Chapitre 2. Deux localisations privilégiées au sein de la ville
p. 63-69
Texte intégral
1Si l’on considère d’abord les effectifs (carte 3), on voit que les membres du Tout-Lyon sont particulièrement présents dans deux secteurs situés de part et d’autre du Rhône. A eux seuls, le deuxième et le sixième arrondissements regroupent 1757 adresses, soit environ les deux tiers des résidences lyonnaises.
2Dans un cas comme dans l’autre, le tracé des voies ferrées inscrit encore aujourd’hui dans la géographie sociale des limites très tranchées qui, pour ce type de population, apparaissent quasiment infranchissables. On ne compte pas plus d’une dizaine de résidences au sud de Perrache ou, dans le sixième arrondissement, à l’ouest de la gare de Brotteaux. En fait, c’est seulement dans un petit nombre de quartiers INSEE que les membres du Tout-Lyon sont très fortement représentés.
3Entre Rhône et Saône, la concentration est importante surtout dans la partie centrale du deuxième arrondissement, et tout spécialement dans le quartier d’Ainay, lieu d’élection des familles aristocratiques dès le XVIIIème siècle, et principal bastion de la bourgeoisie locale tout au long du siècle dernier1.
CARTE 2. Les arrondissements de Lyon.

CARTE 3. Localisation des membres du Tout-Lyon Annuaire habitant la ville de Lyon en 1985.

4Le second secteur se situe sur la rive gauche du Rhône, dans la partie Nord-Ouest du sixième arrondissement. Amorcée à la fin de l’Ancien Régime sous l’impulsion de l’architecte Morand, l’urbanisation des Brotteaux connaît ensuite une période de stagnation, puis un nouvel essor à partir des années 1830. Mais, à l’exception des quais, où des familles de négociants s’installent dès la Monarchie de Juillet, les Brotteaux demeurent pendant longtemps un quartier à dominante populaire. Aménagé sous le Second Empire, le parc de la Tête d’Or n’exerce que très progressivement son attrait sur la localisation des couches dominantes. Leur forte concentration dans les deux quartiers INSEE qui lui sont immédiatement contigus est, comme on le verra plus loin, un phénomène relativement récent.
5Ce second pôle d’attraction se prolonge au sud, le long des quais du Rhône, jusqu’au début de la Guillotière. Le quartier de la Préfecture (no 301 dans la nomenclature de l’INSEE) ne marque d’ailleurs aucune rupture avec la partie Ouest du sixième arrondissement, tant par ses caractéristiques architecturales et urbanistiques que par sa composition sociale.
6La dualité des localisations au sein de la ville de Lyon apparaît encore beaucoup plus nettement si l’on considère la carte 4, qui pondère les effectifs par le nombre total de ménages habitant chaque quartier au recensement de 1982. Moins nombreuses en chiffres absolus, les résidences situées dans le vieux quartier d’Ainay et sur le pourtour de la place Bellecour témoignent d’une densité relative à peu près comparable à celle observée aux Brotteaux.
7A l’échelle de la ville, on peut dire que la présence des membres du Tout-Lyon s’affirme presque exclusivement dans sa partie centrale. Mais cette centralité se trouve elle-même étirée entre deux pôles disjoints, entre lesquels les quais du Rhône établissent une relative continuité, en même temps qu’une coupure matérielle et symbolique qui fut pendant longtemps très opérante sur les représentations collectives et les choix résidentiels des couches dominantes.
8De cette dualité des localisations dans le centre-ville, on ne retrouve cependant qu’un écho très atténué dans la manière dont les grands groupes socio-professionnels qui composent la population lyonnaise se distribuent entre les 9 arrondissements.
CARTE 4. Proportion de membres du Tout-Lyon Annuaire (édition de 1985) résidant dans chaque quartier de Lyon par rapport au nombre total de ménages habitant le quartier au recensement de 1982. (Proportion moyenne pour l’ensemble de Lyon = 1,51 %).

CARTE 5. Composition socio-professionnelle de chaque arrondissement de Lyon et de la commune de Villeurbanne, en 1982.

