Chapitre 6. La réception de La Création du monde : un mélange des genres
p. 171-192
Texte intégral
1Le 25 octobre 1923, les Ballets suédois de Rolf de Maré présentèrent au Théâtre des Champs-Élysées La Création du monde d’après un argument de Biaise Cendrars, sur une chorégraphie de Jean Börlin, avec des décors et costumes de Fernand Léger et une musique de Darius Milhaud. Au lendemain de la seconde représentation, Milhaud écrivit à Paul Collaer : « La presse est ignoble. Je jubile1. » La réception de cette œuvre a bien changé depuis. La partition est tenue aujourd’hui pour l’une des mieux réussies et des plus connues de Milhaud ; c’est aussi, pour plusieurs, l’exemple par excellence illustrant la rencontre fructueuse du jazz et de la musique dite « classique ».
2Parmi la littérature consacrée à La Création du monde, bon nombre d’ouvrages traitent de la réception du ballet2. Nous nous pencherons dans cet article sur l’accueil réservé plus spécifiquement à la musique de Milhaud dans la presse de l’époque. Le compositeur fournit une piste lorsqu’il fait allusion, dans ses écrits, à l’indignation causée par la présence du jazz dans une salle de concert, soulignant, non sans ironie, que dix ans plus tard on considérait La Création comme l’une de ses meilleures œuvres3. Après une description des éléments du ballet, suivront des extraits de critiques qui permettront d’avoir une juste idée de l’accueil réservé à la musique de La Création du monde. Enfin, le passage de l’œuvre de la scène au concert sera abordé à travers la présentation de quelques critiques postérieures à 1923. Nous verrons, à partir de ces sources premières, comment la réception de la musique de Milhaud, d’abord mitigée, céda la place à un discours élogieux.
PRIMITIVISME ET JAZZ
3Le ballet La Création du monde incarne une tendance esthétique très en vogue à l’époque : le primitivisme. En France, dès le début du siècle, les peintres s’intéressent à l’art africain, mais c’est après la Première Guerre qu’il connaîtra un engouement sans précédent auprès du public. Dans une lettre adressée à Rolf de Maré, Léger déclare à propos de La Création du monde, « il devra être le seul ballet nègre possible dans le monde entier et être celui qui restera comme typique du genre4... ». De fait, plusieurs éléments du ballet témoignent de cette fascination pour l’art « nègre », à commencer par l’argument de Cendrars. Il s’agit d’une adaptation d’un conte intitulé « La légende des origines », publié dans l’Anthologie nègre de Cendrars5. L’action débute au moment du chaos, alors que trois déités se consultent. La vie végétale et la vie animale naissent peu à peu d’une masse centrale, puis l’Homme et la Femme apparaissent. Ils exécutent ensemble une danse du désir, entourés de sorciers. Ils s’unissent dans un baiser symbolisant, selon les termes de Cendrars, le» printemps6 ».
4Les décors et costumes de Léger s’inspirent aussi de l’art africain. Pour leur élaboration, le peintre a visité les collections personnelles d’Alphonse Kann et Paul Guillaume, et consulté les ouvrages de Carl Einstein (Negerplastik, 19157) et Marius de Zayas (African Negro Art : Its Influence on Modem Art, 19168). Le cadre restreint de cet article ne nous permet pas de s’attarder aux magnifiques réalisations de Léger pour La Création du monde9. Nous nous limiterons à souligner que les décors dominaient nettement la scène et étaient particulièrement imposants, certaines figures faisant près de six mètres de haut.
5L’élément le moins prépondérant du ballet est, paradoxalement, la danse. En fait, la chorégraphie était subordonnée aux conceptions scéniques de Léger exigeant que le danseur disparaisse dans l’unité du décor10. Les danseurs portaient des masques et étaient complètement cachés par de larges costumes bidimensionnels de carton peint, et leur rôle était d’animer ce tableau mobile. Fait intéressant, il semble que les mouvements des danseurs aient été conçus indépendamment du rythme de la musique11. En 1920, Jean Börlin, chorégraphe et danseur-vedette de la troupe suédoise, avait présenté à Paris un solo intitulé Sculpture nègre dans lequel il prenait pour modèle les poses de la statuaire africaine. Pour La Création du monde, il s’inspira de films documentaires sur les danses d’Afrique12.
6Si l’argument, les décors et les costumes portent l’empreinte d’un primitivisme africain très en vogue au début des années 1920, la musique de Milhaud témoigne quant à elle d’une influence différente mais tout aussi populaire à l’époque, celle du jazz. La Création du monde constitue l’aboutissement des recherches du compositeur pour intégrer les éléments du jazz au langage de la tradition classique. L’intérêt de Milhaud pour ce répertoire est connu et bien documenté13. Rappelons que depuis qu’il avait entendu la formation de Billy Arnold à Londres, en 1920, Milhaud songeait à écrire une œuvre de musique de chambre utilisant les rythmes et les timbres du jazz14. Il compose entre-temps Caramel mou (Shimmy, 1921) pour jazz-band, la Sonatine pour flûte et piano (1922), la Cinquième Symphonie de chambre (1922), Trois Rag Caprices (1922) et la Sixième Symphonie de chambre (1923), dans lesquels on retrouve, à divers degrés, la trace de l’influence du jazz. Lors d’un séjour aux États-Unis, à la fin de l’année 1922, Milhaud découvre, dans le quartier de Harlem à New York, le jazz noir. Fasciné, il en vantera les qualités dans son article « L’évolution du jazz-band et la musique des nègres d’Amérique du Nord15 ». Le projet de « ballet nègre » que Cendrars et Léger proposent à Milhaud à l’automne 1922 lui offre enfin l’opportunité de tirer parti de ce répertoire dans une œuvre d’envergure16.
