Philippe Lucas : l’intrigue de l’identité
p. 15-27
Texte intégral
1Je vais rendre hommage à Philippe Lucas en parlant des idées et des pratiques qu’il a contribué à inspirer. Les gens qui l’ont connu savent que discuter avec lui était beau. On se sentait engagé, à la fois intellectuellement et affectivement. On avait l’impression de construire ensemble quelque chose. À la fin, on ne savait plus bien à qui appartenait telle idée ou tel concept. Ainsi je ne vais pas lui attribuer, maintenant, la responsabilité des idées et des pratiques dont je vous parlerai. Je peux seulement vous dire que ce que je vous raconterai a été certainement stimulé par lui, dans les rencontres de ces trente dernières années.
2On commença par discuter sur le thème de la responsabilité des intellectuels, du mélange des aspects politiques, éthiques et techniques de leurs responsabilités. J’étais un jeune psychiatre et, à l’époque, je travaillais à l’hôpital du Vinatier de Lyon, un asile avec quelques prétentions de modernité. Lui, jeune sociologue mais déjà professeur, me questionnait sur les contradictions de ma profession. Il y en avait beaucoup, et de taille. Je lui parlais de la double identité des psychiatres. Dans l’asile, ils étaient promoteurs ou complices de mécanismes d’enfermement et de privation de libertés et de droits ; des mécanismes qui se préoccupaient peu des problèmes posés par les maladies mentales et beaucoup des questions d’ordre public et de contrôle des patients/prisonniers. Hors de l’asile, ils étaient promoteurs et défenseurs de l’individu, de sa liberté de choix, de son identité. Le matin, aliénistes, engagés dans la reproduction d’une institution agressive et destructrice. L’après-midi, psychothérapeutes, cherchant passionnément le secret du malaise et de l’identité de leurs clients. Quelle identité pouvaient-ils chercher pour leurs patients, ces psychiatres qui, eux, en avaient au moins deux opposées chaque jour ?
3C’était juste avant 1968, une époque de ferments et de questionnements. Ainsi beaucoup de mes collègues s’apercevaient de la contradiction et voulaient en sortir. Certains d’entre eux essayaient d’introduire dans l’asile la psychothérapie. Ils s’efforçaient de tenir des réunions de groupe avec les patients. Et les patients parlaient du peu qui restait de leur vie d’enfermés : la bouffe qui était mauvaise, les médicaments qui leur faisaient du mal, le désir de sortir de là. Et les psychiatres interprétaient leurs mots, les prenaient comme des signes de malaise ou d’agressivité. Il ne leur venait même pas à l’esprit de changer le menu et les médicaments ou d’accompagner les patients dehors. Quand quelqu’un leur faisait noter la chose, ils répondaient que leur profession était de s’occuper du monde psychique, des symboles. Pour la réalité il y avait les travailleurs sociaux.
4Le monde des psychiatres, heureusement, n’était pas homogène. A côté des plus traditionnels il y en avait qui, timidement, avaient commencé à organiser des activités dans la communauté. Il y avait surtout les plus jeunes, mes amis les plus proches, qui étaient à la recherche d’un rapport radicalement différent avec les patients. Certains d’entre eux, qui sont ici aujourd’hui, n’ont pas démenti les promesses de ces années de recherches et de passions. Des nouveaux courants apparaissaient : l’antipsychiatrie, la psychiatrie sociale. J’en discutais avec Philippe Lucas et mes amis. L’antipsychiatrie nous intéressait pour sa recherche radicale de liberté et pour la géniale analyse de Cooper sur les dommages causés par la psychiatrie. Mais elle ne sortait pas d’une recherche intellectuelle et individuelle, avec peu de conséquences sur la réalité. Les versions de psychiatrie sociale qu’on discutait nous semblaient ingénues et simplistes, avec leur prétention d’expliquer les maladies mentales par les conditions sociales de vie.
5On ne peut pas dire qu’il existait un vrai débat, à l’époque, entre les adeptes des différents courants. C’étaient plutôt des dialogues de sourds ou des échanges d’insultes. Ce qui nous paraissait évident est que les uns considéraient l’identité comme un phénomène purement psychique et symbolique, les autres comme un reflet psychique de la réalité. Mais ni les uns ni les autres ne nous persuadaient. Ce qui est intéressant c’est que les uns passaient pour être des conservateurs et les autres pour des révolutionnaires. Aujourd’hui cela peut nous paraître absurde. Mais en ce temps tout prenait une couleur politique. Les premiers, donc, défendant la liberté des individus/entrepreneurs et enfermant les pauvres, devaient être capitalistes ; les seconds, défendant la dimension sociale de la personne et mettant en question la légitimité de l’enfermement, devaient être socialistes. Ce n’était pas si simple.
