Chapitre II. Platon
p. 85-96
Texte intégral
12.2. Dans le Timée, Platon a intégré les métaux dans une théorie générale sur la constitution de la matière, où il a associé la doctrine des quatre éléments, généralement admise au ve siècle, et la nouvelle géométrie des polyèdres réguliers, aboutissant ainsi à une théorie corpusculaire qui n’est pas sans analogie avec celle de Démocrite.
22.2.1. Platon assigne à chacun des quatre éléments un polyèdre régulier construit au moyen de triangles élémentaires1 : la terre se compose de cubes, l’eau d’icosaèdres, l’air d’octaèdres et le feu de tétraèdres (pyramides). Les faces carrées du cube sont formées de quatre triangles rectangles isocèles opposés par leurs sommets (55 C). Les faces du tétraèdre, de l’octaèdre, de l’icosaèdre sont des triangles équilatéraux formés de six triangles rectangles dont l’hypoténuse a une longueur double de celle du plus petit côté de l’angle droit (54 D ~ 55 E). L’air, l’eau et le feu peuvent se transformer l’un en l’autre par dissociation et par regroupement de leurs faces triangulaires2. La terre, dont les hexaèdres sont bâtis au moyen d’une autre espèce de triangles, est exclue du cycle des transformations3. On le voit, les corps premiers, irréductibles, sont les deux types de triangles, les quatre éléments n’en étant que des agrégats relativement stables, comparables à nos molécules.
3A.N. Whitehead et W. Heisenberg4 ont souligné combien Platon, plus que Démocrite, préfigure les conceptions actuelles de la physique atomique. Avec Platon, la structure corpusculaire de la matière devient susceptible de formulation mathématique, tant pour l’aspect des éléments premiers eux-mêmes que pour les constantes régissant leurs rapports, leurs transformations et leurs combinaisons.
4Comme il y a une infinité de grandeurs possibles pour le cube, la pyramide, l’octaèdre, l’icosaèdre, chaque élément possède plusieurs variétés5, que P. Friedlaender a très ingénieusement dénommées des isotopes6. Le monde sublunaire est donc ainsi un gigantesque agglomérat de cristaux de forme fixe, mais de tailles différentes.
5Ainsi, Platon considère comme des variétés de feu la flamme, la lumière, la chaleur rémanente des corps en ignition. Parmi les variétés d’air figurent le brouillard et l’humidité7. Pour l’élément aqueux, Platon distingue deux variétés : une variété liquide (ὑγρόν) et une variété solide, qui est fusible (χυτόν)8.
6La variété liquide est faite d’icosaèdres petits (μιϰρῶν) et inégaux (ἀνίσων). Par conséquent, elle est instable et mobile9. La petitesse de ses molécules les rend faciles à remuer, leur inégalité empêche un emboîtement parfait10. On verra plus loin que cette inégalité et cette petitesse résultent de l’intervention des tétraèdres de feu. La variété fusible est faite de particules grandes (μεγάλων), donc plus lourdes et mieux assises sur leurs bases, et régulières (ὁμαλῶν), donc mieux emboîtées et plus denses (πεπηγòς ὑπò ὁμαλότητος)11.
72.2.1.2. Les mécanismes de fusion et de congélation assurent le passage d’une variété à l’autre. Platon ne conçoit pas la fusion sur le modèle simpliste « terre > eau », puisque la terre est exclue des transformations. Pour Platon, c’est une question de structures. Quand le feu pénètre (εἰσιόντος), il dissocie les icosaèdres, provoquant ainsi un premier relâchement. Mais il attaque aussi avec ses angles coupants les icosaèdres eux-mêmes, non pas à l’arête, ce qui provoquerait une dissociation des faces et leur regroupement en deux octaèdres (d’air) et un tétraèdre (de feu), mais il fait éclater la face triangulaire elle-même, qui est faite de six triangles atomes. Il décompose ainsi les faces (διαλύοντος) en leurs triangles constitutifs qui se regroupent pour former des icosaèdres plus petits12. Mais comme certains icosaèdres non attaqués ont gardé leur taille, le conglomérat perd son homogénéité (τὴν ὁμαλότητα ἀποβάλλει) et devient mobile. On dit alors que cette eau solidifiée fond (τήϰεσθαι), parce que la dimension de ses polyèdres diminue (ϰαθαίρεσιν), et elle coule13. Dans tout liquide, il y a donc des particules de feu, auxquelles est due la mobilité de ce liquide14.
