Chapitre III. Flux migratoires et dualité centre / périphérie
p. 71-134
Texte intégral
1La dynamique démographique exprimée par les trois villes étudiées s'est définie et affirmée par l’ampleur de la croissance démographique urbaine et par ses conséquences sur la structure de la population, tant sur le plan socio-économique que sur un plan strictement démographique. Nous avons examiné globalement l’accroissement démographique selon seulement l’analyse de ses deux composantes : bilan naturel et solde migratoire. Le solde migratoire recouvre deux réalités antinomiques dont il masque l’ampleur par une simple opération additive ou soustractive dont les tableaux de l’I.N.S.E.E. ne produisent que le résultat. Aussi la mobilité est-elle beaucoup plus importante que ne le laissent supposer les bilans migratoires. Si pendant longtemps les arrivées l’emportent très fortement, conduisant à une augmentation considérable de la densité de population urbaine, il n’en demeure pas pas moins qu’un courant d'émigration existe, témoignage d'une sorte de "trop-plein" urbain qui devient le flux dominant à partir de 1975, lorsque commence à décroître la population urbaine communale.
2Les deux flux constituant les arrivées et les départs coexistent et définissent à la fois le devenir de la ville et celui de son environnement spatial. D'une part, la venue à la ville détermine une croissance immédiate, mais également, à plus long terme, un regain d’accroissement par le développement de l'excédent naturel dû à la fécondité des jeunes populations migrantes. D’autre part, et dans le même temps, alors qu'un reflux de la ville s'exerce avec plus ou moins d’importance, les espaces non-urbains périphériques subissent également des variations démographiques liées à la direction et à la force des flux urbains. En quelque sorte existe-là un vaste système spatial aux limites géographiques variables dans le temps selon les incidences et la vigueur des flux et où l'urbain et le non-urbain agissent en interaction par le jeu de ces flux de population. "Les noyaux durs" urbains et non-urbains sont à la fois et de manière concomitante actifs et passifs l'un envers l'autre. Toute appréciation de la dynamique urbaine ne peut faire l'économie de l'analyse de ces interactions multiformes et de leurs conséquences. Elles sont les éléments moteurs de l'ensemble que justifie la ville - ici la ville moyenne - par sa présence en son sein et que nous qualifions donc de système urbain, en faisant nôtre le principe énoncé par L. Von Bertalanffy (1968) qui définit celui-ci par "l'interaction entre tous ses éléments et tous ses constituants".
III.1. L'EXPLOITATION DES SOURCES
3Apprécier les deux vecteurs du solde migratoire, c'est-à-dire d'une part les arrivées à la ville et d'autre part les départs, est relativement aisé en ce qui concerne le premier mouvement dans la mesure où l'une des questions du recensement se rapporte au lieu de résidence à la date du précédent recensement. En 1975, les réponses sont rassemblées en un tableau exprimant la résidence antérieure par rapport à Factuelle, relativement au découpage administratif de référence avec lequel travaillent les services de l'I.N.S.E.E. Sont ainsi répertoriés la commune et la permanence du logement en son sein d’un recensement à l’autre, mais aussi la région, le département, le canton, la Z.P.I.U. (zone de peuplement industriel et urbain), l'unité urbaine et toute provenance hors de la métropole. Certes la typologie est peu pertinente, en particulier pour des villes de taille moyenne pour lesquelles la notion d'unité urbaine n'a pas toujours le sens que l’I.N.S.E.E. lui confère, ainsi que nous l'avons déjà déploré. D'autre part, ces espaces gigognes traduisent d'autant plus mal la réalité que les villes, dont ils sont censés retracer d'une certaine manière l'influence spatiale, sont situées sur les marges de ces partitions arbitraires. Par exemple, toute la provenance bressane du flux migratoire mâconnais, étrangère à la région Bourgogne, se trouve incluse dans le total hors région au même titre qu'une migration beaucoup plus rare provenant d’un quelconque point de France ! Semblable constatation est valable pour l'attraction de Bourg sur le département du Jura, qui appartient à la région Franche-Comté.
4La même information exhaustive est contenue dans le recensement de 1968, relativement au lieu de résidence en 1962. Malheureusement, la ventilation est différente, encore moins précise, exceptée dans la rubrique "hors de France", où sont nommément pris en compte les rapatriés d'Algérie, dont on sait le poids sur les résultats de ce recensement. Quant aux recensements antérieurs, ils ne permettent pas de recherche comparable.
5Néanmoins, malgré nombre d'incertitudes, lorsque la pression urbaine est la plus forte, il est possible d'apprécier la force du flux migratoire vers la ville et d'esquisser sa provenance. En revanche, aucune donnée n'est directement accessible pour tenter de mesurer les départs de la ville et leurs conséquences. Aussi avons-nous dû convaincre les services de l’I.N.S.E.E. de réaliser une exploitation spécifique sur le recensement de 1975 afin de mesurer quantitativement et spatialement la redistribution de population effectuée par les villes de Chalon, Mâcon et Bourg-en-Bresse. Dans un premier temps, le relevé a été produit pour la seule ville de Mâcon, avec une répartition du flux migratoire selon le département de résidence en 1975 sur l'ensemble de la France, puis selon les cantons limitrophes de la ville, et enfin selon les communes des principaux cantons d'accueil en 1975, pour les individus habitants Mâcon en 1968 et résidant hors cette commune en 1975. En raison de la qualité des résultats obtenus (N. Commerçon, 1981) à partir des dépouillements de cette exploitation spécifique exigeant de saisir l'intégralité du fichier national au 1/5e du R.G.P. 1975, les directions des services régionaux de l’I.N.S.E.E. de Lyon et de Dijon ont accepté conjointe de renouveler l'expérience afin de prendre en compte les migrations de Chalon et de Bourg. Cependant, comme des valeurs fondamentales telles que l’âge et la catégorie socio-professionnelle des migrants n'avaient pas été retenues lors du premier essai d'exploitation, il a été décidé de refaire la saisie des données pour les trois villes sur un mode quelque peu différent. D'une part, par un sondage au 1/5e ont été relevés les départements de résidence en 1975 pour les individus résidant à Chalon, Bourg et Mâcon en 1968 selon le sexe, l’âge, la catégorie socioprofessionnelle du migrant. Pour d'évidentes raisons d’économie, seules trois classes d'âge, 0-19 ans, 2064 ans et plus de 65 ans, ont été retenues. Enfin, la même saisie a été menée pour les départements de résidence de Saône-et-Loire et de l'Ain, ainsi que pour les départements limitrophes de Côte-d'Or, du Jura et du Rhône, mais alors sur le fichier exhaustif du R.G.P. 1975 et au niveau du canton et de la commune.
Tableau no 4 : Migrations définitives vers les villes de Chalon, Mâcon, Bourg, 1968-1975 Source : R.G.P. 1968,1975, I.N.S.E.E.
Même région | | Même département | | Hors France | |
CHALON | |||
Total migrants | 66,7 | 58,0 | 21,9 |
Actifs migrants | 56,7 | 49,7 | 15,2 |
MACON | |||
Total migrants | 44,3 | 41,0 | 17,1 |
Actifs migrants | 44,8 | 42,0 | 15,6 |
BOURG | |||
Total migrants | 60,7 | 45 | 12,2 |
Actifs migrants | 62,4 | 46,2 | 17,4 |
a) Provenance des nouveaux citadins en 1968, selon le lieu de résidence en 1962 (en pourcentage du flux convergent des actifs ou du flux total)
Même région | Même département | | Hors métropole | |
CHALON | |||
Total migrants | 56 | 48,3 | 10,3 |
Actifs migrants | 57,6 | 49,7 | 9,5 |
MACON | |||
Total migrants | 40,5 | 36,2 | 16,3 |
Actifs migrants | 41,9 | 37,7 | 15,4 |
BOURG | |||
Total migrants | 60,2 | 43,3 | 12,8 |
Actifs migrants | 62,1 | 45,8 | 13,0 |
b) Provenance des nouveaux citadins en 1975, selon le lieu de résidence en 1968
6A partir de cette lourde exploitation informatique de fichiers, nous avons effectué un dépouillement manuel souvent complexe, destiné à reconstituer des tableaux statistiques répondant à nos objectifs, et nous permettant alors de comprendre la force du flux centrifuge de population urbaine et son emprise spatiale, ainsi que les caractéristiques socioéconomiques et démographiques des individus concernés.
III.2. ESPACE URBAIN ET FLUX MIGRATOIRES
III.21. Les flux convergents
7De 1962 à 1975, la pression démographique des trois villes s'accentue ; les populations habitant la ville moyenne au recensement de 1975, mais à l’extérieur au recensement précédent, sont beaucoup plus nombreuses (Mâcon : +5,5 %) qu'en 1968 pour une résidence extérieure à la ville en 1962. Cet appel de population s'exerce essentiellement sur le territoire métropolitain, et le nombre d'étrangers ou de populations venues de l'extérieur de l'hexagone a nettement diminué, à l'exception de Mâcon où il reste stable. Il est vrai que le différent mode de comptage effectué d'un recensement à l'autre n'autorise pas une meilleure précision, et en 1968 les rapatriés d'Algérie constituent un groupe important de nouveaux citadins1 que l'on ne retrouve évidemment pas dans le décompte de 1975, où seul un sous-total "étrangers" est pris en considération.
8Cependant, si l'on examine exclusivement la migration d'actifs vers la ville, les différences de comportement apparaissent entre les trois villes. A Bourg, l'arrivée des actifs semble quelque peu moins forte que celle relative à l'ensemble de la population migrante entre 1968 et 1975. Toutefois, elle prédomine sur la contrée environnante de manière marquée aussi bien en 1975 qu'en 19682. Ainsi, dans ce flux venu de l'extérieur burgien, deux tendances se distinguent ; d'une part, une fraction importante3 provient de toute la France (en dehors de la région) et même de l'étranger, et concerne semble-t-il des familles entières de migrants. D'autre part, l'essentiel des nouveaux venus arrive de la région programme, voire du département ; c'est avant tout la migration de travail ; elle s'amenuise quelque peu par rapport à la migration d’ensemble (Bourg 1968-1975 : 0,7 %), mais aussi en elle-même par rapport à la migration locale. Davantage d'actifs migrants viennent des régions françaises plus lointaines, alors que les étrangers actifs constituent un groupe relativement stable.
Tableau no 5 : Flux migratoires divergents et populations urbaines, 1968-1975. Source : exploitation spéciale du fichier national, R.G.P. 1975 (exhaustif et sondage au 1/5e) I.N.S.E.E.

9Tout se passe comme si, en un premier temps, de 1962 à 1968, étaient arrivés de nouveaux Burgiens en provenance d'une zone assez proche, attirés par le marché d'emploi de Bourg et dont se distinguent les rapatriés d’Algérie venus nombreux. Puis, de 1968 à 1975, si la pression de Bourg s'exerce sur une population plus nombreuse, elle draine également une région plus vaste qui intéresse l'ensemble de la population migrante alors que l'environnement burgien, tout en restant l'espace privilégié de la migration des actifs, diminue son emprise au profit de tout l'hexagone.
10Est-ce à dire que dès 1968 s'amorce un certain essoufflement de la migration vers la ville de Bourg ? En dépit d’un flux migratoire qui ne cesse de croître (+3,7 % 1968 1975) le réservoir de main-d’œuvre local s'épuise, et sans doute le marché de l'emploi burgien commence-t-il à se tarir. C'est d'ailleurs le moment où le solde migratoire s'engage dans une baise sensible, spécialement à Bourg.
11Les situations de Mâcon et de Chalon diffèrent quelque peu de celle de Bourg, dans la mesure où la mobilité vers la ville s'accentue beaucoup plus entre 1968 et 1975, et particulièrement pour les migrants actifs vers Chalon. A Mâcon, l'attraction est puissante dans les deux cas4. La région, comme le département, sont les pourvoyeurs des nouveaux citadins et les actifs l'emportent, surtout à Chalon. L’influence du département est la plus faible à Mâcon en raison de la situation excentrée de la ville, en bordure du département de l'Ain et à proximité de celui du Rhône. Néanmoins, entre 1968 et 1975, ce courant local s'amenuise, en particulier pour la population migrante totale (Chalon, provenance du même département 196875 : 10 %), tout en se maintenant pour les actifs. Comme à Bourg, l'attraction s’amplifie, s'étend spatialement, et diminue en valeur relative dans la zone périphérique.
Tableau no 6 : Flux convergents et flux divergents 1968-1975 Source : R.G.P. 1975 (exhaustif), I.N.S.E.E.


