Chapitre 4. Les facteurs structurels
p. 63-78
Texte intégral
1Si on peut facilement reprocher à la téléréalité d’être un désert culturel, il reste que le phénomène connaît un succès immense qu’il faut tenter de comprendre. Comment expliquer cette popularité ? Quel est le lien qui unit le téléspectateur à l’émission ? Selon Taylor (2002 : 484), la réponse réside dans une programmation télé qui s’adresse aux auditoires comme s’ils étaient des consommateurs plutôt que des citoyens. Différents éléments structurels permettent d’expliquer ce changement, et par conséquent, la naissance et la force de la téléréalité en tant que communication commerciale.
UN PRODUIT RENTABLE
2La télévision est soumise aux impératifs de la rentabilité. Les télévisions tentent de concevoir et de produire ce que réclament les téléspectateurs. Pour que l’opération soit rentable, il faut minimiser les dépenses et multiplier les sources de revenus : commandite, placement de produits, publicité et produits dérivés.
La commandite
3Les émissions commanditées ne sont pas une nouveauté dans l’industrie de la télévision. Les commanditaires sont présents depuis le début de la télévision américaine et canadienne, et ce, même si cette dernière est une télévision d’État.
4Déjà dans les années 1950 et 1960, Texaco, Colgate et Goodyear commanditaient des émissions de télévision. En commanditant une téléréalité, les entreprises augmentent leur visibilité et leur capital de sympathie auprès du public cible. Les effets de la commandite sont nombreux et parfois spectaculaires. En s’associant à un événement, les commanditaires cherchent comme toujours à maximiser les éléments suivants : exclusivité d’association, statut de commanditaire officiel, utilisation du nom, du logo et de l’image de l’événement, visibilité sur le site de l’événement, visibilité sur le matériel publicitaire et promotionnel, visibilité sur les produits dérivés, occasion de relations publiques, échantillonnage de produits, billets pour l’événement, etc.
5À l’instar d’autres types de contenus, plusieurs critères permettent d’évaluer la commandite dans les émissions de téléréalité : cote d’écoute, nombre de visiteurs lors des spectacles, visibilité sur les lieux de l’événement et sur le matériel publicitaire, image de l’événement, potentiel commercial, couverture dans les médias, mentions des commanditaires et présence des médias écrits et électroniques.
6Lors de la première diffusion de l’émission Star Académie, en 2003, les commandites de Toyota et de Maybelline ont fait sonner la caisse enregistreuse (Lachapelle, 1999 : 22). Les étagères de produits Maybelline ont été attaquées par des consommatrices déchaînées. La commandite de Maybelline reposait sur les panneaux d’ouverture et de fermeture, un site Web de Star Académie, un concours et des séances de signature avec les candidats éliminés.
La publicité et le placement de produits
7L’émission Survivor repose sur un modèle d’affaires différent des modèles traditionnels qui ont cours dans les années 1990. Initialement, Mark Burnett, producteur de Survivor, fait le tour des grands réseaux pendant quatre ans. CBS accepte d’acheter le concept à la condition de le diffuser en été. En outre, le réseau accepte de partager les revenus publicitaires avec Burnett, mais en échange, on demande au producteur de prévendre le placement publicitaire et le placement de produits. Burnett signe des contrats avec huit annonceurs qui paieront 4 millions de dollars américains chacun pour une commandite. En outre, il vend pour 50 millions de dollars de publicité dans les trois derniers épisodes. Ainsi, CBS ne déboursera pas un sou pour tourner la série. C’est le placement de produits qui financera le tournage de l’émission ; c’est la publicité qui générera les profits.
8Au cours des années 1990, les entreprises découvrent les avantages du placement de produits dans la téléréalité1. Cette stratégie permet de bâtir la notoriété d’une marque, de rejoindre un auditoire captif, d’éviter le zapping et de façonner l’image d’un produit.
