Chapitre 7. Téléréalité : quand la réalité est un mensonge
p. 101-105
Texte intégral
1Aucune discussion sur la téléréalité ne peut être complète sans aborder la notion de réalité. Ce qui est commun aux différents formats de téléréalité, c’est leur habileté à offrir aux téléspectateurs un divertissement avec le réel. « L’authentique et le simulé, la sincérité et le calcul, le naturel et l’image : tout dans la téléréalité concourt à mettre en scène l’ambiguïté de la vérité. La téléréalité devient un vaste jeu sur le réel et sur sa représentation la plus véridique possible » (Desaulniers 2004b : 31).
2En ce sens, « la télévision, d’époque en époque, semble vouloir s’approcher de plus en plus près de la réalité » (Le Guay, 2005 : 60), que ce soit les émissions utilisant les caméras cachées (McCarthy, 2004) ou les vidéoclips d’événements extraordinaires (Baker, 2003). Déjà, dans les années 1950, le producteur Alan Funt observe et filme des enfants d’une école internationale de New York.
3Friedman (2002) s’est intéressé à l’histoire de la télévision en Grande-Bretagne, en Allemagne et aux États-Unis. Il avance l’idée selon laquelle il y a un lien entre la notion de réalité et le média de la télévision. Ce lien est dû en grande partie au fait que la télévision est le seul média – à l’exception d’Internet haute vitesse – qui est capable de représenter d’une manière réaliste le son et l’image. En conséquence, la télévision laisse croire que nous regardons le réel.
4Les sons et les images donnent l’apparence de la réalité. L’utilisation de la caméra portative concourt à entretenir l’idée de la réalité, du vrai, de la vérité ; une technique qui a été employée dans de nombreuses émissions de télévision. À l’évidence, la représentation visuelle d’images sur vidéo – la vache à lait de la télévision – influence fortement l’impression de voir du vrai.
RÉALITÉ ET TÉLÉRÉALITÉ
5Comme on s’en doute, la téléréalité d’aujourd’hui n’a pas grand-chose à voir avec la réalité. Il s’agit plutôt d’émissions scénarisées, d’un objet construit.
6Suivant les travaux de Laurence Bardin (1975), il faut aborder la téléréalité comme une « scène de théâtre » constituée d’un décor (la thématique manifeste), d’un éclairage, d’une mise en scène et d’un jeu. Tour à tour, les participants sont invités à « jouer » en laissant libre cours à leurs émotions. Grâce à un montage serré, on crée ensuite des conflits à partir de séquences filmées sélectionnées.
7Curieusement, la plupart des gens qui regardent la téléréalité pensent qu’elle est vraie. Parmi les facteurs qui influencent cette perception, on trouve principalement le nombre d’heures de télévision que l’on consomme (Gerbner et al., 1978) et le contenu des émissions (Busselle, 1991 ; Pingree, 1978).
8La popularité de ce type d’émission repose sur l’impression d’authenticité, qui est souvent entretenue par la narration (Kilborn, 1994). Cette prétendue authenticité favorise l’identification des téléspectateurs aux protagonistes parce que les événements qu’ils vivent correspondent à leur réalité. Les incidents sont aussi très personnalisés.
9Plusieurs auteurs ont tenté de mesurer les différentes dimensions de la réalité perçue (Greenberg et Reeves, 1976 ; Hawkins, 1977 ; Hawkins et Pingree, 1980 ; Potter, 1986). Busselle et Greenberg (2000 : 257) établissent six dimensions afin d’évaluer le degré de réalisme d’une émission de télévision.
- La fenêtre magique : la télévision permet d’observer la vie telle qu’elle est vécue ailleurs.
- Le réalisme social : le contenu de la télévision, qu’il soit réel ou fictionnel, est similaire à la vraie vie.
- La plausibilité : ce que j’observe à la télévision pourrait arriver dans la vraie vie.
- La probabilité : la probabilité de voir à la télévision quelque chose qui pourrait arriver dans la vraie vie et le nombre de fois que cela est possible.
- L’identité : la manière avec laquelle les téléspectateurs s’inspirent de contenus télévisuels et les mêlent à leur vie quotidienne.
- L’utilité : combien d’éléments présentés à la télévision peuvent être utiles dans ma vie de tous les jours.
10Ainsi, on a découvert que les émissions qui mettent en scène des familles traditionnelles sont perçues comme étant plus réalistes que celles mettant en scène des familles moins traditionnelles (Dorr, Kovaric et Doubleday, 1990).
