Chapitre 4. Évolution de la musique de scène en France de 1900 à 1945
p. 135-150
Texte intégral
1Résumer quarante-cinq années de musique française en quelques pages pourrait sembler présomptueux. Pourtant ce pari prend tout son sens lorsqu’il s’agit de musiques de scène. En effet, ce répertoire considéré comme marginal a suscité peu d’intérêt de la part des chercheurs1 ; méconnu, il est parfois méprisé. Il intègre pourtant une interdisciplinarité structurelle permettant de relier deux domaines de recherche : les études théâtrales et la musicologie. Comme son titre l’indique, cette étude de synthèse est structurée en deux parties, la première est consacrée à l’évolution de la musique de scène afin d’évaluer les influences subies par ce répertoire ; la seconde correspond à la mise en évidence des éléments de modernité apparaissant dans ce corpus.
2En 1900, Gabriel Fauré compose une musique de scène pour Prométhée d’après le texte d’Eschyle2 joué aux arènes de Béziers dans le cadre d’une série de représentations inaugurée par Camille Saint-Saëns en 1896 afin de restituer l’esprit du théâtre antique. Auparavant, Gabriel Fauré avait déjà composé pour le théâtre, il faut citer notamment la partition connue sous forme de suite3 écrite pour les représentations à Londres de Pelléas et Mélisande de Maeterlinck en 1898. Pour Prométhée, Fauré dispose d’un effectif énorme, réunissant trois orchestres d’harmonie auxquels s’ajoutent cent instruments à cordes, dix-huit harpes, trente trompettes, deux cent choristes, des danseuses, des acteurs vedettes de l’époque comme Édouard de Max4 qui interprète le rôle-titre, des solistes de l’opéra, soit près de 800 personnes. Fauré confie l’orchestration des musiques d’harmonie à Charles Eustace, chef de l’harmonie militaire de Montpellier. Cette partition, particulièrement intéressante parce qu’atypique dans l’univers musical de Fauré, correspond à une des rares tentatives du compositeur d’écrire pour un effectif important associé à une interdisciplinarité induite par la tragédie grecque mêlant chœurs, danses et, bien sûr, texte dramatique.
3Mais les grands spectacles joués aux arènes de Béziers s’inscrivent dans une conception passéiste de la scène qui sépare les interventions, concentrant toute l’attention sur les acteurs vedettes qui déclament à l’avant-scène. Conventions théâtrales qu’André Antoine (1858-1943) va refuser en imposant une véritable révolution dans l’art du théâtre. On situe généralement l’apparition de la notion de mise en scène en France en 1887, date de la création du Théâtre-Libre par André Antoine qui impose une conception naturaliste de l’art dramatique, proche des théories énoncées par Émile Zola dans son ouvrage Le Naturalisme au théâtre5. Ce dernier attribue au décor de théâtre une fonction semblable à celle des descriptions dans les romans réalistes. En exigeant un jeu naturel, dans un décor constitué de véritables accessoires, Antoine s’applique comme son homologue russe Stanislavski6 à réincarner le réel par la magie du théâtre. Ainsi, lorsque André Antoine devient directeur de l’Odéon en 1907, la première pièce qu’il choisit de monter est l’adaptation du roman de Zola La Faute de l’abbé Mouret7, avec une musique d’Alfred Bruneau8. Ce choix n’est pas le fruit du hasard en effet, puisque Alfred Bruneau était un proche d’Émile Zola. Plusieurs de ses ouvrages lyriques9 sont inspirés par l’écrivain français, par exemple Le Rêve10 créé à l’Opéra-Comique en 1891. Sa démarche artistique s’inscrit dans le courant naturaliste magnifié en 1900 par la création de Louise de Gustave Charpentier11.
4Le caractère prosaïque de cette esthétique s’oppose d’ailleurs totalement à la vision poétique de Claude Debussy, qui expliquait ainsi dans une lettre à son ami le prince Poniatowski :
Il se lève aussi à l’horizon musical un jeune astre du nom de Gustave Charpentier qui me paraît destiné à une gloire aussi productrice qu’inesthétique. C’est comme on pourrait dire le triomphe de la Brasserie. [...] Mais, sapristi, la musique c’est du rêve dont on écarte les voiles ! Ce n’est même pas l’expression d’un sentiment, c’est le sentiment lui-même ! Et l’on voudrait qu’il serve à raconter de simples anecdotes ! Quand les journaux s’acquittent à merveille de ce soin12.
