Censure et représentation des barbares : les stratégies subversives de Daumier sous le Second Empire
p. 299-313
Texte intégral
Effets tardifs de la censure
1Selon une idée reçue, le coup d’État de 1851, en contraignant les caricaturistes à renoncer à la satire politique au profit d’anodines scènes de genre, aurait aussi étouffé la puissance subversive de Daumier. Durant l’Empire, celui-ci n’aurait jamais retrouvé la véhémence de ses premières lithographies antibourgeoises, ni même ce coup de patte que les lois sur la presse de 1835 avaient pourtant déjà quelque peu assagi. D’où la légende d’un Daumier dont le tempérament oppositionnel se serait laissé apprivoiser. Légende pour tant contredite par le fait patent qu’en mars 1860, la direction du Charivari l’a contraint, lui, son collaborateur le plus célèbre, à renoncer à ses activités de caricaturiste et à gagner son pain, jusqu’en 1863, au moyen de commandes de circonstance, dans une sorte d’exil intérieur.
2Si l’éviction d’un artiste à qui la Seconde République avait confié des travaux officiels atteste la capacité des interdits bonapartistes à produire des phénomènes d’autocensure, elle est aussi la preuve ex negativo que la portée critique des prétendus dessins « de mœurs » de Daumier n’échappait point au public. On ne comprendrait pas, sinon, pourquoi il aurait été nécessaire d’y mettre fin. Daumier ne s’était-il pas d’ailleurs, dès avant le coup d’État, représenté en victime des hommes de main de Louis-Napoléon Bonaparte (ill. 308) ? On sait bien qu’une censure draconienne fut imposée quelques mois plus tard. Dans ces conditions, vouloir en conclure à une soumission résignée de l’artiste à l’appareil de pouvoir du nouveau César, reviendrait à méconnaître complètement non seulement l’esprit de résistance qui caractérise Daumier, mais aussi le fonctionnement réel de la censure impériale.
3C’est à cause précisément de la grande polysémie de ses signes que le dessin satirique put dans une certaine mesure se soustraire aux censeurs, à la différence des commentaires chargés d’en expliciter le sens. Une meilleure prise en compte des conditions d’existence de la presse satirique illustrée sous le Second Empire1 permettrait d’expliquer un mystère : l’absence étonnante, dans les dossiers de la censure de ces années-là (Archives nationales, Fonds 18), de mainte caricature qui, en raison de sa virulence politique, aurait dû y figurer. Tout se passe en effet comme si c’était la censure elle-même qui avait entraîné ce processus de méconnaissance – refoulement ou édulcoration – d’une œuvre nécessairement abritée sous le masque. Comment s’expliquer autrement que parmi les Daumier dont Baudelaire, en 1857 encore, souligne que leur « bouffonnerie sanglante » illustre admirablement le génie de « l’un des hommes les plus importants, je ne dirai pas seulement de la caricature, mais encore de l’art moderne », aucun n’appartienne à la période du Second Empire2 ?
4Car contrairement à ce qu’on croit, les caricatures de Daumier publiées entre 1851 et 1870 offrent tout autre chose qu’un panorama superficiel et plaisant du rituel quotidien du bourgeois parisien, depuis le bain dans la Seine jusqu’aux excursions en ballon de la fin des années 60, en passant par les caprices de la mode et les mœurs conjugales. C’est du moins ce qui ressort des recherches interdisciplinaires menées à l’université de Bielefeld sur la représentation que Daumier donne des « barbares » dans ses évocations des divers terrains de conflit de la politique internationale de son temps3. Les analyses de cette équipe ont mis en évidence les transformations sémiotiques opérées par l’artiste sur les idéologèmes marquants de la propagande impériale : slogans du genre « L’Empire, c’est la paix », ou stéréotypes évolutifs de l’ennemi – la catégorie sous laquelle les aléas de la colonisation font tour à tour voir les différents peuples conquis. Cette démarche, dont nous allons présenter les principes, ouvre des perspectives étonnamment nouvelles sur des stratégies sémiotiques pleines de ruse, qui, tout en affichant une fausse parenté avec les thèmes favoris de la propagande bonapartiste, n’en opèrent pas moins aux yeux du lecteur averti une déconstruction idéologique ravageuse : dissimulée sous de véritables rébus4, la signification de ces fallacieuses représentations de l’ennemi se retourne parodiquement contre les intentions de leurs premiers auteurs, partisans, eux, du pouvoir en place. Les séries sur la Chine, le Maroc et l’Espagne nous serviront ici d’exemples pour illustrer ces procédés de travestissement sémiotique dont use Daumier pour saper par des moyens médiatiques appropriés les fondements mêmes du discours civilisateur de l’ère bonapartiste.
