Chapitre 13. Kœchlin : réflexion sur la modernité
p. 339-361
Texte intégral
1Compositeur, théoricien et pédagogue, Charles Kœchlin (1867-1950) est l’une des figures marquantes de la musique française de la première moitié du XXe siècle. Il fait partie de cette cohorte d’artistes qui participèrent activement à l’essor de la modernité en art, d’une part, en constituant un corpus d’œuvres représentatif et, d’autre part, en s’interrogeant sur les fondements esthétiques et sociaux qui l’accompagnent. Cette étude dressera un portrait des idées de Kœchlin en ce qui a trait au rôle de la création musicale au sein du développement d’une société dite « moderne ».
2Issu d’une riche famille de la bourgeoisie protestante alsacienne, Kœchlin apprend le piano très jeune et s’intéresse à la musique au point de devenir un auditeur assidu des différentes séries de concerts à Paris et de s’essayer à la composition. Malgré ses prédispositions, la musique reste jusque-là une activité de loisir. Destiné à une carrière d’ingénieur, d’astronome ou de marin, le jeune Kœchlin entre à l’École préparatoire de Polytechnique en 1885. Atteint de tuberculose en 1888, il est sauvé de justesse et, après avoir été en convalescence à Alger à deux reprises, il termine tant bien que mal ses études alors qu’il est reçu 125e de sa promotion en 1889. Kœchlin n’entreprendra pas la carrière d’ingénieur dans l’artillerie, la marine ou les Ponts et Chaussée tant souhaitée par son entourage familial. Il opte pour la liberté1 : celle d’une carrière de compositeur. Élève au Conservatoire, il suivit les cours de Jules Massenet, André Gédalge et Louis Albert Bourgault-Ducoudray puis celui de Fauré à partir de 1896. Les dons particuliers et les connaissances techniques de Kœchlin poussèrent Fauré à lui confier entre 1899 et 1903, lors de ses absences répétées du Conservatoire, l’enseignement du contrepoint aux autres élèves de la classe parmi lesquels on compte, entre autres, Maurice Ravel, Roger Ducasse et Florent Schmitt2.
3Avec ses camarades du Conservatoire, Kœchlin participe au mouvement d’avant-garde de l’époque. En 1910, il fait partie des « conspirateurs3 » qui créent la Société musicale indépendante en réaction au sectarisme de la Société nationale de musique. Malgré cette affiliation et tous ses efforts pour faire jouer sa musique, Kœchlin reste en dehors des principaux circuits de diffusion de la musique, situation qui s’explique en partie par son indépendance d’esprit, et le fait que le compositeur maintient une grande distance entre la mode musicale et son œuvre. De plus, ses prises de position favorables, d’une part, à l’avant-garde et, d’autre part, au mouvement socialiste l’opposent à plus d’un compositeur influent au sein des institutions musicales françaises de l’époque. C’est probablement pourquoi, malgré ses grands talents de pédagogue, il n’obtiendra jamais de poste permanent au Conservatoire. La participation de Kœchlin au mouvement d’avant-garde est donc davantage liée à ses activités de théoricien et de défenseur qu’à son œuvre musicale en tant que telle.
4La guerre de 1914-1918 fragilise considérablement la situation financière de la bourgeoisie française. La famille Kœchlin n’échappe pas à cette situation et les ressources familiales, désormais épuisées, obligent le compositeur à trouver les moyens de subvenir aux besoins des siens alors que l’édition et l’exécution de sa musique ne constituent qu’une faible source de revenus. Kœchlin, qui écrivait pour la « Chronique des arts » de La Gazette musicale depuis 1909, entame alors des activités d’enseignement et de rédaction beaucoup plus substantielles. La réalisation dans les années 1920 d’une série de travaux théoriques importants comme l’Étude sur les notes de passage (1922), le Précis des règles de contrepoint (1926) et le Traité d’harmonie (1927-1930) confirme sa réputation en tant que théoricien de la musique. Cette autorité lui permet désormais d’écrire très régulièrement dans la presse musicale et de publier en 1927 les biographies de Debussy et de Fauré. On dénombre plus d’une centaine d’articles qui parurent autant dans les revues musicales comme Le Ménestrel, Le Monde musical, ou La Revue musicale que dans des revues littéraires comme Europe. Kœchlin, proche du parti communiste dans les années 1930, publia des textes dans le quotidien L’Humanité4 dont plusieurs furent réédités dans le Bulletin de la Fédération Musicale Populaire dont il était membre. Les archives du compositeur, conservées à la Médiathèque musicale Gustav Mahler à Paris, renferment plusieurs séries de textes inédits, conférences données pendant la Première Guerre mondiale, émissions de radio, notes de programme et scénarios de film, sans compter des esquisses d’écrits divers dont des nouvelles romancées. L’immense corpus ainsi constitué confirme la richesse et l’étendue de la pensée de Kœchlin. Cette activité musicographique ne l’empêche cependant pas d’être un compositeur prolifique. Son catalogue compte plus de 220 numéros d’opus. Mais cette œuvre a longtemps vécu à l’ombre de ses travaux théoriques et de ses écrits, et ce n’est que depuis peu qu’on s’intéresse à nouveau à ses partitions.
