Héraclès dans les pratiques sacrificielles des cités
p. 301-317
Texte intégral
1Il est des affirmations qui, à force d’être reprises, répétées, amplifiées, finissent par être largement adoptées, sans interrogations ultérieures. Une de ces « évidences » concerne la nature du culte d’Héraclès, culte qualifié de façon récurrente de « double », de « mixte », aussi bien héroïque que divin1. N’est-il pas vrai, d’ailleurs, que le héros bienfaiteur et civilisateur des Grecs, le « héros pan-hellénique » par excellence, était appelé par Pindare « héros dieu » (ἥρως θεός) ? Formule fameuse qu’on n’oublie jamais d’évoquer, surtout lorsqu’on veut « prouver » la dualité cultuelle d’Héraclès. Il faut cependant remarquer que le contexte où figure cette expression poétique n’est nullement « cultuel ». Ce « héros dieu » est l’Héraclès des exploits, le vainqueur des monstres, le héros accompli dans lequel Pindare voit « un signe de divin »2.
2Cette unanimité presque parfaite n’a été troublée que par de très rares voix contestataires3. C’est essentiellement dans le contexte sacrificiel qu’on cherche des arguments pour parler de l’aspect héroïque, voire « chthonien » du culte d’Héraclès. Il suffit, par exemple, qu’il soit question de la destruction par le feu d’une victime, pour qu’on transforme en héros le destinataire de ce rituel holocaustique.
3Essayons donc de nous placer dans le contexte sacrificiel, en reconsidérant surtout certains faits, certains rites qui ont alimenté la théorie de cette dualité supposée entre la thusia « olympienne », offerte au dieu Héraclès, et les enagismata, accomplis en l’honneur du héros.
4Mais avant d’entrer dans les détails, posons une question générale : quel type d’animaux immole-t-on sur les autels héracléens ? Un survol rapide de textes littéraires, de règlements cultuels, de documents iconographiques laisse penser que le choix des victimes offertes à Héraclès obéit, comme pour toute autre puissance divine, à une série de facteurs qu’il faudrait, chaque fois, examiner selon les contextes et les lieux. Ces facteurs, que j’ai essayé de signaler ailleurs4, incluent, bien entendu, l’espèce animale qu’on sacrifie, ainsi que son prix, mais également la personnalité de la divinité honorée et sa place dans un panthéon donné, le type d’élevage pratiqué dans une région, le budget annuel alloué aux cultes par une cité (ou un groupe), mais encore les raisons de prestige qui incitent une communauté ou une personne à immoler des animaux chers, indépendamment de la nature du destinataire.
5La réponse à cette question n’est donc ni simple ni évidente. Cependant, malgré la complexité qu’implique la relation entre Héraclès et les victimes qu’il reçoit – complexité qui vaut, je le répète, pour n’importe quelle autre divinité – je voudrais tenter d’en explorer certains aspects.
6Je ne vais pas trop m’arrêter sur le cas du bœuf ou de la chèvre puisqu’ils se trouvent en bonnes mains dans cet ouvrage, grâce à C. Jourdain-Annequin et P. Brulé5. Je remarque simplement à propos de la chèvre que cet animal est absent, ou presque, non seulement des lois sacrées mais aussi des représentations des scènes sacrificielles concernant Héraclès. Exceptionnellement, on trouve la mention d’une aix, comme par exemple dans la Fondation de Diomédon, où le culte se concentre principalement sur Héraclès et son cycle (Sokolowski, LSCG, 177, l. 25-27). Mais l’association entre la chèvre d’une part et le couple Héraclès-Hébè de l’autre se fonde sur des restitutions, même s’il s’agit de celles de Herzog.
7Bien entendu, il faut toujours se montrer prudent et attentif à la grande variété des pratiques de sacrifice dans les cités grecques. Ainsi, on ne saurait exclure la présence éventuelle de chèvres parmi les victimes qu’on désigne, de façon générale, par le terme τέλεια (adultes), comme celles que la cité d’Érythrées sacrifie à quatre divinités gardiennes de la porte (τοῖς έν τῷ πυλῶνι), à savoir Héraclès Kallinikos, Poséidon Asphaleios, Apollon et Artémis, mais aussi à un groupe de trois puissances : Héraclès, Arétè et Aphrodite Strateia (Sokolowski, LSA, 26, 1. 4-11). Autre exemple: on ne saurait affirmer qu’aucune chèvre ne se trouve parmi « les (animaux) sacrifiés par la communauté civique » (τῶν θυομένων ύπό τοῦ κοινοῦ), à savoir par la cité carienne d’Hyllarima, en l’honneur d’une série de divinités, parmi lesquelles figure Héraclès, occupant même la deuxième position, après Zeus Thaloinos (LSA, 56). Ou encore, comment préciser exactement les espèces animales que le prêtre d’Héraclès sacrifiait au nom de tous les Salaminiens à Sounion ? Ces ίερεἶα κοινά, ces victimes « communes », « publiques » sont, en effet, qualifiées globalement de δαρτά (je dirais « écorchables »); mais, dans ce cas, elles peuvent concerner aussi bien des bovins et des ovins que des caprins (LSCG, Suppl., 19, l. 31 sq.).
8Quant au bœuf, je voudrais seulement noter le bon accord qui existe entre récits mythiques et réalités cultuelles – ce qui n’arrive pas très souvent. La liaison étroite entre Héraclès et les bovins, liaison dont fait état le mythe, se vérifie, en effet, sur le plan sacrificiel. Cette coûteuse victime est offerte au dieu non seulement par des cités, telle Cos (voir infra), ou par des groupes comme les Salaminiens (LSCG, Suppl., 19, 1. 85). Elle peut même être présentée à Héraclès par une famille, ce qui est chose rare. On le sait grâce, entre autres, à un relief votif du ive siècle av. J.-C, provenant peut-être de l’Hérakleion du Kynosarges. Un énorme bovin, sans doute un taureau, est amené vers le dieu par un serviteur, suivi d’un homme barbu, d’une femme, d’un enfant et d’une jeune fille portant sur la tête une corbeille voilée6. Il s’agit apparemment d’une famille, qui offre cet important sacrifice à un dieu dont les lieux de culte parsèment l’Attique.
9Par ailleurs, l’immolation d’un bovin permet à l’Héraclès des cités d’apparaître généreux et convivial envers les hommes, présentant ainsi une image différente de celle du Glouton insatiable et solitaire qui ignorerait le partage et les repas communs7. En effet, celui qu’on qualifie régulièrement de θεός dans le culte civique aime offrir une riche alimentation carnée aux fidèles qui fréquentent ses fêtes poliades, surtout celle des Hérakleia, célébrée dans plusieurs lieux. Même dans le cadre d’un groupe plus restreint, d’un génos, par exemple, ou d’un dème, Héraclès n’oublie pas de manifester sa prodigalité. Pour que le sacrifice (θυσία) soit « très beau » (καλλίστη)8, pour qu’il soit effectué de la façon la meilleure possible, il était sans doute souhaitable d’amener à l’autel héracléen des bœufs, victimes certes onéreuses, mais capables de nourrir une nombreuse assistance.
