Préface
p. 5-7
Texte intégral
1Depuis près d’un siècle est édité annuellement ou presque à Lyon un annuaire qui s’impose sous son titre abrégé du « Tout-Lyon », et on pourrait croire qu’analyser le Tout-Lyon est verser dans l’histoire lyonnaise, au sens étroit du terme. Or qui dit « Tout-Lyon » dit nécessairement choix, présents et absents, critères de choix, signification de l’inscription dans une liste de noms de familles. Les sciences sociales, la sociologie et l’histoire se sont depuis longtemps intéressées à de tels annuaires, mais il a fallu probablement attendre la crise d’une vision trop marxiste, trop classificatrice de la société, pour en comprendre le réel intérêt.
2Le livre d’Yves Grafmeyer est d’abord cela, un livre de la méthode, pour expliquer, comprendre un document qui peut être trompeur sans précaution prise. Trois éléments essentiels me paraissent devoir retenir l’attention, et des Lyonnais, et des chercheurs en sciences sociales, bien au-delà des murs de l’Université de Lyon. En premier lieu, qui est ? Qui n’est pas ? Ou, comme on dirait à Lyon, « qui y est ? » Que signifient présence ou absence ? Une première « sociologie » est possible, mais délicate. Manifestement, c’est bien une « position sociale » qui détermine l’inscription – volontaire – dans le Tout-Lyon et, dans la dernière décennie du vingtième siècle encore, cette position est à la fois acquise et héritée, elle est individuelle et familiale. Le plus souvent, aujourd’hui encore, les femmes et les enfants sont présents à travers la qualification et la dénomination du mari et du père. Et cette position se détermine aussi bien par le nom, voire par le nom des alliés (beaux-parents, gendres, belles-filles), par l’adresse, que par un métier ou une profession. Autrement dit, l’apparente précision des rubriques ne permet pas de définir la société lyonnaise, mais une société lyonnaise, irréelle, un peu intemporelle : en s’inscrivant dans le Tout-Lyon, l’individu, ou le chef de famille, se projette dans un ensemble social qu’il se construit idéalement, mais qui n’est pas tout à fait la « bourgeoisie » lyonnaise, ou même les restes de l’ancienne et traditionnelle « noblesse lyonnaise », qui avait gagné ses titres de noblesse par le service de la Ville sous l’Ancien Régime.
3En second lieu, l’étude du Tout-Lyon se lit dans une histoire diachronique : chaque volume annuel fournit un certain nombre de noms et d’adresses, nombreux, quelque 4500 notices dans l’édition de 1985. Mais d’une édition à l’autre apparaissent de nouveaux noms, alors que d’anciens sont effacés. Sans pour autant que l’annuaire permette une reconstitution des familles, ni une généalogie précise, il déroule en quelque sorte les images que successivement les notables d’une grande ville de province veulent donner d’eux-mêmes, à moins que la représentation finale, échappant aux désirs individuels, ne soit elle-même qu’une image tronquée d’une réalité déformée. A force de se regarder dans leur propre miroir, les élites sociales se voilent ou s’estompent : on voit ainsi apparaître ou disparaître magistrats ou officiers supérieurs, professeurs d’université, plutôt juristes que littéraires, professions libérales, médecins et avocats, plus qu’entrepreneurs et chefs d’entreprise. Le rôle de Bottin mondain fait que les familles nombreuses sont plus fréquentes que dans l’ensemble de la population, et qu’avoir plusieurs enfants est même une raison, dans ces milieux sociaux, pour figurer au sein du Tout-Lyon.
4En troisième lieu, l’ouvrage d’Yves Grafmeyer livre aussi une réécriture de la géographie sociale de Lyon, tant l’inscription dans un espace socialisé est aussi caractéristique d’une situation, d’un milieu. Le double plaisir de la lecture de ces analyses réside à la fois dans les confirmations – ainsi la double tradition d’Ainay et des Brotteaux, que Jean-Luc Pinol avait déjà mise en lumière pour les Lyonnais vivant au début de ce siècle – et dans quelques touches nouvelles, qui montrent les élites sociales jouant sur un territoire de plus en plus étendu, à l’image de l’agglomération lyonnaise elle-même.
5Que le premier auteur de cette nouvelle collection ouverte en coédition entre les Presses Universitaires de Lyon et le Programme pluriannuel Rhône-Alpes pour les Sciences humaines (PPSH) soit Yves Grafmeyer m’est enfin doublement agréable. Yves Grafmeyer a été le remarquable secrétaire scientifique du premier programme de recherches en sciences humaines lancé à l’initiative d’une Région, dès 1975. Depuis lors le programme s’est élargi, développé, a trouvé d’autres partenaires. Quant à la notoriété d’Yves Grafmeyer, elle est devenue suffisamment grande pour qu’en 1991 il soit retenu comme membre de la première promotion de l’Institut universitaire de France. Aussi ne peut-on que se réjouir de voir se rejoindre ici et un choix national et une action régionale. D’un côté la Région ne se cantonne pas dans des études de portée régionale, même si leur terrain est local. De l’autre, la recherche scientifique montre qu’elle a besoin de ces viviers régionaux pour se renouveler et se développer. Plus que jamais les sociétés dans lesquelles nous vivons, et tout particulièrement nos sociétés urbaines, dites éclatées, insaisissables, en ce tournant du millénaire, ont besoin des sciences humaines et sociales pour se comprendre, et réduire leurs inadaptations. Parmi d’autres disciplines, la sociologie urbaine d’Yves Grafmeyer est un outil de cette compréhension, et il faut féliciter de leur initiative les responsables des PUL et du PPSH, en leur souhaitant beaucoup d’autres volumes d’une telle qualité.
Auteur
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Trajectoires familiales et espaces de vie en milieu urbain
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1998
Vigilance et transports
Aspects fondamentaux, dégradation et prévention
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1995