9. Les raisons du meurtre sexuel et la carrière criminelle du meurtrier
p. 233-251
Texte intégral
1La monstruosité du meurtre sexuel ne saurait faire oublier que son auteur reste un être humain et qu’à ce titre il avait ses raisons d’agir comme il l’a fait. Dans ce chapitre, nous nous attacherons à comprendre ces raisons par deux approches. La première consistera à s’interroger sur ce que voulait le meurtrier au moment même où il mettait sa victime à mort : quelles fins visait-il à ce moment-là et dans ces circonstances ? Il s’agit ici de replacer le crime dans le contexte des événements qui ont immédiatement précédé le geste fatal, de décrire précisément les faits et gestes du meurtrier et de sa victime et, enfin, de décoder ce que le criminel lui-même dit des raisons qui l’ont conduit à tuer. Notre deuxième approche pour comprendre le meurtre sexuel pose la question du lien entre la carrière criminelle du meurtrier et son meurtre. Y a-t-il continuité ou, au contraire, rupture entre le passé et le présent (le meurtre sexuel étant ici le présent) ? Le meurtre sexuel que nous voulons comprendre est-il ou non le terme d’une longue succession d’agressions sexuelles propulsées par une dynamique semblable ?
2Plutôt que de recourir à des méthodes statistiques complexes, nous tenterons ici de répondre à ces questions par une approche narrative. Nous raconterons l’histoire criminelle des meurtriers sans oublier de faire le récit de leur meurtre. La reconstitution de ces histoires a pour base plusieurs sources : les propos du meurtrier lui-même sur sa vie et son dernier crime, son dossier criminel, le rapport de police décrivant la scène de crime et colligeant les aveux de l’accusé, le rapport d’autopsie et, enfin, les réponses données par le meurtrier aux questions sur ses activités criminelles passées, y compris celles qui n’ont pas été connues de la police. Cette démarche mérite d’être entreprise parce qu’il existe une telle chose que la causalité historique. Dès lors que les événements non seulement se succèdent, mais encore s’enchaînent et se répondent, il arrive qu’un événement soit la cause de celui qui le suit immédiatement. Le chapitre est divisé en deux parties. La première s’attache au crime et se propose d’identifier les fins que visait le meurtrier par son crime. La seconde tente de tracer les rapports entre la trajectoire criminelle des meurtriers et le meurtre sexuel dont nous cherchons à découvrir le sens.
Dans quel but le meurtre a-t-il été commis ?
3Grubin (1994), Bénézech (1997) et Beech (2003) ont voulu savoir pour quelles raisons précises les meurtriers sexuels avaient tué leur victime.
4Grubin s’appuie sur les entrevues menées auprès de 21 auteurs de meurtres sexuels détenus dans les prisons britanniques pour découvrir le motif du crime. Dans 18 cas où le motif du crime est repérable, la réaction colérique à la résistance de la victime est le facteur précipitant lors de 9 meurtres. L’acte de tuer en lui-même était excitant sexuellement dans trois cas. Quatre meurtriers avaient voulu réduire au silence une accusatrice potentielle. Enfin, deux autres avaient été poussés à tuer dans un mouvement de panique.
5Pour sa part, Bénézech, dans un court texte publié en 1997, explique le meurtre sexuel en invoquant cinq raisons :
- Il arrivera que le meurtre soit perpétré au cours de la lutte pour briser la résistance de la victime d’une tentative de viol ; la mort survient accidentellement ou non ;
- Le violeur tue pour étouffer les cris de sa victime ou pour ne pas laisser vivante la seule personne qui pourrait le dénoncer, l’identifier et le faire condamner ;
- La résistance de la victime rend l’agresseur furieux et sa rage le pousse au meurtre ;
- Le viol et le meurtre font partie d’un scénario ; la mise à mort traduit les fantaisies dans la réalité et procure à son auteur une volupté de nature sexuelle ;
- Il arrive que la motivation soit délirante. Un psychotique agira sous l’emprise de délires avec des idées d’hostilité contre les femmes ou de peur.
6Bénézech fait observer, par ailleurs, que le véritable homicide sexuel, dont les motifs viennent d’être indiqués, doit être distingué du meurtre avec agression sexuelle (par exemple, le cambriolage suivi d’un viol puis d’un meurtre) et du faux homicide sexuel qui est simulé pour égarer la police. Cette analyse ne manque pas d’intérêt. Malheureusement, l’auteur ne donne pas de chiffres ni ne s’explique sur les données utilisées pour construire sa classification.
7Finalement, Beech (2003) distingue trois types de motivations dans les meurtres sexuels. Dans le type I, la motivation au meurtre est d’abord sexuelle : le tueur actualise des fantaisies masturbatoires sur le thème du meurtre et l’acte de tuer est sexuellement stimulant. Le meurtre de type II est le fait d’un violeur qui veut éliminer celle qui risque de le dénoncer et de l’identifier. Enfin, le type III est colérique : le tueur devient enragé face à résistance de la victime, il perd le contrôle et se laisse emporter à faire le geste fatal.
