Avant-propos
p. 7-9
Texte intégral
1Cet ouvrage collectif fait une sorte de suite à l’ouvrage La Femme au XIXe siècle (P.U.L., 1978), mais se fixe un champ plus précis, concernant pourtant tout le siècle : la femme, sujet actif de la littérature, et non plus objet littéraire. Il résulte des travaux, à la fois collectifs et individuels, qu’a poursuivis le « Centre d’Études Littérature et Idéologie au XIXe siècle » de l’Université de Lyon II. Il tente, à partir d’exemples divers, plus ou moins privilégiés par les documents, de donner à saisir certains aspects de la situation ou des situations, des échecs et des succès, des grandeurs et des servitudes de la femme de lettres au cours du siècle.
2L’ouvrage s’est développé autour d’un noyau de documents, la Correspondance de Louise Colet (écrite par Louise Colet et adressée à Louise Colet), rassemblée au Musée Calvet d’Avignon, qui nous livre un peu du monde de mondanités, de démarches et de politesses, de tractations et de tracasseries, de flagorneries, d’hypocrisies et d’humiliations, où a dû se débattre Louise Colet pour vivre une vie de femme de lettres, pour soutenir sa réputation de femme de lettres « célèbre », pour être reconnue et saluée dans le monde masculin des lettres. Les rapports entre Louise Colet et Flaubert s’inscrivent évidemment au cœur de ce monde, rehaussés et dramatisés par la confrontation sentimentale et les allergies personnelles. Ainsi Louise Colet a-t-elle été notre cas privilégié ; c’est elle qui constitue l’essentiel de l’ouvrage : deux parties sur trois, l’une critique et l’autre documentaire. Partie documentaire : le Centre d’Études a tenu à fournir au lecteur certaines pièces : des textes de lettres, en partie inédites, qui complètent souvent les parties qu’a données, en notes, Jean Bruneau dans la Correspondance de Flaubert éditée à la Pléiade ; le texte des Memoranda, ici présenté et annoté par Jean-François Tétu ; échantillon poétique : l’un des trois volets, avec La Paysanne et La Religieuse, du grand poème de Louise Colet, précisément intitulé La Femme ; ce volet est La Servante. Cette partie documentaire et textuelle est placée au centre de notre ouvrage comme référence-clé : telle est notre deuxième partie, Textes et Documents de Louise Colet.
3La première Partie, Sur Louise Colet, tente, en ses divers chapitres critiques, d’éclairer le cas littéraire de Louise Colet, femme de lettres au XIXe siècle. Elle s’ouvre sur un rappel liminaire, succinct mais jugé utile, de la vie et de l’œuvre1 inséparables, de Louise Colet. Puis, Marie-Claude Schapira fait une lecture, à la fois historique et actuelle, du poème La Servante dont notre partie centrale donne le texte : comment pouvait-on lire le texte, et en lire les « audaces » ? Comment peut-on (hélas ou non !) le lire aujourd’hui ? Louise Colet face au Minotaure misogyne Flaubert, qui, en Louise Colet, a peut-être moins aimé encore la femme de lettres que la femme : c’est à quoi s’attachent les deux articles de Lucette Czyba et de Jean-François Tétu ; tous deux jettent une lumière complémentaire sur les rapports impossibles du « Maître », et de « la Muse » (lui au moins l’appelait ainsi) ; Lucette Czyba (Flaubert et la Muse ou la confrontation de deux mythologies incompatibles) examine le discours de Flaubert sur l’amour, la vie, la littérature, l’art, tel qu’il transparaît dans les conseils littéraires que Lui prodigue à Elle, la Muse ; Jean-François Tétu (« Ton image, dans le jour, apparaît de temps à autre... ») relève les incursions de l’image de la Muse dans l’écriture et dans la phrase de Flaubert. On voit ici que l’imbrication du littéraire et de l’épistolaire couvre une véritable confrontation, presque un duel, de l’Olympien et de la Muse sentimentale : on comprend que la question ne pouvait être éludée quand il s’agit de Louise Colet. Ensuite, Antoine Court évoque la pièce écrite par Louise Colet, femme de lettres, sur une femme « historique », Charlotte Corday, dont la mythologie politique, où se réfracte une image de la Révolution française, traverse et souvent partage le siècle. Enfin Edgard Pich scrute les formules de politesse – incipits et finales – qui, sous une apparence anodine et convenue, aiguillent la Correspondance adressée par des « grands-hommes » et des moins grands à Louise Colet : La Lettre et la formule.
4La troisième Partie de cet ouvrage, Autour de Louise Colet, abandonne nommément Louise Colet (mais elle peut être impliquée) pour s’attacher, soit à des questions générales, soit à des cas littéraires qui correspondent aux choix et aux recherches de certains membres de notre Centre ; tous nous semblent éclairer la vision qu’on avait au XIXe siècle des femmes de lettres, les difficultés ou les facilités qu’elles rencontraient pour signer, selon les genres, ce qu’elles écrivaient. Ainsi, François Marotin s’attache à esquisser l’image de la femme de lettres du passé que se plaît à dégager Michelet l’historien : Michelet et les femmes de lettres ; on connaît d’ordinaire ce que Michelet a écrit (« fantasmé ») de la Femme en général, mais ce qu’il écrit des femmes de lettres de tous les siècles jusqu’au XIXe, aide peut-être à préciser sa pensée sur la Femme. René-Pierre Colin a choisi d’évoquer une figure de femme de lettres en fin de siècle, Marie-Louise Gagneur, grande feuilletoniste, honnie des Goncourt, dont il présente deux aspects « idéologiques » intéressants : l’anticléricalisme et le fouriérisme. J’ai tenté de montrer, sur le plus grand nombre possible de femmes auteurs et sans prétendre dégager de lois nettes, le jeu de masques et de reconnaissances qui se joue à travers les pseudonymes masculins et féminins dont elles usèrent au fil du siècle pour publier leurs œuvres ; un essai de classement plus qu’un sondage, difficile, des causalités et des volontés ; peut-être une description des nécessités « littéraires ».
5Le lecteur saura, sans doute, relier les cas ponctuels et les questions plus générales dont la dernière Partie peut traiter au cas privilégié de Louise Colet. Tout se tient, croyons-nous, si l’on considère que l’ouvrage cherche à capter divers aspects de la réalité et des images de la femme de lettres au XIXe siècle, notamment à l’intérieur du monde masculin des lettres. C’est aussi pourquoi l’ouvrage a été jalonné d’images proprement dites, des lithographies de Daumier, sur la « femme-de-lettres », le bas-bleu, etc..., qui en disent long sur l’image courante et dominante de la femme de lettres. L’ouvrage cherche, en somme, à projeter quelques éclairages, diversifiés, limités, sur une sorte d’histoire et de littérature des mentalités propres au XIXe siècle, quand ce siècle pense l’entité, souvent énigmatique et inquiétante, quoique presque toujours dévaluée, voire ridiculisée : la femme de lettres. Il ne fournira pas d’évaluation économique de la situation (même les documents épistolaires sont pauvres) ; il tente d’ouvrir une voie d’analyse en décrivant quelques cas littéraires.
Notes de bas de page
1 Voir Notice sur Louise Colet, ci-après, en début de première Partie. On complètera la chronologie des œuvres par la bibliographie plus précise, établie par J.F. Tétu.
Auteur
Centre d’Études « Littérature et Idéologie au XIXe siècle », Université de Lyon II.
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Biographie & Politique
Vie publique, vie privée, de l'Ancien Régime à la Restauration
Olivier Ferret et Anne-Marie Mercier-Faivre (dir.)
2014