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Chapitre II. Une monographie communale : Coise

p. 49-66


Texte intégral

I- Sources et méthode pour une monographie communale

1Petite commune sans château ni bourgeoisie, que les propriétaires forains ont délaissée depuis le début du XIXe siècle, Coise n’a pas eu son érudit, notable local ou lyonnais en villégiature, qui aurait pu, comme en bien d’autres endroits, recueillir son histoire. Les documents qui permettent à l’ethnologue d’approcher le passé lointain de son terrain sont presque tous de première main. Quatre ouvrages seulement nous donnent des informations parcellaires : le Dictionnaire illustré des communes du département du Rhône (Rolland (de), Clouzet, 1901-1903) ; La Grande Encyclopédie de Lyon et des communes du Rhône (Pelletier, dir., 1980) ; le Dictionnaire d’Histoire administrative et démographique. Rhône (Garden et alii, 1978), et le témoignage d’Annie Bertrand (Bertrand, 1984) sur la vie des Coisataires et leur entrain à la suivre dans l’animation théâtrale qu’elle organise annuellement depuis 1947. Nous aurons parfois l’occasion de revenir sur ce dernier ouvrage qui décrit parfois quelques particularités de la vie sociale et des pratiques religieuses des habitants des Monts du Lyonnais.

2L’observation précise, ethnographique, accompagnée d’une large couverture photographique de nombreuses maisons de la commune, nous a montré que des changements architecturaux importants semblaient avoir été apportés pendant la seconde moitié du XVIIIe siècle. En suivant l’histoire de ces maisons à travers celle de leurs habitants grâce aux registres paroissiaux, aux archives notariales et aux archives de l’Enregistrement, nous avons pu retracer assez précisément l’évolution de l’habitat. À partir de 1820 nous disposons du cadastre dit napoléonien qui fournit des informations relativement fiables sur l’évolution de l’habitat et, dans une certaine mesure, sur les formes architecturales, ces données pouvant être utilement complétées par les Dénombrements de population effectués régulièrement à partir de 1836.

3Ainsi, pour couvrir deux siècles et demi d’histoire nous avons croisé de nombreuses sources archivistiques et documentaires. Les constructions nouvelles, les transformations, les disparitions de chaque maison ainsi que les caractéristiques sociologiques de chaque propriétaire ont été précisément suivies pendant le XIXe siècle et le début du XXe siècle. Pour la période antérieure ont été dépouillés les registres d’État-civil et les registres paroissiaux en cherchant toujours à préciser la résidence de chaque chef de famille. Le lien entre cadastre qui recense les propriétaires et registres d’État-civil qui répertorient les habitants quel que soit leur statut a pu être fait car à Coise, vers 1800, la plupart des habitants sont propriétaires de leur logement. Les informations de l’État-civil ont été analysées à la lumière des tables de l'Enregistrement (A.D.R., série Q), répertoriant les actes passés devant notaires, principalement les tables indiquant les changements de propriétaires et les tables des baux, ainsi que les rôles des tailles qui sont disponibles pour Coise entre 1771 et 1779.

4Tous les mariages célébrés à Coise entre 1737 et 1824 ont été relevés, ainsi que les « actes de toute nature » (mariages, décès, baptêmes) sur l’ensemble des XVIIIe et XIXe siècle pour une dizaine de familles, afin de disposer de témoignages longitudinaux sur les propriétaires de quelques fermes dont par ailleurs nous connaissions bien l’histoire. Pour cette période, l’évolution du statut de la propriété a été étudiée à partir de la « table des vendeurs » (A.D.R., série 339 Q3), des « tables des baux » et des « tables de mariages » qui indiquent les unions ayant donné lieu à contrat. En outre, ces registres comportent nombre d’informations sur les professions (notion qui doit être prise avec certaine prudence, nous le verrons), les origines géographiques et la fortune des Coisataires.

5Pour connaître le paysage rural et l’habitat d’une commune le cadastre est l’outil de base, incontournable. Paradoxalement il a fait l’objet de très peu d’analyses par les chercheurs, du moins si l’on se réfère à la bibliographie sur le sujet (à l’exception notable de Jouanne, 1933), et très rares sont les spécialistes de l’habitat qui l’ont utilisé de manière systématique. Son étude à une vaste échelle faisait pourtant partie des grands projets de Marc Bloch qui, au VIe Congrès international des Sciences historiques d’Oslo, en août 1925, chercha à convaincre ses collègues européens de se pencher résolument sur ces documents susceptibles d’être des outils précieux à une histoire comparatiste des systèmes agricoles et des paysages ruraux. En 1929 il faisait paraître dans les Annales d’Histoire économique et sociale la première analyse critique des plans parcellaires en France et à l’étranger.

6Dans le Lyonnais, une raison de cette désaffection (relative toutefois, voir Durand, 1979) vient peut-être des conditions difficiles de son dépouillement. L’un des principaux intérêts du cadastre est qu’il permet de visualiser rapidement, sur les plans, chaque parcelle dont on connaît par les matrices la nature et le nom du propriétaire. Les plans restituent donc une image fidèle et très évocatrice de la situation foncière et du paysage agraire. Or, pour la période ancienne, les plans sont déposés au service du Cadastre (également, parfois, dans les communes) et les matrices aux Archives départementales du Rhône. Une autre difficulté vient de l'extrême morcellement qui a affecté de nombreuses parcelles, particulièrement celles qui entourent les bâtiments. Plus que les autres, elles ont été divisées ou rassemblées à l’occasion des successions. Ce phénomène, dont l’ampleur a suscité la révision décidée en 1931, rend difficile la recherche des correspondances entre ancienne et nouvelle numérotation des parcelles, d’autant que les fiches de mutation ne sont ordinairement pas accessibles au public. Enfin, il reste très peu de documents relatifs à toute la période de mise en place et de levé des plans, alors que le Rhône a été l’un des tout premiers départements à être arpenté (Minute de la circulaire préfectorale adressée aux maires du département du 10-12-1821, A.D.R. série P, liasses non triées).

7Les limites communales de Coise et de nombreuses communes des environs ont été levées en 1806 par Monsieur de Châtelus, ingénieur vérificateur du département. Sa famille possédait plusieurs domaines à Saint-Étienne-de-Coise, à Saint-Denis et à Châtelus avant la Révolution et exerçait la justice sur une partie de ces paroisses. Le procès-verbal de la vérification de l’arpentage de Coise, daté du 10 mars 1807, est déposé auprès de lui comme ceux des autres communes du canton, le 31 mars 1808, selon le règlement en vigueur (A.D.R., série P, Cadastre, liasses non répertoriées, Pièces générales).