SOURCE : Recensement de 1982, sondage au 1/4 au lieu de résidence.
Les ménages sont classés d’après la catégorie socio-professionnelle de la personne de référence. Seuls sont donc pris en compte les ménages dont la personne de référence est active, mais les pourcentages ont été calculés par rapport au total des ménages de chaque arrondissement, y compris les inactifs.
9Si l’on prend comme indicateur la position des chefs de ménage (carte 5), c’est bien dans le sixième arrondissement que la part relative des cadres, professions intellectuelles et chefs d’entreprise est la plus élevée. En revanche, la composition sociale du deuxième arrondissement n’est pas aussi nettement déformée vers le haut de l’échelle des statuts socio-économiques. La proportion d’ouvriers y est presque aussi faible, mais les catégories moyennes y sont beaucoup plus représentées, et la part des cadres et professions intellectuelles est à peu près comparable à celle du cinquième arrondissement. Il est vrai que les catégories moyennes et populaires sont plus particulièrement présentes dans l’extrémité Sud de la Presqu’île. Mais de tels contrastes s’observent aussi, dans une certaine mesure, à l’intérieur du sixième arrondissement. Les différences de structures socio-professionnelles ne sont donc pas dues uniquement à l’artefact des découpages administratifs. Au sein même des quartiers où elles sont concentrées, les familles bourgeoises qui habitent le deuxième arrondissement se situent, aujourd’hui du moins, dans un environnement social qui est sensiblement plus hétérogène que celui de leurs homologues des beaux quartiers du sixième arrondissement.
10La carte 5 a permis d’apprécier les différences entre arrondissements du point de vue de leur composition sociale. Réciproquement, on peut tirer des mêmes données une évaluation des proximités et distances entre les divers groupes socio-professionnels en fonction de leur répartition géographique. De la matrice des corrélations entre ces différents schémas de répartition, l’analyse en composantes principales fournit une représentation synthétique qui est figurée par le graphique 2. Certains grands groupes socio-professionnels ont été ventilés de manière à identifier quelques catégories jugées plus particulièrement pertinentes.
11Le premier axe factoriel oppose nettement les ouvriers, employés et professions intermédiaires aux indépendants et aux cadres. Les secteurs géographiques qui contribuent le plus à cette opposition sont, d’un côté, les septième et huitième arrondissements ainsi que Villeurbanne, de l’autre, le deuxième et le sixième.
12Toutefois, on note que les personnels de services aux particuliers sont sur-représentés dans le deuxième arrondissement (et dans une moindre mesure dans le sixième), ce qui rapproche leur schéma de localisation de celui des catégories supérieures qui sont leurs principaux employeurs. Quant aux petits indépendants, leur place dans l’analyse tient essentiellement aux commerçants, les artisans étant au contraire répartis de façon à peu près uniforme dans l’ensemble des arrondissements de Lyon et de la commune de Villeurbanne.
13L’analyse confirme naturellement que la localisation de membres du Tout-Lyon est proche de celle des catégories supérieures, auxquelles se rattachent d’ailleurs la quasi-totalité de leurs propres professions quand elles sont mentionnées dans l’annuaire. Cette sous-population se singularise cependant par une présence plus affirmée dans le deuxième arrondissement. C’est avec les professions libérales que la corrélation est maximale (0,94). Elle est moins élevée avec les chefs d’entreprise, qui sont davantage attirés par les quartiers de la rive gauche du Rhône, et n’est plus que de 0,50 avec les cadres, qui ont un taux de présence aussi fort dans le cinquième que dans le sixième arrondissement.
GRAPHIQUE 2. Proximités et distances résidentielles entre quelques catégories de ménages habitant Lyon ou Villeurbanne en 1982 (analyse en composantes principales).

CARACTERISTIQUES DE L’ANALYSE :
Analyse en composantes principales normée
Représentation simultanée sur le même graphique
- corrélations entre les variables (variable = proportion de ménages d’une catégorie donnée par rapport au total des ménages habitant chaque arrondissement. Les catégories sont identifiées d’après la CSP de la personne de référence au recensement de 1982, ou la présence dans l’édition de 1985 du Tout-Lyon Annuaire)
- coordonnées des unités géographiques sur les deux premiers axes factoriels (unité géographique = arrondissement de Lyon ou commune de Villeurbanne)
Inertie totale = 10
Premier axe (horizontal) : valeur propre = 6,20, soit une contribution de 62,0 % à l’inertie
Deuxième axe (vertical) : valeur propre = 1,64, soit une contribution de 16,4 % à l’inertie.
Notes de bas de page
1 Ce n’est pas ici le lieu de s’étendre sur l’histoire matérielle, démographique et sociale de l’urbanisation lyonnaise. De nombreux travaux lui ont été consacrés, parmi lesquels on retiendra d’abord trois grands classiques :
- A. KLEINCLAUSZ, Lyon, des origines à nos jours. La formation de la cité, Lyon, Masson, 1925.
- GARDEN (M.), Lyon et les Lyonnais au XVIIIème siècle, Paris, Flammarion, 1975.
- A. KLEINCLAUSZ, A. DUTACQ et A. LATREILLE, Histoire de Lyon, tome III : « De 1814 à 1940 », Lyon, Masson, 1952.
Plus récemment, la thèse de doctorat d’Etat de Jean-Luc PINOL apporte une contribution majeure à la connaissance de l’espace social lyonnais et de ses transformations au cours de la première moitié du XXème siècle (Mobilités et immobilismes d’une grande ville : Lyon de la fin du XIXème siècle à la Seconde Guerre mondiale, 3 vol., Centre Pierre Léon, Université Lumière Lyon II, janvier 1989). Le jeu des permanences et des changements y fait l’objet d’une analyse très élaborée, qui se signale notamment par le suivi longitudinal méthodique d’un échantillon d’immeubles-tests, et de deux cohortes successives d’habitants de la ville. Voir, du même auteur, Les Mobilités de la grande ville : Lyon fin XIXème début XXème, op.cit.
On dispose également d’une excellente synthèse sur les aspects plus proprement architecturaux et urbanistiques avec l’ouvrage de G. GARDES, Lyon, l’art et la ville, 2 vol., Lyon/Paris, Editions du CNRS, 1988.
Dans un tout autre genre, il serait sans doute injuste de passer sous silence l’impérissable Calixte ou l’Introduction à la vie lyonnaise de Jean DUFOURT, où l’on peut lire entre autres choses quelques développements savoureux sur les différences réelles ou supposées entre « les gens d’Ainay » et « les gens des Brotteaux ». On trouvera une analyse des images de Lyon dans la littérature dans l’ouvrage de B. POCHE, Lyon tel qu’il s’écrit, Presses universitaires de Lyon, 1990.
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Trajectoires familiales et espaces de vie en milieu urbain
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1998
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