5Le public put en effet mesurer, lors de la création de Pelléas et Mélisande en 1902, toute la distance qui existait entre ces deux univers. Bien que Debussy ait été très proche de la création littéraire, sa tentative de collaboration avec André Antoine en 1904 échoua. En effet, le projet d’écrire une partition pour la première restitution authentique en France d’une pièce de Shakespeare, Le Roi Lear, au Théâtre-Libre, n’aboutit pas. Debussy composa seulement deux morceaux, Fanfare et Le Sommeil de Lear, édités par Jean Roger-Ducasse13 après la mort du compositeur. En revanche, Debussy s’investit bien plus tard, en 1911, dans un projet beaucoup plus important : Le Martyre de saint Sébastien, écrit en deux mois avec l’aide d’André Caplet14 sur un texte en français de Gabriele D’Annunzio15, mise en scène d’Armand Bour, décors et costumes de Léon Bakst16, chorégraphie de Michel Fokine17. Ida Rubinstein18 interprétait le rôle titre. Le thème de cette pièce évoque l’atmosphère particulière créée au IVe siècle par l’opposition entre le paganisme décadent et le christianisme naissant. Composée sur le modèle d’un mystère du Moyen Âge en cinq mansions ou actes19, cette œuvre associe des rôles de comédiens20 et de chanteurs21. Ce spectacle se solda par un échec dû principalement à la durée excessive de cette œuvre – la pièce durait plus de quatre heures –, mais aussi à la réputation sulfureuse d’Annunzio et à la condamnation du clergé. Cette partition fut ensuite jouée en version concert sous forme d’oratorio en supprimant une grande partie du texte. Cette commande d’Ida Rubinstein relève d’une conception pluridisciplinaire du spectacle qui s’apparente au « théâtre total ».
6La guerre de 1914-1918 marque la fin d’une époque, aussi bien d’un point de vue théâtral, avec la fin de la carrière d’André Antoine, qu’au point de vue musical, avec la mort en 1918 de Claude Debussy. Une nouvelle esthétique annoncée par la création retentissante de Parade en 1917 rompt avec les valeurs du passé. L’expérience, réalisée en 1918 par Georges Pitoëff22, qui mit en scène à Lausanne L’Histoire du soldat de Stravinsky/Ramuz, traduit bien la volonté des artistes de cette époque d’imaginer une nouvelle expression dramatique. Dans cette perspective, la traduction de l’Orestie par Claudel associée à la musique de Darius Milhaud démontre tout le parti qu’un musicien peut tirer d’un texte dramatique, en témoigne son expérimentation de la polytonalité dans les Choéphores23. Et ce n’est pas un hasard si les membres du Groupe des Six, encouragés par Cocteau, apportèrent une contribution si importante à un genre annexe comme la musique de scène. La composition collective de cinq membres du Groupe des Six pour Les Mariés de la tour Eiffel, « ballet satirique en un acte24 » écrit par Cocteau, concrétise cet engagement pour une nouvelle forme de spectacle. Dans sa préface, Cocteau explique : « Une pièce de théâtre devrait être écrite, décorée, costumée, accompagnée de musique, jouée, dansée par un seul homme. Cet athlète complet n’existe pas. Il importe donc de remplacer l’individu par ce qui ressemble le plus à un individu : un groupe amical25. » Ces affinités électives instaurent une interdisciplinarité presque militante entre les artistes.