8Le mécanisme de congélation est expliqué comme suit : quand le feu s’en va — Platon ne dit pas pour quelle raison —, le feu presse l’air environnant, qui repousse les particules liquides aux places qu’occupaient les particules de feu. Les polyèdres se resserrent, les petits se refondent pour faire des grands, et on a de nouveau une masse homogène. Ce départ du feu s’appelle refroidissement (ψῦξις) et le resserrement qui suit (σὐνοδος) s’appelle congélation (πεπηγòς γένος)15.
92.2.2. A première vue, la description qui précède convient au seul cycle de l’eau. Mais en 59 A, on s’aperçoit que Platon, à propos des χυτὰ ὕδατα pense surtout à nos métaux16, qui sont, pour lui, des liquides possédant un point de congélation très élevé et qui, par conséquent, sont toujours à l’état solide. Voici comment cette théorie est exposée dans un passage célèbre du Timée, 59 BC17 :
τούτων δὴ πάντων ὅσα χυτὰ προσείπομεν ὕδατα, τò μὲν ἐϰ λεπτοτάτοων ϰαὶ ὁμαλωτάτων πυϰνότατον γιγνόμενον, μονοειδὲς γένος, στίλβοντι ϰαὶ ξανθῷ χρώματι ϰοινωθὲν, τιμαλφέστατον ϰτῆμα χρυσòς ἠθημένος διὰ πέτρας ἐπάγη. χρυσοῦ δὲ ὃζος, διὰ πυϰνότητα σϰληρότατον ὄν ϰαὶ μελανθέν, ἀδάμας ἐϰλήθη.τò δ’ ἐγγύς μὲν χρυσοῦ τῶν μερῶν,εἴδη δὲ πλείονα ἑνòς ἔχων, πυϰνότητι δὲ τῇ μὲν χρυσοῦ πυϰνότερον ὄν, ϰαὶ γῆς μόριον ὀλίγον ϰαὶ λεπτòν μετασχóν, ὥστε σϰληρότερον εἷναι, τῷ δὲ μεγάλα ἐντòς αὑτοῦ διαλείμματα ἔχειν ϰουφότερον, τῶν λαμπρῶν πηϰτῶν τε ἓν γένος ὑδάτων χαλϰòς συσταθεὶς γέγονεν.τò δ’ἐϰ γῆς αὐτῷ μειχθέν, ὅταν παλαιουμένω διαχωρίζησθον πάλιν ἀπ’ἀλλήλων, ἐϰφανὲς ϰαθ’αὑτò γιγνόμενον ἰòς λέγεται.
« De tous les corps que nous avons appelés liquides fusibles, le plus dense, formé de particules très petites et très uniformes, unique en son genre, caractérisé par une couleur d’un jaune brillant, constituant la plus stable des valeurs, l’or s’est figé en filtrant à travers le rocher. Le nœud de l’or, très dur en raison de la sa densité et de couleur foncée, a été nommé indomptable (ἀδάμας). Proche de l’or dans ses parties, présentant plus d’une espèce, d’une densité plus grande que celle de l’or, comprenant des parcelles de terre rares et petites, en sorte qu’il est plus dur, mais plus léger, car il a en dedans de grands interstices, le cuivre est une espèce unique de liquides brillants et condensés, formée par composition. La partie de terre qui y est mêlée, quand à la longue les deux éléments de nouveau se séparent, devient visible isolément et s’appelle le vert-de-gris. »
102.2.2.1. La première conclusion qui se dégage de ce texte est que, pour Platon, la propriété principale du cuivre et de l’or est la fusibilité, puisqu’ils sont rattachés au cycle de l’eau. En fait, qu’est-ce qui distingue l’or de la glace ? Tout d’abord le calibre de ses icosaèdres, qui sont très petits (λεπτoτάτων)18 et uniformes (ὁμαλωτάτων)19, ce qui réduit les interstices de l’or et lui donne un serré (πυϰνότατον) que n’a pas la glace. Le fait que les icosaèdres d’or soient tous du même calibre fait que l’or est unique en son genre (μονοειδὲς γένος). L’or s’est formé par filtration (ἠθημένος) à travers la pierre. Ce processus de filtration explique tout à la fois la petitesse des icosaèdres et leur homogénéité, car à travers un filtre passent seulement les particules de même calibre. On peut y voir aussi une allusion à la disposition de l’or dans les veines de quartz.