8Trois géomètres de 1ère classe se sont partagés le travail d’arpentage de l’intérieur de la commune : Pajot pour les sections A et B, Vachon pour la section C, Garin pour la section D. Les quatre sections, représentées en 7 feuilles, sont datées d’août et de septembre 1817. Les indications du plan coïncident presque parfaitement avec les premières matrices de 1820 et l’état des sections de 1822.

9De 1822, année de la confection des états des sections et des nouvelles matrices, à 1882, les registres sont régulièrement tenus, même s’il semble qu’il y ait parfois un certain retard dans l’inscription des mutations, et quelques erreurs manifestes de numérotation de parcelles. Les constructions nouvelles sont inscrites et datées, mais leurs superficies sont très rarement notées. Le nombre d’ouvertures apparaît pour la première fois en 1823, et devient plus fréquent au milieu du siècle. Seule l’indication de la classe est systématique. Les travaux et les transformations des maisons ne sont pris en compte que s’ils conduisent à un reclassement important : élévation d’un étage d’habitation, démolition partielle ou complète d’une maison. Quand les bâtiments sont partagés après une succession, la superficie est généralement divisée en deux parties égales, un des héritiers recevant des bâtiments ruraux imposés comme « sols », l’autre la « maison » dans son intégrité fiscale. La cohabitation étant exceptionnelle entre collatéraux, l’un des deux quitte la ferme, loue sa partie puis la revend à son frère ou à sa sœur. Parfois il bâtit, dans la continuité des bâtiments qu’il possède, un nouveau logement qui sera imposé comme « maison » sur une nouvelle parcelle.

10De 1882 à 1911, nous n’avons aucune information documentaire, le registre séparé créé alors pour les propriétés bâties ayant disparu. Les informations que nous avons sur cette période proviennent des Coisataires eux-mêmes, qui connaissent avec beaucoup de précision les dates de construction des fermes de leur commune. De plus, depuis le milieu du siècle, les fermes sont presque toujours millésimées.

11Le registre des propriétés bâties de 1911 contient peu d’éléments nouveaux. Toutes les parcelles bâties y sont indiquées avec le nom de leur propriétaire, le lieu de sa résidence, le revenu net des bâtiments calculé d’après leurs valeurs locatives. On trouve, aussi, le nombre d’ouvertures ordinaires et celui des portes cochères, ainsi que le nom du quartier sur lequel la maison est construite. Mais ces informations sont, malheureusement, quelquefois erronées, en particulier en ce qui concerne la toponymie, et le nombre des ouvertures n’est manifestement pas remis à jour systématiquement. La profession du propriétaire est rarement indiquée, la surface des maisons ne l’est jamais. Cette dernière existe par contre sur la matrice des propriétés non-bâties de 1914, qui indique la nature de chaque parcelle, maison, bâtiment rural (indiqué comme tel seulement s’il est isolé), moulin, sol (correspondant théoriquement aux bâtiments ruraux et aux cours adjacents à une maison), superficie, etc... Ces natures de sols ne doivent pourtant pas être prises à la lettre. En effet, elles n’ont été que recopiées des anciens registres, sans prendre en compte les transformations survenues. Les termes de « maison », de « sol » et de « superficie » sont en fait synonymes, et le véritable critère pour déterminer la présence d’une maison est l’existence d’un impôt sur l’élévation du bâtiment.

12Un problème se pose parfois lorsque une maison appartient à deux personnes, généralement frère et sœur, qui paient chacune un impôt distinct. Nous avons considéré, dans ce cas, qu’il y avait deux appartements. Il est en effet impossible de savoir s’il y a deux maisons qui se sont architecturalement différenciées ou pas. Document fiscal, le cadastre distingue entre les propriétaires. Représentation d’un espace, son unité de comptage est la parcelle. Il devient dès lors difficile de distinguer les différentes constructions d’une même parcelle, si elles ont un unique propriétaire. Dans les registres, cette ambiguïté semble avoir été résolue par l’inscription des deux montants, mais aucune directive n’existant à notre connaissance, on ne peut pas exclure que certaines sommes recouvrent en réalité l’existence de deux groupes résidentiels, l’un propriétaire, l’autre locataire. Enfin, on s’aperçoit que les surfaces indiquées ne prennent pas toujours en compte les agrandissements des fermes réalisés depuis 1822 ou depuis leur construction. Si les travaux ont été faits sur une parcelle qui a toujours appartenu au propriétaire de la maison, la surface imposée n’est modifiée que s’il y a construction d’une pièce d’habitation, ce qui a pu entraîner un reclassement, mais pas toujours.

13À Coise, le cadastre rénové date de 1934. Les documents relatant les conditions d’exécution de ce travail ne sont malheureusement pas accessibles. Toutefois, nous l’avons dit, nous avons pu consulter les fiches de mutation de chaque parcelle. Très peu d’unités d’habitation sont construites entre 1911 et 1934 ; par contre, certaines fermes s’agrandissent. Les mesures sont systématiquement refaites, et inscrites pour chaque parcelle, en tenant compte des différences de nature des sols. En comparant ces données avec les plans cadastraux et les relevés photographiques de nombreuses fermes, il est possible de trouver l’état de construction en 1911/1914, années pour lesquelles nous avons la liste exhaustive des propriétaires et des bâtiments.

14Si l'on exclut les villas et les étables construites après les années cinquante, les plans de 1934 et les plans actuels sont très proches. Il est ainsi aisé de retrouver la forme générale des bâtiments de l’époque. Par ailleurs, les prises de vue nous permettent de dater à peu près les constructions : à la fin du XIXe siècle, le pisé disparaît progressivement des habitations, et la brique se généralise pour monter les encadrements d'ouvertures et remplacer, souvent, les pierres d’angle.

15Nous avons ainsi, grâce au cadastre, la possibilité de comparer avec précision l’état de la construction à trois époques : 1817/1822, 1882, 1911/1914. Par ailleurs, nous pouvons suivre les constructions nouvelles de 1822 à 1882. Nous avions vu, plus haut, qu’il était possible de connaître l’habitat (avec une certaine marge d’erreur) entre le milieu du XVIIIe siècle et le début du XIXe. Pour l’époque actuelle, nous disposons des plans et des matrices qui sont consultables dans les mairies. Nous pouvons donc, à partir de documents d’origine fiscale, analyser sur plus de deux siècles, quelques caractéristiques essentielles de l’habitat : l’évolution de la construction et de la propriété, le classement des bâtiments, les formes de groupements.

