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Chapitre III. Typologie des formes de l’architecture

p. 135-160


Texte intégral

I- Méthode : deux typologies complémentaires pour analyser les formes architecturales et leurs fréquences

1Certaines fermes, à un moment au moins de leur histoire, comprenaient un unique bâtiment rassemblant toutes les fonctions de l’exploitation rurale. D’autres possédaient, dès l’origine, plusieurs bâtiments disposés autour d’une cour fermée. On a vu des bâtiments construits en pisé, d’autres construits en pierre. Formes, disposition des locaux, matériaux de construction semblaient varier principalement en fonction de la taille de l’exploitation et de l’époque de construction. Il importe de classer maintenant toutes les formes architecturales rencontrées, d’établir leurs filiations si elles existent, et d’évaluer l’importance quantitative de chacune des classes. Enfin, il faudra si possible établir l’existence d’une logique des transformations, d’un processus susceptible d’expliquer leurs tendances.

2Nous procéderons en deux étapes. Dans notre corpus de 42 spécimens, nous avons regroupé les maisons en cinq grandes familles, elles-mêmes divisibles en sous-familles. C’est ce que nous appellerons la « typologie ethnographique », parce qu’elle provient presque exclusivement d’observations approfondies faites sur le terrain. Nous nous sommes ensuite attaché à analyser la totalité des fermes et des maisons rurales d’un territoire bien délimité, géographiquement et sociologiquement, notre choix s’étant fixé sur la commune de Coise que nous connaissons bien. Cette commune présente en outre l’avantage d’être de taille raisonnable (110 maisons en 1817, autour de 150 avant la Première Guerre mondiale). Il s’agit là d’une étude exhaustive, pour laquelle les documents de base sont les cadastres de 1817 et son état en 1914 (complété par récurrence par le cadastre révisé de 1934). Nous allons ainsi retrouver l’échantillon sur lequel nous avions travaillé dans la précédente partie de cette étude et nous pourrons vérifier les hypothèses qui avaient été formulées alors sur la tendance à l’uniformisation de l’habitat au XIXe siècle.

II- La typologie ethnographique

3Quels sont les caractères de l’architecture rurale des Monts du Lyonnais qui permettent le mieux de distinguer entre plusieurs types de fermes, de constituer une organisation raisonnée des formes bâties, qui puisse favoriser une approche rigoureuse de leurs significations historiques et sociales ? Construire une typologie, c’est faire un choix entre des caractères qui paraissent plus ou moins pertinents. Les raisons de ce choix doivent donc être expliquées.

4Nous avons vu déjà comment évoluaient les formes de groupement, les surfaces bâties et le revenu des maisons en fonction des transformations de la société rurale. Rappelons que la tendance était, au XIXe siècle, à un resserrement vers un modèle d’exploitation unique (bâtiments, mode d’exploitation, taille, spécialisation des cultures), tranchant avec la stratification sociale et professionnelle du siècle précédent. Retrouve-ton cette évolution dans les formes de l’architecture ? Cette question a guidé notre choix des éléments pour former une typologie.

5Dans un premier temps, nous déterminerons le prototype de cette ferme du XIXe siècle, grosse bâtisse en forme de U dont les trois ailes s’élèvent autour d’une cour fermée ; puis, nous rechercherons systématiquement les formes antérieures et contemporaines. Les principaux caractères que nous retiendrons sont les suivants : position respective des bâtiments d’exploitation et d’habitation (alignés, décalés en équerre ou face à face ; contigus, séparés, ou réunis par un chapit) ; nombre d’ailes bâties (habitation, exploitation et hangar). La totalité de notre corpus sera analysée selon ces critères.

6Deux types de tableaux seront ensuite présentés : un premier tableau des formes théoriquement possibles ; et un second des occurrences rencontrées sur le terrain. Nous laisserons de côté les deux types les plus anciens, la grange médiévale et la ferme à trois niveaux caractérisée par la superposition de l’étable et de l’habitation. Toutes deux ne sont plus construites dès le milieu du XVIIe siècle. Absentes des tableaux, nous les décrirons toutefois dans la typologie.

7L’ordre de cette typologie est chronologique, selon l’époque de plus grande fréquence de chacun des types définis. Nous avons choisi une logique de présentation historique, mais il doit être bien entendu que nous avons procédé par récurrence. La principale faiblesse de cette approche est de ne pas rendre compte de la représentativité statistique de chaque type à toutes les époques. Elle permet, par contre, de retrouver les filiations d’une forme à l’autre. La fréquence de chaque type sera examinée dans la seconde phase, à deux dates précises, grâce à l’analyse des plans et matrices cadastrales. (Figure 8)

1. Les granges d’origine médiévale (type I)

8Ce sont certainement les fermes les plus anciennes de la région, et beaucoup d’entre elles ont laissé leur trace dans la toponymie. Leur origine est médiévale et, au XVIe siècle, elles appartenaient souvent à de riches Lyonnais ou Pelauds. Les bâtiments sont disposés autour d’une vaste cour fermée qui dépasse les 1 000 m2. Au centre, il y a souvent un puits. Sur deux des côtés, on trouve l’habitation et les étables. Les appartements étaient assez vastes pour loger une famille de métayers et de nombreux manouvriers. L’unique portail d’entrée est souvent surmonté de mâchicoulis (ferme de la Grand’Croix à Chazelles). Dans un angle, une tour ronde dépasse légèrement les toitures, c’est le pigeonnier, privilège semble-t-il ici bien respecté des propriétaires nobles sous l’Ancien Régime.

9Ces granges étaient nombreuses autour de Saint-Symphorien et, hors de la région étudiée, sur le plateau lyonnais. Leur localisation, leurs équivalents, fréquents dans de nombreuses autres régions proches ou lointaines, par exemple le Mâconnais, la plaine du Forez, le nord des Monts du Lyonnais (Royer, 1979), nous ont conduit à leur donner une place particulière dans les modèles qui ont pu inspirer l’architecture rurale vernaculaire. Mais elles ont été souvent remaniées et divisées en deux ou trois fermes, ce qui gêne considérablement l’étude de leurs formes d’origine.