8Notre analyse s’appuie sur 26 descriptions de meurtres sexuels commis au Québec (les 21 histoires de meurtriers, incluant 5 d’entre eux ayant tué 2 fois). La version du meurtrier est la source principale de ces descriptions. Elle est complétée par le rapport d’autopsie et le dossier de police. Une lecture attentive du récit des faits nous a permis de repérer quatre cas de figure : (1) le meurtrier tue par réaction de rage à un geste fait par la victime ; (2) il donne la mort pour en jouir ; (3) le décès survient au cours de la lutte pour surmonter la résistance de la femme qu’il veut violer ; (4) il supprime celle qu’il vient de violer pour l’empêcher de parler. Dans ce qui suit, nous reprenons plus en détail ces quatre catégories de motifs.
La rage et la vengeance
9Douze meurtres avaient pour motif principal une rage provoquée par des causes très variées :
- Une femme repousse les avances d’un homme ; celui-ci en ressent de la fureur et, soit sur-le-champ, soit peu de temps après, il la tue : quatre cas.
- Dans cinq autres cas, une dispute survient entre un homme et une femme pour un motif qui n’a rien de sexuel ; l’homme se sent offensé, s’enrage et frappe la femme avec une telle force qu’il la tue et le cadavre porte les traces d’une agression sexuelle (voir la description du crime commis par Philippe plus loin dans ce chapitre).
- Une serveuse est assassinée parce qu’elle avait refusé de servir de l’alcool à un client trop ivre (voir la description du crime commis par Thomas plus loin dans ce chapitre).
- Une conjointe est mise à mort par son ami quand elle lui annonce qu’elle se prostitue.
- Une femme est agressée sexuellement et tuée parce que le meurtrier la détestait depuis longtemps.
10Quand la rage prend le dessus sur l’excitation sexuelle, pouvons-nous toujours parler de meurtre sexuel ? À part quelques meurtres pseudo-sexuels et d’autres où la sexualité est éclipsée sans disparaître, il s’en trouve où la dimension sexuelle est bien présente, mais avant ou après la mise à mort. Assez souvent, l’homme désire une relation sexuelle, de préférence consentante, et c’est devant la fin de non-recevoir de l’élue qu’il se met à cogner et alors le désir sexuel s’estompe derrière la rage. D’autres fois, une offense qui n’a rien à voir avec la sexualité enrage l’agresseur, ce qui le pousse à tuer. Il se livre ensuite à la nécrophilie.
La place du sadisme dans le meurtre
11Depuis les travaux de Krafft-Ebing (1886), le meurtrier sexuel est souvent présenté comme un sadique. Un individu se réfugie dans un monde imaginaire où il se donne le rôle d’un être tout-puissant qui subjugue, humilie, terrorise, viole, torture et tue. Ces fantaisies lui procurent une jouissance sexuelle. Un jour, il décide de traduire dans la réalité un scénario cent fois ressassé : il planifie l’opération avec soin (arme, véhicule, menottes), il choisit une victime qui correspond à celle de ses fantaisies, la séquestre en lieu sûr et s’applique à traduire dans les faits le scénario. La mise à mort, de préférence par strangulation, est érotisée.
12Ce schéma ne se retrouve clairement que dans un cas : le meurtre commis par Franck (voir chapitre 8). Par ailleurs, quelques meurtres au départ motivés par la rage semblent avoir été érotisés en cours d’exécution. Pour sa part, Michel (voir plus loin) avait plusieurs viols manifestement sadiques à son actif ; la dernière victime qu’il séquestre meurt étouffée par un bâillon trop serré.
13En somme, il est exceptionnel que le meurtre soit commis d’abord pour en tirer une jouissance sexuelle. Ce qui arrive plutôt, c’est soit un viol sadique suivi d’un homicide non sadique, soit un meurtre colérique érotisé. C’est du moins ce que nous observons dans notre échantillon. Dans celui de Ressler, il se trouve de nombreux cas où le meurtre en lui-même procure une jouissance sexuelle. Il se pourrait que cette particularité s’explique par la forte surreprésentation, dans l’échantillon de ce dernier, de tueurs sexuels en série poussés à tuer plusieurs fois par leurs fantaisies sadiques.
Neutraliser les résistances de la victime
14Cinq homicides ont été commis par des violeurs qui usaient de force pour immobiliser leur victime, l’empêcher de crier ou de lutter. Le criminel aurait, semble-t-il, préféré une relation sexuelle consentante, mais il s’est heurté à une forte résistance et, dans l’échauffourée qui s’ensuivit, il a tué sa victime. Notons que nous devons nous en remettre à la version du meurtrier, qui peut avoir intérêt à insister sur cette raison.
Échapper à la justice
15Six assassinats ont été froidement perpétrés par des violeurs qui avaient décidé de supprimer la femme qui, si elle avait survécu, les aurait dénoncés. C’est ce qu’a fait François (voir plus loin).
Commentaires
16Ainsi que nous l’avons vu au chapitre premier, le meurtre sexuel se définit par le contexte de sexualité dans lequel il se produit. Ce n’est pas nécessairement un meurtre qui, en lui-même, procurerait à son auteur une jouissance sexuelle. En effet, la plupart du temps, le meurtre est motivé par la rage et il s’accompagne ou est suivi d’une agression sexuelle. Il arrive aussi que l’intention initiale de l’agresseur soit le viol et alors le meurtre est perpétré pour couvrir le viol ou se produit au cours de la lutte entre le violeur et sa victime. Notons que, plus souvent qu’autrement, le meurtre est réactif, le meurtrier répondant à une rebuffade, à une offense ou à une querelle. D’autres fois, la mort survient au cours d’une lutte.