7La musique de La Création du monde offre une synthèse de deux styles apparemment opposés : le jazz et le néoclassicisme17. L’œuvre est écrite pour dix-sept instruments solistes et s’articule en cinq parties précédées d’un prélude. La partition contient de nombreux emprunts au jazz : progressions harmoniques et gammes blues, formules mélodiques, patrons rythmiques, instrumentation typique des orchestres de théâtre musical noir et techniques de jeu ne sont que quelques exemples18.
8Dans le ballet, on trouve donc la juxtaposition de deux influences : celle du jazz américain et celle de l’art africain. Elles sont présentées comme étant complémentaires. À cette époque, culture afro-américaine et africaine étaient souvent source de fusion et de confusion. Après la guerre, l’art africain et la musique populaire américaine connaissent tous deux une immense popularité. L’un et l’autre représentent la nouveauté, la modernité, l’exotisme et sont associés à la culture noire. D’une part, la méconnaissance d’une musique tribale africaine et, d’autre part, le fait que les interprètes de jazz étaient souvent des Noirs, ont ouvert la porte à l’association du jazz et de l’art africain. La culture noire américaine était perçue en partie comme une extension de la culture noire africaine et le contexte urbain américain, foyer réel de l’expression du jazz, se trouvait souvent occulté19.
LES RÉACTIONS DE LA PRESSE
9Avant d’aborder l’accueil que fit la critique à la musique de Milhaud, rappelons brièvement le programme de la soirée. Le ballet La Création du monde fut présenté au public parisien à l’occasion de l’ouverture de la quatrième et avant-dernière saison des Ballets suédois. Le programme débutait par ce ballet et était suivi d’un concert. On y interpréta des œuvres de Satie, Kœchlin, Maxime Jacob, Henri Cliquet-Pleyel, Roger Désormières et Henri Sauguet, sous la direction de Désormières20. La soirée se terminait par un autre ballet, Within the Quota (L’Immigrant), conçu spécialement pour la tournée que la troupe devait entreprendre aux États-Unis21. Vladimir Golschmann fut au pupitre pour les deux ballets.
10Principale production de la saison des Suédois, La Création du monde profita de l’attention de la presse avant même sa création. En juin, Fernand Léger discuta de sa conception des décors dans Les Nouvelles littéraires22. L’Esprit nouveau publia le scénario de Cendrars avec un extrait de la partition de Milhaud et des esquisses de Léger23. On put lire aussi dans Le Courrier musical du 15 octobre, sous la plume sarcastique d’un collaborateur anonyme, que la composition de la partition avait assurément nécessité plus d’une semaine de travail, incluant un jour de repos24.
11On ne peut aborder les réactions de la presse envers la musique de La Création du monde sans donner un aperçu de l’accueil réservé aux autres éléments du ballet. Quelques jours après la première, la rubrique « La Soirée » de Comœdia parle d’un succès public, d’« applaudissements sauvages » et de louanges, mais d’une « critique consternée25 ». Le ballet n’est pas pris au sérieux, certains le qualifiant de « fantaisie négro-cubiste26 », d’autres de « plaisanterie27 », ou encore d’« œuvres mort-nées28 ». L’argument de Cendrars semble y contribuer pour une bonne part. Dans un commentaire très coloré, le directeur du Courrier musical s’interroge : « Cette blagologie astrale des races-racines, larves et lémuriens insexués vise-t-elle au comique ou à l’initiation29 ? » En ce qui concerne les décors et costumes, largement commentés, les avis sont plus partagés. Quelques-uns apprécient le choix des couleurs et l’agencement des formes tandis que plusieurs n’y voient qu’un cubisme démodé. Le critique du Ménestrel, dans une comparaison peu flatteuse, décrit les réalisations de Léger en ces termes : « Ceux-ci imitent à s’y méprendre le camouflage dont s’ornaient nos navires pendant la guerre ; on essayait alors de dissimuler la marche du bateau à l’ennemi en le laissant indécis sur la place de la proue et de la poupe ; les cargos n’avaient donc ni queue ni tête, c’est un peu le cas des décors de La Création du mondé30. » Quant à la chorégraphie, c’est l’élément qui est le moins commenté et amène les critiques les plus hostiles. Le spécialiste de ballet André Levinson blâme non seulement l’utilisation de danseurs pour imiter des poses statuaires mais aussi la représentation de cultures « autres » dans le ballet classique : « Jamais on ne fera œuvre de danseur en traduisant par des mouvements saltatoires les conventions propres aux arts plastiques. Et puis, l’univers se rétrécit. Après l’Espagne et l’Orient, une fois annexés le Congo et le Bénin, il ne restera plus que le Groenland de l’Esquimau Nanouk ou bien les prairies des Sioux à coloniser pour le ballet [...]31. » Dans un article intitulé « Assez d’art nègre », Marcel Hiver considère pour sa part : « Le ballet, à l’exception de la scène des deux hommes noirs était mal réglé, incohérent, d’une vraie confusion de 14 juillet32. »
12En ce qui concerne la musique de Milhaud, elle suscite des réactions mitigées. Comme c’est souvent le cas lors de la création d’un ballet, on ne s’étonnera pas que, à l’exception des comptes rendus des critiques musicaux, la partition soit peu discutée en comparaison des décors et de l’argument. Bien que nous ayons tenu compte des commentaires succincts, nous nous attarderons aux textes où la musique de Milhaud fait l’objet d’une discussion plus développée33.
