Préface
p. 7-10
Texte intégral
1Les rencontres héracléennes sont nées, en 1989, d’une première et singulière rencontre, à laquelle nous avait préparées, pour l’une d’entre nous la fréquentation de Melqart, l’Héraclès tyrien, et pour l’autre, celle du héros des Grecs.
2L’envie partagée de voir se confronter des compétences variées autour de l’une des figures les plus riches de la religion antique nous a conduites à organiser à Rome, en 1989, un premier Colloque (publié en 1992 : Héraclès d’une rive à l’autre de la Méditerranée. Bilan et perspectives), puis un deuxième, à Grenoble, en 1992 (publié en 1995 : Héraclès, les femmes et le féminin). Mais les réunions scientifiques ne s’organisent pas seulement autour d’une personnalité forte, fût-elle héroïque et divine… Pour se répéter, elles requièrent une thématique, elle aussi assez forte, pour soutenir le débat, ouvrir sur toutes les expériences, solliciter toutes les sources, faire place aux recompositions du mythe et à la multiplicité des rituels, suggérer des interprétations que nous avons toujours souhaitées aussi diverses et aussi libres que possible.
3Si nos discussions se sont organisées autour de l’intérêt commun de quelques spécialistes des études héracléennes qui furent – et restent – le « noyau dur » de l’aventure, le thème choisi suppose toujours une ouverture sur d’autres horizons et le cercle s’est progressivement élargi jusqu’à gagner, aujourd’hui, le continent américain, ce dont nous nous réjouissons.
4Le succès de ces rencontres tient sans doute à la problématique de mise en rapport – qui dès le départ sous-tendait l’intérêt que nous portons à Héraclès : mise en rapport de nos deux héros-dieux, dans un premier temps (à Rome) avec Héraclès d’une rive à l’autre de la Méditerranée ; puis ce fut, à Grenoble, la mise en rapport avec l’univers féminin; et ensuite, comme l’atteste ce volume, à Liège et à Namur, Héraclès et les animaux, avec Le Bestiaire d’Héraclès. La faveur dont ont bénéficié ces Rencontres, ainsi que les deux volumes d’Actes qui en sont issus, nous encourage naturellement à poursuivre : notre parcours ne s’arrêtera donc pas à Liège et à Namur, et nous envisageons déjà l’avenir.
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5Qu’on se garde bien de voir, dans le thème de cette IIIe Rencontre Héracléenne, faisant suite à celle qui a été consacrée aux rapports du héros à la sphère du féminin, la moindre manifestation d’auto-dérision des organisatrices. Les femmes et les animaux n’ont en commun qu’une présence récurrente dans les mythes héracléens.
6Les disciples des grands penseurs de l’époque archaïque et classique, comme Pythagore, Empédocle, Démocrite ou Anaxagore, ont reconnu les affinités et la solidarité fondamentale qui lient l’homme à l’animal, justement appelé « l’autre vivant » par Gérard van der Leeuw, dans sa synthèse sur La religion dans son essence et ses manifestations parue en 19331. Platon, de son côté, n’attribue-t-il pas au terme zôon un sens très large ? Il désigne chez lui2, conformément à son étymologie, « tout être vivant, quel qu’il soit, qui se trouve avoir part à la vie », donc hommes et bêtes au même titre. Cependant, une différence radicale sépare les uns des autres : la maîtrise du logos.
7Dans son comportement historique, depuis la nuit des temps, l’humanité oscille entre deux modalités de rapport au monde animal : d’une part un comportement de défense, de lutte pour la vie, de chasse, inspiré par la terreur spontanée que font naître les pouvoirs multiformes des millions d’espèces animales qui peuplent les cieux, les mers et la terre; d’autre part, une attitude de sympathie et de solidarité, nourrie par le sentiment d’une « homogénéité d’essence »3.
