Chapitre III. Influences de la médecine naturaliste sur le culte et l’image d’Asclépios
p. 227-259
Texte intégral
1Le culte d’Asclépios constitue à de nombreux égards, un témoin privilégié du fonctionnement et de l’organisation des sanctuaires guérisseurs durant l’Antiquité gréco-romaine. Divers aspects des dévotions à vocation médicale ont pu être mis en lumière grâce à la richesse des sources documentaires, tant littéraires qu’ épigraphiques et archéologiques, relatives au culte asclépiéen. Les bâtiments propres à ce type de sanctuaires, les offrandes spécifiques dédiées aux dieux guérisseurs, le recours à la technique de l’incubation ou encore le rôle majeur joué par l’eau lors des consultations, constituent autant de facettes de l’activité de ces cultes qui ont pu être étudiées avec profit dans le cadre du culte du dieu-médecin. Or, les recherches menées révèlent une certaine perméabilité du culte asclépiéen à la médecine professionnelle. Dès le ve s. av. J.-C. et tout au long de l’Antiquité, celui-ci semble avoir été influencé par le développement parallèle de la médecine naturaliste. Cette influence est perceptible à deux niveaux : elle s’exerce sur le déroulement pratique de la consultation, et donc sur la nature de l’intervention divine lors de l’incubation, mais elle modèle également la représentation théorique du dieu, la définition de son mode d’action. Si le territoire carien n’a livré aucun document exploitable de ce point de vue, les observations réalisées concernant le culte d’Asclépios possèdent néanmoins une portée générale, valable pour l’ensemble du monde gréco-romain.
1. Évolution de l’action guérisseuse d’Asclépios lors de l’incubation
1.1. Modalités de l’incubation selon les lieux et les époques
2Le culte asclépiéen fournit, entre autres sources d’information, une catégorie de documents épigraphiques exceptionnels : des récits de guérison gravés dans la pierre relatant l’intervention divine opérée par le dieu au profit des malades. Ces iamata constituaient d’abord un type d’ex-voto offerts au dieu par les fidèles en signe de gratitude, après l’obtention de la cure. Outre de telles dédicaces isolées offertes individuellement par des fidèles guéris, soucieux de témoigner leur reconnaissance au dieu, nous possédons quelques ensembles épigraphiques plus rares, de véritables collections de récits de guérison, regroupés et rédigés sous la direction des prêtres du sanctuaire. Sous cette forme, les iamata possédaient sans doute aussi une fonction didactique1 : leur lecture permettait d’affermir la confiance des fidèles dans la puissance divine et de leur rappeler la nécessité de consacrer une offrande au dieu en cas de guérison. De fait, ils étaient généralement mis par écrit par le personnel du temple à partir des cures relatées par les visiteurs. Ils étaient donc fondés sur les expériences vécues et racontées par les malades, mais plus ou moins remaniées par les prêtres, avant d’être rassemblées sur de grandes stèles exposées dans le sanctuaire à l’adresse des nouveaux venus.
3Les iamata aujourd’hui les plus célèbres ont été découverts lors des fouilles de YAsclépieion d’Épidaure, en Argolide, sous la forme de quatre stèles inscrites relatant plusieurs dizaines de guérisons accordées par le dieu2. Datées de l’époque classique, ces stèles étaient toujours visibles dans le sanctuaire lors du passage de Pausanias3, lequel en décrit encore six, au iie s. ap. J.-C. Si le corpus épidaurien est le plus fourni et le mieux conservé, de semblables récits devaient exister dans la plupart des Asclépieia. Strabon s’en fait l’écho, lorsqu’il affirme que les sanctuaires d’Asclépios à Cos et à Tricca en Thessalie, étaient eux aussi remplis « de malades et de tablettes votives portant mention des traitements »4. Du reste, des fragments de iamata ont également été mis au jour dans YAsclépieion de Lébèna en Crète5 ainsi que dans celui de Rome, sur l’île Tibérine6. Trois grands ensembles épigraphiques ont ainsi été préservés. Couvrant plus de six siècles, les iamata d’Épi-daure, de Lébèna et de Rome, sont respectivement datés de la seconde moitié du ive s. av. J.-C., entre le iiie s. et le ier s. av. J.-C. et du iie s. ap. J.-C. Rédigés en grec, ils consistent en collections de textes généralement gravés sur des stèles (Épidaure, Rome) ou sur les murs de l’abaton (Lébèna). En dépit de leur fréquente réélaboration par le personnel sacerdotal, ces récits de guérison demeurent un matériau d’étude fiable, puisqu’ ils se fondent sur la transcription originale par les malades d’une expérience personnelle vécue dans l’enceinte sacrée. Composés selon un formulaire standard, ils mentionnent successivement le nom du fidèle, la maladie dont il souffre, sa visite au sanctuaire et surtout la manière dont s’est déroulée l’intervention divine. La partie la plus détaillée des récits concerne l’incubation proprement dite, c’est-à-dire le sommeil dans le sanctuaire et le rêve obtenu, dont la description comprend notamment les paroles et les gestes du dieu perçus en rêve7.
4L’incubation, « procédure divinatoire orientée à des fins curatives »8, apparaissait comme un moyen d’entrer en contact avec le dieu, via l’obtention d’un rêve. L’ἐγϰοίμησις — du grec ϰοιμάω, « étendre sur une couche, faire dormir », au moyen « se coucher, dormir », auquel est adjoint le préfixe locatif ἐν — consistait à se coucher dans un lieu, en général un sanctuaire9, dans l’attente d’une apparition divine et d’un oracle en rêve pendant le sommeil. L’incubation était donc indissociable de l’oniromancie, la divination par les rêves. En ce qui concerne la nature des consultations, cette pratique cultuelle a rapidement connu une nette spécialisation, si bien qu’à l’époque classique, la quasi-totalité des sanctuaires à incubation appartenaient à des dieux guérisseurs. L’incubation est ainsi devenue la méthode de consultation par excellence de la divination médicale.
5Malgré une définition a priori claire et précise, le concept d’incubation s’avère souvent difficile à cerner, en raison de son caractère miraculeux, mais aussi parce que l’incubation ne peut être réduite à une pratique cultuelle figée et conservatrice, insensible à toute influence contextuelle. Au contraire, elle présente diverses variantes selon les régions ou même selon les sanctuaires. Ainsi, la consultation divine peut quelquefois s’opérer par procuration10, soit pour cause d’impossibilités physiques dues à l’âge ou à la maladie du fidèle, soit conformément à un règlement interne propre au sanctuaire, par exemple dans le Charônion carien d’Acharaca11. En dépit de sa généralisation dans les sanctuaires guérisseurs dès le ve s. av. J.-C., l’incubation affiche ainsi une variabilité locale concernant les modalités de sa mise en œuvre. Mais elle a également subi, dans le temps, une transformation beaucoup plus essentielle quant au mode d’intervention du dieu et au contenu de la révélation divine. L’évolution temporelle de la procédure incubatoire conduit à nous interroger sur la nature des guérisons accordées par le dieu et sur une éventuelle influence de la médecine professionnelle sur l’action guérisseuse d’Asclépios.
6Or, il y a plus d’un siècle déjà, en 1906, Th. Lefort avait supposé une transformation fondamentale des pratiques incubatoires dans le culte d’Asclépios entre la période grecque classique et l’époque romaine12. Il défendait l’hypothèse d’un véritable changement de nature de l’incubation, en lien avec la fonction, divinatoire ou non, dévolue au rêve. Au ve s. et au ive s. av. J.-C., l’incubation n’aurait constitué qu’une variante de la supplication au dieu, une forme de prière plus efficace. Le sommeil incubatoire et le rêve ne seraient apparus que comme des moyens utilisés afin d’implorer le secours du dieu, d’entrer en contact avec lui. Dans ce contexte illustré par les cures miraculeuses du sanctuaire d’Épidaure, l’incubation ne relèverait pas de la divination et le rêve ne serait qu’un élément facultatif, au rôle secondaire, un adjuvant favorisant l’intervention du dieu. Les guérisons se produiraient alors exclusivement de manière directe et instantanée, sous l’effet de la seule puissance divine. En revanche, à l’époque romaine, l’incubation deviendrait une procédure divinatoire. Les malades chercheraient, via le rêve, à partager la connaissance divine, en l’occurrence à obtenir du dieu des prescriptions médicales. À leur réveil, ils devaient encore appliquer, éventuellement avec l’aide d’un médecin ou d’un onirocrite, les traitements communiqués par le dieu pendant leur sommeil. La pratique de l’incubation viserait alors à obtenir une révélation divine, un oracle médical au cours du rêve ; cette procédure attestée dans les récits de guérison des Asclépieia de Lébèna et de Rome, ou encore dans les Discours sacrés d’Aelius Aristide13, serait inséparable de l’oniromancie. Le rêve jouerait à cette époque un rôle nouveau dans le processus incubatoire : il serait l’élément central et nécessaire qui permet au malade d’obtenir du dieu la révélation du remède approprié.
7L’étude de Lefort signale ainsi certaines différences concernant la pratique de l’incubation médicale, qu’elle met en relation avec la datation des sources envisagées. Elle souligne le caractère immédiat des guérisons dans le corpus épidaurien du ive s. av. J.-C., tandis que dans les documents plus tardifs, notamment dans les iamata de Lébèna et de Rome, la guérison s’effectue en deux temps, la révélation du traitement en songe, puis son application au réveil. Il est certes possible de distinguer des cures immédiates et par prescription médicale dans les témoignages antiques. Cependant, cette observation ne suffit pas à prouver une évolution chronologique parfaitement linéaire de l’incubation, telle que la conçoit Lefort. D’une part, les trois principaux corpus épigraphiques de iamata se succèdent dans le temps, sans autoriser de comparaisons pertinentes entre les procédures incubatoires en ces divers lieux ; dans ces conditions, il est difficile de parler d’une évolution des pratiques, qui s’inscrive dans la durée. D’autre part, la prétendue émergence de la nature divinatoire de l’incubation lors d’une deuxième phase de son développement, en l’occurrence pendant la période romaine, est contredite par un nouvel examen de l’ensemble des témoignages antiques relatifs à l’incubation.
8Parmi les documents épigraphiques, hormis les collections de iamata gravées dans la pierre à Épidaure, Lébèna et Rome, des récits de guérison isolés ont été mis au jour sur plusieurs sites, non seulement dans les trois Asclépieia susnommés, mais aussi à Athènes et à Pergame. Ces inscriptions indépendantes se présentent sous la forme de dédicaces individuelles, adressées à Asclépios directement par des malades, sans intervention des autorités cultuelles ; il s’agit donc de témoignages plus personnels, moins stéréotypés, souvent rédigés à la première personne, et non à la troisième personne. En outre, quelques sources littéraires évoquent des guérisons accordées par Asclépios via l’incubation, dans les sanctuaires d’Épidaure, de Pergame et d’Athènes. Ces textes constituent néanmoins une tradition indirecte, parfois tardive, relatant des interventions divines antérieures à l’activité des écrivains qui les rapportent. Le tableau suivant présente les types et le nombre de guérisons attestées dans les différentes cités, selon la période considérée14 :


9À la lecture du tableau, deux constatations s’imposent. D’une part, il convient de souligner le nombre restreint de documents disponibles. Hormis le témoignage exceptionnel des stèles d’Épidaure, une trentaine de récits seulement sont aujourd’hui connus pour l’ensemble de l’Antiquité. Les chiffres obtenus ne permettent donc pas de tirer de conclusions péremptoires quant à la prépondérance de l’une ou l’autre forme de guérison, à une période ou un endroit donné. D’autre part, le maintien des deux types de guérison, instantanée ou via une prescription médicale, se vérifie à toutes les époques. En aucun lieu, les deux modes d’intervention divine ne se sont succédé dans le temps ; l’apparente diminution foudroyante des guérisons immédiates à Épidaure après l’époque classique est uniquement due à l’extraordinaire conservation des iamata dans ce sanctuaire. Dans les cinq Asclépieia documentés, les deux types de guérison divine sont attestés simultanément, pendant l’une des périodes envisagées au moins. Le mode d’accomplissement de la cure, instantanément ou après indication d’un remède, ne répondait donc ni à une évolution chronologique, ni à des particularismes topographiques.
10Peut-être la préférence, ou du moins l’apparente préférence, pour l’un ou l’autre type d’intervention divine peut-elle être expliquée par d’autres facteurs. Ainsi la nature des sources disponibles peut avoir influencé l’importance relative de l’un ou l’autre mode de guérison dans la documentation. À Épidaure par exemple, les nombreuses guérisons immédiates de l’époque classique proviennent toutes, directement ou non, des iamata exposés dans le sanctuaire15. Datés du ive s. av. J.-C., ceux-ci rapportent exclusivement des guérisons instantanées opérées par Asclépios, le plus souvent durant le sommeil du patient à l’intérieur de l’enceinte sacrée16. Ces récits possèdent toutefois un caractère propagandiste très marqué ; ils étaient choisis et sans doute rédigés par le clergé local, de manière à exalter la puissance du dieu d’Épidaure. Dans un climat de rivalité entre plusieurs cités, cherchant à affirmer leurs prétentions sur le culte d’Asclépios, le corpus des iamata apparaît comme un instrument politique : les autorités du sanctuaire y exposent la toute-puissance du dieu dans leur cité, via des guérisons instantanées à répétition, conçues comme autant de miracles accordés par le dieu d’Épidaure. Sous-tendus par une volonté de glorification du culte local, ces textes très orientés n’attribuent donc à Asclépios que des cures miraculeuses ; mais ils ne prouvent pas, pour autant, l’absence de guérisons par révélation d’un traitement dans la cité d’Argolide.