10Ainsi les Mésogeioi, en Attique, décident d’accorder l’éloge à deux de leurs membres – désignés comme archontes –, et de les couronner d’une couronne d’or, parce qu’ils s’étaient occupés « bien et avec zèle » (καλῶς καì фιλοτίμως) de la procession et du sacrifice, pendant la fête d’Héraclès, en prenant particulièrement soin de « l’achat des bœufs et de la distribution des viandes » (…τῆς βοωνίας καì τῆς κρεανομίας)9. Parfois même, c’est le dieu qui « paie », non seulement pour la victime qui lui est destinée, mais aussi pour celles qu’on sacrifie à d’autres divinités ou héros. D’une telle largesse divine profitent, par exemple, les deux groupes du génos des Salaminiens. Pensant sans doute que leur Héraclès serait bien content de contribuer à la consommation de la viande lors des repas sacrificiels, les Salaminiens décident d’utiliser le revenu de la location « de la terre à l’Hérakleion de Porthmos » pour financer une partie importante de leurs sacrifices – l’autre partie étant à la charge de la cité. Avec cet argent, ils paient non seulement le bœuf offert à Héraclès, mais aussi la chèvre, les six ovins (mais sept, tous les deux ans), dont une brebis pleine, ainsi que les quatorze porcins dont huit porcelets (χοῖρος), qu’on immole sur les autels d’autres puissances divines ou héroïques, tout au long de six mois de l’année civile. Cette activité sacrificielle, rendue possible grâce à l’exploitation du téménos d’Héraclès, commence au mois de Mounikhiôn; rien d’étonnant à cela, puisqu’on y célèbre les Hérakleia, fête qui constitue sans doute une grande occasion pour le premier rassemblement annuel du génos et la pratique d’une commensalité bien vivante10.
11Mais Héraclès peut, semble-t-il, aller plus loin et s’engager lui-même dans la mise à mort de l’animal sacrificiel. Grâce aux représentations figurées, on savait déjà qu’il aimait manier la makhaira pour écorcher la victime, un bélier en l’occurrence, on l’a même vu tenir la broche pour enfiler des morceaux de viande, afin de les rôtir sur le feu de l’autel : scènes insolites qui montreraient la solitude et la gloutonnerie du personnage; Héraclès éviterait ainsi la trapéza, refuserait le partage et préférerait manger tout et tout seul, loin des dieux et des hommes11. Je n’écarte pas la possibilité d’une telle interprétation. Mais elle traite Héraclès de héros. Dans cette optique, le sacrifice du bœuf laboureur (ou de deux bœufs) que « les gens de Lindos offrent à Héraclès, en souvenir du bœuf de labour que le héros avait autrefois dévoré chez eux », est un sacrifice accompli par les Lindiens « pour le héros mange-bœufs, Héraclès Bouthoinas » (Durand, op. cit. [n. 6], p. 149, c’est moi qui souligne)12.
12Cependant, si l’on prend en considération l’image que nous renvoie le culte héracléen en général, on serait plutôt tenté de parler, à propos d’Héraclès Βουθοίνας dans un cadre cultuel, non pas d’un héros, mais d’un dieu mangeur13,ayant une relation particulière avec l’alimentation carnée, voire la viande bovine, dont il veut, je dirais, faire profiter les humains pendant les kréanomiai de ses fêtes.
13Considéré dans cette perspective, l’épisode lindien pourrait éventuellement nous livrer d’autres sens, au-delà de l’explication de cette habitude étrange qu’avaient les Lindiens de proférer des malédictions, lorsqu’ils sacrifiaient à Héraclès. Car, dans ces récits, que fait en réalité Héraclès, lorsque le paysan Théiodamas – à qui il avait demandé de la nourriture (τροфάς, dans la version de Conon) pour lui et son fils Hyllos – refuse de lui en donner et se met de surcroît en rage ? Irrité d’un tel outrage, Héraclès égorge l’un des deux bœufs du laboureur et le mange entièrement sans oublier d’en donner à son enfant. Preuve du caractère violent et individualiste du « héros voyageur solitaire », de « l’être le moins social » ? Peut-être. Mais on peut aussi donner un autre sens au geste d’Héraclès. En fait, Héraclès s’insurge contre le refus du partage de la nourriture, partage qu’il inaugure tout en instaurant son propre sacrifice. Car, dans cette histoire lindienne, dès qu’Héraclès se présente accompagné (de son fils, selon Conon; de ses compagnons, d’après Lactance), il ne mange pas seul, mais il prend plaisir à la viande en la partageant avec les autres14. Il est sans doute un glouton, mais sa gloutonnerie ne l’empêche pas d’être, me semble-t-il, un dieu généreux. Il aime bien manger, il adore les festins, il se réjouit de ces trapézai sacrées que les responsables cultuels dressent avec soin15, mais il ne veut pas non plus laisser ses fidèles quitter ses sanctuaires sans avoir reçu leur portion carnée.
14Mais il y a peut-être plus. Pour mieux servir, non seulement lui-même, mais aussi tous ceux qui se pressent dans ses nombreux lieux de culte, Héraclès, on l’a vu, n’hésite pas à faire fonction de sacrificateur, de mageiros. En témoigne une étonnante scène d’un cratère apulien à figures rouges, daté du 375-340 av. J.-C. : elle montre, dans une posture « apollinienne », un jeune Héraclès, torse nu, portant la couronne et un himation qui lui couvre, avec ses plis, le bas du corps. Identifié par la seule massue qu’il touche négligemment de sa main gauche, Héraclès est représenté debout, à côté d’un autel bas, taché de sang, et sur lequel brûle le feu sacrificiel. Il étend sa droite, dans laquelle il tient une makhaira, au-dessus de la tête d’un taureau docile, qu’une Nikè est en train de couronner, tandis qu’une femme s’approche avec plat, brindilles et œnochoè. L’air grave et concentré, comme l’exige ce moment solennel, Héraclès semble prêt d’accomplir les modalités sacrificielles, dont sans doute la mise à mort de la bête consentante16.
15Certes, on pourrait penser que le peintre joue sur la relation étroite qui lie intimement une divinité avec son serviteur, d’une façon telle que l’un peut parfois apparaître comme le double de l’autre. L’exemple caractéristique est celui de la prêtresse d’Athéna Polias à Athènes : revêtue de l’égide d’Athéna, cette Athénienne exceptionnelle devient semblable à la déesse, et c’est sous cet aspect qu’elle va apporter aux jeunes ménages la bénédiction de la Poliade17. Grâce à cette connivence qui se crée dans l’espace sacré, la frontière se brouille entre le divin et l’humain. Sur une coupe attique à figures rouges (Berlin), attribuée au peintre d’Épidromos (525-500 av. J.-C), on voit, par exemple, un personnage qui, vêtu d’une longue robe sacerdotale, la tête couverte de la peau de lion, verse une libation sur l’autel où brûle l’osphûs, en faisant avec sa main levée le geste de la prière; derrière lui, une grosse massue. S’agit-il d’Héraclès ou de son prêtre ? La présence d’un satyre qui, accroupi à côté de lui, semble rôtir à la flamme de l’autel les splagkhna, plaide pour le dieu; car Héraclès entretient des rapports anciens – aussi bien amicaux que conflictuels – avec les Satyres18.
16On pourrait se poser la même question à propos de cette scène si énigma-tique du cratère apulien. Dans l’image du sacrificateur, doit-on reconnaître Héraclès, ou bien son prêtre qui se serait glissé, le temps d’un sacrifice, dans le personnage du dieu ? On ne saurait trancher devant ce genre de documents iconographiques. Mais la présence de Nikè, comme la « couleur » apollinienne de la scène parlent, là aussi, en faveur du dieu.
17Mais revenons au choix des victimes que les hommes amènent aux autels héracléens, choix dont les raisons – répétons-le – ne sont pas toujours claires pour nous.
