Chapitre 12. Les Faux-Monnayeurs d’André Gide : les traces d’un discours sur la musique
p. 301-336
Texte intégral
1Les rapports entre musique et littérature, lorsque traités par les musicologues, trouvent en général un écho plus que fortuit du côté d’une analyse immanente, c’est-à-dire d’une interprétation menée dans les limites réflexives du roman et des stratégies poïétiques qui ont conduit à sa réalisation1. Il nous semble en revanche que les musicologues ont beaucoup moins insisté sur la part herméneutique du roman en fonction du contexte sociohistorique, c’est-à-dire sur l’expérience particulière qui en résulte pour les lecteurs mélomanes de l’époque. Tenter de se positionner en ce sens signifierait que le musical représenté dans le roman est conduit vers de nouveaux horizons de compréhension, en mettant en corrélation les stratégies poïétiques et le contexte historique qui les a vues naître.
2La problématique de ce texte peut se résumer à travers l’interrogation suivante : que faire devant ces discours sur la musique que nous offrent bien souvent les romans d’hier comme ceux d’aujourd’hui ? Il devient donc profitable pour le musicologue de prendre en charge la situation historique de laquelle a émergé le roman de manière à établir des correspondances avec les préoccupations musicales ayant environné sa réalisation et sa publication. Donc, tout en tenant compte de la part immanente du roman, des données substantielles peuvent venir enrichir sa compréhension lorsqu’elles sont puisées dans le contexte musical de son époque.
3Pour mener à bien cette entreprise musicologique, nous avons porté notre attention sur un court extrait des Faux-Monnayeurs d’André Gide. Il s’agit d’une discussion entre le vieux La Pérouse et Édouard, rapportée par ce dernier dans le « Journal » qu’il tient. À travers ce dialogue, où La Pérouse tient lieu de maître, s’élaborent les traces d’un discours sur la musique moderne, chargé symboliquement et complexifié par les jeux de miroirs qui s’établissent entre Gide et ses personnages. Ce que nous essaierons de réaliser ici au fond, c’est une tentative d’interprétation de ce passage musical à la lumière des faits et enjeux musicaux de la France des années 1920. La part du travail revient à identifier les concomitances à l’œuvre entre ce discours sur la musique moderne et les enjeux musicaux de l’après-guerre, tout en tenant compte du sujet Gide coincé entre une modernité littéraire et une passion musicale tournée vers le passé. Précisons que Les Faux-Monnayeurs a été écrit entre 1919 et 1925, autant dire durant l’éclosion du néoclassicisme musical français. Le roman est finalement publié en 19252.
LA MUSIQUE DANS LES FAUX-MONNAYEURS
4Avant d’entrer dans l’analyse du passage en question, il n’est pas inutile de rappeler certains faits propres aux Faux-Monnayeurs, ce qui permettra une meilleure compréhension de la présence musicale dans le roman. La grande nouveauté du roman se trouve condensée à travers le personnage d’Édouard, protagoniste central en tant que commentateur du déroulement narratif par l’entremise du « Journal » qu’il tient. L’originalité vient de la mise en abyme que crée ce personnage, écrivain d’un livre qui devra justement s’intituler « Les Faux-Monnayeurs ». Il y a donc un jeu central de miroirs et d’identifications dans ce roman : Gide commente le processus poïétique par l’entremise du personnage d’Édouard.
5Le projet du roman est à la fois vaste et complexe avec des thèmes se déployant dans tous les sens. Gide ne s’en est jamais caché, lui qui a voulu tout insérer dans son roman. Nous pouvons tout de même identifier un fil conducteur. Si nous nous en tenons au titre, Les Faux-Monnayeurs renvoie au commerce des fausses monnaies qu’a connu la France des années 1910. Toutefois, comme l’intrigue des fausses monnaies occupe une place dérisoire dans le roman, et que les idées exprimées par les personnages à travers les dialogues pavent le déroulement narratif, la signification du titre est plutôt d’ordre symbolique et philosophique. En effet, comme l’a démontré Daniel Moutote3, ce roman de Gide s’inscrit dans la postérité de la philosophie nietzschéenne, interpellant ainsi la crise des valeurs que connaît l’Europe depuis la perte d’autorité des grands systèmes religieux4. Gide commente cette crise des valeurs à sa façon, notamment en la faisant coïncider avec une crise de la représentation. Le thème de la fausse monnaie signifie que la représentation véritable, la monnaie-or ou la valeur authentique, tend à être dévaluée et discréditée par des fossoyeurs. À travers la construction des personnages et des idées exprimées, Gide prône une sincérité des plus authentiques quant à la nature humaine.
6Pour qualifier ce roman, Pierre Chartier parle de « roman-carrefour5 », c’est-à-dire d’un roman qui se consolide autour d’un « rendez-vous de problèmes6 ». Si des thèmes aussi variés que la religion, la psychanalyse et les sciences de la nature figurent dans ce roman, la musique y prend aussi une place particulière. Cette place est toutefois minorée, surtout si on la compare à la présence des thèmes d’ordre littéraire. En fait, c’est le personnage de La Pérouse qui assure une présence musicale dans le roman. Dans la majorité des situations, le vieux La Pérouse nous est rendu à travers le « Journal » que tient Édouard. Nous savons entre autres qu’il est professeur de piano en fin de carrière.
7Éclairé par la mythologie gidienne, nous savons également que ce personnage a été inspiré par l’un des professeurs de piano les plus chers à Gide, Marc de la Nux. Déjà à partir de 1902 dans le Journal que tient Gide, son professeur de piano est identifié par ce nom romanesque de La Pérouse7. L’important ici est de comprendre l’influence considérable qu’a exercée ce professeur de piano sur le romancier. Ce personnage est donc construit à travers une dialectique de l’identification et de la distanciation. Cela a pour conséquence que dans le dialogue sur la musique qui s’établit entre Édouard et La Pérouse, le lecteur ne peut clairement affirmer si Édouard représente bien Gide et La Pérouse, son vieux professeur. Comme le rapporte Pierre Chartier : « Ne semble-t-il pas que Gide et La Pérouse échangent là secrètement leurs rôles8 ? » Rappelons ici que Gide a hésité entre la carrière de pianiste et la carrière d’écrivain. Nous savons aussi la place prépondérante qu’a occupée la musique dans sa vie : ses Notes sur Chopin (1949) et ses différentes notes sur la musique en sont les signes les plus palpables aujourd’hui9. Et nous approfondirons plus loin sa relation pour le moins problématique avec la musique de son temps.
8Venons-en au passage sur la musique moderne, que nous citons intégralement :
La discussion continua ainsi quelque temps rapporte Édouard ; et comme je comparais alors cet événement pathétique à tel déchaînement des instruments à cuivre dans un orchestre :
« Par exemple, cette entrée de trombones, que vous admirez dans telle symphonie de Beethoven...
« - Mais je ne l’admire pas du tout, moi, cette entrée de trombones, s’est-il écrié avec une véhémence extraordinaire. Pourquoi voulez-vous me faire admirer ce qui me trouble ?
Il tremblait de tout son corps. L’accent d’indignation, d’hostilité presque, de sa voix, me surprit et parut l’étonner lui-même car il reprit sur un ton plus calme :
« Avez-vous remarqué, que tout l’effort de la musique moderne est de rendre supportables, agréables même, certains accords que nous tenions d’abord pour discordants ?
« - Précisément, ripostai-je ; tout doit enfin se rendre et se réduire à l’harmonie.
« - À l’harmonie ! répéta-t-il en haussant les épaules. Je ne vois là qu’une accoutumance au mal, au péché. La sensibilité s’émousse ; la pureté se ternit ; les réactions se font moins vives ; on tolère, on accepte...
« - À vous entendre, on n’oserait même plus sevrer les enfants.
Mais il continuait sans m’entendre :
« Si l’on pouvait recouvrer l’intransigeance de la jeunesse, ce dont on s’indignerait le plus c’est de ce qu’on est devenu.
Il était trop tard pour nous lancer dans une discussion théologique ; je tentai de le ramener sur son terrain :
« Vous ne prétendez pourtant pas restreindre la musique à la seule expression de la sérénité ? Dans ce cas, un seul accord suffirait : un accord parfait continu.
Il me prit les deux mains, et comme en extase, le regard perdu dans une adoration, répéta plusieurs fois :
« Un accord parfait continu ; oui, c’est cela : un accord parfait continu... Mais tout notre univers est en proie à la discordance, a-t-il ajouté tristement.