II- Économie et société a coise au milieu du xviiie siècle

16À la limite des départements du Rhône et de la Loire, la commune de Coise est située dans le canton de Saint-Symphorien. Le bourg est distant du chef-lieu de trois kilomètres. Lyon est à quarante-cinq kilomètres, Saint-Étienne et Saint-Chamond à une trentaine de kilomètres.

17Au début de ce siècle, la superficie était de 896 hectares, chiffre qui augmenta légèrement entre les deux guerres par suite de l’acquisition de quelques parcelles au sud de la commune, aux dépens de Larajasse. L’altitude moyenne de 640 mètres masque une assez grande disparité : le point bas, au Pont-Français, est à 492 m et le point haut, au hameau du Vernay, à 719. La majeure partie du territoire est constituée d'un plateau incliné vers le nord-ouest, et de trois vallées. La principale est celle de la Coise qui traverse la commune sur près de quatre kilomètres. Elle possède les meilleurs pâturages, mais elle est souvent inondée à la fin de l’hiver. Ainsi, le Moulin Fulchiron où habitait le plus aisé des Coisataires avant la Révolution, fut partiellement emporté par les eaux en 1842.

18Les sols proviennent de la désagrégation du gneiss feuilleté. Ils sont généralement peu profonds, hormis les trois dépressions citées. Ils sont siliceux, parfois assez argileux, déficitaires en azote et en acide phosphorique. Ils doivent être régulièrement chaulés. Les versants sont majoritairement orientés vers le nord et l'ouest. Comme le plateau central sur lequel a été construit le nouveau bourg au siècle dernier, ils sont exposés aux vents dominants. Mais la morphologie très découpée fait qu’il y a de nombreux microclimats qui expliquent qu’il ait pu y avoir de la vigne sur quelques parcelles.

19Au Moyen Âge, la paroisse de Coise semble très liée à Saint-Symphorien. Le chapitre de la ville voisine possède des terres qui sont probablement celles désignées sous le nom de « Prébandes » dans les actes du XVIIIe siècle, situées le long de la Coise et sur le versant nord-ouest du plateau. Nous savons que les testateurs des communes avoisinantes demandent souvent la présence « de tous les prètres de Saint-Symphorien » au moment de leurs funérailles. Ils lèguent de l’huile aux luminaires des églises de leur paroisse, mais aussi à celle du bourg dont les prêtres font chaque année les processions des Rogations dans les paroisses voisines (Lorcin, 1973 : 502).

20Avant la Révolution, Coise, appelée alors plus souvent Saint-Étienne-de-Coise, était partie en Forez et partie en Lyonnais (Rolland (de), Clouzet, 1903). Elle dépendait de trois justices, celle des chanoines-comtes de Lyon, celle de La Fay à Larajasse, et celle de Châtelus. Pourtant, l’histoire orale n’a pas retenu ces divisions, alors que d’un point de vue foncier et sociologique, le territoire communal reste partagé à bien des égards en zones qui les recouvrent à peu près. Le grand moment de l’histoire locale, comme c’est le cas de nombreuses communes de la région, est la Révolution. Plusieurs maisons ont été le théâtre d’événements dramatiques qu’on se raconte depuis deux siècles avec un grand luxe de détails. Nous approfondirons plus loin ce thème qui a quitté l’histoire pour nourrir de nombreuses légendes domestiques.

21Un deuxième événement a marqué l’histoire locale. C’est le déplacement du bourg vers le centre géographique de la commune en 1851. On y construisit une nouvelle église pour remplacer la vieille église Saint-Étienne qui tombait en naines, un bâtiment pour servir de mairie et d’école, un cimetière et quelques maisons appartenant aux familles les plus influentes. On connaît encore les noms des constructeurs, ceux des propriétaires des terrains, et de nombreuses histoires circulent à ce propos. Un peu plus tard, en 1876, la principale famille du village fait construire une chapelle pour remercier la Vierge d’avoir épargné un de ses fils parti à la guerre de 70 (il existe d’autres versions qui varient sur des détails). Elle est depuis lors nommée « la chapelle de la peur » et est devenue un lieu connu de pèlerinage. Située à proximité du nouveau bourg, visible de loin, elle renforce certainement le nouveau centre politique de la commune. Les habitants des communes voisines y amenaient leurs enfants qui faisaient des cauchemars.

22Si l’on en croit les réponses faites par les curés du Lyonnais à l’Intendant Lambert d’Herbigny en 1697 (Garden, 1978, Coise), il y avait, à la fin du XVIIe siècle, 80 feux dans la paroisse. En 1762, d’après les estimations du curé Terrasson, la paroisse compte à peu près 290 individus. En 1790, il y aurait eu 375 habitants, 519 en 1801, puis leur nombre augmenta jusqu’à 711 en 1846, se stabilisant par la suite entre 650 et 690 jusqu’à la fin du siècle. La baisse fut plus forte et continue à partir de la guerre de 14/18 dont les conséquences, comme en bien d’autres régions, marquèrent la vie de la commune. Plusieurs fermes, par exemple, changèrent de main après la guerre, à la suite du décès de tous les enfants mâles. Pendant le XIXe siècle, et jusque dans les années 1950, la natalité est restée exceptionnelle, comme dans tous les Monts du Lyonnais. Il n’est pas rare, encore aujourd’hui, de discuter avec des gens qui ont eu plus de dix frères et sœurs. Certaines femmes avaient près de 20 grossesses, toutes n’arrivant pas à terme.

23En 1975, la commune atteignit son minima de population avec 488 habitants. Depuis cette date la tendance s’est inversée et en 1984 518 personnes étaient domiciliées à Coise. Plusieurs maisons individuelles furent bâties par des jeunes gens de la commune ou pour de nouveaux résidents qui travaillent à Saint-Symphorien, voire à Lyon.

