L’« intuabilité conditionnelle » caractéristique de quelques adversaires d’Héraclès
Une approche comparative
p. 187-196
Texte intégral
1L’objet de cette étude est un modeste (et peut-être futile) essai de caractérisation d’une série d’adversaires monstrueux propres aux grands héros « primitifs », chasseurs-guerriers parcourant les marges sauvages, que sont respectivement, et de façon correspondante1, en Grèce Héraclès, en Inde Rama, et en Ossétie Soslan. Nous voudrions montrer ici que ce qui caractérise ces monstres en tant qu’êtres surnaturels est, outre diverses difformités physiques remarquables, surtout quelque type d’« intuabilité conditionnelle », ainsi que nous avons proposé de dénommer le trait principal qui les rend si redoutables (à la place du terme dans ce cas fort inapproprié d’« immortalité conditionnelle » utilisé par certains). Cette intuabilité devra parfois aussi être distinguée non seulement – comme nous venons de le dire – de l’immortalité, mais également de l’invincibilité ou de l’invulnérabilité2. De cette « intuabilité conditionnelle », nous tenterons d’analyser la richesse des variations au sein de l’aire mythologique indo-européenne, à partir d’exemples tirés des gestes respectives des trois grands héros cités, sans prétendre donc épuiser les multiples variantes potentielles présentes dans d’autres gestes mythiques ou dans d’autres traditions indo-européennes archaïques.
Héraclès
2C’est dans le cadre sauvage où il évolue la plupart du temps qu’Héraclès se révèle comme le spécialiste par excellence de l’élimination des monstres, à une époque où ils hantaient encore le monde (cf. Diod. Sic, I, 24, 5-6). Parmi cette « foule de monstres » que le grand héros a exterminés (cf. Pind., Ν. I, 95-96; Eur., Her. Fur., 157-158, 1271-1274), sans compter ici les animaux surnaturels ou les géants et autres êtres apparentés, on notera dans la seule catégorie des « monstres », hybrides d’apparence mi-animale, mi-humaine : l’Hydre aux multiples têtes (cf. Hés., Th., 313-318; Pisandre, fr. 2 Bernabé; Alcée, fr. 443 Voigt; Simonide, PMG 569 Page), laquelle ne périra point – c’est-à-dire ne pourra « être tuée » – tant que celles-ci n’auront pas été toutes tranchées, ce qui se fera3 grâce à l’aide d’Iolaos, le neveu du héros (cf. Apollod., Bibl. II, 5, 2; Diod. Sic, IV, 11, 5-6); Géryon au corps triple (cf. Th., 287-289; Stésich., SLG 87 Page; Esch., Ag., 870-873; Heracl, fr. 74 Radt); et de nombreux centaures (cf. Epigr. Hom., XIV, 17-18 Evelyn-White; Soph., Τr., 1095-1096; Eur., Her. Fur., 364-374); tous êtres dont les démêlés avec Héraclès sont attestés dans l’iconographie la plus archaïque (cf. LIMC respectivement s.v. Herakles nos 2019-2020, Geryoneus nos 8-9, 11, et Kentauroi)4.
3Un autre « monstre », cette fois anthropoïde, est Antée (cf. le témoignage de Paus., IX, 11, 4). Celui-ci, s’il n’est pas un géant à proprement parler, n’en est pas moins un être de taille gigantesque, également fils de la Terre et « intuable conditionnel », dans son cas physiquement invincible tant qu’il reste en contact avec le sol « maternel » qui augmente ses forces. Ce privilège obligera Héraclès, défié par lui à la lutte à mains nues (son surnom Παλαίμων est lié à cet épisode), à le maintenir en l’air (alors que la règle à la lutte est de plaquer au sol son adversaire)5, pour pouvoir et le vaincre et le tuer (cf. Pisandre, fr. 6; Pind., Is. IV, 87-93 et schol. ad loc.; Phérécyde, FGrHist 3 F 75-76 Jacoby; Apollod., Bibl., II, 5, 11).
4Après ce bel exemple du motif de l’« intuabilité conditionnelle », il serait assez logique de passer à l’épisode de la gigantomachie. Mais maintenant qu’il est bien établi que le célèbre combat entre les dieux et les géants localisé sur la péninsule de Phalène ou Phlégra6, était traditionnellement raconté (à l’époque archaïque) dans le cadre même de la geste d’Héraclès, où l’épisode se trouvait chronologiquement placé après la séquence constituée par la prise d’Ilion et l’escale à Cos7 (ainsi dans l’Héracléide de Pisandre8, le Catalogue fr. 43a 61-65 Merkelbach-West; Pind., Ν. IV, 40-44; Is. VI, 41-50; Éphore, FGrHist 70 F 34; Apollod., Bibl., II, 7, 1, ou la Gigantiade de Dionysios), on s’attardera donc d’abord sur cet épisode de Cos, puis sur un autre combat qui prit place sur l’isthme même de la péninsule de Phlégra.