Je pris congé de lui. Il m’accompagna jusqu’à la porte et, m’embrassant, murmura encore :
« - Ah ! comme il faut attendre pour la résolution de l’accord10 ! »
9Nous nous en tenons pour le moment à deux interprétations possibles. Dans un premier temps, ce passage sur la musique prend racine dans les nombreuses réflexions sur l’art accompagnant le roman. Ne l’oublions pas, Édouard est écrivain et il est absorbé dans un processus de création. Il se questionne à de nombreuses reprises sur la destinée de l’art, sur la meilleure façon d’écrire un roman actuel. Dans un second temps cependant, le dialogue fait intervenir le thème de la dégradation des valeurs par l’entremise d’adjectifs aux préoccupations philosophiques et morales. Cette accoutumance à la discordance est rapportée par La Pérouse comme une chose s’apparentant à un péché odieux. Le dialogue joue sur cette dialectique du bien et du mal entre les musiques passées et modernes, entre la consonance et la dissonance. Même si Édouard tente d’intervenir pour convaincre La Pérouse qu’il ne saurait y avoir de conclusion aussi incisive devant une question fort complexe, c’est tout de même le vieux La Pérouse qui conclut avec l’idée d’un accord parfait continu, éloge en quelque sorte d’une musique classique idéale, peut-être celle du XVIIIe siècle. Assurément, le passage, surtout vers la fin, laisse supposer également que nous avons affaire à un illuminé aux propos conservateurs dissimulés derrière une aberration11. Il est fort intéressant de noter qu’à ce moment, la musique se trouve renvoyée sur le terrain des valeurs, c’est-à-dire comme métaphore servant à désigner des enjeux culturels et historiques. Son arrivée vient ainsi créer une dichotomie entre ce qui est ancien, et d’une certaine façon magnifié dans une valeur absolue, et ce qui est de l’ordre du nouveau, autant dire hostile et iconoclaste par rapport aux valeurs fondées. En fait, la position herméneutique de l’analyse commande qu’on dépasse l’idée d’un simple discours réactionnaire, bien qu’a priori l’interprétation converge en ce sens. S’en tenir à cette interprétation nous empêcherait finalement d’y entrevoir une réverbération plus complexe, surtout du côté de la position que défend Édouard.
10Par ailleurs, cette réflexion est bien conduite sur le terrain de l’art, c’est-à-dire le lieu par excellence de la nouveauté, thème qui préoccupe Gide au plus haut point dans la période d’après-guerre12. Si la musique est prise en exemple ici, cela ne saurait être fortuit, puisque cette dernière subit de profonds changements depuis la fin du XIXe siècle, surtout avec l’arrivée de l’impressionnisme et de l’expressionnisme. On pourrait en dire autant en littérature et dans les autres arts avec le symbolisme, le fauvisme et j’en passe. Cela, Gide le sait bien, et il sait aussi toute la place qu’occupe la nouveauté artistique à son époque, temps de l’apologie du progrès artistique, alors que sur le plan social, l’art ancien est souvent représenté comme la valeur par excellence. Mais pour Gide, comme le rapporte à nouveau Chartier, le processus de création comporte toujours une part de danger, associée ici au diable : « Le Diable, selon Gide, est le “Raisonneur”, l’intellectuel pervertisseur (...) inscrit au centre de la conscience réflexive, principe fécond et redoutable d’articulation et de négation13. » La création se situe donc à mi-chemin entre les fausses valeurs et les véritables valeurs, entre Dieu et le Diable, entre la consonance et la dissonance. Le processus créatif est en fait un affrontement des deux forces, pouvant toujours basculer d’un côté comme de l’autre. Et en tenant compte de cette dualité à l’œuvre au sein de la création artistique, nous pourrions supposer qu’à travers le dialogue sur la musique, Gide expose ce côté voilé du processus poïétique : les valeurs placées au fondement de l’œuvre ne doivent pas être prises à la légère, puisqu’en résultera un sens particulier. Cette extrapolation, bien que poussée, permet néanmoins d’éclairer le travail dialectique auquel s’adonne Gide à travers ce discours situé entre une nouveauté à légitimer (dissonance) et un passé placé sous le signe d’un moment indépassable (consonance). Ainsi, l’analyse peut aller plus loin en tentant de déchiffrer les niveaux de signification et de représentation sur lesquels joue l’extrait.
GIDE ET LA MUSIQUE DE SON TEMPS
11Un approfondissement de la relation de Gide à la musique de son temps, bien qu’elle s’avère problématique, voire ambiguë à bien des égards, nous permettra de conduire l’interprétation du passage rapporté à la lumière des réalités et des enjeux musicaux de la France musicale des années 1920. Le dépouillement de la littérature musicologique consacrée au néoclassicisme musical français et à la période musicale de l’entre-deux-guerres donne une bonne idée de la récurrence du nom de Gide dans les index thématiques. Qu’on ne s’y trompe pas cependant ! Cette récurrence va de soi dans la mesure où Gide se présente comme un écrivain majeur de la première moitié du XXe siècle, notamment par sa position privilégiée en tant que collaborateur à La Nouvelle Revue française et de l’influence artistique qu’il exerce sur toute une époque. Aux côtés des Claudel, Copeau, Joyce, Proust, Rivières, Valéry, et plus tard des écrivains surréalistes, Gide forme ce que nous pourrions identifier comme l’avant-garde littéraire française de l’époque. Il n’est donc pas étonnant que son nom revienne fréquemment dans la littérature musicologique du XXe siècle : des parallèles ou des accointances sont alors établis entre le milieu musical et l’écrivain qui participait aux réseaux artistiques de l’époque. Et des liens entre musique et littérature, l’époque de l’entre-deux-guerres en fournit de nombreux exemples, à commencer par la collaboration entre Cocteau et les Six, celle entre Milhaud et Claudel, entre Honegger et Valéry ou entre Stravinsky et Gide. Bref, parce que la France artistique de l’époque est en pleine ébullition et que l’heure en est aux collaborations les plus diverses – surtout que pour les Six, la relation au texte demeurait une priorité –, la rencontre du musical et du littéraire s’avère un axe prépondérant pour comprendre cette époque et bien l’étudier. Nombre d’ouvrages musicologiques consacrés à l’époque abondent en ce sens. À titre d’exemple, l’ouvrage Paris. The Musical Kaleidoscope 1870-192514 consacre un chapitre entier aux rapports existant à l’époque entre écrivains et musiciens, et surtout à l’intérêt que portent les premiers au fait musical. Tout cela suppose que les intérêts artistiques du moment s’inscrivent dans une interdisciplinarité artistique tissée de manière serrée. Si toute époque a vu naître des relations entre les différents arts, encore faut-il voir quand ces relations ont tendance à se multiplier dans des collaborations riches pour l’époque en question, comme ce fut le cas avec les ballets néoclassiques ou l’évocation des formes lyriques durant les années 1920.
12Ce parallèle entre la musique et les écrivains durant la période de l’entre-deux-guerres nous fournit aussi la réponse à la présence de Gide dans les ouvrages musicaux consacrés à l’époque. En fait, comme Gide tenait lieu d’écrivain incontournable durant cette période, son influence se faisait ressentir sur plusieurs plans. C’est ce qui explique le fait que les musiciens de l’époque ont non seulement mis les textes de Gide en musique, mais les lisaient régulièrement tout en le vénérant. Dans ses mémoires, Jean Wiéner dira ceci : « Dans les poches de mon long manteau noir il y avait des livres de Claudel, de Gide ou de Francis Jammes, qui étaient nos auteurs préférés à l’époque et que j’eus la chance de rencontrer plus tard rue Gaillard, chez Darius15. » Et justement, il s’avère qu’à l’époque, soit à la fin des années 1910, ce sont aussi les trois écrivains préférés de Milhaud, comme ce dernier le confirme dans ses entretiens avec Claude Rostand : « Oui, Jammes, Claudel et Gide ont été les véritables idoles de ma jeunesse16. » Cet intérêt pour Gide se manifeste à deux reprises chez Milhaud. D’abord, composée en 1913 puis créée en 1919, La Porte étroite de Gide inspire à Milhaud la cantate Alissa, op. 9. Par la suite, en 1917, Milhaud composera la cantate Le Retour de l’enfant prodigue, op. 42, sur le texte de Gide portant le même nom. Mais les relations les plus fructueuses pour Milhaud se réaliseront avec Claudel. Quant à la relation Honegger-Gide, elle a pris forme à travers le texte Saül, mis en musique en 1922. Et c’est le même écrivain qui lui fournit une traduction d’Hamlet de Shakespeare en 1946. Nous pourrions également situer dans ce cadre historique les quelques échanges qu’a eus Gide avec Poulenc, tels que rapportés dans les correspondances de ce dernier17. Bref, ces faits démontrent avec évidence que les Six connaissent Gide. Toute la question reste à savoir si on peut véritablement affirmer le contraire, à savoir jusqu’à quel point Gide a porté un véritable intérêt au néoclassicisme musical tel qu’il est représenté par les Six, ce que nous aborderons après avoir souligné une collaboration importante de l’époque.