« TOUT COMPRENDRE POUR TOUT AIMER » (ROMAIN ROLLAND)
5Kœchlin aborde dans ses textes des sujets aussi différents que le concept d’avant-garde, la notion d’œuvre d’art et de beauté, le langage musical, la modernité, la musique de cinéma, les relations entre la musique, l’architecture ou les mathématiques, l’éducation musicale, la musique de plein air, le tout dans une perspective évolutive de la musique et de sa pratique. Dans le cadre du présent article, notre attention se portera sur les notions de démocratie, de progrès social, d’internationalisme et d’éducation destinée à faire de la musique une « musique pour le peuple ». Ces notions représentent les fers de lance de la réflexion esthétique et sociale du compositeur. Si sa vaste culture lui permet de citer aussi bien Platon que le philosophe Bergson, les écrivains André Gide ou Rémy de Gourmont, c’est d’abord aux œuvres de Romain Rolland et de Léon Tolstoï qu’il fera référence dans une optique dialectique. Comme nous le verrons plus loin, dès 1917, il conteste ou fait siennes ces idées de façon discursive pour les développer et les adapter à sa vision de l’art au sein d’un monde moderne. Bien que méfiant vis-à-vis des institutions – tout particulièrement celles qui s’inscrivent dans un cadre conservateur comme la Schola Cantorum de d’Indy –, Kœchlin partagera avec Romain Rolland cette vision du développement du goût musical par l’éducation dispensée, entre autres, par l’école et les sociétés de concerts5. L’engagement social du compositeur sera donc principalement dominé par la question de l’éducation. Cette réflexion teintera l’ensemble de ses activités, même si une part relativement importante de son œuvre musicale se situe assez loin de cette préoccupation6. Pratiquant un socialisme de nature « intellectuelle » tout en témoignant un réel souci du prolétariat, Kœchlin ne participera pas directement au mouvement politique de gauche. Il se déclarera ouvertement favorable au parti communiste français à la fin des années 1930, mais n’y sera cependant jamais inscrit7. Par contre, il travaillera pour le réseau de la Maison de la culture et joindra les rangs de la Fédération Musicale Populaire, organisme artistique affilié au parti. En 1937, Kœchlin succédera d’ailleurs à Albert Roussel au poste de président de la Fédération et sera aussi nommé président de la commission musicale de l’Association France-URSS8.
LA LIBERTÉ : LE COMPOSITEUR « MODERNE » EST UN HOMME LIBRE
6En 1918, dans Le Coq et l’Arlequin, Cocteau enjoint les compositeurs à ne pas se laisser corrompre par la mode et le goût du public, mais il insiste surtout sur la nécessité de rejeter toute forme de continuité liée à l’héritage tant allemand (Beethoven-Wagner) que français (Debussy).
7Kœchlin partage avec Cocteau l’idée de la nécessité pour le compositeur moderne d’être indépendant face à la mode et de n’être, en aucune façon, l’esclave « du goût du public9 ». Mais contrairement à l’écrivain, il soutient que la liberté de l’artiste ne peut se construire que sur des assises culturelles solides faites d’une assimilation des techniques d’écriture classiques et d’une mémoire des œuvres du passé lointain comme du passé récent, deux conditions essentielles au développement d’une indépendance d’esprit qui ouvre les portes à la création. Comme le souligne Roger Delage, cet équilibre entre discipline et liberté n’est pas étranger à la conception du protestantisme de Kœchlin10. Mais on y distingue aussi un nationalisme profond dominé par la volonté du compositeur d’inscrire dans le modèle d’une nation française moderne une dynamique de la liberté de l’artiste par rapport à l’ensemble de ce que constitue son patrimoine culturel. Cette liberté permet à l’artiste de se constituer un bagage culturel universel qui n’est pas sans parenté avec l’imbrication des notions d’internationalisme et de nationalisme qui caractérise la pensée socialiste d’un Jean Jaurès ou d’un Romain Rolland. D’ailleurs, Kœchlin défendra ce dernier contre les critiques acerbes provoquées par la publication d’Au-dessus de la mêlée, ouvrage polémique où Rolland défend la thèse de l’erreur commise par les nations lorsqu’elles condamnent en bloc d’autres nations pour des fautes imputables à certains individus seulement – Rolland fait retomber le blâme de la guerre sur l’impérialisme tant germanique que russe. Publié en 1915, le recueil de textes critiques se réfère à la situation qui prévaut à l’époque : malgré la guerre, les peuples doivent conserver leur liberté d’esprit et ne pas renier les réalisations tant artistiques que scientifiques ou sociales des peuples avec lesquels ils sont en guerre. Le discours pacifiste de Rolland est dominé par l’idée d’une humanité nourrie par la fraternité universelle des peuples qui ferait disparaître les différences artificielles. Kœchlin adoptera cette attitude de tolérance, tout comme nombre d’intellectuels, artistes et musiciens français. Pendant la Première Guerre mondiale, aux côtés de Ravel, il défendra la musique allemande des attaques de nationalistes engagés comme d’Indy11. Dans une lettre à Romain Rolland datant de 1937, Kœchlin écrira : « Les guerres de pays à pays sont chose absurde parce qu’il ne devrait pas y avoir de séparation d’un pays à l’autre, et même, pas de pays du tout12. »
8Dans son exploration du concept de liberté, Kœchlin aborde directement les relations entre musique et politique à la fois d’un point de vue critique et partisan. Dans un texte important de la fin de sa vie, « Art et liberté (Pour la tour d’ivoire) » publié en 1949 et qui tient compte des années de guerre que vient de subir à nouveau la France, il souhaite en effet qu’il y ait séparation entre l’art et la politique, mais il reconnaît du même souffle que dans bien des cas il s’agit d’une utopie13. Il prend lui-même position en ce sens et n’hésite pas à affirmer de façon provocante, voire extrême :
L’anticommuniste qui l’est par conviction sincère et non (comme la plupart) pour être sûr de garder son capital, peut atteindre la beauté. Mais non le bourgeois avare et rétréci. – L’Espagnol républicain et le Franquiste n’écriront pas la même marche funèbre, – sauf si le Franquiste s’élève à la vertu du Républicain : il serait alors un honnête homme, trompé par Franco, – exception rare : les grands esprits d’Espagne étant républicains, la plupart exilés. – Et croyez-vous donc que la collaborationniste-pétainiste puisse égaler jamais une Elsa Barraine14 par exemple, ou le Poulenc du Pont-de-Cé, ou ce Louis Durey dont nous entendîmes naguère [...] le très beau chœur des Constructeurs15 ?