11Le second corps est l’adamas, dont l’identification n’a cessé de faire difficulté. Chez les Epiques et les Lyriques, il s’agit probablement d’acier obtenu par cémentation20. Mais dans un passage parallèle du Politique (303 E), Platon appelle adamas l’impureté la plus irréductible de l’or, que l’on n’en sépare que par le feu. Il doit s’agir de cristaux d’oligiste (hématite), parfois associés à l’or dans le placer et dont le poids spécifique empêche l’élimination par les moyens classiques de préparation mécanique des minerais21. Quoi qu’il en soit, c’est chez Platon le nœud de l’or (χρυσοῦ ὄζος), comme il y a des nœuds dans un arbre22. C’est un agglomérat de particules d’or (icosaèdres) très serrées, donc très dures (διὰ πυϰνότητα σϰληρότατον). Sa différence avec l’or ne réside pas dans le calibre des polyèdres, mais dans le serré du grain.
12En fait, un assemblage d’icosaèdres, si serré soit-il, ne réalisera jamais un emboîtement parfaitement compact, car l’angle dièdre laissé libre par deux icosaèdres ayant une face triangulaire commune est de 83°37’. Il est trop petit pour qu’un autre icosaèdre (ω = 138°11’) vienne s’y emboîter. Il reste donc toujours des interstices suivant le dièdre de 83°37’23. L’assemblage d’icosaèdres apparaît comme un hérisson où seuls les tétraèdres de feu (ω = 70°31’) peuvent pénétrer.
13Enfin, qu’est-ce qui distingue le cuivre de l’or et de l’adamas ? Du point de vue physique, il est fusible comme l’or, plus dur, mais plus léger. En outre, il rouille, phénomène qui était observé depuis longtemps24. Platon en rend compte comme suit : fusible comme l’or, le cuivre est lui aussi composé d’icosaèdres. Mais Platon précise ἐγγὺς μὲν χρυσοῦ τῶν μερῶν, εἴδη δὲ πλείονα ἑνòς ἔχων, qui s’oppose bien entendu au μονοειδὲς γένος de l’or. Cela signifie que les icosaèdres de cuivre sont les mêmes que les icosaèdres d’or, ou du moins très voisins. (Il est dommage que Platon ne nous dise pas ici que l’« eau métallique » a partout le même calibre, car ce serait le premier fondement théorique d’une notion de métal.) Mais le cuivre contient aussi plusieurs espèces de particules : de l’eau et de la terre. C’est pourquoi (par suite d’un double sens de γένος et εἶδος ?), il y a une seule espèce d’or, mais plusieurs espèces de cuivre25.
14Il y a donc deux différences entre le cuivre et l’or : la première est un arrangement plus serré (πυϰνότερον), qui apparente le cuivre à l’adamas, mais avec une condensation moindre ; la seconde est l’intervention d’une partie de terre, petite et rare (ὀλίγον ϰαὶ λεπτόν), qui vient s’insérer dans les interstices entre les icosaèdres, sans parvenir toutefois à les remplir complètement jusqu’à toucher l’arête commune à deux polyèdres en contact, puisque son angle dièdre de 90° est supérieur à l’angle dièdre libre de 83°37’. La particule de terre sert à expliquer deux phénomènes : le premier est la dureté, que le serré du grain ne suffisait plus à expliquer, car alors il y aurait identité entre le cuivre et l’adamas26. Le second phénomène est la rouille (ίός) qui est considérée comme quelque chose qui sort du métal, Diogène d’Apollonie l’avait déjà dit.
15Si le cuivre possède une structure plus serrée que l’or, expliquant sa dureté, comment se fait-il qu’il soit plus léger ? C’est le problème qui avait déjà été posé par Démocrite, et il a été résolu de la même manière. « Platon, observe T.H. Martin27, considère l’airain comme plus dense, et pourtant plus léger que l’or. C’est que, pour apprécier la densité, il considère la matière de l’airain indépendamment des vides qui se trouvent dans sa masse et que, pour apprécier la pesanteur, il considère le poids de la masse poreuse sous un volume donné. » En fait, la densité est une fois de plus en rapport avec la dureté. Les διαλείμματα sont ces interstices dont nous avons parlé, causés par la non-coïncidence des angles dièdres. La densité, c’est-à-dire le serré du grain, a bien plus de rapport avec la dureté qu’avec le poids spécifique.
