Chapitre 5. Le suicide aux diverses étapes de la vie
p. 79-94
Texte intégral
INTRODUCTION
1LA PLUPART DES ÉTUDES SUR LE SUICIDE portent sur des adultes. Ce chapitre rend compte des particularités du suicide à d’autres étapes de la vie. Même si les enfants se suicident rarement, nous discuterons du problème du suicide au cours de l’enfance afin de mieux comprendre les racines des comportements suicidaires qui apparaîtront plus tard dans la vie. L’adolescence est une période de la vie où l’idéation suicidaire et les tentatives de suicide commencent à apparaître plus fréquemment. Le suicide des adolescents a fait l’objet de nombreux écrits, qui ont peut-être contribué à l’idée répandue mais erronée que c’est chez les adolescents que l’on trouve le plus haut taux de suicide. En réalité, dans la plupart des pays industrialisés, ce sont les aînés qui présentent le plus haut taux de suicide. Exceptionnellement, ce n’est pas le cas du Canada et du Québec, où ce sont les baby-boomers et les 30-40 ans qui se suicident le plus.
LES ENFANTS ET LE SUICIDE
2Les enfants développent une compréhension du monde à un jeune âge et leur compréhension du suicide s’organise parallèlement à l’acquisition des conceptions plus réalistes de la mort. Même si les enfants ne se suicident que rarement avant l’adolescence, ils sont témoins de suicides, tentatives de suicide et menaces de suicide, fictives et réelles, qu’ils voient à la télévision et au cinéma. Le suicide est un sujet de discussion parmi les enfants et les chercheurs croient que les attitudes et croyances sur le suicide acquises par les enfants en bas âge peuvent les accompagner longtemps et influencer leur façon de concevoir le suicide à l’adolescence et à l’âge adulte.
La compréhension de la mort chez les enfants
3À un très jeune âge, les enfants commencent à comprendre le sens de la mort mais leurs conceptions sont différentes de la conception « mûre » des adultes. Les plus jeunes enfants ne conçoivent pas la mort comme étant finale, car, pour eux, une personne morte peut revenir à la vie dans certaines circonstances. Les jeunes enfants ne pensent pas à l’universalité de la mort ; pour eux, il n’est pas nécessaire que tout le monde meure un jour. De plus, les enfants en bas âge n’acceptent pas l’idée que tout le monde puisse mourir à n’importe quel moment, ce qui signifie que la mort serait imprévisible. Enfin, les jeunes enfants ne croient pas que la mort soit inévitable ; ils croient que si on fait attention ou si on a un bon médecin, il est possible d’éviter la mort. De même, les caractéristiques d’une personne morte sont différentes pour les enfants de ce que la plupart des adultes croient être la réalité de la mort. Les jeunes enfants peuvent penser que les personnes mortes sont capables de voir, d’entendre, de ressentir des sentiments et même d’être conscientes de ce que les êtres vivants sont en train de faire. Cette compréhension immature de la mort change assez rapidement. Les enfants de 5 à 7 ans apprennent que la mort est un état final irrévocable. Ils apprennent que tout le monde doit mourir un jour. Mais pendant toute l’enfonce, la majorité des enfants croient que les personnes mortes conservent certaines caractéristiques des vivants. Par exemple, 20 % des enfants à l’âge de 12 ans pensent qu’après la mort on peut avoir des sentiments et même voir et entendre.
Le développement d’une compréhension du suicide
4Les recherches démontrent qu’à l’âge de 7 ou 8 ans, la majorité des enfants comprennent le sens du mot « suicide ». Les enfants sont capables de définir le suicide à cet âge et peuvent nommer les méthodes les plus fréquemment utilisées pour se suicider. Même si les jeunes enfants de 5 ou 6 ans comprennent moins souvent le mot « suicide », la majorité d’entre eux sont capables de discuter de la notion de « se tuer ». Vers l’âge de 7-8 ans, presque tous les enfants disent avoir parlé du suicide avec d’autres enfants, mais il est très rare que les enfants en discutent avec un adulte. Les recherches de Mishara ont montré que la moitié des enfants de première et de deuxième année du primaire et tous les enfants à partir de la troisième année disent avoir vu au moins un suicide à la télévision. Ces suicides se produisent souvent dans les dessins animés et ce sont les « méchants » qui se tuent après avoir perdu une bataille importante avec les « bons ». Les enfants voient les suicides aussi dans les téléromans et dans les émissions de télévision pour adultes ainsi qu’au cinéma. Par ailleurs, les enquêtes au Québec auprès des parents montrent qu’environ 4 % des enfants de moins de 12 ans ont menacé à un moment donné de se tuer.