10Nous ne les décrirons pas en détail. Il faut néanmoins souligner (influence qu’elles ont pu avoir, entre la fin du Moyen Âge et le début du XVIIe siècle, époque de construction des premiers témoins qui nous sont parvenus et que nous avons pu dater avec une certaine assurance. Il est en effet fort possible que les premières constructions à cour fermée se soient inspirées des plans des anciennes granges. À notre avis, seule une vaste étude comparative qui relèverait les occurrences des fermes à cour fermée et des granges au XVIIe siècle dans de nombreuses régions pourrait apporter confirmation de cette hypothèse.

2. Les maisons-blocs à trois niveaux (type II)

11Il s’agit du type de ferme le plus ancien après la grange, puisqu’il est probable qu’on le trouve dès la fin du XVIe siècle ou le tout début du XVIIe (Choules, maison Pupier, photo 20). Il existe quelquefois, avec de nombreuses modifications, tout au long des siècles suivants, mais réservé aux micro-exploitations.

12Le modèle ancien est caractérisé par sa forme plutôt carrée et par la spécialisation précise des trois niveaux. Le rez-de-chaussée, légèrement en-dessous du sol de la cour, est formé de la cave et de l’étable, dont la faible hauteur fait penser qu’elle devait abriter plutôt des moutons que des bovins. Au-dessus, une ou deux vastes pièces d’habitation et un petit local, probablement un débarras. Sous le toit à quatre pans, un grenier. Les deux niveaux supérieurs sont accessibles par des galeries, les aîtres.

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Figure 8. Schéma des types ethnographiques

13Nous n’avons visité qu’une seule ferme de ce type. Un second exemplaire, la maison Pupier, est cité dans un article de la Revue du Groupe historique et archéologique de Chazelles-sur-Lyon après qu’elle ait été démolie en 1976. Mais plusieurs, encore debout, en sont assez proches. On perçoit encore nettement les trois niveaux spécialisés et le plan général, malgré les modifications déjà anciennes qui ont été apportées.

14D’autres formes de maisons-blocs ont existé depuis le XVIIe siècle, mais elles se distinguent du modèle précédent par la disposition différente de l’étable. Le bâtiment est divisé en trois ou quatre unités d’égales dimensions disposées en enfilade, qui communiquent les unes avec les autres, à savoir une ou deux pièces d’habitation, une étable et un hangar. À l'étage, des greniers et un fenil. Au-dessous de l’une des pièces, une cave unique. Si on se réfère à ce qu’on lit des professions des habitants, dans les contrats passés devant notaires ou dans les matrices cadastrales, nombreux sont les cas où l’étable ou la chambre sont remplacées par la » boutique » dans laquelle travaille le cloutier, ou par l’atelier du charron. Il arrive aussi que l’étable soit sous les appartements, comme cela nous a été indiqué pour une vieille et petite maison de Châtelus, maintenant détruite. Quand elles sont antérieures au XIXe siècle, ces maisons semblent avoir toujours été munies d'aîtres situées dans le prolongement d’une avancée du bâtiment.

15Les maisons-blocs à trois niveaux sont beaucoup plus nombreuses au Nord de la Brévenne, même si on a bâti au XVIIIe siècle des étables distinctes dans la plupart des cas. Elles possèdent aussi des aîtres beaucoup plus vastes, souvent constitués de deux galeries superposées. Par leur forme générale, la présence d’un escalier extérieur se terminant devant l’entrée par un perron, elles sont aussi assez proches des maisons anciennes des polyculteurs-vignerons du Bugey et du Beaujolais (Royer, 1978, LY 04 et LY 19 dans la partie primitive). Mais rien ne nous permet de penser qu’il ait pu y avoir un cuvage comme dans ces dernières, bien qu’on sache que la vigne n’était pas absente de la région (supra).

3. La maison à deux corps et sans cour des petites exploitations (type III)

16Lorsqu’on examine sur le cadastre napoléonien les plans de masse de chaque maison, on trouve peu de bâtiments strictement rectangulaires, comme ceux que nous venons de décrire. Beaucoup de petites maisons ont des formes de parallélépipèdes isocèles ou sont constituées de deux parties contiguës plus ou moins en équerre. Ceci est surtout vrai lorsqu’elles sont situées dans des hameaux. Aujourd’hui, presque toutes ont été démolies, intégrées à des constructions voisines ou agrandies pour être transformées en véritables fermes. Nous avons pu reconstituer le modèle à partir des bâtiments d’origine d’une ferme visitée à Aveize, au hameau de la Croix-Trouilloux, qui n’ont pas été modifiés depuis la confection du cadastre napoléonien. Nous avons retrouvé ce modèle dans de nombreuses maisons rurales antérieures à 1815, dans toutes les communes visitées mais aussi à travers les souvenirs des travaux effectués, transmis dans les familles de génération en génération. Les locaux ont souvent changé de destination ou ont partiellement été démolis, mais il reste toujours quelques pierres d’angle ou une ferme de l'ancienne charpente.

17Les deux bâtiments sont généralement de dimensions à peu près égales, de forme carrée ou légèrement allongée. L’un comprend la cave, l’unique pièce d’habitation et un grenier auquel on accède par une échelle. L’autre, l’étable et le fenil ouvert sur un côté. L’entrée de l’étable est normalement protégée par un chapit qui relie les deux bâtiments s’ils sont séparés, ou qui sert d’auvent s’ils sont contigus et décalés. Le fenil s’ouvre également sous le chapit. Par contre, dans la plupart des cas, la porte de la maison, en façade, est juste protégée par la saillie du toit. On y accède par des aîtres.

18À Coise, on voit que nombre de fermes, généralement celles qui sont connues pour être les plus anciennes, devaient avoir un plan analogue avant la Révolution. Or, la plupart d’entre elles appartenaient à l’époque à des cultivateurs propriétaires, exploitant quelques arpents. Et comme nous l’avons vu (Supra, 2e Partie, chapitre 1), ces fermes étaient dans leur très grande majorité situées dans les hameaux, contrairement aux exploitations de placement des bourgeois citadins.