24Comme de nombreuses communes du Lyonnais, Saint-Étienne-de-Coise a rapidement connu une certaine complémentarité entre ses activités agricoles et artisanales. Voisine de Saint-Symphorien, elle a bénéficié du dynamisme industriel et commercial du bourg médiéval. Au Moyen Âge, il y avait au Rivat, sur les bords de la Coise, un moulin à tan, à foulon et à farine (Lorcin, 1973 : 502). La Viallière aurait abrité un atelier de corroyage au XVe siècle (Cochard, 1827). Il est également fort probable qu’au Pont-Français il y eut un moulin dès le XVIIe siècle. Vers 1750, on comptait 5 moulins sur le territoire de la paroisse, deux au Pont-Français, le moulin du Rivat et le Moulin Fulchiron sur le lit de la Coise, le moulin de la Guillermière sur le Couzon (appelé maintenant « Chez Pelossière »).

25Chose fréquente dans le sud des Monts du Lyonnais, Coise abritait une importante population de cloutiers : ouvriers artisans, maîtres artisans et marchands. Ils travaillaient sur des « pierres à mouchettes » qu’on trouve encore souvent dans les fermes où elles servent de piles aux poteaux des hangars. Ces grosses pierres avaient une face plate creusée de cavités dans lesquelles on forgeait de petits clous ou « mouchettes » (Rivoire, 1985). Il est fort probable que cet artisanat, comme dans le village plus connu de Saint-Héand, était lié à l’industrie métallurgique déjà développée autour de Saint-Étienne et dans la vallée du Gier.

26Vers le milieu du XIXe siècle, cette activité d’appoint disparut, laissant la place, pour quelques décennies, au travail de la soie, réalisé sous le contrôle de contremaîtres pelauds travaillant pour l’industrie lyonnaise.

27Quelques autres activités peuvent être signalées, bien qu’elles ne concernent directement qu’un très petit nombre de personnes. Au milieu du XIXe siècle, un fromager suisse du nom de Jaëger vient s’installer au vieux bourg. La fromagerie tournera plus d’un siècle, fabriquant surtout des fromages bleus, qui, paraît-il, étaient assez réputés à Lyon. Un scieur prendra la place d’un des meuniers de Pont-Français peu de temps avant la première guerre mondiale. On trouve, en plus, les artisans habituels des communes rurales : maçons, galochers, tailleurs, etc...

28L’agriculture a bien entendu toujours été l’activité principale. Nous verrons, en étudiant l’évolution foncière, qu’au XVIIIe siècle un assez grand nombre de fermes étaient louées. Si on se réfère aux baux que nous avons trouvés dans les papiers des notaires de Saint-Symphorien, les productions céréalières les plus importantes d’alors étaient le seigle et le blé, le blé de froment n’étant jamais consommé sur place. Comme ailleurs, on cultivait les raves, le colza, les arbres fruitiers. Étant donné la nature des sols et leur pauvreté, il y avait certainement beaucoup de pâtures réservées à l’élevage ovin, seules les plus grosses fermes élevant des bovins.

29Aux XIXe et XXe siècles, l’agriculture de Coise n'est certainement guère différente de ce qu’elle était aux alentours de Duerne par exemple (voir supra). Dans les enquêtes agricoles communales de 1852, 1862, 1882 et 1892 (A.D.R. série 7 M), les informations dont nous disposons ne sont pas totalement fiables et nécessitent de nombreux recoupements avant de pouvoir être analysées (Garrier, 1967). Il nous a semblé préférable de ne pas en tenir compte dans ce travail, le risque d'erreur étant d’autant plus grand que nous limitions nos données à une seule commune. Citons simplement les chiffres donnés par le Dictionnaire illustré des commîmes du département du Rhône (Rolland (de), Clouzet, 1901-1903) : il y a à Coise 225 ha de blé, 40 ha de seigle, 70 ha de pommes de terre, 55 ha de racines diverses (principalement des raves), 120 ha de prairies artificielles et 320 ha de prairies naturelles.

III- Habitat et évolution des statuts sociaux-professionnels

30Il est fréquent, autant dans les études spécialisées que dans la parole collective recueillie dans la plupart des régions françaises, d’associer étroitement maison rurale à maison paysanne. La problématique générale du Corpus de l’architecture rurale française distingue les notions de » genres », classes de maisons reconnues par les habitants, et de ·· types », classes reconnues par le chercheur (Cuisenier, « Propositions théoriques et conventions terminologiques pour une typologie de l’architecture rurale », par exemple, in Royer, 1979).

31La première des choses à connaître est la part des agriculteurs (locataires et propriétaires exploitants) parmi les résidents d’une commune. Sachant par ailleurs que la cohabitation est rare dans la région, ce qui signifie que quasiment tous les couples mariés ont leur propre logis, nous pouvons alors considérer que chaque unité domestique correspond à une unité résidentielle.

32Entre 1737 et 1791, 214 mariages ont été célébrés, un peu moins de quatre par an, avec un maximum dans les années 1750/1765 avec près de cinq mariages annuels. Signalons que la valeur statistique de ces chiffres est limitée par la trop faible population de la commune : les historiens s’intéressent normalement à des populations supérieures à 1 000 individus pour étudier les dynamiques démographiques. Parmi les conjoints, 107 hommes (50 %) et 146 femmes (69 %) résident à Coise au moment de leur union. Dans 36 cas (17 %) le mariage se fait entre deux Coisataires.

33Dans 161 cas, on connaît la profession du conjoint (76 %), proportion qui est nettement plus importante lorsqu’il est l’un des 107 Coisataires (90 %) ; celle de 112 pères de conjointes est connue (53 %), ce chiffre montant à 62 % pour les Coisataires. Remarquons que cette proportion est diminuée par le fait que la qualité des veuves est connue par la profession et l’état civil de leur ancien mari et non de leurs parents. Parmi les 88 Coisataires dont on connaît la profession (plus quelques « habitants » et 2 veufs) il y a 32 laboureurs et grangers, 12 journaliers, 18 cloutiers (dont un maître cloutier et un ouvrier), 18 artisans, dont 5 tisserands, 4 maçons et maçons-charpentiers, 2 charpentiers, 3 forgerons, 2 tailleurs, les autres étant 2 « artisans », 4 marchands dont un marchand thuillier et un coquetier, 3 marchands cloutiers et 1 domestique.