6De fait, il était très difficile d’évaluer la dimension politique du travail psychiatrique. L’opposition entre capitalisme et socialisme était le paramètre de référence. Et il était difficile de penser, de chercher, de conceptualiser sans être influencé par l’une ou l’autre des écoles existantes. L’apport très important de Philippe était de maintenir éveillé un esprit critique profond, qui faisait des pratiques son principal paramètre de vérification. Un esprit critique qui, au-delà de la cohérence interne des théories, était à la recherche des mots qui servent pour mieux agir sur la réalité, pour la rendre plus proche de quoi ?
7La question se posait, dramatiquement dans le cas des maladies mentales. Il était facile de se donner des objectifs de changement de la réalité si on s’occupait de chômeurs, de pauvres, de gens qui n’avaient pas accès aux bénéfices du développement. Mais là on s’occupait d’une chose qui était fondamentalement inconnue. Personne ne pouvait dire vraiment, au-delà des balbutiements prétentieux des différentes écoles psychiatriques, avoir compris ce qu’est la maladie mentale et d’où elle vient. On discutait beaucoup de cela, avec Philippe.
8On finit par penser que, si on reconnaissait ne pas savoir ce qu’est la maladie mentale, alors la chose à faire était simple : traiter les malades comme tout autre être humain, sans attribuer à leur maladie la cause des (mal)traitements institutionnels auxquels ils étaient soumis. Les malades mentaux étaient enfermés, privés de leurs droits, de contacts sociaux, de relations affectives. C’était une question éthique qui se posait, avant même de pouvoir parler de science. Bien sûr, certains malades (une proportion insignifiante par rapport aux « sains ») commettaient des délits ; mais dans ce cas n’était-il pas plus juste de les traiter comme tous les autres, comme tous ceux auxquels la société décide de faire un procès régulier et qui sont, parfois, enfermés quelques temps en prison ? Pour les malades cela aurait été un progrès formidable, puisqu’ils étaient des prisonniers sans procès, sans condamnation et, ce qui est plus grave, sans raison.
9Comment avait-on pu construire des institutions d’enfermement si complexes, coûteuses et, à leur façon, parfaites, sans comprendre ce qu’elles devaient enfermer ? On se méfiait des interprétations psychosociologiques qui faisaient allusion à un prétendu besoin social d’enfermer la déraison. Il nous semblait plutôt que les malades mentaux étaient victimes d’un processus qui frappait tout le monde : les mécanismes d’exclusion qui accompagnent les modèles de développement et d’organisation sociale basés sur le rôle-guide des plus forts. Dans des sociétés convaincues que leur progrès vient des grands hommes, des grands entrepreneurs, des dirigeants politiques les plus astucieux, des généraux les plus implacables, des savants les plus géniaux, des autorités religieuses les plus puissantes et ainsi de suite, le modèle est le succès individuel et la règle est la compétition pour le succès personnel ou de petit groupe ; un succès qu’il faut arracher aux autres, si nécessaire, avec beaucoup d’agressivité et peu de scrupules. L’exclusion est alors un phénomène en cascade : les exclus essayent, à leur tour, d’exclure ceux qui sont un peu plus faibles et ainsi de suite, jusqu’aux dernières marches de l’échelle, celles où se trouvent les gens qui ne peuvent pas combattre, les malades mentaux, les invalides, les enfermés dans les asiles.
10Le paradoxe de ce phénomène est que l’exclu travaille à la reproduction du mécanisme dont il est victime. Son premier réflexe n’est pas de s’unir aux autres exclus pour essayer d’avoir la force nécessaire pour obtenir la satisfaction de ses besoins. Son réflexe est plutôt de chercher quelqu’un de plus faible à exclure dans la compétition résiduelle pour le succès ou la survie.
11En termes d’identité, cela veut dire que l’exclusion qui existe dans les mécanismes sociaux existe aussi dans nos mécanismes de fonctionnement psychique. Cela veut dire en particulier que, dans les sociétés basées sur le rôle-guide des plus forts, la partie individuelle, égoïste et transgressive de notre identité prévaut sur la partie sociale, collaborative et respectueuse des règles communes. Les deux parties de notre identité sont également nécessaires. La première, qui nous fournit une grande énergie et des fortes motivations affectives, doit être tempérée par la deuxième, qui nous fournit l’accès concret à la plupart des satisfactions et le grand plaisir qui vient des relations humaines. S’il y a un déséquilibre, alors s’enclenche le processus qu’on a sous les yeux. La réalité de la compétition sans scrupules alimente, avec ses déséquilibres, notre monde des symboles (notre mentalité), qui à son tour justifie et consolide les déséquilibres de la réalité, dans un cercle vicieux qui produit et justifie l’exclusion. Ainsi, le malade mental, indépendamment de ce qui le rend tel, est un perdant dans la compétition égoïste et violente, un exclu.