7Dans le domaine du théâtre, les metteurs en scène s’intéressent aux compositeurs contemporains. La convergence de deux courants, l’un musical, impulsé par Cocteau à travers le Groupe des Six prônant une nouvelle forme de spectacle, et l’autre théâtral, avec l’émergence d’un nouveau pouvoir, celui des metteurs en scène, qui crée des conditions favorables à l’interdisciplinarité. La constitution en 1927 du Cartel réunissant les plus grands metteurs en scène du moment : Louis Jouvet, Charles Dullin, Georges Pitoëff26 et Gaston Baty, témoigne d’une prise de conscience de ces artistes face à leurs responsabilités de metteurs en scène, mais aussi de directeurs de théâtre. Louis Jouvet27 dirige le Théâtre de l’Athénée, Gaston Baty28, le Théâtre de la Chimère et Charles Dullin29 fonde le Théâtre de l’Atelier, auquel il joint une école. L’enseignement de Charles Dullin a d’ailleurs singulièrement marqué les jeunes comédiens de cette époque, notamment Jean-Louis Barrault qui mettra à profit, pendant sa longue carrière, les acquis de sa jeunesse à l’Atelier et notamment ses talents pour le mime décelés grâce à sa rencontre avec Étienne Decroux30. D’un point de vue théorique, la personnalité d’Antonin Artaud, qui fut le condisciple de Jean-Louis Barrault chez Dullin, influencera la conception dramaturgique des générations à venir. Très intéressé par la musique, Charles Dullin ne l’assimilait pas à un décor. Dans son ouvrage Ce sont les Dieux qu’il nous faut, il affirme :
La participation de la musique reste pour moi à la base d’un spectacle complet, mais on en est arrivé à déformer complètement l’emploi de la musique en s’en servant en général comme d’un lien sonore entre les actes pour distraire les spectateurs pendant les changements de décors. Je n’hésite pas à dire que c’est une erreur. La musique n’est intéressante que si elle fait partie du drame, sinon elle est une cause de dispersion de l’intérêt et devient nuisible31.
8En 1922, il commande une partition pour Antigone de Cocteau à Honegger, texte que le compositeur réutilisera plus tard pour son opéra32 puis, en 1928, il sollicite Georges Auric pour écrire la chanson de Volpone de Jules Romains et, en 1932, il collabore avec Darius Milhaud pour Le Château des papes d’André de Richaud. Il mettra en scène l’opéra Médée de Darius Milhaud en 1939 à l’Opéra de Paris. Quant à Louis Jouvet, son attitude par rapport à la musique était plus directive. Marthe Besson Herlin, qui fut directrice de la scène à l’Athénée, explique comment travaillait le metteur en scène :
Jouvet faisait venir le musicien quand le travail des répétitions était assez avancé, puis quand la pièce était déjà minutée, Jouvet pouvait lui indiquer la durée exacte des séquences musicales. Très souvent, il faisait des suggestions, il lui arrivait même de chantonner. Il avait une idée très précise de ce qu’il voulait. Mais il acceptait aussi les propositions des compositeurs surtout celles de Sauguet ou Rieti33.
9Jouvet commande une partition à Francis Poulenc pour Intermezzo de Jean Giraudoux en 1928, mais la musique de scène la plus célèbre composée par Poulenc est la mélodie Les Chemins de l’amour écrite pour une pièce de Jean Anouilh, Léocadia, mise en scène en 1940 par Pierre Fresnay et interprétée par Yvonne Printemps. Parmi les compositeurs de cette époque, Henri Sauguet se distingue par sa prédilection pour le théâtre. Acteur à l’occasion, le membre le plus éminent de l’École d’Arcueil interpréta le rôle34 du baron Méduse35 dans la pièce d’Erik Satie Le Piège de Méduse (1913). Ayant écrit une cinquantaine de musiques de scène, ses collaborations les plus remarquables sont destinées aux pièces de Jean Giraudoux pour Ondine (1939) et La Folle de Chaillot (1945). Auparavant, Jouvet avait sollicité Maurice Jaubert36 pour deux autres pièces de ce dramaturge : Tessa (1934) et La Guerre de Troie n’aura pas lieu (1935). À partir de 1940, l’Occupation provoque une rupture au sein du milieu artistique. Darius Milhaud est obligé de s’exiler et Louis Jouvet décide de partir avec sa troupe pour une longue tournée en Amérique du Sud qui durera quatre ans. En France, malgré les privations dues à l’Occupation, la vie artistique se développe avec un dynamisme remarquable. Quelques créations sont fastueuses, par exemple celle du Soulier de satin de Paul Claudel en 1943 à la Comédie-Française. La mise en scène est de Jean-Louis Barrault, la musique, pour clarinette, trompette, percussions, ondes Martenot, piano, cordes, soprano, baryton et chœurs, est composée par Arthur Honegger et l’orchestre est dirigé par André Jolivet. Ce dernier compose la même année une musique pour Iphigénie à Delphes de Gerhardt Hauptmann37, pièce imposée par l’occupant pour fêter à la Comédie-Française le quatre-vingtième anniversaire du dramaturge allemand. La réception de cette pièce s’étant soldée par un échec, André Jolivet réutilisa cette partition de musique de scène pour constituer sa Suite delphique.