5L’épisode de Cos, en précédant la gigantomachie, entretient d’intéressants rapports structurels avec celle-ci. En effet, le héros s’y trouva avec sa troupe aux prises avec les coriaces Méropes (les descendants de l’autochtone Mérops, cf. Callim., Hymne à Délos (IV), l60). Il fut alors sérieusement menacé par un adversaire – soit Astéros, invulnérable aux coups humains (ἄτρωπος d’après l’argument d’Apollodore d’Athènes à la Méropide, SH 903A 25 Lloyd-Jones -Parsons), soit un des deux fils du roi Eurypylos qui, lui, possédait une βίην ὑπέροπλον (Cat., fr. 43a 58-60), c’est-à-dire Antagoras, qui le contraignit à se cacher (Plut., Mor., 304c-e), ou Chalcôdon (Cat. : Χάλκων), qui le blessa (Apollod., Bibl., II, 7, 1) -, mais grâce à une intervention divine d’Athéna (Meropis fr. 3 et 4 Bernabé : « les coups des immortels ne sont pas comparables à ceux des mortels sur terre »; qui ensuite, fr. 5-6, se revêtit de la peau d’Astéros tué, alors que chez Plutarque c’est le héros qui se réfugia chez une femme dont il revêtit les vêtements) ou bien de Zeus (Apollod., Bibl. loc. cit.),il fut finalement vainqueur (cf. Cat. fr. 43a 61-62; Pind., Hymn. fr. 33a Maehler; Phérécyde, fr. 78). Dans les rapports de la Méropide (archaïque ou archaïsante) avec la gigantomachie, bien analysés par Francis Vian9, on notera en outre à propos du Mérope Astéros que son « intuabilité » est ainsi soumise à la « condition » inverse de celle qui s’applique aux géants (dont un, nommé Aster ou Astérios, fut tué par Athéna d’après Aristote [fr. 637 Rose], tandis que dans la gigantomachie de la Bibliothèque, c’est le géant Pallas que la déesse dépouilla).
6Pour en venir maintenant aux deux passages où Pindare (N. IV, 40-44; 7s. VI, 41-50) évoque le combat à Phlégra d’Héraclès et de sa troupe contre le monstre Alcyonée (Άλκυονεύς), il ne peut être question d’y trouver quelque «substitution » à la gigantomachie10, puisqu’ailleurs Pindare situe bien aussi celle-ci à Phlégra (cf. Ν. I, 100-101). On se rappellera en outre qu’Alcyonée est encore pour ce poète (Ν. IV, 43-44), comme dans l’iconographie (cf. LIMC s.v.),un monstre bien distinct des géants (ou un géant du moins isolé, cf. le poème lyrique anonyme qui le qualifie ainsi de γιγάντων πρεσβύτατον, PMG 985b 13), territorialement lié à l’isthme de la péninsule11 et dont l’« intuabilité » était, comme pour Antée, conditionnée par son contact physique avec la Terre, plus précisément même dans son cas par son autochtonie (cf. Apollod., Bibl., I, 6, 1 : ὃς δὴ καί ἀθάνατος ἧν ἐν ᾗπερ ἐγεννήθη γῇ μαχόμενος … πίπτων δὲ έπὶ τῆς γῆς μᾶλλον ἀνεθάλπετο), ce qui nécessitera, pour le vaincre et le tuer, son transport allochtone (c’est-à-dire hors de sa terre, alors qu’Antée avait dû, lui, être suspendu au-dessus de la terre). Son insertion, tardive, dans la gigantomachie n’est pas attestée avant la Bibliothèque d’Apollodore, où son traitement est d’ailleurs spécial puisque la condition de son « intuabilité » s’y trouve dès lors dédoublée. Il s’agissait par conséquent plus vraisemblablement pour Pindare d’un exploit préliminaire à l’autre12, qu’avec les éléments de la Bibliothèque et de plusieurs scholies (à Pind., Is. VI, 47 et Ν. IV, 43) l’on peut ainsi reconstituer : le héros avec sa troupe défaisait sur l’isthme un monstre isolé (« intuable condi -tionnel ») grâce à l’aide d’une déesse (Athéna), avant d’être ensuite conduit par cette même déesse sur le champ de bataille où Zeus, avec les autres dieux, vainquait les géants (« intuables conditionnels ») grâce à l’aide du héros.