13Dans les faits retenus par la postérité, la relation de Gide à Stravinsky semble avoir marqué beaucoup plus les consciences, notamment parce qu’elle a donné lieu à Perséphone en 1934, donc à une véritable collaboration. Cette relation n’est pas évidente à cerner, bien que certains commentateurs, comme Lepape18 par exemple, laissent supposer qu’il y aurait eu une amitié entre les deux. Dans tous les cas, c’est certainement ce que nous pourrions appeler une amitié de circonstances, puisqu’elle prend fin abruptement avec la création de Perséphone, Gide exprimant son désaccord avec les choix poïétiques de Stravinsky. La polémique tient au fait que Stravinsky a défendu une entière liberté de la musique par rapport au texte poétique de Gide19. L’écrivain ne voyait pas les choses du même œil, lui qui aurait voulu que la métrique du texte soit respectée. Comme le laisse entendre Faure20, le dénouement était sans issu si on tient compte des positions politiques et sociales divergentes des deux artistes. Tout l’épisode historique autour de cette œuvre est rapporté de façon probante par White21, ce qui nous dispense d’en parler davantage. Ce qui importe ici de savoir, c’est que tout comme les Six, Stravinsky lisait Gide et le connaissait personnellement. Dans sa Poétique musicale par exemple22, il fait allusion à la position esthétique de Gide en ce qui a trait à l’idée d’un romantisme dompté23. Nous retrouvons également à l’occasion dans la littérature certains faits rapportant des rencontres diverses : dans un chalet suisse en 191724 ou à l’audition de Mahagonny de Weill en 193225. Dans tous les cas, les deux hommes se connaissaient, bien qu’il faille nuancer cette amitié et ajouter qu’elle semblait plutôt le fait d’un concours de circonstances dans les lieux fréquentés par l’avant-garde artistique de l’époque.
14Maintenant que la relation de Gide aux musiciens de son temps fut appréhendée en amont, plaçons-nous en aval de manière à cerner les informations du vécu gidien susceptibles de nous proposer un autre éclairage quant à cette relation. Les informations que nous possédons peuvent être regroupées en deux temps, puisque Gide, faut-il le rappeler, a vécu en long et en large le premier XXe siècle français. D’abord, en ce qui a trait à la période allant de la fin du XIXe siècle à la Première Guerre, les traces historiques laissent croire en un réel rapprochement entre Gide et l’avant-garde musicale de l’époque. Il est rapporté par exemple que Gide pratiquait entre autres « quelque pièces de Debussy26 », qu’il travaillait la Sonate pour piano et violon de Magnard et qu’il connaissait personnellement Dukas. Mais les deux compositeurs qui semblent le plus près de ses goûts dans le temps sont plutôt Albéniz et Fauré avec leurs œuvres pianistiques. D’un autre côté, l’absence de tout commentaire quant à la création de Pelléas, comme le souligne Jean-Aubry27, laisse plutôt songeur. Dans tous les cas, Gide, parmi d’autres écrivains, fréquentait les lieux de l’avant-garde musicale : on le voit à la S.M.I. autour de 191028 et on le sait donner son soutien à l’arrivée des Ballets russes à Paris en 190929. Ensuite, de nombreux témoignages viennent également confirmer la présence de Gide dans les lieux musicaux de l’entre-deux-guerres. On sait par exemple, à travers les écrits de Wiéner30, que Gide fréquentait en 1920 le Gaya en compagnie d’artistes tels Diaghilev, Picasso, Satie et plusieurs autres, tel que le rapporte Hurard-Viltard31. Assurément, Gide connaissait les Six et surtout Cocteau. Nous savons par exemple que Milhaud et lui s’étaient rencontrés au Foyer franco-belge lorsque la guerre éclata en 191432. Nous savons aussi qu’il assista à la création de Dit des jeux du monde d’Honegger en 191833. De même, Gide a laissé de nombreux commentaires sur Cocteau dans son Journal, dont un extrait que rapporte Auric dans la préface du Coq34, où on apprend que Gide a assisté à la première de Parade. Ce dernier lui a, entre autres, inspiré le personnage de Passavant dans Les Faux-Monnayeurs, façon de prendre une distance par rapport à son cadet en le parodiant. Cocteau n’est pas tant honnis pour la popularité qu’il connaît que pour les idées qu’il défend en tant qu’artiste profiteur et contemplateur de modes éphémères aux valeurs douteuses35. Le tout ne sera pas sans agacer Cocteau, comme il le rapportera à Poulenc dans sa correspondance : « Gide m’a envoyé une lettre étrange. Comment fait-il pour blâmer toutes mes idées et prétendre à la fois que je les lui dois36 ? » Or, cela ne doit pas faire oublier qu’à la même époque, Gide a aussi salué la collaboration de Cocteau et Honegger pour la création d’Antigone en 192237.
15En abordant cette relation mitigée à Cocteau, où Gide le critique et le salue à la fois, de par son autorité intellectuelle, nous touchons à la relation problématique qu’il semble vivre avec l’art moderne et, surtout, la musique française de l’époque. Encore une fois, l’absence de commentaires sur les productions musicales majeures nous en dit beaucoup sur la distance que prend Gide en ce qui a trait à la création musicale moderne. Nous savons qu’il a été critique, surtout en portant des jugements sévères à l’endroit de Milhaud et Honegger38. Pourtant, si tout porte à croire que Gide n’appréciait pas cette musique, il a salué en revanche l’Antigone d’Honegger-Cocteau. Cette relation ambiguë se confirme à la lecture des lettres qu’il échangera avec Poulenc durant l’année 1939 :
J’ai pour vous et vos œuvres une sympathie très vive. Il se trouve même que, par un merveilleux concours j’étais tout occupé de vous (ou : par vous) ces derniers jours : un jeune (de 40 ans !) pianiste russe, qui participe ainsi que moi à la « décade » de Pontigny sur les réfugiés, qui nourrit à votre égard une prédilection passionnée, m’entretient au piano de votre Presto en si b, de votre Sixième Nocturne, de votre Mouvement perpétuel, de votre Improvisation en la b (...) de quoi me faire regretter un peu plus d’avoir lâché mon piano depuis cinq ans39.
16Et nous pourrions poursuivre cette série de contradictions où Gide semble hésiter entre une indifférence passagère et un intérêt à l’avenant. Nous avons vu plus haut qu’il avait accueilli avec enthousiasme, en compagnie de Stravinsky, la création française de Mahagonny de Weill. À l’opposé, il réfutera totalement le Perséphone de Stravinsky, sans même avoir entendu le produit final. Assurément, Gide, en jouant l’aîné un peu pédant, porte un regard amer dans bien des cas sur les jeunes musiciens de l’époque, comme le donne à penser Milhaud dans ses entretiens avec Claude Rostand :
Gide ne manifesta pas d’abord, comme vous le faites, un enthousiasme particulier pour cette musique, puisque, après avoir entendu Alissa chantée par Jane Bathori, il me félicita dans les termes suivants : « Je vous remercie de m’avoir fait sentir si belle ma prose40 ».
17Comment s’y retrouver aujourd’hui dans cette relation de Gide à la musique de son temps ? Une ambiguïté foncière caractérise d’abord cette relation en ce qu’elle se déploie dans des paradoxes qui vont tantôt dans le sens d’un assentiment (Poulenc et Antigone par exemple), tantôt dans le sens d’un refus net (Milhaud, Perséphone, l’attitude de Cocteau qui caractérise tant l’époque). Dans le même mouvement, les bribes de commentaires rapportés ça et là viennent réfuter l’idée d’une méconnaissance de la musique française des années 1910 et 1920. En fait, bien qu’on ne puisse guère affirmer qu’il était un mélomane averti, à tout le moins peut-on dire qu’il faisait partie du public suivant les productions contemporaines des premières décennies du XXe siècle. Et au fond, on pourrait aussi affirmer que cette ambiguïté est tout à fait légitime : l’écrivain Gide devait-il tout apprécier de son époque ? Une telle interprétation oublierait carrément deux choses : l’écrivain critique que fut Gide par rapport à l’engagement total dans la défense d’un certain art tourné vers un classicisme idéal ; la contradiction qu’il a cultivée toute sa vie par rapport à ces mêmes principes, qui se retrouverait dans son rapport à la culture en général.