12Ces idées nous mettaient en crise sur le plan politique. On avait un cœur progressiste. Philippe admirait Gramsci, connaissait les méfaits du colonialisme, avait horreur de la violence politique ; j’admirais Adorno et Fanon et venais de Naples, une ville où j’avais appris à détester les conséquences du sous-développement et à en chercher les responsables. Mais les asiles et l’exclusion existaient aussi bien dans les pays capitalistes que dans les pays socialistes. Les deux systèmes reconnaissaient le rôle-guide des plus forts. Que le pouvoir appartienne à l’élite économique capitaliste ou à l’élite bureaucratique communiste, du point de vue de la possibilité réelle des gens à participer pleinement à la vie sociale et au processus de développement, les chances étaient également très limitées. L’exclusion, dans les deux cas, était violente. Le résultat, du point de vue des malades mentaux, était le même. Cette constatation nous mettait en crise, puisqu’on désirait pouvoir être de gauche. Dans un monde polarisé, il était vraiment difficile de ne pas appartenir pleinement à un des camps. Et le camp socialiste nous semblait le plus proche de notre désir d’éthique. On voulait le choisir, mais pas au prix de ne pas voir la réalité.
13La réalité était que les deux modèles se ressemblaient sur des points fondamentaux plus qu’on ne voulait l’admettre. Le modèle capitaliste exaltait sans pudeur l’individu et les droits, mais dans la réalité semblait considérer les règles comme un système fait surtout pour encadrer et contrôler ceux qui perdent dans la compétition pour le succès. Le modèle socialiste exaltait sans pudeur la dimension sociale de la personne, mais dans la réalité adoptait des mécanismes de promotion des individus forts et de contrôle social encore plus brutaux. Les deux, malgré les différences profondes, se basaient sur un défaut grave de participation. Les gens étaient plus gérés que respectés.
14Ces réflexions nous ramenaient à la question de l’identité des intellectuels. Quelle était notre tâche, dans la réalité et dans le monde des symboles (c’est-à-dire sur le terrain des mentalités) ? Deux points ressortaient avec beaucoup de clarté : le premier était l’importance de pouvoir faire référence à des valeurs éthiques, qui devaient être respectées, quel que soit le modèle de société. Ces valeurs pouvaient être les droits humains fondamentaux, parmi lesquels le droit de chacun de participer à tous les aspects de la vie sociale, le droit à ne pas être exclu. Le deuxième était l’importance de vérifier toujours, dans les pratiques concrètes, la valeur des choix idéologiques et techniques, de les évaluer pour leur capacité de produire des changements concrets dans la réalité, dans le sens des droits humains fondamentaux.
15Dans des processus sociaux conflictuels, déséquilibrés, contaminés par des idéologies qui justifiaient toute sorte de violences, incapables de créer l’espace nécessaire pour que tous puissent apporter leur contribution active à la vie sociale, la tâche des intellectuels pouvait être de travailler, à la fois, au changement de la réalité et des identités dans le sens des droits humains. Un choix éthique et politique qui ne pouvait pas s’identifier avec les stratégies et les règles qui sont à la base du fonctionnement des partis politiques, mais qui devait plutôt donner lieu à une activité de stimulation critique inlassable des partis, des institutions et des autres centres de pouvoir de la société, ainsi qu’à une activité innovatrice de formation des jeunes et des différents acteurs sociaux.
16Fort de ces belles idées, je rentrai en Italie en 1970. J’allai travailler avec Franco Basaglia, qui avait déjà essayé, dans les années 60, de transformer l’asile de Gorizia. Après un passage à Parme, Basaglia devint directeur de l’hôpital psychiatrique de Trieste. C’est là que commença le parcours qui a amené l’Italie a supprimer les asiles psychiatriques. En peu de temps Trieste devint un symbole de la lutte contre les institutions totales et le laboratoire technique pour les solutions alternatives à l’internement des patients. En repensant maintenant à ce qu’on a fait, je ne peux pas en oublier les paradoxes. Nous ne savons toujours pas ce qu’est la maladie mentale. Dans ces conditions qu’est-ce la psychiatrie ? C’était de la psychiatrie, ce qu’on faisait ?
17Je crois que c’était d’abord la tentative de se libérer des idéologies et des pratiques dont le résultat était la vie asilaire. On disait que la maladie était entre parenthèses. De fait, reconnaissant ne pas savoir ce qu’était, au juste, la maladie mentale, on se limita à s’occuper des personnes qui étaient enfermés. On s’occupa de leur redonner les libertés et les chances auxquelles tout être humain a droit. Mais le processus n’était pas sans surprises.