5Dans les pays industrialisés, les enfants de 5 à 12 ans ont généralement des attitudes négatives concernant le suicide ; ils croient que ce n’est pas une bonne chose à faire, quelles que soient les circonstances. Lorsque survient un décès par suicide dans la famille, les enfants savent généralement, malgré les tentatives de l’entourage de cacher le fait, que la mort est attribuable à un suicide. Par exemple, les études de Mishara au Québec ont démontré que 8 % des enfants ont répondu avoir connu quelqu’un qui s’est suicidé, mais aucun de ces enfants n’avait été informé du suicide par un adulte. Généralement, les enfants ont été renseignés par les conversations entendues ou par l’information obtenue d’autres enfants.
6Les jeunes enfants savent donc ce qu’est le suicide et sont généralement au courant lorsqu’un suicide survient dans leur entourage. Leur image du suicide est différente cependant de la réalité du suicide tel que perçu par les adultes. À la télévision, les personnes qui se suicident ne souffrent pas de dépression ou de problèmes de santé mentale, ne font pas preuve d’ambivalence, ne ressentent aucune douleur, quel que soit le moyen choisi pour se suicider et ne reçoivent jamais d’aide pour résoudre leurs problèmes. Cette image est très différente de la réalité du suicide, où la grande majorité des personnes qui se tuent souffrent de problèmes de santé mentale, présentent énormément d’ambivalence dans leurs comportements suicidaires, souffrent à cause des moyens utilisés pour se tuer et la grande majorité des personnes suicidaires reçoivent de l’aide et trouvent d’autres solutions à leurs problèmes.
Prévention et intervention auprès des enfants
7Même si les comportements suicidaires sont rares chez les enfants, il est très important de ne pas minimiser ou ignorer les menaces suicidaires qu’ils peuvent faire. Il n’est pas justifiable d’ignorer les menaces ou « jeux » de suicide en disant que les enfants n’en savent pas suffisamment sur la mort et le suicide pour adopter de « véritables » comportements suicidaires. Une menace de suicide ou un autre signe de comportement suicidaire peut s’avérer un indicateur que quelque chose « va mal » et qu’il faut trouver les racines du problème.
8Il serait utile de renseigner les enfants sur la réalité du suicide dans la société contemporaine. Si des programmes éducatifs à l’école ou des renseignements de la part des parents ne sont pas fournis aux enfants pour décrire cette réalité, les enfants continueront de développer une image du suicide « idéaliste » basée sur les représentations du suicide à la télévision. Comme les recherches indiquent bien que les enfants en bas âge savent déjà ce qu’est le suicide, il nous semble inutile d’essayer de « protéger » les enfants du suicide en n’abordant pas le sujet.
LE SUICIDE À L’ADOLESCENCE ET CHEZ LES JEUNES
9Il y a quelques années, le suicide des jeunes ne référait qu’à la population adolescente. Aujourd’hui, dans de nombreuses enquêtes, le mot « jeune » inclut les personnes jusqu’à l’âge de 25 ans ou plus. En Amérique du Nord, les taux de suicide chez les adolescents et les jeunes de moins de 25 ans sont moins élevés que dans d’autres groupes d’âge, mais le suicide des jeunes a énormément augmenté des années 1960 à 1990. De plus, puisqu’on a réussi à diminuer les autres causes de décès des jeunes, le suicide est devenu, au début du XXIe siècle la seconde cause de décès chez les adolescents. Au début des années 1990, les taux de suicide des adolescents de 15 à 19 ans ont commencé à diminuer dans de nombreux pays industrialisés. Certains expliquent cette diminution par l’amélioration de l’identification et du traitement des troubles mentaux chez les jeunes. D’autres mettent l’accent sur les effets bénéfiques possibles des campagnes de sensibilisation au suicide ou sur l’augmentation de l’accès aux ressources en prévention du suicide.