18D’autres faits expliquent aussi cette distance critique qu’il affiche vis-à-vis de la musique française de son temps. Une explication réside dans le fait que l’écrivain est attiré vers les musiques non occidentales durant les années 1920. Il arrive fréquemment qu’il commente les révélations musicales qui l’intriguent au plus haut point au contact d’autres cultures. En témoigne l’extrait sur les musiques et les danses au Tchad rapporté par La Revue musicale en décembre 192741, extrait repris dans Retour du Tchad (1928). Jean-Aubry a discuté de cet intérêt de Gide pour les musiques extra-occidentales, notamment en faisant allusion à sa rencontre avec les modes orientaux en Algérie et en Tunisie et au plaisir qu’il a eu à entendre des chants venus d’ailleurs42.
19Mais la véritable raison demeure plus profonde. L’ambiguïté révélée ici s’expliquerait entre autres par la place qu’occupent dans sa vie le piano et le répertoire musical du passé. Dans cette optique, l’art moderne prend très peu de place et n’arrive pas à égaler ce qui fut consacré par la tradition. Comme le rapportait Meylan en confirmant son rapport problématique à la modernité : « Il excommunie presque totalement les modernes43. » Comme nous l’avons vu, ce comportement se manifeste entre autres à travers le quasi-mutisme de Gide quant aux faits et événements musicaux de son époque : ses notes sur la musique s’en tiennent toujours à la compréhension des compositeurs passés et du répertoire pianistique. Autant dire finalement que les goûts musicaux de Gide, ou du moins ses préférences, se situent à la fois dans une optique française et classique. C’est pourquoi il en revient incessamment à Bach et à Mozart et qu’il voit en Chopin l’accomplissement idéal de l’artiste. Mais ce dernier n’est pas tant loué pour son romantisme que pour son classicisme. En effet, l’écrivain voit en Chopin une manière simple de s’exprimer, visant l’essentiel, ce qui revient à occulter considérablement l’apport romantique de son œuvre. Autrement dit, cet intérêt pour Chopin penche en faveur d’un Gide préoccupé avant tout par la recherche d’un classicisme musical idéal. De même, est magnifié le répertoire pour piano au détriment du répertoire pour orchestre ou pour grand ensemble. Les Bach, Mozart, Chopin, Schumann et Albéniz font partie de son univers musical immédiat. C’est une chose qu’on oublie trop souvent chez Gide : sa relation à la musique se vit à travers l’amour et tout le plaisir que lui procure le jeu pianistique, sorte de lieu où il atteint la perfection émotionnelle et l’extase à travers l’intimité44. C’est pourquoi d’ailleurs les écrits sont d’une justesse saisissante quant à l’art du piano et beaucoup plus taciturne quant aux grandes productions.
20Finalement, ce rapport ambigu à la musique de son temps n’est-il pas exprimé de manière condensée dans l’extrait des Faux-Monnayeurs rapporté plus haut ? Assurément, ce dialogue entre Édouard et La Pérouse se déploie dans un entre-deux où passé et présent sont rapportés dans une dialectique servant à démystifier l’un au profit de l’autre. Mais dans le même mouvement, cette ambiguïté prend forme dans l’opposition que manifeste Édouard, c’est-à-dire Gide lui-même, à des propos jugés conservateurs et beaucoup trop caustiques à ses yeux (« À vous entendre... »). En fait, c’est Gide lui-même qui est pris dans cette ambiguïté, voire ce paradoxe exprimé à travers son discours et si réellement vécu dans sa relation à la musique de son temps, via les milieux avant-gardistes, la musique pour piano et l’intimité du quotidien. Prendre en considération cette distance par rapport à la musique de son temps, c’est comprendre pourquoi, au moment même où Gide écrit Les Faux-Monnayeurs, l’Art de la fugue de Bach préoccupe sa pensée45. Pourtant, les propos d’Édouard, beaucoup plus sensés du côté des rapports entre consonance et dissonance, prennent tout de même la défense de la musique moderne, puisqu’il joue bel et bien à l’avocat du diable face à La Pérouse. Cette ambiguïté, Gide l’a exprimée plus tard dans un extrait des Notes sur Chopin :
Ne prétendant plus à la consonance et à l’harmonie, vers quoi s’achemine la musique ? Vers une sorte de barbarie. Le son même, si lentement et exquisement dégagé du bruit. (...) Mais qu’y faire ? Quelle folie de chercher à s’opposer à cette marche fatale ! Dans la musique moderne les intervalles consonants de jadis nous font l’effet de « ci-devant46 ».
21On pourrait voir dans cette courte réflexion un condensé de l’extrait des Faux-Monnayeurs. Bien qu’il faille tenir compte que cette réflexion est produite à la fin de sa vie, soit à un moment où la musique avait littéralement changé de visage, ces propos tendent plutôt à confirmer l’éloignement progressif qu’avait pris Gide face à la musique de son temps. On dénote dans cette réflexion une forme de cynisme, de marche inévitable vers une fatalité recherchée par les musiciens. N’est-ce pas au fond ce que dit La Pérouse à sa façon ? Assurément, cette réflexion sur la musique moderne et l’extrait du livre de 1926 attestent d’un déplacement allant dans le sens d’un Gide personnifié par La Pérouse. Tout se produit dans l’extrait comme si Édouard par l’intermédiaire de Gide, en relation avec les milieux avant-gardistes de l’époque, avait senti le besoin de défendre ce qui lui apparaissait comme incontournable et légitime, alors que cette certitude oblitérerait la fin de sa vie. Mis en relation avec ses préférences musicales (le piano), nous pouvons en conclure que Gide valorisait plutôt une musique de style classique, qui a eu pour conséquence de l’éloigner de la création musicale moderne.
22En bout de ligne, cette incursion dans le vécu musical de Gide nous permet de mieux appréhender l’écrivain de l’après-guerre. En fait, Édouard adopte bel et bien une position mitoyenne, variation de l’ambiguïté détectée plus haut : tout en s’inquiétant de la course inévitable vers la dissonance, il voit bien par le fait même qu’on ne saurait s’y opposer tant elle est constante, ce qui force ainsi le mélomane à s’y accoutumer. L’interrogation exprimée à travers le dialogue rapporté par Édouard appartient donc en propre à Gide mélomane et écrivain. Et cette interprétation d’une consonance nécessaire pour tempérer les ardeurs du progrès musical est tout à fait plausible dans la perspective des goûts musicaux qu’il a exprimés tout au long de sa vie. Il s’ensuit que dans l’optique de la thématique artistique développée dans le roman, les faux-monnayeurs peuvent aussi être présents en musique. Le discours de La Pérouse ne suggère-t-il pas qu’il y aurait falsification sur le plan de la musique moderne ? Quant à Édouard, il voudrait réaliser un roman qui s’apparente à l’Art de la fugue : « Je ne vois pas pourquoi ce qui fut possible en musique serait impossible en littérature, nous dit-il47 », autre manière de tempérer le modernisme de façon à tenir compte des exigences issues de la tradition artistique. Ce que permet le personnage de La Pérouse en fin de compte, c’est un dédoublement des idées que Gide lui-même se fait de la musique moderne, c’est-à-dire une mise en forme de l’ambiguïté qu’il vivait envers la musique de son temps48. Aussi insensée que soit cette position de La Pérouse, elle permet néanmoins d’exprimer une distance critique de manière métaphorique. Ainsi, si Édouard représente l’écrivain qu’est Gide en discourant sur l’importance de la nouveauté, en revanche, le déplacement vers La Pérouse renverrait au musicien Gide (éloignement progressif) qui s’inquiète de la direction que prendra l’art moderne en se vouant exclusivement au culte de la nouveauté. À travers les deux personnages se crée donc une unité propre au dédoublement que permet la vie de Gide séparée entre la création littéraire et la musique, c’est-à-dire entre un présent à conquérir en art et un passé musical vécu au quotidien, lieu d’une foncière ambiguïté exprimée dans la relation à la musique de son temps.