LES DÉTRACTEURS
13Parmi les détracteurs de la musique de La Création du monde, c’est le critique du Ménestrel qui est le plus virulent :
Un prélude quelquefois mélodique, chanté par un simple quatuor à cordes soutenu avec de sages et souvent heureuses interventions de la batterie, entr’ouvrait une porte par laquelle filtrait une douce clarté, et soudain une tempête soufflée par les cuivres et les bois la ferma brutalement, et le jazz le plus dissonant, le plus sauvage, tel qu’on doit en entendre parmi les peuplades les plus arriérées se déchaîna sans indulgence. Oui, le rythme et le mouvement ont une force indéniable, cela est reconnu depuis fort longtemps : le dynamisme du tambour est utilisé depuis nombre de siècles pour scander la marche des troupes ; mais le tambour n’a jamais, que l’on sache, donné naissance à des œuvres musicales : il doit rester ce qu’il est, un instrument d’adjuvent musculaire. Revenir au tam-tam, au xylophone, aux hurlements des cuivres, au bruit, ce n’est pas progresser, et l’on est surpris de voir qualifier cela de musique d’avant-garde, alors que c’est musique d’arrière-garde qu’on devrait dire. L’Art nègre peut être documentairement fort intéressant, on peut même lui emprunter des moyens d’expression, mais il appartient à un passé lointain qu’il est inutile de ressusciter. Cela ne vaut que comme musique humoristique, et encore n’en supporte-t-on qu’une dose très modérée34.
14On reconnaît dans ce discours réactionnaire le ton colonialiste et la rhétorique de ceux qui relèguent la culture noire et tout ce qui s’y rattache à un statut inférieur. Plus loin dans ce même article, l’auteur s’exprime pourtant favorablement sur Within the Quota, dont certaines pages empruntent aussi au jazz. La différence dans La Création du monde est, de toute évidence, la connotation africaine explicite. Les arguments exposés rejoignent aussi ceux des adversaires du jazz, qui associaient ce répertoire au bruit, au désordre, à la sauvagerie, à la régression. La confusion autour de l’adéquation jazz-» art nègre » est clairement perceptible. Par ailleurs, comme le remarque Deborah Mawer, le discours est défavorablement préconçu et peu préoccupé des faits de la partition, laquelle ne contient ni xylophone, ni tam-tam35. Soulignons que le critique du Ménestrel avait tenu des propos à peu près semblables sur un autre ballet de Milhaud, L’Homme et son désir, présenté deux ans plus tôt par les Ballets suédois36.
15Cependant, tous ne sont pas aussi hostiles. Certains se contentent de qualifier la musique de La Création du monde de « savante et froide37 », « râpeuse [...], échinoderme, lourde et hérissée de piquants38 », pendant que d’autres n’y voient que superficialité et recherche d’effets, comme le montrent ces deux commentaires :
La partition de La Création du monde est un nouveau témoignage de la fécondité de M. Darius Milhaud et de son admirable aisance à recouvrir des riens d’un vernis plus ou moins violent, mais dont l’effet, même sur le public, commence à s’émousser39.
[...] M. Darius Milhaud, prophète spontané d’un art que les musiciens français hésitent à prendre au sérieux, a écrit une partition où l’on devine à la fois l’improvisation hâtive et le goût de la mystification. Quelques mesures, au début et à la fin, sont là pour nous prouver que l’auteur sait écrire de la saine musique quand il lui plaît de vivre sous les disciplines normales et que, pour le reste, il a tenu surtout à épater les bourgeois40.
16Si quelques-uns semblent peu versés dans l’appréciation de la musique et tentent de camoufler leurs lacunes par des commentaires évasifs, ce n’est certes pas le cas de Vuillermoz. De sa tribune à L’Excelsior, il écrit :
La partition que M. Darius Milhaud a écrite pour cette Création du monde est d’une sagesse un peu déconcertante. Le prélude, lent et méditatif, est d’inspiration mélodique trop nettement classique pour qu’on daigne savoir gré à l’auteur d’y introduire quelques menues cocasseries d’écriture sans efficacité41.
17La réaction de Vuillermoz n’est pas surprenante étant donné son hostilité à l’endroit de Milhaud et du Groupe des Six en général42. Au lieu de s’attarder à La Création du monde, le critique profite plutôt de l’occasion pour poursuivre sa campagne contre les Six :
Prenons acte, en tout cas, d’une désagrégation dans le faux clan des révolutionnaires. Comprenant que la plaisanterie avait assez duré, le groupe, dit des Six, se voit contraint de se dissoudre en tant que consortium de publicité offensive et défensive. [...] Malgré leurs efforts tendancieux pour accréditer cette profitable légende – et c’est là le seul grief qu’on puisse faire à ces trop industrieux adolescents – il n’y a jamais eu de musique des Six ni d’esthétique des Six43.
18En plus de déplorer le classicisme de la partition, Vuillermoz remet aussi en cause la modernité du ballet. Dans l’article qu’il livre à La Revue musicale – et dans lequel il reprend l’essentiel de son propos –, il écrit :
Un scénario de Biaise Cendrars et des décors et costumes de Fernand Léger semblaient devoir faire de cette soirée une audacieuse manifestation d’avant-garde. Il n’en fut rien. La technique de Milhaud, qui n’a jamais été foncièrement révolutionnaire, s’assagit de jour en jour, et le cubisme d’un Fernand Léger, qui avait paru agressif dans Skating Rink, ne pouvait choquer personne lorsqu’on l’appliquait à une matérialisation du chaos originel44.