34Le registre de l'Enregistrement des contrats de mariages est un document moins précis (toutes les unions n’y sont pas répertoriées pour la raison évoquée plus haut), mais d’un usage plus aisé. Les contrats sont passés devant notaire deux semaines en moyenne avant la bénédiction nuptiale. Il indique en outre la nature et le montant des biens inscrits, ainsi que le domicile des futurs époux. Cependant, contrairement aux registres paroissiaux, il donne très peu d’éléments sur le statut social des femmes. De 1754 à 1791, 111 contrats sont mentionnés, dont 3 concernent des veufs qui se remarient. On trouve 40 laboureurs et grangers, 18 journaliers, 16 cloutiers, 24 artisans, 3 marchands et 4 domestiques. Les autres sont de profession inconnue.

35Cette source, d’origine différente, confirme bien les informations des registres paroissiaux : un nombre presque égal de paysans (propriétaires et locataires) et d’ouvriers sans terre (journaliers et cloutiers, la distinction entre les deux étant souvent peu nette), chacun des deux groupes représentant autour des 35 % ; un nombre relativement élevé d’artisans, travailleurs du bâtiment (surtout des maçons exerçant en famille et quelques charpentiers), de l’habillement (tisserands, tailleurs et un galocher), et quelques-uns liés aux activités agricoles (charrons, forgerons et maréchal) ; enfin, deux ou trois marchands (les « marchands cloutiers » ne peuvent guère être qualifiés de tels, et les notaires ne le font pas dans la rédaction des actes). Soulignons le fait que les cultivateurs propriétaires sont sensiblement plus nombreux que les locataires, et que nombre d’entre eux doivent louer des terres pour atteindre une exploitation suffisante.

36Rappelons cependant deux limites à cette présentation sommaire de la diversité professionnelle à Coise. Tout d’abord, les chiffres que nous donnons n’ont qu’une valeur indicative puisque seuls les hommes mariés sont pris en compte. Or, il est possible que certaines catégories professionnelles aient un taux de nuptialité inférieur à d'autres (par exemple les journaliers comparativement aux laboureurs). D’autre part, l’inscription d’une profession n’indiquait pas forcément l’existence d’un statut professionnel précis et définitif. Ainsi Jean-Antoine Perret, qui se marie le 25 février 1772, est-il laboureur et charron sur le registre, et uniquement laboureur sur le contrat passé le 12 février ; Jean-Claude Laval est qualifié de « marchand cloutier » par le curé de Coise, et de journalier par le notaire (son épouse, Dauphine Bruyas, n’apporte que 590 livres de dot, ce qui correspondait mal à un statut de « marchand » attribué à son mari ; étude Peyrachon, 26-5-1762). On peut aussi relever l’absence de meunier, alors qu’il y a au moins trois moulins dans la paroisse. En réalité, le premier est qualifié de « marchand » et les deux autres de « laboureurs », dont l’un n’est que le fermier d’un bourgeois pelaud qui possède le moulin.

37À priori, la connaissance des professions exercées par les Coisataires au XIXe siècle devrait être plus aisée, puisque nous disposons des recensements établis régulièrement depuis 1836. Ils nous indiquent, par unité de résidence, toutes les personnes présentes, leurs activités professionnelles, leurs âges, et la nature des liens qui existent entre elles. Pourtant, le nombre très élevé des « cultivateurs » laisse supposer que sous ce terme sont regroupés des propriétaires d’exploitations de superficies très variées, depuis le journalier qui possède un hectare ou deux jusqu’au paysan aisé qui fait travailler plusieurs ouvriers.

38En 1836, sur 125 ménages, on compte 81 « cultivateurs » chefs de famille, soit dans près de 65 % des foyers. Cette proportion augmentera jusqu’à 73 % dans le dénombrement de 1881, se stabilisant ensuite autour des 70 %. Les cloutiers et les journaliers, encore assez nombreux en 1836 (25 % au total), ont presque disparu en 1881, alors que les ouvriers et surtout les ouvrières en soie deviennent assez nombreux (10 %). Beaucoup de ces ouvrières sont mariées à des artisans ou à des petits cultivateurs. Apparemment, l’artisanat s’est diversifié : le nombre de tisserands a baissé mais on trouve des tailleurs, un charron, un menuisier, etc... Il est en réalité plus probable qu’en 1836 des artisans étaient inscrits comme cultivateurs ou journaliers, leur activité agricole étant considérée (sur quel critère ?) comme principale. Enfin, apparaissent, en 1881, les premiers instituteurs et les commerçants, qui se sont installés au nouveau bourg. Les registres de délibération du conseil municipal nous apprennent qu’il y avait pourtant un instituteur dans la commune avant 1860 puisque le Conseil décide de lui verser une pension pour lui permettre de s’arrêter de travailler et surtout pour le remplacer par une jeune femme, considérée plus compétente, « et qui fait déjà l’école depuis plusieurs années » (séance du 13-2-1860).

39Jusqu’à la guerre de 14/18, les tendances que nous venons de voir se confirment : stabilisation d’une forte majorité de « cultivateurs », disparition des journaliers, diversification de l’artisanat sans qu’il y ait pour autant de réel essor. Quelques points toutefois méritent d’être soulignés. Les métiers féminins deviennent plus nombreux (modiste, chapelière, tricoteuse, etc..., mais aussi institutrice) ; le menuisier s’est transformé en charron, et il n’y a plus de maçon dans la commune (le descendant actuel du charron est à nouveau, si l’on peut dire, menuisier).

40En résumé, sur plus de cent cinquante ans, on perçoit les grandes lignes de l’évolution des statuts professionnels. Il y a une multiplication par deux des cultivateurs entre 1790 et 1820, puis une lente augmentation de leur nombre au cours du XIXe siècle. À l’opposé, cloutiers et journaliers sont de moins en moins nombreux, et disparaissent quasiment en 1881. Le travail des femmes s’est développé, d’abord par la sous-traitance pour des « contremaîtres » en soierie, puis sous forme de métiers indépendants nouveaux liés au textile et à l'habillement. L’évolution de l’artisanat est plus complexe. La tendance générale est à la baisse à partir de la fin du XVIIIe siècle, mais avec des nuances selon les secteurs. Les tisserands et les tailleurs du XVIIIe sont remplacés par les couturières ; les maçons restent assez nombreux jusqu’à la fin du XIXe siècle, mais les charpentiers ont disparu un siècle plus tôt ; d’autres sortent des registres (mais peut-être pas de l’activité locale), puis reviennent au début du XXe siècle, comme les charrons et les galochers. Outre l’augmentation du nombre des agriculteurs, le trait marquant des statuts professionnels pendant cette longue période est la permanence de la pluriactivité.