10Ce bref aperçu de l’évolution de la musique de scène entre 1900 et 1945 a permis de citer des œuvres de Fauré, Debussy, du Groupe des Six, de l’École d’Arcueil et du Groupe Jeune France. Ainsi les principaux apports stylistiques de la première moitié du XXe siècle apparaissent à travers le prisme de la musique de scène. En dehors des avancées du langage, l’étude des partitions d’un point de vue orchestral révèle que l’écriture de la musique de scène est souvent l’occasion pour les compositeurs d’innover dans les recherches de timbres. À l’image de Georges Bizet qui introduit dès 1872 le saxophone dans sa musique de scène de l’Arlésienne38 d’Alphonse Daudet, les compositeurs utilisent très tôt les nouveaux instruments. En 1925, Maurice Jaubert intègre le Pleyela39 à l’effectif de sa première musique de scène pour une pièce de Calderon40, Le Magicien prodigieux. Mais c’est l’apparition en 1928 des ondes Martenot qui va susciter le plus d’enthousiasme auprès des compositeurs. Dès 1932, Darius Milhaud utilise les ondes Martenot pour Le Château des papes d’André de Richaud41, mais Honegger et Jolivet les intègrent aussi dans leurs partitions de musique de scène42. Dans un article publié dans Comœdia intitulé Les ondes Martenot et la Grèce antique, Arthur Honegger écrit :
Deux ouvrages mettant en scène les personnages de l’Orestie, Iphigénie à Delphes de Gerhardt Hauptmann et Les Mouches de Jean-Paul Sartre, sont accompagnés de musique où l’appareil à ondes Martenot joue un rôle principal. (...) Le Martenot peut apporter là un soutien d’une puissance insoupçonnée et aucun autre instrument ne pourrait rivaliser avec lui dans la précision et l’agilité. Son timbre peut s’incorporer à celui des cordes et faire masse avec eux. Dix violons doublés par un Martenot donnent l’impression de trente violons43.
11Arthur Honegger évoque ici les problèmes de densité sonore.
12En comparant les effectifs utilisés pour la musique de scène entre 1900 et 1945, on constate que le nombre d’instruments diminue progressivement au fur et à mesure que l’on s’éloigne du début du siècle. En effet, dans les années 1900, la tradition symphonique domine puis, à partir des années 1930, les timbres sont de plus en plus individualisés, l’expression devient plus concise. On passe d’effectifs pléthoriques, par exemple pour Prométhée, à des ensembles plus réduits, comme celui cité pour l’orchestration du Soulier de satin.
13Cette réduction des effectifs correspond à une évolution de l’esthétique, mais elle peut aussi s’expliquer par des impératifs économiques. Le paramètre financier joue en effet un rôle important dans les relations entre compositeurs et metteurs en scène, ces derniers choisissent souvent de réduire le nombre de musiciens ou d’enregistrer pour limiter les frais. Les musiciens de théâtre subissent ainsi la concurrence grandissante de l’enregistrement. Les orchestres de l’Odéon ou de la Comédie-Française sont rapidement menacés. Ainsi Raymond Charpentier44, directeur de la musique à la Comédie-Française, doit-il argumenter auprès de l’administrateur contre l’utilisation du phonographe. Dans un rapport écrit en 1932, il explique ainsi que « La musique mécanique ou comme on l’a dit très justement, la musique en conserve ne saurait la plupart du temps se substituer à la musique directe. Sur les scènes secondaires, on l’appelle non sans raison la musique du pauvre, on ne l’y admet que par commisération45. » Mais les arguments de Raymond Charpentier ne tiennent pas face à la pression économique. Dans la pratique, la musique enregistrée s’impose de plus en plus. Dans ses écrits46, Darius Milhaud évoque ce problème en précisant que tout dépend du metteur en scène et explique que Jouvet et Copeau optaient en général pour la musique enregistrée, tandis que Dullin et Pitoëff préféraient l’interprétation en direct.