17Notre classification rejoint celles de Grubin, de Bénézech et de Beech sur les trois types principaux. Avec ces trois auteurs, nous identifions, premièrement, un groupe de meurtres dans lesquels dominent la colère, la rage et le désir de vengeance ; deuxièmement, nous constatons que quelques meurtres sont à connotation sadique et, troisièmement, il y a des crimes où l’intention initiale de l’agresseur était un rapport sexuel, le meurtre survenant soit au cours d’une lutte, soit après, pour réduire la victime au silence. Avec des méthodes et des données différentes, nous obtenons des résultats convergents.
L’histoire criminelle et ses liens avec le meurtre
18Quelle place occupait l’activité criminelle dans la vie des meurtriers sexuels ? Quels rapports pouvons-nous établir entre leur carrière criminelle et leur meurtre ?
19En guise de réponse à ces questions, deux thèses ont été avancées. La première est contenue implicitement dans la notion même de délinquant sexuel : il existerait une catégorie de criminels qui se distinguent des autres par le fait qu’ils s’adonnent surtout au crime sexuel. Les écrits sur les tueurs en série et sur les meurtriers sadiques peuvent être vus comme une défense et une illustration de cette notion. Ils conduisent à poser l’hypothèse d’une continuité entre les types de crimes passés du meurtrier et son meurtre.
20Selon la seconde thèse, la majorité des meurtriers sexuels seraient d’abord des criminels polymorphes. Leur meurtre serait le point culminant d’une série de crimes variés et s’expliquerait de la même manière. Parce qu’ils sont impulsifs, présentistes et sans scrupules, ils commettent toutes sortes de crimes. Parce qu’ils font passer leur plaisir immédiat avant tout, ils volent et il leur arrive de violer. Parce qu’ils tolèrent mal la frustration, ils iront jusqu’à tuer les femmes qui ne se soumettent pas à leurs caprices. Si tel est le cas, les criminels sexuels, incluant les meurtriers, auront une histoire criminelle diversifiée et semblable à celle de la plupart des criminels qui peuplent les prisons (Simon, 2002 ; Tedeschi et Felson, 1994 ; West, 1983).
21Apparemment, les chiffres donnent raison aux défenseurs de cette seconde thèse : les violeurs et les meurtriers sexuels (mais non les pédophiles) sont en majorité des criminels comme les autres et commettent de nombreux délits non sexuels. Nicole (2002) constate que 74 % des violeurs et 72 % des meurtriers sexuels de son échantillon avaient au moins un antécédent de délit contre la propriété. Chez les violeurs, on trouve 46 % de sujets ayant commis des crimes contre la personne non sexuels et c’est 62 % chez les meurtriers. Par ailleurs, 29 % des violeurs et 26 % des meurtriers sexuels avaient, dans le passé, perpétré au moins un crime de nature sexuelle. Nicole et Proulx (voir le chapitre 2) établissent que le nombre moyen de crimes contre la propriété des violeurs est de 4,71, et de 3,05 chez les meurtriers sexuels. En d’autres termes, la plupart de ces « délinquants sexuels » avaient commis nettement plus de crimes non sexuels que de crimes sexuels : plus de vols et plus de crimes violents qui n’ont rien de sexuel. D’autres chiffres vont dans le même sens. Nicole et Proulx (voir le chapitre 2) ont calculé les pourcentages de sujets dont les deux tiers ou plus des crimes sont de nature sexuelle (l’indice Wikstrom). Il ont trouvé que 17 % des violeurs et 22 % des meurtriers sexuels avaient à leur actif au moins deux tiers de crimes sexuels. Ces données rejoignent celles de Boutin (1999) qui fait une démonstration forte du polymorphisme des violeurs. Deux chiffres puisés dans son mémoire l’illustrent : 86 % des violeurs de son échantillon s’étaient rendus coupables d’au moins un crime violent non sexuel (par exemple, braquage) et 92 % d’au moins un délit non sexuel (Boutin, p. 51). Récemment, Proulx, Ouimet, Boutin et Lussier (2002), constataient que les violeurs n’avaient pas tendance à se spécialiser dans la délinquance sexuelle.
22Henriette Haas a publié, en 2001, une remarquable recherche de délinquance autorapportée réalisée auprès de toutes les recrues de l’armée de la Suisse (où le service militaire est obligatoire) : 21 347 répondants. Sur le nombre, 30 sujets reconnaissaient avoir agressé sexuellement une femme et, usant de force et d’intimidation, de l’avoir pénétrée. Parmi ces violeurs, on en trouve 80 % qui, au cours de l’année précédente, avaient commis une infraction non violente (vol, cambriolage, vente de drogue, etc.) (Haas, 2001, p. 302). Ces violeurs sont tout aussi éclectiques dans le choix de leurs victimes, s’attaquant à un large éventail de personnes : inconnues, partenaires, voisines, sœurs (ibid., p. 295). Cette recherche, menée à partir d’un échantillon extrajudiciaire, corrobore ce que nous apprennent les études réalisées à partir de populations carcérales.
