce chiffre baisse à seulement 0,7 % chez les jumeaux hétérozygotes. Une étude auprès de 5 995 jumeaux en Australie a essayé d’évaluer l’importance de différents facteurs socioépidémiologiques pour expliquer les différences dans l’idéation suicidaire et les comportements suicidaires. Cette étude en conclut qu’au moins 40 % des différences dans les comportements suicidaires étaient liées au fait d’avoir des antécédents familiaux en matière de comportements suicidaires. Cependant, chez les jumeaux identiques, l’histoire d’une tentative de suicide ou idéation suicidaire sérieuse d’un jumeau s’avérait être un facteur significatif de prédiction des comportements et pensées suicidaires de l’autre jumeau. Par contre, on n’a pas réussi à trouver de liens entre l’idéation suicidaire et les comportements suicidaires d’un jumeau non identique avec l’autre jumeau.
5Il est important de noter que, lorsqu’un membre de la famille se suicide, un pourcentage très faible des autres membres mourra par suicide, même dans le cas de jumeaux identiques. Les études ont identifié qu’il existe possiblement un niveau de vulnérabilité au suicide chez certaines personnes que l’on pourrait lier à certaines variables biogénétiques. Les recherches contemporaines mettent souvent l’accent sur les aspects biogénétiques liés aux traits d’impulsivité. Les personnes plus impulsives ont plus tendance à se suicider lorsqu’elles sont confrontées à des situations difficiles. Un autre aspect du risque génétique est lié à l’hérédité de certains problèmes graves de santé mentale. Encore une fois, on parle plutôt chez certaines personnes de risque plus élevé de présenter un trouble mental important. Puisqu’un problème de santé mental augmente le risque de suicide, les personnes qui sont plus à risque de développer des problèmes de santé mentale sont également plus à risque de mourir par suicide. Il faut aussi comprendre que les événements de vie stressants augmentent le risque de faire une dépression à l’âge adulte, mais une prédisposition génétique augmente le risque que ces événements de vie aient des effets néfastes. Par ailleurs, il y a une interaction entre les facteurs génétiques et les événements de vie. Les enfants qui partagent avec leurs parents des gènes associés à la maladie mentale sont plus sujets à être victimes d’abus et de négligence au cours de leur enfance. D’autre part, les personnes impulsives se mettent dans des situations difficiles parce qu’elles sont violentes ou entrent en conflit avec les membres de leur entourage. Pour compliquer encore plus la situation, des recherches récentes indiquent que les mécanismes d’adaptation (coping), les façons dont on fait face aux situations stressantes, peuvent diminuer le risque des effets négatifs de ces expériences.
6Les prédispositions biologiques et génétiques des êtres humains jouent un rôle important dans l’augmentation du risque suicidaire. Cependant, aucun gène ou indicateur biologique n’est capable à lui seul d’identifier une personne qui va se tuer. Actuellement, les chercheurs étudient de nombreux aspects génétiques et biologiques, en parallèle avec d’autres mécanismes, et cela prendra encore probablement de nombreuses années avant d’avoir des tests diagnostics nous permettant d’indiquer si, par exemple, un individu présente un risque élevé de suicide à cause d’une disposition génétique, telle que l’impulsivité, par exemple. Puisque le nombre de personnes qui présentent ces risques élevés est nettement plus élevé que le nombre de personnes qui vont éventuellement exprimer ces risques par des comportements suicidaires, le développement de méthodes d’évaluation génétique ou biologique pose des défis importants d’un point de vue éthique. Il faut considérer l’effet de la divulgation des connaissances génétiques concernant un risque plus élevé de suicide sur la personne elle-même et sur les membres de son entourage. Est-ce que ces informations auraient pour effet d’augmenter l’angoisse d’une personne déjà vulnérable ? Ou bien est-ce que ces informations nous permettront d’intervenir afin de prévenir les comportements suicidaires ? Les défis qui se présentent pour les recherches biologiques et génétiques ne sont pas limités aux découvertes scientifiques. Nous devrons aussi développer des critères d’utilisation de ces connaissances en comparant les bénéfices pour les individus, les membres de leur entourage et la société, et les effets négatifs possibles.
LE SUICIDE PEUT-IL ÊTRE UN ACTE RATIONNEL ?