10Les jeunes qui font des tentatives de suicide et qui se suicident présentent habituellement plus d’un facteur de risque. Dans une situation présentant un risque élevé, lorsque survient un événement déclencheur (par exemple, un conflit familial ou une perte sur le plan relationnel), si les moyens sont accessibles et qu’il n’y a pas de source d’aide appropriée disponible, il y a risque de passage à l’acte suicidaire. Comme nous allons le voir, les facteurs de risque pour les adolescents et les jeunes sont multiples.
L’environnement social
11De nombreuses études associent les troubles familiaux à un risque plus élevé de comportement suicidaire des jeunes. Ces troubles comprennent la perte d’un parent en bas âge, des parents présentant des problèmes de santé mentale, l’abus et la négligence subis au cours de l’enfance, et un épisode de suicide dans la famille. Souvent, les événements déclencheurs qui sont les situations stressantes très proches d’un passage à l’acte incluent les conflits avec les membres de la famille, le divorce des parents, le sentiment d’être rejeté par sa famille ainsi que le fait que les membres de la famille ne prennent pas au sérieux les menaces de suicide d’un jeune. D’autre part, l’école constitue un environnement important qui influence le bien-être des jeunes. Les problèmes éprouvés à l’école et le stress attribuable au changement d’école, l’échec scolaire et le stress associé aux pressions pour réussir à l’école sont tous des facteurs qui augmentent le risque suicidaire.
12À l’adolescence, les pairs jouent un rôle important. Le rejet par les pairs, la perte d’une relation significative ou la perte d’un confident consument des facteurs augmentant le risque de suicide. À cause de l’importance des pairs, lorsque survient le suicide d’un autre jeune, il existe un risque élevé de comportements suicidaires dans l’entourage de la personne décédée par suicide.
L’environnement physique
13Le fait d’avoir accès à un moyen létal pour se mer augmente le risque de suicide lorsque les facteurs de risque sont présents. Les ménages où il y a une arme à feu présentent six fois plus de risques de connaître un décès par suicide. Souvent, les adolescentes prennent des médicaments disponibles à la maison pour leur tentative de suicide.
Comportements individuels
14Le chercheur Jerome Motto a suggéré que l’augmentation de l’utilisation des drogues et de l’alcool pouvait expliquer l’augmentation du suicide des jeunes dans les années 1970. Les recherches contemporaines indiquent qu’au moins un tiers des adolescents morts par suicide étaient intoxiqués au moment de leur mort et de nombreux autres avaient consommé de l’alcool en plus petite quantité. Par ailleurs, les jeunes ayant déjà fait une tentative de suicide sont plus à risque de mourir par suicide et le fait de souffrir d’un trouble mental, particulièrement la dépression, est associé à un risque plus élevé de suicide. D’autres associations incluent : les comportements impulsifs, la difficulté à résoudre des problèmes, un répertoire limité de mécanismes d’adaptation (coping) et une orientation homosexuelle.
Prévention et intervention
15Il existe de nombreux programmes de prévention primaire du suicide pour les adolescents implantés dans les écoles. Souvent ces programmes incluent une formation sur la façon d’identifier les signes de risque suicidaire et donnent des informations sur la manière de réagir aux menaces de suicide d’un autre jeune et où trouver de l’aide. Ces programmes encouragent les jeunes à parler avec des adultes de leurs sentiments et mettent souvent l’accent sur l’importance de ne pas garder un « secret » lorsque les intentions suicidaires sont communiquées et qu’il existe un réel danger. Il existe des controverses sur l’importance et l’utilité des programmes de prévention du suicide dans les écoles et sur la nature de ces programmes. Il y a des indications à l’effet que, lorsque les programmes sont jumelés à la disponibilité de ressources appropriées et à la formation des enseignants, on trouve des bénéfices. Cependant, certains chercheurs prétendent que la meilleure façon de prévenir le suicide dans le milieu scolaire est d’identifier les jeunes qui présentent des troubles de santé mentale et des idéations suicidaires et de bien traiter ces troubles mentaux par une intervention psychiatrique ou médicale.