18C’était dur de découvrir que les mécanismes d’exclusion, dont tous étaient victimes, étaient actifs jusqu’entre eux. Même à l’asile il y avait les forts et les faibles, les privilégiés et les exclus. C’était dur de découvrir que nous, les médecins qui avions choisi de nous allier avec les malades, devions commencer par des actes d’autorité, en prenant toute entière la responsabilité d’enlever les obstacles que l’institution posait sur le chemin de la normalité. C’était encore plus dur de découvrir que nous, les défenseurs des droits des malades, étions considérés par la magistrature de Trieste presque comme des délinquants (l’agressivité des médecins traditionnels se traduisait par une pluie de dénonciations contre nous). Mais le plus dur c’était de découvrir que lorsqu’on déliait un malade nous étions les premiers à prendre le coup de poing qu’il avait rêvé si longtemps de pouvoir donner à quelqu’un.
19On devait d’abord redonner un pouvoir aux malades qui n’en avaient aucun ; mais après, tant que l’institution était là, il fallait accepter d’en devenir la contrepartie. Ce n’était pas cela qu’on voulait. On ne se sentait pas la contrepartie des malades, on voulait faire un chemin ensemble, eux vers une vie un peu plus digne et nous vers une profession un peu moins fausse. Il fut bientôt clair que c’était l’institution elle-même qu’il fallait dépasser. Il ne pouvait pas y avoir de relation honnête avec le malade dans une institution qui, certes, se transformait, s’humanisait, mais s’interposait toujours entre lui et la vie possible, en créant une vie artificielle, dans laquelle le pouvoir reste entièrement dans les mains du personnel.
20Là aussi c’était une question d’identité. Pour aider vraiment les malades à récupérer des composantes essentielles de leur identité possible, les médecins devaient renoncer à une partie rassurante et confortable de leur identité professionnelle. Une partie solide comme les murs de l’asile. La partie qui leur donnait un statut bien défini de pouvoir et une justification scientifique. Ils devaient accepter de remettre en question tout cela. Pour la raison éthique dont on parlait et pour ouvrir un nouveau champ de recherche. Un champ dans lequel on acceptait de travailler en tenant compte de toutes les variables du problème et non seulement de celles qu’on avait décidé d’inclure dans le cadre artificiel (asile, « réalité psychique », etc.) qu’on se donnait.
21Vous connaissez comment l’histoire s’est terminée. En 1978 le Parlement italien approuva presque à l’unanimité une loi, qui portait le numéro 180, qui supprimait les hôpitaux psychiatriques, en disposait la fermeture progressive et indiquait des mesures alternatives humanisées pour le traitement des malades, en leur reconnaissant tous les droits qui avant leur étaient interdits. Naturellement la loi 180 fut un point d’arrivée pour nous, mais un point de départ pour tous ceux qui, jusqu’à la veille, avaient espéré pouvoir continuer comme avant et qui, pendant des années, s’attachèrent à combattre la loi. Aujourd’hui il n’y a plus personne en Italie qui voudrait revenir aux vieux hôpitaux psychiatriques. Et finalement on peut parler, un peu plus honnêtement, de la question essentielle : qu’est ce que la maladie mentale ? Un parcours éthique a été fait. Un préliminaire indispensable pour aborder, comme il faut, des questions scientifiques.
22Mais il est surprenant de constater que ce parcours éthique a été accompagné par des changements qui ont investi aussi le terrain professionnel. D’abord notre travail, comme celui de tous ceux qui ont combattu les institutions asilaires, a démontré que les possibilités de réhabilitation de patients qu’on croyait perdus sont énormes. Cette partie du savoir professionnel a dû être complètement revue et aujourd’hui engage un grand nombre de professionnels de la santé mentale. Mais une conquête importante est aussi l’évidence que le travail psychiatrique doit tenir compte de la valeur symbolique de la réalité.
23La réalité, comme il arrive dans les asiles, entre lourdement dans le monde psychique et se traduit en images, désirs, connotations, mots et impressions qui jouent un rôle déterminant dans la construction et le fonctionnement de notre identité (notre instrument fondamental de survie et de recherche des satisfactions). Aucun psychiatre ne devrait l’oublier. Il faut tenir compte des rêves, mais aussi de la valeur symbolique de la gifle ou de la caresse qu’on reçoit. Il faut tenir compte des souvenirs, mais aussi de la valeur symbolique de l’argent qu’on a ou qu’on n’a pas. Cela veut dire beaucoup de choses : que le nombre de variables qui s’introduisent dans le travail de santé mentale augmente énormément, que la psychiatrie du futur ne peut être qu’un travail d’équipe, avec des fortes composantes interdisciplinaires, qu’il faut apprendre à connaître les effets symboliques des changements de la réalité et qu’il faut apprendre à agir directement ou indirectement (à travers les acteurs sociaux auxquels les travailleurs de santé mentale doivent se relier) sur la réalité, pour la valeur symbolique qu’elle a (et pour les effets bénéfiques que ces symboles peuvent avoir). Ainsi d’une question d’éthique naissait un nouvel espace scientifique.