7Est-ce que le suicide est le résultat d’une décision rationnelle que les êtres humains peuvent prendre ou est-ce que le suicide est un acte de folie — le résultat d’un problème de santé mentale ? Est-ce que le raisonnement des individus suicidaires est déréglé par un trouble mental ? Certains suicides sont évidemment irrationnels : par exemple, une schizophrène qui se tue après avoir entendu des voix l’incitant à s’enlever la vie. Cependant, certains peuvent considérer le suicide comme un geste rationnel, logique, résultant d’un raisonnement. Afin de mieux comprendre le débat, il faut d’abord définir ce qu’on entend par rationalité. Le philosophe Jacques Choron a défini le suicide rationnel comme étant un suicide où aucun problème important de santé mentale n’entre en jeu, où les capacités de raisonnement de l’individu sont en bon état de fonctionnement et où les motivations pour le suicide semblaient justifiables ou au moins compréhensibles par la majorité des personnes dans sa société ou dans son groupe social. Si on accepte les exigences de cette définition de Choron, des problèmes se posent au départ pour la grande majorité des suicides : environ 80 % des personnes qui meurent par suicide souffrent de troubles mentaux, par exemple, la dépression clinique, l’alcoolisme ou l’abus de drogues. Si on accepte sa définition, seul un petit nombre de suicides pourraient être considérés comme étant le résultat d’un geste rationnel. Même les organismes qui luttent pour l’acceptation du suicide rationnel, comme la Hemlock Society prennent bien la précaution d’indiquer que les personnes qui se tuent pour des raisons irrationnelles ou émotionnelles ne doivent pas être supportées dans leur demande d’un suicide rationnel. Derek Humphrey, le directeur de la Hemlock Society, spécifie que la société ne doit pas encourager un suicide « pour des raisons de santé mentale ou de tristesse » (Humphrey, 1986, p. 172-173, c’est nous qui traduisons).
8Lorsqu’une personne se tue malgré le fait qu’elle ne souffre pas d’un trouble mental, on peut se demander s’il s’agit là d’un suicide rationnel. Dans certains cas, il faut évidemment exclure le suicide de la catégorie de la rationalité lorsque nous nous trouvons en présence d’un facteur qui compromet les capacités de raisonnement d’un individu. Par exemple, quelqu’un qui a consommé des drogues ou de grandes quantités d’alcool ou même quelqu’un qui vient de vivre un choc psychologique (par exemple, qui vient d’apprendre que sa femme l’a quitté pour son meilleur ami) peut se retrouver dans une situation où ses capacités de jugement rationnel sont atteintes par son état psychique. Tout de même, existe-t-il certaines situations où l’on peut considérer que le suicide est un acte rationnel ?
9Habituellement, les définitions de ce qui constitue un processus de prise de décision rationnel impliquent la capacité à recourir à un raisonnement logique, sans que des facteurs extérieurs ne viennent l’influencer. Le philosophe contemporain David Mayo a défini le suicide rationnel comme étant un geste réalisé dans une situation où l’individu considère ses choix de façon réaliste, en les mettant en relation avec ses objectifs et intérêts fondamentaux. À la suite d’une analyse logique de la situation, il choisit ce qui va maximiser la réalisation de ses objectifs fondamentaux.
10Brian Mishara a suggéré que l’exigence de la prise de décision dans le cas du suicide sur une base rationnelle et logique va à l’encontre de la réalité de la prise de décision importante des êtres humains en général. Selon lui, les décisions les plus importantes d’une vie, comme avec qui vat-on se marier, quelle carrière va-t-on choisir etc., sont essentiellement émotionnelles. Selon Mishara, les êtres humains n’ont pas recours à un processus logique pour ces choix importants et il se demande donc comment on peut croire qu’une décision aussi importante que la cessation volontaire de la vie doive s’avérer plus rationnelle que les autres décisions mentionnées plus haut. Ceux qui revendiquent le droit à un suicide rationnel insistent généralement sur le fait que la personne qui prend cette décision doit être dans un état de souffrance interminable et insupportable. Mishara a suggéré que la présence d’une souffrance intense peut compromettre notre habileté de prise de décision rationnelle.
11Les notions de suicide rationnel, selon le psychologue David Clark, sont souvent confondues avec l’idée de suicide « compréhensible ». Selon lui, lorsqu’on utilise le mot « rationnel » pour décrire un décès par suicide, très souvent cela veut simplement dire qu’on comprend et que l’on respecte que la personne ait choisi, étant donné les circonstances, de se suicider. Au-delà de cette compréhension, de ce respect, il y a aussi cette conviction qu’ont certains individus qu’il vaudrait mieux, pour certaines personnes, qu’elles meurent, vu leur souffrances, leurs conditions de vie. Et pourtant, malgré l’idée très répandue selon laquelle les personnes souffrant d’un handicap grave ou de maladie mortelle préféreraient mourir que de vivre ces handicaps, la grande majorité des personnes se retrouvant dans de telles situations préfèrent continuer à vivre et il est très rare qu’elles commettent des actes pour abréger leur vie.