11Au contraire, une inscription isolée datée d’environ 160 ap. J.-C., y fait état d’une guérison à la suite d’une prescription médicale en rêve. Il s’agit d’une dédicace en l’honneur d’Asclépios offerte par un fidèle dénommé M. Iulius Apellas17. Originaire de Mylasa, il a été guéri par le dieu de divers maux successifs, lors d’une visite de plusieurs jours dans l’Asclépieion épidaurien. Contre chaque affection, Asclépios lui recommandait des traitements plus ou moins complexes, incluant non seulement des indications diététiques, mais aussi des bains et des exercices physiques. Cependant, la date tardive de ce témoignage pourrait suggérer une évolution des pratiques incubatoires conforme aux suppositions de Lefort. Une telle interprétation est toutefois contredite par d’autres documents épidauriens. D’une part, dès le ive s. av. J.-C., une épigramme d’Eschine, conservée dans Y Anthologie palatine, mais aussi sans doute par une inscription très lacunaire mise au jour dans le sanctuaire d’Argolide18, semble indiquer la prescription de traitements médicaux s’inscrivant dans la durée. L’orateur athénien affirme que le dieu l’a guéri en trois mois d’un ulcère à la tête que les médecins avaient échoué à soigner durant une année entière. Le texte ne fournit aucune précision sur le déroulement pratique de la guérison ; néanmoins la seule information de la longue durée de la cure, pendant trois mois, plaide en faveur d’une prescription médicale, et non d’une guérison immédiate.
12D’autre part, alors que le corpus épidaurien est beaucoup plus limité à l’époque romaine, avec deux récits de guérison seulement, il est significatif que les deux modes d’intervention divine y soient toujours représentés. La cure par prescriptions médicales de M. Iul. Apellas y voisine avec une guérison immédiate octroyée, en 224 ap. J.-C., à un certain Tib. Cl. Severus, natif de Sinope19. Conformément à un rêve, ce dernier consacre à Asclépios et à Apollon Maléatas, une courte dédicace qui rappelle brièvement les circonstances de sa guérison. Alors qu’il souffrait de tuméfactions scrofuleuses des glandes du cou et d’un cancer à l’oreille, le dieu lui est apparu et l’a guéri dans le portique d’incubation. Les commentateurs du texte ne s’accordent pas sur les modalités de la guérison, directement dans le sommeil ou après application d’un traitement au réveil20. En dépit d’une petite lacune après la mention de l’épiphanie divine, le texte renferme cependant plusieurs éléments qui étayent l’hypothèse d’une guérison immédiate. Le fidèle a pris soin d’indiquer qu’il a été guéri, à l’aoriste, dans la salle d’incubation (l. 5-7 : ὁ θεὸς | εἰάσατο ἐν τῷ ἐν | ϰοιμητηρίῳ) ; pareil détail de localisation, très précis, est unique dans les récits de cure asclépiéens. Par ailleurs, l’inscription mentionne à deux reprises, le rêve (l. 5 : ϰατ’ ὄναρ) ou l’apparition claire (l. 11 : ἐπιστὰς ἐ[ν]αργῶς) du dieu, autant d’indices du rôle central joué par le sommeil incubatoire. Enfin, dans un cas de prescription médicale, le malade n’aurait pas manqué d’indiquer le remède conseillé par Asclépios, comme c’est généralement le cas, dans la dédicace presque contemporaine de M. Iul. Apellas par exemple.
13Les dernières lignes de la Périégèse de Pausanias rapportent, également au iie s. ap. J.-C., une guérison directe attribuée à l’action du dieu d’Épidaure21. Cette cure s’opère néanmoins selon un schéma inhabituel. Un certain Phalysios, fondateur de YAsclépieion de Naupacte, en Locride, est devenu presque aveugle à la suite d’une affection oculaire ; le dieu lui envoie la poétesse Anytè, munie d’une tablette gravée qu’ elle doit faire lire au malade ; plaçant sa confiance en Asclépios, Phylasios accepte d’essayer et recouvre la vue au moment où il dirige son regard vers la tablette. Bien qu’elle se déroule en dehors du sanctuaire et à l’état de veille, cette guérison s’apparente aux cures immédiates des stèles du ive s. av. J.-C.22. Il s’agit d’une intervention miraculeuse due à la seule puissance du dieu, qui serait ainsi attestée sous le Haut-Empire, si l’on considère la datation de l’ouvrage de Pausanias. Il convient cependant de souligner l’antériorité des événements relatés, puisque l’activité de la poétesse Anytè et l’établissement du sanctuaire asclépiéen à Naupacte remontent aux environs de 300 av. J.-C., soit au début de l’époque hellénistique ; le géographe signale d’ailleurs que YAsclépieion local était en ruines lors de son passage. Cet exemple de guérison directe au cours de l’incubation n’est donc pas aussi tardif qu’il y paraît ; il s’inscrit dans un contexte historique similaire à celui des iamata de Lébèna.
14De fait, les guérisons de Lébèna, attestées exclusivement par des inscriptions, sont datées, à une exception près, entre le iiie s. et le ier s. av. J.-C. Comme à Épidaure, YAsclépieion crétois atteste la coexistence, à une période donnée, des deux modes d’intervention divine. Les documents les plus nombreux, neuf iamata et dédicaces au dieu-médecin, font état de véritables prescriptions médicales, fondées sur des recommandations alimentaires23. Mais deux cas de guérison immédiate24 par la seule apparition divine sont aussi relatés dans les iamata. Ces deux cures instantanées sont préservées par une même inscription gravée dans la pierre au iiie s. ou au iie s. av. J.-C. ; elles appartiennent donc à la couche la plus ancienne des récits de Lébèna. Cette seule remarque ne suffit toutefois pas à confirmer la théorie évolutive de Lefort. D’ailleurs, l’unique document crétois postérieur à l’époque hellénistique semble s’y opposer. Au iiie s. ap. J.-C., une courte dédicace métrique est offerte à Asclépios, en sa qualité de dieu Sauveur, par un dénommé Diodore. Celui-ci consacre deux statues d’Oneiros à la place de ses deux yeux, parce qu’il a recouvré la vue25. L’inscription ne donne pas de précision quant à la manière dont la cure s’est effectuée. Néanmoins, le choix de l’offrande, en l’occurrence deux statues à l’effigie du Rêve personnifié, indique une volonté de souligner le rôle essentiel joué par le rêve dans la guérison26. Diodore aurait ainsi commémoré l’obtention d’une cure immédiate via une épiphanie divine en rêve, dans un cas de cécité, un état pour lequel le dieu apparaissait souvent comme le dernier recours, vu l’impuissance des médecins27.
15Du reste, la situation observée dans les autres sanctuaires est aussi variable qu’à Épidaure et Lébèna. À Rome notamment, où les sources sont également épigraphiques, la documentation signale aussi bien des cures par prescription d’un traitement que des guérisons instantanées. Pourtant, les témoignages romains sont plus tardifs, puisqu’ils datent tous du Haut-Empire. Quatre récits sur cinq sont tirés d’une même source, une stèle en marbre découverte sur l’île Tibérine. Datée entre 211 et 217 ap. J.-C., en raison de la mention de l’empereur Antôneinos, identifié à Caracalla28, elle porte une série de quatre iamata29. Les quatre textes sont conçus selon un schéma identique, semblable à celui des iamata d’Épidaure ; ils comprennent l’indication du nom du fidèle et de sa maladie, une formule conventionnelle (ἐχρη(σ)μάτισεν ό θεός) rappelant la révélation divine, l’exposition détaillée du traitement prescrit par le dieu et enfin la mention de la guérison et de l’offrande dédiée par le fidèle en présence du peuple. Trois de ces guérisons font appel à une véritable prescription médicale révélée par Asclépios en rêve et appliquée par le malade à son réveil.
16Dans le premier récit30 cependant, la cure prend la forme d’une intervention divine non pas instantanée, mais néanmoins plus directe, d’allure miraculeuse. Le malade, un aveugle, doit certes suivre les indications d’Asclépios après le sommeil incubatoire ; toutefois, il ne s’agit pas d’une recette thérapeutique, mais d’une série de gestes relevant plutôt de la magie, qui ont pour but de manifester publiquement la puissance du dieu. Asclépios révèle à Gaius qu’il doit se rendre à l’autel et s’y prosterner, puis aller de droite à gauche, poser les cinq doigts au-dessus de l’autel, lever la main et la mettre sur ses propres yeux ; il voit alors de nouveau clairement. Si la guérison n’est pas effective au réveil du malade, elle semble néanmoins due à la seule puissance divine, une nouvelle fois dans un cas de cécité. Des exemples similaires de guérisons divines opérées pendant l’incubation, mais dont la manifestation est différée à l’instigation du dieu, apparaissent dans le corpus épidaurien dès le ive s. av. J.-C. Sept iamata du sanctuaire d’Argolide concernent des malades auxquels Asclépios ordonne en rêve d’accomplir à leur réveil un acte précis, par lequel leur rétablissement sera révélé publiquement31. Ce procédé permet d’accentuer le prestige du dieu, en exposant sa toute-puissance aux yeux de tous les fidèles. L’une des cures d’Épidaure32 offre un parallèle intéressant avec celle de Gaius à Rome : durant l’incubation, Asclépios indique à un aveugle de rechercher dans la grande auberge une bouteille d’huile perdue ; à son réveil, le malade s’y fait conduire et voit soudainement la bouteille ; à partir de ce moment, il recouvre l’usage de ses yeux. Bien que la manifestation de la guérison ait lieu de jour, après le sommeil, son caractère direct est rappelé par l’usage de l’adverbe ἐξαπίνης, « subitement, soudain ». La cure est de nouveau due au seul pouvoir du dieu.
17Par ailleurs, une cinquième guérison romaine est évoquée au ier s. ou au iie s. ap. J.-C., par une dédicace à Asclépios33. Un affranchi impérial du nom de Néocharès Ioulianos remercie le dieu de l’avoir guéri d’une tumeur à la rate. Les dix lignes gravées sur la face antérieure d’une petite base de marbre ne signalent aucun remède prescrit par le dieu, mais elles affirment que le malade a été sauvé par les mains divines (l. 4-5 : σωθείς| | ἀπὸ· σῶν χιρῶν). La mention des « mains du dieu », relevée dans un autre récit de cure instantanée34, semble faire allusion à une opération chirurgicale effectuée en rêve par le dieu et vue par le fidèle dans son sommeil, selon un schéma fréquemment attesté à Lébèna et surtout à Épidaure35. Néocharès a donc probablement bénéficié d’une guérison immédiate ; l’intervention divine est, en tout cas, présentée comme l’unique cause de sa guérison.
18À Athènes et à Pergame enfin, les deux modes de guérison sont également attestés en pleine époque romaine. Dans la cité athénienne, la révélation d’interdits alimentaires est attribuée à Asclépios, par un extrait de la Souda, concernant deux consultations accordées au ive s. - ve s. ap. J.-C.36 Mais les fouilles de YAsclépieion local ont aussi livré deux dédicaces qui rapportent des guérisons immédiates, ou en tout cas par la seule action divine. La première est consacrée, au milieu du iie s. ap. J.-C., par un zacore du temple, atteint de la goutte37. Dénommé Diophante de Sphettos, il exprime son attachement et sa confiance en Asclépios par un poème métrique associant à une longue prière au dieu, un remerciement bref, mais intense. Les deux parties de l’inscription se succèdent chronologiquement : la guérison obtenue est la conséquence de la supplication adressée à Asclépios. S’ils ne donnent aucun détail sur les modalités de la cure, les mots employés par Diophante évoquent néanmoins une guérison directe : le dédicant met en exergue la τέχνη d’Asclépios (l. 22-23 : ὦ Παιὰν Ἀσϰληπιέ, σῆς ὑπὸ τέχνης | ἰα]θεὶς). C’ est grâce à l’art du dieu, à son habileté que le zacore a été guéri d’un mal, la goutte, dont le texte souligne à deux reprises le caractère incurable pour les médecins (l. 16-17 : οὐ γάρ τις ἐπιχθονίων βροτῶν| τοιῶνδε πόροι λύσιν ἀλγέων ; l. 23 : ἀνίατον ϰαϰὸν ἓλϰος). Le dieu apparaît ainsi comme le seul auteur de la guérison, une guérison qu’il avait d’ailleurs promise (l. 25 : ὣσπερ ὑπέστης), selon un modèle qui évoque une promesse en rêve lors de l’épiphanie du dieu et un réveil du patient guéri. La seconde inscription est dédiée à Asclépios et peut-être à Hygie, au ive s. ap. J.-C., par deux personnages, Hègémachos et Eurymédôn, père et fils38. La seconde partie, plus détaillée, commémore une cure obtenue sans doute par Eurymédôn : alors qu’il souffrait de terribles maux, il a été sauvé à la suite de nombreuses visions (l. 5-6 : Δεινὰ παθὼν ϰαὶ πολλὰ | ἰ]δὼν σωθεὶς). Une nouvelle fois, l’interprétation du texte semble indiquer une guérison immédiate durant le sommeil incubatoire ; M. Girone a déjà souligné la mise en évidence d’une activité onirique très intense et l’insistance sur l’extrême gravité du mal39, que seul le pouvoir du dieu aurait pu soigner.
19Quant aux documents pergaméniens, les prescriptions médicales y sont majoritaires. Les guérisons rapportées par des écrivains tels Galien, Aelius Aristide et Philostrate40, ainsi que par une dédicace en l’honneur d’Asclépios, datée du iie s. ap. J.-C.41, sont successives à un régime alimentaire, à des exercices ou à des soins corporels recommandés par le dieu. Un passage d’Oribase semble néanmoins indiquer que des guérisons directes ou pour le moins dues à la seule action divine, avaient lieu dans le sanctuaire mysien, sous la domination romaine. Or cet extrait des Collections médicales est emprunté à Rufus d’Éphèse, un médecin du ier s. ap. J.-C. Traitant de l’épilepsie, Rufus relate une consultation divine accordée par Asclépios à un certain Teucros de Cyzique, épileptique42. Lors de son apparition en rêve, le dieu propose au malade de lui échanger son mal contre une autre affection, une fièvre quarte. Teucros accepte finalement et sera récompensé de sa confiance : la poussée de fièvre le délivre rapidement et définitivement de l’épilepsie, conformément aux promesses du dieu et aux observations des médecins, dont traite préalablement Rufus. Bien qu’ elle se déroule de manière particulière, cette guérison met en exergue l’action divine, ici sous la forme d’une substitution de maladies, qui suffit à débarrasser le fidèle de son mal. S’il n’a pas encore recouvré la santé au réveil, le malade ne doit poser aucun acte complémentaire ; l’intervention du dieu lors de l’incubation assure à elle seule la guérison dans de brefs délais.