19Deux sous-types peuvent être reconnus. Le premier est le plus fréquent : les deux bâtiments sont contigus mais décalés l’un par rapport à l’autre, les portes d’entrée sont soit sur le même plan, soit sur des murs perpendiculaires. Le second est formé de quelques petites fermes dont l’étable et la pièce d’habitation sont dans l’alignement l’une de l’autre, mais séparées par un chapit. Cette deuxième ferme s’agrandira aisément autour d’une cour fermée par la construction d’un grand hangar en équerre, passant alors au type IV (voir infra). (Figure 9)

20Nous n’avons trouvé aucune mention de ces maisons à deux corps dans les ouvrages sur l’architecture de la région. Mais gardons-nous d’affirmer qu’elles n’existent pas ailleurs : nous avons vu qu’elles ont généralement été profondément modifiées, et beaucoup ont été démolies au siècle dernier. Elles ont fort bien pu passer inaperçues aux observateurs de l’architecture paysanne.

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E : étable
M : maison (habitation
C : chapit (hangar)
Figure 9. Exemples de variantes des modèles anciens (Types ethnographiques III et IV)

4. Les fermes à cour fermée (type IV)

21Sur le plan cadastral de Coise, daté de 1817, on les repère généralement par la présence d’une partie non hachurée sur une parcelle dite bâtie. La plupart de ces fermes sont encore debout aujourd’hui, et la majorité d’entre elles n’a subi que des modifications infimes, par exemple l’adjonction d’un appentis ou l’allongement de l’étable.

22Les deux bâtiments principaux, l’habitation et l’étable/grange, sont généralement disposés perpendiculairement, de chaque côté de la cour. Ils sont réunis d’un côté par un vaste hangar, sous lequel se trouve la porte cochère, de l’autre par un simple mur d’enceinte, souvent percé d’une petite porte (ou d’un second portail plus petit que le premier). Les toits ont des croupes importantes. Les murs sont en pierre, bien que parfois le haut d’un pignon donnant sur la cour soit en pisé. Les cours sont pentues, et parfois au nombre de deux, une haute et une basse, séparées par un mur de soutien. La grange s’ouvre toujours en haut de la cour, le plus souvent sous le chapit, et les portes de l’étable sont toujours plus basses que celles de la grange par rapport à la pente de la cour.

23Dans ce schéma général, des variations nombreuses peuvent se présenter. L'étable et l’habitation peuvent être mitoyennes, juste séparées par le fournil. Le nombre de caves est variable, et il est probable que les plus anciennes des fermes en aient eu une unique, située sous la pièce commune. C’est, semble-t-il, au XVIIIe siècle mais surtout après l’essor de la culture de la pomme de terre que les caves ont pris de l’importance. En revanche, les greniers sont presque toujours vastes et assez hauts, ayant un accès extérieur par une échelle de meunier. Ils servaient surtout à entreposer le grain et à étendre le linge sale qui attendait sur des cordes la lessive biannuelle.

24Le bâtiment d’habitation comprend une maison, la pièce commune, dont la surface dépasse souvent les 45 m2, un fournil et une laiterie. Souvent il y a une « grande chambre » dans laquelle on recevait les invités de marque, ou parfois une petite chambre avec un lit ou deux.

25La disposition des pièces peut présenter une variante, qu’on a retrouvé deux fois. La salle commune et la grande chambre sont séparées par un vestibule dans lequel ouvre la porte d’entrée. Du fond du vestibule partent les escaliers pour la cave et l’étage supé rieur, qui peut être divisé en chambres à coucher. Ces deux fermes peuvent être rapprochées de la maison de marchand située à Coise, dont le plan est identique. Toutes trois ont été construites à la même époque (fin XVIIe-début XVIIIe siècle).

26Au milieu du XVIIIe siècle, une disposition nouvelle apparaît. La grange et l’habitation sont face à face de chaque côté de la cour et non plus perpendiculaires. Les bâtiments sont un peu plus étroits. L’habitation est composée de trois pièces en enfilade : une grande chambre au bas de la cour, une salle commune et une laiterie. La laiterie est parfois située dans un fournil qui, dans les plus grandes fermes, peut être une pièce supplémentaire. Ces fermes sont très proches de celles que nous retrouverons au siècle suivant. La disposition des bâtiments est à peu près la même, mais les proportions sont moins régulières et les équerrages nettement moins rigoureux. (Photo 16)

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Photo 16. Ferme en U
Construite en 1800, cette ferme est caractéristique des « grosses » fermes élevées depuis le dernier tiers du XVIIIe siècle qui annoncent le modèle en U du XIXe siècle. Le portail, au premier plan, est le portail annexe, ouvert il y a moins de cent ans
Coise, mars 1987

27Ces dernières fermes étaient souvent, au XVIIIe siècle, à la tête des plus grosses exploitations. Elles appartenaient à des forains, nobles ou bourgeois de Lyon et de Saint-Symphorien (voir supra). Nous avons vu précédemment qu’on y cultivait surtout des céréales et qu’on y faisait de l’élevage ovin et bovin. Une autre disposition, assez rare mais présente du début du XVIIe au début du XIXe siècle, se distingue par l’emplacement différent du bâtiment d’habitation. C’est une grosse bâtisse de plusieurs pièces avec, souvent, un second étage Elle est indépendante des bâtiments d’exploitation. Sa façade ne donne pas sur la cour. Il peut y avoir un second logement d’une pièce unique, situé à côté de l’étable, pour les ouvriers ou les métayers. Ce sont les plus grosses fermes, et des maisons qu’on peut qualifier de bourgeoises. Elles ont été souvent construites par des marchands qui y logeaient à demeure. (Photo 17)

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Photo 17. La plus belle maison de la commune
Construite vers 1690, elle appartenait alors à une riche famille de laboureur/marchand. Elle est la seule maison de la commune à posséder une cave à vin
Coise, juillet 1986

28À côté des grandes fermes, qui sont généralement bâties sur trois ailes, on trouve sur les plans de Coise de 1817 un nombre non négligeable de fermes plus petites, construites en équerre. Aujourd'hui elles ont presque toutes une troisième aile qui ferme la cour. Les autres ont leur cour fermée par un mur sur un côté ou deux. On a continué à construire quelques fermes en L à cour fermée au XIXe siècle. Dans la plupart des cas le bâtiment d’exploitation est relié à l’habitation par le chapit, qui se trouve par conséquent dans l’angle des deux ailes.