12Les débats entourant le suicide rationnel mettent souvent l’accent sur l'obligation de la société de faciliter l’accès au suicide pour certains individus se retrouvant dans certaines circonstances. Si l’on accepte la possibilité d’un suicide rationnel, il faut énoncer des critères permettant de spécifier les circonstances dans lesquelles un suicide rationnel pourrait se produire. Mais cela n’est guère facile, puisque ce qui est vécu comme une souffrance insupportable par une personne pourrait être vécu comme un inconfort acceptable pour un autre individu. Si on exige que le processus décisionnel soit rationnel, comment peut-on justifier une telle exigence dans une société où la grande majorité des décisions importantes prises au cours de la vie des êtres humains ont des bases fortement émotionnelles ? Souvent, les intervenants — même ceux qui acceptent la possibilité d’un suicide rationnel — interviennent auprès de tous ceux qui expriment le désir de s’enlever la vie. Ces interventions sont souvent justifiées par la croyance selon laquelle les suicides rationnels, s’ils existent, sont rares, difficiles à identifier et que ces personnes ne demandent généralement pas l’aide d’intervenants.
MALADIES PHYSIQUES ET SUICIDE
13L’importance de la maladie physique comme facteur de risque suicidaire est sujet à débat. Les personnes souffrant d’une maladie physique sont généralement plus à risque de se suicider que les personnes en bonne santé, et les personnes souffrant d’une maladie physique grave et irréversible sont encore plus à risque. Cependant, toutes les maladies physiques chroniques et mortelles ne sont pas liées à un risque accru de suicide ; et même lorsque le risque relatif de suicide est très élevé par rapport à celui que présente la population en bonne santé, peu de malades meurent par suicide. De plus, l’influence d’une maladie physique sur le risque suicidaire est déterminée par les effets de la maladie, les effets secondaires des traitements de la maladie, et les perceptions de l’individu de sa propre maladie et de ses effets.
14Les recherches indiquent que lorsqu’on exclut les patients psychiatriques et les personnes âgées, à peu près un tiers des personnes qui meurent par suicide avaient au moins une maladie physique au moment de leur décès. Cependant, l’implication de la maladie physique comme cause potentielle du décès par suicide varie, selon les recherches, entre 11 % et 50 % des cas. Les maladies physiques qui augmentent le risque de suicide incluent l’épilepsie, les blessures cérébrales, les maladies cardiovasculaires, la chorée de Huntington, la maladie de Parkinson, le cancer, les maladies rénales et le SIDA.
15Une recherche en Angleterre a trouvé que le risque de mort par suicide chez les personnes souffrant d’épilepsie est 5,4 fois plus élevé que dans la population générale et qu’environ 5 % des personnes souffrant d’épilepsie mourront éventuellement par suicide. Cette étude a montré, à l’encontre des tendances générales selon lesquelles les hommes se suicident plus que les femmes, que le risque de suicide chez les femmes épileptiques était le double du risque présenté par les hommes épileptiques. Peu de données existent encore sur les raisons expliquant le fait que les personnes souffrant d’épilepsie présentent un risque plus élevé de suicide.
16Les personnes souffrant de traumatismes cérébraux et de maladies du cerveau souffrent plus souvent de dépression majeure que la population en général. À cause du lien important entre la dépression et le suicide, on trouve un risque plus élevé de suicide chez les personnes présentant des traumatismes cérébraux de même que chez les personnes présentant des maladies cardiovasculaires et ce, quand ces personnes présentent aussi des symptômes de dépression clinique. L’étude de Whitlock et Susskind a démontré que les personnes mortes par suicide présentaient 6 fois plus de maladies cardiovasculaires que la population en général.
17La maladie dégénérative qu’on appelle la chorée de Huntington, découverte en 1872, a été définie par George Huntington comme étant une maladie « avec tendance à la folie et au suicide ». Les recherches indiquent qu’environ 7 % des personnes souffrant de cette maladie mourront éventuellement par suicide, ce qui est nettement plus élevé que la proportion des décès par suicide dans la population en général. Plus de la moitié de ces suicides ont lieu au début de la maladie, lorsque l’individu commence à présenter les premiers symptômes.