Graphique 14 : Migrations définitives 1968-1975
12Mais, l'attraction extérieure demeure beaucoup plus puissante qu'à Bourg. Il est vrai qu'à Chalon et Mâcon, le solde migratoire s'effondre moins vite. Le flux migratoire vers la ville est plus abondant, et davantage encore pour Mâcon. Ici, l'industrialisation est très tardive, et la ville rentre plus tard dans la phase de récession économique ; en 1975, il n'en est pas encore question dans le chef-lieu du département de Saône-et-Loire.
13Ainsi, les flux de population vers les trois villes se distinguent plus par leur degré d'intensité et le poids de la provenance locale selon la période considérée, que par leur nature. Bourg s'individualise dans la mesure où dès 1968 le mouvement migratoire vers la ville est déjà fortement concurrencé par un flux inverse qui ne devient cependant dominant qu’à partir de 1975 ; à cette date, et plus brutalement, Chalon et Mâcon se retrouvent dans une situation comparable.
III.22. Les flux divergents
14L'importance de l'accroissement démographique subi par les villes moyennes de Chalon, Mâcon et Bourg depuis 1954, et dû en partie aux flux migratoires convergeant vers elles, masque celle des flux migratoires de sens inverse, pourtant considérable. Le tableau no 55 montre le poids de ces mouvements de population au regard des populations urbaines en 1968 et en 1975 et de la variation de population pour la même période intercensitaire. En revanche, le tableau no 66 compare l'intensité des flux convergents et divergents durant la même période et révèle que l'ensemble des flux de départ vers la France métropolitaine n'est que faiblement inférieur au flux d'arrivée, en particulier à Bourg où le solde migratoire s'effondre entre 1968 et 1975. C'est finalement le bilan migratoire, à l'extérieur de la France métropolitaine et relatif pour l'essentiel aux étrangers, qui confère un sens au solde migratoire. Mais comme ce flux extérieur se tarit peu à peu, l'accroissement urbain à partir de 1968 relève davantage du surplus des naissances que de celui des arrivées à la ville7.
15Les trois villes moyennes étudiées vivent donc une très grande turbulence que leur apparente tranquillité ne laisse en rien deviner. Certes l'attraction démographique urbaine est intense et démographes, aménageurs et économistes se sont surtout penchés sur ce phénomène et ses conséquences tant urbaines que péri-urbaines ; mais l'effet inverse n'en est pas moins digne d'intérêt. A lui seul il est deux fois plus élevé que l'accroissement démographique des villes et représente le tiers des populations urbaines au seul recensement de 1968 ! En effet, si les villes ont séduit très vivement depuis la guerre au point de doubler leur densité, leur pouvoir attractif décroît forte ment à partir de 1968, alors qu'elles redistribuent fortement leur population, selon des degrés variables, sur les régions voisines. Il se détermine ainsi un espace plus ou moins dépendant de la ville pourvoyeuse à la fois d'hommes et de travail, mais se mesure aussi le double effet des entrées et des sorties d'individus dans ces villes moyennes où la mobilité apparaît comme une caractéristique essentielle. Quels espaces sont affectés par les retombées de populations urbaines ? Quelles sont les populations qui quittent la ville ? Quels mécanismes rendent compte de la spécificité des mouvements migratoires ?

Fig.2 : Flux migratoire définitif en France métropolitaine 1968-1975
Source : R.G.P. (sondage au 1/5e)
- Un courant lointain faible
16Relativement à sa population urbaine, c'est Mâcon qui redistribue le plus volontiers ses citadins vers l'extérieur, suivi par Chalon puis par Bourg. Cependant, le classement s'effectue au profit de Bourg si l'émigration est considérée relativement à l’accroissement total de population. Cette remarque ne surprend en rien dans la mesure où cette émigration exprime un effet compensateur à l'accroissement spécialement violent connu par Bourg, entre 1954 et 1968, du fait des arrivées massives de populations nouvelles.
17En tout état de cause, deux mouvements distincts peuvent se mesurer pour chacune des villes : un fort courant à proche destination, et inversement un flux lointain faible. En effet, la plus grande partie des départs est absorbée par le département d’appartenance, voire par les départements voisins8 situés le long du grand axe séquano-rhodanien tels ceux de la Côte-d’Or et du Rhône, dominés par les capitales régionales de Dijon et surtout de Lyon. Les autres départements limitrophes de la Nièvre, de l'Ailier, de la Loire et du Jura ne rassemblent pas 4 % des migrants, quelle que soit la ville considérée ; car ce sont bien sûr les départements dont le pouvoir économique attire la main-d’œuvre qui drainent l'essentiel des migrants.
18Si l'on exclut de la migration les courants à destination de Paris et des départements de la couronne, il se dessine alors un net mouvement dirigé vers la France de l'Est, et plus encore vers la région Rhône-Alpes que vers la Bourgogne à laquelle Mâcon et Chalon appartiennent cependant dans le cadre des régions de programme. Le phénomène est d'autant plus net à Chalon que la ville est située au nord de son département, à proximité de la Côte-d'Or. En région Rhône-Alpes, le département du Rhône, certes, mais aussi ceux de la Loire, de l'Isère et de la Haute-Savoie sont attractifs en raison des pôles urbains qui les animent, tels Lyon, Grenoble, Genève... La deuxième région d'émigration est la côte méditerranéenne, en particulier pour la migration chalonnaise qui s'y révèle la plus intense en représentant 14 % du flux de la ville à destination de la France métropolitaine, en dehors du département de Saône-et-Loire.
19Ainsi, dans l'ensemble, les citadins des villes moyennes étudiées migrent peu, spatialement s'entend, et les Burgiens encore moins que les autres ; ils sont davantage cantonnés dans Rhône-Alpes ou dans les départements contigus à celui de l'Ain. Cela est si vrai que même la migration vers Paris et la région parisienne est très faible pour la ville de Bourg9. Seule la métropole lyonnaise obtient quelques suffrages auprès des émigrants burgiens, mais encore sensiblement moins qu'auprès des Mâconnais !

Graphique 15 : Flux migratoires définitifs en France selon les C.S.P., les sexes et les classes d’âge à partir de Chalon, Mâcon, Bourg 1968-1975.
Source : R.G.P. 1975 (Sondage au 1/5e)

Graphique 16 : Flux migratoires définitifs à partir de Chalon selon les C.S.P., et les classes d’âge 1968-1975.
Source : R.G.P. 1975 (exhaustif)

Graphique 17 : Flux migratoires définitifs à partir de Mâcon selon les C.S.P, et les classes d’âge 1968-1975.
Source : R.G.P. 1975 (exhaustif)

Graphique 18 : Flux migratoires définitifs à partir de Bourg selon les C.S.P. et les classes d’âge 1968-1975.
Source : R.G.P. 1975 (exhaustif)

Graphique 19 : Flux migratoires définitives interurbaines selon les C.S.P., entre Chalon, Mâcon et Bourg et vers Paris et les métropoles régionales 1968-1975.
Source : R.G.P. 1975 (exhaustif)
20Chalon et Mâcon en revanche, sont attirées par les métropoles locales ou la capitale parisienne. Chalon affiche une préférence pour Dijon, peu éloignée et capitale de la région Bourgogne, alors que Lyon capte très peu les anciens Chalonnais. Pour Mâcon, le flux est égal vers l'une ou l'autre des deux capitales régionales et témoigne de l'écartèlement de Mâcon entre l'attraction de sa métropole obligée, Dijon, et celle de sa métropole de prédilection beaucoup plus proche, Lyon - il est vrai deuxième ville de France, pouvant répondre à toutes les demandes d'emplois supérieurs insatisfaites en ville moyenne, comme à tous les espoirs d'une promotion sociale rapide.
21Les échanges entres les trois villes de Mâcon, Chalon et Bourg confirment les caractéristiques de chaque flux urbain. Mâcon adresse une fraction plus importante de ses migrants à ses voisines, en particulier à Bourg avec qui la balance migratoire est presque équilibrée ; mais l'échange entre Bourg et Chalon est très faible ; les départs de Bourg vers les villes ne se font même pas en premier lieu avec les villes les plus proches et d'importance semblable ou supérieure. Mâcon et Chalon accordent à Bourg deux fois plus de citadins que celle-ci ne leur en retourne. Le déséquilibre entre les entrées et les sorties existe également pour Mâcon, mais de manière moins marquée (1,5 fois) alors que Chalon, au contraire, dirige un flux en direction de Mâcon et Bourg 2,5 fois plus élevé que les deux flux inverses. En réalité la force de ce mouvement chalonnais est illusoire si on le rapporte à l'ensemble du flux divergent de la ville ; car le poids démographique de Chalon introduit un effet de taille.
22Mâconnais, Chalonnais et surtout Burgiens s'éloignent donc peu de leur terre d'origine et ne sont guère attirés par les grandes villes ou métropoles. Les retombées de leur croissance démographique se manifestent essentiellement dans le département d'origine ou dans d'autres très proches et de préférence sur des espaces peu urbanisés.
- Une émigration proche forte
23Les figures10 établies à partir de notre exploitation personnelle des migrations définitives prouvent que la périphérie urbaine rassemble le plus grand nombre de migrants urbains. La répartition cantonale sur les deux départements concernés de Saône-et-Loire et de l'Ain, ainsi que ceux, voisins, du Jura, du Rhône et de la Côte-d'Or réunissent plus de 60 % des arrivées d'ex-citadins11. Celles-ci s'inscrivent en auréoles concentriques au pouvoir attractif très régulièrement décroissant vers l'extérieur avec des distorsions selon les villes, en fonction des obstacles naturels, de la qualité des voies de circulation ou des données historiques et économiques locales.

Fig.3a : Flux migratoire définitif de Chalon sur les départements de Saône et Loire, Côte-d’Or, Jura, Ain et Rhône (répartition cantonale). Source : R.G.P. 1975 (exhaustif)
24Chalon redistribue sa population sur un espace compact et régulier de la Bresse louhannaise à l'Autunois et de Dijon à Mâcon. L'axe transversal Louhans/Chalon/Le Creusot et l'axe méridien de Dijon à Mâcon étirent en une croix l'auréole de seconde intensité, ainsi que, beaucoup plus modestement, la vallée de la Grosne. La Saône ne joue pas le rôle d'une frontière à l'étalement de population, mais limite néanmoins les départs vers l’Est plus par l'opposition des paysages ruraux entre la plaine et les coteaux que par les contraintes représentées par les ponts routiers. Les coteaux viticoles attirent beaucoup plus les ex-Chalonnais que la plaine de Bresse : la zone de forte intensité ne recouvre que le canton de Givry alors que celle de très forte intensité attractive recouvre régulièrement toute la périphérie urbaine. Enfin, les limites administratives - ici départementales - circonscrivent vivement les nouvelles communes d'habitat des anciens citadins, qu'il s'agisse des confins du Jura, de l'Ain ou de la Côte-d'Or.
25Les villes voisines n'exercent qu'une mince séduction ; Villefranche, Bourg, davantage Mâcon et l'agglomération lyonnaise ne sont que de faibles centres d'attraction. Seule Dijon joue le jeu de capitale de la Bourgogne. Les départs des Chalonnais de 1968 à 1975 prouvent autant que faire se peut que la commune de Chalon redistribue un trop-plein démographique dans un espace restreint ceinturant la ville sur un rayon d'une trentaine de kilomètres, et qu'elle organise à l'évidence. Quel que soit leur niveau économique et démographique, les villes alentour à l'exception de Dijon ne déploient pas une concurrence sérieuse à l'attraction chalonnaise péri-urbaine.
26De même la périphérie mâconnaise reçoit-elle la plus grande part des anciens citadins ; mais il se remarque un vaste étalement de la zone de faible attractivité ; de manière continue elle s'étend des cantons de Beaune, au nord, au sud du Lyonnais, et de la vallée de l’Ain, à l’est, à celle de la Loire, à l’ouest. En revanche, les auréoles intermédiaires sont assez peu développées, en particulier en Bresse. Ici la Saône introduit une dissymétrie évidente entre l’est et l'ouest. La zone de très forte influence n’existe pas en Bresse ; contiguë à la ville, n’apparaît qu'une zone de second ordre (Bâgé-le-Châtel) et même de troisième ordre (Pont-de-Veyle). Ici, à une vingtaine de kilomètres de Mâcon, les ex-Mâconnais ne s'installent guère (moins de 1 % dans le canton de Thoissey) alors qu'à la même distance à l'ouest, un paysage de coteaux parfois peu aptes à la circulation, mais riches par leur site et leur histoire ou économiquement plus dynamiques grâce à la vigne ou à l'élevage d'embouche, draine encore fortement les migrants mâconnais. Le canton de Lugny au nord a attiré autant de population que celui de Pont-de-Veyle en rive gauche de la Saône, face à la ville ; celui de Saint-Gengoux-le-National à l'ouest se comporte comme celui de Pont-de-Vaux, cependant beaucoup plus proche. Il est vrai que les difficultés de franchissement de la Saône sont une explication de ces importantes disparités qui s'ajoutent aux causes historico-politiques et à l'histoire des mentalités locales. La rive gauche de la rivière fut ici terre d'Empire, et les divergences de comportement entre gens du vignoble et gens du bocage bressan se dessinent en bien des cas.