16Nous avons déjà mentionné que, lorsque survient un décès par suicide, il y a un risque plus élevé de décès par suicide chez les membres de l’entourage. Pour cette raison, de nombreuses écoles ont établi des protocoles de « postvention » décrivant les procédures à suivre lorsque le suicide d’un élève de l’école se produit. Ces protocoles permettent l’identification de porte-parole pour l’école, l’identification des étudiants et membres de la famille qui seront particulièrement vulnérables ou traumatisés par l’événement et la mise en place de ressources d’aide appropriées pour eux, ainsi que des activités organisées à l’école afin de permettre aux élèves d’exprimer leur deuil et de comprendre davantage ce qui s’est passé. Après un décès par suicide, de nombreux élèves sont troublés par un tel événement, même si celui-ci est « caché ». Il est très important dans le développement d’un programme de postvention de ne pas glorifier le suicide par des activités commémoratives qui pourraient communiquer aux autres jeunes vulnérables l’idée que se suicider est une bonne façon d’attirer énormément d’attention. Il est important de mettre l’accent sur le fait que le suicide est un événement tragique et évitable, que personne n’est mieux après un décès par suicide et que les sources d’aide sont facilement disponibles.
LE SUICIDE DES AÎNÉS
17Le taux de suicide des aînés est le plus élevé de tous les groupes d’âge et ce, dans environ deux tiers des pays du monde. Dans la majorité des pays industrialisés, ce sont les hommes âgés qui présentent les plus hauts taux de suicide, et chez les hommes aussi bien que chez les femmes le suicide a tendance à progresser avec l’âge. Les plus hauts taux se retrouvent chez les hommes et les femmes de 75 ans et plus. Cependant, ce n’est pas toujours le cas. Au Québec, ce sont les aînés qui présentent le plus faible taux de suicide parmi tous les groupes d’âge. On explique ce faible taux de suicide des aînés du Québec par le fait que, selon l’Enquête Santé-Québec, les aînés sont les personnes les plus satisfaites de leur vie, de leurs relations avec leur famille et leur entourage, et ce sont aussi les personnes âgées qui présentent le moins de détresse psychologique parmi tous les groupes d’âge au Québec. Lorsqu’on considère les taux de suicide des hommes et des femmes âgés, les hommes ont en moyenne le double du taux des femmes âgées. Ces différences peuvent s’expliquer par le fait que les femmes peuvent bénéficier d’un meilleur réseau d’appui social, qu’elles sont plus autonomes dans les activités quotidiennes et qu’elles sont souvent plus impliquées auprès de leurs enfants et petits-enfants.
18Les chercheurs s’entendent sur le fait qu’on a plus tendance à sous-estimer les suicides des aînés que dans les autres groupes d’âge. Lorsqu’on trouve une personne âgée morte dans son lit, s’il n’y a pas d’indication évidente qu’il s’agit d’un suicide, on a moins tendance à procéder à une autopsie pour investiguer en détail les causes du décès. Cependant, chaque fois qu’une jeune personne meurt, il y a investigation détaillée. Les recherches de Mishara et Kastenbaum ont montré que les personnes âgées avec idéation suicidaire ont tendance à ne pas prendre les médicaments dont elles ont besoin pour leur santé (par exemple, pour un problème cardiaque ou pour le diabète) et à prendre des risques par rapport aux conseils d’un médecin (par exemple, une personne présentant un problème cardiaque qui s’entête à pelleter de la neige en hiver). Les décès par omission de prise de médicaments ou par comportements autodestructeurs sont rarement comptabilisés dans les taux de suicide des aînés.
19Le haut taux de suicide chez les aînés dans certains pays va à l’encontre du fait que les personnes souffrant de problèmes graves de santé mentale qui ont eu des tendances suicidaires auraient probablement pu se suicider plus tôt au cours de leur vie et donc n’auraient jamais atteint un âge plus avancé. Ce constat indique que les aînés qui se suicident peuvent le faire pour d’autres raisons que celles pour lesquelles le font les jeunes. Les aînés qui meurent par suicide souffrent généralement d’une maladie physique ou mentale et leur suicide est généralement planifié et constitue rarement un acte impulsif. Les hommes et les femmes âgés ont tendance à utiliser des méthodes létales et on retrouve relativement peu de tentatives de suicide non létales chez les aînés. À travers le monde, les méthodes de suicide les plus utilisées par les aînés sont la pendaison, les armes à feu (particulièrement aux États-Unis), la défenestration (particulièrement dans les grandes villes asiatiques, par exemple, Hong Kong et Singapour), l’empoisonnement (plus souvent à l’aide de benzodiazépines et d’analgésiques chez les femmes) et la noyade. La plupart des aînés qui se tuent le font chez eux et les notes qu’ils laissent au moment de leur suicide indiquent souvent des détails sur leurs finances et leurs funérailles. Ces notes indiquent un haut degré de détermination et de planification et sont souvent rédigées dans un style présentant du détachement émotionnel par rapport à l’événement.