9Il ajoute un peu plus loin : « L’œuvre est toujours le reflet de l’homme. Elle vaut ce qu’il vaut. Je ne crois pas à la “régénération des fripouilles” devant le papier à musique16. » C’est à partir de cette remarque que l’on prend conscience de la distance acquise par le compositeur face à la réalité des temps modernes. Si l’illusion fraternelle d’une humanité guidée par la nature et inspirée par Jean Christophe n’est plus teinté d’aucune naïveté, elle reste néanmoins vivante chez le compositeur, comme en témoigne l’écriture des poèmes symphoniques Le Buisson ardent, op. 203 (1945), inspiré du dernier tome de Jean Christophe et Le Docteur Fabricius (1941-1944) d’après une nouvelle de son oncle philosophe Charles Dollfus. Tout comme la Deuxième Symphonie, Le Docteur Fabricius témoigne à la fois des conditions difficiles d’existence du compositeur pendant la guerre – ce qui fera dire à Robert Orledge que le concept de transcender la souffrance humaine dans la musique de Kœchlin est bien réel – et de l’importance des notions de liberté et d’humanisme qui l’ont guidé tout au long de sa carrière. Dans une longue lettre à Paul Collaer, qui accepta de créer l’œuvre à Bruxelles, Kœchlin résume le contenu de la nouvelle et on lit :
Le docteur rompt le silence et explique à son hôte pourquoi il s’est « retiré du monde » : « La vie, dit-il, est une duperie, la nature est éternellement indifférente, elle se sert de nous pour entretenir la vie et ne fait rien pour diminuer nos malheurs » (cf. dans les Dialogues philosophiques de Renan « Dieu n’agit pas par des volontés particulières »). Injustices immenses... très âpres contre les Puissances qui nous gouvernent... Conclusion : le Docteur Fabricius s’est retiré dans cet ermitage (ancien monastère) et dans un désespoir farouche qui lui laisse les yeux secs, il souhaite bonne nuit à son hôte. Celui-ci rentré dans sa chambre, ouvre la fenêtre sur la nuit étoilée. Alors le calme rentre dans son âme, puis l’espoir. Une si grande et si vaste harmonie des mondes ne peut nous laisser croire que l’ordre n’existe pas.... Puis le matin se lève et voici qu’il se réveille. Ce n’était qu’un rêve17.
10L’œuvre de Kœchlin suit à peu de chose près la nouvelle et le compositeur établit le plan en ces termes :
- Le manoir du docteur, austère « modal », sans tristesse pourtant.
- La douleur : 3 chorals où finit par s’exaspérer cette douleur.
- La Révolte : âpres interrogations, véhémences, violences. Fugue dont le sujet combine avec les thèmes des 3 chorals. Remous, comme des vagues de tempête se brisant contre nous : le tout aboutit à ff : Choral sur le thème Aus tiefer Not.
- Silence... et, dans la nuit, vision de l’univers étoilé. Une longue monodie s’élève, disant le calme et l’ordre mystérieux.
- Et les voix de la consolation chantent à présent pour aboutir à
- La Joie (allegro) qui se termine par le Réveil.
- Il ne reste que le souvenir de ce rêve, c’est un choral (modal), sur le thème du Manoir, qui conclut avec une grande sérénité.
11Kœchlin déploie dans cette œuvre tous les moyens syntaxiques développés au cours de ces 50 ans de modernité. Modalité, tonalité, polytonalité, atonalité servent l’intention expressive et philosophique du compositeur libre de tout dogmatisme. Cette liberté universelle – sans frontière – sera aussi pour Kœchlin l’attribut de Debussy dont l’ampleur des accomplissements joue à ses yeux un rôle fondamental dans l’évolution de la musique. Pelléas et Mélisande constituera pour Kœchlin l’œuvre charnière qui fixe en grande partie les paramètres de la modernité. Il est cependant conscient que cette modernité n’appartient pas totalement à Debussy et, surtout, qu’elle est redevable à plus d’un musicien qui le précède. Il établira ainsi son arbre généalogique construit sur une :
Irrésistible continuité de la courbe issue du contrepoint de Bach, qui passe aux « résolutions exceptionnelles », au chromatisme, aux modulations libres, pour aboutir à la polytonalité, allant de Liszt, Wagner, Borodine, Moussorgski, Franck, Saint-Saëns, Bizet, Guiraud, Chabrier – par ensuite Bruneau, Satie, Debussy, Ravel, Roussel, Florent Schmitt – jusqu’à Milhaud, Poulenc, Jean Cartan, Delannoy... et moi-même (en me citant ainsi en dernier de cette chronologie, je ne prétends pas à plus de modernisme que les autres ! Que l’on me place où l’on voudra...)18.
12Kœchlin considérait Le Docteur Fabricius comme une œuvre testament19. En ce qui nous concerne, elle est aussi une œuvre synthèse, témoin encyclopédique des traits syntaxiques de la modernité musicale du premier XXe siècle, mais aussi témoin de la conscience exacerbée chez Kœchlin du possible rôle social de l’artiste.