Fig.3b : Flux migratoire définitif de Mâcon sur les départements de Saône et Loire, Côte-d'Or, Jura, Ain et Rhône (répartition cantonale). Source : R.G.P. 1975 (exhaustif)
27La seconde déformation de faire d'attraction de la migration provient là encore de la qualité du carrefour de communications. L'axe nord-sud s'impose beaucoup plus que l'axe est-ouest, grâce à l’excellence de ses voies de transit et à la présence, au sud, de l'agglomération lyonnaise. Enfin, des poches de rétention de population signalent le rôle concurrent de l'ensemble des villes voisines, y compris les plus modestes comme Louhans ou Digoin. Elles traduisent ainsi leurs possibilités d'emploi durant la période considérée, relativement à celles de Mâcon.
28Les Burgiens migrent peu et la figure no 3c le prouve aisément. Bourg offre l'espace d'attraction démographique le plus ramassé sur lui-même et à l'intérieur de son département, dont les limites montagnardes freinent considérablement les velléités de départ des citadins, hormis en direction du grand Lyon. La capitale de Rhône-Alpes se situe comme un appendice à l'attraction burgienne, et les deux axes Lyon-Bourg, dont celui de la vallée de l'Ain, étendent vers le sud faire de la ville bressane. Les autres cités telles Mâcon et Villefranche n'attirent guère ; en revanche Genève et Oyonnax semblent des pôles non négligeables. A l'évidence les plateaux jurassiens rassemblent peu de population et réinscrivent ainsi l'opposition morphologique est-ouest du département de l'Ain.
29Différents par leurs qualités respectives, ces trois espaces d'attraction du flux migratoire urbain divergent illustrent la dynamique de la ville moyenne jusqu'en 1975. Chacune à sa manière, Chalon, Mâcon ou Bourg cherche à organiser l'espace qu'elle domine avec plus ou moins de bonheur. Davantage tournée vers le nord, peu gênée par Dijon et plus riche démographiquement, Chalon exerce une mainmise sans appel alors que Mâcon est tiraillée entre la Bourgogne et Rhône-Alpes et souffre de sa situation géographique, voire économique. Bourg s'annonce résolument comme une cité rhône-alpine liée très fortement à sa métropole malgré les séductions genevoises, plus lointaines, il est vrai, et moins faciles à atteindre.
- Les particularismes socio-démographiques
30La prise en compte de données socio-démographiques telles les classes d'âge, les catégories socio-professionnelles selon le sexe des populations migrantes, lors de la saisie partielle et spécifique du recensement de 1975 relative aux migrations définitives, permet de préciser les caractéristiques des flux de départ. La migration divergente concerne-t-elle des classes d’âge et des catégories socio-professionnelles particulières ? Leurs rapports à l'espace apportent-ils un élément explicatif supplémentaire à la compréhension des espaces urbains entendu au sens de l'organisation, par une ville-centre, d'un espace plus ou moins dépendant ? En dépit d'un éventuel comportement personnalisé propre à chaque cité, est-il possible de définir un mode de fonctionnement commun pour ces trois villes moyennes voisines et leur système spatial ? Il est par ailleurs clair que toute analyse des composantes sociodémographiques des flux migratoires doit sans cesse être reliée aux caractères socio-démographiques intrinsèques des populations urbaines concernées12.

Fig.3c : Flux migratoire définitif de Bourg sur les départements de Saône et Loire, Côte d'Or, Jura, Ain et Rhône (répartition cantonale). Source : R.G.P. 1975 (exhaustif)
* Caractéristiques socio-démographiques
31Une première approche globale montre que la proportion de migrants selon les sexes est très voisine de celle de la population municipale en 197513, les hommes n’étant que légèrement plus nombreux à Mâcon et à Chalon. Il s'agirait donc d'un flux relatif à l'ensemble des populations, et non du départ de populations masculines lié à l'emploi, comme le voudrait un schéma a priori. La migration semble plutôt celle de familles entières où cependant la motivation professionnelle peut être première ; de ce fait elle entraîne davantage les citadins de sexe masculin comme le confirme le taux de migration des actifs14. Les variantes sont fonction à la fois de la structure démographique et de la situation économique de chaque ville.
32La répartition par classes d'âge15 précise le caractère global et familial du flux migratoire. Il est particulièrement remarquable à Chalon, où le groupe de population à l'âge de l’activité professionnelle se comporte comme celui des jeunes de moins de 20 ans, alors que le groupe des plus âgés est très largement déficitaire. Seule la situation de Bourg appelle quelques commentaires par son singularisme. Voilà un flux de départ relativement plus féminin (33 % à Bourg contre 29 % à Chalon) que celui de ses voisines, moins jeune également, comprenant plus d'individus d'âge moyen et même âgés ; il s’agit là, exprimés de manière exacerbée, des caractéristiques de la population municipale burgienne telles que nous les avons précédemment définies. De même, celles de Chalon et de Mâcon se relisent dans les différentes composantes de leur flux migratoire.
33Ainsi, l’analyse de la structure démographique du flux migratoire de départ montre que celui-ci traduit, en les accentuant, les traits de la population municipale d'origine.
34En revanche, les catégories socio-professionnelles16 introduisent des divergences notables. Si l’on exclut, en raison de leur trop faible incidence, les catégories 0 et 1 relatives à l'agriculture et la catégorie 8 trop hétérogène, on s'aperçoit que dans deux cas la migration entraîne à l'extérieur proportionnellement plus d'actifs de cette catégorie qu’il n’en existe au total dans l'ensemble de la population. En effet, les professions libérales sont sur-représentées dans le flux de départ, et tout particulièrement à Chalon-sur-Saône, où l'emploi est moins équilibré qu'à Mâcon et à Bourg. Le phénomène s'amplifie au regard de la répartition des migrants masculins. Il s'agit effectivement de populations à dominante masculine qui font cruellement défaut à Chalon ; il est significatif de voir ce groupe professionnel être presque aussi important que celui des ouvriers quant à la migration, alors que ces derniers sont au moins sept fois plus nombreux dans la cité chalonnaise ! Le même besoin se fait visiblement sentir à Mâcon et Bourg pour les emplois masculins plus que pour les emplois féminins. En dépit de leurs diplômes, les femmes se contentent-elles plus facilement des possibilités locales, qu’offre en particulier la fonction publique, et sont-elles peu préoccupées (sinon sollicitées) par les promotions relevant de la mobilité ou des emplois plus lucratifs des villes à fonction tertiaire plus développée, en particulier dans le tertiaire privé ? A Chalon, Mâcon et Bourg, la migration traduit le déficit d'offres d’emploi de professions libérales et de cadres supérieurs. Le départ des diplômés, des citadins susceptibles d'exercer des fonctions de commandement, prouvent que les emplois dits supérieurs font cruellement défaut en ville moyenne. Le phénomène s'étend aux cadres moyens, spécialement à Bourg. Là où les emplois suffisent aux femmes, les hommes sont candidats au départ, sans doute faute de diversification des emplois, de promotion et de salaires suffisants.
Tableau no 7 : Flux migratoire de départ selon les catégories socio-professionnelles, 1975 (en pourcentage). Source : exploitation spéciale du fichier national R.G.P. 1975 (l/5e et exhaustif). I.N.S.E.E.

F = répartition du flux selon la C.S.P.
E = écart au taux de répartition de la population municipale
T = total population
H = population masculine
35Une constatation inverse prévaut pour toutes les autres catégories socioprofessionnelles ; à l’évidence les patrons de l'industrie et du commerce sont liés à la localisation de leur "affaire" ; mais le fort déficit migratoire des employés et des ouvriers montre une grande permanence locale de ces types d'emplois, où, contraire ment aux classes plus aisées, ce sont les femmes qui quittent le plus volontiers la ville. Cet écart entre les sexes, marqué vivement à Chalon et à Bourg, traduit une économie tournée vers les tâches d'exécution, relevant en particulier de l'emploi masculin lorsqu'il s'agit de métallurgie à Bourg ou encore davantage à Chalon. La diversification, la faible spécialisation et une certaine médiocrité d'ensemble de l'industrie mâconnaise expliquent qu'elle soit largement ouverte à l'emploi féminin et qu'un fort contingent masculin alimente le flux migratoire. Aussi ouvriers et ouvrières représentent-ils le groupe le plus étoffé de migrants actifs (12 %) à Mâcon, alors que les cadres moyens les supplantent à Chalon (9 %) et à Bourg (10 %).
36Sociétés d'ouvriers, sociétés d'employés, paraissent le propre des villes moyennes étudiées. Le flux migratoire tend à radicaliser les tendances à la médiocrité de l'emploi, à mettre en évidence les carences économiques et à reproduire en l'accentuant la structure démographique de la ville de départ. Schématiquement, il est à la fois le négatif de la structure socio-professionnelle et le positif de celle qui est relative à la démographie. Cependant, les points d'arrivée des ex-citadins ont dessiné une zone d'accueil le plus souvent proche de la ville, et largement incluse dans le bassin d'emploi, en participant à la grande vague d’engouement pour l'habitat pavillonnaire. Si les conséquences sur le plan de l'économie urbaine peuvent alors être minimisées dans la mesure où l'émigration est à la fois résidentielle et professionnelle, celles qui s'exercent sur la société citadine ne sont en rien réductibles. Il en est de même pour celles qui concernent les populations des secteurs ruraux affectés par la retombée de population urbaine.

Fig.4 : Flux migratoire masculin en France métropolitaine Source : R.G.P. 1975 (sondage au 1/5e)
* Caractéristiques spatiales
37Une lecture des flux migratoires quant aux espaces mis en cause peut permettre de préciser les mécanismes de fonctionnement des espaces migratoires, à partir des tendances dégagées précédemment.
38Les figures no 417 illustrent la répartition des migrants masculins hors de leur département d'origine, en prenant en compte, à l'intérieur de chaque département métropolitain, l'écart à la moyenne du flux global masculin, dans la mesure où il devient significatif au-delà de ±1 %. A l'évidence, les départements proches du départe ment d'origine retiennent plus de migrants de sexe féminin, ainsi que ceux des grandes métropoles. A Lyon, Marseille, voire Dijon et même Paris, la migration masculine est déficitaire ! En revanche, cette représentation cartographique met en exergue l’attractivité des départements très industrialisés, en particulier ceux qui sont porteurs d'industrie lourde ; le fait est patent pour l'émigration masculine de Chalon plus particulièrement dirigée vers le département du Nord, du Puy de Dôme, de la Loire, de la Savoie, ou encore vers les départements qui possèdent des chantiers navals (Seine-Maritime, Loire-Atlantique) où la tradition chalonnaise de la chaudronnerie incite à l'embauche.
39Les séries de figures no 5, 6 et 718 rendent compte de la répartition sur le territoire français métropolitain des flux migratoires urbains selon les diverses catégories socioprofessionnelles retenues auparavant19. La répartition des différentes catégories est opérée à l'intérieur de chaque département et non sur leur ensemble à partir de la totalité du flux pour une catégorie envisagée ; en effet, une telle distribution reproduirait simplement celle des flux d'ensemble20, en raison des "poids migratoires" de certains départements d'accueil qui masqueraient alors toute différenciation spatiale et catégorielle.
40Les comportements migratoires spatiaux sont objectivement liés à un référentiel économique et culturel que nous n'avons pas ici à analyser, mais qui oppose les migrations des catégories socio-professionnelles aisées à celles des groupes moins favorisés. Ainsi le flux de départ des professions libérales et cadres supérieurs est-il à l'encontre de celui des personnels de service et des ouvriers. D'une part, le premier groupe migre beaucoup, comme nous l'avons expliqué, mais il s'installe le plus loin possible dans la sphère de migration qui lui est propre et qui couvre celle de la totalité du flux. En revanche, le personnel de service quitte peu sa ville et demeure de toute manière à proximité. Le cas le plus marquant est celui du groupe burgien où seul le département touristique des Alpes-Maritimes reçoit un pourcentage de migrants de cette catégorie compris entre 5 et 10 % du total du flux de Bourg, tout en étant situé très à l'écart de la zone de prédilection constituée des six départements cernant la ville de Bourg.

Fig.5 : Flux migratoire en France métropolitaine selon les C.S.P. à partir de Chalon - Source : R.G.P. 1975 (sondage au 1/5e).

Fig.6 : Flux migratoire en France métropolitaine selon les C.S.P. à partir de Mâcon - Source : R.G.P. 1975 (sondage au 1/5e).

Fig.7 : Flux migratoire en France métropolitaine selon les C.S.P. à partir de Bourg Source : R.G.P. 1975 (sondage au 1/5e)
41De même les professions libérales et cadres supérieurs et les ouvriers présentent-ils des attitudes contrastées, au point que la carte de migration des uns devient l'image contraire de celle des autres ! Si l'espace de migration est ici identique, la répartition interne est inversée, car les départements de proximité accueillent les ouvriers en priorité. Quelques départements se révèlent particulièrement attractifs, tels ceux de la Haute-Savoie ou de la Loire à forte tradition industrielle.
42En ce qui concerne les employés ou les cadres moyens, la répartition est sensiblement la même, les taux les plus élevés se rencontrant au-delà des départements limitrophes, en une sorte de seconde couronne d'attraction ; outrepassée celle-ci, le taux de présence de ces catégories retombe très vite alors que la distance à la ville devient maximale. Si les deux groupes des cadres moyens et des employés migrent selon des proportions voisines, les employés pratiquent davantage l'intégralité de l’espace migratoire, et avec une tendance à l'éloignement sensiblement plus élevée. Cependant l'appréciation de ces menues divergences est délicate en raison des définitions de ces catégories et de leurs critères d'appartenance ; la frontière n’est pas toujours de délimitation aisée, en particulier dans les professions de la fonction publique relatives à la notion d'encadrement de type "moyen", et malgré une volonté énoncée par les services de l’I.N.S.E.E. de restreindre les employés à un groupe de "salariés subalternes non manuels". Nonobstant ces réserves, le cadre moyen paraît fortement lié à la sphère locale, les employés étant représentés plus régulièrement sur l'ensemble de l'espace déterminant les lieux d'arrivée des migrants définitifs. N'est-ce pas le fait d'emplois plus spécifiquement féminins21, peu spécialisés ? Lorsque le chef de famille déplace celle-ci pour des raisons professionnelles, il est aisé à sa conjointe employée de le suivre et de retrouver un emploi au nouveau lieu de résidence, en raison de la banalité de cette profession.
43Spatialement, sinon quantitativement, la migration définitive issue de la ville moyenne est directement liée à la qualification socioprofessionnelle et à l'acquis culturel de la classe migrante. Effectivement, l'investissement de départ effectué par le migrant est important, tant sur le plan affectif que financier. Dans une société urbaine dont les membres migrent peu, et plutôt à proximité de la ville de départ, l'enjeu n'est sans doute guère valable pour les catégories socio-professionnelles les plus basses. La mobilité est-elle ainsi mise en cause et essentiellement réservée aux "élites" urbaines que la cité moyenne semble peu capable d'absorber ?