16Bien que les érudits se soient fréquemment occupés des rapports entre Platon et Démocrite28, il semble que ce point de concordance leur ait échappé. Elle est une conséquence normale des présupposés corpusculaires, communs aux deux philosophies.
17Enfin, la formation du cuivre diffère de celle de l’or : le cuivre, constitué de deux sortes de particules, se forme par composition (συσταθείς).
182.2.2.2. Si nous écartons du débat l’adamas, qui n’est, en définitive, que de l’or condensé, la comparaison des données relatives à l’or et au cuivre nous permet de préciser la théorie platonicienne des métaux. On l’a dit, Platon privilégie la fusibilité, puisque or et cuivre possèdent le même modèle moléculaire que l’eau. Platon ne dit pas que les icosaèdres des deux métaux sont de même taille, ce qui eût permis de reconnaître aux métaux une nature commune29.
19D’autre part, l’introduction des particules de terre pour expliquer la dureté du cuivre et son oxydabilité est un fait important, qui sera repris dans la suite par tous les auteurs qui traiteront des métaux. On l’utilisera pour expliquer un point de fusion plus élevé, une plus grande dureté, le fait de rougir au feu ou de laisser des scories.
20Il n’était pas difficile d’expliquer de la sorte les autres métaux : l’argent, le plomb, l’étain, et même le fer, malléable, mais non fusible, qui serait alors un corps contenant plus de terre que d’eau. Malheureusement, Platon ne s’est pas attardé à étudier tous les métaux.
« Touchant les autres corps de cette sorte, ajoute-t-il, il n’est pas compliqué de poursuivre le raisonnement dans la ligne des formulations vraisemblables. Lorsque, par manière de relâche, abandonnant les raisonnements relatifs aux êtres éternels, on cherche à se procurer, en considérant les opinions vraisemblables au sujet du devenir, un plaisir sans remords, on peut ainsi dans la vie se donner une récréation modérée et raisonnable30. »
21Et il étudie ensuite neige, glace et givre, produits de la même manière.
22En réalité, la fusibilité est commune à nos métaux et à beaucoup d’autres corps : Platon lui-même évoque, dans la suite du dialogue31, le verre, les corps cireux ou résineux. Il est toujours possible de sauver au niveau théorique la spécificité des métaux en alléguant une différence dans le calibre des polyèdres, mais Platon ne le dit pas. La théorie platonicienne ne donne absolument pas à nos métaux des propriétés particulières qui en feraient une famille.
23La nature des métaux ne pouvait être mise en lumière qu’avec la notion de corps simple. La physique des quatre éléments, contrainte à voir partout des mixtes, les groupe avec d’autres corps possédant les mêmes propriétés fondamentales, comme la fusibilité32. Cette hypothèse pèsera sur toutes les tentatives de situer les métaux dans le cadre des quatre éléments.
24Plus intéressantes sont les considérations structurales qui découlent de l’hypothèse des polyèdres. Démocrite avait fait intervenir la notion de structure dans l’explication des faits métallurgiques. Avec Platon, non seulement les particules élémentaires de la matière sont géométrisées, mais les caractéristiques de chaque métal sont mises en corrélation avec des arrangements, plus ou moins serrés, plus ou moins uniformes, de molécules polyédriques. Pareille intuition n’est pas sans analogie avec les concepts de la cristallographie.
25On s’est d’ailleurs demandé si, à la racine de cette géométrisation de la structure de la matière, ne se trouvait pas l’observation de certaines cristallisations naturelles, comme les pyrites33.
26Ces spéculations qui auraient pu avoir une extrême fécondité, n’ont guère été reprises. Cela tient moins au manque d’appareillage adéquat qu’au degré d’abstraction des premiers principes et au manque d’intérêt des Platoniciens pour le monde sublunaire. Toutefois, l’idée que les fusibles sont fondamentalement de l’eau, avec addition d’un peu de terre, fera fortune, non seulement à l’Académie, mais encore au Lycée.