LE COMPOSITEUR ET LA SOCIÉTÉ MODERNE : L’ŒUVRE UTILE
13Dès les années 1910, Kœchlin s’intéressera aux problématiques entourant la relation entre le compositeur et la société tant en ce qui concerne sa position sociale que l’utilité ou pas de son œuvre. L’étude de cette relation s’inscrira aussi à travers son discours dans l’étude de l’inéquation entre musique savante et musique populaire20. Pour Kœchlin, la « tour d’ivoire » où se réfugie le musicien est plus théorique que réelle car, « le musicien reste un homme dans la société ; aujourd’hui plus que jamais il ne peut faire abstraction de son sentiment social21 ». La relation établie entre utilité et rôle social de la musique, qui se fait jour à travers le mouvement néoclassique en France, mais aussi et peut-être plus spécifiquement à travers la Gebrauchsmusik en Allemagne et les tendances de la musique soviétique à partir des années 1930, se retrouve en partie contestée par Kœchlin, alors qu’il cherche lui-même à définir un autre genre d’utilité à l’œuvre d’art. C’est là l’une des caractéristiques qui font la particularité de la pensée du compositeur, car il met en doute la notion d’utilitarisme et de progrès social telle qu’on la retrouve à l’époque, exprimée dans les œuvres des principaux représentants de la Gebrauchsmusik, en partie parce qu’elle écarte volontairement l’héritage romantique et qu’elle s’appuie sur les aspects doctrinaires du réalisme artistique dicté par les idéologies socialistes et communistes qui se fortifient tout au long des années 1920 et 1930. Pour le compositeur français, l’utilité de ces œuvres n’a aucune validité puisqu’elle s’appuie essentiellement sur un discours politico-social, souvent véhiculé par un texte objectif qui inscrit l’œuvre dans sa contemporanéité mais sans lien avec l’œuvre en soi. Les œuvres de Hindemith ou encore celles de Weill (entendues à Paris dans les années 1930 dans les concerts de la Sérénade) ne peuvent servir le peuple que dans la mesure où elles véhiculent une beauté morale. Or, pour Kœchlin, il s’agit d’œuvres dont les prémisses limitent leur utilité puisqu’elles transmettent non pas la pensée de l’artiste, mais simplement le message social dicté par l’idéologie adoptée par l’artiste. Invoquer la simplicité du langage musical – caractérisé par l’utilisation d’une tonalité retrouvée – ou encore la simplicité du message livré par un livret au contenu prosaïque, n’est, en aucune manière, susceptible de faire appartenir l’œuvre qui en découle à la catégorie des œuvres universelles qui serviront réellement l’humanité. C’est dans un article de 1937 que l’on trouve clairement exprimée cette réflexion de Kœchlin :
Un art qui s’est affranchi de ce qu’il peut y avoir d’égoïste dans la « personnalité » de l’artiste (désir d’arriver, d’orgueil vis-à-vis de ses confrères, vis-à-vis de soi-même) et autre part affranchi du public, de son accueil, de son appui (tout l’opposé du Cinéma), – même résolument objectif, je ne vois pas qu’il soit pour cela sans éloquence humaine. Flaubert (L’Éducation sentimentale), Maupassant (Boule-de-Suif), Villiers de l’Isle-Adam (L’Envoyé de Léonidas) sont frémissants d’indignation devant l’égoïsme, la bêtise et la cruauté ; comme Anatole France également, une immense pitié les envahit. Avoir résolu d’exprimer tout cela par de la beauté pure en sorte que l’œuvre seule, non l’auteur, parlât ouvertement, cela ne saurait signifier de l’indifférence aux misères terrestres ! Pour qui les a lus cela reste évident. Mais disons-le, quand même.
Alors, quelle conclusion ?
Que ces œuvres vouées à la Beauté22 traduisent le plus puissamment, le plus complètement la pensée, l’âme de qui les créa. Que belles ainsi, elles sont les plus vivantes et les plus fortes, étant l’image de l’artiste lui-même (présent partout, visible nulle part, – mais deviné, perçu avec certitude par ceux qui ont des antennes). Et qu’alors précisément, l’art social c’est toutes ces œuvres-là, mais point du tout je ne sais quels romans à thèse de second, de troisième, de nième ordre. Et je vous assure que Flaubert, Maupassant, Baudelaire, ont davantage d’influence et de retentissement dans le monde, qu’un Octave Feuillet, par exemple23.
14Par conséquent, l’absence de relation évidente entre l’œuvre et le contexte social dans lequel vit le compositeur n’est pas synonyme d’inutilité. Aux yeux de Kœchlin, une œuvre conçue dans la « tour d’ivoire » et caractéristique de la notion d’art pour l’art est néanmoins sociale (par rapport à l’œuvre utilitaire), mais bien sûr, ajoute-t-il, à condition qu’elle soit « belle24 ». L’art pour l’art c’est la « recherche de la beauté venant de l’intérieur de l’être humain, dégagée ainsi de l’utilité immédiate de l’œuvre25 ». Kœchlin distingue ici l’utilité immédiate de l’utilité « vraie », à partir du paramètre de la durabilité de celle-ci en prenant pour appui l’exemple du développement des mathématiques et de la physique au tournant du siècle dont les découvertes ont pu paraître inutiles jusqu’au moment où elles ont été appliquées.
MUSIQUE ET DÉMOCRATIE : UNE MUSIQUE POUR TOUS, OU L’UTOPIE DES TEMPS MODERNES
15La réflexion sur la modernité et l’utilité de l’art chez Kœchlin s’étend rapidement à la notion de démocratisation de l’art. Au cours de 30 ans d’écriture, il développe une pensée très articulée des conditions nécessaires à l’essor d’un art musical véritablement moderne dans la mesure où celui-ci sera démocratique26. Il réfléchit sur la notion de musique qu’il qualifie alors de « légère » et plus particulièrement sur les mécanismes de création et de diffusion de cette musique. Dans une perspective socialiste engagée présentée lors d’une conférence inédite sur « L’art populaire » datant de 1917, le compositeur s’exprime en ces termes :
[Le peuple] est au-dessus de la musique qu’on lui sert, la seule qu’il soit à même d’entendre aujourd’hui. Je n’ai pas à estimer la part de responsabilité des auteurs, des entrepreneurs de cette musique. Ici encore, c’est l’argent qui reste le grand corrupteur, et c’est aussi l’indifférence si coupable des pouvoirs publics. Je veux seulement me demander ce que pourrait comprendre le peuple, malgré cette vie des villes industrielles si ingrate, si dangereuse, si mauvaise à tant d’égards27.