14En écoutant les disques utilisés pour la musique de scène, on constate que ces enregistrements associent musiques et bruits. Ainsi, bien avant les travaux de Pierre Schaeffer47, la notion de musique concrète existait déjà dans les partitions de musique de scène. L’intégration des bruits, de la musique et du texte pratiquée au théâtre subit l’influence de l’apparition du cinéma sonore dans les années 1930. Cette évolution fondamentale du septième art modifie la perception musicale des auditeurs, des compositeurs et des metteurs en scène de théâtre. En effet, la musique de film, conçue selon un minutage précis, induit une fragmentation des extraits musicaux identique à celle pratiquée au théâtre. Il existe ainsi des similitudes entre les procédés d’écriture des musiques destinées au théâtre et au cinéma. Les compositeurs de musique de scène écrivent d’ailleurs aussi pour le cinéma. Parmi ces musiciens, on peut citer notamment Arthur Honegger, Georges Auric, Henri Sauguet, Roger Désormières et, bien sûr, Maurice Jaubert.
15Pour un compositeur, s’intéresser au cinéma ne témoigne pas seulement d’un engouement certain pour les nouvelles formes d’expression, mais relève aussi d’une conception élargie de la scène. Honegger ne déclarait-il pas : « Personnellement, je crois en un théâtre musical qui ferait appel à toutes les possibilités spectaculaires, y compris le cinéma48. » Il rejoignait ainsi les souhaits visionnaires de Claudel dans son texte Le drame et la musique49. Cette idée très moderne de recourir aux moyens du cinéma pour le théâtre illustre à quel point la mise en scène a pu transformer la notion de spectacle en cette première moitié du XXe siècle.
CONCLUSION
16En conclusion, la musique de scène est un genre remarquablement présent dans la production des compositeurs de la première moitié du XXe siècle. Cet engouement peut s’expliquer par différentes motivations. En premier lieu, la musique de scène est un genre aux contours relativement flous qui peut s’apparenter à l’oratorio ou au ballet. D’un point de vue littéraire, les compositeurs ont l’occasion unique d’expérimenter les relations texte/musique avec des dramaturges contemporains ; les collaborations exemplaires de Milhaud et d’Honegger avec Claudel en témoignent. En second lieu, l’activité théâtrale s’effectuant dans une sphère artistique très éloignée des institutions musicales officielles, les compositeurs sollicités par les metteurs en scène ont la possibilité d’être joués dans un cadre non conventionnel qui permet d’effectuer des essais de timbres ou d’établir des liens étroits avec un texte avant d’écrire une œuvre de plus grande envergure, comme le fit par exemple Darius Milhaud en reprenant en 1943 pour son opéra le sujet de la pièce Bolivar de Jules Supervielle illustré en 1938 à la Comédie-Française. D’autre part, l’étude de la musique de scène permet d’appréhender l’évolution sociale et technique de l’époque en mettant en évidence le changement radical des conditions de travail des musiciens d’orchestre face à la concurrence de l’enregistrement et les interactions entre l’art artisanal qu’est le théâtre et l’industrie cinématographique, autant de signes très modernes qui vont s’amplifier dans la deuxième moitié du XXe siècle. Mais le fait primordial, mis en évidence par l’étude de la musique de scène, est la participation directe des compositeurs à une redéfinition de la notion de spectacle à travers l’action omniprésente des metteurs en scène. Une redéfinition qui annonce une pluridisciplinarité rééquilibrée au théâtre avec les grandes aventures de la Compagnie Renaud-Barrault, du TNP et du Festival d’Avignon avec Jean Vilar, ou plus récemment du Théâtre du Soleil d’Ariane Mnouchkine. En outre, on assiste à une intrusion de la mise en scène dans tous les genres, notamment à l’opéra50, démultipliant la notion de création à chaque mise en scène, selon l’expression de Daniel Mesguich dans son ouvrage L’éternel éphémère (1991) : désormais « le metteur en scène tient tout texte pour un palimpseste5152 ».
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BIBLIOGRAPHIE
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Notes de bas de page
1 Parmi les ouvrages consacrés à la musique de scène, on peut citer la thèse de musicologie soutenue au Conservatoire de Paris en 1973 par Pierre Menneret, « La musique de scène de Napoléon III à Poincaré, 1852-1914 » ; celle plus récente de Pascal Lécroart, « Paul Claudel et la musique scénique, du Christophe Colomb au Livre de Christophe Colomb 1927-1952 », sous la direction de Michel Autrand, Paris IV, 1998, publiée chez Mardaga sous le titre : Paul Claudel et la rénovation du drame musical, 2004 ; enfin la thèse que j’ai soutenue en octobre 2003 à l’Université Paris-Sorbonne, Paris IV en musicologie sous la direction de Danièle Pistone, « La musique à la Comédie-Française de 1921 à 1964. Aspects de l’évolution d’un genre », Liège : Mardaga, 2005.