20Si deux modes de guérison, instantanée par la seule puissance divine et via prescription médicale, avaient cours dans les sanctuaires d’Asclépios, la faveur de l’un ou de l’autre de ces modes d’intervention ne dépendait ni du lieu ni de l’époque. L’évolution de la procédure incubatoire, que traduisent les variations de l’action divine, doit être cherchée à un autre niveau. L’incubation a, par ailleurs, toujours été considérée par les Anciens comme une pratique divinatoire, caractérisée par une révélation divine en rêve, que l’intervention onirique du dieu soit suffisante ou qu’elle nécessite une participation ultérieure du fidèle. Les changements observés quant au déroulement et au rôle des expériences oniriques vécues à Épidaure, Lébèna, Rome, Athènes et Pergame pourraient être liés, non à une modification du statut du rêve et de la nature même du processus incubatoire, mais à la pénétration de la médecine professionnelle dans les sanctuaires guérisseurs. Dans les récits de cures, qu’elles soient directes ou par indication d’un remède, plusieurs indices tendent à prouver l’influence exercée par la médecine naturaliste sur la médecine divine, à partir de l’époque classique.
1.2. Contamination par la thérapeutique des médecins
21La pénétration de la médecine professionnelle dans les sanctuaires guérisseurs, en particulier dans les Asclépieia, est d’abord perceptible à travers les moyens de guérison mis en œuvre par le dieu. Dans nombre de récits de cures, qu’elles s’opèrent instantanément ou via une prescription médicale, l’action guérisseuse d’Asclépios manifeste, à divers égards, l’influence de la thérapeutique des médecins43.
22La proximité des remèdes divins avec ceux des médecins est particulièrement évidente lorsque le dieu indique en rêve une prescription médicale à appliquer au réveil. Le traitement peut n’être utilisé qu’une seule fois, mais il peut aussi s’inscrire dans la durée ; la période de temps est alors stipulée avec précision par le dieu. Il s’agit généralement de recettes médicales plus ou moins compliquées, d’usage externe et surtout interne. Quantitativement, les préparations solides et liquides administrées par voie orale sont beaucoup mieux représentées que les onguents, pansements et autres bandages. Tous ces médicaments sont réalisés à partir des mêmes ingrédients, le plus souvent des substances naturelles. À Lébèna par exemple, Poplius Granius Rufus, souffrant de l’épaule droite, se voit notamment recommander, au ier s. av. J.-C., l’application d’une préparation composée de farine d’orge mêlée à du vieux vin et d’une pomme de pin écrasée avec de l’huile d’olive44. Pareil traitement paraît beaucoup plus proche des soins apportés par les médecins que des guérisons immédiates accordées par le dieu pendant le sommeil, dans la plupart des récits d’Épidaure.
23Toutefois, quelques éléments constitutifs des remèdes divins, dans lAsclé-pieion de l’île Tibérine surtout, sont encore teintés de magie45. Ainsi, Iulianus, atteint d’hémoptysie, reçoit du dieu l’instruction de manger, pendant trois jours, des graines de pomme de pin provenant de l’autel avec du miel46. Quant à Valérius Aper, un soldat aveugle, Asclépios lui révèle qu’il doit fabriquer un collyre avec du sang de coq blanc et du miel, et l’appliquer durant trois jours47. Dans ces deux remèdes interviennent des composants, le sang de coq blanc et les graines de pommes de pin prélevées sur l’autel, choisis pour leur valeur magique. La persistance occasionnelle d’éléments magiques dans des remèdes divins inspirés par la médecine professionnelle peut surprendre, vu l’opposition virulente de certains praticiens à la magie, dès l’époque hippocratique avec le traité de la Maladie sacrée. Cependant, d’autres textes affirment que les médecins admettaient parfois le recours à des pratiques magiques, quand celles-ci pouvaient être bénéfiques aux malades. Ainsi Soranos d’Éphèse, traitant des hémorragies utérines, ne s’oppose pas à l’utilisation des amulettes ; bien que lui-même ne leur accorde aucun crédit, il pense qu’elles peuvent avoir un effet positif sur le moral des patients48.
24Dans un troisième récit du corpus romain, mettant en scène l’aveugle Gaius, les gestes dictés au malade rappellent également des procédures magiques49. Dans ce cas, l’influence magique concerne non un médicament indiqué par le dieu, mais la manifestation publique de la puissance divine après le sommeil incubatoire. La nature de l’affection traitée n’ est sans doute pas étrangère au caractère immédiat de la guérison, pour le moins attribuée à la seule puissance divine ; la cécité50, comme d’autres affections incurables du point de vue des médecins, telle la goutte de Diophante à Athènes51, est en général, guérie instantanément par l’intervention divine. L’impuissance des praticiens face à ces maladies n’a pas dû favoriser l’insertion d’éléments empruntés à leur thérapeutique dans les traitements du dieu.
25Au contraire, la plupart des remèdes prescrits par Asclépios empruntent la majorité de leurs composants à la thérapeutique naturaliste. Les éléments d’origine naturelle, en particulier ceux tirés des végétaux, interviennent en nombre considérable, rappelant la pharmacopée des médecins, bien que celle-ci soit beaucoup plus étendue et leurs traitements généralement plus complexes à partir de l’époque hellénistique. Ainsi, outre l’orge (ϰρίθινος), la pomme de pin (στρόβιλος) et l’huile d’olive (ἔλαιον), déjà mentionnés à Lébèna52 et/ou à Rome53, les recettes médicales de l’Asclépieion crétois attestent l’utilisation de nombreux arbres et plantes (myrte [μύρτον ou μύρτος]54 et laurier [δάφνη]55, laitue [θρῖδαξ]56 et cresson [ϰάρδαμον ou ϰαρδαμίς]57, mauve [μολόχη]58 et plantes aromatiques [ἄρωμα]59), de leurs fleurs et de leurs fruits (rose [ρόδινος]60, figue [σῦϰον]61 et châtaigne [ϰαστανέα]62), mais aussi de produits dérivés (poivre [πέπερις]63 et poix de cire [ϰηρόπισσος]64). D’autres substances naturelles largement employées en pharmacologie, telles le miel (μέλι)65, le vin (οἶνος)66 et le lait (θήνιον)67, enrichissent les prescriptions divines. La plupart de ces ingrédients sont cités dans des traités médicaux avec des usages thérapeutiques variés, parfois similaires à ceux préconisés par Asclépios.
26Ainsi l’une des cures romaines recommande l’application d’un mélange de vin et de cendres sacrificielles à un pleurétique68. Si les cendres récupérées sur l’autel du sanctuaire ont une valeur magique, le choix du vin évoque les prescriptions de la médecine hippocratique. Bien qu’il soit indiqué, à deux reprises, dans la Collection hippocratique, que l’excès de vin peut être une cause de pleurésie69, les traités Maladies II et III conseillent l’absorption de vin dans le traitement de cette affection70. De même, parmi les multiples emplois thérapeutiques du miel dénombrés dans les écrits hippocratiques71, il est fait mention d’une préparation ophtalmique à base de miel et de vin72. À Rome, Asclépios conseille lui aussi à l’aveugle Valérius Aper, un collyre composé de miel et de sang, dans l’un des rares traitements de la cécité prescrits par le dieu73. Autre parallèle significatif entre les remèdes divins et les ordonnances des médecins : l’utilisation de la mauve dans la composition d’onguents pour des plaies. À Lébèna74, Asclépios ordonne à une femme d’enduire une écor-chure au doigt de mauve et d’huile d’olive. Pareillement, le traité Des plaies contient la recette d’un cataplasme composé de feuilles de mauve broyées dans du vin, destiné à être appliqué sur des blessures ouvertes.
27Certes, dans les récits les plus anciens, ceux d’Épidaure, des éléments végétaux peuvent intervenir dans l’opération divine vue en rêve. Cependant, à la différence des prescriptions ultérieures, les substances utilisées sont toujours désignées par des termes généraux. Le substantif le plus précis cité par les inscriptions épidauriennes est ποία75, lequel désigne une herbe, spécialement une herbe médicinale, mais jamais une espèce spécifique. Le plus fréquemment les remèdes employés par Asclépios ne sont pas détaillés ; ils sont simplement qualifiés de φάρμαϰα. C’est d’ailleurs le cas dans l’une des interventions divines paraissant les moins miraculeuses du corpus : en rêve, le dieu fait bouillir quelque drogue, puis écarte les paupières du malade, un aveugle, et y verse la préparation76. Le dieu agit ici à la manière d’un médecin77. Mais cette apparente normalité est peut-être tout à fait illusoire. Car le déroulement de la cure, tel qu’il est présenté dans le texte, peut laisser entendre - en tout cas il ne l’exclut pas - que le dieu verse dans l’œil le remède encore brûlant. Il s’agirait alors de l’une des guérisons les plus radicales, les plus surnaturelles d’Épidaure. Le texte grec ne précise pas si le dieu laisse ou non refroidir la préparation. La seconde possibilité semble néanmoins probable, en l’absence de l’indication du refroidissement du remède. Le récit décrit, en effet, les gestes du dieu de manière très précise, indiquant même qu’Asclépios écarte les paupières pour y déposer le remède, ce qui paraît aussi évident que de le laisser refroidir. D’ailleurs, le détail de la préparation versée encore chaude dans la cavité oculaire a pu être suggéré volontairement par les prêtres chargés de la rédaction des cures, ceci afin d’accentuer le caractère miraculeux de la guérison et de renforcer le prestige et la puissance d’action divine.
28De manière générale, de nombreuses prescriptions médicales révélées par Asclépios dénotent une attention particulière portée au régime des malades. Or la notion de régime occupe une place centrale dans la médecine grecque, à partir des recherches hippocratiques. Considérant la maladie comme le résultat d’un déséquilibre entre les éléments constitutifs du corps, les médecins grecs ont mis en évidence le rôle fondamental de l’hygiène dans le maintien d’une bonne santé. Les aliments et les boissons ingérés par l’organisme, notamment, ont une influence sur l’équilibre corporel interne ; l’excès ou le manque de certains aliments peut donc provoquer la maladie. Selon le même principe, le rétablissement de la santé peut également être obtenu en modifiant le régime du patient. Or le régime englobe non seulement l’alimentation, mais aussi les exercices physiques et les bains. Les médecins grecs préconisent souvent des mesures diététiques, variables en fonction de critères tels l’âge du patient, son lieu de résidence ou encore les saisons. Outre la prise ou l’abstinence de tel ou tel aliment ou boisson, ils peuvent recommander aux malades de se livrer ou non à certaines activités physiques, prescrivant par exemple, des promenades, des courses ou des combats. De même, ils recourent fréquemment aux bains de toutes sortes, chauds, tièdes ou froids, à jeun ou après un repas, selon les cas.
29Divers traitements indiqués par le dieu dans les récits de cure font appel à l’un des trois composants du régime dans la médecine professionnelle, à savoir aliments et boissons, exercices physiques et/ou bains. De nombreux exemples de prescriptions diététiques ont été déjà été signalés à Lébèna et à Rome. Deux cures crétoises78 accomplies au profit du même malade, le dénommé Poplius Granius Rufus, renferment des indications thérapeutiques extrêmement précises quant à la préparation des remèdes : dans chacune, le dieu prescrit un traitement diététique composé de multiples aliments, dont certains doivent être bouillis ou simplement cuits préalablement ensemble (συνεψήσαντα)79. De plus, il conseille de manger de la roquette, mais à jeun (νήστη). L’habitude de faire cuire ou bouillir les ingrédients, tout comme le recours au jeûne sont fréquents dans la thérapeutique des médecins. En outre, un troisième récit de Lébèna80 contient le verbe συνέψω, sans doute utilisé avec le même sens. De fait, malgré d’importantes lacunes, il est possible d’interpréter cette inscription comme un cas de guérison par prescription divine. Elle renferme deux autres termes qui s’insèrent particulièrement bien dans un traitement médical, d’une part la mention du cresson (ϰάρδαμ[ον] ou ϰαρδαμ[ίνη]), d’autre part le nom στάχυς, lequel peut désigner un épi, notamment de blé, mais aussi l’épiaire, une plante herbacée, ou encore la partie inférieure de l’abdomen, voire une sorte de bandage chirurgical dans le langage médical technique81.