16Pour Kœchlin, il ne fait pas de doute que la médiocrité de la musique accessible au peuple est causée par le contrôle bourgeois de la production qui impose un besoin, somme toute, réducteur. Le bourgeois considère le peuple incapable de comprendre la beauté et considère la musique comme un art d’agrément28. Cette analyse marxiste appartient aux écrits sur l’art de Tolstoï que Kœchlin fréquentait dès avant la Première Guerre mondiale, tout comme elle fait écho aux propos d’Adorno dans son Introduction à la sociologie de la musique (1961-1962) dont les fondements, ne l’oublions pas, remontent à la fin des années 193029.
17C’est dans une autre conférence de 1917, sur la notion de musique pour le peuple et intitulée « Discussion des idées de Tolstoï et R. Rolland sur la musique pour le peuple (et l’art) », que Kœchlin développe sa pensée. Celle-ci se déploie à partir de certaines idées de Tolstoï, relayées par son ami Romain Rolland dont il admire les principes entourant la notion d’œuvre d’art au caractère collectif et social30. Cependant, Kœchlin adopte une attitude critique envers les propos des deux écrivains. Selon son analyse, d’une part, Tolstoï et Rolland « s’accordent pour souhaiter que l’art soit accessible à tous [...], pour affirmer que rien n’est vraiment beau et puissant s’il ne parle un langage compréhensible de tous31 » et, d’autre part, les deux écrivains conçoivent le véritable chef-d’œuvre comme une œuvre immédiatement comprise par la « masse » étant donné que « toute œuvre d’art vraiment belle est par là même compréhensible à tous32 ». Or, pour Kœchlin, il ne saurait être question de considérer la compréhension par tous comme le critère essentiel à la condition d’existence de l’œuvre d’art. Il en résulterait que « dans la France moderne, si l’art voulait être à la portée de tous, il ne serait pas ».
18Par conséquent pour le compositeur-pédagogue, c’est le « public qu’il faut d’abord éduquer » au sein de l’école républicaine. Chez Kœchlin, cette éducation aura des fondements idéologiques nés d’un mélange de principes républicains et communistes et s’appuiera sur des moyens modernes (la radio), une transformation des racines de la culture musicale française (la pratique amateur et la diversification du répertoire des sociétés de concerts) et une réforme de l’enseignement musical.
19Kœchlin est un fervent défenseur de la radio qu’il considère comme l’outil d’une possible initiation des masses à la musique. Le poste de radio, un peu comme l’ordinateur de nos jours, devrait être présent dans toutes les salles de classe afin d’assurer à tous les enfants l’accès à une programmation musicale idéalement conçue pour eux. En 1938, alors que l’État français se lance dans un programme de réarmement militaire intensif, Kœchlin suggère malicieusement à l’État « de bien vouloir faire cette petite dépense [car] elle en vaut la peine ». Il ajoute : « Les “bornes-fontaines” qui nous verseront des flots de musique sont peut-être aussi utiles que des mitrailleuses. »
20Dans sa logique, Kœchlin élabore un projet de société où la musique occupe une place prépondérante dans le système d’éducation. La pratique amateur du chant ou d’un instrument par l’intermédiaire des chœurs populaires et des orchestres d’harmonies constitue à ses yeux une première étape pour la « culture musicale du peuple ». Résonne ici, inévitablement, le credo communiste.
21Cette culture musicale, cependant, ne peut aboutir à des résultats satisfaisants sans une éducation musicale en milieu scolaire qui nécessitera le développement d’un programme d’enseignement de la musique basé sur un apprentissage du solfège et du rythme essentiels à la compréhension de la musique moderne33.
22Mais là où l’originalité de Kœchlin retient notre attention, c’est dans la redéfinition du fonctionnement du milieu musical et des moyens de diffusion de la musique de concert. Dans un long article paru dans Le Monde musical en 1932, il propose une révision des modalités et des conditions de diffusion de la musique afin d’établir un nouveau modèle où certains organismes (lieux de diffusion) devraient être convertis pour financer la musique savante. Il prend l’exemple du Palais Garnier (Opéra de Paris) dont le faste clinquant et les symboles décadents qu’il traîne avec lui pourraient servir à le transformer en cinéma, music-hall et casino. Le succès serait assuré et les recettes versées à l’État pourraient alors subventionner des lieux plus appropriés à la musique comme le Châtelet ou le Théâtre des Champs-Élysées34.
23Au-delà de la malice de l’idée, on ne peut que relever qu’il y a là un principe économique qui sera développé par plusieurs États occidentaux à partir des années 1960 pour assurer le financement des arts et plus particulièrement le financement de la création artistique.
24Avec l’avènement du Front populaire en 1936, les propos de Kœchlin se rapprochent à nouveau de la pensée d’un Romain Rolland. Stimulé par les perspectives d’un gouvernement socialiste, Kœchlin écrit : « De tous les arts, la musique, le plus intuitif, le plus profond, est celui peut-être qui se révèle le plus nécessaire aux humbles. De nos jours, ces humbles trompent leur soif de mélodie par des refrains d’un style douteux, vulgaire et frelaté. Ils ont droit à mieux. Et je rêve de ce que l’on pourrait faire ! On me dira que ce serait le rôle de la cité future, une fois organisés et rendus possibles les loisirs des travailleurs. Je répondrai que jamais il ne sera trop tôt pour exposer des projets, placer des jalons et lancer des idées [...] même si pour l’instant [elles sont] utopiques35. »
25L’avènement du Front populaire suivi d’un train important de réformes sociales et la réalisation d’événements artistiques socialistes viendront renforcer la pensée de Kœchlin. Au lendemain de la création de Quatorze Juillet de Romain Rolland pour laquelle Roussel, Ibert, Auric, Milhaud, Honegger, Lazarus et Kœchlin lui-même écriront chacun une partie de la musique de scène, Kœchlin applaudit l’initiative dans L’Humanité et affirme qu’il s’agit là d’une confirmation du possible mariage entre musique savante et musique populaire :
Disons-le sans crainte, ils ont écrit ce qu’on appelle « de la musique savante ». Et cette musique reste simple dans son ensemble, et elle s’est affirmée populaire. Ce m’est une grande joie de le constater, et que ce fait réduise à néant des théories qui, sous prétexte de « compréhension plus aisée pour tous » mèneraient droit à un art non plus même simplifié, mais primaire36.