Notes de bas de page
1 Timée, 53 C - 56 C. Sur les polyèdres et leur association aux éléments, on verra E. SACHS, Die fünf platonischen Körper. Zur Geschichte der Mathematik und der Elementenlehre Piatons und der Pythagoreer, Berlin, 1917 (Philologische Untersuchungen, 24) ; T. HEATH, A History of Greek Mathematics, t. I, Oxford, 1921, réimpr., 1960, pp. 158-162 ; 294-297 ; Α.Ε. TAYLOR, A Commentary on Plato’s Timaeus, Oxford, 1928, pp. 358-382 ; F. CORNFORD, Plato’s Cosmology, London, 1937, réimpr., 1952, pp. 210-224 ; R.S. BRUMBAUGH, Plato’s Mathematical Imagination, Bloomington, 1954, pp. 238-248 ; K.R. POPPER, Plato. Timaeus, 54 c - 55 a, dans CR, 20 (1970), pp. 4-5 ; W. POHL, The Mathematical Foundations of Plato’s atomic Physics, dans Isis, 62, 1 (1971), pp. 36-46. Le cinquième polyèdre régulier, le dodécaèdre pentagonal, est en dehors de la présente discussion.
2 Sur le mécanisme des transformations, T.H. MARTIN, Etudes sur le Timée de Platon, t. II, Paris, 1841, pp. 250-251, note 73 ; F. CORNFORD, Plato’s Cosmology, p. 229 ; E.M. BRUINS, La chimie du Timée, dans Revue de Métaphysique et de Morale, 56 (1951), pp. 269-282, spéc. pp. 272-278, article repris sans modification sous le titre Die Chemie des Timaios, dans O. BECKER, Zur Geschichte der Griechischen Mathematik, Darmstadt, 1965 ( Wege der Forschung, XXXIII), pp. 255-270 (on cite ici l’édition française). En revanche, A. RIVAUD, Platon. Œuvres complètes. X. Timée. Critias, 3e éd., Paris, 1956, pp. 78-79, et A.E. TAYLOR, A Commentary, p. 395, pensent que c’est une question de volume, et A. RIVAUD arrive à une stéréotomie tout à fait impossible.
3 Sur les graves conséquences de cette exclusion de la terre, voir C. MUGLER, Philosophie physique et biologique de l’Epinomis, dans REG, 62 (1949), p. 36, qui compare très justement au «scandale des irrationnelles» en géométrie pure. Toutefois, Platon expliquera bien les changements d’état des corps sans faire intervenir l’élément terre.
4 A.N. WHITEHEAD, The Concept of Nature, Cambridge, 1920. pp. 17-20 ; Process and Reality, Cambridge, 1929, réimpr., New York, 1960, pp. 140-147 ; W. HEISENBERG, Piatons Vorstellungen von den kleinsten Bausteinen der Materie und die Elementarteilchen der modernen Physik, dans Im Umkreis der Kunst. Eine Festschrift für E. Preetorius, Wiesbaden, 1953, pp. 137-140 ; Physics and Philosophy, New York, 1958, tr. fr. par J. HADAMARD, Physique et Philosophie, Paris, 1961, pp. 64-74 ; Der Teil und das Ganze. Gespräche im Umkreis der Atomphysik, München, 1969, tr. fr. P. KESSLER, La Partie et le Tout. Le monde de la physique atomique, Paris, 1972, pp. 320-333. Nous ne pouvons toutefois entrer dans le détail de ce passionnant débat, qui excède le cadre du présent exposé.
5 Timée, 57 CD. Le problème est de savoir si cette variation de taille est infinie. Platon, 57 D, dit simplement τòν ἀριθμòν δὲ ἔχοντα τοσοῦτον ὅσαπερ ἄν ᾗ τἂν τοĩς εἴδεσι γένη. Cfr. T.H. MARTIN, op. cit., p. 254, n. 76 ; A.E. TAYLOR, Commentary, p. 394 ; F. CORNFORD, Cosmology, pp. 230-239, réfuté par C. MUGLER, La physique de Platon, Paris, 1960 (Etudes et commentaires, XXXV), pp. 22-24. Enfin, G. VLASTOS, Plato’s supposed theory of irregular atomic figures, dans Isis, 58 (1967), pp. 205-206, n. 8, estime qu’ἄπειρα signifie simplement indéterminé, aussi nombreux que les variétés des choses, dont les combinaisons forment des variétés immenses ; de même ÉPICURE, Lettre à Hérodote, 42-43 Bollack-Wisman, dit que la variété des formes atomiques n’est pas infinie, mais seulement trop grande pour être imaginée.
6 P. FRIEDLAENDER, Platon. Seinswahrheit und Lebenswirklichkeit, 2e éd., Berlin, 1954, trad. angl. H. MEYERHOFF, Plato. I. An Introduction. New York, 1958 (Bollingen Series, LIX), pp. 246-260, spéc. p. 255. Friedlaender reprend dans ce chapitre les principales conclusions de son article Structure and Destruction of the Atom according to Plato’s Timaeus, dans University of California Publications in Philosophy, 16, 11 (1949), pp. 225-248. — Le terme d’isotopes peut être adopté, mutatis mutandis. Rappelons, en effet, que des isotopes sont des atomes du même élément chimique, mais possédant des poids atomiques légèrement différents.