29Pour résumer, ce sont quatre sous-types qui ont été dénombrés : les grandes fermes à trois ailes et bâtiments perpendiculaires réunis par un grand chapit, qui correspondent aux anciens domaines prérévolutionnaires ; les fermes en L plus petites, qui en s’agrandissant se rapprochent du modèle précédent ; les fermes à habitation et étable parallèles qui préfigurent le type du XIXe siècle, mais dont le plan est nettement moins régulier ; les fermes à trois ou quatre côtés bâtis mais à habitation séparée des bâtiments d’exploitation, qui appartenaient à de riches marchands, ou à des bourgeois forains.

5. La ferme U du XIXe siècle (type V)

30Nous avons vu son origine un siècle plus tôt dans le type IVb. Lui même découlait des fermes à bâtiments perpendiculaires du XVIIe et, plus loin dans le temps, síinspirait des granges médiévales. Aujourd’hui, les habitants de la région voient dans ces fermes les plus typiques des Monts du Lyonnais. (Photo 18)

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Photo 18. Ferme en U datant de 1860
Ici, l’habitation possède un étage supplémentaire avec chambres
Pomeys, juin 1986

31Le type de ferme en U est caractérisé par quatre groupes de traits invariables. Il comprend au moins trois corps de bâtiments couverts, disposés toujours de la même façon, autour d’une cour en pente : les bâtiments d’habitation et d’exploitation se font face, et sont réunis en haut de la cour par un hangar ; les quatre côtés sont construits à angles droits, ce qui donne à l’ensemble une forme rectangulaire qui était rare dans les grandes fermes plus anciennes ; l’habitation comprend au moins trois pièces en enfilade, toujours dans le même ordre, de bas en haut dans le sens de la pente de la cour, la grande chambre qui fait office de pièce de réception, la maison, qui est le nom donné à la pièce commune, et le derrière de bretagne, petite pièce située derrière la cheminée de la salle commune, utilisée comme laiterie et dans laquelle on faisait sécher les fromages en hiver. Nous étudierons en détail cette pièce dans un chapitre suivant. Le derrière de bretagne peut servir de fournil, quand il n’est pas dans une pièce distincte placée à la suite. Le bâtiment d’exploitation comprend au premier niveau, dans la partie basse de la cour, une étable appelée écurie et, au second niveau, une grange. La porte de la grange est toujours placée en amont de celle de l’étable. Dans la partie haute sont entreposées, souvent, les bottes de paille (qui peuvent aussi être empilées sous le hangar) et un char doublier. Au fond est entassé le foin pour nourrir les bêtes en stabulation au-dessous, en le faisant tomber par des crèches creusées récemment au-dessus des mangeoires.

32La première des variations est l’adjonction d’une quatrième aile bâtie, qui est toujours un second hangar. Il est rare que ce hangar soit prévu dès le départ. Il s’agit plus souvent d’une construction datant de la fin du XIXe siècle, au moment où l’outillage et les véhicules se sont multipliés dans les fermes. Souvent, contre ce mur, au bas de la cour, on bâtit des écuries à cochon, qu’il y ait ou non un chapit.

33Le bâtiment d’habitation est le plus typique, bien qu’il soit celui qui ait le plus changé avec les époques et les lieux. À Pomeys, il est fréquent, dès la seconde moitié du XIXe siècle, qu’il présente un retour perpendiculaire dans lequel sont aménagées la grande chambre et une petite chambre pour les parents. À Saint-Martin-en-Haut, Larajasse et plusieurs communes de l’est des Monts du Lyonnais, les bâtiments ne sont plus allongés le long de la cour, mais ont des proportions plus massives. Souvent, aux trois pièces initiales s’ajoutent un fournil, construit après le derrière de bretagne, et un petit évier dont la localisation est variable, mais qui est toujours du côté opposé à la grande chambre. Lorsqu’il manque, la pierre d’évier est posée dans un couloir longeant le derrière de bretagne et le fournil, ou dans le derrière de bretagne même. Ce dernier est souvent appelé chambre de bretagne lorsque qu’on y couche.

34Pour ce qui concerne les portails, les toitures et menuiseries, on se reportera aux chapitres qui leur sont consacrés. L’évolution de l’emploi des matériaux et celle des techniques de construction ont été traitées dans les chapitres consacrés à la maçonnerie. Rappelons simplement les traits principaux. (Figure 10)

35Il est fort probable que les petites fermes de types II et III aient été depuis longtemps en pisé de terre. Les fermes du type IV, par contre, sont en pierres jointées, parfois beurrées jusqu’au milieu du XVIIIe siècle. Pendant une petite cinquantaine d'années, le pisé prend de plus en plus d’importance et les fermes construites après l’élaboration du cadastre napoléonien sont, dans un grand nombre de communes, toutes bâties en terre au moins aux deux tiers jusque vers 1880. Après cette date, la pierre est à nouveau largement employée, mais le nombre de constructions fléchit fortement. On peut donc admettre que le type IV correspond à une période de construction en terre, qui est d’ailleurs parfaitement adaptée à ses lignes orthogonales.

36Certaines fermes anciennes des types II, III, ou IV, ont beaucoup évolué depuis cent cinquante ans. Il est difficile de les raccrocher à un type établi. Le plan issu des travaux est autant fonction des choix architecturaux qui sont faits d’après le modèle du type V que des contingences de l’aménagement qui doit tenir compte des bâtiments existants. Généralement, on ajoute une pièce supplémentaire pour avoir une grande chambre à la suite de la salle commune, en même temps qu’on construit une nouvelle étable à quelques mètres de la maison. Mais il n’est pas rare que l’étable soit placée en équerre, surtout lorsque la ferme reste de petite taille. Dans le premier cas, le chapit est le plus souvent bâti entre les deux bâtiments et on se trouve devant une ferme de type V tout à fait normale. Mais il arrive également que dans un premier temps on se contente de l’ancien petit hangar, ou qu’on en ajoute un second devant l’étable ou n'importe où ailleurs dans la cour.