ENTRE CLASSICISME ET MODERNISME
23Tentons maintenant un rapprochement entre Gide et la musique de son temps à l’époque de l’écriture des Faux-Monnayeurs, puisque des concomitances peuvent être effectuées sur la base d’intérêts communs vécus dans le milieu artistique de l’époque. Une explication de l’extrait analysé sera donc tentée en fonction du contexte dans lequel il a pu prendre une signification particulière. Comme rapporté à maintes reprises plus haut, nous savons que Gide fréquentait des lieux et des espaces culturels où se réunissaient peintres, écrivains, musiciens et artistes de tout horizon habitant le Paris des années 1910 et 1920. Il y a donc un réseau implanté qui rassemble les artistes autour de préoccupations communes, à tout le moins autour d’intérêts, puisqu’on imagine bien que ces artistes devaient rechercher une compagnie agréable. Toutefois, parler d’une communauté d’esprit avec pour seul fait la rencontre dans des lieux fréquentés par tous à une certaine époque serait exagéré : l’adhésion des uns aux autres ne va certainement pas de soi. Parler de préoccupations et d’intérêts communs pour les artistes gravitant autour des mêmes lieux serait plus juste : on imagine bien les voir discuter de sujets les passionnant et des enjeux de leur art respectif. C’est seulement en tenant compte de cette relation dans le champ culturel qu’il sera possible de faire un rapprochement entre Gide et les musiciens néoclassiques français de son temps. Après tout, Gide et ces musiciens ont participé aux années 1920 dans un Paris habité par ce qu’on a pu identifier comme un « retour à l’ordre » en art49.
24Abordons ce rapprochement par des généralités qui confirment les intérêts communs entre Gide et les musiciens de l’époque. Tout comme Cocteau dans Le Coq, les Six en général et une bonne partie de l’élite française musicale d’alors, Gide a toujours exprimé son dégoût quant au personnage de Wagner. Écoutons l’écrivain : « J’ai la personne et l’œuvre de Wagner en horreur ; mon aversion passionnée n’a fait que croître depuis mon enfance. Ce prodigieux génie n’exalte pas tant qu’il n’écrase. (...) L’Allemagne n’a peut-être jamais rien produit à la fois d’aussi grand et d’aussi barbare50. » En fait, chez Gide comme chez Cocteau, cela se ressent par un dégoût généralisé pour les musiques germaniques, exception faite de celles du XVIIIe siècle et du début de l’ère romantique. Cette adhésion de Gide à une valeur partagée par plusieurs nous conduit vers une autre tout aussi répandue. Tout comme les Six et plusieurs musiciens de l’époque, à commencer par Kœchlin, Roland Manuel ou Stravinsky, les préférences de Gide vont dans le sens d’une musique tournée vers les valeurs classiques. Au pathos romantique et à l’exacerbation du sentiment, Gide oppose un art construit sur la recherche d’harmonie, d’équilibre et de précision. Bref, tout comme plusieurs compositeurs à l’époque (nous en verrons un exemple plus tard), Gide est aussi tourné sur le plan musical vers des valeurs s’accordant avec un classicisme propre au XVIIIe siècle. Rappelons qu’il ne loue pas tant Chopin pour son romantisme que pour le classicisme de ses lignes mélodiques.
25À partir de ce constat, certains auteurs ont proposé de tièdes rapprochements entre Gide et les Six. Les deux exemples choisis ici reviennent à mettre Gide et Milhaud dos-à-dos. Kelly51, en se basant sur les réflexions de Gide promues dans Incidences, parle de l’importance chez Gide de mettre en évidence le fait que le classicisme et l’esprit français ne font qu’un. La musicologue effectue alors un rapprochement sur la base d’une argumentation commune : dans les deux cas, le romantisme légué par la tradition artistique doit être enchâssé dans un idéal classique à même d’assurer une véritable cohérence. L’autre exemple prend plutôt la forme d’un commentaire suggestif : « Lisez La Symphonie pastorale de Gide et écoutez la sonate de Milhaud, vous percevrez l’émouvante correspondance d’âme52. » Les propos de Collaer suggèrent que ce rapprochement, que nous tentons aujourd’hui, ait eu une résonance plus que fortuite dans les mentalités culturelles de l’époque.
26Ces deux exemples nous permettent de faire un saut en affirmant que, sur le plan artistique, Gide revendique des intérêts s’apparentant à ceux des compositeurs néoclassiques de l’époque, Stravinsky et les Six plus particulièrement53. Ce n’est pas un hasard si Stravinsky se réfère aux réflexions esthétiques de Gide dans sa Poétique musicale54. Le compositeur, certainement par l’entremise de Roland-Manuel, sait très bien que Gide a exprimé des idées majeures sur le rapport entre classicisme et romantisme, et surtout sur le travail que doit réaliser l’artiste pour en arriver à une œuvre parfaite, c’est-à-dire domptée en fonction de l’idéal classique recherché. C’est que, comme le rapporte Lepape55, le style littéraire de Gide, tout comme le style musical des musiciens néoclassiques français, se situe à mi-chemin entre classicisme et modernisme à travers la recherche d’une écriture caractérisée à la fois par une singularité et un passé idéalisé comme valeur suprême. L’écriture classique des Faux-Monnayeurs peut servir d’exemple, comme le rapporte Daniel Moutote : « Le classicisme de l’écriture de ce roman consiste en ceci que jamais, en ses plus grands écarts, elle ne s’éloigne d’une stricte correction, qui se situe un peu au-dessus du langage courant, et qui l’apparente en un sens au langage des personnages de Racine56. »
27Partant de là, il est possible d’affirmer que Gide et les compositeurs néoclassiques de son temps partagent quatre traits communs : le recours à des idiomes du passé, la stylisation, la clarté du geste et la recherche d’harmonie57. Comme eux d’abord, l’art du passé tient lieu de réflexion et d’inspiration face à la création artistique de son temps : les maîtres représentent des modèles incontournables. Il s’ensuit plusieurs emprunts aux formes et techniques du passé, mais toujours avec une distance qui permet de leur assigner une nouvelle utilité : la carrure rythmique ou les formes du XVIIIe siècle chez les néoclassiques, comme l’utilisation d’une prosodie sans emphase littéraire et des dialogues allant à l’essentiel chez Gide. Tout comme Gide, les Six et Stravinsky tentent aussi d’implanter un style idéal, commun à tous et fondé sur des valeurs pérennes. Au fond, la stylisation se résume ici à la recherche de règles58 pouvant assumer à l’art un épanouissement sur le long terme et une entière compréhension chez le public : les codes ayant fait leur preuve par le passé joueront le rôle d une communication partagée. En ce sens, Stravinsky s’est tourné vers les modèles du passé (Bach, Beethoven, Pergolèse, etc.) de manière à pouvoir dégager des traits stylistiques à réinventer, alors que Gide lit les Goethe, La Bruyère, Montaigne et réfléchit sur l’idéal à atteindre dans l’écriture de son roman à partir des exemples de Stendhal et Balzac59. Quant à la clarté du geste, Gide et les compositeurs néoclassiques ont mis en valeur une écriture dépouillée, loin de toute effusion lyrique ou de pathos exacerbé. Dans les deux cas, il y a un désir de précision, de viser l’essentiel afin que l’équilibre entre contenant et contenu soit toujours maintenu, ce que Gide a résumé par cette formule : « La pureté, en art comme partout, c’est cela qui importe60. » Enfin, tous ces traits convergent dans la recherche d’une harmonie à laquelle doit parvenir la forme artistique. Parce qu’au fond, cette stylisation commune à Gide et aux néoclassiques français se consolide autour d’une recherche de cohérence, d’équilibre, voire de naturel. En s’éloignant dans un cas du debussysme et du germanisme musical (cela est moins vrai pour Honegger), dans l’autre cas d’une écriture avant-gardiste jugée trop compliquée (Joyce par exemple), la clarté de l’écriture se concentre ici autour d’une recherche d’unité et de cohérence intrinsèque à l’esthétique classique : tout doit tendre vers l’équilibre pour atteindre l’idéal voulu. Ce qui fait que d’un côté comme de l’autre, le passé devient un moment de réflexion en vue de concevoir l’œuvre idéale et en vue de réinventer des procédés en leur assignant une nouvelle fonction (la mise en abyme comme l’idée de fugue chez Gide ou le contrepoint chez les néoclassiques par exemple).