30Mais des conseils alimentaires sont également attestés à Pergame, où Asclépios indique, au iie s. ap. J.-C., un traitement à base de poivre blanc et d’oignon à prendre sans boire, tous les matins, pendant cent vingt jours82, ainsi qu’à Athènes, où le dieu exige de deux malades qu’ils se rassasient de porc, au ive s. - ve s. ap. J.-C.83 Le recours aux exercices physiques est superbement illustré par un passage d’Aelius Aristide84, au iie s. ap. J.-C. Ce rhéteur grec, originaire d’Hadrianoi en Mysie, est l’auteur d’un témoignage incontournable s’agissant de la médecine divine. Outre son activité oratoire et littéraire, il est demeuré célèbre pour les relations étroites qu’il a entretenues avec Asclépios, tout au long de son existence. Touché, dès 143 ap. J.-C., par une longue suite de maladies, il a réalisé plusieurs séjours dans YAsclépieion de Pergame, où il attendait les apparitions et les conseils du dieu dans son sommeil. C’est d’ailleurs sur l’ordre d’Asclépios qu’il a entamé la rédaction de six discours intitulés Ἱεροί Λόγοι. Dans ces Discours sacrés, il rend compte de ses visites à YAsclépieion et de ses rapports privilégiés avec le dieu au travers de nombreuses consultations divines obtenues pendant l’incubation85. Habitué du sanctuaire de Pergame, Aelius Aristide rapporte également des révélations accordées à d’autres fidèles. Ainsi le dieu avait ordonné à un malade, dont le nom et l’affection ne sont pas précisés, de lutter énergiquement, sans doute dans le cadre d’un exercice oratoire, de manière à suer et ainsi anéantir le mal. C’est la sudation survenue lors de l’effort fourni qui libère, dans ce cas, le malade de son affection. Quant à la prise de bains, elle est évoquée à maintes reprises, par Aristide dans ses propres traitements. Selon la maladie dont souffre l’orateur, Asclépios adapte ses recommandations : il lui prescrit généralement des bains froids, des bains souvent hivernaux, tantôt dans le fleuve ou la mer, tantôt dans des rivières ou des sources, tantôt encore dans des puits ou des fontaines du sanctuaire86 ; plus rarement le dieu conseille des bains chauds, en des endroits réputés pour leurs sources thermales87 ; parfois même, il impose au malade l’interdiction d’aller aux bains et de se laver88. Quelquefois, le conseil du dieu semble aux hommes, en particulier aux médecins, totalement inadapté, mais le dieu ne se trompe jamais et les Discours sacrés louent systématiquement sa sagesse. Même si Asclépios emprunte aux praticiens humains certains moyens thérapeutiques, Aristide se montre soucieux d’exposer la supériorité du dieu, par une utilisation inattendue de ces traitements.
31Une forme de prescription totale, associant ces trois paramètres, alimentation, exercices et bains, est conservée par la dédicace de M. Iulius Apellas, à Épidaure89. Lors d’un séjour prolongé dans le sanctuaire, vers 160 ap. J.-C., ce personnage obtient d’Asclépios plusieurs prescriptions médicales correspondant à autant d’affections. Le malade consulte d’abord le dieu, car il est atteint de dyspepsie. Pour cette première demande, l’inscription rapporte un traitement long et compliqué ; durant neuf jours, M. Iul. Apellas s’astreint à des ordonnances divines alliant des bains d’eau chaude et des exercices physiques tels courses et marches, à la prise d’aliments et de boissons dont du fromage et du pain, du céleri et de la laitue, des zestes de citron ou encore du lait avec du miel. Cette cure épidaurienne d’époque romaine, associant la diététique, les exercices physiques et les bains, propose une thérapeutique qui évoque étroitement le régime privilégié par les théories médicales du temps.
32Les récits de guérisons opérées via une prescription médicale illustrent donc, dans tous les sanctuaires asclépiéens étudiés, un changement majeur de l’arsenal thérapeutique mis en œuvre sur les conseils du dieu. Les indications divines en rêve s’apparentent à de véritables traitements naturalistes, d’application externe ou interne ; elles associent substances végétales ou naturelles au sens large et techniques professionnelles de soins, dans une thérapeutique influencée par le régime hippocratique. Or cette observation vaut non seulement, pour la majorité des iamata de Lébèna, datés entre le iiie s. et le ier s. av. J.-C., ainsi que pour ceux de l’île Tibérine, à la période romaine, mais aussi pour des guérisons opérées dans les Asclépieia d’Épidaure, de Pergame et d’Athènes, sous l’Empire.
33Les prescriptions médicales attribuées au dieu ont ainsi été calquées de manière partielle ou totale sur les traitements des médecins contemporains.
34Incontestable aux époques hellénistique et romaine, la contamination de la médecine divine par la médecine professionnelle a cependant débuté dès l’époque classique. Les récits de cures instantanées à Épidaure, mais aussi à Lébèna en témoignent déjà. Dans ces iamata, où la guérison est pourtant considérée comme la conséquence directe et exclusive du pouvoir divin, les gestes posés en rêve par le dieu rappellent parfois fortement la pratique des médecins. Asclépios est ainsi décrit utilisant des instruments ou opérant des interventions chirurgicales à la manière d’un praticien humain.
35C’ est par exemple le cas à Lébèna, au iiie s. ou au iie s. av. J.-C., dans les deux seuls récits de guérisons immédiates conservés. Dans le premier, le dieu est dit « avoir opéré », dans son sommeil, un malade atteint de sciatique90 ; le verbe utilisé, à savoir τέμνω « couper », est fréquemment employé dans la littérature médicale91, avec le sens d’« inciser ». Dans le second récit crétois, l’opération chirurgicale réalisée par Asclépios est décrite avec plus de précision92 : le dieu fait usage d’une ventouse (σιϰύα), qu’il applique sur le ventre d’une femme en mal d’enfant. Or parmi les nombreuses mentions d’emploi de la ventouse dans la Collection hippocratique, quatre concernent des affections gynécologiques ; dans le premier livre des Maladies des femmes notamment93, il est recommandé de poser une ventouse sur le ventre des patientes atteintes d’une môle. Le dieu recourt donc ici à un instrument emblématique de la médecine professionnelle et dans une situation, en l’occurrence face à un problème gynécologique, conforme aux traitements des médecins. Néanmoins, la suite du récit veille à réaffirmer la spécificité de l’action divine ; le texte met en exergue le caractère miraculeux de l’intervention du dieu : sitôt la ventouse utilisée, Asclépios ordonne à la fidèle de sortir rapidement du sanctuaire, car elle est immédiatement enceinte.
36À Épidaure également, neuf récits tirés des iamata, soit près d’un cinquième du corpus, montrent Asclépios en train de poser des actes médicaux, similaires à ceux des médecins94. Souvent le dieu pratique des incisions au niveau du ventre ou de la poitrine, mais il peut aussi procéder à des excisions ou à des extractions de corps étrangers. L’un des récits signale même qu’il a pris soin de nettoyer (ἐϰϰαθαίρω) la bouche du malade, après l’avoir opéré d’un ulcère95. Le dieu se livre ainsi à de véritables opérations chirurgicales, sur le modèle de celles effectuées par les médecins contemporains. L’une des cures les plus représentatives concerne un patient souffrant d’un ulcère à l’estomac : Asclépios ouvre le ventre du malade, excise l’ulcère et referme par une couture, le tout alors que le fidèle est attaché et maintenu par les assistants du dieu96. Néanmoins, après la description d’une intervention divine identique à celle des médecins de l’époque, le rédacteur a de nouveau pris soin de réaffirmer la nature extraordinaire de la cure : il achève son récit par le départ du patient guéri au matin et l’évocation du sol de l’abaton, couvert de sang. Ainsi, la guérison du malade est immédiate, en dépit d’une importante hémorragie et d’un manque total de préparation de l’opération, ce qui explique la tentative de fuite du fidèle et la nécessité de le retenir.
37Quelquefois, les cures divines conservent un aspect miraculeux plus affirmé, malgré l’introduction de gestes empruntés à la thérapeutique des médecins. Asclépios peut se voir accorder la possibilité d’effectuer certaines opérations irréalisables par les médecins, comme dans le rêve obtenu par une femme atteinte d’hydropisie97 : le dieu coupe la tête de la malade, suspend le corps, cou vers le bas, laisse s’écouler un liquide abondant, avant de détacher le corps et de replacer la tête sur le cou. De telles interventions divines s’inspirent certes de l’activité chirurgicale des médecins, mais en donnant une allure totalement extraordinaire aux opérations effectuées par le dieu ; les gestes habituellement posés par les praticiens sont appliqués à des parties du corps inopérables, toujours aujourd’hui d’ailleurs, de manière à mettre en évidence la toute-puissance divine.
38Hormis la reproduction par le dieu en rêve, d’opérations chirurgicales calquées sur la pratique des médecins, deux récits du corpus épidaurien fournissent des indices isolés d’une contamination par la médecine professionnelle. L’un des textes révèle une influence des écrits médicaux sur le vocabulaire choisi98. Il raconte la guérison d’un homme atteint de cécité, après avoir été touché aux yeux par une lance, dont la pointe est d’ailleurs restée fichée dans son visage. Dans son rêve, le blessé voit le dieu retirer le trait, puis ajuster les pupilles dans les paupières. Le dernier membre de phrase, εἰς τὰ β[λέ]φαρα τὰς ϰαλουμ[έν]ας ϰόρας πάλιν ἐναρμόξαι, emprunte deux termes techniques au lexique médical. Dans la littérature médicale, ϰόρη désigne, en effet, la pupille de l’œil, parce qu’une image de petite taille s’y forme99. Quant au participe ϰαλουμένας, « ce qu’on appelle, dénommé », il est souvent utilisé dans les textes médicaux, lors de l’introduction d’un nouveau terme anatomique ou lors du recours à un mot usuel dans un sens technique, comme ici ϰόρη employé avec le sens de « pupille ».
39En outre, une dernière guérison du corpus épidaurien suggère une rivalité entre le dieu et les médecins100. Alors qu’un homme affecté de suppuration dort dans l’attente d’être cautérisé par ses médecins, Asclépios lui apparaît et lui ordonne de ne pas subir la cautérisation, mais de dormir dans le sanctuaire. L’épisode traduit une opposition entre la médecine divine et la médecine naturaliste. Le dieu détourne le patient des traitements des médecins au profit de l’incubation dans son sanctuaire. La réaction divine, ou plus exactement la mise par écrit d’une telle réaction par les prêtres, pourrait avoir été motivée par l’intrusion naissante de la médecine professionnelle dans les sanctuaires guérisseurs, à l’époque classique.
40Cinq siècles plus tard, la guérison directe de l’épileptique Teucros à Pergame confirme le maintien de l’influence de la médecine naturaliste tout au long de l’Antiquité. L’intervention divine en rêve prend ici une autre forme101 : le dieu soigne le mal par le mal, puisqu’il substitue à l’épilepsie une autre affection, en l’occurrence une fièvre quarte. Cet échange accepté en rêve par le malade, se révèle très efficace : l’attaque de fièvre quarte subie au réveil, délivre immédiatement le fidèle de son mal. Or le traitement mis en œuvre par le dieu, en l’occurrence le remplacement de l’épilepsie par la fièvre quarte, est directement inspiré des connaissances médicales de l’époque. C’est d’ailleurs un médecin, Rufus d’Éphèse, actif au ier s. ap. J.-C., qui signale cette guérison divine pour étayer ses propres théories médicales sur l’épilepsie ; il affirme, en effet, en ouverture de ce passage que la fièvre quarte est un remède à l’épilepsie.
41Depuis l’époque classique et les guérisons immédiates d’Épidaure jusqu’à la fin de l’époque romaine et les prescriptions médicales d’Athènes, l’incubation accomplie dans les sanctuaires guérisseurs a connu une indéniable évolution. Or les transformations observées résultent avant tout de l’influence exercée par la pratique et le développement contemporains de la médecine professionnelle. Cette influence se manifeste d’abord parallèlement à l’essor de la médecine hippocratique, dans le cadre des guérisons instantanées accordées par le dieu, de manière quasi miraculeuse : Asclépios y emploie des instruments empruntés aux médecins, il y pose aussi des gestes calqués sur ceux des médecins, notamment des opérations chirurgicales. Néanmoins au réveil, le malade est immédiatement guéri, sans faire appel à une aide humaine extérieure ; la toute-puissance divine demeure l’unique cause de la guérison. Les emprunts à la médecine naturaliste ne s’expriment que dans certains détails narratifs, sans modifier la nature profonde de l’action divine. Cependant, dans un second temps, apparaît un autre mode de guérison divine, en l’occurrence des guérisons obtenues suite à l’application d’une prescription médicale conseillée par le dieu en rêve. À l’instar des médecins, Asclépios recommande alors aux malades de véritables traitements naturalistes plus ou moins complexes. Ce type de cures va se multiplier au fil du temps, sans jamais provoquer toutefois la disparition totale des interventions divines instantanées. Les guérisons par prescriptions médicales sont attestées très tôt : elles sont déjà courantes au début de l’époque hellénistique à Lébèna, mais surtout, une épigramme semble attester leur existence à Épidaure, dès le ive s. av. J.-C. Ce document, dédié à Asclépios par l’orateur Eschine selon la tradition, est particulièrement significatif : le malade interroge le dieu, après que les médecins ont renoncé à le soigner ; Asclépios le guérit très probablement à travers une indication médicale, vu la longue durée de la cure entreprise. Le dieu réussit donc, là où les médecins humains avaient échoué, mais il intervient à la manière d’un médecin. Le récit affirme ainsi explicitement la supériorité de la médecine divine sur la médecine professionnelle ; toutefois, il traduit déjà une contamination du culte d’Asclépios par l’activité des médecins. La pratique de l’incubation avec prescription médicale constitue ainsi un indice concret de l’influence exercée par la médecine naturaliste sur les cultes guérisseurs.
1.3. Métamorphose de la puissance divine
42La pénétration de la médecine naturaliste, en particulier de la thérapeutique des médecins, dans les sanctuaires guérisseurs aura des implications aussi bien matérielles que symboliques. Le fonctionnement pratique des cultes en sera progressivement modifié, surtout lors de l’augmentation du nombre de prescriptions divines en rêve. Lorsque l’influence des médecins touche uniquement la représentation onirique de l’intervention divine, sans affecter le pouvoir guérisseur instantané reconnu au dieu, la pratique de l’incubation et le déroulement des consultations demeurent inchangés. En revanche, dès que le rêve inclut la prescription d’un traitement, la portée même de la procédure incubatoire se trouve transformée. Il ne s’agit plus alors d’un moyen de bénéficier directement de la toute-puissance du dieu-médecin, à travers une intervention quasi miraculeuse, mais d’obtenir du dieu une indication thérapeutique semblable à celles recommandées par les médecins. Asclépios n’apparaît plus alors comme le pourvoyeur immédiat de la guérison, mais comme le prescripteur d’une cure fondée sur d’autres types de savoir.