7 Timée, 58 CD.
8 Timée, 58 D.
9 Timée, 58 D.
10 A.E. TAYLOR, Commentary, p. 413, remarque correctement que la petitesse des particules rend le liquide plus réceptif aux chocs de l’extérieur et que leur manque d’uniformité facilite la transmission du mouvement dans le liquide.
11 Timée, 58 E.
12 T.H. MARTIN, Études, p. 258, ne comprenait pas comment le feu pouvait réduire la taille des polyèdres et pensait que le feu dilatait les triangles eux-mêmes ; A.E. TAYLOR, Commentary, p. 414, a bien découvert que le feu faisait éclater la face des polyèdres en leurs triangles élémentaires, mais, p. 415, pense que ces surfaces sont flottantes et errantes. Nous suivons ici l’interprétation de F. CORNFORD, Cosmology, p. 250, et de E.M. BRUINS, La chimie du Timée, p. 279.
13 Timée, 58 E - 59 A.
14 O. GILBERT, Die Meteorologischen Theorien des Griechischen Altertums, Leipzig, 1907, réimpr., Hildesheim, 1967, p. 172.
15 Timée, 59 A.
16 L’ordonnance de l’exposé soulève le problème de savoir si le χυτὸν γένος comprend seulement nos métaux, ou les métaux et la glace. Platon annonce (58 D) deux catégories, le ὑγρόν et le χυτόν, puis il donne les caractéristiques des deux catégories, les passages de l’une à l’autre, sans dire quels corps il range dans chacune. Puis il parle des métaux, qui sont de la seconde catégorie. Enfin, il reparle de l’eau, de la neige et de la glace. Tout se passe comme si, après avoir donné les caractéristiques générales, il inversait l’ordre des exemples et donnait d’abord les exemples de corps de la seconde catégorie, puis les corps de la première. Dans ce cas, la glace rentrerait dans le ὑγρόν γένος, et il faudrait entendre que Platon range dans les χυτά les corps fusibles qui sont habituellement à l’état solide, et dans les ὑγρά les corps solidifiables qui sont habituellement à l’état liquide. La glace est rangée dans le ὑγρόν parce que l’eau naturelle est ordinairement, en Grèce, à l’état liquide. Cette répartition est celle de O. GILBERT, Meteor. Theorien, pp. 172-173, n. 4, et p. 362 ; de A.E. TAYLOR, pp. 412 et 414 ; de F. CORNFORD, pp. 248-249. En revanche, T.H. MARTIN, p. 260, n. 84, paragraphe 1, et A. RIVAUD, p. 84, voient dans le χυτὸν εἶδος l’eau gelée et les métaux, dans le ὑγρόν l’eau et les métaux fondus. De toute façon, la théorie générale des « isotopes » prive ce problème de toute importance.
17 Texte cité dans FORBES, SAT, VII, pp. 67-70 ; PARTINGTON, History, pp. 59-61.
18 Ils sont cependant plus gros que ceux de l’or fondu, selon le mécanisme déjà exposé. L’opposition joue à l’intérieur de chacun des « isotopes ».