28Sur le plan artistique, Gide s’avère donc plus près des néoclassiques de son temps qu’on serait porté à le croire a priori, même s’il ne partage guère le même rapport au monde qu’eux, surtout du point de vue de l’âge et de l’expérience artistique. Mais encore une fois, ces rapprochements sont légitimés sur la base de préoccupations esthétiques communes à l’époque. Les réunissent d’abord des intérêts convergents, surtout quant à la destinée de l’art moderne et à l’attitude à adopter vis-à-vis de l’histoire de l’art. Ce que Gide aime chez Chopin pourrait résumer à la fois son attitude artistique et celle des néoclassiques français : « Aucun développement rhétorique, aucun désir de gonfler l’idée musicale et d’en obtenir davantage, mais, au contraire, celui de simplifier à l’extrême, jusqu’à la perfection61. » Par cette recherche de cohérence, voire de pureté, qu’il oppose d’ailleurs à Wagner dans le Journal des faux-monnayeurs62, il nous est permis d’affirmer que les préoccupations esthétiques et poïétiques de Gide font écho à celles des compositeurs néoclassiques français de son temps, à quelques différences près qui s’expliquent par l’appartenance à deux champs artistiques différents et à une réalité générationnelle tout aussi distincte.
29Tenant compte de ce rapprochement, nous pouvons maintenant établir des correspondances entre l’extrait des Faux-Monnayeurs et le milieu musical français de l’époque à travers deux polarités maîtresses : la consonance versus la dissonance et les accords versus les fonctions harmoniques. Tout d’abord la dissonance puisque, lieu commun de l’histoire musicale, la fin du XIXe siècle et le début du XXe siècle connaissent une révolution du langage harmonique à travers la transgression des lois tonales de jadis (c.-à-d. la tonalité suspendue). En se déplaçant sur le plan historique, nous pourrions dire que le discours de La Pérouse prend la contrepartie de cette révolution harmonique engagée depuis Tristan et consolidée par Debussy et les Viennois. Au fond, La Pérouse, de manière métaphorique, met en scène l’enjeu autour de cette dissonance recherchée dans le langage musical en posant ses limites : jusqu’où ira cette révolution engendrée par la dissonance et réussira-t-elle toujours à nous rendre celle-ci agréable ? Édouard répond à ce questionnement en affirmant que tout doit tendre et se réduire à l’harmonie, prônant ainsi un juste dosage entre consonance et dissonance. Autrement dit, cette idée d’une réduction à l’harmonie revient à dire que les révolutions langagières et stylistiques doivent trouver justification au sein d’une clarté harmonique, donc dans une pensée systémique. Cette réplique d’Édouard pourrait s’expliquer dans une lignée typiquement française, c’est-à-dire dans une tradition ramiste engagée dans une pensée harmonique et se consolidant autour de musiciens tels que Gedalge et Kœchlin, voire les Six dans une certaine mesure. En définitive, si les thèmes traités sont assez larges pour être corrélés à plusieurs événements musicaux autour du premier XXe siècle musical, les musiciens prônant la dissonance sont clairement identifiés comme problématiques.
30Toutefois, l’enjeu véritable de ce discours survient à la toute fin du dialogue, alors que La Pérouse associe l’accord parfait continu à l’extase et l’accord dissonant à la discordance, autant dire à la dégradation des valeurs établies. En ressort alors clairement une position réactionnaire du côté de La Pérouse, celui-ci faisant l’apologie d’une musique qui n’a finalement jamais existé, puisque déliée de toute dissonance : la récusation qu’il promulgue s’avère dénuée de fondement. Il s’ensuit qu’Édouard, par la position qu’il défend, celle d’une dissonance circonscrite dans les limites de l’harmonie, se trouve au centre de deux aberrations : d’une part, le progrès continu et sans fin vers une soif de dissonances jamais satisfaite ; d’autre part, une position qui se veut une éloge de la musique ancienne sans teneur historique – les dissonances font partie intégrante de la musique occidentale. Placée au centre de cette polarité, la position d’Édouard ne prend-elle pas partie en faveur d’une position mitoyenne, c’est-à-dire d’une dissonance trouvant résolution dans la consonance ? Et cette position n’expose-t-elle pas d’une certaine façon la tangente prise par le néoclassicisme musical français de la fin du XIXe siècle et du premier XXe siècle63 ? En recourant à l’accord parfait et à des procédés musicaux ayant fait leur preuve par le passé – les cadences par exemple ou les formes anciennes –, le néoclassicisme français revient à concevoir la possibilité d’une musique moderne à l’intérieur des conventions et des codes de la musique tonale, ce qui est bien le cas des Six et de Stravinsky.
31Dans cette logique, par l’affrontement de la consonance et de la dissonance sur la base des résolutions que recherche l’oreille, il nous sera permis d’appréhender un enjeu poïétique se situant, d’une part, entre une musique faisant totalement fi des accords parfaits et tendant constamment vers la dissonance et, d’autre part, une musique faisant appel à la fois à des accords dissonants et à des résolutions harmoniques parfaites. La position d’Édouard penche bien en faveur d’une accoutumance qui nous rend agréables certains accords dissonants, et cette accoutumance ne peut se réaliser que pour autant qu'elle soit aussi accompagnée de résolutions et d’accords parfaits. Malgré l’ambivalence chez Gide face à la musique de son temps, tout porte à croire que cette position d’Édouard était bien la sienne, surtout qu’on suppose un minimum de connaissances musicales chez le musicien qu’il était. Bref, l’opposition entre consonance et dissonance est utilisée ici dans un sens métaphorique de manière à prôner une filiation avec la tradition tonale et un certain degré de consonance dans le discours musical moderne. Consonance devient ainsi synonyme des quatre traits mis en valeur plus haut, plus précisément d’une quête de clarté recherchée dans le geste artistique et le produit final. À la limite, nous pourrions voir dans ce discours une justification de l'approche néoclassique française de la musique et une diatribe envers une modernité musicale poussée à l’excès64, l’une s’empêchant d’utiliser l’accord parfait contrairement à l’autre.
32Si nous prenons un exemple de préoccupations musicales exprimées à l’époque, les rapprochements sautent aux yeux sur la base des deux polarités étudiées ici. Nous prendrons Charles Kœchlin comme témoin, puisqu’il est un représentant averti de cette culture musicale française attachée à un idéal classique65. Dans son article « Modernisme et Nouveauté » signé en 1927, Kœchlin défend la liberté artistique et sa sensibilité particulière par rapport aux effets de mode et à la nouveauté recherchée à tout prix. Son article interroge cette mode des accords nouveaux : « En revanche, pauvre nouveauté que celle des « accords nouveaux » dont s’emparent les épigones : et combien vite en disparaît l’apparence « moderne » ! il n’y a plus, à la place, que banalité désuète66. » De plus, pour justifier ses prises de position, Kœchlin en appelle souvent à un argument moral : l’artiste doit être fidèle à sa sensibilité, un peu comme l’aurait prôné Gide. Or, le propos de Kœchlin a toujours été, comme en atteste son article de 1921 intitulé « D’une nouvelle mode musicale », de tempérer l’ardeur des compositeurs à rechercher une nouveauté autosuffisante et à leur rappeler par le fait même qu’ils appartiennent à une tradition musicale donnée. Non sans rappeler la position mitoyenne d’Édouard, Kœchlin affirme dans cet article que le passé musical ne saurait être mort et enterré et que bien au contraire, il peut être revigoré par une association avec les nouveautés musicales dissonantes. Pour Kœchlin comme pour Édouard par l’intermédiaire de Gide, la juste voie semble se trouver à mi-chemin entre la recherche de nouveautés et la réactualisation du passé, donc dans la recherche d’un équilibre entre consonance et dissonance.