43Le processus incubatoire connaît ainsi un infléchissement de la puissance d’action divine. Alors que le dieu apparaît, à l’origine, comme le détenteur d’un pouvoir guérisseur sans limite, capable de procurer la guérison de manière instantanée, il est relégué au rang de fournisseur de prescriptions médicales, révélées par le biais du rêve. Ainsi le rôle d’Asclépios se modifie : le dieu guérit, mais il ne guérit plus seul. La réussite de la cure est désormais conditionnée par la collaboration d’auxiliaires humains. Son efficacité est subordonnée à la mise en œuvre correcte par l’homme du traitement divin prescrit durant la nuit. Or, il semble que, dans de nombreux cas, le fidèle n’ était pas apte à appliquer seul le traitement divin. Il avait besoin d’une aide pour réunir les divers ingrédients indiqués en rêve, dont certains n’étaient pas d’un accès facile. De plus, les remèdes du dieu s’avéraient souvent complexes ; outre leurs multiples composants, ils recouraient à des opérations délicates ou nécessitant un matériel, dont ne disposaient pas les fidèles en visite au sanctuaire. Il est peu probable qu’une fois nantis de la prescription divine, les malades soient rentrés directement chez eux pour suivre le traitement. Ils préféraient sans doute s’assurer de son efficacité sur place, de façon à pouvoir consulter le dieu une nouvelle fois, en cas d’échec. D’ailleurs, les iamata avec prescriptions sont toujours offerts par des malades guéris qui remercient le dieu ; ces fidèles avaient donc appliqué les remèdes divins et pouvaient louer leur utilité en les gravant dans la pierre, avant de prendre le chemin du retour.
44L’assistance nécessaire a pu être fournie par des médecins. Vu les fortes similitudes que présentaient les traitements divins avec ceux de la médecine professionnelle contemporaine, les malades conseillés par le dieu ont pu voir en des médecins des auxiliaires privilégiés ; ceux-ci devaient apparaître comme particulièrement qualifiés pour mettre en œuvre des révélations médicales similaires à leurs propres prescriptions. Des praticiens, ou du moins des individus dotés de certaines compétences médicales102, devaient donc être installés dans ou à proximité des sanctuaires, afin d’offrir leurs services aux malades après le sommeil incubatoire. Une illustration du recours aux médecins après l’incubation et l’obtention du songe est fournie par Aelius Aristide au iie s. ap. J.-C. Le rhéteur signale à deux reprises qu’il racontait parfois les rêves accordés par Asclépios à son médecin Théôdotos103. Dans un autre extrait plus explicite encore, il n’hésite pas à affirmer la collaboration entre le dieu et le médecin lors de la cure : « Ces songes m’apparurent dans le temps même qu’un médecin venait à moi, disposé à m’appliquer les remèdes qu’il avait conçus. Quand il eut entendu le récit de mes songes, il céda avec bon sens au dieu ; de mon côté, je reconnus le médecin véritable et approprié à mes maux, et j’obéissais à ses instructions »104. S’il ne peut être généralisé, l’exemple d’Aristide, personnage fortuné peut-être suivi par un médecin personnel, rencontre notre hypothèse : dans la mise en pratique du traitement indiqué par Asclépios, les malades ont pu recevoir l’assistance de médecins. Dans les cures par prescription médicale, le rôle du dieu au cours de la consultation semble ainsi accuser un certain recul au profit du facteur humain.
45Les guérisons immédiates, signes de la puissance d’action du dieu, n’ont cependant jamais disparu. Leur apparent recul, dû aux aléas de la préservation des documents, n’est pas confirmé par l’étude globale des sources antiques, épigraphiques et littéraires. Selon les sanctuaires, la pénétration de la médecine professionnelle s’exprime de manière plus ou moins forte lors des apparitions divines au cours de l’incubation. Mais même s’il subit indéniablement l’influence de la médecine naturaliste, le culte d’Asclépios conserve une autonomie et une spécificité plus ou moins appuyées. En tous lieux, sa renommée et son succès ne se sont jamais démentis.
46Or l’une des raisons de cette réussite réside sans doute dans son ouverture aux pratiques contemporaines des médecins. L’introduction d’éléments empruntés à l’activité médicale professionnelle a pu renforcer sa légitimité aux yeux des malades. Dans les iamata remaniés par le personnel de culte d’après les expériences des fidèles, par exemple, les prêtres n’ont pas hésité à insérer, dès le ive s. av. J.-C., des éléments calqués sur l’activité des médecins ; probablement étaient-ils guidés par leur souci de rencontrer les attentes des malades. Dans un monde où la médecine professionnelle affiche un essor continu à partir d’Hippocrate et de l’époque classique, une ouverture à la thérapeutique des médecins a dû être profitable aux sanctuaires asclépiéens. Ce rapprochement a pu constituer une valorisation supplémentaire pour le culte d’Asclépios, ajoutant à l’antique prestige du dieu-médecin la réputation grandissante de la médecine naturaliste.
2. Définition du mode d’action d’Asclépios au ve s. av. J.-C.
47Si Asclépios n’était pas l’unique dieu guérisseur du panthéon hellénique, il est néanmoins devenu, dès le ve s. av. J.-C., le dieu-médecin par excellence des Grecs. Or il apparaît comme une divinité relativement récente, intégrée au cercle des dieux olympiens au plus tôt à la fin du vie s. av. J.-C., voire seulement au cours du ve s. av. J.-C. Dans les témoignages les plus anciens, en particulier dans l’Iliade105, Asclépios est présenté comme un mortel réputé pour son savoir médical : prince de Tricca, en Thessalie106, il est le père des guerriers et médecins Machaon et Podalire, lesquels commandent le contingent de Tricca, Ithomé et Œchalie, lors de la guerre de Troie107. À l’origine, Asclépios était donc vraisemblablement vénéré comme un héros chthonien d’origine thessalienne108. Du reste, même après son introduction dans la sphère apollinienne et sa divinisation, il gardera des caractères chthoniens, étroitement liés à ses capacités guérisseuses109. Ainsi l’incubation, privilégiée dans le nouveau culte, facilitait la communication avec le dieu et l’obtention de la guérison, via la mise en contact du fidèle avec la terre, détentrice de toute connaissance. Asclépios, héros guérisseur local, a progressivement acquis un statut divin ainsi qu’une renommée panhellénique. Sa déification a d’ailleurs posé certains problèmes dont témoigne Platon, dans la République110. Le philosophe s’y interroge sur la cause de la mort d’Asclépios111 : d’après Pindare112, il aurait été foudroyé en raison de sa cupidité, mais Platon juge cette explication incompatible avec la nature divine alors reconnue depuis peu au personnage. Quoi qu’il en soit, la mort d’Asclépios par le foudre sera le vecteur légendaire de son accession à l’immortalité et de sa divinisation113. L’affirmation de son statut divin favorisera l’expansion de son culte et la multiplication des centres iatromantiques patronnés par celui désormais considéré comme le dieu-médecin par excellence.
48Des sanctuaires dédiés à Asclépios seront ainsi fondés dans l’ensemble du monde grec, puis romain, à partir du ve s. av. J.-C. La diffusion du culte sera rapide et continue, si bien que, pour le iie s. de notre ère, plus de trois cent vingt Asclépieia ont pu être recensés à partir des données littéraires et matérielles114. Or ce nombre doit sans cesse être revu à la hausse, au vu des nouvelles découvertes archéologiques. La renommée d’Asclépios s’est propagée à partir du célèbre Asclépieion d’Épidaure, en Argolide, où des multitudes de fidèles en quête de guérison venaient consulter le dieu en rêve. Établi dans le courant du vie s. av. J.-C., le sanctuaire épidaurien conserva, durant toute l’Antiquité, une grande notoriété, jouant un rôle central dans l’expansion du culte115. C’est sur son modèle, en effet, qu’ ont été établis, à partir de la seconde moitié du ve s. av. J.-C., quantité d’Asclépieia dans le reste du Péloponnèse, mais aussi à travers l’ensemble de la Méditerranée, notamment à Athènes, Cos, Pergame et Rome.
49En Carie, ce sont quinze sanctuaires du dieu-médecin qui ont pu être dénombrés à ce jour (Carte 2, p. 12), à partir de documents épigraphiques surtout116. Avec les cités de Iasos, Halicarnasse, Idyma, Phoinix, Thyssanous, Syrnos, Cnide, Bargasa, Aphrodisias, Stratonicée, Tralles, Mastaura, Laodicée du Lycos, Priène et Milet, cette région apparaît, dès le ive s. av. J.-C., comme l’une des principales zones de diffusion du culte du dieu-médecin en Asie Mineure, au même titre que l’Ionie et la Cilicie. Quelquefois, les qualificatifs portés par le dieu nous informent sur sa perception par les fidèles. À quatre reprises, dans les villes de Stratonicée, Tralles, Milet et Didymes, Asclépios reçoit l’épiclèse Sôtèr, « Sauveur »117. Comme le substantif σωτηρία, qui désigne « le salut, le sauvetage », mais aussi « la préservation, la conservation » de personnes ou de choses118, l’adjectif σωτῆρ est formé sur la racine σῶς, signifiant « sain et sauf », « en bon état » pour des choses, « en bonne santé » pour des personnes. En tant que Sôtèr, un dieu pouvait donc être vénéré comme guérisseur, mais aussi comme le garant du maintien d’une bonne santé. Cependant, l’idée de salut, de conservation véhiculée par le terme Sôtèr ne s’applique pas exclusivement au domaine de la santé et de la guérison ; il peut aussi s’agir de préserver le fidèle de tout danger éventuel, quelle qu’en soit la nature119. Dans le cadre du culte asclépiéen, le salut espéré par les fidèles concerne toutefois, dans la grande majorité des cas, la guérison de maux physiques, vu le statut de dieu de la médecine dévolu à Asclépios. D’ailleurs, dans une dédicace de Stratonicée, la demande adressée à Asclépios Sôtèr, est formulée explicitement : un petit autel de marbre lui est offert en remerciement, par un malade qui souffrait de fièvre quarte (τεταρταῖος)120. Le terme grec τεταρταῖος est ici employé seul, à la place de l’expression complète τεταρταῖος πυρετός, l’une et l’autre appellations étant fréquemment citées dans la littérature médicale, dès l’époque classique121. Hormis l’appellation Sôtèr, Asclépios est qualifié, dans une dédicace d’Iasos, d’άποβατήριος122. Formée sur le verbe ἀποβαίνω, « débarquer », cette épithète renvoie sans doute à l’arrivée du dieu en bateau dans la cité et à la protection qu’il y exerçait, depuis lors, au profit des marins et des voyageurs qui débarquaient dans le port iasien. Le choix de cette épiclèse doit être mis en rapport avec la large diffusion dont a bénéficié le culte asclépiéen par voie maritime ; au départ des sanctuaires d’Épidaure et de Cos notamment, il a essaimé par mer dans nombre de cités, en particulier des ports tel Iasos, où il débarque souvent sous la forme d’un serpent, comme lors de son installation à Rome, sur l’île Tibérine123.
50Les témoignages cariens sont tout à fait représentatifs de la place occupée par Asclépios dans l’imaginaire religieux des Grecs : il est conçu comme un dieu toujours secourable et bienveillant. Si son assistance peut, exceptionnellement, être recherchée dans des circonstances particulières, comme les voyages maritimes à Iasos ou la localisation d’un objet dans les iamata d’Épidaure124, la santé et la guérison constituent néanmoins son principal champ d’action. Son culte a connu une véritable spécialisation dans le domaine médical, si bien qu’il était presque exclusivement vénéré comme un dieu guérisseur. Il apparaît ainsi comme le seul dieu grec qui a pour unique fonction, celle de guérir et pour unique champ d’intervention, celui de la santé et de la guérison. Ainsi que nous l’avons rappelé dans l’introduction125, tous les dieux helléniques étaient potentiellement guérisseurs et ont pu être priés en certains lieux ou dans certaines situations, par des malades en quête de guérison. Dans des conditions déterminées, leur mode d’action respectif leur permettait d’intervenir, entre autres, dans le secteur de la santé et de la guérison, à l’instar d’Artémis en Attique. Asclépios présente, à cet égard, un profil tout à fait particulier : il intervient toujours dans le domaine médical et est, à ce titre, le seul dieu grec qui puisse être qualifié, à toutes époques et en tous lieux, de dieu guérisseur au sens strict. Les Anciens l’ont d’ailleurs considéré, dès l’époque classique, comme le dieu-médecin par excellence, celui dont la médecine constituait le champ d’action privilégié et même unique. Asclépios s’est, en quelque sorte, vu attribuer comme mode d’action, l’un des champs d’action dans lesquels opérait son père Apollon126.
51Mais sa spécialisation dans ce champ d’action exclusif s’accompagne également d’une modalité d’intervention spécifique. Asclépios agit toujours de manière positive, au bénéfice des fidèles et de leur santé. Il est donc pleinement et exclusivement un dieu guérisseur, c’est-à-dire un dieu qui procure la guérison, et jamais au contraire un dieu qui punit les hommes en leur infligeant des maladies. Asclépios présente ainsi un profil fondamentalement différent de toutes les autres divinités actives dans le domaine médical, en particulier d’Apollon, dont la personnalité est marquée par une profonde ambivalence. Il apparaît comme un dieu fondamentalement bon et bienfaisant, ami des hommes, qu’il cherchait à soulager de leurs maux. Son iconographie reflète d’ailleurs ce caractère : assis ou debout, il est figuré comme un homme d’âge mûr, barbu, à la physionomie sereine et aimable, appuyé sur un bâton autour duquel s’enroule un serpent127. Asclépios est donc toujours considéré comme un dieu guérisseur, secourable et bienveillant, jamais comme l’auteur des maux. En définitive, le mode d’action d’Asclépios peut être défini comme une action exclusivement bienveillante visant au rétablissement ou à la préservation de la santé, dans le cadre d’une spécialisation dans le domaine médical autour d’une fonction unique, celle de dieu guérisseur.