Tableau X. Résumé de la typologie ethnographique

Types et sous-types

Nom du type

Nombre de côtés bâtis

Relation spatiale entre bâtiments d’habitation et d'exploitation

I

Grange

4

Séparés

IIa

Maison-bloc à trois niveaux plus galerie

1

Étable sous habitation

IIb

Maison-bloc allongée

1

Étable/fenil à côté de líhabitation/cave

IIIa

Maison à deux corps contigus sans cour

1

Étable/fenil décalés de líhabitation

IIIb

Maison à deux corps

1

Étable/fenil séparés de l’habitation par un chapit

IVa

Domaine ancien

3 ou 4

Étable et habitation orthogonaux réunies par un chapit

IVb

Ferme en L

2

Étable et habitation díéquerre réunies par un chapit

IVc

Fermes en U primitives

2, 3 ou 4

Étable et habitation opposées réunies ou non par un chapit

IVd

Propriété « bourgeoise »

3 ou 4

Bâtiments díexploitation séparés de l’habitation principale

Va

Ferme en U du XIXe siècle

3 ou 4

Étable/grange et habitation opposées réunies par un chapit

Vb

Micro-ferme du XIXe siècle

2 ou 3

Étable/grange diéquerre à l’habitation et cour fermée

37Il faut enfin citer dans les fermes à cours fermées certains cas extrêmes, mais exemplaires, de l’importance accordée à la cour fermée à la fin du XIXe siècle. Une ferme de Coise, aux Grands Peupliers, en est le meilleur exemple. Elle a été construite en deux étapes. Tout d’abord, l’habitation était face au portail, avec un four à pain. À main gauche, au fond, une petite étable pour deux ou trois bêtes, avec au-dessus, probablement, un fenil. Devant l’étable, un chapit. La surface totale était de 150 nT répartis à peu près en 60 nT pour le bâtiment d’habitation/exploitaiton, 40 m2 pour le chapit et 50 m2 pour la cour. Dans une seconde étape, on a démoli l’étable pour agrandir le chapit, on a transformé l’habitation en étable, et on a construit sur la cour un bâtiment d’habitation d’une quarantaine de mètres carrés. Reste un trabli de 2 m x 4 m pour entreposer les fagots, et une cour d’une douzaine de mètres carrés ! (Photo 19)

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M : maison (logement)
C : chapit (hangar)
E : étable et grange
Figure 10. Exemples de variantes du modèle récent
(Type ethnographique Va)

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Photo 19. Très petite ferme en U
Superficie totale au sol de 150 m2
Coise. février 1987

III- Classement des formes de maisons rurales

38Après avoir analysé les différentes formes architecturales que nous propose l’étude ethnographique, il nous faut maintenant estimer la manière dont elles s’inscrivent dans un ensemble fini de possibilités. Concrètement, il s’agit de savoir quels ont été les choix faits par les constructeurs, soit au moment de l’édification d’une nouvelle ferme, soit à l’occasion d’un agrandissement significatif, ce qui nous permettra de mettre en évidence les principales tendances mises en œuvre dans l’organisation des espaces de la ferme. Nous allons réaliser une typologie des formes d’organisation spatiale des bâtiments, typologie théorique dans laquelle nous classerons les 42 fermes étudiées. Afin que la concordance entre les deux typologies soit possible et significative, cette typologie reprend des critères déjà retenus pour la typologie ethnographique, à savoir la disposition relative de l’habitation et de l’étable, puis le nombre de côtés bâtis (en excluant les simples murs d’enceinte des cours). Ces deux ensembles de critères seront croisés avec une nouvelle donnée, la nature de la liaison spatiale établie entre l’habitation et l’étable, analysée selon trois modes, les bâtiments pouvant être contigus, séparés, ou reliés par un chapit. (Figure 11)

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M : maison
F. : étable
C : chapit
Figure 11. Typologie théorique des formes d'organisation spatiale des bâtiments

39En tenant compte des différentes possibilités d’arrangement spatial des trois principaux bâtiments (habitation, exploitation et hangar), et du nombre d’ailes élevées autour de la cour, on peut donc faire le tableau exhaustif des plans susceptibles d’être construits. (Nous n’avons pas compté les fermes dont l’étable est située sous l’habitation, type IIa. On dénombre ainsi 50 occurrences théoriques, et 16 situations qu’on pourrait qualifier d’absurdes (deux termes des définitions sont en contradiction, par exemple « bâtiments d’habitation et d’exploitation disposés en équerre sur un seul côté »). La plupart des occurrences présentent une solution droite et une solution gauche, selon que le chapit est du côté de l’habitation ou de l’étable. Notons cependant, par exemple pour la série 300, que les schémas sont construits à partir d’une unique position de l’étable par rapport à l’habitation pour chacune des trois sous-séries 310, 320 et 330, afin de ne pas alourdir inutilement la présentation. Six d’entre elles n’ont qu’une seule forme possible. Nous avons considéré, pour alléger ce tableau, que les bâtiments étaient rectangulaires et qu’ils avaient les murs gouttereaux en façade.

40Par » décalés », nous entendons des bâtiments construits sur deux plans verticaux parallèles, qui ont donc leurs façades d’un même côté. Par « alignés », nous entendons des bâtiments qui sont construits sur un même plan vertical. Par « en équerre », nous entendons des bâtiments construits sur des plans à peu près perpendiculaires. « Face à face » signifie que les façades sont opposées, qu’elles se regardent.