8Les croyances religieuses, et leurs véhicules préférentiels que sont les mythes et les rites, ne pouvaient que refléter et exprimer, sous diverses formes, cette dialectique du rapport homme-animal. Depuis Émile Durkheim dans Les formes élémentaires de la vie religieuse en 1912 et, dans une certaine mesure, Lucien Lévy-Bruhl dans La mentalité primitive en 1922, il n’échappe à personne que certains mythes et rites impliquant des métamorphoses d’êtres humains en animaux répondent en partie à un besoin nostalgique d’effacer une barrière ontologique qui a fini par séparer ceux qui, jadis, in illo tempore, vivaient en communauté et partageaient une même condition au monde. Les Métamorphoses de Franz Kafka sont une illustration significative de ce thème.
9On notera du reste que ces transformations d’hommes en animaux, attestées dans la religion grecque comme dans toutes les religions du monde, peuvent être ressenties et présentées tantôt comme des formes de déchéance, de régression, comme des punitions qui réduisent l’homme à une condition inférieure et indigne, tantôt, au contraire, comme une promotion qui garantit à l’homme une puissance supplémentaire et invincible, celle de l’animal, donc du monde de l’instinct et de la sauvagerie. C’est bien le cas de notre Héraclès qui, en revêtant la peau du lion de Némée, en acquiert les qualités de force, résistance et bravoure. Le lion est au centre de bien des analyses de ces Actes, parce qu’il est le symbole héracléen par excellence, celui dont l’image à elle seule, détachée de tout contexte mythique précis, évoque le héros et ses tribulations.
10En choisissant pour thème de cette IIIe Rencontre Héracléenne « Le Bestiaire d’Héraclès », nous avons donc souhaité explorer, à travers la figure emblématique du héros des douze Travaux, un axe cardinal des rapports réels et imaginaires de l’homme avec son environnement naturel et culturel. Car Héraclès est à la fois le chasseur et la proie, le sacrificateur et la victime, dans un rapport dialectique avec les animaux qui tantôt l’attirent vers le monde sauvage, tantôt sont gagnés, par son entremise, à la civilisation, conformément à un modèle d’ambiguïté et d’oscillation que l’on avait déjà mis en évidence pour les relations d’Héraclès à la sphère féminine et que l’on n’hésitera pas à considérer comme le tissu même de sa personnalité, reflet d’une condition humaine en perpétuelle redéfinition.
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11De telles rencontres supposent de solides supports et nous avons effectivement bénéficié de concours multiples – et stables – d’institutions belges et françaises, publiques et privées, puisque c’est la banque Paribas qui, cette année, a offert à nos discussions un cadre magnifique. Que toutes ces organisations qui témoignent de la coopération franco-belge soient ici encore remerciées : le Fonds National de la Recherche Scientifique, le Commissariat International aux Relations Internationales de la Communauté française de Belgique, le Ministère français des Affaires étrangères.
12Nous tenons à redire également combien fut important, pour notre première rencontre, le soutien de l’Academia Belgica et la reconnaissance que nous devons à l’Institut Historique Belge de Rome pour la prise en charge des Actes des deux premiers Colloques, superbement édités.
13Merci encore au Centre de Recherches en Histoire ancienne de Besançon et à nos Universités respectives, Namur et Grenoble, qui nous ont accordé des subventions, tout comme du reste l’Université de Liège. Le Président de l’Université Pierre-Mendes-France de Grenoble, retenu par la négociation des contrats quadriennaux avec le Ministère durant les journées du Colloque, n’a pu se déplacer, mais a tenu à nous adresser ses vœux pour la réussite de nos travaux.
14Vivant l’une à Rome, l’autre à Grenoble et à Lyon, organiser un Colloque en Belgique tenait du défi. Il a été relevé grâce à l’appui sans faille de nos « Mentor » liégeois et namurois, à savoir André Motte et Vinciane Pirenne-Delforge pour les journées liégeoises, Patrick Marchetti et Lambert Isebaert pour la journée namuroise. Nous leur devons des remerciements très chaleureux. Tout d’abord à André Motte qui a accepté de faire patronner notre Rencontre par le Groupe interuniversitaire d’étude sur la religion grecque, dont les activités se placent sous l’égide du Fonds National de la Recherche Scientifique; à son Président, Guy Donnay, qui a enrichi notre réunion de Conclusions finales, va aussi toute notre gratitude. Vinciane Pirenne-Delforge, qui s’est associée, avec la diligence et la disponibilité qui caractérisent toutes les réalisations de l’équipe de Kernos, aux deux organisatrices pour la publication de ces Actes, a géré, avec une efficacité parfaite, toutes les questions pratiques relatives à l’organisation du Colloque et elle n’a pas manqué d’accueillir avec nous les participants au Colloque avec la chaleur légendaire des Liégeois. Ils ont été, tous ensemble, les véritables piliers de cette Rencontre et ils méritent à coup sûr, comme on disait jadis à Argos, les « honneurs de Persée et d’Héraclès ».