23Bref, les meurtriers sexuels, comme les violeurs, ont une polyvalence qui ressemble à s’y méprendre à celle des délinquants chroniques. On en déduit l’hypothèse que ces meurtriers partagent avec ces délinquants les traits bien connus qui les poussent à transgresser impulsivement toutes sortes de règles : ils sont enfermés dans le présent et ne tiennent pas compte des conséquences à long terme de leurs décisions ; le contrôle cognitif de leur comportement se fait peu et mal ; ils sont égocentriques et convaincus d’être perpétuellement les victimes d’injustices (Cusson, 1998c, p. 92). S’impose donc à l’esprit l’hypothèse selon laquelle bon nombre de meurtriers sexuels sont d’abord et avant tout des criminels qu’aucun frein n’arrête dans leur poursuite du plaisir immédiat et qui réagissent de manière explosive aux frustrations. Mais la cause n’a pas été entendue jusqu’au bout. Se pourrait-il que derrière le polymorphisme de façade édifié par les chiffres se cachent de vrais criminels sexuels ? Imaginons un violeur condamné autrefois pour cambriolages. Il n’est pas un délinquant polymorphe s’il s’introduisait dans les résidences dans l’espoir d’y trouver une femme à violer. Il faut donc aller au-delà des chiffres et scruter la trajectoire criminelle de nos meurtriers.
24Notre analyse de l’histoire criminelle des meurtriers sexuels porte sur 37 sujets sur lesquels nous disposons d’informations suffisantes (au départ, nous avions 40 sujets, mais des informations indispensables manquaient sur trois d’entre eux). Elle combine trois sources distinctes : (1) le dossier des antécédents criminels officiels ; (2) la délinquance juvénile et adulte non officielle révélée par le sujet ; et (3) l’histoire de cas qui puise largement dans l’entrevue avec les sujets. Il s’agissait de combiner les données quantitatives et qualitatives pour obtenir le portrait le plus complet possible de la trajectoire criminelle des meurtriers telle qu'elle s’était déroulée avant le meurtre sexuel dont elle constitue le terme. Les 37 sujets sur lesquels porte l’analyse sont ceux pour lesquels nous disposions d’informations suffisamment complètes, convergentes et crédibles. Quatre trajectoires criminelles se dégagent d’un examen de ces données, soit celles : (1) du polymorphe violent ; (2) de l’agresseur sexuel ; (3) du marginal ; et (4) du surcontrôlé.
François, le polymorphe violent
François purge actuellement une sentence pour un double meurtre, une agression sexuelle et séquestration. À l’école, François s’était signalé comme étant un enfant agressif et bagarreur. Il a commencé sa carrière délinquante à l’âge de 13 ans. Il reconnaît avoir commis, au cours de son adolescence, une cinquantaine de vols et une vingtaine de voies de fait. Avant son arrestation, son casier judiciaire portait la mention de plusieurs condamnations pour possession de stupéfiants, voies de fait (dont voies de fait sur trois agents avec lésions corporelles), méfait, vol qualifié avec usage d’arme à feu, vol de véhicule et possession d’armes tronçonnées. En outre, il avoue s’être rendu coupable, au cours de sa vie adulte, de très nombreux (il ne peut les compter) vols, voies de fait, vols qualifiés et séquestrations qui n’ont pas fait l’objet de poursuites.
Le jour fatidique, vers 16 heures, il se présente, seul, au domicile des victimes. Il sonne et l’époux, Pierre, âgé de 58 ans, ouvre ; il est aussitôt assommé par François, qui ensuite le ligote. Puis il fouille la maison. Comme sa victime reprend connaissance, François l’étouffe jusqu’à ce que mort s’ensuive.
L’épouse, Christine, âgée de 52 ans, arrive chez elle vers 16 h 30. François la connaissait, car elle avait été son institutrice au primaire. Il la laisse entrer, l’immobilise et l’attache à un lit. Il découpe ses vêtements avec des ciseaux et l’agresse sexuellement. L’autopsie révélera la présence d’une grande quantité de sperme dans le vagin de la victime.
François enterre ensuite l’homme et s’empare d’un four à microondes et d’un téléviseur pour meubler son logement. Il vole également la carte de crédit de ses victimes et des armes de chasse. La nuit vient de tomber quand il contraint la femme à monter dans le coffre arrière du véhicule. Il se rend à une carrière, à une vingtaine de kilomètres environ des lieux du crime, fait descendre la victime, la frappe à la tête avec une pierre et la tue.
François utilisera à trois reprises la carte de crédit de ses victimes. La caissière d’un de ces établissements pourra donner de précieux détails sur l’utilisateur de cette carte et les policiers établiront ainsi un portrait-robot. Leurs investigations les mèneront chez François, déjà bien connu des services de police.
25Quinze meurtriers sur trente-sept (41 %) ont, comme François, une feuille de route chargée de très nombreux délits de toutes sortes, parmi lesquels les voies de fait et les vols avec violence occupent une bonne place sans pour autant dominer. Ces hommes ont commis au cours de leur adolescence et de leur vie adulte tant de vols que, pour plusieurs, ils ne parviennent pas à les chiffrer. Assez souvent, ils ont consommé et vendu de la drogue. Quelques-uns ont aussi commis des actes frauduleux ou allumé des incendies. Étonnamment, ils sont peu nombreux à avoir commis un viol.