9Le placement de produits est devenu une véritable mode en communication au début de l’an 2000. On évalue que les grands studios de cinéma aux États-Unis génèrent plus de 1 milliard de dollars par année en revenus de placement de produits. Initialement, le placement de produits a débuté avec le film E.T. Dans la scène centrale du film, un jeune garçon tente d’établir le contact avec un extraterrestre. Pour ce faire, il utilise des bonbons Reese’s Pieces. En deux mois, les ventes de cette friandise augmentèrent de 70 % (Advertising Age, 1990 : 23). Plus récemment, on évalue que plus du quart du budget du film Minority Report a été financé à l’aide du placement de produits. Tour à tour, des marques comme Nokia, Lexus et Gap ont été utilisées par le comédien Tom Cruise. Des années auparavant, l’acteur avait confirmé le pouvoir de vente du placement de produits en faisant augmenter de 80 % les ventes de verres fumés Oakley après les avoir portés dans Mission impossible 2.
10En 2000, le film Seul au monde consacrait ses 30 premières minutes à faire la promotion de FedEx. Dès les premiers instants, on voyait le logo violet et orangé de la firme, de nombreux camions, des colis et quelques avions de la compagnie. Par la suite, on découvrait la vedette du long-métrage : un cadre de FedEx interprété par Tom Hanks. Même le vrai président de la compagnie apparaissait à la fin du film !
11En 2003, les réalisateurs du film La matrice rechargée ont choisi une voiture concept pour figurer dans le film. Pendant 15 minutes, on voit une Cadillac dans une poursuite sur une autouroute de 2,4 kilomètres. Cette visibilité a permis au fabricant de rejoindre une cible plus jeune.
12Lors des émissions de téléréalité, le placement de produits a pris de l’ampleur avec l’arrivée de la télécommande, de la multiplication des chaînes et des messages de plus en plus nombreux. Durant la saison 2004 de la téléréalité American Idol, Coca-Cola a obtenu plus de 2000 mentions visuelles et verbales, AT & T 340 et Ford plus de 120. Selon VNU Media Measurement & Information, l’investissement de 10 millions de dollars américains de Coca-Cola a permis de rejoindre environ 30 millions de téléspectateurs par semaine.
UN MÉDIA DE BASE PUISSANT POUR L’ANNONCEUR
13La téléréalité doit une partie de son succès à l’influence déterminante du petit écran dans nos vies. De nos jours, environ la moitié des budgets de publicité des grands annonceurs est consacrée à la télévision.
14Selon BBM, un adulte passe en moyenne 27 heures par semaine devant son petit écran au Québec, une statistique qui ne se dément pas depuis dix ans (BBM, 1995-2005). De nos jours, 99 % des foyers québécois possèdent au moins un téléviseur et 62 % en comptent plus d’un2.
15La fascination pour le petit écran ne date pas d’hier. En 1961, les foyers canadiens regardaient la télévision en moyenne 40 heures par semaine. En 1962, la télévision rejoignait déjà 88 % des foyers québécois. C’était bien avant l’arrivée de la télévision en couleur en 1966 (Beauregard, 1999 : 61). D’ailleurs, plus de 63 % des adultes canadiens croient que la télévision joue un rôle important dans leur vie de tous les jours. Il faut dire que la télévision a plusieurs caractéristiques qui lui donnent un certain avantage sur la presse et la radio :
- Elle est multisensorielle. La télévision est le seul média qui permet d’utiliser l’image, le mouvement, la couleur et le son ; cela confère à la publicité un pouvoir quasi magique. Par ailleurs, contrairement aux autres médias qui exploitent un seul des cinq sens, la télévision joue sur deux sens. La combinaison du son et de l’image crée un effet puissant. Cela fait de la télévision un média particulièrement persuasif.
- Elle est un accélérateur de notoriété. Elle excelle à forger ou modifier la perception d’un participant. En réalité, la télévision peut conférer un important capital de sympathie à ceux qui y ont accès ou rehausser l’image d’un participant auprès des téléspectateurs. Pour cette raison, la télévision est particulièrement efficace pour lancer un nouveau chanteur ou pour développer une image de première classe. À titre d’exemple, le premier album de Kelly Clarkson, qui a remporté la première saison d’American Idol s’est vendu à plus de 3 millions d’exemplaires.