20Malgré le fait qu’il existe un haut taux de suicide chez les aînés, il n’en demeure pas moins que le suicide constitue toujours un événement rare. Même si les aînés souffrent souvent d’une maladie psychiatrique, généralement une dépression, ceux d’entre eux qui meurent par suicide ont fait moins souvent de tentatives de suicide antérieurement que les jeunes décédés de cette façon. Les aînés qui souffrent d’une dépression majeure ou d’une dysthymie, qui est une forme moins aiguë de dépression, sont de 12 à 20 fois plus à risque de se suicider que les aînés qui ne souffrent pas de ces problèmes. Malgré le fait que les aînés suicidaires souffrent de dépression, les aînés sont moins souvent traités pour la dépression que les personnes plus jeunes. On explique cet état de fait par la croyance populaire selon laquelle il est naturel de se sentir déprimé en vieillissant, une croyance parfois partagée par les médecins. Ces croyances populaires vont cependant à l’encontre des résultats des recherches contemporaines indiquant que les aînés profitent autant sinon plus des interventions pour traiter la dépression que les groupes plus jeunes. En effet, si quelqu’un ne souffre qu’à un âge avancé de problèmes de santé mentale importants, il cumule suffisamment d’expérience de vie pour faire face aux difficultés. Cette expérience de vie pour gérer ses problèmes semble expliquer la grande résilience des aînés qui reçoivent des traitements pour leurs problèmes.
21Un des défis en prévention du suicide auprès des aînés vient du fait qu’il est souvent plus difficile d’identifier les personnes âgées à risque élevé de suicide. Les recherches indiquent que près de 40 % des personnes âgées expriment leurs intentions suicidaires à leur médecin avant de passer à l’acte, et plus de 80 % communiquent leurs intentions suicidaires aux amis, confidents et membres de leur famille. Cependant, ces menaces de suicide sont souvent ignorées ou peu prises au sérieux, et n’entraînent ni suivi ni traitement.
22L’abus d’alcool constitue un des facteurs de risque de suicide des personnes âgées. Particulièrement chez les personnes entre 65 et 75 ans, l’alcool semble jouer un rôle important dans environ 20 % à 44 % des suicides. L’alcool, combiné avec une dépression, s’avère particulièrement dangereux. Dans ces situations, la consommation d’alcool est souvent interprétée comme une automédication qui rend la situation plus grave au lieu de l’améliorer. Il est relativement rare que les personnes âgées souffrant de schizophrénie et autres psychoses se tuent. Aussi, les personnes qui souffrent de démence, par exemple, la maladie d’Alzheimer, se tuent moins souvent que les personnes qui ne souffrent pas de démence. S’il y a un risque suicidaire c’est souvent au début du processus de la maladie. On explique le taux relativement faible de décès par suicide des personnes souffrant de démence par leur incapacité à organiser une tentative de suicide et aussi par le fait que souvent, ces personnes ne souffrent pas intensément.
23Il existe une controverse concernant le rôle de la maladie physique dans l’étiologie suicidaire des aînés. Nous ne savons pas si une maladie physique chronique ou sérieuse augmente le risque de suicide en soi ou si ce sont les réactions de dépression liées au fait de souffrir de cette maladie qui augmentent ce risque. Il y a aussi lieu de croire que certains médicaments utilisés pour le traitement des maladies peuvent provoquer la dépression comme effet secondaire.