26Pour quelles raisons ces criminels polyvalents ont-ils fini par tuer une femme ? François a décidé de tuer celle qu’il venait de violer pour qu’elle ne puisse le dénoncer. D’autres y ont été poussés par la colère : s’étant disputés avec une femme ou ayant essuyé un refus de l’une d’elles, ils se sont enragés, l’ont agressée sexuellement et l’ont tuée. D’autres, enfin, ont tenté de violer une femme et ont frappé ou serré trop fort. Aucun de ces criminels n’a tué pour actualiser une fantaisie sadique. Sachant de plus qu’ils n’avaient dans le passé commis que peu ou pas de crimes sexuels, il est permis d’en déduire que la dynamique de leur meurtre n’est pas spécialement sexuelle.
27Pourquoi ces hommes adonnés au vol et n’hésitant pas à se livrer à la violence en viennent-ils à tuer dans un contexte de sexualité ? Il se pourrait que la réponse se trouve dans ce que nous connaissons par ailleurs sur le délinquant chronique. L’histoire de ces individus montre qu’ils étaient motivés par le plaisir immédiat, par le refus violent de toute frustration et par la haine de leurs semblables. Ils étaient capables de tuer parce qu’ils avaient pris l’habitude de prendre leur plaisir par n’importe quel moyen, de réagir rageusement à la frustration et de recourir à des moyens violents pour régler leurs conflits. Quand ils ont été confrontés à une femme qui a refusé de céder à leurs avances, certains ont été submergés par la rage et la haine. D’autres sont allés jusqu’au viol puis, décidés à ne pas retourner en prison, ils n’ont rien trouvé de mieux pour s’assurer l’impunité que d’éliminer leur victime. D’autres, enfin, ont décidé de briser par tous les moyens la résistance de la femme.
Michel, l’agresseur
sexuel
Michel a été condamné pour un meurtre au second degré. Il avait déjà été condamné 10 ans plus tôt pour un vol ne dépassant pas 200 $ et une agression de nature sexuelle.
Abandonné à sa naissance par sa mère, il a été adopté à 6 mois. Il se plaignait de sa mère adoptive, qu’il jugeait envahissante et dominatrice. Elle exerçait par ailleurs sur lui une sorte de chantage en le menaçant de le placer dans un pensionnat. Il n’a jamais non plus oublié son abandon lorsqu’il était nourrisson. Il en a conçu un vif ressentiment et en est venu à détester sa mère biologique, puis à déprécier sa mère adoptive. Sa haine s’est étendue à toute la gent féminine, ce qui l’a poussé à vouloir exercer un contrôle sur les femmes. « Contrôle, pouvoir, humiliation », précise-t-il. Lorsqu’il éprouve des frustrations, il est envahi par des fantaisies sexuelles sadiques.
Il a été employé pendant 15 ans dans une usine. Ses collègues de travail le trouvaient bizarre et le détestaient. Son casier était couvert d’affiches de femmes nues ; il dessinait sur leurs seins des barreaux, des cercles et des rayons de couleur rouge. Par la suite, il a dessiné de tels motifs avec une cuillère chauffée à blanc sur une de ses victimes. Les conflits avec ses collègues de travail l’ont conduit à la dépression ; il a perdu son emploi et n’en a pas trouvé d’autre.
Michel s’est livré à toute une série de viols étalés sur une période d’une dizaine d’années. Lors de la première agression, il s’est introduit par effraction dans l’appartement de la victime. Le viol est particulièrement brutal et il agresse la victime pendant trois heures, allant jusqu’à lui brûler les seins avec une petite cuillère chauffée à blanc. Ce viol est suivi de cinq autres au cours des années suivantes. On trouve dans ces agressions des éléments qui reflètent son désir de domination et d’humiliation : injures ; motifs dessinés sur le corps ; rasage des poils du pubis de ses victimes et obligation de lui faire une fellation ; sodomie. Chaque fois, il parvient à échapper à la police.
Ce jour-là, Michel, n’ayant toujours pas d’emploi, se rend au bureau d’assurance-chômage pour consulter les annonces d’emploi. Il entretient des fantaisies tournant autour de l’humiliation des femmes. Il y rencontre une jeune fille. Il se fait passer pour un employeur et il lui propose de l’emmener chez lui en voiture. Elle accepte de le suivre. Il la conduit à la maison des parents de sa compagne (qui est vide). Là, il lui lie les mains et les pieds avec des bas de nylon. Il la suspend par les bras à une poutre du plafond. Il lui dit qu'elle est sa mère et il se met à la fouetter avec un fil électrique. Pour l’empêcher de crier, il lui enfonce un bout de tissu dans la bouche. Il lui rase les poils du pubis et a des relations sexuelles avec elle. Le calvaire de la victime va durer trois jours. Puis elle succombe, étouffée par le bâillon que son agresseur a enfoncé dans sa bouche. Michel se livre à quelques actes post-mortem sur le cadavre. Il emporte le cadavre plus loin et le dépose sur le bord de la route. Il veut, en effet, qu’on le retrouve afin de montrer que la victime avait reçu « sa pénitence ». On constate sur le cadavre certaines marques faites au feutre rouge : un rond avec des barres (comme une cage) sur les seins et une étoile de David sur le ventre. Il est arrêté une semaine plus tard. Michel nie tout. Il est cependant condamné.