7Le plus grand exploit d’Héraclès, la raison même de son immortalisation olympienne (cf. Th., 954-95513 ; Pind., Ν. I, 100-112; VII, 31-33; Diod. Sic, IV, 15, 1)14, consiste en effet en sa participation au combat contre les ennemis des dieux que sont les géants. Ceux-ci constituaient d’après la Théogonie (50, 184-185) une race (γένος) d’êtres surnaturels puissants (κρατεροί) et « gigantesques » (μεγάλοι)15, engendrés par la Terre16 longtemps après les dieux Titans (Γαῖα… περιπλομένων δ’ ἐνιαυτῶν γείνατο), mais avant l’apparition des hommes, desquels ils sont bien distincts comme le précise aussi l’Odyssée (X, 120, avec l’opposition ἂνδρεσσιν/γίγασιν). Et ces géants étaient donc dotés de ce que l’on a convenu ici d’appeler une « intuabilité conditionnelle ». En effet « il existait chez les dieux un oracle (λόγιου) disant qu’aucun des géants ne pouvait être tué par les dieux (ύπὸ θεῶν μὲν μηδένα… ἀπολεσθαι δύνασθαι), mais qu’avec l’aide d’un combattant mortel ils périraient (συμμαχοῦντος δὲ θνητοῦ) τινος τελευτήσειν) » (Apollod., Bibl., I, 6, 1); d’où la nécessité de la présence du (plus grand des) héros17 Héraclès dans la bataille, comme allié (σύμμαχος, ibid.) ou auxiliaire (cf. ἀλκτήρ « qui protège » en Cat. fr. 195 = Scut. 29, ἀσπιστάς « qui sert de bouclier » chez Eur., Her. Fur., 1194), ne fût-ce que pour achever de son arc les moribonds déjà vaincus par les dieux (πάντας δὲ Ηρακλῆς ἀπολλυμένους ἐτόξευσεν, Bibl., I, 6, 2) – car le fait que les géants soient intuables par les dieux n’impliquait bien entendu nullement qu’ils soient pour autant invincibles par ceux-ci.
8On voit donc bien par le résumé de la Bibliothèque que le problème mythique posé dans ce cas n’est pas à proprement parler celui de l’« immortalité » conditionnelle des géants18, dont il n’est jamais question (il n’est en effet jamais dit que les géants sont censés pouvoir vivre éternellement), mais du fait que, comme d’autres adversaires d’Héraclès (Hydre, Antée, Astéros, Alcyonée), ils ne peuvent être tués au combat qu’à une certaine condition. Il n’est donc pas question d’une nature immortelle des géants (privilège réservé dans la pensée mythique grecque aux dieux ou accordé à certains par le seul Zeus)19, ce que confirme en quelque sorte le motif de Gè cherchant à se procurer pour ses fils un φάρμακον d’« intuabilité » cette fois « absolue » (Apollod., Bibl., I, 6, 1 : ἵva μηδ’ ὑττο θνητοῦ δυνηθῶσιν ἀττολέσθαι).
Rāma20
9C’est dans le cadre sauvage où il se trouve aussi exilé que le plus grand des héros indo-aryens, Rama, va s’illustrer dans la même spécialité qu’Héraclès : l’extermination des monstres hantant la forêt de Dandaka à laquelle ils sont associés, alors qu’avec son arrivée c’est au héros lui-même que ceux-ci vont bientôt associer celle-là (« il me semble que toute la forêt est devenue Rāma », Rāmabhūtam idaṃ sarvam araṇyaṃ pratibhāti me, s’exclame l’un d’eux, R. III, 37, 16). Ces monstres sont d’abord représentés par d’innombrables rākṣasa, « rôdeurs de nuits » (niśācara) d’apparence potentielle variée (kāmarūpin, car dotés de la māyā de métamorphose, cf. Mbh. VI, 86, 60)21 mais en temps normal anthropoïdes, horribles « buveurs de sang » (rudhirāśana) et anthropophages (puruṣāda). Ce sont des milliers de rākṣasa que le héros va tuer dans la forêt de Dandaka, selon une gradation croissante : d’abord quatorze (R. III, 18-19), puis quatorze mille (21-29), y compris une triade formant un seul corps (25, 11-15) et le tricéphale Triśiras (26), et cela avant la bataille finale encore plus gigantesque contre Rāvaṇa, le roi des rākṣasa doté, lui, de vingt bras (viṃśad-bāhu/-bhuja) et de dix têtes (daśa-śirṣa/-mukha/-kaṇṭha/ -grīva).