18À côté du bœuf, on trouve en bonne position les ovins, voire plus spécifiquement le bélier (κριός), bien que la présence de la victime ovine soit, me semble-t-il, plus manifeste sur le plan de la réalité sacrificielle que dans les récits mythiques. On peut même remarquer une sorte d’équivalence entre le bovin et l’ovin. Je veux parler de ces deux récits qui fondent l’offrande de la pomme à Héraclès et le culte d’Héraclès « à la Pomme » (Μήλων), récits très ressemblants, mais qui divergent quant au lieu et à la victime. On connaît l’histoire qui se passe en Béotie, selon l’une des versions, ou en Attique, selon l’autre : un jour de sacrifice à Héraclès, on s’est trouvé sans la victime requise pour la circonstance; pour pallier ce manque, on a pris une pomme et à l’aide de baguettes ou de branches, on l’a transformée en un quadrupède cornu. Or l’animal qu’on aurait dû sacrifier était précisément le bœuf (βοῦς), chez les Athéniens, ou le bélier (κριός), chez les Béotiens19. À propos de ces traditions, A. Schachter accuse Pollux d’avoir « contaminé » les aitia de deux rituels différents, dont l’un serait l’offrande d’une pomme en forme d’animal dans le dème de Mélitè, et l’autre l’immolation, à Thèbes, d’un bœuf de labour20. Pour ma part, je préférerais voir, dans ces récits, une allusion à la prédilection d’Héraclès pour les victimes bovines et ovines.
19Par ailleurs, lorsqu’Héraclès ne vole pas des bœufs, il jette son dévolu sur les moutons, avec une préférence particulière pour le bélier, comme le suggère une Question grecque de Plutarque (58 = Mor., 304c-e). Cette connivence entre Héraclès et les espèces bovine et ovine se voit, par exemple, sur un relief du Musée National d’Athènes, daté du début du ive siècle : un homme conduit vers le dieu, représenté debout devant son édifice à colonnes, un bovin et un ovin21. Souvent, dans ce type de documents iconographiques, on ne peut définir le sexe de l’animal. Bien entendu, on sait bien qu’en règle générale, on sacrifie des animaux mâles aux dieux, on immole des femelles aux divinités féminines. Mais on sait aussi que les exceptions à cette règle ne manquent pas. Une femelle ne serait pas, d’ailleurs, une victime impensable pour honorer un personnage comme Héraclès, dont on connaît les liens ambigus avec l’élément féminin.
20Abordons maintenant un point beaucoup plus litigieux. Depuis la découverte par Charles Picard du fameux règlement relatif au culte d’Héraclès Thasien, on ne cesse de réfléchir sur l’interdiction rituelle des victimes caprines et porcines dont parle cette inscription; on ne se lasse pas d’y chercher des arguments en faveur d’un « double » culte d’Héraclès, culte héroïque et divin. Je rappelle les termes de ce règlement :
Pour Héraclès Thasien, il n’est permis ni chèvre ni porcelet ([αἶγ]α ού θέμις ού[δέ] χοῖρον); il n’est pas permis à une femme (de participer); pas de prélèvement de la neuvième part (ού[δ] ένατεύεται); pas de découpe de gera; pas de concours athlétiques22.
21Charles Picard avait attribué cette loi sacrée à une construction qu’il considérait comme le Prytanée de Thasos, au nord-est de l’agora. Cette attribution a alimenté toute une littérature sur les cultes de différents dieux dans le prétendu « Prytanée », et l’on continue encore à se référer à ce fameux « règlement sacrificiel du Prytanée ». Or on sait maintenant, grâce à des fouilles plus récentes, que les vestiges explorés par Picard appartenaient, en fait, à trois ou quatre structures différentes. Thasos avait bien un Prytanée, dont parlent certaines sources, et qui était sans doute à proximité de l’agora; mais il n’a pas été trouvé jusqu’à présent23. De même, « l’entrée principale » du « Prytanée » – où Picard croyait avoir découvert ce règlement, encastré « dans un mur moderne » – est désormais identifiée au monumental « Passage des Théores », point de jonction important entre le nord-ouest et le sud-ouest de la ville, mais aussi lieu de concentration de cultes24.
22À partir de cette loi sacrée thasienne, on a voulu étendre l’interdiction des victimes caprines et porcines au culte d’Héraclès en général. Il faut dire, tout d’abord, que l’examen de ce type d’interdits dans les règlements religieux montre plutôt leur caractère ponctuel et local. Proscrire l’immolation de certains animaux constitue parfois un moyen d’établir une distance ou, au contraire, un rapprochement entre différentes divinités d’un panthéon donné, une façon de mettre en place des configurations divines propres à une cité, à un lieu, des configurations « épichoriques », comme l’on dirait dans un jargon d’helléniste. De ce point de vue, il est significatif que des interdits sacrificiels identiques ou très semblables – dont la plupart étaient même gravés sur les murs du Passage des Théores – concernent d’autres cultes thasiens : pas de chèvre ni de porcelet pour Peithô ou les Charites, pas d’ovin (oïn) ni de porcelet pour les Nymphes et Apollon Nymphégète, pas de chèvre pour Héra Epilêmenia25.
23Je ne suis même pas sûre que la défense d’immoler la chèvre et le porcelet, dans le règlement trouvé par Picard, valait pour tout acte sacrificiel concernant Héraclès sur l’île de Thasos. Bien entendu, on pourrait dire avec Corinne Bonnet26 que l’Héraclès qualifié, dans cette loi, de Thasios ne peut être que le grand dieu de Thasos, celui qui siégeait dans l’Hérakleion monumental, au sud de l’agora et du port. Et il est vrai que les récentes trouvailles d’ossements faites dans ce sanctuaire montrent que les os de porcs sont très rares (3,6 % du total général), ce qui confirmerait l’hypothèse d’une interdiction générale de la victime porcine dans le culte héracléen de Thasos. Soit. Je dirai simplement qu’il faut bien se garder de tirer des conclusions hâtives de ce genre de statistiques ambiguës. Car si l’on voulait, par exemple, s’appuyer sur ces mêmes données pour confirmer l’interdiction de la chèvre, on serait vite déçu : en effet, comme l’avouent les fouilleurs, « l’analyse n’a pas permis de distinguer entre les os de moutons et ceux de chèvres » – bien que les ossements susceptibles d’appartenir à ces deux espèces représentent 43,4 % du total27. Face à une telle incertitude, je ne vois pas pourquoi on privilégierait l’hypothèse de l’absence de sacrifices caprins à l’Hérakleion, afin de trouver une « conformité parfaite » entre le règlement découvert par Picard et le rituel sacrificiel qu’on aurait accompli dans l’Hérakleion (Des Courtils et Pariente, art. cit. [n. 26], p. 71) – « conformité » que les faits cultuels grecs n’imposent d’ailleurs nullement.
24J’ajouterai encore qu’Héraclès – appelé Thasios dans ce règlement – pourrait, dans d’autres endroits de l’île, recevoir un culte sous d’autres épiclèses, et rien n’exclut, dans ce cas, l’existence de pratiques sacrificielles différentes, n’impliquant pas forcément ce genre d’interdits sacrificiels. Comment honorait-on, par exemple, cet Héraclès qui, posté dans une des portes de Thasos, formait avec son demi-frère Dionysos un couple de « Gardiens » de la cité (τῆσδε πόλεως Φυλαροί)28 ? Quelle espèce animale choisissait-on pour offrir à Héraclès Sôtêr des sacrifices dignes de ce « Sauveur », pendant sa propre fête, les Sôtêria, ou encore lorsqu’on célébrait les Grandes Hérakleia de Thasos29 ?