CONCLUSION
26Élaborées tout au long de la première moitié du XXe siècle, les réflexions de Kœchlin sur la « modernité musicale » tissent un écheveau complexe qui témoigne de l’évolution d’une pensée sensible à son environnement mais particulièrement indépendante. Tout en manifestant une vision utopique d’un monde moderne meilleur, il est conscient que l’état de la société contemporaine exerce sur l’artiste une influence nouvelle qui appelle à son engagement37. Cet engagement ne peut se faire à n’importe quel prix, surtout pas celui de la liberté si chère à ses yeux38. Par conséquent, l’utilité de l’art ne passe pas par l’utilitarisme de l’œuvre mais bien par sa beauté, qui, elle, servira l’humanité. Le but principal de l’art pour l’artiste est d’atteindre la beauté, et pour le public de d’élever jusqu’à lui. Il ne saurait être question de « s’abaisser au public, si celui-ci est plus bas39 ». Cette conception de l’art qui implique une « préparation nécessaire » de l’esprit est un concept fondamental du modernisme qu’appliquera par exemple un Schoenberg dans la création du Verein für musikalische Privataufführungen en 1918, donnant à l’auditeur les moyens d’accéder à une plus grande compréhension de l’œuvre et par conséquent à en mieux saisir la beauté40. Si Kœchlin favorise le principe de l’acquisition de la culture nécessaire à la compréhension de l’œuvre, il ne s’agit pas forcément d’une compréhension des principes systémiques qui gouvernent l’œuvre, mais bien d’une capacité de jugement liée au développement du goût par l’expérience. Quel que soit le rapport de l’œuvre – avec le compositeur ou avec l’auditeur –, pour Kœchlin la beauté est une donnée de l’instinct et de la nature qui n’a rien à voir avec le calcul. Pour le compositeur, « les règles sont fictives [...] et la musicalité est tout autre chose que l’obéissance aux règles – l’incorrect est parfois musical, le correct peut être fort plat. Pourquoi ? Mystère ! Mais le goût est là pour nous guider41. »
27Artiste conscient des révolutions qui animent son époque, dénonçant avec vigueur les dangers d’une décadence qui semble inévitable, il n’hésite cependant pas à défendre la vision d’une modernité riche de sa diversité, dans l’espoir d’une réconciliation des hommes et des idées probablement inspirée des paroles de Romain Rolland qui écrivait en 1893 : « Toujours montrer l’unité humaine, sous quelques formes multiples qu’elle apparaisse. Ce doit être le premier objet de l’art, comme de la science42. » La société musicale moderne, celle rêvée par Charles Kœchlin, sera donc celle des hommes de bonne volonté43.
Bibliographie
BIBLIOGRAPHIE
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Tolstoï, Léo. Qu’est-ce que l’Art ?, 5e édition, traduit du russe par E. Halpérine-Kaminsky, Paris : Paul Ollendorf éditeur, 1898.
Notes de bas de page
1 Dans une note autobiographique, Kœchlin précise : « En réalité, ma maladie [...] avait été “providentielle”. Sans elle, je fusse devenu ingénieur des Ponts, ou du génie maritime, et musicien amateur, n’aimant que les mathématiques abstraites, incapable de m’intéresser suffisamment à la construction d’un appareil de physique. » - Charles Kœchlin, « Histoire de ma vie musicale et de mes œuvres » (texte inédit, 1945), p. 3. Cité par Aude Caillet, Charles Kœchlin, Anglet : Séguier, 2001, p. 21.
2 Contrairement à d’autres, Kœchlin ne se produira pratiquement jamais en public au piano mais en contre-partie, il apprendra à jouer de plusieurs instruments dont le hautbois, le cor et le saxhorn. - Robert Orledge, Charles Kœchlin (1867-1950) His Life and Works, Suisse : Harwood Academic Publishers, 1989, p. 8.
3 Michel Duchesneau, L’avant-garde musicale et ses sociétés à Paris de 1871 à 1939, Liège : Mardaga, 1997, p. 66.
4 Les articles publiés dans L’Humanité en 1936 seront regroupés sous le titre Musique et le peuple en un petit fascicule publié par les éditions sociales internationales.
5 L’important développement musical que connaît la France après 1870 n’est, en effet, pas étranger à l’apparition de plusieurs institutions musicales qui contribuèrent à la diffusion de la musique tant ancienne que nouvelle. La Société Nationale de musique, les Chanteurs de Saint-Gervais, la Schola Cantorum, les sociétés de concerts Colonne et Lamoureux, pour n’en citer que quelques-unes, jouèrent un rôle essentiel jusqu’en 1914. Lorsque Romain Rolland associe l’intérêt du public pour la musique de Wagner (vers 1880-1890) au développement plus général du goût des Français pour la musique, il fait appel à la notion de « propagande musicale par les concerts ». - Romain Rolland, « Le renouveau. Esquisse du mouvement musical à Paris depuis 1870 », Musiciens d’aujourd’hui (1908), Paris : Librairie Hachette, 1917, p. 217. Ce texte fut édité en 1904 dans un recueil intitulé Paris als Musikstadt publié par Marquardt à Berlin. C’est cette propagande qui prendra par la suite d’autres formes, comme en témoigne à nouveau l’écrivain lorsqu’il écrit au sujet de l’état de la musique française : « L’éducation musicale se fait donc, de toutes parts, en France, par les théâtres, les concerts, les cours, les écoles [et] les livres. » - Romain Rolland, Musiciens d’aujourd’hui, p. 271.