41Chacun de ces changements traduit les mouvements qui touchent la société rurale en général et peut être mis en relation, peu ou prou, avec la construction et les manières d’habiter. L’essor important des paysans propriétaires s’accompagne de la généralisation des fonctions agricoles de l’habitat et de l’augmentation du nombre des fermes sur un territoire utile non extensif, au détriment des formes d’habitat plus liées à la situation sociale et professionnelle des ouvriers et des artisans ruraux ; l’absence de corps de métier comme les charpentiers ou les menuisiers, alors que les maçons se maintiennent plus longtemps, laisse entrevoir certaines hypothèses quant aux procédés de construction qui sont mis en œuvre et qui privilégient les matériaux tirés du sol. Nous allons maintenant préciser cette tendance vers une unification des statuts professionnels par l’analyse de la propriété foncière.

IV- L’effacement de la bourgeoisie lyonnaise et l’appropriation paysanne entre 1780 et 1914

42Faute de disposer des terriers de la région, la meilleure source pour connaître la propriété foncière est constituée par les registres du Bureau de l’Enregistrement de Saint-Symphorien. La « table des bailleurs » nous indique les noms, qualités et demeures des propriétaires bailleurs, la désignation des biens affermés, les noms des preneurs, les prix et les durées des baux, les noms des notaires et les dates de signature des baux. Les Archives départementales du Rhône possèdent les tables des baux passés entre 1754 et 1781, puis de l’an X à 1823· Malheureusement, le nom des fermes et des granges n’est indiqué qu’une fois sur trois dans les 47 baux connus, ce qui a obligé à faire de nombreux recoupements avec les autres documents dont nous disposions afin de retrouver la localisation des biens affermés. Une recherche approfondie dans les archives notariales eût certainement donné des informations plus précises. Mais, devant la masse de travail que cela représente (11 notaires ont exercé à Saint-Symphorien dans les années 1770/1789), nous avons préféré nous en tenir à nos sources, étant conscient des limites de leur validité statistique.

43Prenons comme exemple la décennie 1770 pour laquelle nos informations sont les plus précises. Sur l’ensemble du territoire (y compris quelques propriétés à cheval sur Coise et des communes voisines), il y a plus d’une vingtaine de propriétaires « faurains », qui ne résident pas dans la paroisse, comme Jacques Pierre Guillet, seigneur de Châtelus, écuyer à Lyon, qui possède les trois domaines du Vernay, de la Guillermière et de Lupin, ou Louis Marie Gagnaire de Souvigny, seigneur de Saint-Laurent (de Chamousset) et François Gabriel Servier, bourgeois de Lyon, qui ont chacun un domaine à Grataloup ; ou encore Pierre Grégoire, marchand de tissus à Sainte-Catherine, qui achète en 1761 un domaine (on ne connaît pas son nom) à Jean Baptiste Moulin, domicilié à Paris.

44La propriété foraine est surtout lyonnaise (six fois) et pelaude (six fois), mais elle vient aussi de la noblesse régionale (quatre fois), de quelques laboureurs des communes voisines, et d’un marchand de la région, dont les enfants seront laboureurs à Coise. Rappelons que ces chiffres sont des minima, puisqu’on a les preuves d’échanges de propriétés entre propriétaires non-paysans, autres que ceux que nous venons de voir (par exemple l’échange d’un domaine au Vernay entre un marchand de Coise et un notaire de Saint-Marcellin ( ?) en 1776), sans qu’il y ait trace de bail. Nous savons également que des baux sont passés sous seing privé, sans intervention d’un notaire, qu’ils ne sont pas forcément inscrits sur les répertoires, ou qu’ils sont inscrits dans un autre bureau que celui de Saint-Symphorien.

45Mais les bailleurs ne sont pas tous extérieurs à la paroisse. On trouve aussi des marchands domiciliés à Coise, Jean (de la) Rivière, à la Petite Val, et Jean Antoine Fayolle au Moulin Fulchiron, qui est également meunier. Les propriétés peuvent aussi être vendues ou mises en location au décès d’un conjoint, si les enfants sont trop jeunes, ou quand les propriétaires trop âgés ne peuvent plus les exploiter.

46Au total, de 1759 à 1781, 47 baux sont enregistrés, dont quatre concernent des maisons sans terres ou des chambres seules. On compte 30 baux à ferme, 5 à grangeage, 3 partiaire, 2 à loyer simple et 2 à mi-fruit et le dernier sans précision. Parmi ces contrats, un certain nombre sont signés par une veuve de paysan (au moins deux, peut-être trois, dont un entre une mère et son fils qui gardera par la suite l’exploitation). À cause des successions, des ventes, des imprécisions sur l’orthographe des noms il est difficile de déduire avec beaucoup de précisions le nombre des propriétés qui sont baillées sur l’ensemble de la période. Le domaine de Gouttelouse change, par exemple, quatre fois de propriétaires (dont une fois un bourgeois de Lyon qui le cède à sa femme). Par contre, les propriétés peuvent changer de propriétaires sans que changent les fermiers : le domaine de Catherin Cador est travaillé par André Planut qui signe un bail à ferme avec fruits de deux fois neuf ans le 8-111759, puis lui-même (ou peut-être son fils, s’il porte le même prénom) de nouveau le 6-2-1775 pour six ans ; pendant ce temps, la propriété a été vendue le 19-8-1761 à Honoré Maussier, marchand à Saint-Symphorien, par Joseph Gazanchon, lui aussi marchand dans la même ville ; le 8-8-1773, Honoré cède le domaine par testament à son fils François Gaspard.

47Il est difficile d’avoir une idée exacte de la taille relative des propriétés foraines et résidentes. Si on se reporte au cadastre de 1820, 50 ans plus tard, il apparaît que les plus grosses exploitations appartenaient aux nobles et aux Lyonnais : la Terrasse, Lupin, Grataloup par exemple. Si on prend comme critère le montant des baux à ferme, cette hypothèse se confirme sensiblement : parmi les 7 baux qui dépassent les 400 livres, 5 sont passés par des nobles et des Lyonnais, 1 par un Coisataire et 1 par un laboureur de Larajasse. Entre 200 et 400 livres, il sont encore plus du double à être passés par des forains, et en-dessous de 200 livres à peu près autant par des forains et des résidents. Ces derniers louent d’ailleurs rarement leurs domaines plus d’une fois, et sont souvent des veuves de laboureurs.