10Mais avant d’aborder ce combat final, on ajoutera encore à cette première série, dans le même « Livre de la forêt » du Rāmāyaṇa, deux monstres solitaires, dévoreurs de fauves (cf. 2, 7-8; 65, 18 et 67, 14), c’est-à-dire mangeurs de mangeurs d’hommes, beaucoup plus coriaces que de vulgaires rākṣasa (qu’ils ne sont pas à proprement parler, cf. 3, 18-20, et 67)22, et qui ne pourront chacun être éliminés qu’avec la participation active à la lutte de Lakṣmaṇa, le demi-frère dévoué de Rāma, qui joue ainsi dans ce cas le rôle d’Iolaos, comparse nécessaire du héros dans certaines situations impossibles. Le second monstre, dernière rencontre surnaturelle de cette section, dans la forêt encore plus sauvage de Krauñca, est Kabandha (littéralement « Tonneau », « Barrique »), au tronc sans jambes, au cou sans tête, à l’œil unique sur la poitrine et à la gueule dans l’abdomen, vaincu lorsque ses deux bras tentaculaires lui sont tranchés simultanément23 au niveau des articulations, tandis que son corps ne peut être finalement détruit, tel celui de l’Hydre de Lerne, que par la seule puissance du feu (65-67). L’autre monstre, le premier rencontré dans la forêt de Daṇḍaka, est Virādha, doté lui d’une « intuabilité conditionnelle » définie comme « le fait de ne pouvoir être tué par aucune arme sur terre (śastreṇāvadhyatā loke, c’est-à-dire le locatif « en ce monde ») et de ne pouvoir pas même être tranché ou percé (acchedyā-bhedyatvam eva ca)» (3, 6, cf. 43*, 5 = 17 v. où c’est « en vertu de son privilège » qu’il reste donc insensible aux coups portés)24. Le monstre, bien que « percé » de flèches (viddha, 41 * = 13 v.) puis « frappé » de taille (vadhyamāna, 44*, 5 = 21 v), soulève alors le héros (cf. Antée soulevé par Héraclès) et l’emporte (44*, 5-18 = 21-26 v.). C’est à la lutte à mains nues, tel Antée, qu’il devra être vaincu, dans son cas les deux bras cassés (3, 15 = 4, 5 f.), criblé de coups de poing et de pied et broyé contre le sol (46*, 1-2 = 4,7 v.),tandis que pour pouvoir enfin le tuer il faudra le précipiter dans une fosse (46*, 3-12; 54*, 2-3; 26-27 = 4, 8-12, 27-28 & 34 v., cf. VI, 114, 12), c’est-à-dire sous terre, transformation inverse du moyen utilisé par Héraclès contre Antée, maintenu en l’air, comme on s’en souvient.
11Ces premiers monstres que Râma extermine présentent ainsi le même genre de caractères physiques (notamment la démultiplication des membres)25 ou d’« intuabilité conditionnelle » que les monstrueux adversaires d’Héraclès. Mais de même que le plus grand exploit du héros grec fut sa participation au combat contre les géants ennemis des dieux, l’exploit principal de Rāma, la raison même de son apothéose finale26, va être son combat à Lanka contre le plus grand ennemi des deva qu’est le roi des rākṣasa, le terrible Rāvana. Car si tous les rākṣasa ne jouissent pas, comme tous les géants, du privilège d’intuabilité partielle, dont seul dans ce cas leur roi Rāvaṇa a été gratifié, celle-ci intègre en revanche chez ce dernier une invincibilité (il est non seulement avadhya mais aussi ajeya),également conditionnelle, qui fait qu’il est « sans crainte » (abhaya) à la fois de la « défaite » (parābhava) et de « la mort au combat » (saṃgrāme mṛtyu) de la part des dieux et autres êtres surnaturels non humains (cf. Mbh. III, 259, 25-26; 260, 2; 265, 3; R. I, 14, 13-14; 19, 21; III, 30, 6/18; VI, 8, 2; 80, 24; VII, 10, 17-18), mais, bien entendu, de ceux-ci seulement. C’est pourquoi Rāma, le (plus grand des) héros27,est indispensable aux dieux pour vaincre et tuer ce rākṣasa s’attaquant à l’ordre cosmique en général et à la souveraineté d’Indra en particulier (cf Mbh. III, 259, 38 – 260, 5; 273, 31; XII, 349, 15; R. I, 14, 6-11 & 20-21; III, 30, 10-17; 46, 7-9; VI, 82, 31; 98, 12-13; 99, 3-4). Et comme l’invincibilité du roi des rākṣasa ne permet pas dans ce cas aux dieux de pouvoir même se battre en personne contre lui, ils ont engendré pour accompagner le héros dans sa mission des singes, ces sous- ou para-humains échappant aussi à la définition du privilège de Rāvaṇa (cf. R. V, 49, 24-26; VI, 47, 53), tout en étant de la même valeur (tulyaparākrama) que leurs géniteurs divins, c’est-à-dire en même temps aussi puissants, gigantesques (« grands comme des montagnes ») et kāmarūpin (cf. R. I, 16; Mbh. III, 260, 7 & 11-13) que les rākṣasa eux-mêmes. Ainsi, les singes fils des dieux agissent sur le terrain « pour aider Rāma» (Rāma-sahāya-hetoḥ, R. I, 16, 20, cf. Mhh. III, 276, 11), alors que c’est pour aider les dieux, empêchés de participer directement à l’action, qu’opère le héros.