Fig.8 : Flux migratoire en France métropolitaine selon les tranches d'âge à partir de Chalon - Source : R.G.P. 1975 (sondage au 1/5e)
44La représentation cartographique des taux d'attractivité des inactifs se montre peu explicative ; en effet, en première analyse, la migration paraît concerner en majorité des migrations de familles entières ; et d'autre part, l’amalgame du groupe, réalisé entre les jeunes scolaires et étudiants, les adultes n’exerçant pas de profession et les retraités, n'autorise pas à discerner des spécificités significatives, hormis une tendance à la migration vers les départements du Midi méditerranéen. Seule une répartition spatiale effectuée selon les tranches d’âge des migrants est susceptible d'introduire quelques précisions.
45Les trois classes d'âge retenues sont exprimées par un taux de migration propre à chaque département afin d'éliminer l'effet de taille des aires très attractives22 ainsi qu’il a été procédé pour la répartition des catégories socioprofessionnelles.
46La migration des plus âgés est réduite, non seulement quantitativement, mais aussi spatialement ; en particulier pour Mâcon, la moitié seulement de l'espace migratoire est couverte par une sorte d'axe bourguignon étiré en direction des pôles parisiens ou rhône-alpins, et par quatre départements du Midi méditerranéen littoral et touristique. Les taux les plus élevés se rencontrent dans le Midi, puis dans la région d'origine dans quelques départements contigus. Au-delà, la migration se réduit brutalement. Les retraités demeurent donc à proximité des villes dont ils sont originaires. Mais quant à partir, autant partir loin et au soleil ! Quelques variantes existent selon les villes ; les lieux de prédilection de la retraite des Chalonnais et des Burgiens sont sans doute moins éclectiques et davantage montagnards (la Savoie) et attirent même les Bressans jusque dans le lointain Sud-Ouest (les Landes). La migration des plus de 65 ans se rapproche évidemment très nettement de celle des inactifs, prouvant l'attrait du Midi, des régions côtières et de la Savoie pour achever une existence ; le département des Alpes-Maritimes exerce ainsi une même séduction très affirmée sur les migrants retraités des trois villes. Les discordances qui existent entre la répartition des inactifs et des plus de 65 ans désignent alors une migration d'inactifs à majorité composée de jeunes et de femmes sans emploi ; ils se dirigent par exemple vers le Nord-Est pour Mâcon, la Loire-Atlantique et la région Ile-de-France pour Chalon.
47Le groupe du "deuxième âge" (20-64 ans) recouvre certes une vaste partie de l'existence humaine liée peu ou prou à l'activité professionnelle et à la constitution des familles biologiques. L'addition réalisée à la saisie des données ne dissocie pas, hélas, le groupe en deux sous-ensembles plus représentatifs. Le premier, allant de 20 à 45 ans, serait celui de la "mobilité ascendante" des jeunes et adultes vivant la première partie de leur vie professionnelle, soucieux de meilleure qualification et de l'obtention de responsabilités. Dans le second sous-groupe le travail ne serait plus déterminant mais n’interviendrait que conjugué à des facteurs culturels et sociaux primordiaux le plus souvent envisagés dans la logique du temps de retraite. Néanmoins l’intégralité du groupe précise quelques aptitudes décelées précédemment. Ainsi les départements d'origine et voisins conservent-ils un taux de migration très moyen alors qu’une première auréole, située immédiatement au-delà et à une distance raisonnable de la ville de départ, attire fortement, de même que la région parisienne. Les départements de très forte attractivité se résument à quelques exceptions comme le Nord et le Puy-de-Dôme pour Chalon, la Loire et l’Hérault pour Bourg ou la Moselle pour Mâcon. Cette distribution des 20-64 ans se rapproche de celle des professions libérales et cadres supérieurs et celle des cadres moyens. Pour la première, il n'y a qu’un décalage dans les degrés d’attractivité. A une attractivité moyenne des professions libérales et cadres supérieurs correspond une forte attractivité des 20-64 ans. La répartition des cadres moyens est identique, si l'on se réfère à l’espace régional.

Fig-9 : Flux migratoire en France métropolitaine selon les tranches d’âge à partir de Mâcon - Source : R.G.P. 1975 (sondage au 1/5e)
48Ainsi sont confortés les premiers résultats d’analyse. Les catégories "aisées représentent une part de migrants inférieure à celle des ouvriers23. Mais leurs caractéristiques très affirmées pèsent d'un poids déterminant sur les orientations de l'ensemble du flux migratoire. Un seul examen des données quantitatives aurait masqué l'ampleur et la vigueur du phénomène de départ des cadres. Il particularise la migration de la ville moyenne.
49Par ailleurs, des similitudes se décèlent entre la répartition des citadins du troisième âge" et celle des classes de 20 à 64 ans. Il en est ainsi, par exemple, du Midi méditerranéen pour Chalon. des Alpes-Maritimes et de l'Hérault pour Mâcon. Existe-t-il alors ici des migrations de fin de carrière professionnelle qui préfigurent l'installation de la retraite et qui anticiperaient le vaste mouvement migratoire de la retraite au bord de la mer décrit par F. Cribier ? En tout état de cause, l'opposition est flagrante entre une France du Nord où la migration est liée au travail, et une France du Sud vers laquelle se dirigent des retraités ou des actifs préparant leur troisième âge ; cette dernière est aussi la France des emplois peu qualifiés à l'exception de l’Hérault et des Bouches-du-Rhône. L'attractivité de Bourg dans le département de l'Hérault est très forte à l'égard des 20-64 ans alors qu’elle disparaît envers les retraités. Il en est sensiblement de même pour les Bouches-du-Rhône et les Mâconnais ; par là se traduit la force d’attraction des pôles urbains de Marseille et surtout de Montpellier. Celui-ci attire puissamment les actifs du tertiaire supérieur de Bourg-en-Bresse.
50L'attractivité des villes étudiées, les unes envers les autres ou en regard des métropoles voisines et de Paris, selon les différentes catégories socio-professionnelles24, réaffirme simplement les spécificités économiques de chaque cité et la faiblesse des échanges entre villes moyennes. Seulement 17 Burgiens se sont installés à Chalon entre 1968 et 1975 ! Il est significatif de voir Paris, Lyon et subsidiairement Dijon attirer les "cols blancs" avec d'autant plus de bonheur que la ville est plus puissante. En revanche, les échanges entre Chalon, Mâcon et Bourg confortent, en dépit de leur pauvreté, la situation ouvrière de la première et celle de villes d'employés de bureaux des secondes, en particulier pour Mâcon.

Fig. 10 : Flux migratoire en France métropolitaine selon les tranches d'âge à partir de Bourg - Source : R.G.P. 1975 (sondage au 1/5e)
51Les espaces vers lesquels se dirigent avec prédilection les migrants chalonnais, mâconnais et burgiens relèvent essentiellement de l'appartenance régionale de chaque ville, dans la mesure où la migration donne le plus souvent lieu à un déplacement restreint à un espace local de proximité. Le flux chalonnais s'étire davantage le long d’un axe centré sur la Bourgogne allant de la Seine au Rhône alors que celui de Bourg est typiquement rhône-alpin. La retombée du courant migratoire mâconnais demeure intermédiaire entre les deux, tout comme la ville balance entre Dijon et Lyon. L’attraction du Midi est également forte pour les trois villes, avec une préférence de la part de Chalon.
52En dehors de la région propre aux trois villes, la migration entraîne à l'extérieur les catégories sociales les plus diplômées et les plus aisées, et les plus jeunes aussi si l'on se réfère à la faiblesse numérique relative des retraités. D'autre part, ces départs se dirigent, s'agissant d'actifs, vers les départements les plus dynamiques et selon les aptitudes de la main-d’œuvre de chaque cité. La carte des migrations ouvrières est à cet égard des plus explicites. Mais, la période du relevé des statistiques analysées allant de 1968 à 1975, on conçoit que des zones aujourd'hui en crise, comme le Nord ou la Moselle, puissent à cette époque encore être attractives, même à un faible degré.
53Néanmoins, la distinction est marquée entre les régions aptes à l’accueil des travailleurs et d’autres à celui des retraités. Une étude attentive des répartitions révèle cependant que le clivage n'est pas aussi rigoureux à l'intérieur des départements méditerranéens vers lesquels accourent les retraités ; parfois leur mobilité semble préparée de longue date. Mettre en relation directe le niveau d'emploi local et les mouvements de population conduirait à des approximations dangereuses, même si la migration pour raisons professionnelles est un facteur déterminant et renforce le pouvoir attractif des régions les plus dynamiques. Par ailleurs, la puissance d'attraction des régions méditerranéennes, manifestée dès avant 1975, témoigne de l’amorce du basculement des mouvements migratoires français accéléré entre 1975 et 1982, du Nord vers le Sud, et bouleversant l'organisation spatiale du territoire et des activités humaines, gommant ou renforçant les disparités régionales. Au sein d'un même modèle de comportement migratoire lié à l'attractivité des grandes villes et régions dynamiques semblent s'instaurer des pratiques nouvelles et complexes où les mouvements de population ne relèvent pas - et de moins en moins - de motifs d'ordre professionnel.
54Une dernière question demeure pendante et conséquente à ces conclusions. La migration particulièrement importante des couches supérieures de la société des villes moyennes est-elle inhérente à la ville moyenne dans son incapacité à les retenir sur place par des emplois appropriés, ou bien ne fait-elle que renforcer un phénomène de société ?
55Alors que la croissance s'amenuise et que la crise fait son apparition vers 1973, le système de la mobilité se détruit d'autant, comme le justifient en partie les succès des mouvements "vivre et travailler au pays". Si bien qu'avec le développement des nouvelles technologies souvent envisagées comme remède à la crise et alliées à la reconnaissance sociale du savoir, on assiste au développement relatif de la mobilité spatiale des classes dites culturelles. Ce mouvement trouve ses racines dans des tendances dessinées longtemps auparavant et que l'étude des migrations définitives entre 1968 et 1975 met en évidence. Par là, la ville moyenne montre son rôle dans la transformation de la société urbaine, mais aussi sa marque distinctive par l'ampleur du mouvement de fuite des classes supérieures. L'étude plus spécifique de la société en ville moyenne devra en rendre compte plus particulièrement25.
III.3. ESPACES PERI-URBAINS ET CHANGEMENTS DÉMOGRAPHIQUES
56La mobilité très grande des citadins de villes moyennes de Chalon, Mâcon et Bourg affecte les communes urbaines elles-mêmes, mais aussi l'espace non-urbain environnant, soit par prélèvement de populations migrant vers la ville, soit par redistribution de populations citadines. La ville agit comme une pompe aspirante et foulante mais dont la puissance offre une grande variabilité. C'est-à-dire que les espaces touchés par la mobilité ne le sont pas de la même manière au cours du temps, étant bien entendu que les mouvements de départ et d'arrivée, tout en étant simultanés, varient également et privilégient l'une ou l'autre des directions. Si bien que le changement démographique des zones de migration est lié à celui de la ville dont il dépend ; les pulsions de l'un induisent celles de l'autre, et réciproquement. On peut dire que le système migratoire urbain de la ville moyenne fluctue à la fois selon les périodes ou les lieux observés, et que les mécanismes internes d'appel ou de renvoi de population varient eux-mêmes en intensité pour un espace et une période donnés.
57Il ne s'agit plus alors de restituer le mouvement à partir de données statistiques synchroniques mais de saisir, à des instants précis, l’état démographique des espaces concernés par la dynamique urbaine, tout en cherchant à délimiter les frontières des dits espaces.
III.31. La retombée démographique
58L'étude des flux migratoires de départ a montré la puissance et l'extension spatiale du flux de proximité26. Mais de quel poids pèse-t-il sur ces zones rurales proches de la ville ? A-t-il même infléchi leur évolution démographique ? Quelles relations entre l'urbain et le non-urbain sont alors établies par le jeu des migrations de citadins de 1968 à 1975 et au bénéfice de quelle partie ?