41À partir du tableau présentant la typologie théorique des formes d’organisation spatiale des bâtiments (figure 11), il est possible de recréer les procédures de transformation que peuvent avoir subi les fermes. Quatre modules de base peuvent être déterminés : 111, 211, 312, 422. Chacun est à l’origine d’une chaîne de transformation, et correspond à l’une des quatre positions des bâtiments d’habitation et d’exploitation. Trois autres modules se distinguent par le type de liaison existant entre les deux bâtiments : 121, 221, 322, et sont à l’origine de nouvelles chaînes de transformation. Ces sept possibilités théoriques d’arrangement spatial des locaux ont la particularité d’être irréductibles les unes aux autres, c’est-à-dire qu’aucune transformation n’est possible permettant le passage de l’une à l’autre. Les chaînes de transformation ont jusqu’à trois maillons, qui aboutissent à seulement sept formes : 131, 133, 213, 233, 313, 333, 433, la forme 432 est envisageable mais très hypothétique. Nous voyons donc que les procédures théoriques de transformation, loin d’être aléatoires, suivent des règles spatiales très précises. Par exemple, une ferme de type maison-bloc allongée (module 211) qui se fermera progressivement autour d’une cour, acquerra la forme 213, sauf à changer complètement sa structure. On ne parlera plus alors de transformation, mais de reconstruction.

Tableau XI. Procédure théorique de classement et de transformation de la disposition des bâtiments

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42Nous avons ensuite analysé notre corpus à la lumière de ces modèles théoriques de transformation afin de saisir les principales tendances de l'évolution des formes. L’échantillon porte sur les fermes déjà considérées appartenant aux groupes IIb, III, IV et V. Nous les prenons dans leur état ancien, c’est-à-dire antérieur au cadastre napoléonien, ou au moment de leur édification pour les plus récentes, puis dans leur état au début du XXe siècle, une fois faite la grande évolution typologique du XIXe siècle. Les résultats comprennent les situations anciennes et les situation récentes pour chaque disposition.

43La tendance majeure porte sur la fermeture des cours, bien plus que sur la disposition relative des bâtiments, qui n’est qu’un moyen de réaliser ce projet. En effet le nombre de fermes dont l'étable et l’habitation sont construites du même côté passe de 8 à 3, c’est-à-dire que 5 fermes sur 8 ont été agrandies par adjonction d’un nouveau bâtiment sur une aile ou face au bâtiment d’origine. Cette tendance s’affirme plus encore lorsqu’on sait que les trois autres fermes sont entourées d’un mur qui clôt totalement la cour. Au début du XXe siècle, 28 fermes sur 39, soit les 3/4, ont habitation, grange et hangar bâtis sur trois côtés au moins ; habitation et grange sont mitoyennes dans huit fermes seulement, dont quatre remontent au XVIIe siècle ou au tout début du XVIIIe siècle, et quatre appartiennent à des micro-exploitations édifiées au XIXe siècle.

44On note, sur l’ensemble des deux étapes, 11 fermes dont les deux principaux bâtiments sont séparés sans être réunis par un hangar. Il s’agit pour la plupart de bâtiments d’anciens domaines présents déjà au XVIIe siècle (type IVd).

Tableau XII. Classement du corpus ethnographique

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45Le nombre de cas dans lesquels logement et étable sont alignés ou décalés passe de 10 à 7, alors qu’augmente sensiblement le nombre de fermes dont les bâtiments s’opposent de chaque côté de la cour (de 16 à 21). La plupart d’entre elles appartiennent dès l’origine au type V et ont été alors bâties depuis l’extrême fin du XVIIIe siècle, ou au type IV si elles sont plus anciennes.

46Nous voyons, à partir d’un échantillonnage relativement restreint, que toutes les occurences des séries 300 et 400 se réalisent au moins une fois, alors que dans les séries 100 et 200 les configurations complexes sont rares. Ceci indique que l’agrandissement des fermes (représenté dans le schéma par le passage de 001 à 003) s’est traduit en général par l’utilisation de nouveaux modèles et non par le seul aménagement des locaux anciens. La principale caractéristique de ce changement est l’éloignement des bâtiments d’exploitation associé à la fermeture de la cour, conduisant à la formation du type U que nous avons décrit. Cette tendance est confirmée par la démolition fréquente d’une étable située dans l’alignement de la maison, au bénéfice d’une étable construite en équerre ou face à la maison, et par la démolition d’une étable en équerre pour une étable bâtie face à la maison. La plupart des bâtiments ne sont pas agrandis à proprement parler, mais partiellement détruits et reconstruits en réutilisant matériaux et fondations. Dans beaucoup d’exemples que nous avons étudiés, les choses se passent de la sorte : la salle commune reste en place, en gardant le plus souvent ses dimensions d’origine ; à l'emplacement de l’étable est construit le fournil ou, plus souvent, la grande chambre (étable et grande chambre sont traditionnellement situées dans la partie basse de la cour), surélevée au niveau de la cuisine ou légèrement en-dessous. Le bâtiment d’exploitation est alors complètement neuf, constant à distance de l’habitation.

47On peut souligner enfin que les chapits sont plutôt du côté des étables. Toutefois, ce qui prime, pour un hangar, n’est pas d’être associé aux bâtiments d’exploitation, mais d’être correctement situé dans la pente de la cour, afin de ne pas être inondé en cas de pluie. Pour résumer, l’évolution des formes architecturales suit trois grandes tendances : réorganisation des locaux avec éloignement des étables, généralisation de la cour et construction sur quatre côtés octogonaux.

48Cette analyse des formes, qui tient compte de leur évolution depuis l’élaboration du cadastre napoléonien, vient en complément du classement sociologique que nous avions proposé plus haut. Il s’agit maintenant de vérifier si ces résultats, obtenus sur un corpus restreint, s’appliquent à l’ensemble des maisons de la commune de Coise ; nous avions établi qu’elle était typique des communes du sud des Monts du Lyonnais.