- Elle garantit une couverture nationale. Le petit écran permet de rejoindre rapidement la clientèle. En achetant différentes émissions sur différentes stations, on touche de vastes auditoires. Voilà pourquoi la télévision est un bon média pour annoncer des produits de consommation courants comme le détersif, le shampooing ou le dentifrice.
16Tout cela fait de la télévision un média extrêmement puissant et un véhicule particulièrement tentant pour les publicitaires.
UN RELAIS MÉDIA INÉGALÉ
17La convergence des médias que l’on connaît depuis quelques années et qui caractérise la téléréalité est un troisième facteur qui permet de comprendre le succès de ce type d’émissions. Car évidemment, à l’ère de la multiplication des chaînes et de la fragmentation des auditoires, la convergence constitue un relais publicitaire d’une puissance inégalée.
18La téléréalité a changé l’industrie de la télévision, mais aussi le monde des médias dans son ensemble. Elle a donné naissance à une nouvelle logique médiatique caractérisée, entre autres, par l’abolition des barrières entre les différents médias et l’inversion des pôles d’influence traditionnels :
- L’émission fait l’objet de chroniques et de commentaires à la radio ; on interviewe des participants ; les chansons et la trame sonore sont reprises à la radio ; l’émission fait l’objet de nombreux articles dans les journaux et dans les magazines dans lesquels on passe au peigne fin la vie privée des participants, etc. En somme, la télévision mène à Internet, lequel mène aux magazines, lesquels redirigent les consommateurs vers la télévision, le CD et les spectacles3.
- Autrefois, les journaux, les spectacles ou les disques servaient à promouvoir l’émission. Désormais, c’est l’émission qui fait vendre les produits dérivés. Bref, l’émission n’est plus une fin en soi, mais sert à donner un aperçu de ce que seront la tournée de spectacles et les CD.
19Ces relais médiatiques sont savamment orchestrés par les producteurs. On incite les gens à voter par téléphone (il faudra débourser une certaine somme d’argent), à acheter un CD, assister à une tournée de spectacles ou à visiter le site Web de l’émission (ce qui nécessite le recours à un fournisseur payant).
20Pour Mamère et Farbiaz (2001),
les producteurs ont conçu une émission à tiroirs. L’émission « ouverte » est un produit d’appel. Si vous voulez en savoir plus, suivez-moi sur le satellite, retrouvez-moi sur la Toile, achetez en magasin les produits dérivés. Cette course incessante repose sur une promesse : se rapprocher le plus possible de la vérité. (Mamère et Farbiaz, 2001 : 67)
21Avec 525 000 albums vendus de Star Académie 2003 et 200 000 de Star Académie 2004 jusqu’à maintenant, on peut en conclure que la stratégie a fonctionné. Le temps accordé à la télévision est devenu du temps accordé à la consommation (Slater, 1997 : 29).
22Selon le journaliste européen Hugues Le Pagie, la télévision pratique depuis longtemps la téléréalité. Ce qui a changé, dit-il, « c’est qu’elle contamine maintenant les autres formes télévisuelles, elle prend la première place, s’insérant même dans les bulletins d’information » (Cauchon, 2003). Cette stratégie commerciale est d’une efficacité inouïe. En effet, le pouvoir de chaque média repose dans ses caractéristiques propres. En multipliant les médias, on décuple les effets sur les consommateurs en exploitant les forces respectives de chaque média :
- Les journaux. Il y a peu de journaux dans chaque ville, donc peu de fragmentation. Les quotidiens permettent de présenter les candidats et de couvrir l’évolution des émissions.
- La radio est un média intime et personnel. Elle permet de rejoindre une cible pointue et son effet se fait sentir à court terme. La radio est un lieu de rêve et d’imaginaire idéal pour établir le contact.
- L’affichage est un média pur. Le panneau permet une exposition quasi perpétuelle et il offre une variété de formats et de cibles.