19Enfin, on remarquera que les emprunts au jazz sont totalement passés sous silence. Or, Vuillermoz consacre un chapitre à ce sujet dans son ouvrage Musiques d’aujourd’hui, où il explique l’intérêt justifié des compositeurs pour le jazz par leur besoin de libérer et de rajeunir le discours musical45.
LES ADHÉRENTS
20Sans être enthousiastes ni indifférents, certains critiques voient dans la partition de Milhaud un « discours orchestral par quoi l’auteur des Choéphores arrive à obtenir parfois d’assez puissants effets46 », ou encore une impression « assez forte pour retenir l’attention47 ». Pour sa part, le critique du Courrier musical reconnaît les qualités de la partition de Milhaud, mais s’interroge toutefois sur l’association du compositeur avec les Ballets suédois48 :
Pourquoi, écrit-il, ce musicien exceptionnellement doué d’intelligence inventrice, fertilisé d’idées abondantes et d’instincts rythmiques, cet esprit vivace et plein de sève, ouvert à toutes les manifestations de l’esthétique, nanti d’une science suffisante, persiste-t-il à se colleter avec de telles machines à la noix de coco ? Sa partition est pourtant bien établie, logique ; elle dénote une patte puissamment originale, passe de la souplesse à l’éréthisme avec une facilité d’improvisation ingénieusement remarquable, atteste sa verve et le souffle capables d’exprimer, avec le pittoresque, certaine profondeur de sentiment dont nous attendons avec impatience l’éclosion équilibrée dans l’ouvrage49 actuellement en répétition à l’Opéra-comique50.
21Pour sa part, le compositeur et chef d’orchestre André Messager compare l’œuvre à ses modèles américains :
La musique de M. Darius Milhaud est, avant tout, très adroitement faite. Elle est, sauf peut-être le prélude, entièrement construite sur des rythmes de jazz et entremêle de nombreuses « citations » de danses américaines à la mode. L’instrumentation « à la manière de... » est ingénieuse, mais je me permettrais de la trouver encore bien inférieure en trouvailles à celle de certains chefs de band américains, Whiteman par exemple. Il y a entre les deux toute la distance qui sépare le naturel et le spontané de l’artificiel et du voulu. En résumé, tout cela est loin d’être désagréable à entendre et finit par paraître à l’audition beaucoup plus consonnant que l’auteur ne l’eût soupçonné ou peut-être désiré51.
22Enfin, on ne s’étonnera pas que ce soit Auric qui commente le plus longuement, de façon élogieuse et perspicace, la musique de La Création du monde. Considérant la partition de Milhaud comme « l’aboutissement remarquable de recherches », il loue sa clarté et « la perfection de la mise au point » par rapport aux œuvres antérieures du compositeur inspirées du jazz. Déplorant l’accueil plutôt tiède réservé à la partition, Auric met en cause les autres éléments du ballet :
Tout d’abord l’équivoque établie par la disproportion flagrante entre son titre, son argument et sa réalisation musicale. La Création du monde !... L’Homme et son désir, le ballet de Claudel et Milhaud semblait préparer, avec ses vastes desseins, la venue de quelque grandiose symphonie qui ferait pardonner, par l’ampleur de ses proportions, l’enflure embarrassante de son titre. Puis l’argument de Cendrars, emprunté à la cosmogonie nègre, a pu donner à sourire. Enfin, les décors et les costumes de Fernand Léger, qui s’imposaient à l’auditeur par leur brutale volonté, n’étaient pas sans établir, entre la fosse d’orchestre et la scène, une disparate assez gênante52.
23Il ajoute à propos des décors :
Mais, en réalité, ces grandes surfaces ocres, noires, blanches, rompent durement l’équilibre par ailleurs si remarquable dans la partition de Milhaud. C’est ainsi qu’exécuté au-devant d’un rideau où se pressent les gigantesques formes des déités créatrices, son Prélude finit, déconcertant phénomène ! par sembler trop simple – avec ses calmes périodes où pousse, sur l’ondulation d’un quatuor à cordes et la palpitation des trompettes, le chant régulier du saxophone53…
24On pourrait croire à un parti pris de la part d’Auric. Or, ses réserves rejoignent celles de plusieurs critiques quant au déséquilibre entre les idiomes du ballet. Deux facteurs ont sans doute contribué à aggraver l’impression de disparité. D’abord l’indépendance entre musique et chorégraphie, les mouvements des danseurs ayant été conçus, rappelons-le, indépendamment de la musique. De plus, bien que la partition de Milhaud s’articule en cinq parties comme l’argument, le caractère général de certaines sections, dont la première et la deuxième, ne concordait pas toujours avec l’action qui se déroulait sur la scène54.
25Lors de la publication de la partition de La Création du monde par la maison Eschig, peu après la première, Roland-Manuel soulignait l’incidence des autres éléments du ballet sur la réception mitigée de la musique :
La Création du monde, telle que nous l’ont présentée les Ballets suédois, ne pouvait sortir du tohu-bohu sans conserver quelque chose d’un désordre qui n’apparut pas toujours comme un effet de l’art... La partition de Darius Milhaud en a connu quelque dommage : on l’a très mal entendue aux Champs-Élysées ; on lui a naïvement attribué une lourdeur qui n’était que dans la chorégraphie, on l’a chargée injustement des péchés de la décoration. L’éditeur Max Eschig la publie aujourd’hui. À la lecture et à l’analyse, le plaisir de l’auditeur attentif se renouvelle, se fortifie, et La Création du monde apparaît comme l’œuvre la plus émouvante que Darius Milhaud nous ait donnée jusqu’à présent55.