15Notre plus vive gratitude va, enfin, à tous les orateurs qui ont bien voulu répondre à notre invitation et prendre part au Colloque, aux auditeurs et aux étudiants qui se sont joints à nous pour enrichir les débats. Comme les précédentes, cette Rencontre Héracléenne s’est déroulée dans un esprit d’ouverture, d’échange, de cordialité et d’amitié qui ont contribué grandement à la réussite de cette nouvelle aventure. Nous espérons qu’elle a apporté à chacun quelque chose de précieux sur le plan scientifique et sur le plan humain.
16Au moment de conclure cette Préface, nous voudrions évoquer le nom d’une absente : Nicole Loraux. Elle avait éclairé de sa présence la IIe Rencontre Héracléenne de Grenoble, en 1992. Son Introduction au volume des Actes montre avec quelle profondeur elle avait animé les débats et combien ses interrogations avaient enrichi notre réflexion. Peu après, elle était durement frappée par un mal qui l’empêchait d’être des nôtres, mais elle nous a manqué et nous avons voulu, lors de la séance inaugurale, lui envoyer un signe d’amitié au nom de tous les collègues réunis en cette occasion, avec l’espoir qu’un messager providentiel lui porte notre salut accompagné de quelques feuilles de kolokasion, cette plante aux vertus thérapeutiques qu’Héraclès appliqua sur les blessures infligées par l’Hydre de Lerne. Nicole Loraux, nous dit-on, va mieux et notre espoir le plus vif est de la revoir parmi nous à la prochaine Rencontre Héracléenne.
Notes de bas de page
1 Sur cette problématique, voir L. Bodson, ΙΕΡΑ ΖΩΙΑ. Contribution à l’étude de la place de l’animal dans la religion grecque ancienne, Bruxelles, 1978. On y trouvera d’intéressantes considérations sur l’actualité de la thématique des rapports animal-homme dans le cadre de la prise de conscience moderne de l’importance de l’écologie : « l’animal est désormais malade de l’homme qu’il a civilisé » (p. vi).
2 Platon, Timée, 77b.
3 Cf. Bodson, op. cit. (n. 1), p. x.
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The Iconography of Greek Cult in the Archaic and Classical Periods
Proceedings of the First International Seminar on Ancient Greek Cult, organised by the Swedish Institute at Athens and the European Cultural Centre of Delphi (Delphi, 16-18 Novembre 1990)
Robin Hägg (dir.)
1992
Entre Asclépios et Hippocrate
Étude des cultes guérisseurs et des médecins en Carie
Cécile Nissen
2009
The Sacrificial Rituals of Greek Hero-Cults in the Archaic to the Early Hellenistic Period
Gunnel Ekroth
2002
Opera inedita
Essai sur la religion grecque & Recherches sur les Hymnes orphiques
Jean Rudhardt
2008
La norme en matière religieuse en Grèce ancienne
Actes du XIIe colloque international du CIERGA (Rennes, septembre 2007)
Pierre Brulé (dir.)
2009
Le donateur, l’offrande et la déesse
Systèmes votifs des sanctuaires de déesses dans le monde grec
Clarisse Prêtre (dir.)
2009
Héros et héroïnes dans les mythes et les cultes grecs
Actes du colloque organisé à l’Université de Valladolid, du 26 au 29 mai 1999
Vinciane Pirenne-Delforge et Emilio Suárez de la Torre (dir.)
2000
Le Bestiaire d’Héraclès
IIIe Rencontre héracléenne
Corinne Bonnet, Colette Jourdain-Annequin et Vinciane Pirenne-Delforge (dir.)
1998