- Le magazine rejoint un lectorat avide de nouvelles. Il permet d’informer et de bâtir une image de marque.
- L’Internet est un média interactif. Internet est un média spécialisé à fort potentiel. Les nouvelles technologies vont donner naissance à des stratégies publicitaires innovatrices qui permettront aux commanditaires de contourner la fragmentation des auditoires et l’abondance des messages publicitaires.
23Internet et la webdiffusion donnent accès à des contenus interactifs. Dans le cas de Big Brother, les téléspectateurs peuvent observer les participants 24 heures par jour, sept jours par semaine. Le public peut éliminer les participants de son choix. La téléréalité peut être également visionnée sur Internet et sur d’autres plateformes : iPhone, cellulaire, etc.
24Avec le temps, la téléréalité a mis au point sa propre façon d’utiliser les nouvelles technologies : Internet, vidéo, téléphonie cellulaire, radio et télévision numérique. Les téléspectateurs ne sont plus limités à la télé. Ils peuvent garder le contact grâce à des sites Internet payants, des messageries textes sur le cellulaire, en votant ou en feuilletant des magazines populaires.
UN ENVIRONNEMENT MÉDIATIQUE ET PUBLICITAIRE EN MUTATION
25Aux États-Unis comme ailleurs dans le monde, l’explosion des émissions vérités de la fin des années 1980 et 1990 est le produit d’un environnement férocement concurrentiel caractérisé par cinq changements en profondeur : l’apparition de la télévision spécialisée, de nouvelles mesures de l’audience et de la télécommande, la naissance du magnétoscope ainsi que des messages publicitaires de plus en plus courts. On le devine bien, ces facteurs vont contribuer à changer la façon de concevoir, d’acheter et de mettre en marché la télévision.
La télévision spécialisée
26Regardées au départ avec scepticisme, les chaînes spécialisées ont fait lentement leur chemin durant les années 1980. Il faut dire que du point de vue créatif et publicitaire, les chaînes spécialisées présentent plusieurs avantages.
27Premièrement, la télévision thématique permet de cibler les clientèles en offrant des niches stables. Les publics de la télévision spécialisée sont plus restreints mais les canaux thématiques offrent une forte segmentation. Ils conviennent notamment aux annonceurs qui cherchent à se différencier. Selon Bureau, « l’avantage des chaînes spécialisées est que l’on s’adresse à un auditoire précis, ce qui est très attrayant pour un annonceur » (Schmouker, 2000 : 13).
28Deuxièmement, la télévision spécialisée coûte moins cher à produire. Si le budget publicitaire est plus limité, la télévision thématique est une solution attrayante. Selon Dorion, « on s’intéresse au client qui veut faire de la télévision à petit prix, d’où l’apparition de nouveaux annonceurs pour qui la télévision est devenue accessible » (Lejeune-Szydywar, 1997 : 54).
29Troisièmement, la télévision spécialisée accroît la couverture de campagnes nationales qui utilisent la télévision traditionnelle ou d’autres médias publicitaires. « Les chaînes spécialisées sont des médias d’appoint qui répondent à des besoins précis » (Bédard et Collard, 1998 : 44).
30Malgré leur croissance, aucun des canaux spécialisés n’est encore assez fort pour concurrencer les chaînes généralistes. Pourtant, la télévision spécialisée menace la télévision généraliste en bouleversant les modes de production et de programmation traditionnels.
31Si les quatre géants ABC, CBS, NBC et FOX restent à l’avant-plan de la production télé aux États-Unis, différentes stations spécialisées ont contribué à créer la nouvelle télévision. « Il faut souligner dans la nouvelle télévision l’augmentation extraordinaire de la vitesse de déroulement et le mouvement effréné des images », écrit Lafrance (1989 : 201).
32À l’instar de plusieurs télévisions à travers le monde, les chaînes thématiques ont des moyens réduits. D’où le recours à des contenus simples, faciles et peu coûteux tels que la téléréalité. Et dans leur désir de capturer des parts de marché, les télévisions spécialisées sont prêtes à presque tout. Surtout que l’apparition de nouvelles chaînes ne fait qu’accroître la fragmentation des auditoires.