52Au fil des siècles, Asclépios a donc acquis le statut de principal dieu de la médecine, sans pour autant provoquer la disparition des nombreux cultes patronnés par des divinités dotées, à l’occasion, de pouvoirs guérisseurs. Plusieurs facteurs peuvent être mis en évidence, afin d’expliquer la prédominance et le succès exceptionnel du culte asclépiéen. Nous souhaitons proposer ici une nouvelle compréhension de ces faits religieux, en les intégrant dans une problématique plus large, celle de l’influence exercée par la médecine professionnelle sur la médecine divine. De même que le culte asclépiéen a connu une importante évolution quant à l’action guérisseuse du dieu lors de l’incubation, la représentation d’Asclépios, sa personnalité nous semble également avoir été, en partie du moins, modelée en réaction à l’activité des médecins.
53Le point de départ de notre réflexion est historique : une constatation s’impose à l’historien de la médecine, à savoir l’exacte contemporanéité de l’essor du culte d’Asclépios et du développement de la médecine hippocratique. La seconde moitié du ve s. av. J.-C. apparaît ainsi comme un tournant de l’histoire de la médecine, aussi bien pour la médecine professionnelle que pour la médecine divine. C’est précisément lorsque Hippocrate et ses confrères ont avancé une explication naturaliste des maladies, à l’exclusion de toute causalité divine et prôné des thérapeutiques naturelles qu’a débuté l’extraordinaire expansion du culte asclépiéen. Il y a là une apparente contradiction : le développement du culte d’Asclépios, lequel devient un dieu, le dieu-médecin par excellence au ve s. av. J.-C., intervient au moment même où la médecine naturaliste s’affirme et connaît un essor important, qui ne se démentira plus. Pourtant, cet apparent paradoxe cache peut-être l’une des raisons essentielles du succès du culte asclépiéen : la volonté des responsables du nouveau culte de proposer aux malades une alternative à la médecine hippocratique.
54Il est significatif qu’Asclépios soit le premier et l’unique dieu hellénique spécialisé dans le domaine médical. Sa caractéristique majeure est de posséder un champ d’action strictement délimité, correspondant au secteur de la santé. Il n’a d’autre fonction que de pouvoir, en toutes circonstances, apporter son secours divin face à n’importe quel problème de santé. Quelle que soit la maladie contractée, l’identité du malade, mais aussi le lieu ou l’époque, Asclépios apparaît comme un dieu guérisseur universel ; en contrepartie, il ne possède aucune autre compétence et dispose donc d’un champ d’action beaucoup plus réduit que la plupart des autres divinités grecques. Spécialisé dans le domaine médical, il présente un profil très semblable à celui des médecins, eux aussi des spécialistes de l’art de guérir. Alors que les praticiens professionnels empruntent, à la suite d’Hippocrate, une voie nouvelle qui dégage l’art médical de l’emprise divine, et lui confère une véritable autonomie, s’impose une nouvelle figure divine calquée sur le modèle des médecins et donc plus apte à résister à l’essor de la médecine naturaliste. Asclépios apparaît ainsi comme le dieu-médecin par excellence, comme un véritable médecin divin, un professionnel de la maladie et de la guérison.
55Par sa spécialisation médicale, le culte d’Asclépios se présenterait comme une alternative à la médecine professionnelle. C’est pour assurer son succès et ainsi atteindre cet objectif qu’il aurait été doté de certaines caractéristiques tout à fait novatrices dans le champ de la médecine divine. Ainsi l’action exclusivement guérisseuse et donc secourable du dieu, dépourvue de toute ambivalence, offre un parallèle saisissant avec les recherches médicales de l’époque classique. Alors que les médecins rejettent fermement l’idée d’une causalité divine des maladies au profit de facteurs naturels, internes et externes à l’homme, Asclépios est conçu comme un dieu qui peut certes guérir, mais qui n’ est jamais le responsable des maux. À la différence des autres divinités impliquées dans le domaine médical, les guérisons qu’ il accorde ne sont nullement la manifestation de l’apaisement de sa colère ; son pouvoir guérisseur ne s’exerce pas sur des maux qu’il a lui-même envoyées aux fidèles, afin de les punir. Le culte asclépiéen n’est donc pas sous-tendu par les anciennes conceptions religieuses relatives à l’origine divine des maladies ; au contraire, il les ignore totalement pour se consacrer uniquement à la thérapeutique. Il s’inscrit ainsi dans la lignée des théories nouvelles défendues par les médecins hippocratiques, quant à la causalité naturelle, et non divine, des maladies. Dépourvu de toute ambivalence, le nouveau culte ne heurte pas les opinions de la médecine naturaliste. Il propose certes une réponse différente face aux affections, privilégiant les sacrifices, les prières et la consultation du dieu via l’incubation, aux traitements naturels des médecins. Mais en cela, le culte d’Asclépios ne s’oppose pas aux médecins, puisque ceux-ci n’ont jamais remis en question le pouvoir guérisseur des dieux. L’opposition des praticiens à la médecine divine se focalise sur l’explication divine des maladies et ne concerne pas l’activité thérapeutique des sanctuaires guérisseurs. Le culte asclépiéen apparaît donc comme une réaction parfaitement appropriée de la médecine divine aux changements conceptuels survenus dans la médecine professionnelle.
56De même, la prédilection d’Asclépios pour le traitement de maladies individuelles au travers de consultations privées correspond à une tendance affichée par la médecine professionnelle contemporaine. Le dieu-médecin est toujours imploré par des particuliers, des fidèles qui l’interrogent à titre personnel, sur leur propre santé, à la différence d’Apollon par exemple, fréquemment prié dans des cas de loimoi, de pestilences collectives. Le nouveau culte vise ainsi une clientèle identique à celle des médecins et propose une approche similaire du traitement, à savoir des soins individuels. Que le dieu guérisse le malade instantanément ou qu’il lui indique une prescription médicale en rêve, il privilégie une prise en charge personnelle, selon une approche qui n’ est pas sans évoquer les recommandations des médecins hippocratiques, quant à l’observation clinique de chaque malade et des spécificités de chaque cas. La limitation de l’activité guérisseuse du dieu aux maladies individuelles renforce en outre la volonté de ne pas cautionner l’explication divine des affections, laquelle perdurera pour les fléaux épidémiques, vu l’impuissance des praticiens à les enrayer. Le culte d’Asclépios propose ainsi, dans ses cibles mêmes, une offre similaire à celle des médecins.
57Cette analyse des spécificités du culte asclépiéen, à la lumière du développement de la médecine naturaliste, ne suffit certes pas à expliquer l’extraordinaire succès de ce culte tout au long de l’Antiquité. Elle offre néanmoins une série de clés explicatives, qui permettent de comprendre la place unique qu’il occupait parmi les cultes guérisseurs et les raisons de son importante expansion à l’époque classique, simultanément au développement de la médecine hippocratique.
58D’autres chercheurs ont mis en évidence l’affirmation de ces deux formes de médecine dans le contexte historique particulier des ve s. et ive s. av. J.-C. Ainsi, dans son dernier ouvrage de synthèse sur la médecine antique, V. Nutton analyse le traité hippocratique de la Maladie sacrée dans cette perspective, en relation avec les changements observés dans le monde médical. Il considère, avec raison nous semble-t-il, que les attaques de l’auteur sont dirigées contre les partisans de la médecine magique, et non contre les cultes guérisseurs. Il suppose alors la manifestation d’une nouvelle « orthodoxie » médicale, visant à l’exclusion des pratiques magiques128. Dans cette hypothèse, le développement de la médecine hippocratique et l’essor du culte d’Asclépios relèveraient du même processus, précisément la définition de cette nouvelle « orthodoxie », qui cherchait à évacuer le recours à la magie médicale, aussi bien dans la médecine professionnelle que dans la sphère cultuelle. Selon Nutton, la caractérisation d’Asclépios et la promotion de la médecine naturaliste s’inscrivent ainsi dans un même mouvement, répondant à une volonté commune de libérer la médecine de l’emprise de la magie ; il s’agit d’assurer à l’art de guérir, sous sa forme divine comme humaine, une existence propre, débarrassée de toute référence magique. Certes intéressante, cette hypothèse ne constitue pas une explication suffisante des transformations intervenues à l’époque classique dans le secteur médical. L’étude des iamata de l’île Tibérine a, du reste, montré des résurgences magiques à l’intérieur des remèdes divins, en pleine époque romaine. La volonté d’expulser la magie hors du domaine médical a pu jouer un rôle dans la réorganisation des médecines divine et professionnelle. Mais il ne s’agit que d’un facteur dans une situation historique complexe marquée d’une part, par l’essor de la médecine hippocratique naturaliste, en accord avec les préoccupations intellectuelles dans le monde grec des cités, d’autre part, par la définition d’un culte guérisseur, celui d’Asclépios, en adéquation avec les conceptions des médecins. Ce double mouvement de redéfinition des médecines professionnelle et divine a pu s’accompagner, chez certains et de manière plus ou moins appuyée selon les époques, d’une volonté de s’affranchir de la magie et de rejeter les pratiques magiques en dehors du champ de la médecine.
Notes de bas de page
1 Cf. M.P.J. Dillon, The Didactic Nature of the Epidaurian Iamata, in ZPE, 101, 1994, p. 239-260.
2 IG2 IV 1, 121-124. Ces inscriptions épidauriennes ont été publiées, traduites et largement commentées en allemand, par Herzog, Epidauros. Récemment, une traduction anglaise et une nouvelle analyse ont été proposées par LiDonnici, Epidaurian Inscriptions.
3 Paus., II, 27, 3.
4 Strab., VIII, 6, 15 (trad. R. Baladié, 1978).
5 Pour les récits de guérison de YAsclépieion de Lébèna : I. Cret. I, XVII, 8-9, 17-19, 24 ; Herzog, Epidauros, p. 51-54 ; Edelstein, Asclepius I, Τ 426, 439-442. - Sur le sanctuaire d’Asclépios à Lébèna, voir D. Hadzi-Vallianou, Lebena : the ancient City and the Shrine of Asclepius, Athènes, 1989 ; P. Sineux, Le sanctuaire d’Asklépios à Lébèna : l’ombre de Gortyne, in Revue historique, 639, 2006, p. 589-608 ; M. Melfi, Il Santuario di Asclepio a Lebena, Athènes, 2007.
6 Pour les récits de cure de YAsclépieion de Rome : IGUR I 148 ; Edelstein, Asclepius I, Τ 438 ; P. Roesch, Le culte d’Asclépios à Rome, in G. Sabbah (éd.), Médecins et médecine dans l’Antiquité, Saint-Étienne, 1982, p. 175-176 ; G.H. Renberg, Was Incubation practiced in the Latin West ?, in AlRG, 8, 2006, p. 105-147 ; Id., Public andPrivate Places of Worship in the Cult of Asclepius at Rome, in MAAR, 51/52, 2006/2007, p. 87-172. - Outre YAsclépieion qui a livré ces récits de guérison, l’île Tibérine accueillait un culte guérisseur au fleuve Tibre. Cf. J. LE Gall, Des Romains demandaient au Tibre la guérison de leurs maux, in Archéologie et médecine, Juan-les-Pins, 1987, p. 257-268.
7 Le vocabulaire du « rêve » dans la Grèce antique s’avère d’une grande richesse, reflet de l’importance accordée au monde onirique. Là où nos contemporains parlent sans distinction de rêve, de songe ou de vision, les Anciens possédaient un lexique d’une dizaine de termes tels ἐνύπνιον, ὄναρ, ὄνειραρ, ὄνειρον, ὄνειρος, ὅραμα, ὄφις, φάντασμα, χρηματισμός, leur permettant de distinguer les diverses expériences vécues dans le sommeil. Ils ont proposé plusieurs classements des « rêves », afin de rendre compte de leur origine, de leur signification, de leur valeur prédictive notamment. Dans la présente étude, il ne sera pas tenu compte des nuances sémantiques introduites par les Anciens ; « rêve » et « songe » seront employés indistinctement, pour désigner une expérience onirique pendant le sommeil.
8 V. Plrenne-Delforge, "Religion grecque, in Y. Lehmann (éd.), "Religions de l’Antiquité, Paris, 1999, p. 154.
9 L’incubation pouvait également prendre place sur les tombeaux, où les fidèles cherchaient à voir en rêve les âmes des morts. Sur cette forme d’incubation proche de la nécromancie, voir Bouché-Leclercq I, p. 290.
10 Sur l’incubation par procuration, voir Dillon, o.c., p. 249-250. — Un exemple de consultation par procuration est donné par le rhéteur Aelius Aristide (Disc. Sacr., III, 12), au iie s. ap. J.-C. : il envoie son père adoptif Zosime interroger à sa place l’oracle de Claros au sujet de ses problèmes de santé ; Zosime passe une nuit dans le sanctuaire apollinien et y reçoit un oracle destiné à Aristide lui prescrivant de consulter Asclépios à Pergame.
11 Pour le Charônion d’Acharaca, siège d’un culte guérisseur de Pluton et de Coré : supra, p. 111 sq.
12 Th. Lefort, Notes sur le culte d’Asklépios, Nature de l’incubation dans ce culte, I. Aux Ve et IVe siècles, in MB, 10, 1906, p. 21-37 ; Id., Notes sur le culte d’Asklépios, Nature de l’incubation dans ce culte, II. Époque romaine, in MB, 10, 1906, p. 101-126.