25Quoi qu’il en soit, on peut pour le moins dire qu’Héraclès accepte bien, en général, des victimes porcines. Selon la loi sacrée des Salaminiens, citée plus haut, le prêtre d’Héraclès ne reçoit pas seulement des parts de victimes qualifiées d’« écorchables », mais aussi des portions d’animaux désignés (1. 32-33) comme eusta, « ébouillantés », ce qui prouve, de façon indirecte mais quasi-certaine, la présence de porcins. Sur certains reliefs attiques, c’est parfois un petit porc qu’on conduit vers Héraclès et son autel, avec calme et douceur, comme il convient normalement à une victime sacrificielle. Sur un des reliefs votifs provenant d’un sanctuaire découvert, en 1952, dans la région de l’Ilissos à Athènes, on voit un Héraclès barbu, majestueux, assis sur un trône : le dieu, surnommé Pankratês, tient une phiale et une corne d’abondance, et reçoit la victime porcine qu’une famille de fidèles a bien voulu lui apporter30. Scène étonnante, mais qui témoigne de la polyvalence des puissances divines dans le système polythéiste, de la capacité qu’elles ont de se révéler aux yeux des humains sous les aspects les plus divers, selon les lieux, les époques et les aspirations des gens. Et si le sacrifiant a les moyens, il peut, le cas échéant, ajouter une deuxième victime, un mouton par exemple, comme on le voit sur un relief du ive siècle provenant du Pirée31.
26Bien évidemment, il faudrait faire la part des choses entre victimes immolées aux frais de la communauté et victimes sacrifiées par des particuliers dans le cadre civique. Mais il n’en reste pas moins qu’on ne saurait, à cause du règlement thasien, établir une incompatibilité générale entre Héraclès et le sacrifice du porc. Je dirai même que ce sacrifice peut devenir légitime d’un autre point de vue : on remarque, en effet, que certaines divinités aiment recevoir sur leurs autels des animaux avec lesquels elles avaient un jour, d’une façon ou d’une autre, des relations conflictuelles. C’est le cas du porc qui avait jadis ravagé les cultures de Déméter, c’est le cas de la chèvre qui avait mangé la vigne de Dionysos. Mais cela pourrait être aussi le cas d’Héraclès, parti en guerre contre un animal bien plus destructeur, le sanglier de l’Érymanthe, quoique le contexte ne soit pas le même.
27Reste une question autrement importante qui va au-delà du cas particulier d’Héraclès. Plusieurs interprètes de la loi sacrée thasienne ont vu dans ce texte l’interdiction du découpage des viandes. Or, remarquent-ils, si l’on ne découpe pas la victime, cela signifie qu’il n’y a ni distribution, ni consommation des viandes, ce qui supposerait, selon cette interprétation, l’existence d’un rituel holocaustique : en l’honneur de l’Héraclès Thasien, on aurait donc offert une victime en holocauste, ce qui prouverait le caractère héroïque, voire chthonien du destinataire32. À Thasos, « à n’en pas douter », Héraclès aurait ainsi reçu un « double » culte, en tant que dieu et en tant que héros. Mais les partisans de ce culte « mixte » ne sont pas d’accord sur sa localisation. Certains, comme Seyrig, situent le « rituel héroïque » dans la région où a été trouvé le règlement sacrificiel, en pensant que l’Héraclès-dieu était honoré ailleurs (en l’occurrence à l’Hérakleion). D’autres voient, dans la loi sacrée d’Héraclès Thasios, un culte divin, et réservent à « la région du rempart » et à l’Hérakleion le culte d’Héraclès, en tant que « héros grec, gardien et militaire »33. D’aucuns encore considèrent l’Hérakleion même comme le siège par excellence de ces « deux » cultes34. Cependant, grâce à des fouilles plus récentes dans ce sanctuaire héracléen, une série de structures présumées « héroïques » ou « chthoniennes » ont perdu leur raison d’être : les fameuses « cupules », taillées à même le roc, à l’Est du grand autel rupestre, et qu’on a voulu associer à des offrandes du type chthonien, ne sont « en réalité que des trous de poteaux »; la prétendue eschara – dans ce qu’on appelle l’« édifice polygonal » au Sud du temple – associée par Launey au culte chthonien d’Héraclès « héros », n’est sans doute que le foyer intérieur d’une salle de banquets; quant au prétendu bothros (dans la cour triangulaire au Sud), que certains ont destiné, lui aussi, au culte héroïque et chthonien, on sait maintenant qu’il s’agit d’un puits, qui servait très probablement aux besoins de l’hestiatorion voisin35.
28De la même façon, on a parlé d’un « double » culte d’Héraclès sur l’île de Cos, en se fondant sur un calendrier sacrificiel du ive siècle : en effet, en l’honneur d’Héraclès, on brûle entièrement un agneau et on immole un bœuf qu’on partage36. Cependant, cette dichotomie rigide, qui veut placer obligatoirement le rituel holocaustique sous le signe de l’héroïque et du chthonien, ne semble pas correspondre exactement aux formes très variées des cultes civiques. Un holocauste ne renvoie pas toujours aux puissances héroïques ou/et d’en bas. La destruction totale d’une victime peut avoir aussi d’autres fins, lorsqu’on veut, par cet acte, montrer à la divinité qu’on lui abandonne tout, qu’on ne garde rien pour les hommes, en espérant ainsi que cette générosité humaine sera bien récompensée.
29C’est, je crois, le sens de certains sacrifices holocaustiques en l’honneur, par exemple, de Zeus Meilichios, une divinité dont l’aspect « chthonien » ne me semble pas toujours évident. Je pense, en particulier, au sacrifice que Xénophon offrit à ce dieu, en faisant brûler des porcelets selon la coutume ancestrale (έθύετο καì ὡλοκαύτα χοίρους τῷ πατρῴῳ νόμῳ), dans l’espoir d’obtenir une aide financière – ce qui se réalisa, en effet, au lendemain de cet holocauste (Anabase, VII, 8, 1-6).
30Par ailleurs, si l’holocauste de l’agneau et l’immolation du bœuf pour l’Héraclès de Cos dénotaient un « double » culte, comment pourrait-on expliquer alors un rite analogue, dans ce même calendrier, rite qui concerne cette fois Zeus Polieus ? Car, pour ce Zeus de la Cité, on offre aussi en holocauste un gros porcelet, et on sacrifie par la suite un bœuf (LSCG, 151 A, 1. 29 sq.). Or cette grande divinité de Cos n’a, me semble-t-il, rien d’héroïque ou de chthonien.
31Cela dit, peut-on affirmer de façon catégorique qu’Héraclès n’était nulle part honoré comme un héros ? L’expérience montre qu’il est toujours risqué de traiter les pratiques cultuelles grecques d’une manière rigide, absolue, n’acceptant qu’une seule « vérité ». Cependant, pour illustrer le « double » culte d’Héraclès ou encore ses « chthonian and olympian characteristics »37, on ne propose d’habitude que deux textes : Hérodote, II, 44, et Pausanias, II, 10, 1.
32Laissons de côté le passage hérodotéen, trop souvent discuté et commenté, présenté comme « preuve » indéniable d’un rituel « mixte », héroïque et divin, qu’auraient pratiqué certains Grecs et, en particulier, les Thasiens. Je rappelle seulement que, dans sa critique judicieuse des hypothèses de H. Seyrig, M. Launey et J. Pouilloux, D. van Berchem faisait déjà remarquer que l’Héraclès qualifié de Thasios est, pour Hérodote, un dieu. À bien lire ce fameux passage, on n’y voit aucune mention d’un « double » sacrifice que l’historien aurait constaté « à Thasos »38.