2 Adaptation de Jean Lorrain et d’André-Ferdinand Hérold.
3 Op. 80, cette suite comprend la célèbre Sicilienne allegro molto moderato qui fut composée en 1893 pour une version inachevée de musique de scène destinée au Bourgeois gentilhomme de Molière.
4 Édouard Alexandre Max (1869-1924), dit Édouard de Max, tragédien célèbre qui, ayant débuté à l’Odéon, poursuivit sa carrière au Théâtre Antoine, puis fut engagé à la Comédie-Française en 1915.
5 Ayant exercé comme critique de théâtre dans Le Bien public et Le Voltaire, Zola réunit en 1881 ses textes dans deux ouvrages : Le Naturalisme au théâtre ; Nos auteurs dramatiques.
6 Constantin Stanislavski, de son vrai nom Konstantin Alekseïev (1863-1938), metteur en scène russe qui fonde en 1898 le Théâtre d’Art de Moscou et monte des pièces de Tchékhov ou de Gorki. Auteur de Rabota aktëra nad soboj publié en 1938 dont sont issus des ouvrages fondamentaux : La Formation de l’acteur et La Construction du personnage.
7 C’est le cinquième roman de la vaste fresque écrite par Zola : Les Rougon-Macquart, histoire naturelle et sociale d’une famille sous le Second Empire (1871-1893).
8 1857-1934, entré au Conservatoire de Paris en 1873, il suivit les cours dans la classe de Franchomme en violoncelle, dans celle de Savard pour l’harmonie et étudia la composition avec Massenet. Il obtint le second grand prix de Rome en 1881.
9 L’Attaque du moulin, 1893 ; Messidor, 1897 ; L’Ouragan, 1901 ; L’Enfant-roi, 1905 ; Lazare, 1905 ; Naïs Micoulin, 1907. Bruneau a écrit une biographie dans laquelle il évoque son amitié avec Zola : À l’ombre d’un grand cœur (1931).
10 D’après le seizième roman des Rougon-Macquart.
11 Premier grand prix de Rome en 1887, Gustave Charpentier ne parvint pas à donner une suite au grand succès de Louise.
12 Edward Lockspeiser et Harry Halbreich, Claude Debussy, Paris: Fayard, 2001, p. 216.
13 (1873-1954) Ayant étudié au Conservatoire de Paris avec Gedalge et Fauré, il obtint le second grand prix de Rome en 1902.
14 (1863-1938) Compositeur et chef d’orchestre. Ayant obtenu le premier grand prix de Rome en 1901, il s’est illustré comme chef d’orchestre. Il dirigea Le Martyre de saint-Sébastien lors de sa réation.
15 (1863-1938) Poète et dramaturge italien, auteur de La Ville morte (La Citta morta) créée par Sarah Bernhardt en 1898.
16 Qui fut l’auteur de nombreux décors pour Les Ballets russes de Diaghilev.
17 Danseur et chorégraphe des Ballets russes.
18 (1888-1960) Danseuse et comédienne russe ayant appartenu à la troupe des Ballets russes, elle fut à l’origine de nombreuses commandes dont Le Boléro de Ravel, Perséphone de Stravinsky et Amphion d’Arthur Honegger.
19 « La Cour des lys » ; « La Chambre magique » ; « Le Concile des faux dieux » ; « Le Laurier blessé » ; « Le Paradis ».
20 Rôles de Sébastien, de l’Empereur, du Préfet, de la Mater dolorosa et de la Fille malade des fièvres.
21 Voix des Jumeaux (contralti), la Vierge Erigone (soprano), la Vox cælis (soprano), la Vox sola (soprano), l’âme de Sébastien (soprano).
22 (1884-1939) Acteur et metteur en scène d’origine russe qui s’imposa comme directeur de théâtre et appartint au groupe du Cartel.
23 Darius Milhaud, Ma vie heureuse, Paris : Belfond, 1987, p. 59-60.
24 Désignée ainsi par l’auteur.
25 Jean Cocteau, Théâtre complet, Paris : Gallimard, 2003, p. 38.
26 Georges Pitoëff exerce au Théâtre des Mathurins de 1934 à 1939.
27 (1887-1951) Acteur, metteur en scène français, auteur d’ouvrages sur le théâtre dont Le comédien désincarné (1954).