6 Les œuvres à caractère pédagogique occupent une place importante dans le catalogue de Kœchlin : sujets de fugues, réalisations de chorals, leçons d’harmonies et canons sont très nombreux. Les œuvres d’inspiration « sociale » ou « pour le peuple » sont nettement moins nombreuses et leur écriture se concentre autour de la période d’activité militante du compositeur : Chant pour Thaelmann, op. 138, chœur, piano, orchestre à vent (commande de l’Association des Écrivains et Artistes Révolutionnaires), 1934 ; Quelques chorals pour des fêtes populaires, op. 153, orchestre à vent, 1935 ; Hymne à la raison (sans opus) (Rouget de Lisle) chœur et orchestre à vent, 1936 ; Hymne à la liberté (sans opus) (Rouget de Lisle), chœur et orchestre à vent, 1936 ; Marche funèbre, op. 157ter, pour orchestre ou orchestre à vent ou fanfare (musique commandée pour une cérémonie de commémoration en hommage à Paul VaillantCouturier au Palais de la Mutualité à Paris), 1938 ; Liberté, op. 158, pour petit orchestre (Musique de scène [final] pour Le Quatorze Juillet de Romain Rolland), 1936 ; Les Eaux vives, op. 160, pour orchestre (musique d’accompagnement pour les « Fêtes de la lumière » à l’Exposition universelle de 1937, commande du ministère du Commerce et de l’Industrie), 1936-1937 ; Victoire de la vie, op. 167, orchestre de chambre (musique pour un film de Henri Cartier sur la guerre d’Espagne), 1938 ; La Cité nouvelle, rêve d’avenir, op. 170, pour orchestre (inspiré de Men like Gods de H. G. Wells, commande de l’État français), 1938.
7 « À cet égard, on sait que Kœchlin – tout en n’étant pas affilié au “Parti” – a souvent témoigné de sa sympathie pour les communistes. » - Kœchlin, « Étude sur Charles Kœchlin par lui-même », La Revue musicale (1981), p. 60.
8 Kœchlin, « Kœchlin par lui-même », p. 60.
9 Charles Kœchlin, « Modernisme et nouveauté », La Revue musicale (juillet 1927), p. 1-13.
10 Roger Delage, « Charles Kœchlin », L’œuvre de Charles Kœchlin - Catalogue, Paris : Eschig, 1975, p. xiii. Dans une lettre à Romain Rolland, Kœchlin précise : « La droiture absolue et l’énergie de franchise des êtres au milieu desquels je vécus depuis mon enfance, et leur bonté, c’est à cela en grande partie que je suis redevable de l’idéal qui m’a soutenu ; à cela, et d’autre part, à un sens inné, indéfectible, de la liberté de l’artiste et du penseur ; liberté à l’égard de l’incompréhension, habitude de juger par soi-même, que je dois à cette origine alsacienne, cette province où l’on déteste le bourrage de crânes, en même temps qu’à la formation protestante (mais de protestant libéra] et non “orthodoxe”) qui me fut autrefois donnée. » - Charles Kœchlin, Lettre à Romain Rolland du 9 janvier 1938, « Correspondance », La Revue musicale (1982), p. 101-102.
11 Voir Duchesneau, « La musique française pendant la Guerre 14-18. Autour de la tentative de fusion de la Société Nationale et de la Société Musicale Indépendante », Revue de musicologie, 82, 1 (1996), p. 123-153.
12 Kœchlin, lettre à Romain Rolland, 8 avril 1937, « Correspondance », p. 100.
13 « On pourrait souhaiter, pour la musique, une cloison étanche séparant art et politique, – une complète liberté de vues et d’inspiration ; mais n’est-ce point, après tout quelque peu illusoire ? » - Charles Kœchlin, « Art et liberté », Contrepoints (1949), p. 113.
14 Compositrice française (née en 1910) qui remporte le prix de Rome en 1929. Elle est chef de chant à la radio entre 1936 et 1939 et contribue à l’essor de la Fédération Musicale Populaire. Elle fera partie de la Résistance française pendant la Seconde Guerre mondiale.
15 Kœchlin, op.cit., p. 113-114.
16 Ibid., p. 114.
17 Lettre de Kœchlin à Paul Collaer, 5 août 1945, « Correspondance », p. 133.
18 Charles Kœchlin, « Sur l’évolution de la musique française avant et après Debussy », La Revue musicale (avril 1935), p. 266-267.
19 Voir Orledge, Charles Kœchlin, p. 204.
20 À titre d’exemples, citons les textes suivants : « Les musiciens et le public » (Le Monde musical, septembre à décembre 1932), « Musique savante... et populaire » (L’Humanité, 6 septembre 1936), « Art et public » (Le Monde musical, octobre 1937), « Art et liberté » (Contrepoints, 1949).
21 Kœchlin, « Art et liberté (pour la tour d’ivoire) », Contrepoints (1949), p. 111.
22 Kœchlin ajoute en note : « On conçoit bien que la beauté du style chez Flaubert n’est pas que rythme en soi, ni seules combinaisons de mots, ingénieusement euphoniques. Elle est cela, mais, elle est encore dans la parfaite concordance de la phrase avec ce qu’elle doit signifier (épithètes, verbes, si scrupuleusement choisis), comme aussi dans l’exacte vérité de la documentation, et tout d’abord dans la poésie et la méditation antérieures : rêve de beauté antique, angoisse du problème philosophique de la vie. Vous saisissez que tout y reste humain, et de combien cela dépasse les extérieures “qualités de forme” à quoi tant de personnes réduisent la perfection de son écriture. »
23 Charles Kœchlin, « De l’Art pour l’Art et de l’état des esprits à ce jour », La Revue musicale (juin-juillet 1937), p. 32-33.