24On découvrait, dans la pratique, la valeur de ce qui avait été objet des discussions avec Philippe. Il semblait se confirmer l’idée que la responsabilité des intellectuels et des professionnels est surtout d’exercer une critique profonde des idéologies et du fonctionnement des structures de la société, en ayant comme référence des paramètres éthiques et agissant, à la fois, sur la réalité et sur la valeur symbolique qu’elle assume, dans le circuit de production et reproduction des identités et des mentalités.
25En 1974 j’avais conclu mon parcours à Trieste. On avait beaucoup discuté avec Philippe (on se rencontrait tantôt en France, tantôt en Italie) des contradictions que les travailleurs sociaux devaient affronter dans la communauté. On parlait à l’époque de réforme de la santé en Italie. Et je voulais faire une expérience pour mettre en pratique les enseignements de l’expérience de Trieste et les nouveaux défis qu’elle avait stimulés. Je voulais construire une structure publique qui puisse s’occuper de tous les problèmes de base, sociaux et de santé, d’une population déterminée. L’idée était de créer une relation organique entre une population et ses travailleurs sociaux, pour aborder ensemble les questions sociales et de santé pour lesquelles il y avait besoin d’un travail professionnel.
26C’est ainsi qu’après une très longue négociation avec les autorités, se constitua le Centre de médecine sociale de Giugliano, quartier dégradé et violent à la périphérie de Naples. On avait obtenu de pouvoir mettre en fonction les services du Centre seulement après que la population se soit exprimée sur ses besoins et ses priorités. Pendant plusieurs semaines ma nouvelle équipe, qui comprenait les différentes spécialisations de base (médecine interne, médecine du travail, pédiatrie, gynécologie, maladies infectieuses, sociologie, psychologie et, bien sûr, psychiatrie), passa tout son temps à consulter les gens, à faire des réunions, à visiter les familles, les associations, les lieux de travail et, bien sûr, l’asile de Naples où les malades mentaux de Giugliano étaient internés.
27On voulait que le Centre corresponde aux besoins des gens et on voulait que, dès le début, ils se sentent protagonistes de la vie du Centre. Mais le problème était : comment peut-on connaître vraiment les besoins des gens ? Se présentait à nouveau, sous une forme plus complexe, le problème qui s’était déjà posé à l’asile. Giugliano n’était pas l’asile. Mais pouvait-on dire pour autant que les gens étaient libres ? À vrai dire il y avait aussi des ressemblances préoccupantes avec l’asile. Les jeunes chômeurs toujours debout près des cafés, sans rien à faire ; les éclats de violence en famille ou dans la rue ; la dureté des relations humaines, tendues entre la peur et la dépendance ; la pauvreté ; l’environnement profondément dégradé. Une première enquête se solda par un échec. Les gens demandaient qu’on ouvre une nouvelle pharmacie. Mais il s’avérait qu’à Giugliano il y avait une quantité de pharmacies bien supérieure à la moyenne nationale. On discuta avec les gens et on découvrit que le problème était qu’il n’y avait pas de rotation dans les horaires des pharmacies et que les gens à plusieurs reprises les avaient trouvées toutes fermées. Il demandaient une quantité de plus, alors que c’était la qualité qui manquait. Cela nous apprit beaucoup sur l’analyse des besoins.
28De ces expériences et des discussions avec un groupe de réflexion (le Groupe A) que Philippe Lucas animait (et dont certainement Albert Jakubowicz vous parlera), naquit ce que nous avons appelé l’analyse participée des besoins. Ce n’est pas un travail de spécialistes. C’est une sorte de négociation permanente entre les gens de la communauté et les travailleurs sociaux. On part du principe que personne ne sait réellement quelles sont les réponses justes aux besoins. Les gens perçoivent clairement le malaise ou le manque de quelque chose, mais sont amenés à désirer (et puis à demander) ce que l’environnement culturel et le marché leur suggèrent. Les travailleurs sociaux connaissent les prestations standard de leur profession (et pourraient induire les gens à les demander), mais ne savent pas exactement si elles peuvent vraiment répondre aux besoins. Une analyse honnête des besoins se vérifie quand chacun a le loisir d’exposer son point de vue : quand les gens peuvent examiner des alternatives pour choisir la plus avantageuse ; quand les travailleurs sociaux peuvent adapter les réponses professionnelles à la complexité des situations, sans se cacher derrière la barrière de la compétence.