19 Cfr., pour la glace, ὁμαλώτερον en 59 E. La glace est plus homogène que l’eau.
20 Le mot apparaît pour la première fois chez HÉSIODE, Théogonie, 239, et Travaux, 147, où il désigne, par métaphore, le cœur des hommes de la race de bronze (ἀδάμαντος ἔχον ϰρατερόφρονα θυμόν). Dans la Théogonie, 161, la terre produit le γένος πολιοῦ ἀδάμαντος, avec lequel on fera une serpe pour émasculer Ouranos ; cfr. Théogonie, 188. Dans le Bouclier pseudo-hésiodique, v. 137, c’est la matière d’un casque (δαιδαλέην ἀδάμαντος) et d’un bouclier (ibid., 231, χλωροῦ ἀδάμαντος). C’est donc une matière d’un gris pâle, d’où la traduction usuelle par « acier ». II n’est d’ailleurs pas sûr que les poètes épiques connaissent un sens précis. Peu employé chez les Lyriques : PINDARE, Pythiques, IV, 224 (matière d’une charrue ἀδαμάντινον ἄροτρον) ; IV, 71 (liens indissolubles ἀδάμαντος ἅλας) ; Éloges, frg. 4 Puech = 123, 4 Snell (dureté de cœur, associé au fer μέλαιναν ϰαρδίαν ψυχροᾷ φλογί) : Prosodies, frg. 1, 18 Puech = Hymnes, frg. 33 C, v. 7 Snell (ἀδαμαντοπέδιλοι ϰίονες). Aussi dans poésie oraculaire chez HÉRODOTE, VII, 120 et 141 (ἀδάμαντι πελάσσας, inflexibilité de l’oracle). Dans la tragédie, chez ESCHYLE, Prométhée, 6 ; 64 ; 148 (ἀδαμαντόδετος) ; 426 (peut-être interpolé), c’est la matière des liens de Prométhée. Chez SOPHOCLE, frg. 611 Nauck = STOBÉE, I, 5, 11, celle de la navette qui tisse le malheur. Tous ces passages, souvent très métaphoriques, font allusion à l’acier, ou plutôt à du fer durci par cémentation et trempe. Cfr. FORBES, Archaelogia Homerica, Κ 14.
21 On l’élimine à la coupellation, où il est entraîné par la litharge. La présence d’oxydes de fer dans les placers aurifères est signalée par O. DAVIES, Ancient mines in Southern Macedonia, dans IRAI. 62 (1932), p. 145. cfr. FORBES, dans History of Technology, I, p. 594. Toutefois, F. CORNFORD, Plato’s Cosmology, pp. 251-252 et A.E. TAYLOR, Commentary, p. 416, ne prennent pas position. Récemment, A.A. BARB, Lapis adamas, dans Mélanges Marcel Renard, I, Bruxelles, 1969, pp. 66-82, a expliqué par une racine sémitique signifiant « rouge » les deux sens de « fer » et « hématite ».
L’association de l’adamas avec l’or est confirmée par un LYRIQUE ANONYME, frg. 138 Bergk = 988, 1 Page = (PLATON) Lettres, I, 310 A, et par POLLUX, VII, 99, qui définit l’adamas comme la « fleur de l’or » (τοῦ χρυσοῦ τò ἄνθος). Partout ailleurs chez Platon, c’est une désignation figurée de la dureté, par exemple dans Gorgias, 509 A (ᾶδαμάντίνοις λόγοις) ; République, 360 Β (caractère inébranlable) ; 616 C (le fuseau de la Nécessité) ; 618 E (ἀδαμαντίνως, avec une fermeté inébranlable) ; Epinomis, 982 C (la ferme résolution de l’âme vers le bien).
22 Pour d’autres interprétations du mot ὄζος, voir A.E. TAYLOR, Commentary, p. 416.
23 E.M. BRUINS, La chimie du Timée, pp. 271 et 279.
24 Cfr. supra, p. 73.
25 A.E. TAYLOR, op. cit., p. 416, comprend « its particles are less uniform in size ». Je comprends que μονοειδὲς γένος signifie une seule espèce de particules (eau) et εἴδη πλείονα plusieurs espèces de particules (eau et terre).
26 Il y a bien entendu plus d’eau que de terre, sinon il ne serait plus fusible, cfr. O. GILBERT, Meteorologischen Theorien, p. 362, n. 1, qui attribue la πυϰνότης à l’arrangement des icosaèdres, la σϰληρότης à la présence de terre. Je pense que les deux facteurs interviennent, et que la proposition introduite par ὥστε dépend des deux.