11Dans d’autres recherches, on remarque que les motivations du téléspectateur jouent également un rôle dans la réalité perçue (Rubin, 1981). Finn (1997) pense que la télévision pourrait être un facteur qui contribue à aider les gens à établir leur identité sociale.
12Selon Le Guay (2005 : 140),
la téléréalité ne perçoit pas le monde, elle le représente à sa manière. Elle ne rend pas compte de la complicité de la réalité, elle la simplifie à outrance, lui donne une violence sociale, une conflictualité, une cruauté qui fait douter de la possible cohabitation des hommes les uns avec les autres. Cette représentation, qui forme l’imaginaire, doit être évaluée et interrogée.
13Ce qui est central dans la téléréalité, c’est l’effacement des frontières entre la vie privée et la vie publique, illustré par l’omniprésence des caméras. Selon Arcand, « nous avons l’impression de vivre dans un monde où tout n’est que spectacle. Nous voulons donc du vrai, de l’authentique. Et ces émissions nous donnent l’impression d’en voir » (Beaucher, 2004).
14D’après Estelle Lebel, professeure à l’Université Laval, il y a une structure symbolique incroyable qui accroche le téléspectateur. On y trouve de la magie, un conte de fées et surtout une quête à la fois initiatique et sélective composée d’épreuves qui débouchent sur la consécration du public. Ce sont des émissions rassembleuses. La téléréalité est donc une autre forme de fiction. « On dit aux spectateurs qu’ils vont voir de la réalité, mais on leur montre des émissions construites, mises en scène, où les acteurs (beaux et jeunes) ont reçu une formation minimale », insiste Lebel (Beaucher, 2004). Il est vrai que la téléréalité nous a fait découvrir des publics que l’on avait peu vus à la télévision jusqu’à maintenant.
15On le sait maintenant, les réalités de la téléréalité sont scénarisées. Elles n’existeraient pas si des producteurs ne décidaient pas de leur donner forme. Cette réalité est un mythe. Par ailleurs, même sans cette mise en scène, la téléréalité resterait un mensonge. Le tout-dire n’existe pas. La transparence est impossible.
16Au cours d’une étude où ils ont interviewé 350 Américains, Oliver et Armstrong ont démontré que la criminalité mise en scène par des émissions comme COPS n’est absolument pas représentative de la réalité (Oliver et Armstrong, 1995). On surévalue les crimes violents qui représentent 13 % des délits rapportés aux États-Unis, mais qui constituent 87 % des topos de COPS. Par ailleurs, ils ont constaté que les téléspectateurs les plus friands de COPS, America’s Most Wanted, American Detective et FBI : The Untold Story sont majoritairement des hommes, blancs, plus autoritaires et plus racistes que la moyenne (Oliver et Armstrong, 1995). Ils soulignent que les amateurs de ce genre apprécient particulièrement les scènes de punition infligées aux classes populaires.
LA TÉLÉRÉALITÉ : UN CONSTRUIT
17Qu’est-ce qui explique le succès de la téléréalité ? Selon Friedman (2002 : 8), ce qui fait l’originalité de ces émissions est non l’utilisation de la réalité, mais le mariage entre la réalité et les structures dramatiques.
18Dans le cas de la série Survivor, on a diffusé les différents épisodes un mois après la fin du tournage. En outre, les participants n’ont pas été choisis dans un souci de représentativité. Ils ont plutôt été choisis à la suite de tests psychologiques de personnalité, et ce, spécifiquement dans le but avoué de créer des conflits et des tensions entre les participants.
19La téléréalité sélectionne sa réalité : participants, séquences, montages, effets de style, etc. Ce que nous regardons alors est une mise en forme de la réalité vendue en tant que réalité. Ce faisant, on alimente la confusion autour de ce qu’est la réalité.
20Bien qu’actuellement sous les phares, la téléréalité n’est pas tout à fait nouvelle. L’ironie, c’est qu’il y a peu de réalité dans la téléréalité. Le génie des grandes chaînes est d’avoir vendu ces émissions comme étant représentatives de la réalité, d’avoir vendu l’idée de la réalité aux téléspectateurs.
21La télévision du XXIe siècle est un genre hybride, qui inclut des séquences en direct, des éléments de fiction, des voix hors champ. La téléréalité est moins réelle que jamais et c’est peut-être le genre le moins authentique de l’histoire de la télévision.
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