12On insistera ici sur le fait que Rāvaṇa, et a fortiori les autres rākṣasa28,n’est explicitement en rien « immortel ». L’épopée indienne précise en effet bien que le dieu suprême Brahman a refusé à son descendant Rāvaṇa l’immortalité lorsqu’il a dû lui accorder un vœu (yadyad iṣṭam ṛte tvekam amaratvam tathāstu tat, « quoi que tu désires, excepté la seule immortalité, que cela soit donc », lui dit-il en Mhh. III, 259, 22; cf. R. VII, 10, 13-18 v.29 où Rāvaṇa demande par conséquent de ne pouvoir être ni « tué » ni « vaincu » par certains êtres). Il n’est nulle part question du fait que Rāvaṇa soit amrṭa conditionnel : tout au plus parle-t-on en Mhh. V, 107, 12 d’une surebhyo’maratā, c’est-à-dire d’une « immortalité vis-à-vis des dieux », dans le sens même d’une « intuabilité » par rapport à ces derniers; ce que confirme R. VII, 16, 321*, 3-6 (= ibid. 41-42 v.) où le roi des rākṣasa se plaint de n’avoir été gratifié que d’une « longue vie » (dīrgham āyuḥ).
13Ainsi, la race des rākṣasa est, comme celle des géants, de grande taille, sauvage, brutale, et surtout – ce sur quoi nous n’avons pu attirer l’attention ici -semblablement soumise à un roi tout-puissant qui, comme celui des géants, impie, s’attaque à la souveraineté divine, mais, « aveuglé » par son ὕβρις toute suicidaire, mène en fin de compte son peuple à sa perte. Cependant, en Inde, seul ce roi possède le privilège d’être presque totalement intuable; mais il s’ajoute alors pour lui celui d’être, aux mêmes conditions, invincible, ce qui empêche par conséquent les dieux de se battre en personne contre lui, alors que les géants grecs, certes tous intuables, étaient bel et bien « vaincus » au combat par les dieux. Le simple fait que l’ « intuabilité conditionnelle » soit ici complétée d’une invincibilité aboutit ainsi en toute logique au fait que si le grand héros nécessaire pour vaincre et tuer le roi impie, est bien, comme Héraclès, l’allié et l’auxiliaire des dieux sur le plan cosmique30, on assiste en revanche sur le plan tactique à une transformation du héros aidant (les dieux) en Grèce, en héros aidé (des singes) en Inde, pour un résultat final également favorable aux dieux, vainqueurs dans les deux cas de leur irréductible ennemi, définitivement éliminé.
Soslan31
14Notre troisième comparat indo-européen sera fourni par un personnage appartenant à une tradition orale archaïque, celle des Ossètes du Caucase, encore vivante au début de ce siècle. Il s’agit du « narte » (c’est-à-dire « héros ») Soslan qui, comme ses deux correspondants, est à la fois le « plus grand » (tant en puissance qu’en popularité) de tous les héros de sa tradition, et celui aussi dont les aventures principales se déroulent dans le monde des marges sauvages, peuplées d’êtres surnaturels. Pour Georges Dumézil32, il était pour le moins « tentant de souligner, dans Soslan, des traits rappelant ceux d’Héraclès : ses exploits l’opposent souvent à des géants malfaisants dont il purge la terre et sa force est terrible ».
15Et même si les monstres se réduisent dans ce cas à un ou deux « géants » (uœïguytœ), êtres anthropophages par ailleurs décrits comme difformes, borgnes ou dotés de plusieurs têtes (cf. les sœdsœron uœïgutœ en N. n° 106, ‘ma œvdsœrontœ, n° 55 – deux textes recueillis en 1903), ceux-ci donnent lieu à l’épisode de fort loin le plus populaire de la geste de Soslan, celui du « géant Mukara fils de la Force » (Ν. XV; pas moins d’une quarantaine de versions recensées), et surtout, offrent un condensé de toutes les ressources de l’« intuabilité conditionnelle » (ces monstres ne peuvent en effet être percés, tranchés et/ou contusionnés), nécessitant en fin de compte de la part du héros d’abord, par la ruse, une immobilisation du premier géant dans la glace, puis l’utilisation de la propre arme de celui-ci, la seule qui puisse le tuer, enfin le recours à des moyens magiques pour le second géant encore plus coriace33.