18La maladie de Parkinson engendre souvent des dépressions comme symptômes reconnus de la maladie. Ce lien entre dépression, maladie de Parkinson et suicide peut expliquer le fait que les personnes souffrant de cette maladie ont jusqu’à 200 fois plus de risques de mourir par suicide que le reste de la population.
19Les personnes atteintes du cancer présentent entre 15 et 20 fois plus de risques de se suicider que le reste de la population. Contrairement à la croyance populaire selon laquelle les personnes atteintes du cancer finissent par se tuer lorsqu’elles souffrent beaucoup ou lorsqu’elles subissent des handicaps importants liés à cette maladie, les recherches démontrent plutôt que les plus hauts taux de suicide pour les patients cancéreux se retrouvent dans la première année de la maladie, et en particulier dans les semaines suivant le moment où le patient a reçu son diagnostic. Les recherches montrent qu’entre 4 % et 58 % des patients cancéreux peuvent être diagnostiqués comme souffrant d’une dépression clinique. Cependant, seulement 5 % des patients cancéreux en dépression vont éventuellement mourir par suicide. La dépression chez les patients cancéreux a de multiples causes. Elle est souvent un effet secondaire des médicaments utilisés pour lutter contre le cancer. Dans certains cas, la dépression peut être une réaction au fait de souffrir du cancer ou de subir des effets secondaires comme la douleur ou la perte de contrôle sur sa vie. Il arrive souvent que cette dépression puisse être traitée par des psychotropes, la psychothérapie ou un changement dans le milieu psychosocial des patients. Cependant, les professionnels de la santé ont plus tendance à accepter le suicide d’un patient souffrant d’un cancer en phase terminale que le suicide d’autres patients avec d’autres diagnostics. Cette acceptation fait en sorte que de nombreux patients cancéreux et déprimés ne reçoivent pas de traitements pour leur dépression.
20Les personnes qui souffrent de problèmes gastro-intestinaux se tuent entre 2,5 et 11 fois plus que ne le fait la population en général, particulièrement les personnes qui ont des ulcères peptiques. Les chercheurs interprètent le risque élevé de suicide comme étant attribuable à l’alcoolisme, une des causes courantes des ulcérations peptiques. On sait d’autre part que les alcooliques présentent déjà un haut risque de suicide, sans ou avec des problèmes gastro-intestinaux.
21Les personnes qui souffrent d’une maladie rénale et qui ont des traitements d’hémodialyse sont 100 fois plus à risque de se suicider que la population générale. Encore une fois, les symptômes de dépression liés aux problèmes rénaux ainsi que les effets psychologiques de la dépendance aux appareils d’hémodialyse semblent être les causes de ce haut taux de suicide.
22Les personnes atteintes du SIDA présentent un risque plus élevé de mourir par suicide. Cependant, comme dans le cas du cancer, le risque est le plus élevé lorsque les personnes apprennent qu’elles sont séropositives au VIH, avant même qu’elles ne présentent des symptômes du SIDA. À cause de ce risque élevé au moment du diagnostic, un grand nombre de programmes de dépistage du SIDA insistent pour que les résultats des tests ne soient divulgués que par des conseillers expérimentés. Il existe même des indications qu’un certain nombre de personnes se tuent parce qu’elles pensaient avoir le SIDA, alors qu’en réalité les résultats d’autopsie ont indiqué qu’elles n’étaient pas séropositives.
23Plusieurs hypothèses existent pour expliquer les liens entre le risque élevé de suicide et le SIDA. La plupart d’entre elles mettent l’accent sur l’état de dépression des personnes séropositives. Les personnes qui ont le SIDA sont plus souvent membres de groupes à haut risque de SIDA, y compris les hommes homosexuels et les consommateurs de drogues par injections intraveineuses. De plus, la dépression est un des effets secondaires de certains médicaments utilisés dans le traitement du SIDA et de ses symptômes. Le fait d’avoir une maladie irréversible et éventuellement mortelle peut également engendrer des réactions de dépression. Une autre hypothèse est que le suicide est lié aux symptômes de la maladie et à la souffrance du malade. Une étude longitudinale de personnes atteintes du SIDA effectuée par Mishara a démontré que, même si la dépression et d’autres facteurs sont associés à un risque plus élevé d’idéations et d’intentions suicidaires des personnes atteintes du SIDA, lorsqu’on étudie l’ensemble des facteurs en jeu, les seuls qui demeurent importants sont les mécanismes d’adaptation utilisés pour faire face aux problèmes liés au SIDA et la perte de sens à la vie. Ces résultats montrent que le suicide n’est pas un effet direct du SIDA, mais qu’il est lié aux capacités des individus à faire face à leurs problèmes et à la qualité de leur vie quotidienne, à leur implication avec autrui. Des interventions pour apprendre les meilleures façons de faire face aux problèmes et de rehausser l’estime de soi et l’attachement à la vie peuvent contribuer à la diminution du risque suicidaire chez les personnes atteintes du SIDA.