33L’arrivée de la télévision spécialisée a obligé les chaînes généralistes à revoir leur façon de faire de la télévision et à s’unir à d’autres médias.
De nouvelles mesures de l’audience
34Pour mesurer les cotes d’écoute, la plupart des pays s’en sont longtemps remis aux cahiers d’écoute. Essentiellement, il s’agissait d’indiquer dans un cahier la liste des émissions de télévision regardées par le téléspectateur. La multiplication des chaînes a compliqué les choses et obligé les réseaux à revoir leurs méthodes de mesure.
35Stratégiquement, les cotes d’écoute sont déterminantes autant pour les médias que pour les annonceurs. Grâce à celles-ci, l’annonceur peut repérer les émissions et les stations les plus susceptibles de toucher ses clients potentiels. Par ailleurs, ce sont les cotes d’écoute qui permettent d’établir et de justifier les montants exigés par les stations de télévision pour leurs espaces publicitaires.
36La télévision est un média de masse. Sa crédibilité repose avant tout sur les cotes d’écoute. Pour cette raison, les emplacements publicitaires les plus intéressants sont généralement ceux qui sont offerts pendant les émissions les plus regardées4. Pour mesurer plus fidèlement les auditoires, les firmes de sondage ont mis au point le médiamètre ou audimètre.
37Le médiamètre est un petit ordinateur branché directement sur le téléviseur. Il enregistre constamment l’usage que l’on fait du petit écran. Lorsqu’ils écoutent une émission, les répondants doivent s’identifier en pressant un bouton. Chaque nuit, les données sont transmises par lignes téléphoniques à l’ordinateur de Nielsen. Les cotes d’écoute d’ACNielsen sont disponibles dès le lendemain. Mais le médiamètre a un inconvénient majeur. Si on compare ses mesures avec celles des cahiers d’écoute, « il semble que les cahiers d’écoute sous-évaluent l’auditoire le matin et en fin de soirée, et le surévaluent entre 19 heures et 23 heures » (Arthur, 1990 : 30).
38Le nouvel audimètre va modifier en profondeur les cotes d’écoute des émissions (à la baisse) et donc, obliger les médias à revoir la manière de vendre de la publicité. Pour maximiser le retour sur l’investissement, la nouvelle stratégie des grands groupes va reposer sur la mise en commun des plateformes et l’émergence des émissions reposant sur le multiplateformes, entre autres, la téléréalité.
L’apparition de la télécommande
39Dès son arrivée, la télécommande entraîne chez les téléspectateurs une mauvaise habitude : ils changent de chaîne durant les émissions ou pendant les pauses commerciales. Autrement dit, ils zappent.
40Les premières études sur le zapping datent de 1982. Vingt ans plus tard, le phénomène semble très important. Soixante et un pour cent des téléspectateurs changent de chaîne pendant les pauses publicitaires (Desormiers et Marcil, 2000 : 55). Par ailleurs, une personne sur deux font du zapping. Le phénomène est tellement important que les grands réseaux de télévision font des recherches sur le phénomène. Voici quelques observations tirées de récentes analyses :
- Les émissions du soir, celles qui sont présentées la fin de semaine et les émissions sportives sont les plus susceptibles d’être zappées.
- Les émissions présentées le jour sont moins zappées.
- Les quiz et les dramatiques sont moins zappés.
- Les jeunes zappent davantage que les gens plus âgés.
- Les hommes zappent plus que les femmes (jusqu’à deux fois plus selon certaines études).
- Le revenu, l’éducation et le statut matrimonial n’ont pas d’influence sur le zapping.
- Les messages les plus zappés sont ceux qui concernent les analgésiques, les produits d’hygiène corporelle et les désodorisants ; les annonces les moins zappées sont celles concernant les ordinateurs, la gomme à mâcher et la bière légère.
- La première annonce d’une pause reçoit plus d’attention que les annonces suivantes ; ce sont les annonces placées au centre de la pause qui sont les plus susceptibles d’être zappées.