26Associant le jazz à la culture américaine, Roland-Manuel y voyait un moyen d’enrichir la musique française : « À greffer les rythmes du jazz et les mélopées de la Louisiane sur le grave contrepoint des Passions de Bach, [...] Milhaud nous donne ici la preuve que le jazz peut valablement enrichir notre musique. »
27Les extraits de presse présentés permettent de constater que les avis sont partagés à l’endroit de la musique de La Création du monde. D’un côté, les détracteurs s’indignent des emprunts au jazz et blâment la superficialité et le classicisme de la partition. De l’autre, les adhérents reconnaissent son originalité, sa maîtrise et son utilisation judicieuse du jazz. Les critiques sont divisés sur l’appréciation des emprunts au jazz et sur l’interprétation qu’ils en font, les deux étant étroitement liées. En effet, si, pour certains, le jazz évoque la culture africaine, pour d’autres il est tributaire de la culture américaine, les adhérents se situant plutôt dans le second camp. Cependant, les emprunts au jazz ne retiennent pas l’attention de la majorité et peu se montrent profondément choqués de l’utilisation de ce répertoire au concert. Les décors imposants, l’absence, ou plutôt ce qui est jugé par la plupart comme une absence de danse au sens traditionnel, et la connotation africaine du ballet ont sans doute dérouté la critique plus que le jazz de la partition.
28Enfin, un dernier point que nous n’avons pas abordé jusqu’ici doit être considéré dans la réception de La Création du monde. Plusieurs critiques dressent un parallèle avec Le Sacre du printemps. Judi Freeman, dans son article sur Fernand Léger et les Ballets suédois, rappelle : « If Les Mariés de la tour Eiffel had been the Ballets Suédois’s response to Parade, La Création du monde resonated with the memory of the Ballets Russes’s 1913 Le Sacre du printemps56. » Le Sacre et La Création traitent d’un thème semblable selon une même opposition primitif/moderne. Cependant, compte tenu de l’ampleur des réactions suscitées par le Sacre, et en dépit des qualités innovatrices de La Création du monde, la comparaison ne pouvait manquer de se faire au détriment de ce dernier, reléguant au second plan la musique de Milhaud. D’ailleurs, Vuillermoz, fervent admirateur de Stravinsky, ne manqua pas de souligner : « Il faut en tout cas posséder une singulière dose de prétention pour s’attaquer à de tels sujets après un Stravinsky. On ne refait pas le Sacre du printemps57. »
LA CRÉATION DU MONDE APRÈS 1923
29 La Création du monde fut présentée les 25, 29 et 31 octobre 1923. Ce nombre de représentations relativement faible pour une production d’une telle envergure s’explique par la tournée américaine que devait entreprendre la troupe dès le mois de novembre58. La reprise du ballet à Paris en 1924 ne rallia pas davantage la critique quant à la musique. Par exemple, Le Ménestrel déplora la présence du jazz à cause de son association avec la musique de danse et la culture populaire :
Ce que nous reprocherons à la musique, habile, de M. Darius Milhaud, c’est une certaine vulgarité qui s’accorde mal avec pareil sujet. La création du monde ! Ce n’est pas là question légère, et l’on peut prétendre qu’il vaut mieux l’aborder dans un esprit grave, sinon religieux, qu’avec la mentalité « bastringue » si familière à beaucoup de nos modernes59.
30Le journaliste de L’Information manifesta quant à lui sa déception : « Le prologue nous avait ravis jusqu’au moment où une brutale intrusion des cuivres vint interrompre notre rêve et ruiner nos espoirs. Ah ! Si M. Darius Milhaud voulait60... » Qualifiant l’œuvre d’« incohérence agressive », le chroniqueur de L’Éclair faisait écho à son collègue en blâmant les « tonitruantes rafales d’instruments de cuivre du plus désagréable effet61 ». L’Avenir était néanmoins plus favorable : « ... l’ouverture symphonique qui prélude aux ébats simiesques de nos premiers parents est une des meilleures pages que M. D. Milhaud ait écrites62 ».
31Au total, La Création du monde fut présentée douze fois par les Ballets suédois63. La dissolution de la troupe en 1925 marqua le passage de La Création du monde de la scène au concert. D’abord tièdement accueillie à la scène, la version concert gagna la faveur des détracteurs. En 1929, le critique du Ménestrel, particulièrement acerbe lors de la première du ballet, se ravisait :
Il y a dans La Création du monde, comme dans toutes les œuvres de M. Darius Milhaud, une partie « vraie musique » qui n’a point vieilli ; il y a des moments de tendresse et de douceur charmantes, traitées avec une sobriété et une délicatesse qui sont d’un musicien de race : tout ce qui est jazz ou emprunté, comme l’appelle notre Ami Schaeffner, à la culture « afro-américaine », a légèrement passé parce qu’on a fait beaucoup mieux depuis au point de vue excentricité. [...] Telle qu’elle est d’ailleurs, l’œuvre gagne à son exécution au concert, on y perçoit mieux ce qu’il y a en elle d’invention musicale64.