28Dix des trente-sept meurtriers (27 %) avaient, avant les faits, un passé de délits sexuels. Michel avait commis plusieurs viols. Un autre était un voyeur invétéré et un voleur de vêtements féminins. Les huit autres avaient intercalé leurs transgressions sexuelles de nombreux vols et de voies de fait. Parmi les délits sexuels dont ils s’étaient rendus coupables, le voyeurisme se distingue par sa fréquence. On trouve aussi le frottage, les attouchements, l’exhibitionnisme et le viol.
29Deux des dix meurtres qui représentent le point culminant de ces trajectoires sont carrément sadiques. Dans d’autres cas, le meurtre a été précédé d’un viol sadique, comme on le voit dans le cas de Michel ; il commence par violer sadiquement et la mort survient parce que sa victime est étouffée par un bâillon. D’autres meurtres ont été initialement motivés par la rage, mais ont procuré à leur auteur un plaisir sexuel. C’est ici que nous faisons connaissance avec le véritable criminel sexuel, en ce sens que la motivation dominante de ses crimes est intrinsèquement sexuelle. Cet individu s’adonne au voyeurisme, au viol et va jusqu’à l’assassinat parce qu’il a érotisé le fait de dominer, d’humilier et de terroriser une femme.
Philippe, le
marginal
Philippe purge une peine à perpétuité pour un meurtre au second degré. Il n’avait aucun antécédent judiciaire avant la perpétration de l’homicide et il ne reconnaît avoir commis aucun délit ni durant son adolescence ni durant sa vie adulte.
Philippe est le cadet d’une famille de trois enfants (un frère et une sœur). La famille apparaît comme unie. Son père est fermier. Le sujet dit garder de bons souvenirs familiaux même si l’éducation qu’il a reçue était très sévère. Il présente sa mère comme étant généreuse, serviable.
Il a commencé à travailler jeune dans la ferme de ses parents. Il avait de fréquentes disputes avec son père, plus particulièrement pendant les périodes estivales lors de la récolte des foins. La mère jouait un rôle de médiateur entre eux. Philippe garde un très mauvais souvenir de ses années scolaires, car il était l’objet des quolibets de ses camarades. Il était considéré par les autres comme un idiot, un « épais ». Il regrette de ne pas avoir eu de petites amies comme les autres garçons de sa classe. Il est persuadé que s’il était sorti avec une fille, on ne l’aurait plus abreuvé de sarcasmes. Après l’école, il a travaillé comme mécanicien et aide-fermier. Au moment du meurtre et de son arrestation, il était chauffeur de camion. Philippe a commencé à consommer occasionnellement de l’alcool dès l’âge de 12 ans et des drogues dures sur une base régulière à partir de 13 ans. Puis il est devenu toxicomane.
Un jour d’été, Philippe, qui a alors 20 ans, passe la soirée dans un bar avec des amis. Il consomme de l’alcool et prend également de la cocaïne. Ensuite, les amis se rendent dans un restaurant pour y finir la soirée. Ils y rencontrent Louis, qui venait de faire la connaissance d’une jeune fille, Claire, 16 ans ; celle-ci avait consommé beaucoup d’alcool fort et de drogues. En fin de soirée, Philippe et son ami réveillent difficilement la jeune fille qui s’était endormie. Philippe veut ramener Claire chez elle mais elle ne se souvient plus de l’endroit où elle réside : trop « gelée ». Il se promène dans la ville, les fenêtres du camion ouvertes pour qu’elle puisse se réveiller, sans succès. Il poursuit alors jusqu’à un chemin de bois et s’y gare. Elle reprend ses esprits et elle lui demande s’il a quelque chose à fumer. Il lui donne ce qui lui reste. La jeune fille sort ensuite du véhicule et s’assoit sur le capot. Elle réclame de la drogue, appuyant ses réclamations de coups de pied sur le camion. Pour la raisonner, dit-il, Philippe veut lui donner une gifle, mais c’est son poing qui part. Elle tombe par terre. C’est alors qu’il prend une barre de fer dans son coffre et frappe la jeune fille à deux reprises, la tuant.
Philippe prend ensuite une corde et l’enroule autour du cou de la victime pour la tirer dans le bois. C’est pour prendre ses papiers d’identité qu’il aurait fouillé la jeune fille. Comme son pantalon était trop serré, il l’aurait dégrafé et baissé. Il se souvient que la victime portait un sous-vêtement de type « body » noir. L’autopsie révèle que le body était ouvert à l’entrejambe.
Un an plus tard environ, il se décide à raconter ce qui s’était passé à un ami avec lequel il est allé à la pêche. Joignant le geste à la parole, il jette devant son ami les papiers d’identité de la victime dans les braises d’un feu de camp. Son camarade rapportera ses propos à la police et il indiquera le lieu où les papiers ont été brûlés.