16***
17Ainsi, en nous limitant à l’étude de quelques épisodes des gestes respectives de ces trois grands héros tueurs de monstres que sont correspondamment Héraclès, Rāma et Soslan, il nous a été possible d’observer cette caractéristique mythologique commune à leurs terribles adversaires surnaturels qu’est l’« intuabilité conditionnelle », et d’en analyser le fonctionnement. On a pu constater que la formulation des conditions de cette « intuabilité » est très diverse selon chacun des monstres, conditions différentes impliquant des solutions chaque fois différentes pour résoudre, en toute logique, ce type de problème mythique (que d’aucuns qualifieraient peut-être avec un certain dédain de « folklorique »), selon la façon dont il s’est trouvé au départ posé. Il est évident que les exemples d’« intuabilité conditionnelle » présentés ici ne recouvrent qu’une partie, sans doute minime, des possibilités envisageables, à vrai dire infinies (surtout en contexte oral). Il reste au pouvoir de notre imagination d’en concevoir d’autres, telles qu’on aurait sans doute pu les rencontrer au sein des diverses traditions, hélas dans leur grande majorité totalement disparues, de ce qui constitua jadis l’aire mythologique indo-européenne préhistorique.
Notes de bas de page
1 Pour la démonstration détaillée, voir C Vielle, Le mytho-cycle héroïque dans l’aire indoeuropéenne, t. 1 : Correspondances et transformations helléno-aryennes, Louvain-la-Neuve, 1996 (Publications de l’Institut orientaliste de Louvain, 46), p. 13-39, 87-114, 168-181 & 197-198.
2 Cf., sur celle qui touche certain héros grecs, O. Berthold, Die Unverwundbarkeit in Sage und Aberglauben der Griechen, Gießen, 1911 (RGW, 11/1), ainsi que F. Vian, La fonction guerrière dans la mythologie grecque, in J.-P. Vernant (dir.), Problèmes de la guerre en Grèce ancienne, Paris-La Haye, 1968, p. 53-68 (Civilisations et Sociétés, 11), ici p. 67-68.
3 Successivement plutôt que « simultanément » (contra F. Vian, La guerre des Géants. Le mythe avant l’époque hellénistique, Paris, 1952 [Études et commentaires, 11], p. 193).
4 Pour les centaures, outre les données du LIMC, voir aussi G. Ahlberg-Cornell, Myth and Epos in Early Greek Art. Representation and Interpretation, Jonsered, 1992 (SIMA, 100), p. 102-104.
5 Cf. P. Chuvin, La mythologie grecque, du premier homme à l’apothéose d’Héraclès, Paris, 1992, p. 274.
6 Cf. Vian, op. cit. (n. 3), p. 189-190.
7 Séquence déjà attestée dans l’Iliade (XIV, 249-256; XV, 24-30) – on peut d’ailleurs se demander si le second de ces deux passages ne fait pas allusion à l’exploit contre les géants, puisqu’après Cos Zeus est dit avoir ramené Héraclès à Argos καί πολλά π€ρ άθλήσαντα.
8 D’après F. Vian, Nouvelles réflexions sur la Gigantomachie, in Barigazzi. Studi in onore di Adelmo Barigazzi, t. 2, Roma, 1986, p. 255-264, ici p. 259, ainsi que Gigantomachie et Héracléide, in M. Woronoff (éd.), L’univers épique, Besançon-Paris, 1992 (Annales littéraires de l’Université de Besançon, 460, Institut Félix Gaffiot, 9, Rencontres avec l’antiquité classique, 2), p. 129-138. Pour la place différente de la gigantomachie (« campanienne ») chez Diodore (IV, 21, 5-7), on peut penser qu’elle se conformait, peut-être par l’intermédiaire de l’œuvre de Timée (cf. FGrHist 566 F89), à une Héracléide ou Géryonide hellénistique qui avait choisi de placer l’épisode au cours des aventures occidentales du héros suivant son exploit contre le triple Géryon (cf. Vian, op. cit. [n. 31, p. 220, et art. cit. [n. 8], 1992, p. 136).