24 Kœchlin, « Art et liberté », Contrepoints, p. 105
25 Ibid., p. 104.
26 C’est dans ses derniers textes parus entre 1945 et 1949 que cette pensée est le plus clairement exprimée : « Quelques vues sur le présent, l’avenir et le passé de la musique française », La Pensée (janvier-mars et avril-juin 1945) ; « La musique atonale. À propos du livre de René Leibowitz : Schoenberg et son école », La Pensée (mars-avril 1948) ; « Art et liberté », Contrepoints (1949). Les propos d’un compositeur de 78 ans pourraient paraître suspects, conservateurs, voire réactionnaires, si l’on ne possédait pas tous les articles qui précèdent ses derniers écrits et qui confirment certaines constantes et, d’autre part, l’évolution de ses idées au fil du temps, évolution qui renforce la contemporanéité de ses propos.
27 Charles Kœchlin, « L’art populaire », conférence inédite de 1917.
28 Charles Kœchlin, La musique et le peuple, Paris : Éditions sociales internationales, 1936, p. 6.
29 « Il serait par trop rationaliste de vouloir ramener la fonction actuelle de la musique immédiatement à son effet, aux réactions des hommes qui lui sont exposés [sic]. Les intérêts qui veillent à ce que de la musique leur soit fournie et le poids propre de ce qui est là, qu’on le veuille ou non, sont trop forts pour qu’ils soient confrontés en tout lieu avec le besoin réel ; dans la musique aussi, le besoin est devenu le prétexte de la sphère de production. » - Theodor Adorno, Introduction à la sociologie de la musique, Genève : Éditions Contrechamps, 1975, p. 47.
30 Il faut ici souligner que par la suite, Kœchlin reprendra à son compte de nombreuses idées de Romain Rolland issues notamment de Jean-Christophe. Dans son « Études sur Charles Kœchlin par lui-même » de 1939, il exprime clairement son intérêt pour les idées sur l’œuvre sociale de Romain Rolland. Cf. « Études sur Charles Kœchlin par lui-même », La Revue musicale (1981), p. 46.
31 Charles Kœchlin, « Des idées de Tolstoï et de R. Rolland sur la musique pour le peuple », conférence médite, 17 mars 1917.
32 Ibid.
33 Charles Kœchlin, « Les musiciens et le public », Le Monde musical (novembre 1932), p. 377.
34 Kœchlin, « Les musiciens et le public », Le Monde musical (décembre 1932), p. 338. Dans sa conférence de 1917 sur les idées de Tolstoï et Rolland sur l’art et le peuple, Kœchlin soulignait l’utopie que représente l’idée des bienfaits de l’art sur la masse qui, en retour, le soutiendrait. Kœchlin songe donc ici, plus concrètement, au soutien réel de l’État.
35 Kœchlin, La musique et le peuple, p. 9.
36 Charles Kœchlin, « Musique savante... et populaire » L’Humanité (6 septembre 1936).
37 Précurseur, il devance dans ses propos ce que bien des artistes d’après-guerre chercheront à faire, soit la « nécessité de l’engagement » de l’artiste au sein d’une nouvelle société. - Michèle Alten, Musiciens français dans la guerre froide (1945-1956), Paris : L’Harmattan, 2000, p. 33.
38 « Pour être nouveaux, ne visez pas au moderne. Mais je n’ai point dit : Ne “soyez pas modernes”. Soyez ce que vous voulez. Entendons-nous. Spiritus flat ubi vult [L’esprit souffle où il veut]. On ne prétend ici que réclamer la liberté d’agir à sa guise ; on ne veut que rappeler l’existence et la légitimé de tant de moyens d’autrefois, l’art d’aujourd’hui les pouvant ressusciter... Modernes ? Mais vous le serez tout naturellement : sans y penser, sans le vouloir – et presque à l’encontre de votre intention première – lorsque l’intuition vous conduira vers ces nouveaux domaines. » - Kœchlin, « Modernisme et nouveauté », La Revue musicale (juillet 1927).
39 Kœchlin, « Des idées de Tolstoï et de R. Rolland ».
40 Voir Nicolas Donin, « Le travail de la répétition. Deux dispositifs d’écoute et deux époques de la reproductibilité musicale, du premier au second après-guerre », revue Circuit Musiques contemporaines, 14, 1 (2003), p. 53-85 et plus spécifiquement les pages 55-58.
41 Charles Kœchlin, « Évolution et tradition : À propos du Pierrot lunaire de M. Schoenherg », Le Ménestrel (17 mars 1922), p. 117-118.
42 Rolland, Jean-Christophe (introduction au roman), Paris : Albin Michel, 1983 (1931 réédition Le livre de poche), p. 12.
43 Dans son autobiographie, Kœchlin souligne l’optimisme qui guide son œuvre : « Il n’est pas douteux que la musique réalisée par lui ne lui soit un soutien, que la joie de créer l’entretienne dans un optimisme sans lequel la vie lui serait fort difficile. L’optimisme dont nous parlons ici ne va point sans des remous, sinon d’absolu pessimisme, du moins de quelque amertume à trouver que les hommes sont bien bêtes, ou bien méchants, ou les deux à la fois. Et la société bien mal organisée. Et le progrès bien lent. Néanmoins, malgré tout, l’optimisme reste le plus fort, et le mirage (si mirage il y a), vainqueur de la désillusion qui le suit. » Charles Kœchlin par lui-même », p. 69-70.
Auteur
Université de Montréal, Canada
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