29Le résultat est-il la réponse aux vrais besoins ? Pas du tout, puisque les vrais besoins n’existent pas. Le résultat est un compromis dans lequel chacun trouve au moins une partie de la satisfaction qu’il cherchait. Satisfaction des gens, en réponse à quelque chose qui leur manquait ou qui leur faisait du mal ; satisfaction des travailleurs sociaux, non seulement en termes professionnels, mais aussi et surtout en termes de qualité des relations humaines avec leur entourage.
30Pendant de longues années, Giugliano a été un point de référence pour les méthodologies de participation dans le travail social. Plusieurs réunions du Groupe A eurent lieu en Italie. Et le Centre fut riche d’expériences innovatrices qui avaient toutes en commun le même principe : les jeunes, les travailleurs, les femmes, les personnes âgées, les handicapés et, bien sûr, les malades mentaux (tous ceux qu’on appelait les « groupes homogènes » parce qu’ils avaient des problèmes analogues et étaient exposés aux mêmes risques) pouvaient être actifs dans le choix et dans la réalisation des activités du Centre. Ainsi, sur la place de Giugliano, l’association syndicale des personnes agées était chargée d’organiser les visites à domicile de ceux qui en avaient besoin ; les jeunes organisaient toute sorte d’initiatives, y compris celles qui pouvaient leur procurer un travail ; les associations d’agriculteurs organisaient la prévention concernant les dangers des pesticides et les risque d’accidents ; les enfants handicapés pouvaient aller à l’école normale et leur insertion était une occasion pour introduire dans les écoles des méthodes innovatrices de travail pédagogique ; les femmes organisaient les groupes pour le dépistage des maladies ou pour la préparation à l’accouchement et les malades mentaux faisaient leur parcours à rebours, de l’asile de Naples vers leurs familles ou la communauté.
31Encore une fois la question de l’identité était au centre de notre attention. Notre travail consistait à aider les gens à reconstruire une identité plus solide, plus autonome, plus capable de faire face aux situations difficiles et de chercher avec les autres une meilleure satisfaction des besoins. On faisait, en somme, un travail pour rétablir un équilibre dans leurs identités, qui avaient été poussées auparavant vers l’exaltation des aspects égoïstes et violents, sans même en tirer des avantages.
32L’expérience de Giugliano nous avait poussés à chercher à établir des contacts avec des professionnels qui travaillaient dans des conditions qui pouvaient ressembler aux nôtres. On avait établi des liens avec des expériences en Tunisie et en Algérie. On cherchait des alliés avec lesquels pouvoir discuter nos problèmes et partager notre recherche. Philippe Lucas connaissait bien l’Algérie. On discutait beaucoup des traces que le colonialisme avait laissées sur la culture et sur les services des pays en développement. L’expérience de Giugliano était passionnante, mais il était évident que notre prétention d’aller plus au fond des choses nous avait amenés beaucoup plus près des limites du travail social. Il suffisait d’une seule décision de la « camorra » (la mafia locale), ou des hommes politiques locaux tout-puissants, pour faire retourner les gens dans la dépendance et la peur. Plus d’une fois les groupes de pouvoir locaux (qui supportaient mal le foisonnement d’autonomies provoqué par le Centre) avaient essayé de faire fermer nos services. Et toutes les fois la population avait défendu son Centre et, une fois, avait même obligé le maire a donner sa démission. Mais il était de plus en plus évident que notre travail, tout en étant strictement professionnel, avait des implications politiques, qu’il était difficile d’affronter seulement au niveau local. On avait beaucoup de liens avec des professionnels des quatre coins du monde et parfois on les avait appelés à Giugliano pour discuter et pour nous donner du courage. On était de plus en plus convaincus qu’il fallait chercher à lancer un « mouvement », un réseau de relations entre les gens qui étaient engagés dans le même sens et qui souffraient de l’isolement et de la fragilité de leurs expériences, exposées aux contrecoups des pouvoirs forts traditionnels.
33En 1985 je décidai de quitter Giugliano pour assumer une responsabilité au Ministère des Affaires étrangères, dans la Direction qui s’occupe de l’aide aux pays en développement. C’était l’occasion pour tenter d’influencer des politiques, pour utiliser les expériences et les liens établis au profit de la diffusion internationale des contenus et des méthodes sur lesquels j’avais passé déjà vingt ans.
34Philippe pensait à son livre sur l’éthique. Et moi, j’étais de plus en plus persuadé que la question de l’éthique est au centre du changement possible et des nouvelles qualités dont les processus de développement ont besoin. Cette fois l’éthique n’était pas seulement le fondement possible des professions mais était envisagée aussi comme un possible point de référence des politiques de développement. Je racontais mes nouvelles expériences et décrivais l’abîme qui sépare le monde riche du monde pauvre. Philippe se demandait quelle pouvait être l’éthique de la coopération au développement, comment elle pouvait échapper aux nouvelles formes de colonialisme. Il avait probablement raison de douter que cela fût possible.