9 Art. cit. (n. 8), 1992, p. 134-136.
10 Contra Vian, art. cit. (n. 8), 1992, p. 133.
11 Cf. F. Vian, Génies des passes et des défilés, in RA, 39 (1952), p. 129-155, ici p. 142-144.
12 Cf. ainsi Vian, op. cit. (n. 3), p. 218-220.
13 D’après la lecture de M.L. West, Hesiod, Theogony, edited with prolegomena and commentary, Oxford, 1966, p. 419.
14 Cf. A. Severyns, Le cycle épique dans l’école d’Aristarque, Liège-Paris, 1928 (Bibliothèque de la Faculté de Philosophie et Lettres de l’Université de Liège, 40), p. 175; Vian, op. cit. (n. 3), p. 212-214; art. cit. (n. 8), 1986, p. 259; 1992, p. 132; Vielle, op. cit. (n. 1), p. 30-31.
15 Cf. ainsi, à côté des exagérations tardives (cf. Vian, op. cit. [n. 31, p. 187-188), le témoignage de la Bibliothèque : μεγέθει μὲν σωμάτων ἀνυπερβλήτους, δυνάμει δὲ ἀκαταγωνίστους. La représentation anguipède des géants, dont témoigne aussi ce texte, est en revanche une innovation tardive, que l’on peut dater du ive s. av. J.-C, ainsi qu’il a été bien démontré (cf. Vian, ibid., p. 12-16). Mais leur aspect « brillant » pourrait être plus ancien, cf. la Théogonie (186) les décrivant « resplendissant » (λαμπομένους) sous leurs armes, Pindare (Ν. I, 103-104) évoquant leur « brillante chevelure » (φαιδίμαν κόμαν), et Euripide (Ph., 128-130) parlant des représentations (ὲν γραφαῖσιν) du géant « étincelant comme un astre » (ἀστρωπός), ce qui, avec la grande taille, les rend donc plus proches des dieux que des hommes (cf. Od., VII, 205 : ἐγγύθεν θεοῖς ; ainsi que Platon, Rép., III, 378c, qui présente dieux et géants comme συγγενεῖς τε καὶ οίκείους).
16 Le terme γίγας pourrait d’ailleurs bien être apparenté au nom de la terre, γῆ (cf. Vian, op. cit. [n. 31, p. 283-284). On notera à l’appui de cette interprétation ancienne que l’adjectif γηγενής qui, d’une façon dans ce cas redondante, accompagne souvent le mot γίγας, n’est pas attesté avant le ve siècle (il ne peut donc s’agir d’une épiclèse traditionnelle) pour qualifier les différents « fils de la Terre » (cf. Esch., Suppl., 250; Pr., 351, et, appliqué aux géants, Soph., Dr, 1058, ainsi que Batrach., 7 Allen) désignés dès lors aussi par le collectif ol γηγενεῖς. Certains noms de géants, comme Γαίων ou Περιχθόνιοs, dénotent aussi leur origine chthonienne.
17 Cf. Vielle, op. cit. (n. 1), p. 3-4 (sur le héros grec), 12 & 14-16 (sur Héraclès).
18 Contra la terminologie proposée par G. Dumezil, Le festin d’immortalité. Étude de mythologie comparée indo-européenne, Paris, 1924 (Annales du Musée Guimet, Bibliothèque d’Études, 34), p. 112, reprise ensuite par Vian, par ex. op. cit. (n. 3), p. 192-193.
19 Cf., pour quelques éléments de cette question mythique-là, Vielle, op. cit. (n. 1), p. 30 n. 113, 34 n. 122, 61 n. 210 (ainsi que l’index mythologique s.v. immortalité/immortalisation).
20 La geste de Rama dans son état le plus ancien est contée dans le célèbre poème du Rāmāyaṇa mais aussi dans une partie du troisième « livre » (parvan) du monumental Mahābhārata intitulée le Rāmopākhyāna. Les abréviations Mbh. pour Mahābhārata et R. pour Rāmāyaṇa renvoient aux éditions critiques respectives des deux épopées, c’est-à-dire, pour la première, à The Mahāhhārata, éd. V.S. Sukthankar & alii, Poona, 1933-1966, et, pour la seconde, à The Vālmīki Rāmāyana, éd. G.H. Bhatt & alii, Baroda, 1960-1975. Si le passage cité se trouve rejeté hors du texte principal proposé par ces éditions, à la référence du livre et du chapitre sera alors joint un astérisque (*), précédé ou suivi d’un n° – selon qu’il s’agisse d’un n° de note infrapaginale (placé devant) ou d’appendice (placé derrière) – accompagné (après un signe -) de la référence du passage dans l’édition utilisée de la version dite vulgate (v.) de chacune des deux épopées, c’est-à-dire d’une part The Mahāhhārata, with the Bhāratabhāvadipa Commentary of Nīlakaṇṭha, éd. R. Kinjawadekar, Poona, 1929-1933, et d’autre part The Rāmāyana of Vālmiki, with the Commentaries Tilaka of Rāma, Rāmāyaṇaśiromaṇi of Śivasahāya and Bhūṣaṇa of Govindarāja, éd. S.S.K. Mudholakara, Bombay, 1914-1920.