Fig. 11 : Flux migratoire et population des cantons d’accueil, 1975.
Source : R.G.P. 1968-1975 (exhaustif)
- Le "poids" des citadins27
59Une répartition du flux migratoire d'origine urbaine selon son "poids" dans la démographie des cantons d’accueil se révèle très décevante si on la compare à l'envergure spatiale du courant migratoire ; mais on retrouve cependant les mêmes freins dûs aux frontières administratives départementales et aux lignes de relief, en particulier dans le massif jurassien.
60A l'évidence, le flux migratoire dirigé vers les cantons voisins n'affecte leur démographie que dans l’immédiate couronne ; dans la périphérie chalonnaise l’axe de développement est transversal et suit la route Le Creusot - Chalon - Dôle, troublant à peine la disposition selon une auréole régulière au-delà des cantons urbains chalon - nais. Dès la Côte-d'Or au nord et Tournus au sud, les ex-Chalonnais sont perdus dans la masse de population locale. La distribution est identique à Bourg et retrace l'attirance des Burgiens vers Lyon par la route de la Dombes. Un seul axe subsiste par rapport à la répartition globale du courant migratoire de Bourg. D'autre part, même si une fraction importante se dirige vers les pôles d'emploi de l'Est du département, elle n’interfère pas dans leur démographie.
61La Saône perturbe la retombée auréolaire du courant migratoire mâconnais au bénéfice des cantons occidentaux, et le poids démographique des migrants n'est sensible que dans une dizaine de cantons s'étendant de Tournus au nord à Belleville au sud, et de Matour à l'ouest à Pont-de-Veyle à l'est. Au-delà il ne représente qu'une très faible part, soit parce que la retombée y est faible (canton de Sennecey-le-Grand), soit parce que la population cantonale lui est supérieure en nombre, en particulier en raison de la présence d'une ville d'importance semblable ou supérieure (Chalon au nord, Villefranche au sud, Bourg à l'est).
62L'examen du flux migratoire de la ville moyenne selon un critère de "poids" démographique conduit à une représentation restreinte et bien circonscrite, limitant l'influence spatiale urbaine à une zone de proximité dans la mesure où elle est conçue, dans ce cas précis, comme lieu de dépendance à la ville. Mais est-ce à dire que la dépendance est telle que l'apport des citadins soit décisif pour le devenir des cantons d'accueil ?

Fig. 12 : Flux migratoire et accroissement des cantons d'accueil, 1975
Source : R.G.P. 1968, 1975 (exhaustif)
- Le devenir rural28
63Il est possible de répondre à cette interrogation si l'on effectue une répartition des migrants en tenant compte de la part qu’ils représentent dans la variation démographique cantonale durant la même période de 1968 à 1975. Evidemment, seule la variation absolue est retenue et le sens de la variation est inscrit à titre indicatif.
64Apparaissent alors nettement des sous-espaces démographiques pour lesquels l'arrivée des citadins joue selon des degrés divers.
65Tout d'abord se lit une zone de très forte domination urbaine, sensiblement plus importante que ne le laissaient prévoir la retombée spatiale du flux migratoire et son "poids" démographique local. Ici, l’arrivée des citadins, dans les cantons ruraux jouxtant la ville, est très largement responsable de l’accroissement de population. C'est le cas des cantons de Bâgé-la-Ville et La-Chapelle-de-Guinchay pour Mâcon, des cantons au nord-nord/ouest de Bourg, ou bien des cantons qui s'étendent de Chagny à Tournus pour Chalon. A tout le moins, le courant d’immigration compense quasiment un déclin qui serait sévère sans cet apport, comme à Tramayes, Autun, Montrevel-en-Bresse. Le canton de Tournus offre la particularité d'être sauvé du déficit démographique par l'installation conjuguée des Chalonnais et des Mâconnais. Il le doit sans doute à sa position médiane entre les deux grandes villes du département, à sa situation de carrefour et à ses implantations économiques importantes dans une petite ville dynamique qui organise manifestement sa région alentour, fût-elle aux dimensions restreintes d’un canton.
66Au sein de la zone de très forte émigration se distingue un second groupe de cantons définissant un monde rural globalement dépendant de la ville, à proximité de celle-ci le plus souvent (Lugny, Sennecey-le-Grand...) parfois même au-delà (Buxy, Pont-de-Vaux...) où, malgré un courant important de migrants, la baisse démographique est péniblement freinée29. Le seul bilan démographique cantonal ne laissait pas soupçonner une si forte tutelle urbaine. Celle du canton de Pont-de-Vaux est particulièrement significative ; bien que bénéficiant des flux conjugués de Bourg et de Mâcon, représentant plus de 2 % de sa population, le canton régresse encore quelque peu.
67Pour les cantons des marges de faire chalonnaise la perte de population est sévère (Couches :-8 %, Montret : 11 %, Saint-Germain du Bois :-9 %) ; on ne rencontre pas ici, à l'exception - médiocre il est vrai - de ceux de Louhans ou du Creusot, de cantons ayant été capables de relancer leur croissance sans le secours des émigrants chalonnais.

Fig. 13 : Mâcon, flux migratoire et population des communes d'accueil, 1975 Source : R.G.P. 1968, 1975 (exhaustif)
68La domination chalonnaise est ainsi toute puissante sur une zone qui entoure les cantons urbains et péri-urbains de Chalon. Au delà le marasme démographique domine. En revanche, dans l'aire burgienne, les creux démographiques ne se rencontrent qu'au Nord du département et pour trois cantons seulement. L’influence de Bourg est plus diffuse, sans doute moins violente, et si les cantons entre la Saône et la rivière d'Ain manifestent une bonne santé démographique, les retombées de la croissance mâconnaise en rive gauche de la Saône, mais surtout de celle de Lyon au Sud-Ouest du département, n'y sont pas étrangères.
- La tutelle démographique urbaine
69La plus grande complexité de faire de retombée démographique mâconnaise nécessite une étude au niveau communal afin d'affiner l'image d'ensemble des migrations citadines sur la campagne environnante30.
70Les communes des axes principaux N.6/N.79 ont certes appelé le plus de population et, particulièrement, celles de la rive droite de la Saône et de la fraction occidentale de la route de Nevers. De manière flagrante ici, la Bresse n’apparaît touchée par ce courant migratoire que le long de la Saône, et en tout état de cause à une très faible distance de Mâcon, alors que l'influence mâconnaise s'étale loin à l'ouest, couvrant le Mâconnais, se diffusant en Clunysois et Charolais. Et dans l'ensemble, la part du flux urbain est déterminante dans le bilan démographique de ces communes (figure no 13). Sur 83 communes concernées, 35 voient leur variation démographique déterminée par l'arrivée des Mâconnais. Il serait plus exact de dire que certaines furent submergées par ce flot de nouveaux venus ! Ainsi Prissé accueille 100 Mâconnais pour une solde démographique de 4 personnes. Mais d'autre part, combien de communes sont sauvées par ce courant régénérateur ! Citons Matour, Pierreclos, Saint-Gengoux-de-Scissé, ou encore Manziat, Thoissey... Certaines n'enregistrent qu'une légère baisse : Varennes-les-Mâcon, Tramayes, Saint-Jean-de-Veyle... Il s'agit bien d’une véritable mainmise démographique de la ville sur sa campagne avoisinante. Les exceptions sont celles de communes trop exsangues (Saint-Pierre-le-Vieux) ou puisant en elles-mêmes leurs propres ressources démographiques (Cluny, Belleville...). Les communes du Mâconnais, à l’encontre de celles du Sud de la Bresse ou de la Dombes, ne peuvent bénéficier des retombées lyonnaises, car Villefranche-sur-Saône s'inscrit comme un écran aux confins du Beaujolais et du Mâconnais et ne dispose pas elle-même d’une puissance suffisante qui suppléerait à celle de Lyon.
71Le flux migratoire de la période intercensitaire 1968-1975 s'est affirmé sur les cantons voisins des villes moyennes étudiées, et particulièrement sous forme d'auréoles autour de Chalon et de Bourg, et davantage à l'ouest qu'à l'est de Mâcon. Si les effets induits localement manifestent parfois des disparités, ils n'en demeurent pas moins décisifs ; car sur un rayon d'une trentaine de kilomètres, il s’agit d’un courant migratoire très fort qui à lui seul détermine l'avenir démographique de cet espace périurbain. Les conséquences économiques et sociales - ici hors de notre propos - sont évidemment à la mesure de ce flux puissant et déterminant. Il renverse la tendance migratoire précédente qui dépeupla les campagnes au profit des villes-centres.

Fig.14 : Variation démographique communale dans la région mâconnaise, 1968-1975
Source : R.G.P. 1968,1975
72Celles-ci ont redistribué leur croissance selon des modalités propres à chacune où la dynamique urbaine interfère aussi avec les données locales au fur et à mesure que s'accroît la distance à la ville. Plus encore que les retards économiques ruraux, le rôle des axes de communications, ou même la richesse d'un patrimoine culturel, les états d'esprit locaux ainsi que les images mentales des paysages et les valorisations sociales qui leur sont associées expliquent les disparités démographiques des lieux d'émigration citadine plus éloignée et la complexité des rapports entre la ville et son espace d'influence.
73En revanche, dans la première couronne cantonale, la puissance urbaine seule est souveraine. Les résultats du recensement général de 1982 confirment le maintien du flux d'arrivée extra-urbain et son étalement spatial, conséquence de la récession démographique urbaine enregistrée à partir de 197531.
74Mais pour rendre compte de la mobilité des populations urbaines et à travers elle, du processus d'organisation d'un espace par sa métropole - cette dernière fût-elle moyenne il reste à déterminer ses relations avec la périphérie urbaine aussi bien qu’avec des zones plus ou moins lointaines où le courant migratoire s’exerce en sens inverse au moins temporairement.
III.32. Les espaces d'entraînement urbain
75Si les retombées démographiques urbaines contribuent à créer des dynamismes spatiaux différents selon les pulsions urbaines, elles ne suffisent pas à les déterminer ; d'autres facteurs entrent en jeu, comme les propres ressorts démographiques des espaces considérés, leur attractivité exercée au-delà de la ville-centre ainsi que la rétention de population qu'ils effectuent face à un centre urbain qui n'est pas toujours apte à absorber un important flux migratoire convergent. Dans la mesure où ces éléments interviennent de façon simultanée, il devient difficile de définir le périmètre d'étalement démographique urbain au sein duquel se distingue l'agglomération.
76Deux phénomènes se sont développés parfois de manière concomitante : d'une part celui du bourgeonnement périphérique urbain - l'exurbanisation - issu de l'industrialisation urbaine qui a pris naissance à la fin du XIXe siècle et s'est poursuivi jusqu'à nos jours, et d'autre part la suburbanisation conséquente à la diaspora urbaine développée après la seconde guerre mondiale. Sortes d'espaces gigognes aux limites variables selon les époques considérées, le périmètre d'étalement démographique et l’agglomération sont également des éléments de mesure du dynamisme de la ville-centre qui les génère en partie.
77Mais le problème essentiel à résoudre est alors celui de la discrimination spatiale ; comme l'écrit R. Brunet (1968) : "Les discontinuités au sein d'une évolution se marquent généralement par la présence de seuils". Ce sont ces seuils qu'il s'agit d'apprécier en regard à la fois de la commune-centre et d'un au-delà dont le comportement démographique ne saurait qu'être distinct, sinon contraire.
- Le périmètre d'étalement burgien
78Le cas de Bourg-en-Bresse est exemplaire dans la mesure où une relative uniformité du paysage naturel, comparativement aux situations chalonnaise et mâconnaise, réduit les exceptions et les particularismes.
79En effet, la ville de Bourg occupe une position remarquable sur une axe de dédoublement de la vallée de la Saône au contact de trois régions la Bresse, la Dombes, et le Revermont jurassien. Dans ce pays de plaines et de vallons, où la multitude des haies verdoyantes lui attribue un aspect de bocage, la quasi uniformité des paysages et des économies essentiellement vouées à une polyculture orientée vers l'élevage a maintenu longtemps une uniformité des genres de vie à laquelle les pays de vignobles du Chalonnais et du Mâconnais ne peuvent prétendre ; qui plus est, la présence de la Saône comme frontière politique dans le passé et limite administrative aujourd'hui, génératrice de différences, voire d'opposition, dans les comportements des populations locales, perturbe autant que faire se peut une répartition homogène des populations et des activités économiques de la vallée.
80Dans l'ensemble, les communes bressanes ne commencent à connaître un regain de vitalité qu'après la première guerre mondiale, sous l'influence de quelques facteurs économiques locaux comme l'installation de petites entreprises, mais le plus souvent en des points essentiels des axes de communication et de toute manière en dehors de l'ascendance de Bourg. Ce n'est qu'après 1946 que l'on assiste à un bouleversement de la répartition de la population dans la campagne bressane et que se dessine un périmètre d’étalement, c'est-à-dire une auréole de renouveau démographique, autour de Bourg en-Bresse, alors que l'environnement se distingue par une dépopulation marquée. C'est le passage de la décroissance à la croissance démographique qui marque le seuil d'entrée dans le périmètre d'étalement. Ses variations internes, à la fois selon son emprise spatiale et selon son dynamisme propre, sont autant d'éléments explicatifs du changement urbain, dans la mesure où cette auréole de croissance est intimement liée à l'existence de la ville-centre. Certes faut-il encore apprécier ce qui relève des mouvements d'ensemble d'un même système spatial de ce qui en revanche n’est relié qu'à des épiphénomènes locaux, ou nationaux, telles les tentatives de repli rural encouragées à l'époque de la "Révolution Nationale" du Gouvernement de Vichy.
81L'existence et la variabilité du périmètre d'étalement suscitent des interrogations fondamentales quant à la compréhension de la dynamique de la cité-centre. Le périmètre implique un phénomène de régulation démographique à l'intérieur du système spatial urbain. Il absorbe d'une part le trop plein urbain, et d'autre part agit à la fois comme un filtre dans la mesure où sa croissance est essentiellement dûe à celle du solde migratoire dont l’ampleur masque la fécondité naturelle locale.
82L'extraordinaire essor de Bourg après la guerre, qui conduit à un gonflement brutal de sa population32, ne permet pas de faire face aussi rapidement aux exigences d'équipements destinés à l’installation des populations nouvellement venues. Si une redistribution de population urbaine s'opère vers la périphérie ainsi que nous l'avons montré précédemment, il existe d'autre part une migration de population rurale vers les communes du périmètre d’étalement, en général en attente d'une seconde migration vers la ville lorsque les conditions d'accueil sont réunies. Ces phénomènes sont le plus souvent simultanés, certains facteurs explicatifs l'emportant selon les périodes considérées.
83Entre 1946 et 195433 seules quelques communes suivent le modèle de développement burgien, c’est-à-dire celui d'une croissance encore limitée (inférieure à 5 %) ; six communes se dégagent à peine du marasme passé (croissance inférieure à 2,5 %), une seule dépasse les 15 % d'accroissement et de toute façon aucune ne franchit le seuil de très forte croissance de 20 %. En revanche, la décroissance se poursuit, et parfois sévèrement, y compris pour des communes limitrophes de Bourg. En réalité ces huit années ne représentent qu'un temps privilégié pour la plupart de ces communes à croissance positive, sans doute en raison du redressement démographique de l'immédiat après-guerre et par suite de leur situation favorable le long des axes de communication émanant de Bourg, en particulier le long de la liaison vers Lyon (N.83). La crise du logement est alors particulièrement sévère à Bourg et cela explique la quasi obligation à la migration journalière pour les populations rurales travaillant à la ville grâce à la reprise de l'après-guerre. En quelque sorte la situation de Bourg rend compte du maintien démographique des communes du périmètre.
84Entre 1954 et 196234 la zone en situation de croissance démographique s'est considé rablement restreinte par rapport à la période précédente ; réduite à quelques communes jouxtant Bourg (St-Denis, Jasseron, Ceyzériat en particulier), on ne peut véritablement parler de périmètre d'étalement. Bourg-en-Bresse ne produit qu'un très faible effet d'entraînement. Au contraire, la plupart des communes de faire environnant Bourg accentuent leur déclin démographique. Citons par exemple Viriat, Treffort, Cuisiat, Buellas, Ramasse, Marboz, Lent, Certines... Tout se passe comme si Bourg, plus capable d'accueillir des nouveaux venus que par le passé, les prélevait en priorité sur la périphérie urbaine. Les rapports entre cette dernière et Bourg sont vécus en terme d'opposition.