33Quant au texte de Pausanias, il est, en fait, le seul exemple qui se réfère à un lieu précis, en décrivant la combinaison de deux rituels, « divin » et « héroïque ». Cependant, ce lieu n’est pas Thasos, mais Sicyone. De quoi s’agit-il ? « On dit » (λέγουσιν), raconte Pausanias, que Phaistos, arrivant à Sicyone, a surpris les habitants en train de rendre des honneurs à Héraclès, « comme à un héros » (ὡς ἥρωι έναγίζορτας)39. Mais Phaistos – qui passait « pour être lui aussi un fils d’Héraclès » (Paus., II, 6, 6-7) – « jugeait digne » (ήξίου) de ne pas faire comme eux, mais de lui sacrifier « comme à un dieu » (ὡς θεῷ θύειν). Et aujourd’hui, continue Pausanias, les gens de Sicyone, après avoir égorgé un agneau (ἄρνα) et brûlé les cuisses (μηρούς) sur l’autel, consomment une partie des viandes, comme dans le cas d’une « victime sacrificielle » (ὡς άπò ἱερείου), et consacrent l’autre partie comme à un héros (τὰ δὲ ὡς ἥρωι τῶν κρεῶν έναγίζουσι).
34En fait, ce récit de Pausanias, qu’on érige souvent en modèle représentatif du culte héracléen dans tout le monde grec, n’est pas exempt d’ambiguïté. On a l’impression que, grâce à l’intervention de Phaistos, le sacrifice héroïque se transforme en sacrifice divin, comme pour marquer, sur le plan rituel, le passage de l’état héroïque au statut divin, passage qui s’accomplit sur le plan mythique grâce à l’apothéose. Mais cette transformation ne serait pas complète, puisque les Sicyoniens continuent, d’une certaine façon, d’honorer Héraclès « comme héros ». Pourtant, tout se passe dans un contexte qui ne semble pas tellement « héroïque » : Héraclès règne dans son sanctuaire (hiéron) sicyonien, situé au milieu d’un enclos sacré (péribolos) ; sa statue cultuelle est un archaion xoanon, comme ceux qui parent les temples de divinités vénérables, preuve d’une ancienne présence divine; contrairement à ce que soutenait Nilsson40, les Hérakleia de Sicyone n’ont rien d’une fête héroïque si l’on en juge par le caractère d’autres Hérakleia dans les cités grecques. Dernier détail : Pausanias qualifie de thusia l’ensemble des rites sacrificiels qu’il décrit.
35Dans un tel cadre, essentiellement « divin », comment comprendre l’expression ὡς ἥρωι… έναγίζουσι du Périégète ? Sans réfuter la possibilité d’un double culte dans ce cas exceptionnel de Sicyone, on pourrait se demander si Pausanias n’a pas pris pour un culte héroïque la destruction par le feu d’une partie des viandes. Cette pratique sacrificielle, qui consiste à traiter de deux façons différentes les chairs d’une même victime offerte à un seul destinataire, est rarement attestée – et mal étudiée encore. Cependant, je ne pense pas que ce procédé inhabituel renvoie toujours – comme il est souvent dit – à un double statut, à une double nature, « olympienne » et « chthonienne » de la puissance honorée. Quoi qu’il en soit, la compréhension de ce rituel en deux étapes successives passe forcément par l’élucidation d’une autre question que nous avons abordée plus haut : la destruction par le feu d’une victime, en entier ou en partie, constituerait-elle toujours et partout un rituel « chthonien », adressé à des puissances héroïques ou divines d’en bas, ou encore à la face supposée « sombre » de certaines divinités « olympiennes » ? La question reste, me semble-t-il, ouverte.
36Cependant, cette ambiguïté et cette impression de flottement que donne le récit de Sicyone – qu’il implique ou non, dans la réalité, un « double » culte – ne sont sans doute pas fortuites. Il a été bien remarqué que, derrière certains récits de fondation de cultes héracléens, se profile, tantôt clairement tantôt en pointillé, le problème de la double nature d’Héraclès. Car s’il est vrai que plusieurs témoignages parlent de l’instauration d’un culte divin d’Héraclès, qu’on reconnaît d’emblée et sans hésitation « comme dieu »41, il n’en reste pas moins que quelques récits laissent apparaître une sorte d’oscillation fugace entre le héros et le dieu, comme si l’on avançait à pas incertains dans un temps momentanément suspendu entre la condition héroïque et le statut divin, définitivement acquis. L’histoire sicyonienne fait sans doute partie de cette catégorie.
37Cette incertitude temporaire, ce sentiment d’entre-deux, on les saisit mieux à travers le récit de Diodore (IV, 38, 3 – 39, 4), relatif à ce qui a suivi la disparition d’Héraclès sur le bûcher de l’Œta : on est encore dans un moment critique, plein d’effroi et de stupéfaction devant l’incroyable scène de ce corps perdu dans les flammes. Mais aussitôt après, des foudres tombent, le bûcher s’éteint. Les compagnons d’Iolaos cherchent désespérément à rassembler les os, mais n’en ayant rien trouvé, « ils ont compris qu’Héraclès était passé… des hommes aux dieux » (έξ άνθρώπων εἱς θεούς μεθεστάσθαι). Son apothéose ne fait donc aucun doute et Diodore emploie même ce terme d’άποθέωσις quelques lignes plus bas (IV, 39, 2). Et pourtant, c’est « comme à un héros » (ώς ἥρωι), et non pas « comme à un dieu » qu’ils font « des consécrations » (άγισμούς), avant de descendre de l’Œta. De même, et « à leur suite », Ménoitios sacrifie à son ami Héraclès « comme à un héros » et fonde, en son honneur, à Oponte, un culte héroïque annuel. Mais ce geste n’est pas non plus dépourvu d’ambiguïté, car en quoi consiste justement le sacrifice offert par Ménoitios ? Au lieu de se contenter d’une offrande oblatoire plus conforme à un rite héroïque, Ménoitios immole trois animaux : κάπρον καì ταύρον καì κριόν, « un verrat [et non pas un “sanglier” comme l’on traduit souvent], un taureau, un bélier ». Il accomplit donc un sacrifice rare et somptueux, que les Grecs appelaient τρίττο(ι)α, τριττύα, τριττύς ou, le cas échéant, τρίττοια βόαρχος, lorsque le bovin avançait à la tête des trois victimes – qualification qui pourrait bien convenir au sacrifice de Ménoitios.
38Cependant, ce type d’immolation de trois animaux – qu’on rencontre aussi dans le contexte du serment – s’adresse normalement à des divinités, à Athéna, par exemple, ou aux deux déesses d’Éleusis et à d’autres puissances du cercle éleusinien42. On dirait que, malgré l’indication « comme à un héros », le sacrifice offert par Ménoitios, sans doute réactivé chaque année par les gens d’Oponte, concerne beaucoup plus un Héraclès devenu désormais dieu. Quoi qu’il en soit, cette ambiguïté qu’on décèle derrière le culte opontien – mais aussi chez les Thébains « qui ont fait quelque chose de semblable » – ne dure pas longtemps. Elle ne marque qu’un bref temps intermédiaire entre le moment de l’apothéose et la fondation d’un culte divin par les Athéniens qui « ont, les premiers, honoré Héraclès comme dieu (ώς θεόν) par des sacrifices », et incité ensuite tous les Grecs, ainsi que « tous les hommes dans la terre habitée à faire de même; de cette façon, les Athéniens ont donné aux autres humains l’exemple de leur piété (eusébeian) envers le dieu » (Diodore, IV, 39, 1)43.