- Plus il y a de messages durant une pause, plus les chances qu’ils soient zappés sont importantes.
- Le nombre de canaux de télévision augmente le zapping.
- La décision de zapper une publicité se prend dans les premières secondes d’une pause publicitaire, plus exactement dans les cinq premières secondes. (Betsy, 1984 ; Heeter et Greenberg, 1985)
41Par ailleurs, la majorité du zapping se produit en début et en fin d’émission. Conséquemment, les publicités placées entre les émissions sont plus zappées que les publicités présentées à l’intérieur des émissions. Le taux de mémorisation des messages télévisés sera plus élevé si les annonces sont présentées durant une émission plutôt qu’entre les émissions (McDonald’s, 1981 : 2).
42Pour contourner le zapping, les annonceurs vont plutôt acheter leurs espaces publicitaires pendant les émissions qu’entre celles-ci. Ils privilégient également les débuts et les fins de pause plutôt que le milieu des émissions. Ils cherchent également à multiplier les chances de rejoindre le téléspectateur infidèle.
43Pour les producteurs et les grandes chaînes, le défi est colossal : produire des émissions favorisant l’attention et la participation des téléspectateurs, insérer le message commercial dans l’émission (placement de produits) et multiplier les relais médias afin de contourner le zapping ambiant et la baisse d’efficacité des messages publicitaires. En d’autres mots, freiner le déplacement des dollars publicitaires vers d’autres médias.
L’arrivée du magnétoscope
44L’arrivée du magnétoscope est venue naturellement réduire l’efficacité de la publicité traditionnelle. Aujourd’hui plus que jamais, le magnétoscope numérique (genre TiVo) permet d’enregistrer une émission pour la regarder plus tard en évitant les publicités grâce au défilement accéléré (zipping).
45Au Québec, on estime la pénétration du magnétoscope sur le marché à 87 %. Curieusement, la recherche indique que 50 % à 80 % des émissions enregistrées ne sont jamais regardées.
46On a également découvert que plus de 50 % des gens qui enregistrent une émission utilisent le défilement accéléré lorsqu’ils la regardent, c’est-à-dire que plus de la moitié des gens passent par-dessus les publicités à vitesse accélérée. Aux États-Unis, plusieurs millions de téléspectateurs enregistrent chaque jour un soap pour le regarder ensuite en soirée en utilisant la vitesse accélérée durant les pauses publicitaires. Évidemment, le défilement accéléré a des conséquences importantes en publicité.
47Pour contourner les problèmes engendrés par le défilement accéléré, les annonceurs ont pris plusieurs habitudes, entre autres, faire figurer le produit à l’intérieur de l’émission (place ment de produits) et faire de l’émission un publireportage pour vendre leurs produits.
Des messages plus courts
48Pour éviter de perdre des téléspectateurs tentés d’utiliser le magnétoscope ou la télécommande, les annonceurs misent de plus en plus sur des messages plus courts. En quarante ans, on est passé des messages de 60 secondes aux messages de 30 secondes, puis de 15 secondes. Cela a eu pour effet d’augmenter le nombre d’annonces auxquelles les consommateurs sont exposés dans une même période de temps. Évidemment, cela dilue l’impact de chaque message.
49C’est en 1983, aux États-Unis, que l’on a autorisé pour la première fois la diffusion de messages publicitaires de 15 secondes à la télévision. À cette époque, le fabricant de produits de beauté Alberto-Culver poursuit les grands réseaux américains pour obtenir le droit de diffuser des messages de 15 secondes. La compagnie gagne sa cause en justice. ABC et NBC commencent alors à offrir des publicités de 15 secondes en groupe de deux. Au Canada, les premiers messages de 15 secondes sont apparus en 1985.
50Un message de 15 secondes a deux avantages marqués. Premièrement, il permet d’étirer le budget média. Deuxièmement, il augmente la fréquence d’exposition. Par contre, les messages de courte durée ont aussi un effet négatif. Ils augmentent significativement le nombre de messages dans une pause, ce qui a pour effet d’augmenter le zapping et de diminuer l’efficacité des messages à long terme. Entre 1982 et 1992, on estime que le nombre de commerciaux à la télévision a augmenté de 26 % (Katz, 1995 : 63). Ce qui rend de plus en plus difficile la transmission de messages efficaces.