35Je racontais l’expérience de mes premières visites dans des camps où les réfugiés venaient d’arriver. Il y avait des gens privés de tout, des enfants avec le ventre gonflé, la peau sur les os et tout ce que la télévision nous montre de temps en temps. La chose qui m’avait frappait était le silence, le calme. Et le fait que les gens économisaient les gestes, et ne chassaient même plus les mouches qui se posaient en quantité sur leurs yeux et sur leur bouche. Et une autre chose m’avait frappé. Que les réfugiés qui avaient passé un temps dans les camps (qui sont généralement gérés par des bénévoles qui distribuent la nourriture et pourvoient à tous les besoins des réfugiés) parlaient un peu comme les internés des asiles : ils disaient que la bouffe était mauvaise, qu’ils voulaient rentrer chez eux et que les bénévoles étaient des fainéants.
36Nos discours sur l’identité s’enrichirent de nouvelles considérations. L’identité, on le sait, est l’instrument qui nous sert à canaliser nos énergies (nos affects, nos besoins) vers le choix des actions qui peuvent le mieux assurer la satisfaction des besoins. L’identité ne nous est pas donnée une fois pour toutes. Elle se construit petit à petit dans notre enfance, à l’aide des mots, des images, des symboles et des conditionnements qui proviennent des parents, des amis et de la société. Mais elle ne cesse jamais de se modifier et de s’adapter aux circonstances. Elle semble fonctionner par cycles. Le besoin apparaît et notre moi (notre identité) met en marche ses mécanismes pour rechercher la satisfaction. Nous sommes ainsi faits qu’un même besoin peut être satisfait avec une remarquable variété d’objets ou d’activités. Par exemple notre besoin de respirer peut être satisfait avec l’air pur de la montagne ou l’air pollué de la ville. Il n’y a aucun besoin qui puisse être satisfait seulement par quelque chose de pur.
37Si le besoin apparaît, si le moi fonctionne bien et s’il arrive à trouver un objet ou une activité qui provoque la satisfaction on peut dire qu’un cycle affectif positif s’est accompli. À chaque cycle affectif positif, le succès renforce notre identité, qui est encouragée à répéter l’expérience. Naturellement le cycle est positif même si dans l’objet satisfaisant que le moi trouve il y a une forte composante nuisible. Un grand nombre de choses qui nous entourent peuvent nous apporter une certaine satisfaction mais peuvent introduire en nous, en même temps, des éléments qui ne sont pas dans notre intérêt. Il faut savoir que cela est rendu possible précisément par la structure de nos processus vitaux ; et il faut savoir que n’importe qui peut essayer d’utiliser notre besoin de satisfaction pour faire passer ce qui l’intéresse. D’ailleurs le mécanisme fonctionne aussi pour des objectifs valables, comme le savent tous les bons thérapeutes de la réhabilitation.
38Si le besoin apparaît, si le moi fonctionne bien, mais n’arrive pas à trouver un objet ou une activité capables de provoquer la satisfaction, on peut dire qu’un cycle affectif négatif s’est accompli. À chaque cycle affectif négatif l’échec affaiblit notre identité. Si l’expérience se répète longtemps le moi, petit à petit, se comporte comme s’il ne croyait plus à la possibilité de la satisfaction et économise les dernières énergies. Ce phénomène se manifeste, par exemple, à travers le silence et l’immobilité des pauvres, que nous montre la télévision.
39Il y a enfin une troisième possibilité. Le besoin apparaît, le moi fonctionne bien, il n’arrive pas à trouver un objet ou une activité satisfaisante, mais il s’accroche à une autre possibilité qui lui est offerte : celle d’anticiper ou de remplacer avec des images (des symboles, des mots) la satisfaction qui aurait dû venir. Il s’accomplit ainsi un cycle de satisfaction symbolique, qui ne peut pas remplacer vraiment la satisfaction réelle, mais qui peut pour un temps être accepté par le moi, qui le prend pour une promesse de satisfaction. Les satisfactions symboliques ont une importance extraordinaire dans la vie sociale. Elles servent à gérer les frustrations du moi, elles le tiennent en tension à la recherche de quelque chose, le prédisposent à accepter des objets ou des activités qui contiennent une petite partie de satisfaction et une grande partie d’éléments parasites et lui suggèrent, le cas échéant, le symbole contre lequel orienter sa rage. Les satisfactions symboliques sont largement utilisées pour orienter le comportement et les idées des populations. Toutefois, elles ne peuvent pas remplacer à l’infini les satisfacions réelles. Lorsque la limite de tolérance est atteinte (par exemple lorsque le besoin de manger ne peut plus être satisfait avec les images des banquets à venir), on peut prévoir des phénomènes de violence, qui à travers des manipulations symboliques peuvent être orientés vers des boucs émissaires.