39Revenons un instant au rituel de l’Œta. Pourrait-on l’appréhender mieux, l’éclairer davantage ? Pourquoi destiner à celui qui appartient désormais – et on le sait – au monde divin, des « consécrations » propres à un héros ? On dirait que les compagnons d’Iolaos voulaient rendre un dernier hommage à la nature héroïque et mortelle d’Héraclès, honorer une dernière fois ce héros, dont l’existence terrestre fut si bénéfique aux humains. Diodore ne précise pas en quoi consistaient exactement ces hagismoi, s’il s’agissait de simples offrandes et libations, de sacrifices sanglants ou de tout à la fois44. Quoi qu’il en soit, on pourrait penser que ces honneurs s’adressaient, sans doute, à l’eidôlon d’Héraclès, semblable à cette ombre qu’Ulysse avait vue clore la longue litanie des psuchai des morts, ces εἴδωλα καμόντων, qu’il avait invoqués par des prières et des sacrifices sanglants de type héroïque (Odyssée, XI, 601-626). Mais cet eidôlon qui, secoué de sanglots, parle à Ulysse, n’est plus Héraclès, bien qu’il ait sa « forme », son « aspect »45 : le vrai Héraclès, en personne (αύτός), se trouve dorénavant, parmi les dieux immortels, à « se réjouir dans les festins », à côté de son épouse Hèbè « aux belles chevilles »46. « Pareil à la sombre nuit », c’est le fantôme d’Héraclès qui séjourne dans l’Hadès, un fantôme qui, tout en apparaissant avec arc, flèches et le « terrible baudrier », n’est qu’une sorte de « semblance » creuse.
40Cette absence d’existence réelle, ce « vide », pourrait faire penser à une chose étrange que nous donnent à voir trois représentations du bûcher et de l’apothéose d’Héraclès : tandis que le héros divinisé s’envole, pour rejoindre les autres dieux, sur un quadrige fougueux conduit par Athéna ou Nikè, il ne reste sur le bûcher qu’un objet étonnant, « modelé… comme un torse prolongé jusqu’à la naissance des bras et du cou »47. Que représente ce corps privé de tête et de membres, ce tronc humain « creux », abandonné là, sur le feu évanescent, comme une coquille vide ? On pourrait dire qu’il s’agit d’une « sorte d’empreinte, de marque en négatif laissée sur terre par Héraclès », comme le proposent A.-F. Laurens et F. Lissarrague; ou encore d’une « indication de la mortalité qu’Héraclès avait rejetée, comme un serpent qui mue », selon l’avis de J. Boardman48. Il me semble que l’on peut parler, plus précisément – et sans qu’il y ait contradiction avec le thème de la mortalité détruite par le feu49 – d’une espèce de « dépouille héroïque » : le nouveau dieu, parti définitivement pour « la demeure de Zeus » – comme le dit Théocrite –, abandonne sur terre son « enveloppe » mortelle qui lui rappelle sa vie de bravoures et de souffrances, comme s’il souhaitait se débarrasser, une fois pour toutes, de son ancienne qualité de héros, comme s’il voulait signifier que l’Héraclès-héros n’est plus qu’une apparence creuse, une forme irréelle, devenue dans l’Hadès un fantôme, un eidôlon.
41Cela dit, je ne prétends nullement établir une association cohérente, une correspondance parfaite entre la Nékuia homérique, le texte de Diodore et le langage des images. J’ai seulement voulu évoquer certains témoignages qui, malgré leur écart temporel et leur différence de registre, pourraient, me semble-til, éclairer davantage le sens des derniers honneurs héroïques rendus, sur l’Œta, à celui qui s’est définitivement séparé du monde des héros. On peut dire qu’il s’agit là d’hypothèses fragiles, de suppositions incertaines. Sans doute. Mais il serait intéressant, à ce propos, de citer une scholie à Pindare (Ném., III, 38a). Lorsque les Grecs sont venus demander à Apollon comment ils devaient honorer Héraclès après son apothéose, le dieu a répondu : « maintenant (en ce moment) comme héros, mais demain comme dieu » (νῦν μέν ὡς ἥρωα, τῇ δὲ έπιούσῃ ὡς θεόν). Certes, on pourrait y voir une allusion à un « double » culte. Mais on peut aussi interpréter autrement cette réponse oraculaire : les lendemains de l’apothéose n’appartiennent, désormais, qu’au dieu Héraclès et à son culte résolument divin.
42À la fin de ce parcours, revenons une fois encore à la question déjà posée : peut-on dire qu’on ait la preuve absolue d’une absence d’hommages héroïques à Héraclès ? On ne saurait l’affirmer de façon définitive. On pourrait cependant dire que l’examen des cultes héracléens dans les cités tend plutôt à montrer que, grâce surtout aux pratiques sacrificielles, Héraclès réussit à consolider mieux son statut divin, et à jouer pleinement le rôle d’un dieu bien intégré aux différents panthéons civiques. En fin de compte, Héraclès devient tout simplement une divinité comme les autres.
Notes de bas de page
1 Exemple récent de ce bel équilibre : Deborah Lyons, Gender and Immortality. Heroines in Ancient Greek Myth and Cult, Princeton Univ. Pr., 1997. L’A. pense que l’apothéose d’Héraclès « in no way diminishes his claim to heroic status, for he continues to receive heroic cult alongside divine cult » (p. 64; cf. aussi p. 49). Même la scène du bûcher sur l’Œta a été associée par T.C.W. Stinton à ce qu’il appelle « the heroic act of self-immolation », étant donné qu’Héraclès est « above all a hero » : The apotheosis of Heracles from the pyre, in Papers given… in honour of R. P. Winnington-Ingram, London, 1987 (Society for the Promotion of Hell. Studies, Suppl. papers, 15), p. 1-16.
2 Sur ce dernier point, cf. P. Vivante, Héraclès chez Pindare, in Actes du 3e Congrès Intern. sur la Béotie antique (Montréal, 1979), Amsterdam, 1985, p. 159-163 (mais cette expression pindarique n’y est pas prise en considération).
3 Parmi lesquelles il faut signaler surtout celle d’Annie Verbanck-Pierard qui, dans une série d’articles, a mis fortement en question la partie « héroïque » du culte héracléen; voir notamment : Le double culte d’Héraklès. légende ou réalité?, in A.-F. Laurens (éd.), Entre hommes et dieux, Paris-Besançon, 1989 (Annales litt. de l’Univ. de Besançon, 391. Lire les polythéismes, 2), p. 43-65; Héraclès héros ou dieu ? (IIIe partie), in C. Bonnet, C. Jourdain-Annequin (éds), Héraclès, d’une rive à l’autre de la Méditerranée, Bruxelles-Rome, 1992, p. 51-65.
4 Cf. Divinità greche e vittime animait. Demetra, Kore, Hera e il sacrificio di femmine gravide, in S. Castignone, G. Lanata (éds), Filosofi e animali nel mondo antico, Pisa, 1994, p. 173-186.
5 Dans ce volume, p. 257-300.
6 Cf. F.T. van Straten, HIERA KALA. Images of Animal Sacrifice in Archaic and Classical Greece, Leiden, Brill, 1995, p. 88; fig. 93. Sur les différentes interprétations de la dédicace, cf. M.-F. Billot, in BCH, 116 (1992), p. 137-138.
7 Sur l’image d’un Héraclès-héros, affamé et violent, qui « dévore en solitaire » dans l’épisode du sacrifice à Lindos, cf. J.-L. Durand, Sacrifice et labour en Grèce ancienne, Paris-Rome, 1986, p. 145-173 (avec sources et bibliographie), ainsi que la critique d’A. Verbanck-Pierard qui juge cette image trop « littéraire » et réductrice : Herakles at Feast in Attic Art: a Mythical or Cultic Iconography? in R. Hägg (éd.), The Iconography of Greek Cult in the Archaic and Classical Periods, Athènes-Liège, 1992 (Kernos, Suppl. 1), p. 85-106 (p. 97-98), et Héraclès l’Athénien, in A. Verbanck-Pierard, D. Viviers (éds), Culture et Cité, Bruxelles, 1995, p. 103-125 (p. 116-117).