51À travers le monde, la surcharge publicitaire commence à se faire sentir. Selon Dorion, la mémorisation des messages télévisés a chuté de 24 % en 1979 à 21 % en 1989 (Dorion, 1989 : 28). Il y a donc une limite à ce que les gens peuvent absorber.
52Comble de malheur, les stations de télévision ont décidé d’augmenter le temps consacré à la publicité, le faisant passer de 6 minutes à l’heure en 1986 à 11 minutes à l’heure au milieu des années 1990 (Standard & Poor’s, 2002 : 14). Ces décisions eurent des conséquences désastreuses sur les cotes d’écoute et l’efficacité des messages publicitaires. D’où la production de plus en plus privilégiée d’émissions moins coûteuses comme la téléréalité.
***
53La téléréalité relève d’une stratégie commerciale efficace, élaborée assez récemment en réponse aux nombreux défis que doit relever l’industrie de la télévision. Elle a pris sa vitesse de croisière à un moment où la télévision était menacée de toutes parts : la croissance et la diversification de l’offre télévisuelle, la concurrence de nouveaux médias et de nouvelles techniques de communication (ordinateur, Internet, téléphonie mobile), une baisse des revenus publicitaires alors que les coûts de production enregistrent une croissance constante, le morcellement de l’assiette publicitaire entre les multiples chaînes, généralistes ou thématiques, une réorganisation réglementaire en Europe et la constitution de grands groupes multimédias, la perte d’audience des chaînes généralistes au bénéfice des chaînes spécialisées, l’arrivée du magnétoscope et de la télécommande, l’augmentation des messages, etc. Profitant de la convergence médiatique (éditions papier et musicale, télévision, radio, Internet et téléphonie), la téléréalité s’est conséquemment révélée être un « relais de croissance » (Roux et Teyssier, 2003 : 54).
54Dans la jungle de la communication, la téléréalité marque un virage médiatique majeur. Plus que jamais, il faut jouer sûr. Au-delà des émissions particulières et des stratégies médiatiques, qui sont là comme un arbre cachant la forêt, la téléréalité se fait partout voir et entendre, et bouscule l’ancien ordre médiatique. Désormais, la stratégie d’affaires privilégiée par les grands groupes consistera à multiplier les plateformes afin de rejoindre le téléspectateur.
55Si les innovations technologiques, la convergence et le nouvel univers médiatique permettent d’expliquer l’engouement pour la téléréalité, ces phénomènes ne nous éclairent que partiellement sur le succès de la formule. Il faut donc chercher ailleurs pour expliquer le succès de foule de la téléréalité. Ce qui nous amène à analyser les facteurs psychologiques et sociaux de ce genre d’émission.
Notes de bas de page
1 Selon un sondage Léger Marketing, 51 % des Québécois trouvent que le placement de produits est acceptable. En comparaison, 42 % des gens sont d’accord avec la présentation de publicités avant les films (Dansereau, 2003).
2 À titre de comparaison, une étude de Giroux et Leclerc nous apprend qu’on vendait chaque jour au Québec 264 exemplaires de journaux par tranche de mille habitants en 1965 contre 159 en 1997 (Cauchon, 1998 : B10).
3 Il est vrai que la téléréalité est aussi un moyen intéressant pour une maison de disques de trouver des chanteurs de talent.
4 Normalement, plus une émission a une cote d’écoute élevée, plus ses pauses publicitaires sont coûteuses. Mais la relation n’est pas linéaire : une émission qui enregistre une cote d’écoute de 20 ne vendra pas nécessairement sa publicité deux fois plus cher que celle dont la cote d’écoute est de 10. En effet, d’autres facteurs influencent le coût de la publicité : le profil de l’auditoire, l’offre et la demande, le prestige de l’émission, etc.
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