Les policiers ont décidé de vérifier cette information et ils se sont rendus près du lac où Philippe et son camarade étaient allés pêcher. Sur place, ils ont trouvé la carte d’identité de la victime. Le fait qu’elle soit plastifiée avait ralenti la combustion et le nom de la victime était encore visible. Philippe a été arrêté par la police et il a immédiatement avoué son crime. Il a montré aux enquêteurs l’endroit où se trouvait le corps de la victime. L’autopsie a révélé qu’elle avait eu le crâne défoncé à l’arrière de l’oreille, du côté gauche.
30La vie de 6 de nos 37 meurtriers était dominée par la consommation de drogues et l’abus de boissons alcoolisées. Deux autres avaient commis d’innombrables vols et rien d’autre : ni violence, ni délit sexuel, ni délit lié aux drogues (8 toxicomanes ou délinquants non violents : 22 %).
31Dans tous les cas où l’information est disponible, ces hommes avaient été poussés au meurtre par la rage. Philippe a battu à coup de fer une jeune droguée avec qui il se disputait. Certains ont tué des prostituées dont l’attitude leur avait paru humiliante. L’un d’eux a supprimé une femme qu’il détestait de longue date. La vie de ces meurtriers s’est déroulée sous le signe de l’échec et de la marginalité. Chroniquement intoxiqués, ils s’enlisaient, se laissant dériver dans la solitude et l’ennui. Ayant quelques raisons de se mépriser, ils voyaient le mépris dans le regard des femmes. Trop déviants, trop intoxiqués, trop imprévisibles pour intéresser durablement une femme, ils fréquentaient des prostituées et des droguées avec qui ils se disputaient.
Thomas, le
surcontrôlé
Thomas est incarcéré pour homicide involontaire, enlèvement/séquestration et agression sexuelle sur une jeune femme de 24 ans. Il a été condamné à purger une peine d’emprisonnement à perpétuité. Fait remarquable, il n’avait aucun antécédent judiciaire. Qui plus est, il paraît dire la vérité quand il affirme que son adolescence et sa vie adulte se sont passées sans qu’il ne commette ni vol ni acte de violence.
Thomas décrit sa mère en termes négatifs : autoritaire, agressive, dégradante et humiliante. Il se percevait comme le souffre-douleur de la famille. Lorsqu’il contredisait sa mère, celle-ci employait la force pour le corriger. Elle le traitait de bon à rien. Lorsqu’il avait l’âge de 10 ans, son frère l’a sodomisé puis a raconté le fait à sa mère en donnant des détails. La réaction de sa mère a été de rire de Thomas et de reparler de cet incident pendant près de deux semaines, toujours en le ridiculisant.
Vers l’âge de 12 ou 13 ans, Thomas a sodomisé une chèvre. Cependant, son frère l’a vu et s’est empressé d’aller tout raconter à sa mère. Celle-ci en a profité pour humilier de nouveau Thomas. Elle disait que peut-être la chèvre était « enceinte » de lui. Également, elle le menaçait de dire à la première copine qu’il aurait que son premier amour avait été une chèvre. Thomas a alors penser à s’enlever la vie.
À l’époque du meurtre, Thomas avait un emploi où ses qualités de travailleur étaient très valorisées. Il travaillait tellement qu’il négligeait ses loisirs et ne fréquentait plus ses amis. Sa vie tournait autour de son travail, de sa conjointe, de la chasse et de la pêche. Thomas vivait depuis six ans et demi avec sa conjointe, la fille de son employeur. En moyenne, la fréquence de ses relations sexuelles était de deux ou trois fois par jour. Il y était poussé par une jalousie qui le tenaillait, croyant que s’il lui donnait beaucoup de satisfaction sexuelle, sa conjointe n’aurait pas envie d’aller voir ailleurs. Thomas cachait beaucoup de choses à sa conjointe. Il lui mentait sur sa situation financière, et lui faisait croire qu’ils pourraient bientôt s’acheter une maison. Thomas voulait préserver l’image de l’homme responsable.
Il avait des fantaisies sexuelles déviantes dont le scénario était qu’il prenait une jeune autostoppeuse à bord de sa camionnette, qu’il l’emmenait dans un endroit désert où il l’attachait, nue, à un arbre, afin d’avoir des relations sexuelles. Bien qu’au début la victime résistait, elle finissait par jouir.
Le jour du crime, sa conjointe est à l’extérieur pour ses études et il sent qu’il est en train de la perdre. Sa jalousie est réveillée par un souvenir : près d’un mois avant, il avait aperçu Lucie embrasser, sur les joues, un ami. Thomas sort pour boire un verre dans un bar. Il y absorbe pas mal de bière et des vodkas avec jus d’orange. Vers minuit, il tente de s’en prendre à un client du bar, mais celui-ci ne répond pas à ses provocations. Thomas se rend ensuite dans un petit restaurant ouvert 24 heures sur 24. Après avoir commandé une frite, la serveuse lui dit que son patron n’acceptait pas les « gars saouls » dans son établissement. Prenant très mal la remarque, il quitte le restaurant sans un mot pour aller chercher un couteau qui se trouve dans son camion. Il revient dans le restaurant et force la jeune serveuse, sous la menace du couteau, à monter dans la camionnette. En route, il s’enlise dans la neige et doit sortir du camion pour se dégager. Il aurait même demandé à la victime de conduire le camion pendant qu’il le poussait à l’arrière. Constatant que tous ses efforts étaient vains, il part chercher de l’aide. Toutefois, selon ses dires, la victime voulait absolument le suivre. Elle se serait même accrochée à son bras, enrageant Thomas. Il l’aurait alors frappée d’un violent coup de poing. La serveuse lui aurait alors dit : « Je sais ce que tu veux. » Selon Thomas, elle aurait alors baissé son pantalon. Ils auraient eu une relation sexuelle complète sans qu’elle ne résiste, sans violence physique ni humiliation.