32Le changement de ton et de vocabulaire est notable. Par ailleurs, ce commentaire démontre bien deux choses : l’accueil de la musique s’est modifié d’une part parce que la réception du jazz a évolué ; en 1929, ce répertoire, qui possède sa littérature, ses amateurs, ses lieux, ne choque plus ; d’autre part, la musique de Milhaud a été dépouillée des éléments primitivistes (argument, décors et chorégraphie) qui ont pu influer sur sa réception.
33La réputation de La Création du monde de Milhaud crût rapidement. Six ans après la première, Le Guide du concert lui accordait le statut de chef-d’œuvre, la considérant comme « une de ses œuvres les plus réussies et l’une des plus “milhaudiennes65” ». En 1931, Florent Schmitt écrivait dans Le Temps : « C’est je crois, ce qu’il y a de mieux jusqu’à présent dans l’œuvre de Darius Milhaud66. » La même année, on put lire dans Le Ménestrel, à propos de La Création du monde donnée aux Concerts Lamoureux ; « Nous voici déjà en l’an de grâce VIII de ce monde, et il nous séduit aujourd’hui plus certainement qu’au premier jour. L’auteur était au pupitre et fut acclamé67. » Enfin, en 1932, toujours dans Le Ménestrel : « La Création du monde de M. Darius Milhaud, qui est une œuvre réussie par le choix des idées, l’agencement très original des timbres, l’atmosphère puissante qu’elle évoque, a remporté un indéniable succès68. »
CONCLUSION
34L’examen attentif du dossier de presse de La Création du monde permet de constater que l’exécution au concert a établi le succès d’une partition d’abord tièdement accueillie lors de la première du ballet le 25 octobre 1923. Lorsque Milhaud écrit à Collaer le lendemain de la seconde représentation : « La presse est ignoble. Je jubile », il traduit bien la réaction générale à l’endroit du ballet. Le commentaire est aussi révélateur de l’attitude de Milhaud face à la critique, car il exprime une forme de controverse attendue, voire espérée, mais qui ne s’est pas manifestée. En effet, malgré les réactions mitigées à l’endroit de La Création du monde, on ne peut cependant parler de scandale, comme ce fut le cas en 1919 avec la Deuxième Suite symphonique d’après Protée ou en 1920, avec les Cinq Études pour orchestre. Il s’agit plutôt d’une confusion due au mélange des genres : primitivisme, classicisme et jazz, culture africaine et américaine, retour aux sources et modernité. Mais c’est précisément ce mélange des genres qui fait que La Création du monde, malgré son accueil mitigé, n’en demeure pas moins un des portraits les plus fidèles des préoccupations esthétiques du début des années 1920.
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Notes de bas de page
1 Darius Milhaud à Paul Collaer, lettre du 29 octobre 1923, in Paul Collaer, Correspondance avec des amis musiciens, Liège : Mardaga, 1996, p. 150.
2 Berman (2002), Freeman (1995), Häger (1989), Kelkel (1992), Garafola (1995).
3 Darius Milhaud, Entretiens avec Claude Rostand, Paris : Belfond, 1992, p. 97 ; Ma vie heureuse, Bourg-la-Reine : Zurfluh, 1998, p. 128.
4 Fernand Léger à Rolf de Maré, lettre du 12 septembre 1922 citée par Judi Freeman, « Fernand Léger and the Ballets Suédois : The Convergence of Avant-garde Ambitions and Collaborative Ideals », in Nancy Van Norman Baer (dir.), Paris Modern : The Swedish Ballet 1920-25, San Francisco : Fine Arts Museum of San Francisco, 1995, p. 106.
5 Biaise Cendrars, Anthologie nègre, Paris : La Sirène, 1921. Republié dans Cendrars, Œuvres complètes, Paris : Denoël, 2005. Concernant les différentes étapes dans l’adaptation de « La légende des origines » en scénario de ballet, voir Michèle Touret, « Un texte à voir, autour de La Création du monde » in Maria Teresa Freitas, Claude Leroy, Edmond Nogacki et al., Blaise Cendrars et les arts, Valenciennes : Presses Universitaires de Valenciennes, 2002, p. 233-45.
6 Pour le texte intégral du scénario, voir Bengt Häger, Ballets suédois, Paris : Jacques Damase et Denoël, 1989, p. 190.
7 Voir Freeman, op. cit., p. 98.
8 Ibid.
9 Nous renvoyons le lecteur aux reproductions couleur des décors et costumes dans Norman Abramovic et Fabrice Hergott, La Création du monde : Fernand Léger et l’art africain, Paris : A. Biro, 2000 ; Baer, Paris Modem : The Swedish Ballet 1920-25 ; Häger, Ballets suédois. On trouvera une analyse descriptive dans Hartwig Fisher, « “Un art plus complet” : Léger and the Ballet » in Dorothy Kosinski (dir.), Fernand Léger 1911-1924 : The Rythm of Modem Life, Munich : Prestel, 1994, de même que dans la thèse de Melissa McQuillan, « Painters and the Ballet, 1917-1926 : an Aspect of the Relationship Between Art and Theatre », New York University, 1979, p. 614-629, qui présente en plus une étude des esquisses.
10 Voir Fernand Léger, « Le spectacle, lumière, couleur, image mobile, objet-spectacle », Bulletin de l’effort moderne, nos 7, 8, 9 (juillet, octobre, novembre 1924), p. 4-7 ; 5-9 ; 7-9. Republié in Fernand Léger, Fonctions de la peinture, Paris : Gallimard, 1997, p. 111-133.