Fig. 15 : Bourg, périmètre d'étalement démographique 1946-1982
Source : R.G.P. de 1946 à 1982
85Il faut attendre la période intercensitaire suivante (1962-1968) pour voir un véritable périmètre démographique s'établir et constater, avec un effet d'entraînement manifeste, que les rapports de croissance sont effectués dans le même sens35. Les grandes voies de transit à partir de Bourg paraissent encore orienter le développement (Bourg/Ambérieu, Bourg/Mâcon), en particulier celle qui relie la ville à la métropole lyonnaise et déjà efficiente dès 1946. Cependant les liens entre Bourg et son périmètre sont plus complexes que l'apparence ne le laisse deviner. En effet, si Bourg s'accroît toujours vigoureusement entre 1962 et 1968 (+2,7 % par an), sa croissance connaît cependant un fléchissement (-7,1 % par rapport à 1954-62), et elle n'emporte plus la palme du développement, détenue en revanche par les communes de l'agglomération (Saint Denis-les-Bourg : 28,8 %, Péronnas : 38,2 %) ; certaines passent brusquement d’un état de déclin à celui d'une très forte augmentation. Péronnas présente le cas le plus patent36, mais bien d'autres connaissent à leur tour la situation vécue par Bourg dès la période intercensitaire précédente. C'est-à-dire que les équipements d'accueil font le plus souvent défaut et que les municipalités ne savent plus comment faire face aux besoins nécessités par cet apport de population dont la majorité travaille à Bourg. En effet, le redéploiement industriel s'effectue à l'intérieur de la commune de Bourg dont la vaste superficie (23,86 km2) est loin d'être saturée en 1968. Cependant, les programmes de construction de logements ne se réalisent pas à un rythme suffisamment rapide pour absorber la demande ; en particulier la zone d'habitat de la Croix-Blanche se terminera seulement dans les années quatre vingt37 ! Les communes de périphérie bénéficient donc, directement, à la fois des premières retombées de population de la ville-centre vers l'extérieur proche, et des migrations à destination du marché d'emploi burgien qui se révèle incapable d'offrir un parc de logements suffisant, et oblige ainsi à une installation dans les communes voisines ; d'autre part, l'engouement pour la maison individuelle et les aides à la construction qui se développent alors ne sont pas non plus étrangers à ces choix d’habitat. Si bien qu'en 1968, vingt communes constituent une auréole de croissance démographique autour de Bourg et émergent d'une zone dépressionnaire où la décroissance est très souvent sévère38.
86Au recensement de 1975 le périmètre burgien est à peine transformé, montrant à la fois des tendances à la récession pour certaines des communes qui le constituent et des effets d'entraînement sur ses propres marges39. Alors qu'en 1968 seule la minuscule commune de Saint-Just n'a pas encore entamé un processus de "décollage" démographique, en 1975 quatre communes offrent un bilan négatif : Saint-Just, Ramasse, Villereversure et Montcet. En revanche, toutes les autres accentuent leur croissance, et en particulier celles du sud, et par étalement les communes contiguës entrent dans leur phase de croissance.
87Les résultats du R.G.P. de 1982 confirment les tendances précédentes40. C'est-à-dire que par ralentissements successifs, la situation démographique de Bourg atteint la récession41 ; le solde migratoire est devenu suffisamment négatif pour ne pas permettre au solde naturel de maintenir la croissance. A l’inverse, les communes de la zone de croissance apparue entre 1962 et 1968 connaissent presque toutes une très forte expansion et les coups d'arrêt décelés en 1975 ont été sans lendemain puisqu'ils précédent derechef une relance de la croissance. A nouveau les rapports de croissance entre Bourg et son auréole de croissance se définissent par opposition. Cependant, peut-on encore parler de périmètre d’étalement urbain, dans la mesure où les communes d'appartenance ne se distinguent plus que par un très fort degré de croissance d’un ensemble devenu, en 1982, en situation généralisée de développement démographique ? Tout se passe comme si les influences respectives des villes voisines s’étaient étendues spatialement au maximum, au point de ne plus permettre de vides interstitiels entre Bourg et Mâcon à l’ouest, Bourg, Oyonnax et Nantua à l’est, Bourg et Lyon au sud. Cependant un axe majeur de développement se situe dans la direction sud-ouest-nord-est, soit celle de Lyon-Bourg, en direction des cantons du Sud du département du Jura (Saint-Amour). Sans doute les effets conjugués de l’influence dominante de Bourg, et subsidiairement celle de Lyon, se manifestent-ils ainsi. Pour tant au nord, le canton de Saint-Trivier-de-Courtes reste imperméable à toute sollicitation, et poursuit une décroissance constante, constituant ainsi un véritable "désert" démographique42. Seul le canton de Saint-Rambert-en-Bugey peut lui être comparé, et offre également au Sud-Est du département une poche résiduelle et déficitaire, cependant moins importante et plus éloignée de Bourg que celle de Saint-Trivier-de-Courtes.
88Lié aux propres pulsions démographiques de la ville-centre, le périmètre d’étalement permet de s'interroger sur le rôle et la puissance démographique de la cité. Depuis la guerre, la croissance de Bourg explique à la fois la faiblesse de la récession démographique des communes de périphérie, dans un premier temps, et le développement plus ou moins rapide qui s'effectue de proche en proche à partir surtout de 1968, par arrivées d'anciens Burgiens et de populations bressanes cherchant à se rapprocher de la ville. En 1982, le périmètre d'étalement peut être défini comme le lieu où, entre 1954 et 1982, les communes ont subi une croissance démographique sinon continue, au moins très forte (plus de 15 %) durant l'une des périodes intercensitaires de référence, et qui se maintiennent toujours en situation d'expansion. En effet, les variations internes montrent des caractéristiques intéressantes prouvant que l'ensemble communal ainsi défini se comporte comme un système spatial ouvert où les apports extérieurs sont supérieurs à ses propres forces démographiques internes. L'expansion spatiale maximale trouve ses limites à la rencontre de celles des systèmes voisins43, de telle manière qu'une situation d'équilibre finit par être atteinte comme l'indiquent les résultats du recensement de 1982. Durant ces trente dernières années, la croissance s'est opérée en une succession d’ondes venues de Bourg. Tout d'abord seules deux communes sont entraînées dans le processus de croissance accélérée (1954-62), puis trois (1962-68), puis huit (1968-75), puis quatorze de 1975 à 1982, alors que les premières communes atteintes ralentissent à leur tour leur expansion, tout comme Bourg en a d'abord donné l’exemple. Il semble que le modèle urbain soit reproductible dans son périmètre d'étalement, selon un décalage chronologique lié à la fois à la proximité et aux facultés locales d’absorption de populations nouvelles qui sont susceptibles d'introduire des variations dans le processus de régulation démographique engagé par vagues successives. Cependant, la puissance d'expansion se révèle telle, qu'à plus ou moins long terme, les conditions locales n'apparaissent plus comme un facteur capable d'infléchir une évolution inéluctable. Les bilans démographiques entre 1968 et 1975 d'une part, et entre 1975 et 1982, d'autre part44, sont à cet égard des plus significatifs. Les premières communes affectées par le phénomène d'expansion et constituant l'ébauche du périmètre d'étalement ne pourraient-elles alors définir l'agglomération urbaine, dans la mesure où la contrainte de contiguïté spatiale est vérifiée ?
- Les agglomérations45
89La définition d'une agglomération semble en effet ne pas être très simple, en dépit d'une acception banale par tout un chacun et d'un semblant d'approche rigoureuse par les services de l'I.N.S.E.E. ; ces derniers déterminent des "unités urbaines", c'est à-dire "une ou plusieurs communes sur le territoire desquelles se trouve un ensemble d'habitations qui présentent entre elles une continuité et comportent au moins 2000 habitants". Lorsque l'unité urbaine est constituée de plusieurs communes, elle est dénommée "agglomération urbaine multicommunale". En réalité cette définition manque à la fois de souplesse et de rigueur, en particulier lorsqu'il s'agit des agglomérations de villes moyennes où l'urbanisation, plus ou moins diffuse, est souvent très lâche, même à proximité de la ville-centre ; ainsi une commune urbaine parfois importante peut être exclue de l'agglomération par la simple présence d'une solution de continuité spatiale. Tel est le cas patent de Saint-Marcel-les-Chalon qui compte 2800 habitants dès le recensement de 1946, mais qui, bien que contiguë à Chalon, se trouve hors de l'agglomération chalonnaise au sens I.N.S.E.E. du terme, en raison de sa situation en rive gauche de la Saône, au-delà de la prairie inondable mise hors d'eau tardivement afin d'édifier une nouvelle zone industrielle chalonnaise. Ce n'est qu’au recensement de 1982 que la commune de Saint-Marcel est incluse dans l'agglomération de Chalon, par ailleurs portée à dix communes au lieu de six précédemment.