21 Caractères déjà attestés dans le cas des raksas védiques (cf. A.A. MacDonell, Vedic Mythology, Straßburg, 1897 [Grundriß der indo-arischen Philologie und Altertumskunde, 3/1a], p. 163) : leurs difformités monstrueuses sont mentionnées en Atharva-Veda-saṃhitā VIII, 6; leur capacité de prendre la forme de divers animaux, en particulier de rapaces nocturnes (khargalā, ulūka ou śuśulūka),en Ṛg-Veda-saṃhitā VII, 104, 17-18 & 20-22.
22 Cf. S.I. Pollock, The Rāmāyana of Vālmīki. An epic of ancient India, t. 3 : Araṇyakāṇḍa, Princeton, 1991, p. 71-76.
23 On se rappelle que les multiples cous tentaculaires de l’Hydre furent certes sectionnés « successivement » (voir supra n. 3), mais que le monstre ne put de la même façon être vaincu que lorsque ses membres se sont trouvés en fin de compte tous tranchés.
24 Il convient de quitter le texte de l’édition critique pour cet épisode. Celui-ci y est en effet mutilé de façon incompréhensible (et en contradiction avec son évocation en VI, 114, 12) : on vient d’apprendre que le monstre a le privilège d’être invulnérable aux coups tranchants et perçants, et « intuable » sur terre, mais il tombe aussitôt mourant à cause simplement de quelques flèches et de deux bras cassés (3, 16 & 25). L’édition critique maintient en revanche la comparaison de Virādha avec Antaka (13), la Mort, littéralement « Qui met fin » (dérivé à’anta),nom qui par une heureuse coïncidence correspond à Άνταῖοs, « Qui est en face » (dérivé de l’adverbe άντα, correspondant d’anta).
25 Il est intéressant de noter que la brâhmanisation a, dans ce cas, généralement ajouté des raisons morales aux monstruosités physiques, ainsi expliquées comme des châtiments pour des fautes antérieures (cf. Pollock, op. cit. [n. 22], p. 72-74).
26 Cf. Vielle, op. cit. (n. 1), p. 111-112 (ainsi que la remarque p. 76 n. 21).
27 Cf. Vielle, ibid., p. 76-79 (sur le héros indo-aryen), 89-93 & 108 n. 128 (sur Rāma).
28 Ainsi qu’il était déjà précisé pour les rakṣas en Atharva-Veda-saṃhitā VI, 32, 2.
29 Passage dont l’édition critique a sans raison valable écarté deux vers (ibid., 163*), créant ainsi une version unique et aberrante où Rāvaṇa ne se serait pas vu refuser l’immortalité mais en aurait simplement mal formulé la demande !
30 Comme l’a noté Vian, op. cit. (n. 3), p. 194, dans son analyse des géants grecs.
31 Pour l’épopée populaire ossète, l’abréviation N. suivie d’un numéro renvoit à Narty, osetinskiï geroïčeskiï èpos, éd. T.A. Xamicaeva & alii, 3 t., Moskva, 1989-1991 (série Èpos narodov SSSR),qui constitue à présent le recueil de référence : le t. 1 (1990) rassemble les textes ossètes, le t. 2 (1989) leurs traductions russes, et le t. 3 (1991) leurs commentaires accompagnés chaque fois d’une liste des différentes versions existantes (publiées ou non).
32 La Courtisane et les seigneurs colorés et autres essais. Vingt-cinq esquisses de mythologie (26-50), Paris, 1983 (Bibliothèque des sciences humaines), p. 124.
33 Le lecteur francophone pourra se reporter aux versions de cet épisode résumées par G. Dumezil dans ses Légendes sur les Nartes suivies de cinq notes mythologiques, Paris, 1930 (Bibliothèque de l’Institut français de Léningrad, 11), p. 80-81, ou à la version « synthétique » de Narty kaddzytœ (Dzæudžyx’æu [= Vladikavkaz], 1946) traduite par le même dans Le livre des héros. Légendes sur les Nartes, Paris, 1965 (Collection Unesco, série Caucase),p. 83-94.
Auteur
Chargé de recherches du FNRS
Université Catholique de Louvain
Institut Orientaliste
Collège Érasme
Place Blaise Pascal, 1
B – 1348 Louvain-La-Neuve
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The Iconography of Greek Cult in the Archaic and Classical Periods
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