48À l’échelle de la commune, il est possible d’étudier la dynamique des mouvements de la propriété à partir des tables dites « des vendeurs ». De 1755 à l’an 8 (1800), nous avons repéré 42 ventes. On a défini trois types de propriétaires : les Coisataires, les nobles et les Lyonnais, les pelauds et les autres propriétaires régionaux.

49Jusque dans les années 70, la paroisse « perd » 6 propriétés, toutes au profit de la région proche, alors qu’elle en « gagne » 11 entre 1771 et 1798. Pendant toute la période, aucun propriétaire noble ou Lyonnais n’achète de domaine à un Coisataire, alors qu’ils en vendent 14, 7 directement à Coise et 7 à des propriétaires régionaux. Le mouvement entre Coise et la région est équilibré sur l’ensemble de la période, avec une tendance à la restitution à des cultivateurs résidents après la Révolution. Signalons que les échanges entre Coisataires, assez nombreux dans les années 80, concernent des maisons avec jardin, alors que la quasi-totalité des autres actes concernent des ventes de domaines. Compte tenu de cette remarque, les ventes sont plus nombreuses après la Révolution, mais le mouvement s’est amorcé dès les années 80.

50La localisation des propriétés lyonnaises et pelaudes n’est pas aléatoire. Les bourgeois de Saint-Symphorien achètent surtout aux confins de leur propre paroisse, à côté des prébendes. Les Lyonnais sont dans la partie centrale, sur le plateau où il y a peu de fermes et des propriétés plus vastes. Il est remarquable que dans les trois secteurs les plus habités le nombre des forains est nettement moindre : le coteau exposé au sud où sont le bourg et le hameau du Mas et les deux petites dépressions où coulent le Couzon et le Rosson.

51Enfin, soulignons que les baux à ferme avec fruits et les baux à grangeage sont surtout le fait des marchands et bourgeois pelauds, alors que les laboureurs et les Lyonnais louent leurs domaines par simple bail à ferme de six ou neuf ans. Le corroyeur ou le notable de Saint-Symphorien acquiert des fermes pour s’y approvisionner régulièrement, alors qu’il s’agit pour les riches Lyonnais de simples placements.

52Pour étudier la période suivante, nous disposons des cadastres, plans, états des sections et matrices. Nous avons ainsi pu classer l’ensemble des propriétaires en fonction du revenu imposable de leurs sols et de leurs superficies. En outre, nous connaissons le lieu de leur résidence et la classe fiscale à laquelle appartiennent leurs bâtiments.

53En 1820, il y a à Coise 164 propriétaires fonciers, dont 95 (58 %) résident officiellement dans la commune. La surface moyenne de la propriété est de 5,25 ha, elle passe à 8,7 si on met à part la micropropriété (inférieure à 1 ha). Cinq personnes possèdent plus de 30 ha, 13 en possèdent entre 15 et 30, 14 entre 9 et 15, 11 entre 6 et 9, ce qui fait un total de 43 familles (au minimum) qui peuvent vivre correctement de leur exploitation (si l’on s’en tient à l’appréciation de la mémoire collective). Toutefois, selon l’évolution de sa taille, chaque famille pouvait agrandir momentanément son exploitation en louant des terres aux non résidents et aux plus gros propriétaires. 17 propriétaires possèdent entre 3 et 6 ha ; 36 entre 1 et 3 ; et 66 moins de 1 ha. Rappelons qu’il y aura à Coise, en 1836, 81 cultivateurs dont beaucoup possèderont moins de 6 ha.

54Les cinq plus gros propriétaires sont trois Coisataires qui ont tous trois acheté leur propriété à des nobles ou des bourgeois entre 1788 (probablement, pour la Grand Val) et 1798 pour Grataloup, un noble de la région qui a acquis d’un bourgeois lyonnais le domaine de la Terrasse au tout début du XIXe siècle, et la veuve d’un marchand coisataire qui avait hérité du domaine appartenant déjà à son grand-père au début du XVIIIe siècle. La qualité des terrains cultivés est très variable selon les cas. Le marquis de Noblet est nettement plus imposé qu’André Grégoire, puisque la valeur moyenne à l’hectare de ses terres est de 45,6 F contre 26,2 pour le second.

55Parmi les 13 propriétaires suivants il y a 8 Coisataires, tous cultivateurs, 3 marchands ou notables de la région, et 2 paysans venant des communes voisines de Saint-Denis et de Larajasse. Le taux d’imposition moyen par exploitation varie du simple au double, comme précédemment. Les propriétaires forains ont presque tous acheté après la Révolution. Parmi les résidents, on trouve le fils d’un ancien granger de la Terrasse, Joseph Mauvernay, mais surtout les descendants des laboureurs et marchands installés à Coise déjà au début du XVIIIe siècle.

56Entre 9 et 15 ha, on trouve 7 Coisataires qui sont presque tous issus de vieilles familles paysannes de la paroisse, dont les deux meuniers installés au Pont-Français depuis le milieu du XVIIIe siècle. Les autres sont des commerçants de Saint-Symphorien, l'Hôpital, et quelques agriculteurs des communes voisines. Entre 6 et 9 ha, il y a 7 Coisataires pour 4 forains, paysans ou veuves de paysans. Les taux du revenu à l’hectare restent très divers, de 69 F pour le meunier Antoine Fayolle au Moulin Fulchiron dont le grand-père était, au siècle précédent, le plus gros propriétaire roturier de la paroisse, à moins de 19 F pour Nizier Bissardon.

Tableau I. La propriété foncière à Coise en 1820

Dimensions

Propriétaire à Coise

Propriétaire autre

Totaux

supérieures à 15 ha

11 (61 %)

7 (38 %)

18

de 6 à 15 ha

14 (56 %)

11 (44 %)

25

de 3 à 6 ha

13 (76 %)

4 (24 %)

17

de 1 à 3 ha

21 (58 %)

15 (42 %)

36

inférieures à 1 ha

38 (58 %)

28 (42 %)

66

Totaux

97 (60 %)

65 (40 %)

162

Tableau II. Qualité et lieu de résidence des propriétaires forains de Coise ayant un revenu supérieur à 150 F*

Image

(*) N’est pas compris l’hôpital de Saint-Symphorien. Au dessous de 150 F, la qualité des propriétaires est le plus souvent inconnue.