40On voit alors se préciser le travail critique des intellectuels dont on parlait au début. Aider à construire des identités plus fortes et indépendantes signifie beaucoup de choses. Signifie d’abord stimuler des processus d’analyse participée des besoins à tous les niveaux, pour diffuser l’expérience de pouvoir compter sur quelque chose dans la vie sociale et pour encourager les gens à répéter cette expérience. Pour les travailleurs sociaux et tous ceux qui s’occupent de développement, cela signifie savoir aider les gens à accomplir le maximum possible de cycles affectifs positifs, dans lesquels le succès peut être effectivement obtenu. Mais il faut faire attention à ce que les succès ne soient pas attribuables aux intellectuels, aux travailleurs sociaux ou aux volontaires, ce qui ne peut que déprimer les gens et créer dépendance, passivité et agressivité. Il faut, au contraire, que les succès soient recherchés ensemble avec des méthodes qui permettent aux gens de s’approprier ces succès. Les méthodes qui doivent accompagner la recherche de succès doivent se baser sur un rôle actif des gens, rôle qui se traduit en symboles d’autonomie et de confiance dans ses propres forces, symboles qui vont renforcer l’identité des gens.
41La tâche la plus difficile des intellectuels et des travailleurs sociaux est celle de combattre les cycles de satisfaction symbolique, lorsqu’ils sont utilisés par les groupes forts (ce qui arrive fréquemment) pour orienter les populations, les conditionner et obtenir leur consensus à propos de choix qui servent à consolider les processus d’exclusion ou de reproduction des modèles déséquilibrés de développement. On voit l’importance de cette tâche si l’on pense comment il est facile de pousser les gens à faire des choses qui ne sont pas dans leur intérêt. On peut amener des populations de différentes ethnies, qui vivent ensemble pacifiquement, à se détester et à s’entretuer (comme il est arrivé en Bosnie) ; on peut orienter les gens vers des consommations qui sont en train de détruire les possibilités de développement futur ; on peut manipuler les électeurs et les décourager de participer à la vie démocratique ; on peut déchaîner la haine raciste et ainsi de suite. Tout cela peut être combattu, si on adopte les méthodes d’analyse participée des besoins et de construction d’identités autonomes et équilibrées.
42Ces idées ont été à la base d’une multiplicité d’expériences qu’il a été possible de réaliser en différents pays pendant ces quatorze dernières années. Des expériences qui ont enrichi énormément le champ de la lutte contre l’exclusion sociale. Je ne vais pas en parler, mais je dirai seulement qu’aujourd’hui les réseaux et les mouvements de personnes engagées, dans une approche que Philippe Lucas aurait appelée éthique et critique, sont beaucoup plus forts que dans le passé, quand on en rêvait à Giugliano.
43Je vais terminer en disant quelques mots sur les nouveaux défis auxquels les intellectuels doivent faire face aujourd’hui. Après la fin de la guerre froide, la communauté internationale a recherché une nouvelle base idéologique, pour remplir le vide laissé par la fin de l’opposition entre capitalisme et socialisme. Dans les années 90 une série de grands sommets mondiaux a eu lieu. Ils ont produit chacun sa déclaration et son programme d’action. L’ensemble de ces documents (ceux qui veulent gagner du temps pourront consulter le document final du sommet mondial de Copenhague sur le développement social, qui les résume tous) constitue une sorte de plateforme internationale pour le développement futur, qui a été souscrite par tous les gouvernements du monde. Cela fait plaisir de constater que la lutte contre l’exclusion sociale et la promotion de la participation de tous aux processus de développement sont devenues, officiellement, les objectifs principaux de la communauté internationale. Ce qui il y a trente ans était le choix d’une minorité fascinée par l’éthique et la critique est devenu aujourd’hui un patrimoine idéologique de tous.
44Malheureusement la réalité va encore dans le sens contraire. Si bien qu’il nous reste tout à faire. Il nous reste, dirait peut-être Philippe, le terrain des pratiques, la critique de la distance entre les mots et les choses, la nécessité de consolider les réseaux d’expériences éthiques pour qu’ils soient stimulateurs de nouvelles politiques de développement humain. Il y a du travail pour les intellectuels. Il y a des identités à renforcer, à changer, à doter des armes de la critique, à commencer par la nôtre.
45C’est quand je pense à tout ça que je ressens davantage le manque de Philippe et de la chaleur affective qui nous liait.
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