24Il existe de nombreuses maladies physiques qui ne présentent pas un risque élevé de suicide, même si en général on pourrait croire que les malades qui en sont atteints présentent un plus haut taux de suicide, par exemple, les personnes atteintes de sclérose en plaques de même que les personnes souffrant de démence sénile ou de la maladie d’Alzheimer. Les personnes souffrant d’un handicap chronique mais non mortel sont fréquemment diagnostiquées comme souffrant de dépression clinique. Certains chercheurs pensent que ces diagnostics sont parfois erronés parce que les symptômes de ces maladies sont utilisés pour classer une personne dans la catégorie des dépressifs. Cependant, malgré le diagnostic fréquent de dépression, les recherches jusqu’à aujourd’hui n’indiquent pas que les personnes souffrant d’un handicap physique ou de maladies chroniques non mortelles seraient plus à risque de suicide que les personnes en bonne santé.
25Il arrive très souvent que les chercheurs s’intéressant aux liens entre suicide et maladies physiques identifient la dépression comme le facteur le plus associé au risque élevé de suicide. On émet souvent l’hypothèse que la dépression est un effet secondaire de la maladie ou une réaction de l’individu au fait de souffrir de cette maladie ou d’être atteint d’une maladie dégénérative ou terminale. Mais la dépression peut aussi être attribuable aux effets secondaires des médicaments utilisés pour traiter la personne. Dans d’autres cas, la dépression peut être liée à l’environnement psychosocial. Une personne qui jouissait d’une bonne qualité de vie se voit soudainement captive d’un environnement hospitalier « déprimant ». Il arrive souvent que la dépression ne soit pas traitée par les médicaments ou la psychothérapie et que les intervenants ne prennent pas en compte le rôle joué par l’environnement physique. En effet, les malades soignés en unités de soins palliatifs, où l’environnement psychosocial est nettement plus chaleureux que celui d’une unité hospitalière traditionnelle, ainsi que les malades soignés à domicile, ont tendance à être moins déprimés que ceux pris en charge dans un milieu hospitalier traditionnel.
26Dans certains cas, le risque de suicide est plus élevé chez les personnes qui souffrent de douleurs non contrôlées. Les recherches indiquent que, dans le cas du cancer, la douleur non contrôlée est liée aux comportements suicidaires. Habituellement, si les médecins donnent suffisamment de médicaments et pratiquent d’autres interventions pour diminuer la douleur, les tendances suicidaires diminuent significativement. Même si la douleur est liée aux tendances suicidaires dans le cas du cancer, il n’est pas certain qu’il existe un lien entre la douleur et la souffrance chez les personnes atteintes d’autres maladies. Par exemple, la douleur et la souffrance ne sont pas liées à un risque plus élevé de suicide pour les personnes atteintes de SIDA. D’autres facteurs semblent être en jeu.
27La relation entre maladie physique et risque élevé de suicide n’est pas inévitable. En effet, la grande majorité des personnes souffrant de maladies dégénératives ne se suicideront pas et c’est ainsi dans de nombreux handicaps et maladies graves. Malgré ce que l’on croit généralement, le risque de suicide n’est pas plus élevé qu’au sein de la population en général. Le fait que pour certaines maladies le risque de suicide soit plus élevé au moment du diagnostic laisse entendre que les craintes concernant la maladie sont plus importantes que les effets de la maladie. Le counselling professionnel et le support de la part des membres de l’entourage tout de suite après qu’un individu apprend son diagnostic peuvent aider l’individu à traverser ce moment souvent difficile.