11 Ibid.
12 Häger, Ballets suédois, p. 41.
13 Voir Milhaud, Ma vie heureuse, chapitre 15, « Rencontre avec le jazz », et chapitre 18, « États-Unis 1922 ».
14 « Il me vint à l’idée d’utiliser ces rythmes et ces timbres dans une œuvre de musique de chambre, mais il me fallait auparavant pénétrer plus profondément les arcanes de cette nouvelle forme musicale dont la technique m’angoissait encore ». Milhaud, Ma vie heureuse, p. 100.
15 Darius Milhaud, « L’évolution du jazz-band et la musique des Nègres d’Amérique du Nord », Le Courrier musical (1er mai 1923), p. 163-64.
16 Cendrars et Léger, qui accordaient une grande importance au choix du compositeur, ont suggéré à Rolf de Maré le nom de Milhaud. Voir Freeman, op. cit., p. 98. Le compositeur fut chargé officiellement de la musique en janvier 1923. Voir Touret, « Un texte à voir, autour de La Création du monde » in Biaise Cendrars et les arts, p. 238.
17 « Je composai mon orchestre comme ceux de Harlem [...] et j’utilisai le style jazz sans réserve, le mêlant à un sentiment classique. » Milhaud, Ma vie heureuse, p. 125.
18 Pour plus de détails sur ces emprunts, nous renvoyons le lecteur aux travaux de Geoffrey Haydon, « A Study of the Exchange of Influences Between the Music of Early Twentieth-Century Parisian Composers and Ragtime, Blues, and Early Jazz », thèse de doctorat en interprétation, University of Texas, 1992 ; Nancy Perloff, Art and the Everyday : Popular Entertainment and the Circle of Erik Satie, Oxford : Clarendon, 1991 ; Carine Perret, « L’adoption du jazz par Darius Milhaud et Maurice Ravel : l’esprit plus que la lettre », Revue de musicologie, vol. 9, no 2 (2003), p. 311-347 ; Sandra Sedman Yang, « The Composer and Dance Collaboration in the Twentieth Century : Darius Milhaud’s Ballets, 1918-1958 », thèse de doctorat, University of California : 1997 ; et plus spécialement Deborah Mawer, Darius Milhaud : Modality and Structure in Music of the 19205, Brookfield : Ashgate, 1997.
19 Laura Rosenstock, « Léger : La Création du monde », in William Rubin et Jean-Louis Paudrat (dir.), Le Primitivisme dans l’art du XXe siècle : Les artistes modernes devant l’art tribal, Paris : Flammarion, 1987, p. 178-179.
20 Les critiques divergent quant aux œuvres exécutées.
21 Il mettait à contribution deux artistes américains installés à Paris : le peintre Gerald Murphy, qui réalisa l’argument, les décors et les costumes, et Cole Porter, dont la musique fut orchestrée par Charles Koechlin. Jean Borlin régla la chorégraphie. Pour plus de détails sur ce ballet, voir Robert Murdock, « Gerald Murphy, Cole Porter and the Ballets Suédois Production of Within the Quota », in Baer, Paris Modem : The Swedish Ballet 1920-25, p. 108-127 ; et Robert Orledge, « Cole Porter’s Ballet Within the Quota », Yale University Library Gazette, no 50 (juillet 1975). p. 19-29.
22 Florent Fels, « Propos d’artiste : Fernand Léger », Les Nouvelles littéraires (30 juin 1923), p. 4.
23 Blaise Cendrars et Fernand Léger, « Ballets suédois de Rolf de Maré : La Création du monde, ballet de MM. Borlin, Cendrars, Léger, Milhaud », L’Esprit nouveau, no 18 (novembre 1923).
24 Cité in Roger Nichols, The Harlequin Years : Music in Paris, 1917-1929, Londres : Thames and Hudson, 2000, p. 240.
25 A. R., « La Soirée », Comœdia (28 octobre 1923), p. 1-2.
26 Pierre de Lapommeraye, « Théâtre des Champs-Élysées – La Création du monde », Le Ménestrel (2 novembre 1924), p. 453.
27 Anonyme, « Ballet cubiste », L’Œuvre (27 octobre 1923).
28 Adolphe Boschot, « La Musique dans les Théâtres », L’Écho de Paris (29 octobre 1923), p. 4.
29 Charles Tenroc, « Théâtre des Champs-Élysées : Ballets suédois », Le Courrier musical (15 novembre 1923), p. 356.
30 Lapommeraye, op. cit., p. 453. Cette comparaison n’est pas fortuite, car des peintres, dont Léger, ont été engagés durant la Première Guerre pour créer des camouflages. Voir Fernand Léger, Fernand Léger, une correspondance de guerre à Louis Poughon, 1914-1918, Paris : Centre Georges Pompidou, 1990. Je remercie Louise Hirbour d’avoir porté cet aspect à mon attention.
31 Levinson, « Les Ballets suédois », Comœdia (29 octobre 1923), p. 1.
32 Marcel Hiver, « Réflexions VI. Assez d’art nègre », Montparnasse (1er novembre 1923), p. 6.
33 Liste des périodiques dépouillés : L’Action française, L’Avenir, Bonsoir, Comoedia, Le Courrier musical, L’Écho de Paris, L’Éclair, L’Esprit nouveau, Excelsior, Le Figaro, L’Information, L’Intransigeant, Le Journal, Liberté, Le Ménestrel, Le Monde des musiciens, Le Monde musical, Montparnasse, Les Nouvelles littéraires, L’Œuvre, Paris-soir, Le Petit Journal, La Revue de France, La Revue mondiale, La Revue musicale, Le Temps. Dossier de presse de La Création du monde, Fonds Montpensier, Bibliothèque nationale de France, Département de la Musique. Je tiens à remercier Louise Hirbour pour son aide précieuse dans l’obtention de plusieurs critiques.