Fig. 16 : Les agglomérations de Bourg et de Chalon 19541982.
Source : R.G.P. 1954-1982
90La même remarque vaut pour Bourg et plus encore pour Mâcon en raison de sa forme étirée sur une dizaine de kilomètres le long de la rive droite de la Saône, face à la prairie bressane inondable d'où émergent sur les buttes et terrasses fluviales quelques bourgs relevant de l’administration du département de l'Ain et peuplés en majorité de travailleurs mâconnais.
91Si l'on considère l'agglomération comme un ensemble de communes contiguës où les rythmes de développement démographique sont effectués selon un même modèle de croissance reproduisant celui de la ville-centre, il devient possible de cerner la constitution de l'agglomération aux différentes périodes intercensitaires. Nous avons retenu comme seuil de croît significatif un accroissement démographique communal d'au moins 15 % entre deux recensements, afin d'exprimer le "décollage" de la commune. C'est par ailleurs, à partir de la ville-centre, repérer la diffusion de fonde d'étalement démographique sur les communes de l'immédiate périphérie. Pour l'ensemble de ces communes, la croissance est brutale et importante, et le plus souvent d’assez courte durée. Aussi celles qui ont montré un modèle de croissance, développé dans le même temps que celui de la commune-mère, sont déjà entrées dans la phase de réduction de la croissance, voire dans celle de la décroissance46.
92L'agglomération de Bourg s’est constituée lentement, par adjonction régulière de communes de périphérie entrant dans le processus de croissance du modèle burgien47. Mais aucune en 1982 n'a encore abordé le stade de la décroissance. Seule la phase d'affaiblissement est entamée. Aussi selon notre approche, neuf communes définissent aujourd'hui l'agglomération burgienne, et non six comme l'expriment les statistiques de l'I.N.S.E.E.
93En revanche, à Chalon sur-Saône, la formation de l'agglomération est à la fois plus rapide et plus complexe. La densité urbaine et l'effet de taille en sont les causes essentielles, et expliquent que dès 1962 six communes dessinent déjà l'agglomération chalonnaise ; d'après les résultats du dernier recensement, onze communes la compo sent, où deux d'entre elles, tout comme Chalon, expriment un déficit démographique par rapport à 1975 (Oslon, Saint-Marcel-les-Chalon).
94D'autre part, si l’on distingue au sein de l'agglomération burgienne un même modèle de croissance répété selon les points de départ de l'expansion avec un décalage chronologique, on peut en revanche déterminer un second modèle quant au développement des communes de l’agglomération chalonnaise. Il s'agit en quelque sorte d’un sous-modèle du premier où le maximum de croissance, puis la phase de ralentissement, voire de décroissance sont atteints plus rapidement. Ici la transformation est brutale et fonde de croissance frappe cette portion de périphérie urbaine avec une grande violence, en conjuguant à la fois sur une brève période, les effets des flux de retombée de la commune-centre et de ceux issus des couronnes plus lointaines non encore touchées par l'expansion ; enfin s'additionnent par rétroaction positive, les gains d'un solde naturel excédentaire induit par les premières migrations de populations jeunes venues grossir la main-d’œuvre urbaine. Dès lors les problèmes aigus auxquels la ville-centre a fait difficilement face entre 1954 et 1975, afin de tenter de maîtriser la croissance, se retrouvent de proche en proche dans les communes de l'agglomération, et les flux de départ à destination des plus lointaines couronnes urbaines prennent aussi naissance dans les communes de l'agglomération. Pour certaines d'entre elles, ces courants sont devenus d'une importance telle qu'ils déterminent le sens de la variation démographique et créent au cœur des agglomérations de nouveaux seuils de discontinuité spatiale. Depuis la seconde guerre mondiale et jusqu’en 1975 ces seuils n'apparaissent qu'aux marges des couronnes d’étalement urbain peu à peu soumises au processus d'expansion.
95Il semble bien que s'amorce pour la première fois un renversement radical des tendances démographiques qui dépeuplèrent longtemps les campagnes au profil des villes. Une analyse fine de la situation communale des périphéries de villes moyennes autorise cette prospective à court terme dans la mesure où les observations portent sur un échantillon de communes suffisamment étoffé pour ne pas se limiter à des cas d'espèces et assez restreint, d'autre part, pour que la masse des cas possibles ne masque pas les grandes tendances de comportement démographique communal.
96Sur une période de plus de trente ans, il apparaît certain que les périmètres d'étalement, comme les agglomérations, présentent des réalités spatiales des plus fluctuantes et chaque mention doit clairement signifier la période considérée. Par suite de ces variations et des distorsions existantes entre nos définitions de ces entités urbaines et celles de l'I.N.S.E.E. nous préférons pour notre part, et selon nos objectifs de recherche relatifs à la ville moyenne, nous référer à la commune-centre, élément moteur de l'ensemble du système spatial urbain dont les différents éléments reproduisent peu ou prou le modèle de croissance.
III.33. Les espaces désertifiés
97L'étude des périmètres d'étalement a montré que les seuils de variation démographique au-delà desquels se discernent les zones en situation de décroissance sont reportés peu à peu sur l'extérieur de l'espace d'influence urbaine jusqu'à un état d'équilibre à partir duquel, dès 1975, la récession affecte à nouveau le centre urbain alors que la dernière couronne péri-urbaine entre dans le processus de croissance. Si bien qu'aujourd'hui, seules subsistent des poches résiduelles dépressionnaires ayant échappé de manière quasiment irréductible aux effets d'étalement démographique nés de l'hyper croissance de l'unité urbaine motrice, située au cœur du système spatial urbain considéré. Ces zones désertifiées mesurent les degrés de résistance à l’influence urbaine, en un temps donné de la croissance de la ville, et au terme de sa phase ascendante.

Graphique 20 : Variation des composantes démographiques solde migratoire et excédent natures dans les cantons du Mâconnais 1954-1982.
Source : R.G.P. 1954-1982
98Les cantons du Mâconnais offrent à cet égard un excellent exemple d'espace rural peu à peu soumis à la redistribution de la croissance démographique urbaine, alors que d'autres comme ceux de Matour et de Tramayes, aux confins du Charolais et du Mâconnais, ou bien de Cuisery et Saint-Trivier-de-Courtes (en Bresse) demeurent encore des espaces désertifiés.
- La désertification réductible ou les espaces dans la mouvance urbaine
99Etirés du nord au sud entre la canton de Tournus et celui de Belleville situé dans le département du Rhône, serrés entre la Saône à l'ouest et la vallée de la Grosne à l'est, les quatre cantons mâconnais48 rassemblent 52 communes le plus souvent accrochées aux flancs des coteaux viticoles traditionnellement bien peuplés.
100Entre 1954 et 198249 ces quatre cantons montrent tous une croissance régulière de leur solde migratoire, hormis une courte récession de celui-ci de 1968 à 1975 pour les deux cantons Sud (Mâcon-Sud et La Chapelle-de-Guinchay). C'est-à-dire qu'au cours de ces trente dernières années, la migration vers ces cantons proches de la ville de Mâcon ne fait que s’accentuer, réduisant peu à peu les effets de l’émigration et/ou le déficit démographique. Les cantons Nord apparaissent cependant manifester un comportement similaire entre eux, mais relativement différent de celui des cantons Sud. Il est vrai que ceux-ci présentent une superficie plus restreinte et sont également plus tournés - et depuis longtemps - vers la viticulture de qualité (P. Goujon, 1973) que les cantons du Nord où la polyculture l'emporte malgré une production viticole non négligeable ; si bien que l'exode rural s'y révèle d’autant plus sévère, dans une situation économique médiocre et déstructurée.
101Les petites exploitations traditionnelles ne sont plus viables et les mutations économiques nécessaires inachevées, alors que le long de l'axe de la Saône les terres agricoles se raréfient au profit des lotissements, des zones artisanales et industrielles50 et par des prédations multiples opérées au bénéfice des nouvelles voies routières telles les autoroutes et les raccords routiers nécessaires. Sans doute pourrait-on également expliquer ces différences dans l'évolution des courants migratoires, en arguant de la plus ou moins grande proximité à la ville. Si celle-ci est effectivement plus faible dans le Sud, le compartimentage des coteaux et leur altitude plus élevée infirme la validité du facteur distance.
102Le solde migratoire des cantons de Lugny et de Mâcon-Nord croît régulièrement, et en particulier lors de la dernière période intercensitaire où il gagne respectivement 2,08 % et 1,55 % ; il devient cependant positif dès 1962 pour Mâcon-Nord, lui permettant d’obtenir dès lors une croissance positive. Dans le canton de Lugny, il faut attendre 1975 pour que la reprise démographique s'amorce grâce à un solde migratoire suffisamment positif ; car, de même que dans le canton voisin de Mâcon-Nord, le bilan naturel ne fait que s'aggraver de 1954 à 1982 ; à partir de 1968, conjugué à la migration, il contribue à la baisse de population. Ce schéma est conforme à celui de l'ensemble du dépeuplement rural du département de Saône-et-Loire.
103Ainsi, c'est bien l'arrivée de populations nouvelles qui préserve ces cantons ruraux de la mort démographique. En effet, l'indice de vieillissement51, proche du seuil critique dans le canton de Lugny en 1954, atteint à partir de 1962 un indice rassurant supérieur à 100, signifiant que les jeunes de moins de 20 ans sont alors au moins aussi nombreux que les plus de 60 ans. Peu à peu, comme l'indique l'évolution de l'indice de vieillissement de 1954 à 1975, ces cantons rajeunissent grâce aux nouvelles installations de population ; néanmoins en 1982, elles ne suffisent pas encore à rétablir un bilan naturel positif. Sans doute la migration fait-elle ici figure le plus souvent de dernière migration du cycle de vie, préparant la retraite et très fréquemment, par la même occasion, le retour au pays. Un temps désertifié, ces cantons renaissent au fur et à mesure que les migrations de population les atteignent enfin.
104Sans doute parce que plus proche de la ville, mais aussi parce que le relief y est plus apaisé, le canton de Mâcon-Nord a bénéficié beaucoup plus tôt des flux de population citadine. Cependant, les structures socio-démographiques des flux des nouveaux venus sont certainement semblables à celles des autres courants à destination des cantons voisins si l'on veut bien considérer la baisse régulière du bilan naturel dans les quatre cantons retenus, où les choix de fécondité actuels de la société française ne sont pas non plus étrangers. A cet égard, le canton de La Chapelle-de-Guinchay rejoint une situation voisine de celle des deux cantons du Nord du Mâconnais : le solde migratoire est aujourd’hui exclusivement responsable de la croissance. Si bien qu'en 1982, seul le canton de Mâcon-Sud bénéficie d'une croissance privilégiée et d'une population plus équilibrée en âge et plus dynamique. Le bilan naturel est ici encore positif. Il est vrai que les communes concernées appartiennent plus que dans les autres cantons à la première couronne de la croissance suburbaine mâconnaise.

Fig. 17 : Résidence secondaires dans les cantons du Mâconnais
105L'étude des résidences secondaires (N. Commerçon, 1973) implantées dans les 52 communes de ces quatre cantons mâconnais montre que leur présence est liée à la situation démographique de la commune d'accueil. Dans une régression multiple, ce sont les facteurs démographiques qui expliquent l'essentiel de la variance ; si l'on prend en compte la totalité des résidences secondaires, d'après les matrices d'imposition, 65 % de la variance relève de variables démographiques !
106Les communes en très forte situation de décroissance, voire exsangues démographiquement, ne sont même pas attractives pour les candidats aux fins de semaine ou aux vacances campagnardes. Par exemple, la commune de Montbellet, dans le canton de Lugny, possédant le plus faible indice de résidence secondaire52 (6,3%) connaît une perte de population très grave entre 1962 et 196853. Ce sont les communes proches de la ville, et retrouvant par là une certaine vitalité, qui rassemblent le plus de résidences secondaires, qu'elles soient possédées par des Lyonnais, de plus lointains Parisiens, ou encore et surtout par des Mâconnais. Ces derniers constituent évidemment le groupe le plus important (29 % des résidences secondaires recensées) et recherchent les communes les moins éloignées de Mâcon, sans doute afin de convertir un jour les résidences secondaires en résidences principales.
107Il faut alors comprendre le facteur "distance à la ville" comme un élément de redondance, simple expression du regain démographique lié au redéploiement de populations urbaines. Aussi, jusqu'en 1975, la situation du canton de Lugny peut paraître tragique. Il ne profite même pas du renouveau qu'implique l'installation de résidents temporaires car il ne peut leur offrir un minimum de dynamisme local suffisamment attirant pour le citadin en mal d'exotisme rural.
108Le dynamisme urbain sauve, avec plus ou moins de bonheur et de précocité, des espaces ruraux qualifiés il y a quelques décennies de poches de désertification. L’onde d'étalement a gagné tout récemment les plus lointaines de celles-ci, mais l'âge des migrants, comme l'affaiblissement général de la croissance démographique française, n'autorise pas à une prospective totalement optimiste quant à l'avenir à moyen terme de ces régions. Il semblerait, du moins pour cet exemple précis, que soient atteintes pour un temps les bornes de l'influence urbaine mâconnaise sur la partie Nord des coteaux du Mâconnais. Par là même, se dessinent les limites des phénomènes de régulation démographique au sein d'un système spatial gouverné par un centre urbain en forte expansion jusqu'en 1975, mais aujourd’hui en perte de vitesse.
- Les poches résiduelles
109Outre le canton de Saint-Trivier-de-Courtes dans le département de l'Ain, qui échappe à l'influence de Bourg54, et celui de Cuisery, qui difficilement et tardivement s'arrache au marasme démographique, bien que bénéficiant à la fois du desserrement de Chalon-sur-Saône et de Tournus, les cantons de Matour et de Tramayes représentent deux cas d'espaces désertifiés que l’influence mâconnaise n’affecte guère, malgré une faible distance à la ville.
110Situés à la limite du Charolais et du Mâconnais ces deux cantons de Matour et de Tramayes possèdent un relief plus accidenté et plus élevé ; là se rencontrent les points culminants du département : le signal de la Mère Boîtier (761 m) et celui de la montagne de Saint-Cyr (756 m). D’autre part, l'absence de matières premières et le relatif isolement n’ont pu que contribuer à un déclin démographique constant. En effet, loin des centres houillers ou sidérurgiques de l’Ouest de la Saône-et-Loire et adossés au sud au Haut-Beaujolais qui les prive de relations directes avec la région lyonnaise, ces cantons sont plus effleurés que traversés par la voie express Centre-Europe Atlantique, c'est-à-dire la N.79 Mâcon-Nevers. Si bien que leur activité économique demeure essentiellement agricole et spécialisée dans l'élevage pour la viande au moins depuis le XVIIe siècle55. On conçoit alors aisément que la courbe démographique des cantons de Matour et de Tramayes soit conforme à celle de la Saône-et-Loire rurale, développant un dépeuplement progressif commençant vers le milieu du XIXe siècle56.
111Cependant, si à partir de 1962, voire surtout de 1975, l’ensemble des communes rurales du département de Saône-et-Loire s'est repeuplé au rythme de +0,4 % par an, il n’en est rien pour ces deux cantons où la population continue de décroître pour près de 1 % à Matour et se maintient de façon illusoire à Tramayes. En effet, si le canton de Tramayes gagne 88 habitants entre 1975 et 1982, 39 sont dû au gain de la commune chef-lieu de canton ; un calcul de variation démographique excluant celle du chef-lieu réduit alors l’accroissement à 0,1 % par an ! A Matour l'exode rural se résorbe quelque peu durant la dernière décennie, mais demeure négatif et se conjugue à un bilan naturel négatif lui-aussi. A Tramayes le flux migratoire s'est renversé timidement à partir de 1968, mais ce n'est qu'en 1975 qu’il devient suffisant pour rendre la situation démographique plus stable que véritablement croissante.
112Aussi la structure démographique demeure-t-elle préoccupante ; l'indice de vieillissement57 n'a cessé de s'aggraver ; entre 1968 et 1975 il s'abaisse très fortement et tombe en dessous de la parité entre générations jeunes et générations âgées ; à Saint-Trivier-de-Courtes, où la dépopulation est extrêmement sévère malgré un ralentissement du flux d'émigration, la chute se poursuit. Il est particulièrement significatif de voir la faiblesse de la représentation du groupe des 2535 ans (5 %) qui d'ordinaire distingue le flux migratoire à destination de la périphérie urbaine.