13 Pour les Discours sacrés d’Aelius Aristide : infra, p. 244 sq.
14 Concernant les sources textuelles, la datation retenue pour les récits de guérison est celle de la source primaire, du moins lorsqu’ elle a pu être identifiée.
15 Deux cures épidauriennes instantanées sont signalées par d’autres sources que la collection des iamata ; la première est relatée par Élien (Sur la nature des animaux, IX, 33 : supra, p. 42) d’après l’historien du ve s. av. J.-C., Hippys de Rhegium, tandis que la seconde intervient sous la forme d’une dédicace à Asclépios, dans une inscription du iiie s. av. J.-C. (IG IV2 1, 125, cf. Edelstein, Asclepius I, Τ 431 ; Girone, Iamata, n° II.3). Ces deux sources relatent des guérisons qui sont également incluses dans les iamata, malgré quelques variantes dans les détails. Cf. Herzog, Epidauros, n° 15, 23 ; LiDonnici, Epidaurian Inscriptions, n° A15, B3.
16 Parmi les quarante-huit récits de guérison conservés sur les quatre stèles épidauriennes, sept concernent des cures immédiates, mais obtenues à l’état de veille, hors incubation, et non pendant le sommeil incubatoire ; généralement la guérison s’opère par l’intermédiaire d’un auxiliaire humain ou animal, considéré comme une épiphanie du dieu. Cf. Herzog, Epidauros, n° 5, 16, 20, 25, 26, 43, 44 ; LiDonnici, Epidaurian Inscriptions, n° A5, A16, A20, B5, B6, B23, C1.
17 IG IV2 1, 126. Cf. Herzog, Epidauros, n° 79 ; Edelstein, Asclepius I, Τ 432 ; Girone, Iamata, n° II.4.
18 Anth. pal., VI, 330. Cf. supra, p. 42, n. 76.
19 IG IV2 1, 127. Cf. Herzog, Epidauros, n° 80 ; Edelstein, Asclepius I, T 424 ; LONGO, o.c., p. 98-99, n° 61 ; GlRONE, Iamata, n° II.5.
20 Longo, o.c., p. 99 ; Girone, Iamata, p. 71.
21 Paus., X, 38, 13. Cf. Herzog, Epidauros, n° 74 ; Edelstein, Asclepius I, T 444, 717.
22 Pour l’insertion, dans les iamata d’Épidaure, de guérisons obtenues à l’état de veille, en dehors de la procédure incubatoire : supra, p. 233, n. 16.
23 1. Cret. I, XVII, 11A (l. 4-13), 11B, 12A-B, 14A, 17-20 ; Edelstein, Asclepius I, Τ 439-441 ; Girone, Iamata, n° III.3b-4, III.6-7,111.9-10,111.12-14.
24 1. Cret. I, XVII, 9 ; Edelstein, Asclepius I, Τ 426 ; Girone, Iamata, n° III.2a-b.
25 I. Cret. I, XVII, 24 ; Edelstein, Asclepius I, Τ 442 ; Girone, Iamata, n° III.15.
26 G. Kaibel soulignait déjà la position fondamentale occupée par le rêve dans le processus de guérison, mais il supposait plutôt l’indication d’un remède par le dieu lors du sommeil oraculaire. Cf. G. Kaibel, Epigrammatagraeca, Berlin, 1878, p. 343, n° 839 ; Longo, o.c., p. 53-54. - La consécration de statues à l’effigie de divinités personnifiant le sommeil ou le rêve, n’ est pas rare dans les sanctuaires guérisseurs. L Asclépieion de Sicyone, par exemple, abritait une statue d’Oneiros et une autre d’Hypnos (Paus., II, 10, 2). Ces deux figures divines secondaires intervenaient lors de l’incubation : l’une protégeait le sommeil du patient, tandis que l’autre favorisait l’arrivée d’un rêve signifiant. Sur Hypnos, personnification du sommeil, voir H.A. Shapiro, Personifications in Greek Art, Zurich, 1993, p. 132-158, 246-254.
27 Pour les cas de cécité dans les récits de guérison et les interventions divines correspondantes : infra, p. 240.
28 Le premier récit de cure relaté par l’inscription de l’île Tibérine s’achève sur la mention du règne sous lequel ces événements s’étaient produits : l’expression ἐπὶ τοῦ Σεβαστοῦ ἡμῶν Ἀντωνείνου a d’abord été rapportée à Antonin le Pieux ; mais, à la suite de R. Cagnat (IGRRI 41), les érudits s’accordent aujourd’hui pour y voir une mention de Caracalla, dont la titulature impériale contient également ce nom.
29 IGURI 148 ; Edelstein, Asclepius I, T 438 ; Girone, Iamata, n° V.2a-d.
30 IGUR I 148, l. 1-6 ; Edelstein, Asclepius I, T 438 ; M. Guarducci, L’epigrafia greca dalle origini al tardo impero, Rome, 1987, p. 306 ; Girone, Iamata, p. 157, n° V.2a.
31 Cf. Herzog, Epidauros, n° 1-2, 6-7, 15, 35, 65 ; LiDonnici, Epidaurian Inscriptions, n° A1-2, A6-7, A15, B15, C22.
32 Herzog, Epidauros, n° 65 ; LiDonnici, Epidaurian Inscriptions, n° C22.
33 Longo, o.c., p. 83-84, n° 51 ; IGUR1105 ; Girone, Iamata, n° V.1.
34 IG IV21,125 ; Edelstein, Asclepius I, Τ 431 ; Girone, Iamata, n° II.3, l. 5-6.
35 Pour les iamata d’Épidaure et de Lébèna, qui évoquent non les mains du dieu, mais des interventions chirurgicales réalisées par lui en rêve : infra, p. 246 sq.
36 Souda, s.v. Δομνῖνος ; Edelstein, Asclepius I, Τ 427.
37 IGII2 4514 ; Edelstein, AsclepiusI, Τ 428 ; Longo, o.c, p. 89-90, n° 57 ; Girone, Iamata, n° 1.1.
38 N. Platon, Ἐργασίαι διαμορφώσεως Ἀσϰληπιείου, in AD, 18b, 1963, p. 20 ; SEG XXIII 124 ; Girone, Iamata, n° I.2.
39 Ibid., p. 36.
40 Gal., Subf. emp., 10 (ed. K. Deichgràber, 1930, p. 78) ; Ael. Arist., Disc. sacr., IV, 17 ; Philostr., Vies des sophistes, I, 25, 4 et II, 25, 5. Cf. Edelstein, Asclepius I, T 433-436.
41 H. Müller, Ein Heilungsbericht aus dem Asklepieion von Pergamon, in Chiron, 17, 1987, p. 193233 ; Girone, Iamata, n° IV.2.
42 Ruf. Eph., ap. Orib., Coll. med., XLV, 30, 10-14 (ed. I. Raeder, CMG VI 2, 1, 1931, 191-192). Cf. Edelstein, Asclepius I, T 425.
43 Cf. A. Chaniotis, Illness and Cures in the Greek Propitiatory Inscriptions and Dedications of Lydia and Phrygia, in Ancient Medicine II, p. 334-335.
44 1. Cret. I, XVII, 18 ; Edelstein, Ahclepius I, Τ 440 ; Girone, Iamata, n° III.13.
45 Cf. Lefort, o.c., p. 112-126.
46 IGUR I 148, l. 11-14 ; Edelstein, Asclepius I, T 438 ; Girone, Iamata, n° V.2c.
47 IGUR I 148, l. 15-18 ; Edelstein, Asclepius I, T 438 ; Girone, Iamata, n° V.2d.
48 Sor. Eph., Maladies des femmes, III, 12 (edd. P. Burguière, D. Gourevitch, Y. Malinas, III, CUF, 1994, 46 = ed. I. Ilberg, CMG IV, 1927, 42).
49 Supra, p. 236.
50 D’autres cas de guérisons immédiates accordées par le dieu à des aveugles sont attestés à Épidaure au ive s. av. J.-C. (Herzog, Epidauros, n° 4, 9, 11, 18, 20, 22, 32, 65 ; LiDonnici, Epidaurian Inscriptions, n° A4, A9, A11, A18, A20, B2, B12, C22 ; Paus., X, 38, 13 = Edelstein, Asclepius I, T 444) ainsi qu’ à Lébèna, avec le cas de Diodore au iiie s. ap. J.-C. (I. Cret. I, XVII, 24 ; Edelstein, Asclepius I, T 442 ; Girone, Iamata, n° III.15).
51 IGII2 4514 ; Edelstein, Asclepius I, T 428 ; Longo, o.c., p. 89-90, n° 57 ; Girone, Iamata, n° 1.1.
52 I. Cret. I, XVII, 18 (l. 9-11, 13), 19 (l. 8).
53 IGURI 148, l. 12.
54 1. Cret. I, XVII, 14A, l. 5.
55 Id., 12A, l. 4.
56 Id., 12A, l. 2-3.
57 Id., 20, l. 3-4.
58 Id., 19, l. 8.
59 Id., 12A, l. 3.
60 Id., 20, l. 8.
61 Id., 17 (l. 18), 18 (l. 12).
62 Id., 12B, l. 7.
63 Id., 12A (l. 5), 17 (l. 10), 18 (l. 13).
64 Id., 18, l. 13.
65 Id., 17, l. 15 ; IGUR I 148, l. 13,16.
66 1. Cret. I, XVII, 12A (l. 5-6), 17 (l. 10), 18 (l. 9) ; IGUR 1148, l. 8.
67 1. Cret. I, XVII, 18, l. 12.
68 IGUR 1148, l. 7-10 ; Edelstein, Asclepius I, Τ 438 ; Girone, Iamata, n° V.2b.
69 Ps.-Hipp.,Morb., I, 26 (VI, 192-193 L.) ; Af 7 (VI, 214-215 L.).
70 Id., Morb., II, 46, 3 (ed. J. Jouanna, Hippocrate, X 2, CUF, 1983, 177 = VII 64-65 L.) ; III, 16 (ed. P. Potter, CMG I 2, 3,1980, 88-93 = VII, 146-149 L.).
71 Cf. s. BYL, La thérapeutique par le miel dans le Corpus Hippocraticum, in I. Garofalo et al. (eds), Aspetti della terapia nel Corpus Hippocraticum, Atti del IXe Colloque International Hippocratique (Pisa, 2529 septembre 1996), Florence, 1999, p. 119-124.
72 Ps.-Hipp., Mul., 1,105 (VIII, 228-229 L.).
73 IGUR I 148, l. 15-18.
74 1. Cret. I, XVII, 19 ; Edelstein, Asclepius I, Τ 441 ; Girone, Iamata, n° III.10.
75 Herzog, Epidauros, n° 40 ; LlDonnici, Epidaunan Inscriptions, n° B20.
76 Herzog, Epidauros, n° 9 ; LiDonnici, Epidaurian Inscriptions, n° A9.
77 Pour les opérations chirurgicales attribuées à Asclépios dans plusieurs récits de guérison d’Épidaure et de Lébèna : infra, p. 246 sq.
78 1. Cret. I, XVII, 17-18 ; Edelstein, Asclepius I, T 439-440 ; Girone, Iamata, n° III.12-13.
79 Le verbe grec συνέψω signifie « faire cuire avec, en même temps », mais aussi « faire bouillir ensemble ».
80 I. Cret. I, XVII, 20 ; Girone, Iamata, n° 111.14.
81 Cf. LSJ, s.v. στάχυς, p. 1635 ; R.J. Durling, A Dictionary of Medical Terms in Galen, Leyde, 1993, s.v. στάχυς, p. 298.
82 Müller, o.c., p. 193-233 ; Girone, Iamata, n° IV.2.
83 Souda, s.v. Δομνῖνος ; Edelstein, Asclepius I, Τ 427.
84 Ael. Arist., Disc. sacr., IV, 17. Cf. Edelstein, Asclepius I, Τ 435.
85 Une traduction française des Discours sacrés a été proposée dès 1969 par le Père Festugière, mais publiée seulement après sa mort en 1982 (A.J. Festugière, Discours sacrés. Rêve, religion, médecine au IIe siècle après J.-C., Paris, 1986). Une étude détaillée des Hiéroi Logoi ainsi qu’une traduction anglaise ont été proposées par C.A. Behr, Aelius Aristides and the Sacred Tales, Amsterdam, 1968. Parmi l’abondante bibliographie relative à la vie et à l’œuvre de l’orateur mysien, nous n’ avons retenu que quelques contributions consacrées à l’étude des relations entre Aristide et Asclépios : E.D. Phillips, A Hypochondriac and his God, in G & R, 21, 1952, p. 23-36 ;J. Bompaire, Le sacré dans les Discours d’Aelius Aristide (XLVII-LII Keil), in REG, 102, 1989, p. 28-39 ; G.S. Gasparro, Elio Aristide e Asclepio, un retore e il suo dio : salute del corpo e direzjone spirituale, in E. dal Covolo et I. GianneTTO (éds), Cultura epromozjone umana, Convegno internazionale di studi OasiMaria Santissima" (Troina, 29 ottobre - 1° novembre 1997), Troina, 1998, p. 123-143 ; H.F.J. Horstmanshoff, Asclepius and Temple Medicine in Aelius Aristides’Sacred Tales, in H.F.J. Horstmanshoff et M. Stol (éds), Magic andRationality in Ancient Near Eastern and Graeco-Roman Medicine, Leyde, 2004, p. 325-341 ; Fl. Steger, Medizinischer Alltag in der romischen Kaiserzeit aus Patientenperspektive : P. Aelius Aristides, ein Patient im Asklepieion von Pergamon, in Medizjn, Gesellschaft und Geschichte, 20, 2001, p. 45-71.