C’est ensuite que Thomas part chercher de l’aide mais revient bredouille au camion. D’abord, il ne voit pas la serveuse, soudain elle sort des buissons, le couteau à la main. En essayant de le lui arracher des mains, Thomas se blesse, ce qui le fait exploser de rage. Il parvient à s’emparer du couteau et s’en sert pour frapper la femme de sept coups à la gorge et à la poitrine. Questionné sur ce qu’il ressentait pendant le meurtre, Thomas répond la colère, la rage, mais non envers la victime, car celle qu’il voyait alors, c’était sa mère. (Voir aussi le cas de Serge relaté par Nicole et Proulx au chapitre 2.)
32Parmi nos 37 meurtriers sexuels, il s’en trouve 4, comme Thomas, dont le meurtre ne s’enracine dans aucun antécédent criminel. Nous avons beau fouiller dans leur passé, nous n’y trouvons ni vol, ni voies de fait, ni braquage. Tout au plus, l’un deux avait commis quelques attentats à la pudeur et un autre une agression sexuelle. La vie familiale et professionnelle de ces quatre hommes est congruente avec leur passé d’où le crime est remarquablement absent. Ils avaient tous un emploi stable et paraissaient de gros travailleurs. Le surconformisme de ces individus se manifeste à plusieurs signes : dossier vierge, fort investissement dans le travail, soumission marquée à une femme. C’est dire que leur meurtre est en rupture avec une vie marquée par le respect des lois.
33Que s’est-il passé ? Thomas finit par frapper à mort une serveuse ayant refusé de lui servir une consommation. D’autres ont tué une femme ayant repoussé leurs avances. Comment se fait-il que ces hommes sans histoire, travailleurs, conformistes, aient perpétré l’un des pires crimes qui soient ? Faute d’un passé criminel, c’est dans les rapports de ces hommes avec leur mère ou conjointe qu’il faut chercher la clef de l’énigme. Thomas avait pour conjointe une femme dont il était jaloux et dont il tentait de s’échapper par le mensonge. Par ailleurs, il en voulait à mort à sa mère. Deux autres meurtriers, bien que dans la trentaine, vivaient avec une mère dont ils ne parvenaient pas à secouer le joug. La mère de l’un d’eux (Serge) faisait systématiquement opposition aux fréquentations de son fils. Il se pourrait que la dynamique du passage à l’acte de ces hommes corresponde à celle des « personnalités chroniquement surcontrôlées » identifiées par Megargee (1970). Cet auteur décrit des individus doux, polis, effacés qui subissent une longue succession de brimades et d’insultes sans répliquer et qui, soudain, un jour explosent et tuent leur persécuteur dans une décharge d’une violence inouïe. Le problème auquel font face nos meurtriers sexuels est différent, même si leur réaction ne l’est pas tellement. Avec Thomas, nous sommes devant un exemple de déplacement d’agression. Tyrannisé et humilié par sa mère, jaloux de sa conjointe, il accumule un intense ressentiment. Il porte alors son agressivité sur une autre femme qui alors paye pour les autres. Son crime paraît l’expression d’une révolte d’autant plus absurde qu’elle frappe la mauvaise cible.
34Mis à part le petit nombre de surcontrôlés dont il vient d’être question, les meurtriers de l’échantillon avaient tous, avant même qu’ils ne tuent, un passé marqué par diverses transgressions. Une majorité s’était adonnée au vol. Presque la moitié d’entre eux n’hésitaient pas à user de violence. Plusieurs consommaient des drogues illégales et abusaient de l’alcool. Le quart de ces meurtriers s’étaient rendus coupables de délits sexuels. Ces hommes à la dérive se laissaient ballotter aux marges de la loi sans direction, sans but et sans espoir. Ne pouvant se raccrocher à rien ni à personne, se laissant asservir, les uns au plaisir immédiat, les autres à leurs fantaisies sexuelles déviantes, d’autres à la drogue, ils s’étaient peu à peu rendus capables du pire. Par le fait même, ils étaient incapables de nouer une relation durable et harmonieuse avec une personne du sexe opposé : trop drogués, trop voleurs, trop irresponsables. Habités par la haine ou des fantaisies sadiques, frustrés, ils en étaient réduits à traiter les femmes soit comme des proies, soit comme des ennemies.
Auteurs
Ph.D. criminologie. Professeur titulaire à l’École de criminologie et chercheur au Centre international de criminologie comparée et ce, à l’Université de Montréal.
Ph.D. psychologie. Professeur titulaire à l’École de criminologie et chercheur au Centre international de criminologie comparée et ce, à l’Université de Montréal. Chercheur et clinicien à l’Institut Philippe Pinel de Montréal.
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