Graphique 21 : Variation démographique dans les cantons de Matour et de Tramayes 1806-1982 - Source : R.G.P. 1806 à 1982
113Il est vrai que cette partie de la Bresse est de longue date une terre d'émigration, la maigre polyculture locale alliée au système économique du métayage se suffisant pas à nourrir une population traditionnellement féconde.
114Le premier grand courant d'émigration se situe à la fin du XIXe siècle lorsque la crise du phylloxera ruine le vignoble mâconnais et conduit les vignerons à renoncer à la terre pour le travail à l’usine dans les grandes villes telles Lyon, ou encore pour celui que procure le développement du chemin de fer. Les grands propriétaires fonciers offrent alors des places de "gagés"58 pour tenter de renouveler la main-d’œuvre et reconstituer le vignoble. Les Bressans des cantons de Saint-Trivier-de-Courtes, de Pont-de-Vaux, sont alors nombreux à émigrer en rive droite de la Saône et, plus pauvres et plus opiniâtres, à reprendre ce que d'autres, découragés, abandonnent. Les départs s'effectuent d'autant plus volontiers que la migration ne joue que sur quelques dizaines de kilomètres, en dépit de l'importante coupure que représente la Saône, et aussi parce que le travail de la vigne n'est pas tout à fait étranger aux paysans bres sans déjà rompus de longue date aux travaux saisonniers des vendanges. L'homonymie des familles59 entre les cantons de Lugny et Mâcon-Nord d'une part, et les cantons de Saint-Trivier-de-Courtes et Pont-de-Vaux d'autre part, raconte encore aujourd'hui des origines communes il y a quatre ou cinq générations. Si à la fin du siècle dernier l'émigration bressane se réalise à destination d'un autre monde rural dont elle assure la stabilité socio-économique, elle se dirige essentiellement vers la ville à partir des années 1920. C’est alors Bourg-en-Bresse qui recueille la majorité des migrants dont le nombre s'amplifie entre 1930 et 1940, lorsque la crise économique atteint la France ; et après la seconde guerre mondiale l'émigration se situe tout spécialement de 1960 à 1970. A partir de cette date l'attractivité burgienne décroît en force et simultanément se répand sur un espace plus vaste et concerne une population d'actifs plus qualifiés. Les zones rurales à l'économie très traditionnelle, fermées aux grands courants de circulation, ne représentent plus un réservoir de main-d’œuvre suffisant en nombre et en qualité ; le flux migratoire de départ s'effondre alors dans le canton de Saint-Trivier-de-Courtes entre 1975 et 1982. La population ne quitte plus le "pays", sans pour autant être renouvelée par le courant d'émigration urbaine inverse. Seuls demeurent - ou reviennent - les gens âgés. Ainsi s'expliquent un bilan naturel négatif au recensement de 1982 (-0,8 %) et une situation démographique tragique marquée par l'abscence de jeunes enfants comme d'individus dans la force de l'âge.

Fig. 18 : Système urbain et poches résiduelles
115Par absence de renouveau économique local aussi bien d'ordre agricole qu'industriel, par écart aux grandes voies de circulation et par éloignement relatif soit de la ville moyenne soit de la grande métropole la plus proche - ici Lyon-, ces cantons ruraux de Cuisery, Tramayes et plus encore de Matour et de Saint-Trivier-de-Courtes n'ont pas profité du desserrement urbain. Les flux migratoire se sont essentiellement exercés dans un sens centrifuge, sans effet rétroactif positif un siècle après les premiers départs ! Aux marges des systèmes spatiaux urbains se dessinent ainsi des zones échappant à la dynamique induite par la ville-centre et difficiles à rapporter à un espace de fonctionnement propre. Elles apparaissent comme des poches résiduelles en dehors des sphères de domination60 urbaine dont elles ont été peu à peu exclues au fur et à mesure du tarissement des échanges migratoires.
116L'évolution démographique des trente dernières années, tant de ces cantons abandonnés que des villes moyennes les plus voisines, ne permet guère d'augurer une entrée plus ou moins proche dans le système urbain, compte tenu de la situation d'équilibre qui paraît atteinte pour un temps, au moins en ce qui concerne son extension spatiale maximale, dans un contexte de crise généralisée. Sans doute faut-il voir là les survivances de la "campagne" dans l’acception traditionnelle du mot, par opposition à un monde rural "rurbanisé" au moins au sens de la "démo-géographie", dans un espace régional où le maillage régulier des villes moyennes et les courants migratoires qu'elles sécrètent exercent un fort pouvoir en matière de structuration de l'espace.
Notes de bas de page
1 Mâcon. Part de rapatriés dAlgérie : 3 % de la population totale en 1968, 10 % des arrivés entre 1962 et 1968 Source : R.G.P. 1968, l’I.N.S.E.E.
2 Cf. tableau no 4, p. 73.
3 Migrants vers Bourg, R.G.P 1975, provenance :
- de toute la France métropolitaine (moins la région) : 27 %
- de l’étranger : 10,3 %.
4 Variation du flux migratoire venu de la métropole 1968-1975 vers les villes de Chalon, Macon, Bourg (en pourcentage)
Population totale | Population active | |
Chalon | +4,6 | +7,8 |
Macon | +5,5 | +5,5 |
Bourg | +3,7 | +3,0 |
Source : R.G.P. 1968, 1975 : I. N. S. E. E.
5 Cf. tableau no 5, p. 75.
6 Cf. tableau no 6, p. 77.
7 Mâcon. Accroissement global 1968-1975, solde migratoire : +0,9 % ; solde naturel : +1,14 %.
8 Cf. tableau no 5, p.73, figures no 2, p.79, graphiques no 15, 16, 17, 18, 19, p. 81-85.
9 Cf. graphique no 14, p.77.
10 Cf. figures no 2, 3, p. 79, 87, 89, 91.
11 Chalon : 65,3 % ; Mâcon 67,6 % ; Bourg : 63,8 %.
12 Cf. supra chapitre II.4.
13 Pourcentage de population masculine (source : R.G.P. 1968, 1975, I.N.S.E.E.) :
Chalon | Mâcon | Bourg | ||
- dans la population municipale | 1975 | 48 | 48 | 49 |
- « « « migrante | 1968-75 | 49 | 49 | 48 |
14 Taux de migration des actifs (source : R.G.P. 1975, I.N.S.E.E.) :
Chalon | Mâcon | Bourg | |
par rapport au flux total | 40 | 44 | 43 |
par rapport au flux masculin | 52 | 56 | 54 |
par rapport au flux féminin | 29 | 32 | 33 |
15 Répartition du flux migratoire selon les classes d’âge (écart entre le taux de migrants et le taux de population municipale 1975 Source : R.G.P. 1975, I.N.S.E.E.) :
Chalon | Mâcon | Bourg | |
0 – 19 ans | +3,7 | +2,6 | +1,9 |
20 – 64 ans | +3,6 | +3,8 | +3,9 |
> 65 ans | -7,3 | -6,5 | -5,8 |
16 Cf. tableau no 7, p. 93.
17 Cf. figures no 4, p. 95.
18 Cf. figures no 5, 6, 7, p. 97, 98, 99.
19 Patrons de l’industrie et du commerce, professions libérales et cadres supérieurs, cadres moyens, employés, personnels de service, inactifs.
20 Cf. figures no 2, p. 79.
21 Migrations définitives : flux d'employés (écart à la moyenne du flux total d'employés) source : R.G.P. 1975, I.N.S.E.E. : Chalon :+1,1 % ; Mâcon : +1,8 % ; Bourg : +1,3 %.
22 Cf. figures no 8, 9, 10, p. 101, 103, 105.
23 Cf. tableau no 7, p. 93.
24 Cf. graphique no 19, p. 85.
25 Cf. livre II, deuxième partie.
26 Cf. figures no 3, p. 87, 89, 91.
27 Cf. figure no 1 1, p. 108.
28 Cf. figure no 12, p. 110.
29 Taux de variation annuel cantonal. R.G.P. 1954, 1962, 1968, 1975 :
1954-62 | 1962-68 | 196875 | |
Lugny | -1,2 | -0,36 | -0,31 |
Sennecey-le-Grand | -0,42 | 0,28 | -0,56 |
Buxy | -0,41 | -0,57 | 0,86 |
Pont-de-Vaux | -0,68 | -0,70 | -0,43 |
30 Cf. figures no 13 et 14, p. 112 et 114.
31 Cf. supra chapitre II.3.
32 Bourg. Accroissement de population municipale.
195462 : +26 % ; 1954-68 : +52,5 % (Source : R.G.P. 1954, 1962, 1968, I.N.S.E.E.)
33 Cf. figure no 15 a, p. 118.
34 Cf. figure no 15 b, p. 118.
35 Cf. figure no 15 c, p. 118.
36 Péronnas. Accroissement de population municipale.
1954-62 :-10,6 % (population de 1962 ramenée à la définition de 1954). Source : R.G.P. 1954, 1962, I.N.S.E.E.
37 Z.A.C. de la Croix-Blanche 1108 logements construits en 1982. Source : D.D.E. de l'Ain.
38 1962-68. Taux de croissance de population municipale.
Simandre : -9 % ; Meyriat : -15,1 % ; Vandeins : -18,9 %.
39 Cf. figure no 15 d, p. 118.
40 Cf, figures no 15 c, p. 118.
41 Bourg, taux de variation annuel :
- de population municipale 1954-65 : +3 %, 1962-68 : +2,9 %, 1968-75 : +1,8 %, 197582 : -0,35 %.
- du solde migratoire 1975-82 : 1,46 %.
- du solde naturel 1975-82 : +1,11 %.
42 Taux de variation de population municipale et densité :
- Canton de Saint-Trivier-de-Courtes :
1954-62 : -1,2 % ; 1962-68 : -1,6 % ; 1968-75 : -1,7 % ;
1975-82 : -1,2 % ; densité 1982 : 28
- Canton de Saint-Rambert-en-Bugey :
1954-62 : -0,8 % ; 1962-68 : -1,0 % ; 1968-75 : -2,0 % ;
1975-82 : -1,1 % ; densité 1982 : 39.
43 Cf. figure no 18, p. 133.
44 Cf. figures no 15 d et e, p. 118.
45 Cf. figure no 16, p. 122.
46 Agglomération de Chalon : taux de variation démographique communal 1975-82. Oslon : -0,8 % ; St Marcel-les-Chalon : -6 %.
47 Cf. figures no 15 et 16 a et c, p. l18 et 128.
48 Densité au km2, population cantonale (R.G.P. 1946) :
Lugny : 48 ; Mâcon-Nord (hors communes urbaines) : 56 ; Mâcon-Sud : 81 ; La Chapelle-de-Guinchay : 111.
Cf. figures 17, p. 128.
49 Cf. graphique no 20, p. 125.
50 Senozan. surface communale : 486 ha.
. zone industrielle établie par la Chambre de Commerce et d’industrie de Mâcon en 1971 : 13 ha.
. nombre de lotissements pour villas individuelles : 6 soit 8 ha.
51 Indice de vieillissement : population ≤ 20 ans/population ≥ 60 ans x 100
cantons | 1954 | 1962 | 1968 | 1975 |
Lugny | 93 | 127 | 109 | 110 |
Mâcon-Nord | 160 | 186 | 189 | 341 |
Mâcon-Sud | 162 | 212 | 214 | 229 |
La Chapelle de | 103 | 171 | 175 | 160 |
Guinchay. |
52 Indice de résidence secondaire : pourcentage de résidences secondaires par rapport à l'ensemble des logements de la zone considérée IRS = RS/L x 100.
53 Montbellet 1962-1968. Solde migratoire : -11,6 % ; bilan naturel : 0
Cf. figures no 17, p. 128.
54 Cf. supra chapitre III.32.
55 Une enquête paroissiale datant de 1668 indique déjà que la région se distingue par l’élevage des bovins expédiés le plus souvent sur le marché de Lyon.
56 Cf. graphique no 21, p. 131.
57 Indice de vieillissement :
58 "gagés" = exploitants qui reçoivent un salaire mensuel et quelques avantages en nature.
59 Homonymie particulièrement significative des Marguin, Cordier, Maitrepierre.
60 Cf. figure no 18, p. 133.
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