8 Comme l’exigent deux décrets du dème d’Éleusis (332/331 av. J.-C), pour les Hérakleia, la fête d’Héraclès του iv ”Ακριδι (S. Coumanoudis et D. Gofas, Deux décrets inédits d’Éleusis, in REG, 91 [19781, p. 289-306; le texte aussi dans SEG, XXVIII, 1978, n° 103).
9 IG, II2, 1245 et 1247. Sur les Mésogeioi (un génos ou une association cultuelle ?), cf. en dernier lieu, R. Parker, Athenian Religion, Oxford, Clarendon Press, 1996, p. 284-285, 306-307.
10 Pour les Salaminiens et leurs cultes, l’étude fondamentale reste celle de W.S. Ferguson, The Salaminioi of Heptaphylai and Sounion, in Hesperia, 7 (1938), p. 1-74. Sur la localisation de l’Hérakleion de Porthmos, cf. J.H. Young, in Hesperia, 10 (1941), surtout p. 169-174.
11 C’est ainsi que J.-L. Durand interprète ces scènes, pp. cit. (n. 7), p. 164-170, fig. 78 et 81-85.
12 Sur cette épithète, associée à l’épisode lindien, cf. Souda, s.v. Bουθοίνας.
13 Comme le remarque, à juste titre, Verbanck-Pierard, Héraclès héros ou dieu ?, cit. (n. 3), p. 61-62.
14 Conon, 26 F 1, XI Jacoby; Lactance, Divin. instil., I, 21, 31-37. Par ailleurs, selon la notice de la Souda (supra, n. 11), ce n’est pas Héraclès qui avait faim, mais son fils Hyllos.
15 Un des archontes des Mésogeioi (voir supra) est honoré également pour « avoir pris soin de la préparation [qui est aussi une décoration] de la table », pendant le sacrifice à Héraclès : έπεμελήθη δέ… καì τῆς έπικοσίμήσεως τῆς] τραπέζης (IG, II2, 1245, 1. 4-6). Sur Héraclès et la trapeza cultuelle, cf. Verbanck-Pierard, Herakles at Feast…, cit. (n. 7), p. 92-97.
16 Van Straten, op. cit. (η. 6), fig. 43. Il pense qu’il s’agit ici d’un « rite préliminaire » (p. 43-44) : Héraclès se sert du couteau non pas pour sacrifier la bête, mais pour lui couper seulement quelques poils qu’il jettera ensuite au feu, comme le fait Égisthe dans l’Électre d’Euripide (v. 810-812). Mais une opération n’exclut pas l’autre. D’ailleurs Égisthe, aussitôt après (v. 813-14), égorge lui-même la victime, en l’occurrence un jeune taureau.
17 Cf. S. Georgoudi, Lisimaca, la sacerdotessa, in N. Loraux (éd.), Grecia al femminile, Roma-Bari, 1993, p. 155-196 (p. 191-192).
18 Cf. F. Lissarrague, Héraclès et les satyres, in Modi e funzioni del racconto mitico nella cera-mica greca italiota ed etrusca dal VI al IV secolo a.C., Centro Studi Salernitani, Salerno, 1995, p. 171-199, fig. 9.
19 Apollod., 244 F 115 Jacoby (il y est question du culte d’Héraclès Alexikakos, « à Athènes »); Pollux, I, 30 (Béotie). Selon une glose d’Hesychius (s.v. Μήλων ‘Ηρακλῆς), dans le dème attique de Mélitè, Héraclès ne recevait pas des victimes animales, mais des pommes. S’agit-il du même culte que celui d’Héraclès Alexikakos, dont parle en général Apollodore, et qui possédait, dans ce dème, un sanctuaire renommé, « très en vue » (épiphanestaton : schol. à Aristoph., Gren., 501) ? On ne saurait le dire, mais il est plus probable qu’il s’agisse de deux cultes différents. Quoi qu’il en soit, Héraclès Mêlôn n’est sûrement pas l’héritier d’un ancien « apple god » (!), comme le croit encore S. Woodford (à la suite de Deubner), Culls of Heracles in Attica, in Studies presented to G.M.A. Hanfmann, Mainz, 1971, p. 211-225 (p. 218).
20 A. Schachter, Cults of Boiotia, 2. Herakles to Poseidon, London, 1986 (B1CS, Suppl. 38.2), p. 20-21. Pour soutenir son opinion, Schachter – qui croit, par ailleurs, que le culte héracléen à Thèbes « remained that of a hero » – attribue à Héraclès le sacrifice de bœufs laboureurs en l’honneur d’Apollon Spodios, à Thèbes, sacrifice dont Pausanias raconte la fondation (IX, 12, 1). Mais il n’existe pas, me semble-t-il, d’arguments valables pour étayer cette attribution.
21 Van Straten, op. cit. (n. 6), p. 88-89, fig. 94. Cf. fig. 95 : sur un relief du iiie s. av. J.-C. (?), Héraclès, allongé sur une couche, à côté d’une table d’offrandes et d’un autel, reçoit de la part de trois fidèles un mouton minuscule, amené par un petit serviteur qui porte un kanoûn (Mus. Nat. de Sofia). Il semble que l’Héraclès « Glouton », tant décrié, se contente volontiers d’une victime toute menue.
22 Ch. Picard, Un rituel archaïque du culte d’Héraklès thasien trouvé à Thasos, in BCH, 47 (1923), p. 241-274. Cf. Sokolowski, LSCG, Suppl., n° 63. – J’entends reprendre ailleurs le réexamen de la clause oud’ énateuetai, qui nécessite un développement dépassant les limites de cet article.
23 Voir S.G. Miller, The Prytaneion. Its Function and Architectural Form, Berkeley, 1978, p. 234. Cf. G. Roux, in Crai (1954), p. 469-479 (en particulier, p. 474).
24 Cf. J. Pouilloux, Une énigme thasienne : le passage des théores, in Thasiaca, Paris, 1979 (BCH, Suppl. V), p. 129-141.
25 Sokolowski, LSCG, 114 A et B (Nymphes, Apollon, Charites; cf. C. Gallavotti, in BollCIass, 6 [1985], p. 50-51); LSCG, Suppl., 73 (Peithô), 74 (Héra).
26 Melqart. Cultes et mythes de l’Héraclès Tyrien en Méditerranée, Namur, 1988 (Studia Phoenicia, VIII), p. 359.
27 Voir, sur ces recherches, J. Des courtils, A. Pariente, Problèmes topographiques et religieux à l’Hérakleion de Thasos, in R. Etienne, M.-Th. Le Dinahet (éds), L’espace sacrificiel dans les civilisations méditerranéennes de l’Antiquité, Lyon-Paris, 1991, p. 67-73.
28 IG, XII 8, 356. J. Pouilloux, en évoquant « le nombre de cultes héroïques » liés à la sécurité d’une cité, transforme cet Héraclès Gardien en « héros » (L’Héraclès Thasien, in REA, 76 [1974], p. 306-307; cf. infra). Mais on ne voit pas pourquoi Héraclès – mis ici sur le même plan que Dionysos, dont personne ne conteste le statut divin – ne serait pas un dieu, au même titre que toutes ces divinités qui protègent les portes (des cités ou des maisons), et qu’on qualifie d’habitude de Propulaioi, de Pulaioi, ou encore, hoi en toi pulôni (c’est ainsi qu’on nomme quatre divinités de la cité d’Érythrées, parmi lesquelles figurait en première place Héraclès Kallinikos : cf. supra).
29 Sur ces fêtes héracléennes majeures, voir F. Salviat, Une nouvelle loi thasienne, in BCH, 82 (1958), p. 193-267 (p. 228-232 : Sôtêria; p. 236-237 : Grandes Hérakleia). Salviat insiste avec raison sur « la primauté du dieu » et « l’antiquité de son culte ». On pourrait remarquer aussi que, selon l’ordre des fêtes thasiennes énumérées par cette inscription, les Sôtêria précèdent les Dionysia, et les Grandes Hérakleia se situent entre les Diasia, fête importante de Zeus, et les Choreia, autre fête dionysiaque. Ainsi, trois grandes divinités, le père avec ses deux fils, dominent d’une certaine façon le calendrier festif de Thasos.