L’INFLUENCE DES MÉDIAS
28En 1774, la publication du livre de Goethe, Les souffrances du jeune Werther, a suscité une vague de suicides dans plusieurs pays d’Europe chez des jeunes semblant s’identifier au héros qui se tue après avoir été rejeté par la femme qu’il aimait. Dans les notes laissées par les victimes, celles-ci disaient clairement que leur suicide était comme le suicide du jeune Werther dans le roman. Depuis les années 1970, les chercheurs se sont intéressés aux effets de la publicité sur les suicides réels ainsi que sur les suicides fictifs dans les médias. L’événement récent qui a suscité probablement la plus grande augmentation de décès par suicide a été la mort de la vedette de cinéma Marylin Monroe. Selon les chercheurs, on a pu observer une augmentation de 12 % des décès par suicide à la suite de sa mort. Le chercheur Stephen Stack, dans une recension détaillée des effets des médias sur le suicide, a trouvé à la suite d’un suicide très publicisé aux États-Unis, que le taux national du suicide augmente en moyenne de 2,5 % dans le mois qui suit. Les recherches indiquent que l’envergure de l’effet de la publicité sur les suicides dépend de l’importance que les médias leur accordent. Les suicides présentés à la une des journaux risquent davantage de provoquer une augmentation du taux de suicide que ceux présentés en entrefilet ailleurs dans un journal. Les suicides des personnes célèbres provoquent en moyenne 14 fois plus de suicides que ceux d’inconnus. Par exemple, une étude de Tousignant et collaborateurs a démontré qu’à la suite du décès par suicide d’un journaliste québécois connu, en 1999, on a vu une augmentation importante des décès par suicide et spécifiquement de décès provoqué par la même méthode de suicide. Les récits de véritables suicides ont 34 fois plus de probabilité d’augmenter les taux de suicide qu’une histoire fictive. Cependant, certaines histoires fictives ont eu pour effet d’augmenter les décès par suicide. Par exemple, une série télévisée portant sur l’histoire d’un jeune homme en Allemagne a eu l’effet d’augmenter le taux de suicide des jeunes hommes à la suite de la télédiffusion de cette série à deux reprises, et l’augmentation était plus importante dans l’utilisation de la même méthode que le personnage fictif, soit se jeter devant un train.
29Les histoires de suicide dans les journaux ont plus d’effets que les suicides rapportés aux nouvelles télédiffusées. Cela peut s’expliquer en partie par le fait qu’en moyenne, une nouvelle sur un suicide dure 20 secondes à la télévision mais un article de journal bien étoffé peut présenter beaucoup de détails et occuper l’attention du lecteur pendant longtemps.
30L’effet des médias sur les comportements suicidaires s’explique de différentes façons. Une des explications les plus simples est qu’il y a un effet d’imitation : les personnes très troublées apprennent en lisant des articles de journaux que le suicide est une façon de résoudre leur type de problème. Cet effet peut être accentué chez les personnes dont les capacités de raisonnement sont affaiblies par un problème de santé mentale. Une deuxième explication est que cela prend une identification particulière avec l’histoire ou les caractéristiques de la personne qui s’est suicidée.
31L’Organisation mondiale de la santé (OMS), l’Association canadienne pour la prévention du suicide et l’Association québécoise pour la prévention du suicide ont produit des recommandations transmises aux médias afin de diminuer le risque d’augmentation des décès par suicide. Ces recommandations incluent : ne pas mentionner la méthode de suicide, ne pas présenter des photos de la personne décédée par suicide, ne pas donner l’impression que le suicide découle automatiquement d’un motif unique (« il s’est suicidé parce qu’il était victime de chantage ») puisque les facteurs fiés au suicide d’un individu sont toujours complexes. Il est aussi très important de ne pas publiciser certains types de suicide. Des recherches sur le suicide dans le métro de Vienne ont indiqué que lorsque les médias ont cessé de faire des reportages sur les suicides dans le métro, l’utilisation de ce moyen a diminué significativement, en même temps que le taux de suicide dans l’ensemble de la ville. Il a même été suggéré que si les conséquences négatives d’un suicide sont mentionnées dans des reportages, on constate moins d’effets d’imitation. Par exemple, à la suite des reportages sur le suicide de masse à Jonestown montrant les corps en putréfaction des victimes et la douleur des proches de celles-ci, on a connu une diminution des suicides. Les reportages sur le suicide ignorent souvent la souffrance des personnes. Les médias ignorent aussi que, pour chaque personne dans une situation semblable qui est profondément suicidaire et qui meurt par suicide, il y a des milliers de personnes dans des situations semblables qui trouvent d’autres solutions à leurs problèmes.
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