IV- Typologie systématique des maisons rurales de Coise

49Nous connaissons le paysage bâti de la commune de Coise par les clichés que nous avons faits, les plans cadastraux et les photographies aériennes de l’I.G.N. (Clichés 69 IFN 79, 0514 à 056). Il n’est pas toujours possible de connaître l’emplacement des différents bâtiments. Il n’y a guère de problèmes pour l’habitation, toujours repérable par les cheminées et les fenêtres (encore qu’un nombre important d’anciennes fermes soient maintenant totalement habitées). Mais la distinction entre le hangar et l’étable est souvent difficile, vue de l’extérieur, surtout quand l’exploitation ne fonctionne plus et qu’il n’y a pas d’évacuateur à fumier pour signaler l’emplacement des bêtes. Il faut donc parfois pouvoir vérifier sur place, en entrant dans les fermes, quels sont les emplacements respectifs des différents bâtiments.

50En nous inspirant des résultats précédents, nous avons établi une nouvelle typologie, plus simple, portant sur la totalité des maisons rurales coisataires en 1817 et en 1914. Les principaux critères retenus sont la disposition des bâtiments sans présager de leur spécialisation, la forme de la cour et le nombre de côtés bâtis. Ces trois critères seront mis en relation dans les tableaux avec l’ensemble des maisons de la commune pour les années 1817 et 1914. (Tableaux XIII, XIV et XV)

51Pour commencer, les maisons ont été regroupées en classes fiscales pour 1817. Nous avions vu en effet, dans la première partie, que la signification sociologique du classement fiscal était réelle au début du cadastre. Pour l'année 1914, l’effectif total considéré est de 137 fermes. Nous avons en particulier laissé de côté les maisons du nouveau bourg, celles qui appartenaient à deux propriétaires distincts et dont les limites ne pouvaient pas être précisées sur les plans, ainsi que certaines maisons de hameau trop enchevêtrées pour être individualisées. Pour 1914, la classification en fonction du revenu imposable des maisons fiscales n’a pas été retenu pour la raison qu’il n’y a pas de relation directe entre le revenu des maisons et les critères sociologiques, comme nous l’avons évoqué au début de cette seconde partie.

Tableau XIII. Typologie systématique des fermes et classes fiscales à Coise en 1817

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52La disposition des principaux corps de bâtiments a donné lieu à la définition de cinq formes types désignées par les lettres A, B, C, D, E. Les chiffres 1/1 indiquent un côté bâti, sans cour ; 1/4 indiquent un côté bâti avec cour (en particulier dans les endroits d’habitat groupé) ; 2/3 et 3/3 indiquent deux ou trois côtés bâtis formant un angle aigu et une cour triangulaire ; 2/4 indiquent deux côtés bâtis formant une cour rectangulaire ; 3/4, trois côtés bâtis formant une cour rectangulaire ; 4/4, quatre côtés bâtis tout autour de la cour.

Tableau XIV. Typologie systématique des fermes et nombre de côtés bâtis en 1817

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53Dans le type A, les locaux sont construits en enfilade, situation qu’on repère sur le plan cadastral par la présence d’un unique bâtiment allongé, d'une largeur comprise entre six et huit mètres, et de longueur plus variable, de six mètres (l’étable est alors absente) à une vingtaine de mètres. Très souvent le type À correspond au type II-2 de la typologie ethnographique, la « maison-bloc allongée ». À ce bâtiment principal peuvent être adjoints un ou deux appentis situés perpendiculairement.

54Le type B est assez proche du précédent, mais apparaît plus massif dans les représentations cadastrales. Le plus petit côté du bâtiment unique peut aller jusqu’à une douzaine de mètres, et le plus grand dépasse rarement le double du plus petit côté. Il correspond souvent au type ethnographie III-l, « maison à deux corps contigus et sans cour », dans lesquels étable et habitation sont sous le même toit, mais décalées l’une par rapport à l’autre. Comme le précédent, il peut être flanqué d’appentis, voire de petits hangars à partir desquels une cour est délimitée par un mur.

55Le type C est celui de la ferme en équerre, assez commune dans le Beaujolais (Royer, 1979). Contrairement au type ethnographique IV-2 duquel elle se rapproche, le retour de bâtiment n’abrite pas forcément l’étable, mais plus souvent un petit hangar. Parfois s’ébauche un troisième côté. Les constructions les plus récentes s’apparentent aussi au type ethnographique V-2.

56Le type D est composé de deux corps de bâtiments parallèles. Les enquêtes montrent qu’il s’agit presque toujours des bâtiments d’habitation et d’exploitation, le hangar étant situé du côté de l’étable et du fenil. Dans quelques cas, une petite construction amorce un troisième côté. Dans notre typologie ethnographique, ces fermes étaient comprises dans le type IV-3.

57Le type E est celui de la ferme à cour fermée « achevée », si l’on peut dire, les deux formes précédentes pouvant être considérées comme des étapes vers ce modèle. Presque toujours, les deux bâtiments principaux sont situés sur les côtés opposés, qu’ils aient été construits dans la même direction ou dans des directions perpendiculaires. Le chapit relie les deux parties et forme un troisième côté. Le type E est formé par les types ethnographiques IV-1, une partie du IV-3, le IV-4 et le V-l.

Tableau XV. Typologie systématique des fermes et nombre de côtés bâtis en 1914

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58L’évolution des formes de la cour est tout à fait significative des transformations de l’organisation spatiale des bâtiments. Les cours ouvertes passent de 39,1 à 24,8 %. Les cours carrées bâties sur un ou deux côtés de 43,6 à 31,4 %. Les cours carrées bâties sur trois ou quatre côtés de 11,8 à 42,3 %. Les seules fermes construites sur trois côtés passent de 9 à 49 unités.

Tableau XVI. Évolution des types architecturaux à Coise entre 1817 et 1914

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59En 1817, dans plus de la moitié des fermes l’habitation et l’étable étaient situées du même côté (type À et B) et la plupart d’entre elles n’avaient pas de cour (A-l-1 et Bl-1). Le type E représentait 14 fermes sur 110, soit 12,7 %. Les deux formes intermédiaires comptaient ensemble 31 % du total. La quasi-totalité des fermes des types C, D, E avait des cours fermées. Les bâtiments à cour fermée totalisaient un peu plus de 60 % de l’ensemble des fermes.