57C’est entre 6 et 15 ha qu’on trouve le moins de Coisataires (56 %).

58Mais, si l’on s’attache au revenu imposable, donc à la qualité des sols, leur part dans le revenu communal est nettement supérieur.

59Entre 3 et 6 ha, les propriétaires sont surtout des Coisataires (76 %). Il s'agit souvent de frères et de sœurs mariés de plus gros propriétaires qui logent dans leurs propres maisons (on trouve là, par exemple, les deux frères et le père de Jean-Claude Pupier, propriétaire de 15 ha au Mas). Les non-résidents sont des cultivateurs des communes voisines. En-dessous de 3 ha, la situation foncière ne subit plus de différenciation notable. Il y a 58 % de Coisataires parmi ces 102 (63 %) très petits propriétaires qui ne peuvent pas nourrir une famille sur leurs propres terres. Parmi eux on trouve le plus grand nombre de femmes et de veuves résidentes à Coise (11), les artisans, les journaliers, les cloutiers.

60Nous venons de classer les propriétés en fonction de leur surface. C’est la façon de faire la plus courante chez les historiens (par exemple Garder, 1974), car elle permet de suivre l’évolution foncière entre les époques. Si on veut faire une sociologie de la propriété d’une commune, le classement par revenu et la prise en compte du taux de revenu de chaque propriété sont également instructifs. On voit ainsi que sept des dix premiers contribuables sont des cultivateurs coisataires, dont deux seulement sont nés de parents eux-mêmes coisataires. Sept des dix contribuables suivants résident à Coise, mais tous sont issus de familles paternelles installées depuis plus de deux générations (plusieurs depuis le XVIIe siècle) dans la même ferme.

61Ces résultats, nous le voyons, ne coïncident pas exactement avec ceux du classement par superficie. C’est qu’il y a une très grande disparité dans la qualité des propriétés. Mis à part le domaine de la Terrasse, les plus grandes propriétés ont des taux peu élevés, autour de 30 F/ha, alors que les propriétés moyennes, entre 9 et 20 ha, ont un taux facilement supérieur à 40 F. Cette tendance s’accentue à mesure que la surface cultivable s’amenuise, mais les écarts deviennent de plus en plus importants : certains taux dépassent les 76,8 F, ce qui signifie que de très petits propriétaires possèdent des prés classés en première catégorie (les prés sont considérés comme nettement plus rentables que les jardins et les labours si l’on en croit les taux des meilleures parcelles : 115,6 pour les prés, 6l pour les jardins et les labours). Ces propriétaires sont d’ailleurs presque tous domiciliés hors de la commune. À l’opposé, de nombreuses micropropriétés ne doivent guère comporter autre chose qu’un jardin, une mauvaise terre et un morceau de pré. Sur l’ensemble des propriétaires, deux groupes, en définitive, se distinguent par la meilleure qualité de leurs parcelles : les forains et surtout les meuniers.

62En 1914 (les relevés datent en fait de 1913), le nombre de propriétaires est de 193, étant comprise la commune de Coise, dont 106 résident à Coise avec certitude. Il y a 39 propriétaires non-résidents, dont 13 sont des Pelauds de toutes origines professionnelles et seulement sept Stéphanois, Roannais ou Lyonnais dont deux jeunes filles nées à Coise qui sont domestiques à Lyon. Parmi les 145 personnes dont on connaît le lieu de résidence, il y a donc 73 % de Coisataires et 27 % de forains.

63La taille moyenne des propriétés est de 4,56 ha, elle passe à 6,25 si on ôte la propriété inférieure à 1 ha. Trois propriétaires possèdent plus de 30 ha, 7 en possèdent entre 15 et 30, 13 entre 9 et 15, 27 entre 6 et 9, ce qui fait un total de 50 groupes résidentiels simples (parents et enfants) qui peuvent vivre avec certitude des seuls revenus de leurs terres. 38 propriétaires possèdent entre 3 et 6 ha, 49 entre 1 et 3 ha, et 55 (la commune non comprise) ont moins de 1 ha. Il y a donc eu depuis 1820 un tassement de la « grande » et de la très petite propriété, au profit de propriétés comprises entre 3 et 9 ha, ce malgré une forte augmentation du nombre d’agriculteurs propriétaires, par la vente des parcelles isolées et le partage des grands domaines issus du XVIIIe siècle, comme cela avait déjà été remarqué pour l'ensemble du Lyonnais (Garrier, 1973).

64Quatre des six premiers propriétaires sont des descendants des six premiers propriétaires de 1820. Parmi les 50 suivants, dix ne sont pas domiciliés à Coise. Ils résident dans les communes voisines ou sont marchands à Saint-Symphorien. Les Coisataires sont parfois issus de familles déjà présentes en 1820, mais il y a eu aussi des changements de résidence à l’intérieur de la commune. Ainsi, sur les 40 plus grosses fermes de 1820, douze seulement ont, en 1914, un propriétaire qui a le même patronyme que celui de 1820 ; mais plusieurs familles ont acquis une seconde ferme, et, surtout, des pères ont fait construire pour un de leurs fils. De nombreuses propriétés affermées en 1820 ont été rachetées par le fermier vers le milieu du siècle, et il n’est pas rare qu’une ferme ait été cédée à un gendre. On remarque que globalement les plus grosses propriétés de 1820 (qui le sont encore pour la plupart en 1911) sont restées à la même famille, confirmant ce que rapporte la mémoire collective : ceux qui sont considérées comme les « gros », qu’on associe, à tort, aux plus anciens (voir infra), et qui possèdent les fermes les plus chargées de souvenirs (Grataloup, Brulay, Grand Val, en particulier), ont dans leur grande majorité acquis leur exploitation aux alentours de la Révolution, et souvent même un peu avant.

65Si l’on regarde pour terminer l’évolution des taux du revenu à l’hectare, des changements non négligeables sont intervenus. À la grande disparité qui était la règle en 1820 fait suite un net resserrement et une augmentation du taux moyen : les 10 plus grosses propriétés se distribuent entre 50,5 ha pour Clément Grégoire des Prébendes à 63,5 pour le domaine de la Terrasse du marquis de Noblet, et la quasi-totalité des propriétés ont des taux moyens se situant entre 50 et 70 F/ha (les exceptions étant dans les très petites propriétés, constituées par un jardin, une terre, ou à l’inverse, un petit bois).

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