30 Van Straten, op. cit. (n. 6), p. 89-90, fig. 96. Sur ces reliefs, cf. E. Vikela, Die Weihreliefs aus dem Athener Pankrates-Heiligtum am Iiissos, Berlin, 1994 (MDAI(A), Beiheft 16) (mais ses conclusions, qui ramènent presque tout à l’élément « chthonien », ne semblent pas toujours convaincantes). Sur Héraclès et la cornucopia, cf. Verbanck-Pierard, Herakles at Feast…, cit. (η. 7), p. 100 (avec bibliographie).
31 J. Boardman, S.V. Herakles, in LIMC, IV (1990), p. 804, n° 1390. Cf. n° 1391 : Hermès amène une énorme truie à Héraclès, derrière lequel se tient Athéna (cratère apulien, ca 390 av. J.-C); mais le contexte, comme le dit Boardman, reste ambigu. Sur le sacrifice du khoiros à Héraclès, cf. aussi Sextus Empiricus, Quest. Pyrrhon., III, 220. Les membres d’une association (éranos) á’Hérakliastai (sic), en Attique (Paiania ?), décident de sacrifier, chaque année, « au dieu » (τῷ θβῷ) un kapron, un verrat (SEG, XXXI, 1981, 122, ca 121/122 de notre ère; je dois cette référence à W. Burkert).
32 Cf. surtout l’interprétation de H. Seyrig (Quatre cultes de Thasos, in BCH, 51 [1927], p. 185-198), qui a exercé, par la suite, une influence certaine.
33 C’est la conclusion de Pouilloux, art. cit. (n. 28), p. 315.
34 Cf., en premier lieu, M. Launey, Le sanctuaire et le culte d’Héraclès à Thasos, Paris, 1944, surtout p. 165-185. Launey établit un schéma évolutionniste qui situe, « dans une première période, préhellénique », le culte « d’un dieu » ayant deux aspects : « ouranien » et « chthonien » (cf. aussi Ch. Picard, in JS, 1949, p. 111-133). B. Bergquist – qui reste pourtant assez sceptique sur l’existence d’un culte héroïque d’Héraclès à Thasos – pense que s’il y avait réellement deux cultes héracléens, distincts et opposés, « they were probably temporally, and not locally, distinguished » (Heracles on Thasos, Uppsala, 1973, p. 39 et sq.).
35 Cf. G. Roux, L’Héracleion thasien. Problèmes de chronologie et d’architecture, Paris, 1979 (BCH, Suppl. V), p. 191-211. J. Des Courtils, A. Pariente, in BCH, 110 (1986), p. 802-806, ainsi que l’art, cit. (n. 27).
36 Sokolowski, LSCG, n° 151 C, 11. 8-10. Sur la « double » nature d’Héraclès à Cos, cf. par exemple, M.P. Nilsson, Griechische Feste, Berlin, 1906 (réimpr. Leipzig, 1996), p. 452-453. Cette hypothèse va plutôt à rencontre de la place importante qu’occupe Héraclès parmi les divinités de Cos : cf. S.M. Sherwin-White, Ancient Cos, Göttingen, 1978, p. 293, 317-320. Sur le culte public et les prêtrises d’Héraclès Kallinikos, cf. M. Segre, Iscrizioni di Cos (présentées par G. Pugliese Carratelli), Rome, 1993, vol. I, ED 180.
37 Comme le dit S. Scullion, qui revient, en l’adoptant, sur cette vieille distinction controversée : Olympian and Chthonian, in ClAnt, 13 (1994), p. 75-119 (voir surtout p. 90, 99, 114). En revanche, voir sur cette question, la mise au point critique de R. Schlesier, Olympische Religion und Chthortische Religion, in U. Bianchi (éd.), The Notion of “Religion” in Comparative Research, Rome, 1994, p. 301-310.
38 D. van Berchem, Sanctuaires d’Hercule-Melqart. Contribution à l’étude de l’expansion phénicienne en Méditerranée, in Syria, 44 (1967), surtout p. 88-109. Cf. Verbanck-Pierard, Le double culte…, cit. (n. 3), p. 46-48.
39 On pourrait, certes, traduire ici : « sacrifier comme à un héros », puisque l’enagizô s’oppose, en l’occurrence, à thuô. Mais, sur un plan général, le terme enagizô n’implique pas toujours un sacrifice sanglant : cf. J. Casabona, Recherches sur le vocabulaire des sacrifices en Grèce des origines à la fin de l’époque classique, Aix-en-Provence, 1966, p. 204-207.
40 Nilsson, op. cit. (n. 36), p. 449 et n. 3. L’hypothèse de Nilsson est d’autant plus invraisemblable qu’elle se fonde sur une phrase de Pausanias irrémédiablement corrompue à cet endroit. La seule certitude qu’on puisse en tirer, c’est que la fête héracléenne à Sicyone s’étalait sur deux jours, dont le second s’appelait Hérakleia.
41 Comme l’a bien fait remarquer Verbanck-Pierard : cf. surtout Héraclès héros ou dieu ?, cit. (n. 3), p. 60-64.
42 Cf. Van Straten, op. cit. (n. 6), p. 16-18 (Athéna); IG, I3, 5, I. 5 (Éleusis).
43 De ce point de vue, A. Verbanck-Pierard a raison de dire que, dans le récit de Diodore, les Athéniens sont présentés comme les πρῶτοι εύρεταί du culte divin d’Héraclès, ce qui pourrait éclairer d’une certaine façon la construction même de ce long passage (Le double culte…, cit. [n. 3], p. 48-49).
44 Sur les sens des verbes agizô et énagizô, qui peuvent couvrir toutes ces opérations, cf. Casabona, op. cit. (n. 39), p. 197-210.
45 Eidôlon relève du champ sémantique de eidos = forme, aspect. Sur les différents sens du mot eidôlon, cf. J.-P. Vernant, Figures, idoles, masques, Paris, 1990, p. 34-41.
46 Od., XI, 602-603, deux vers repris aussi par Diodore (IV, 39, 3), comme preuve de la condition divine du nouveau membre des Immortels. Certes, les purs esprits philologiques, tant anciens que modernes, qui ne souffrent pas « les invraisemblances », condamnent ces vers homériques (comme, d’ailleurs, beaucoup d’autres), en les considérant comme une « addition tardive ». Pour mon propos, il suffit de noter que Diodore, lui, les attribuait bien « au poète », en les citant de la Nékuia (κατά τὴν Νεκυίαν).
47 A.-F. Laurens, F. Lissarrague, Le bûcher d’Héraclès : l’empreinte du dieu, in Laurens (éd.), op. cit. (n. 3), p. 81-98 (la citation, à la page 89).
48 Herakles in Extremis, in Studien zur Mythologie und Vasenmalerei (Mélanges K. Schauenburg), Mainz am Rhein, 1986, p. 127-132 (p. 129). L’A. rejette avec raison l’interprétation de cet objet comme une cuirasse « musclée ».
49 Thème développé par une série d’auteurs grecs et latins; cf., à titre d’exemple, Theocr., Id., XXIV, 79 sq.; Lucien, Herm., 7; Quintus de Smyrne, V, 640; Pline, N.H., XXXV, 139; Ovide, Mét., IX, 239 sq. etc.
Auteur
ÉPHÉ, Section des Sciences Religieuses 45-47, rue des Écoles F – 75005 Paris
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