LA MUSIQUE MODERNE COMME ENJEU
33Déplaçons finalement l’étude de l’extrait des Faux-Monnayeurs vers le contexte socioculturel de l’époque. Nous nous intéresserons plus particulièrement à l’horizon d’attente inhérent au temps historique où l’œuvre a émergé. L’œuvre interpelle un temps historique dans la mesure où elle fait appel aux ressources et aux moyens artistiques en vigueur à son époque. Les thématiques exposées dans un roman ont en général un ancrage social et culturel clairement établi. Dans Les Faux-Monnayeurs par exemple, la psychanalyse occupe une place importante à travers le personnage de Sophroniska, Gide faisant ainsi écho à l’émergence de cette nouvelle discipline. Par conséquent, une œuvre répond en quelque sorte aux exigences, questionnements, préoccupations et intérêts de son temps. Pourquoi en serait-il ainsi ? Parce que, d’une part, le romancier est un citoyen devant bien souvent faire face aux mêmes questionnements et intérêts que son époque, et que, d’autre part, il établit une communication directe avec cette époque en répondant à ses attentes et à sa sensibilité particulière67. Dans le cas de Gide, l’analyse proposée plus haut à travers les correspondances avec le champ musical des années 1920, plus particulièrement celui du néoclassicisme français associé aux Six, Stravinsky et Kœchlin, a attesté de la force symbolique de l’extrait des Faux-Monnayeurs eu égard aux enjeux et préoccupations du milieu musical à l’époque de l’écriture du roman. Force symbolique en effet, puisque ce discours peut être à la fois porteur et producteur de sens sur le plan de la représentation musicale de la décennie des années 1920.
34Pour saisir cette production de sens, nous devons faire appel à la philosophie de la culture, où l’écrivain est appréhendé en tant que sujet-interprétant68, c’est-à-dire en tant que citoyen qui donne sens aux enjeux et valeurs de son temps. Mais il y a plus, puisque Gide est aussi un écrivain qui lègue à son univers social une œuvre d’art. Josiane Boulad-Ayoub69 appelle symbolèmes ces artefacts culturels construits à travers les activités socio-symboliques. Symbolème signifie que les œuvres d’art acquièrent une valeur symbolique en fonction des activités sociales et intellectuelles de leur temps : elles portent un sens particulier. Un symbolème se permute en idéologème du moment où il acquiert une fonction polémique et cristallise les enjeux symboliques d’un univers donné. Je crois que c’est le rôle que vient jouer le discours sur la musique moderne élaboré par Gide dans Les Faux-Monnayeurs. On s’entendra cependant sur le fait que ce discours est très succinct et plutôt suggestif, et donc qu’il ne saurait point constituer un idéologème à part entière. Il en a plutôt la forme, c’est-à-dire la possibilité de réalisation pour celui qui connaît les enjeux musicaux de l’époque, par exemple un Francis Poulenc qui lit assidûment chacune des productions littéraires de Gide70. Et comme Gide jouit d’un statut exceptionnel à l’époque en tant qu’écrivain lu par tous, on peut supposer que plusieurs ont clairement compris les enjeux qu’il exposait à travers ce court dialogue sur la musique moderne.
35Il y a donc possibilité d’une relation discursive entre la sémiosis individuelle élaborée par Gide à travers l’échange entre Édouard et La Pérouse et la sémiosis collective propre au milieu musical d’alors, Gide interpellant un enjeu de la création musicale. Autrement dit, les propos de La Pérouse revêtent une charge symbolique en raison de la fonction qu’ils ont pu jouer dans la France musicale des années 1920, plus précisément en tant que porteurs de questionnements face à une réalité donnée71. Même si le discours n’apporte aucune conclusion définitive, il tend toutefois à produire du sens en suggérant qu’un certain degré de consonance est toujours bienvenu, voire même qu’il est nécessaire au sein d’un progrès musical dominé par les dissonances. C’est sur ce plan que le discours acquiert une valence idéologique et qu’il peut ainsi se réverbérer à travers l’activité symbolique de l’époque, notamment en trouvant un écho dans la sémiosis culturelle propre au milieu musical.
CONCLUSION
36Pour conclure, cette étude a cherché à prouver qu’une appréhension de la relation musique-littérature pouvait se déployer en s’appuyant sur le contexte historique et musical dans lequel le roman a été produit. À l’aide des connaissances d’un milieu musical donné, l’analyse peut s’appuyer sur les correspondances à l’œuvre entre le fait musical révélé par le roman et le milieu musical d’une époque donnée, notamment en questionnant la charge symbolique du discours suggéré par le romancier, rendant ainsi possible une autre herméneutique. S’ouvre alors la possibilité d’apporter un autre éclairage sur le milieu musical étudié, puisque ce regard intermédiaire est souvent à même de résumer ce qui a le plus retenu l’attention sur le plan culturel. Mais l’analyse ne doit pas être trop forcée. Elle devient justifiable dans la mesure où l’écrivain est un témoin de son époque et qu’il porte à travers ses réflexions un discours producteur de sens. En lisant Les Faux-Monnayeurs, le lecteur, s’il connaît la relation ambiguë qu’entretenait Gide avec la musique de son temps, peut appréhender ce dialogue entre Édouard et La Pérouse comme un commentaire artistique interpellant la situation de la musique moderne des années 1910 et 1920.
37Encore faut-il avoir à l’esprit la forme succincte que peut revêtir ce discours, puisqu’il est travaillé sur le mode de l’interrogation. En fait, l’échange entre Édouard et La Pérouse prend la forme d’une trace, sorte d’épave laissée béante par Gide lui-même, au plus grand plaisir de son lecteur et du mélomane averti. Et lorsque l’analyse est poussée plus loin, des niveaux d’interprétation s’ouvrent parce que le discours les suggère. C’est tout le pari poïétique des Faux-Monnayeurs de Gide : laisser miroiter plusieurs interprétations possibles en faisant appel à des symboles et des signes clefs eu égard à son époque.
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Wiéner, Jean. Allegro Appassionato, Paris : Belfond, 1978.
Notes de bas de page
1 La publication des Actes du colloque des 20-22 mars 1999 en Sorbonne, sous le titre Littérature et musique dans la France contemporaine (Paris : Presses Universitaires de Strasbourg, 2001) en donne un exemple éloquent. L’article de Pierre Brunei par exemple, intitulé « Le roman fugué » (in Littérature et musique dans la France contemporaine, p. 53-67), s’attarde à une analyse formelle des Faux-Monnayeurs de Gide en établissant des parallèles structurels avec la fugue.
2 C’est bien la date d’origine qui est mentionnée dans la version publiée chez Gallimard. Cependant, les commentateurs de son œuvre – Pierre Chartier par exemple (Les Faux-Monnayeurs d’André Gide, Paris : Gallimard, 1991) – insistent pour dire que la véritable publication de l’ouvrage aurait plutôt eu lieu en 1926, et donc que 1925 serait l’année de dépôt du manuscrit.
3 Daniel Moutote, Réflexions sur Les Faux-Monnayeurs, Paris : Honoré Champion, 1990, p. 37-50.
4 Pour caractériser ce phénomène, il est souvent question en philosophie de la « Mort de Dieu ». Cela ne veut pas dire que les religions perdent toute attraction, surtout sur le plan social, mais signifie plutôt qu’elles cessent d’exercer une autorité sur la pensée et les réflexions d’ordre ontologique.
5 Chartier, op. cit, p. 79.
6 Ibid., p. 81.
7 Ce fait est rapporté par Daniel Moutote (Réflexions sur Les Faux-Monnayeurs, p. 83) dans son étude sur Les Faux-Monnayeurs. Or, il n’est pas besoin d’aller fouiller bien loin pour confirmer la prégnance de ce professeur dans la vie de Gide, puisque ce dernier en parle dans son autobiographie Si le grain ne meurt, Paris : Gallimard, 1955, p. 236-240.
8 Chartier, op. cit., p. 88.
9 Plusieurs ouvrages ou articles ont été consacrés à l’importance de la musique et du piano chez Gide : Georges Jean-Aubry (1945), Pierre Meylan (1952), Roman Wald-Lasowski (1982) et Élaine D. Cancalon (1994) (voir bibliographie).
10 André Gide, Les Faux-Monnayeurs, Paris : Gallimard, 1925, p. 189-191.
11 En fait, il s’agit bel et bien d’une aberration, puisque l’art harmonique occidental repose sur un juste équilibre entre consonance et dissonance, plus précisément sur la résolution des dissonances. Une musique sans dissonance est donc impossible, voire carrément futile du point de vue historique.