27 T.H. MARTIN, Études, p. 260, n. 84, 2 ; A.E. TAYLOR, Commentary, pp. 416-417.
28 Sur la question controversée des rapports entre les deux « atomismes » de Platon et de Démocrite, on verra P. NATORP, Demokrit-Spuren bei Platon, dans Archiv für Geschichte der Philosophie, 3 (1890), pp. 515-531, spéc. 529-530 ; I. HAMMER-JENSEN, Demokrit und Platon, dans Archiv für Geschichte der Philosophie, 23 (1910), pp. 92-105 ; 211-229 ; Ε. SACHS, Die fünf Platonischen Körper. Zur Geschichte der Mathematik und der Elementenlehre Piatons und der Pythagoreer, Berlin, 1917 (Phil. Unt., 24), pp. 185 ; 187 ; 207 ; 222-223 ; P. NATORP, Piatons Ideenlehre, 2e éd., Leipzig, 1921, p. 356 ; E. FRANK, Platon und die sogenannten Pythagoreer, Halle, 1923, pp. 118-124 ; P. WIL-PERT, Die Elementenlehre des Platon und Demokrit, dans Natur. Geist. Geschichte. Festschrift für A. Wenzl, München, 1950, pp. 49-66 ; Α. RIVAUD, Platon. Timée, p. 25 ; T.G. SINNIGE, Matter and infinity in the presocratic schools and Plato, 2e éd., Assen, 1971, pp. 172-196. — Pour les rapports entre Démocrite et la partie physiologique du Timée, W. KRANZ, Die ältesten Farbenlehren der Griechen, dans Hermes, 47 (1912), pp. 139 sq. = Kleine Schriften, pp. 255-257. — Pour les rapports sur d’autres points, J. STENZEL, Platon und Demokritos, dans Neue Jahrbücher für das klassische Altertum und Pädagogik, 1920, pp. 89-100 = Kleine Schriften, 2e éd., Darmstadt, 1957, pp. 60-71 ; V. BROCHARD, Protagoras et Démocrite, dans Etudes de philosophie ancienne et de philosophie moderne, 2e éd., Paris, 1954, pp. 23-33 ; O. GIGON, Platon und Demokrit, dans Museum Helveticum, 29, 2 (1972), pp. 153-166.
29 En outre, cela autoriserait la transmutation d’un métal à l’autre, et Platon préfigurerait l’alchimie. J. LINDSAY, The origins of alchemy in Graeco-Roman Egypt, London, 1971, p. 14, affirme que la chimie du Timée autorise les transmutations, sans prouver cette assertion.
30 Timée, 59 CD.
31 Timée, 61 BC.
32 Si on revient à l’opposition τηϰτά - ἄτηϰτα du Sophiste, 265 C, et à l’opposition στερεά - τηϰτά du Critias, 114 E, on se dit que Platon a peut-être malgré tout voulu désigner par là les métaux, puisqu’il privilégie la fusibilité, mais que cette désignation est extrêmement peu adéquate.
33 F. LINDEMANN, Zur Geschichte der Polyeder und Zahlzeichen, dans Sitzungsberichte der mathematisch-physikalischen Klasse der königlichen bayerischen Akademie der Wissenschaften zu München, 26 (1896), pp. 625-758, spéc. pp. 725-735, 754-755, rapproche la présence de pyrite cristallisée en dodécaèdres et en icosaèdres dans les gisements de l’île d’Elbe, et les nombreux exemplaires de dodécaèdres façonnés en pierre ou en métal que l’on trouve dans des sites italo-celtiques depuis l’Age du Bronze. Il pense que Pythagore aurait trouvé ces polyèdres en Italie. En revanche, P.M. SCHUHL, Imagination et science des cristaux ou platonisme et minéralogie, dans Journal de Psychologie Normale et Pathologique, 42 (1949), pp. 27-34, exclut tout rapport entre les considérations platoniciennes et l’observation des cristaux, car les anciens se sont surtout occupés de la couleur des gemmes. De même, les historiens de la cristallographie pensent que les observations de cristaux dans l’Antiquité ont été nulles ou très rares, cfr. CM. MARX, Geschichte der Crystallkunde, Braunschweig, 1825, réimpr., Wiesbaden, 1970, pp. 3-17 ; P. GROTH, Entwicklungsgeschichte der Mineralogischen Wissenschaften, Berlin, 1926, réimpr., Wiesbaden, 1970, p. 147 ; H. METZGER, La genèse de la science des cristaux, Paris, 1918, réimpr., 1969, fait commencer cette science au xviie siècle.
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
L'idée romantique de la poésie en Angleterre
Étude sur la théorie de la poésie chez Coleridge, Wordsworth, Keats et Shelley
Albert Gérard
1955
Le Mythe de Yayāti dans la littérature épique et purānique
Étude de mythologie hindoue
Michel Defourny
1978
Les Colloques d’Érasme
Réforme des études, réforme des mœurs et réforme de l’Église au XVIe siècle
Franz Bierlaire
1978
Les Figures de la guérison (XVIIIe-XIXe siècles)
Une histoire sociale et culturelle des professions médicales au pays de Liège
Carl Havelange
1990
Le philosophe et la Cité
Recherches sur les rapports entre morale et politique dans la pensée d’Aristote
Richard Bodéüs
1983