86 Ael. Arist., Disc. sacr., II, 18- 24, 45-59, 71-82 ; V, 49-55.
87 Id., II, 10 ; III, 6 et 10.
88 Id., I, 6-9, 15, 18, 22, 26, 29, 40-41, 45, 52-53, 59 ; III, 34 ; IV, 6.
89 IG IV2 1, 126. Cf. HERZOG, Epidauros, n° 79 ; Edelstein, Asclepius I, T 432 ; Girone, Iamata, n° II.4.
90 I. Cret. I, XVII, 9, l. 1-5 ; Edelstein, Asclepius I, T 426 ; Girone, Iamata, n° III.2a.
91 Ps.-Hipp., Aph., VI, 27 (IV 570-571 L.) ; VII, 44-45 (IV 590-591 L.).
92 I. Cret. I, XVII, 9, l. 5-11 ; Edelstein, Asclepius I, T 426 ; Girone, Iamata, n° III.2b.
93 Ps.-Hipp., Mul., I, 71 (VIII, 150-151 L.).
94 Herzog, Epidauros, n° 12-13, 21, 23, 25, 27, 30, 32, 66 ; LiDonnici, Epidaurian Inscriptions, n° A12-13, B1, B3, B5, B7, B10, B12, C23.
95 Herzog, Epidauros, n° 66 ; LiDonnici, Epidaurian Inscriptions, n° C23.
96 Herzog, Epidauros, n° 27 ; LiDonnici, Epidaurian Inscriptions, n° B7. La similitude de ce récit avec l’activité des médecins contemporains est peut-être plus grande encore, puisque certains commentateurs ont proposé de traduire le terme ῥόπτον par « table d’opération » (LSJ) ; après la fuite avortée du malade, les assistants du dieu se seraient saisis de lui et l’auraient attaché sur une table d’opération. Les conditions matérielles de l’intervention divine auraient ainsi été identiques à celles que connaissaient les praticiens. Cependant, le mot ῥόπτον, un hapax, demeure énigmatique et sa traduction incertaine ne peut suffire à assurer cette hypothèse. Cf. Herzog, Epidauros, n° 27 ; LiDonnici, Epidaurian Inscriptions, p. 107, n. 21.
97 Herzog, Epidauros, n° 21 ; LiDonnici, Epidaurian Inscriptions, n° B1.
98 Herzog, Epidauros, n° 32 ; LiDonnici, ‘Epidaurian Inscriptions, n° B12. Pour l’interprétation de ce récit épidaurien à la lumière du vocabulaire médical : ibid., p. 109, n. 30.
99 Cf. LSJ, s.v. ϰόρη III, p. 981.
100 Herzog, Epidauros, n° 48 ; LiDonnici, Epidaurian Inscriptions, n° C5. Supra, p. 43.
101 Ruf. Eph., ap. Orib., Coll. med., XLV, 30, 10-14 (ed. I. Raeder, CMG VI 2, 1, 1931, 191192). Cf. Edelstein, Asclepius I, T 425.
102 Dans ce cadre, le personnel sacerdotal a également pu jouer un rôle ; certains prêtres ont pu acquérir des connaissances médicales leur permettant d’aider les malades dans l’interprétation du rêve et éventuellement l’application de la prescription divine.
103 Ael. Arist., Disc. sacr., II, 34 ; IV, 38.
104 Id., I, 57 (trad. A.J. Festugière, Aelius Aristide, Paris, 1986, légèrement retouchée).
105 Il., II, 730-732 ; IV, 194, 200-202, 219 ; XI, 518.
106 Cf. Jouanna, Hippocrate, p. 23-24.
107 Il., II, 729-733 ; Apollod., epit. 3, 11.
108 Cf. L.R. Farnell, Greek Hero-Cults and Ideas of Immorttality, Oxford, 1921, p. 234-238 ; Rohde, Psyché, p. 117-120 ; Séchan-Lévêque, p. 229, 236-237 ; R. Martin et H. Metzger, La religion grecque, Paris, 1976, p. 69-71.
109 La double nature d’Asclépios, à la fois chthonienne et apollinienne, avait déjà été mise en évidence par Bouché-Leclercq III, p. 271-279. Edelstein, pour sa part, analysait la légende du fils d’Apollon et de Coronis en deux volets, consacrés successivement à Asclépios en tant que héros, puis en tant que dieu, cf. Edelstein, Asclepius II, p. 1-138. Sur la personnalité complexe d’Asclépios, voir aussi notamment Martin-Metzger, o.c., p. 69-109 ; Chr. Benedum, Asklepios -der homerische Arzt und der Gott von Epidauros, in RhM, 133, 1990, p. 210-226.
110 Plat., Pol., III, 16, 408 b-c.
111 La mort d’Asclépios est présentée de manière très homogène par la plupart des auteurs : après avoir reçu son éducation, notamment sa formation à l’art de guérir, auprès du centaure Chiron (cf. C. Brillante, Crescita e apprendimento : l’educazione del giovane eroe, in QUUCC, 37, 1991, p. 7-28), Asclépios revient parmi les hommes, doté de grandes compétences médicales. Soucieux de les aider et de les guérir, il découvre le moyen de les ressusciter, provoquant la colère de Zeus qui le foudroie. Cf. Pind., Pyth, III, 3 ; Plat., Pol., III, 16, 408 b-c ; Esch., A., 1022-1024 ; Eurip., Ac., 3-7.
112 Pind., Pyth., III, 3, 54-58.
113 Cf. Séchan-Lévêque, p. 228 ; Rohde, Psyché, p. 598-599.
114 Cf. LIMC, s.v. Asklepios (B. Holtzmann, 1984), p. 865. - Pour la Grèce seule, y compris les îles, Semeria a dénombré pas moins de cinquante-neuf sanctuaires d’Asclépios, cf. A. Semeria, Per un censimento degli Asklepieia della Grecia continentale e delle isole, in ASNP, 16, 4, 1986, p. 931-958. — Concernant l’expansion du culte d’Asclépios, envisagée de manière globale ou pour une région en particulier, on consultera notamment : Debord, Anatolie, p. 32-39 ; C. Bonnano Gorgone, Il culto di Asclepio in Sicilia : testimonianze archeologiche, in Atti 1 ° Congresso Associazjone meridionale di Medicina e Storia (Gela, 23-25 marzp 1984), s. l., s. d., p. 221-246 (non « di) ; Semeria, o.c. ; Krug, o.c., p. 141-187 ; Cr. TlUSSI, Il culto di Esculapio nell’area nord-adriatica, Rome, 1999 ; Curnow, Oracles ; J.W. Riethmuller, Asklepios. Heiligtumer undKulte, 2 vol., Heidelberg, 2005 ; M. Melfi, I Santuari di Asclepio in Grecia. I, Rome, 2007.
115 Il semble pourtant qu’Épidaure n’ était pas le berceau primitif du culte d’Asclépios ; au dire de Strabon (IX, 5, 17), la cité de Tricca, en Thessalie, abritait « le sanctuaire d’Asclépios le plus antique et le plus illustre » (trad. R. Baladié, 1996). Hérondas (Mimes, II, 97), pour sa part, affirme que le culte d’Asclépios à Cos était originaire de Tricca. Sur le culte et le sanctuaire du dieu-médecin à Cos, en particulier son origine thessalienne, cf. R. Herzog (éd.), Kos, I, Berlin, 1932 ; K. Kerényi, Asklepios. Archetypal Image of the Physician’s Existence, New York, 1959, p. 46-69 ; H. Berve, G. Gruben et H. Hirmer, Temples et sanctuaires grecs, Paris, 1965, p. 53-56 ; Sherwin-White, Cos, p. 334-359 ; A. Krug, Heilkunst und Heilkult, 2e éd., Munich, 1993, p. 159-163 ; E.A. Armpis, L’organisation des Asclépieia, in A. Verbanck-Piérard, Hippocrate, p. 175-176. - Si l’origine thessalienne du culte asclépiéen n’ est étayée par aucun vestige archéologique, elle est cependant confirmée par la tradition mythico-légendaire attachée au nom d’Asclépios. De plus, parmi les diverses variantes de la naissance du dieu, l’une peut être qualifiée de thessalienne, puisqu’ elle présente Asclépios comme le fils d’Apollon et d’une mortelle Coronis, fille de Phlégyas, roi de Thessalie (Hés., frg. 56-60, Merkelbach/West ; Pind., Pyth., III, 1-2 ; Ovide, Met., II, 542-632). Toutefois, d’autres versions (Hés., frg. 50, Merkelbach/West ; Paus., II, 26, 3-7) circulaient également, en lien avec diverses régions (Messénie, Arcade) ou cités (Épidaure), dans lesquelles le culte asclépiéen s’était développé et qui cherchaient à revendiquer l’origine du dieu, une fois sa célébrité acquise. Cf. N. Deshours, La légende et le culte de Messènè ou Comment forger l’identité d’une cité, in REG, 106, 1993, p. 39-60.
116 Du reste, de nombreuses cités cariennes ont émis des types monétaires à l’image d’Asclépios pendant l’époque impériale.
117 I. Stratonikeia II 1, 1122 (Stratonicée, non datée) ; I. Tralleis 10 (Tralles, non datée) ; CIG 2864 (Milet, époque impériale) ; Didyma, II, p. 123, n° 121 (Didymes, époque hellénistique tardive).
118 Cf. Lane, CMRDM III, p. 40-41 ; LSJ, s.v. σωτηρία, p. 1751 ; Chantraine, DELG, s.v. σῶς, p. 1084-1085.
119 Il ne faut cependant pas attribuer à la notion de σωτηρία des implications d’ordre moral, recouvrant l’idée de salut au sens chrétien ; les fidèles n’ attendent pas du dieu l’assurance d’une vie après la mort, d’un salut dans l’au-delà. Dans le paganisme antique, ce type de préoccupations eschatologiques ne se manifestera que de manière isolée et à date souvent tardive, ainsi dans les mystères d’Eleusis ou dans des cultes d’origine orientale, tels ceux de Sarapis et d’Isis ou celui de Mithra. Cf. J. Rudhardt, Notions fondamentales de la pensée religieuse et actes constitutifs du culte dans la Grèce classique, 2e éd., Paris, 1992, p. 113-127.
120 I. Stratonikeia II 1, 1122 ([Θε]ῷ Σωτῆ[ρι]| Ἀσϰληπι|ῷ Μ. Οὔλ. Δι|ονόσιος τεταρταί||ου χαρι |[σ]τήριον).
121 De nombreuses mentions de la fièvre quarte (τεταρταΐος ou τεταρταΐος πυρετός) sont attestées dans le Corpus hippocratique. Cf. G. Maloney, W. Frohn et P. Potter (éds), Concordance des œuvres hippocratiques, 6 t., Hildesheim et al., 1986-1989 ; J.H. Kühn et U. Fleischer (éds), Index Hippocraticus, Göttingen, 1989. — Sur la notion de fièvre, en particulier la fièvre quarte, dans la médecine antique, consulter G. STICKER, Fieber undEntzjindung bei den Hippokratiker, in Arch. Gesch. Med., 20, 1928, p. 150-174 ; 22, 1929, p. 313-343, 361-381 ; 23, 1930, p. 40-67 ; J.N. Corvisier, Santé et société en Grèce ancienne, Paris, 1985, p. 15, 81, 93-96 ; P. Pellegrin, L’imaginaire de la fièvre dans la médecine antique, in HPLS, 10, 1988, p. 103-120 ; M.D. Grmek, Les maladies à l’aube de la civilisation occidentale, Paris, 1994, en part. p. 397-408 ; Neue Pauly, s.v. Fieber (V. Nutton, 1998), col. 510-511 ; R. Sallares, Malaria and Rome. A History of Malaria in Ancient Italy, Oxford, 2002, en part. p. 11-12, 49-54, 131-136.
122 D. Levi et G. Pugliese Carratelli, Nuove iscrizjoni di Iasos, in ASAA, 39-40, 1961-1962, p. 587, n° 16 ; I. Iasos II 227 (iie s. av. J.-C.).
123 Tite-Live, Periochae, XI ; Ov., Met., XV, 622-744 ; Valère Maxime, I, 8, 2. - Pour l’interprétation de l’épiclèse Apobatèrios : L. ROBERT, Opera minora selecta, III, Amsterdam, 1969, p. 1509-1511 ; Debord, Anatolie, p. 34.
124 Cf. Herzog, Epidauros, n° 24, 46 ; LlDoNNICI, Epidaurian Inscriptions, n° B4, C3.
125 Supra, p. 55 sq.
126 D’ailleurs, l’essor matériel du culte asclépiéen a été favorisé par les rapports étroits qu’ entretenait le dieu-médecin avec son père divin, Apollon. Présenté, dans le mythe, comme le fils du dieu de Delphes, Asclépios a profité de l’expansion préalable du culte apollinien : les Asclépieia étaient généralement fondés à proximité d’un sanctuaire d’Apollon, ainsi à Épidaure ou à Corinthe. Cf. Holtzmann, o.c., p. 864 ; Armpis, o.c., p. 167.
127 Pour l’iconographie d’Asclépios : Edelstein, Asclepius II, p. 218-231 ; M. Bieber, A Bronze Statuette in Cincinnati and its Place in the History of the Asklepios Types, in PAPhS, 101, 1957, p. 70-92 ;J. Schouten, The Rod and Serpent of Asklepios. Symbol of Medicine, Amsterdam et al., 1967 ; K.H. Hunger, Der Askulapstab, Berlin, 1978 ; Holtzmann, o.c., p. 865-897 ; M. Meyer, Zwei Asklepiostypen des 4. Jahrhunderts v. Chr. : Asklepios Giustini und Asklepios Athen-Macerata, Munich, 1994, p. 7-55 ; Fr. Sirano, Considerazjoni sull’Asclepio « tipo Nea Paphos » : ipotesi su un gruppo di sculture di età imperiale, in ArchClass, 46, 1994, p. 199-232 ; N. Benseddik, Esculape et Hygie en Afrique : classicisme et originalité, in AntAfr, 33, 1997, p. 143-154.
128 Cf. V. Nutton, AncientMedicine, Londres, 2004, p. 111-114.
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2000
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