12 Pierre Lepape. André Gide. Le messager, Paris : Seuil, 1997, p. 317-323.
13 Chartier, op. cit., p. 95.
14 Elaine Brody, Paris. The Musical Kaleidoscope 1870-1925, New York: George Braziller, 1987.
15 Jean Wiéner, Allegro Appassionato, Paris : Belfond, 1978, p. 26-27.
16 Darius Milhaud, Entretiens avec Claude Rostand, Paris : Belfond, 1952, p. 39.
17 Francis Poulenc, Correspondance 1910-1963, Paris : Fayard, 1994, p. 477-479.
18 Lepape, op. cit., p. 319.
19 Voir Gianfranco Vinay, « Le débat sur l’art stravinskien dans la presse parisienne des années trente », in Musiques et musiciens à Paris dans les années trente, Paris : Honoré Champion, 2000, p. 467-494.
20 Michel Faure, Du néoclassicisme musical dans la France du premier XXe siècle, Paris : Klincksieck, 1997, p. 239.
21 Eric Walter White, Stravinsky. The Composer and his Works, Berkeley: University of California Press, 1979, p. 374-388.
22 Igor Stravinsky, Poétique musicale, Paris : Flammarion, 2000, p. 114.
23 Extrait tiré d’André Gide, Incidences, Paris : Gallimard, 1924.
24 White, op. cit., p. 64-65.
25 François Porcile, La Belle Époque de la musique française. Le temps de Maurice Ravel (1871-1940), Paris : Fayard, 1999, p. 143.
26 Rapporté par Georges Jean-Aubry, André Gide et la musique, Paris : Éditions de La Revue musicale, 1945, p. 19.
27 Jean-Aubry, op. cit., ibid.
28 Voir Porcile, op. cit., p. 91.
29 Voir Brody, op. cit., p. 130.
30 Wiéner, op. cit., p. 44.
31 Rapporté aussi par Évelyne Hurard-Viltard, Le Groupe des Six ou le matin d’un jour de fête, Paris : Klincksieck, 1988, p. 30.
32 Hélène Jourdan-Morhange, Mes amis musiciens, Paris : Les Éditeurs Français Réunis, 1955, p. 109.
33 Harry Halbreich, Arthur Honegger. Un musicien dans la cité des hommes, Paris : Fayard, 1992, p. 65.
34 Georges Auric, in Jean Cocteau, Le Coq et l’Arlequin, Notes autour de la musique 1918, Paris : Stock, 1979, p. 16.
35 Claude Arnaud, dans son exhaustive biographie consacrée à Cocteau, rapporte la relation tumultueuse qu’a entretenue ce dernier à Gide. – Jean Cocteau, Paris : Gallimard, 2003, p. 208-213. Cela tient d’abord au fait que Gide l’a accusé de lui avoir volé plusieurs idées exprimées dans Le Coq. Le tout ira en s’accentuant alors que Cocteau courtisera Marc Allégret, le protégé de Gide. En fait, Gide avait bien du mal à sentir Cocteau, d’où la causticité dépeinte par Les Faux-Monnayeurs.
36 Poulenc, op. cit., p. 150.
37 Rapporté par Geoffrey K. Spratt, The Music of Arthur Honegger, Irelande: Cork University Press, 1987, p. 94.
38 Voir Pierre Meylan, Les écrivains et la musique : études de musique et de littérature comparées, vol. 2, Lausanne : Éditions du Cervin, 1952, p. 66.
39 Poulenc, op. cit., p. 478.
40 Milhaud, op. cit., p. 40-41.
41 Charles Kœchlin, « Modernisme et nouveauté », La Revue musicale, 8e année, no 9 (1927), p. 1-13.
42 Jean-Aubry, op. cit., p. 17-18.
43 Meylan, op. cit., p. 66.
44 Voir Élaine D. Cancalon, « Piano-forte : le piano dans l’œuvre de Gide », in Lectures d’André Gide. Hommage à Claude Martin, Lyon : Presses Universitaires de Lyon, 1994, p. 149-57.
45 André Gide, Notes sur Chopin, Paris : L’Arche, 1949, p. 63. Par ailleurs, Pierre Brunei a mis en relief l’écriture des Faux-Monnayeurs avec la fugue (c.-à-d. Bach) comme élément structurant les événements narratifs du roman. - « Le roman fugué », in Littérature et musique dans la France contemporaine, p. 53-67.
46 Gide, Notes sur Chopin, p. 69.
47 Gide, Les Faux-Monnayeurs, p. 219.
48 Cette interprétation s’accorde plutôt bien avec l’intellectuel que fut Gide, lui qui a toujours fuit les dogmes. Ses positions naviguent souvent sur deux eaux à la fois. Rappelons par exemple qu’il fut communiste et que, à la suite d’un voyage dans le pays de Staline, il dénoncera à son retour le régime totalitaire. C’est sa grande lucidité qui commande cette méfiance, qui apparaît comme une ambivalence à maintes reprises.
49 Voir Pascale Goetschel et Emmanuelle Loyer, Histoire culturelle de la France, de la Belle Époque à nos jours, Paris : Armand Colin, 2005, p. 48-52.
50 Gide, Notes sur Chopin, p. 59.
51 Barbara L. Kelly, Tradition and Style in the Works of Darius Milhaud 1912-1939, Burlington: Ashgate, 2003, p. 42.
52 Paul Collaer (1919) rapporté par Hurard-Viltard, op. cit., p. 269.
53 Le lecteur aura compris qu’il s’agit ici du néoclassicisme de facture française, notamment celui qui a eu cours durant les années 1920 à Paris. Je laisse donc de côté les versions allemande (Hindemith), italienne (Casella) ou russe (Prokofiev) du néoclassicisme afin de me concentrer sur celles qui faisaient partie du milieu parisien concerné.
54 Stravinsky, op. cit., p. 114.
55 Lepape, op. cit., p. 324-30.
56 Moutote, op. cit., p. 133.
57 La majorité de ces traits concernant le Groupe des Six a été mis en lumière par Hurard-Viltard (op. cit., p. 216-234). Le lecteur peut également se rapporter à l’étude approfondie de Scott Messing quant aux préoccupations classiques de l’époque en musique. - Neoclassicism in Music. From the Genesis of the Concept through the Schoenberg/Stravinsky Polemic, Ann Arbor/Londres : UMI Research Press, 1988.
58 Gide en exprime plusieurs dans le Journal des faux-monnayeurs, Paris : Gallimard, 1927. Par exemple, on retrouve cette réflexion quant au déroulement narratif : « Décrire avec précision et accuser fortement les comparses épisodiques ; les amener au premier plan pour distancer d’autant les autres » (p. 56) ou : « Purger le roman de tous les éléments qui n’appartiennent pas spécifiquement au roman » (p. 57).
59 Gide, Journal des faux-monnayeurs, p. 58-59.
60 Ibid., p. 58.
61 Gide, Notes sur Chopin, p. 54.
62 Gide, Journal des faux-monnayeurs, p. 57-61.
63 Voir Messing (Neoclassicism in Music, p. 1-59) pour une acceptation plus large du terme néoclassicisme, qu’il applique entre autres à la France des années 1870 à 1914 (Chabrier, Saint-Saëns, Dukas, Roussel, voire certaines œuvres de Debussy et Ravel).
64 Voire de toute musique atonale faisait fi des conventions issues du passé. À l’époque, l’École de Vienne est certainement la plus près de cette conception d’une dissonance poussée à l’excès. Or, une telle interprétation reviendrait à négliger un fait capital : le poids que la tradition a exercé sur Schoenberg. Voir Joseph N. Straus, Remaking the Past. Musical Modernism and the Influence of the Tonal Tradition, Cambridge: Harvard University Press, 1990.
65 On sait toute l’influence qu’exerçait Kœchlin sur le milieu musical de l’époque et sur les Six en particulier.
66 Kœchlin, op. cit., p. 1-2.
67 Voir Hans Robert Jauss, Pour une esthétique de la réception, Paris : Gallimard, 1978.
68 Les principaux concepts théoriques exposés ici sont empruntés à la philosophie de la culture développée par Josiane Boulad-Ayoub dans Contre nous de la tyrannie... Des relations idéologiques entre Lumières et Révolution, Montréal : Hurtubise, 1989 et Mimes et parades. L’activité symbolique dans la vie sociale, Paris : L’Harmattan, 1995.
69 Boulad-Ayoub, op. cit.
70 Poulenc, Correspondances, p. 40.
71 C’est l’un des livres les plus importants de la création littéraire du XXe siècle. Il a suscité beaucoup de réactions lors de sa publication et en suscite toujours aujourd’hui (voir Moutote, op. cit., ibid). Autant dire qu’on est loin d’avoir fini d’évaluer sa modernité et son apport à la littérature du XXe siècle.
Auteur
Université de Montréal, Canada
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