34 Lapommeraye, op. cit., p. 453-54.
35 Mawer, Darius Milhaud: Modality and Structure in Music of the 1920s, p. 149.
36 « M. Darius Milhaud qui avait débuté dans la musique, comme tout le monde, par la polyphonie, continua par la polytonie, pour tomber dans la cacophonie. On ne peut appeler autrement cet accompagnement où la grosse caisse, les cymbales, le sifflet, les plaques de cuivre, etc., etc., chahutent à plaisir, interrompus de temps en temps par une banale rêverie que tente de murmurer le violoncelle ou le violon. M. Darius Milhaud vient trop tard : à ce même Théâtre des Champs-Élysées, l’orchestre nègre nous offrit récemment un extrait de jazz où un nommé Bubbie à lui seul faisait beaucoup plus de bruit et incontestablement mieux que les douze ou quatorze percutants de la batterie réunie pour L’Homme et son désir. » Lapommeraye, « Théâtre des Champs-Élysées – L’Homme et son désir », Le Ménestrel (17 juin 1921), p. 252.
37 Levinson, « Les Ballets suédois », Comœdia (29 octobre 1923), p. 1.
38 Robert Dezarnaux, « Au Théâtre des Champs-Élysées : Les Ballets suésuédois », Liberté (27 octobre 1923). Les références sans numéro de page proviennent du dossier de presse de La Création du monde du Fonds Montpensier de la Bibliothèque nationale de France, section de la Musique.
39 Gustave Bret, « Les Ballets suédois – La musique », L’Intransigeant (27 octobre 1923).
40 Raoul Brunel, « Répétition générale, Théâtre des Champs-Élysées. Les Ballets suédois », L’Œuvre (28 octobre 1923).
41 Émile Vuillermoz, « Ballets suédois », Excelsior (29 octobre 1923).
42 Barbara Kelly fournit quelques explications sur les causes de cette hostilité dans son ouvrage Tradition and Style in the Works of Darius Milhaud, 1912-1939, Aldershot : Ashgate, 2003, p. 7-9.
43 Vuillermoz, « Ballets suédois », Excelsior.
44 Émile Vuillermoz, « Le Jardin du Paradis – Ballets suédois – La Griffe – Sainte Odile – Le Cloître », La Revue musicale (1er décembre 1923), p. 167
45 Émile Vuillermoz, « Rag-time [sic] et jazz-band », Musiques d’aujourd’hui, Paris : Crès, 1923, p. 207-215.
46 Gustave Samazeuilh, « La musique », La Revue mondiale (15 novembre 1923), p. 213.
47 Auguste Mangeot, « Théâtre des Champs-Élysées », Le Monde musical (novembre 1923), p. 359.
48 Outre La Création du monde, rappelons que Milhaud a auparavant collaboré avec la troupe de Rolf de Maré pour L’Homme et son désir (1918) et Les Mariés de la tour Eiffel (1921), créés tous deux en 1921.
49 Il s’agit de La Brebis égarée.
50 Tenroc, « Théâtre des Champs-Élysées : Les Ballets suédois », Le Courrier musical (15 novembre 1923), p. 356.
51 André Messager, « Les premières : Théâtre des Champs-Élysées », Le Figaro (27 octobre 1923), p. 3.
52 Georges Auric, « Au Théâtre des Champs-Élysées : Ballets suédois », Les Nouvelles littéraires (10 novembre 1923), p. 3.
53 Ibid.
54 Perloff, Art and the Everyday: Popular Entertainment and the Circle of Erik Satie, p. 202-03.
55 Roland-Manuel, s.t., L’Éclair (26 novembre 1923).
56 Freeman, op. cit., p. 97.
57 Vuillermoz, « Ballets suédois », Excelsior (29 octobre 1923).
58 Pour l’occasion, le titre du ballet fut traduit par Creation, an African Negro Ballet. – Ornella Volta, « Les “Fêtes nègres” de Biaise Cendrars », Continents Cendrars, no 6-7 (1991), p. 44.
59 J. H. Moreno, « La semaine musicale. Théâtre des Champs-Élysées », Le Ménestrel (28 novembre 1924), p. 495.
60 Montclar, « La musique à Paris », L’Information (23 novembre 1924).
61 Charles Pons, « Au Théâtre des Champs-Élysées », L’Éclair (26 novembre 1924).
62 Maurice Boucher, « Les Ballets suédois », L’Avenir (25 novembre 1924).
63 D’autres troupes ont par la suite repris La Création du monde sur différentes chorégraphies. Parmi celles-ci, mentionnons la version d’Agnès de Mille, avec des danseurs noirs, présentée en 1939 par le Ballet Theater de New York, sous le titre Black Ritual et la production du Théâtre de la Fenice de Venise, en 1986, avec les décors originaux reconstitués.
64 Lapommeraye, « Orchestre symphonique de Paris », Le Ménestrel (18 janvier 1929), p. 26.
65 José Bruyr, Le Guide du concert (18 octobre 1929), p. 56.
66 Florent Schmitt, « Les concerts. Champs-Élysées », Le Temps (6 juin 1931), p. 3.
67 M. B., « Concerts Lamoureux », M. B., « Orchestre symphonique de Paris », Le Ménestrel (3 avril 1931), p. 153-54.
68 M.B., « Orchestre symphonique de Paris », Le Ménestrel (12 février 1932), p. 71.
Auteur
Université de Montréal, Canada
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