24Les veufs sont particulièrement à risque de suicide. En effet, les recherches sur le veuvage indiquent qu’à la suite du décès du mari l’espérance de vie de la femme augmente, alors qu’après le décès d’une épouse l’espérance de vie de l’homme diminue et le risque de suicide augmente significativement. À peu près 50 % des aînés morts par suicide vivaient seuls, ce qui démontre le rôle que joue la solitude dans le développement des pensées suicidaires. Cependant, il est important de noter qu’au Québec, où le taux de suicide des aînés est le moins élevé de tous les groupes d’âge, les personnes âgées souffrent moins de solitude et sont plus satisfaites de leurs relations avec les amis et la famille que tous les autres groupes d’âge. La retraite n’augmente pas le risque de suicide à moins que la mise à la retraite ne soit pas volontaire ou qu’elle arrive subitement, sans planification.
La prévention du suicide des aînés
25Sur le plan national, tout programme qui améliore le sort des aînés semble prometteur pour diminuer le taux de suicide de cette population dans une société donnée. L’amélioration des programmes de sécurité sociale, une diminution du pourcentage des aînés présentant un revenu en dessous du seuil de la pauvreté, l’implantation de régimes de retraite flexibles et l’amélioration des soins de santé et de santé mentale peuvent avoir pour effet de diminuer le taux de suicide des aînés. Il semble que les aînés qui se sentent en lien avec leur famille et qui contribuent à la société se suicident moins que les aînés isolés et qui ne jouent pas un rôle actif. Puisque la santé physique peut être reliée aux comportements suicidaires, une bonne surveillance et un contrôle de la douleur et de la souffrance peuvent aussi avoir des effets préventifs.
26Une meilleure identification des aînés à risque de suicide est essentielle pour pouvoir organiser des interventions appropriées. Cette identification du risque de suicide est souvent limitée par le fait que les professionnels de la santé croient qu’il est naturel de se sentir déprimé et de souffrir lorsqu’on avance en âge. Ces idées vont à l’encontre des recherches qui indiquent que les aînés profitent autant ou davantage des interventions pour diminuer la dépression et la souffrance que les groupes d’âge plus jeunes. L’identification des symptômes de la dépression, particulièrement pour les hommes âgés, et l’utilisation des interventions appropriées, y compris des médicaments psychotropes et les psychothérapies, peuvent prévenir les décès par suicide.
27Un des défis importants est de rejoindre les aînés isolés. En réalité, la grande majorité des aînés ne sont pas isolés et ont un contact régulier avec famille et amis. Ce fait va à l’encontre des croyances populaires selon lesquelles nous sommes en train d’abandonner les aînés dans des centres d’accueil et des foyers. Mais même s’il y a très peu d’aînés très isolés, ceux qui se retrouvent dans une telle situation présentent un risque plus élevé de s’enlever la vie. Différents programmes visant à l’amélioration des contacts avec les aînés isolés par des bénévoles de même que des programmes de surveillance téléphonique semblent prometteurs. Pour les veufs, qui constituent un groupe à risque plus élevé de suicide, il existe des programmes comme « Veufs aux Veufs », dans lesquels les personnes qui ont vécu un veuvage aident les autres à mieux vivre leur deuil et à mieux accepter le fait de se retrouver seul.
28Un autre grand défi est un problème générationnel : la génération actuelle des hommes aînés est moins apte à exprimer ses émotions et à demander de l’aide que les générations suivantes. Les aînés appellent moins souvent les centres de soutien ou de prévention du suicide lors de crises, possiblement parce qu’ils ont vécu à une époque où seuls les « fous » discutaient de leurs problèmes de santé mentale et où cela ne faisait pas partie des habitudes culturelles de recevoir de l’aide par téléphone d’un étranger. On a raison d’espérer que, dans l’avenir, la future génération des aînés sera plus encline à demander et à utiliser l’aide des professionnels et bénévoles. Cependant, certaines générations semblent être plus à risque de suicide que d’autres. En Occident, la génération des baby-boomers a toujours présenté des taux de suicide plus élevés que ceux des autres générations. Ce sont ces baby-boomers qui vont devenir la prochaine génération d’aînés. Il est donc possible que les taux de suicide des aînés augmentent, à moins qu’on ne mette sur pied des programmes pour améliorer le sort des personnes âgées dans la société et qu’on ne les intègre davantage. De même, il importe de modifier les attitudes négatives qui font que, trop souvent, les aînés qui ont besoin d’interventions ne les reçoivent pas. Enfin, il faut bien sûr s’assurer que les aînés ont tous accès aux interventions dont ils ont besoin.
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