60En 1914, deux évolutions complémentaires ont lieu. 31 fermes supplémentaires appartiennent au type E, et un peu plus de 75 % du total de l’échantillon est constitué de fermes à cours fermées. Les types À et B perdent chacun une dizaine d’unités, ne représentant plus, au total, que 31,7 % des fermes. Les fermes des types C et D voient leurs fréquences augmenter, passant respectivement à 21,9 % et 15,3 %. Le type E atteint, lui, les 32,8 %.

61On peut préciser cette évolution en prenant en compte l’époque de construction des maisons existantes en 1914. Après 1817, on a bâti essentiellement deux types de fermes : les grosses avec cours fermées dont les deux bâtiments principaux se font face (type E) ; les petites également à cour fermée, mais les deux bâtiments étant en équerre ou dans l’alignement avec un hangar construit en retour (type C). Ces formes correspondent tout à fait aux types ethnographiques V et IV-5. Notons le nombre non négligeable de petites maisons allongées, postérieures à 1817, qui proviennent pour une part de la division de fermes plus importantes entre plusieurs héritiers. Ce facteur explique le nombre significatif de fermes des types A, B et C issues d’une modification d’une ferme antérieure à 1817.

62Le classement fiscal des propriétés bâties a subi des changements. En 1817, les différences sont nettes et les écarts assez stables entre les types À et B, B et C, D et E, les fermes des types C et D étant de valeur semblable. En 1914, l’adéquation entre les grosses fermes et le type E est toujours aussi forte, mais les maisons des trois premiers types sont devenues peu différentes du point de vue de leurs revenus. On note que les fermes à deux corps opposés du type D, qui sont souvent anciennes, sont estimées pour une valeur intermédiaire entre celles des trois premiers et celles du dernier type.

V- Un processus de transformation de l’habitat vernaculaire : la typification architecturale

63L'analyse rapide des formes de l’architecture que nous venons de faire confirme donc et précise les hypothèses formulées à plusieurs reprises au cours de ce travail. On assiste bien à une uniformisation de l’habitat rural au cours du XIXe siècle, qui fait suite à une diversité de styles et de dimensions encore très visible lors de l’élaboration du cadastre napoléonien. Ce mouvement d’homogénéisation des formes lent, progressif, qui s’étale sur plus d’un siècle, s’accompagne d’un resserrement de la superficie des fermes nouvellement construites (entre 550 et 1 000 m2), de l’emploi beaucoup plus fréquent de la terre dans la maçonnerie, d’une généralisation de quelques procédés décoratifs et techniques (génoises, construction en duites, charpentes à entrait et poinçon). Il s’agit d’un processus architectural majeur, marquant profondément le paysage, qui témoigne d’une évolution parallèle des manières de travailler et d’habiter. Ce processus, nous le désignerons sous le terme de typification. Que l’habitat se développe sur le modèle de la ferme isolée, autrefois réservée principalement aux domaines forains, et non sur le modèle « indigène » du hameau, doit avoir des relations avec l’évolution des pratiques sociales et du travail du paysan, d’autant plus que se développe alors une classe de petits propriétaires exploitants de plus en plus nombreuse.

64Bien plus que dans les anciens hameaux, ces fermes nouvelles sont soigneusement isolées de l’extérieur par quatre hauts murs qui leur donnent cet aspect de « forteresses » remarqué par de nombreux observateurs. Or, dès le milieu du XVIIIe siècle, peut-être même plus tôt, ce qui était une caractéristique des domaines s’étend à l’ensemble des grosses fermes, puis aux fermes petites et moyennes au cours du siècle suivant. Imitation d’un modèle architectural auquel est associé un statut social plus élevé ? Réponse forgée empiriquement à des problèmes essentiellement techniques (agricoles et artisanaux) et écologiques, en s’inspirant des diverses solutions existant localement, dont celle de la grosse ferme de rapport à cour fermée ? Volonté de s’isoler par individualisme, comme l’avance Pierre-Claude Colin (1982) ?

65Éparpillement de l’habitat et construction à cour fermée peuvent signifier une évolution du rapport des habitants au monde extérieur, les deux phénomènes définissant des espaces privés bien marqués dans tout le paysage. L’éloignement et la disposition des deux principaux bâtiments peuvent être en lien avec une évolution des représentations, de l’organisation même de la vie quotidienne, et de la gestion des activités domestiques et agricoles. Nous avions vu, en effet, que cette disposition n’était pas spécialement caractéristique des anciens domaines et qu’elle apparaissait déjà sur le cadastre napoléonien dans plusieurs fermes exploitées de longue date par leurs propriétaires laboureurs.

66Enfin, les gens attribuent aux cours fermées un rôle défensif contre les bandes de « chauffeurs » qui auraient terrorisé le Lyonnais après la Révolution. Mais si la typification prend bien son ampleur à cette époque, la fermeture des cours est, elle, bien antérieure. La Révolution a gardé une réelle vigueur dans la mémoire collective. Or, cette époque de troubles dans la région, qu’on a surnommée la « Petite Vendée », est aussi celle de la montée en puissance des petits propriétaires exploitants, profitant, à partir des années 1770, de la déprise foncière noble et bourgeoise. Ces paysans construisirent tous leurs fermes sur le même modèle, la ferme en U qui s’inspire elle-même de ces grosses fermes anciennes, que certains laboureurs et fermiers aisés ont achetées dans le dernier tiers du XVIIIe siècle. C’est de ces fermes justement que parlent les histoires de soldats « bleus » venus d’Auvergne ou de Lyon, à la recherche des prêtres réfractaires. Ce seraient elles les vraies « fermes-forteresses » qui résistèrent non pas aux bandits, mais aux soldats de la Révolution tentant de réduire cette région réfractaire qui connaissait depuis vingt ou trente ans les débuts d’une réelle démocratisation de la propriété.

67Ce sont ces thèmes et ces questions que nous développerons dans la dernière partie, en analysant l’habitat à la lumière des pratiques domestiques et des représentations collectives de la maison.

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