28 (1885-1952) Assistant de Gémier, il crée de nombreux spectacles. À la fin de sa vie, il s’intéresse au théâtre de marionnettes.
29 (1885-1949) Acteur, metteur en scène très éclectique, intégrant aussi bien la commedia dell’arte que le nô.
30 (1898-1991) Acteur français, fondateur d’une école de mime.
31 Charles Dullin, Ce sont les Dieux qu’il nous faut, Paris : Gallimard, 1969, p. 233.
32 Composé entre 1924 et 1927 et créé le 28 décembre 1927 au Théâtre de la Monnaie de Bruxelles.
33 « Une constante de rigueur », entretien réalisé par Terje Sinding, publié dans le « Programme de La poudre aux yeux, Monsieur de Pourceaugnac », Comédie-Française, no 163 (décembre 1987), p. 31.
34 Mais aussi celui de Dame Pernelle dans Tartuffe avec la troupe du Rideau de Paris de Marcel Herrand et Jean Marchat, en 1944. Dame Pernelle est la mère d’Orgon.
35 En 1932 au Conservatoire de Paris, puis en 1965 à la Schola Cantorum et en 1966 pour une cérémonie d’hommage à Arcueil.
36 (1900-1940) Compositeur surtout connu pour ses musiques de film parmi lesquelles on peut citer Quatorze Juillet de René Clair (1933), L’Atalante de Jean Vigo (1935) et Drôle de drame de Marcel Carné (1937).
37 (1862-1946) Dramaturge allemand, fondateur de l’école naturaliste, il subit l’influence de Zola. Les Tisserands (Die Weber) 1893 ; Les Rats (Die Ratten), 1911.
38 Le saxophone alto intervient dans la seconde partie du Prélude en jouant le thème de l’Innocent.
39 « À la fin de la Guerre (14-18), la maison Pleyel lance son piano automatique, le Pleyela, un instrument conçu sur le principe de l’orgue de Barbarie : des rouleaux perforés commandant le mécanisme de marteaux. Son intérêt était double : outre une parfaite exactitude rythmique, il permettait de “jouer” sur un clavier des traits et des accords que le plus phénoménal des pianistes n’aurait pu exécuter. » François Porcile, La Belle Époque de la musique française, 1871-1940, Paris : Fayard, 1999, p. 309.
40 (1600-1681) Auteur dramatique espagnol intégrant dans son théâtre des thèmes philosophiques comme par exemple dans La Vie est un songe (La Vida es sueno, 1635).
41 (1909-1968) Romancier, poète et auteur dramatique français.
42 Par exemple, Honegger utilise les ondes Martenot dans Les Suppliantes d’Eschyle (adaptation d’André Bonnard), Le Soulier de satin de Paul Claudel, Hamlet de Shakespeare (traduction d’André Gide), Œdipe de Sophocle (traduction d’André Obey), Œdipe-Roi de Sophocle (traduction de Thierry Maulnier) ; Jolivet dans Antigone de Sophocle (adaptation d’André Bonnard), Iphigénie à Delphes de Gerhart Hauptmann et Iphigénie en Aulide de Jean Racine.
43 Arthur Honegger, Écrits, textes réunis et annotés par Huguette Calmel, Paris : Champion, 1992, p. 571-572.
44 (1880-1960) Compositeur, chef d’orchestre, critique musical, il collabore à Comœdia et fonde Chanteclerc avec Jean Gandry-Réty.
45 Texte communiqué par son neveu Monsieur Claude Charpentier, que je tiens à remercier.
46 Darius Milhaud, op. cit., p. 199.
47 Avec la fondation en 1951 du Groupe de Recherche de Musique concrète à la RTF, puis avec la rédaction du Traité des objets musicaux publié en 1966.
48 Honegger, Écrits, p. 228.
49 Paul Claudel, Œuvres en prose, Paris : Gallimard, 1989, p. 143-155.
50 Paul Claudel, Œuvres en prose, Paris : Gallimard, 1989, p. 143-155.
51 On pourra citer, comme exemples, les célèbres de mises en scène d’opéras de Luchino Visconti ou de Patrice Chéreau.
52 Daniel Mesguich, L’éternel éphémère, Paris : Le Seuil, 1991, p. 21.
Auteur
Université d’Évry, France
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