L’hypertrophie du discours colonial
5La série En Chine, soit 30 dessins publiés dans Le Charivari entre le 13 décembre 1858 et le 8 décembre 1859, constitue le corpus le plus remarquable5. On peut y voir côte à côte des Chinois normalement proportionnés et d’autres dont la tête est grotesquement hypertrophiée à la manière des grosses têtes ou des géants de carnaval (ill. 309). Ces deux types de têtes correspondent à la même époque des tentatives coloniales franco-anglaises pour civiliser, autrement dit pour dominer économiquement l’Empire du Milieu, jugé despotique, décadent et rétrograde. Mais les têtes hypertrophiées ont toutes chances de symboliser surtout la première phase des opérations, marquée par des succès militaires et une propagande euphorique, alors que les têtes normales correspondraient plutôt à la phase de lourdes menaces consécutive au tournant de la guerre, au sursaut d’orgueil des Européens après leur défaite devant Pékin6. Chez les autres caricaturistes, y compris Cham qui avait un penchant pour les déformations racistes (ill. 310), on ne trouve aucun exemple d’une telle distinction typologique. Il n’en est pas davantage de traces dans les estampes du XVIIIe siècle ni dans les illustrations des nombreux récits de voyages parus au XIXe siècle à la suite des expéditions coloniales, qui pourtant ne s’abstiennent pas de souligner l’arbitraire de l’appareil judiciaire, la cruauté médiévale du système pénal et la lourdeur de la bureaucratie de ce lointain empire tapi derrière sa muraille (ill. 311 et 3127). Daumier lui-même, dans sa période « classique », n’a pas affublé de têtes surdimensionnées les protagonistes de son premier Voyage en Chine (1843-1845) – un voyage imaginaire, bien sûr, et qui se lit sans peine comme une transposition grotesque des travers français (ill. 313). Sa manière, pourtant, comporte très tôt des déformations monstrueuses8 comme la métamorphose de Louis-Philippe en « Gargantua » (15 décembre 1831, D 34), en poire trifrons dans « Le Passé, le Présent, l’Avenir » (La Caricature, 8 janvier 1834) ou en Bouddha dans « Magot de la Chine » (ill. 314). Cette manière graphique de signifier l’extension à tout le corps social d’une monstruosité qui prend origine dans la personne du souverain condense divers éléments emblématiques (ventripotence bourgeoise, mode des bibelots chinois, symbolique de la poire, etc.) en un système sémiotique complexe qui va bien au-delà des charges traditionnelles. Pour en revenir aux grosses têtes, les premières que l’on repère chez Daumier apparaissent dans le journal populaire Le Jour de l’An du 30 décembre 1838 (LD 5509). Cette déformation est réemployée sur deux bourgeois en haut-de-forme de « Paris enrhumé » (7 février 1854), puis devient habituelle dans l’arsenal satirique de l’artiste et gagne ses confrères, en particulier Gustave Doré, qui le plagient largement sur ce point dans les années 1860.
6Dans la première séquence de la série En Chine, les barbares orientaux ne sont cependant pas les seuls à arborer ces têtes hypertrophiées. C’est aussi le cas, comme on voit, de représentants des puissances européennes : un matelot français, un officier de marine et un marchand anglais. Cette identité de traitement sémiotique des Chinois et des Européens vient se superposer à la répartition, classique et conjoncturelle, qui fait des uns les maîtres et des autres les esclaves. Daumier, de plus, introduit dans un contexte chinois un type satirique dont il est le créateur, celui du marin français, d’une façon qui brouille pareillement les frontières : il le montre dans un rapport de connivence quasi idyllique avec les autochtones. Point n’est besoin d’insister sur le caracère fictif de telles scènes : les troupes françaises n’avaient pas encore mis le pied sur le territoire chinois, et leur rencontre avec ses occupants légitimes n’avait sûrement pas ce tour harmonieux. On pressent toutefois très vite, grâce aux légendes, que cette euphorie, contraire aux véritables réalités coloniales, illustre plutôt les illusions populaires sur la colonisation, créées et véhiculées par les vaudevilles, les chansons, les romans-feuilletons10 et les images à bon marché. Le bonheur en Chine du marin français de Daumier, son statut seigneurial par rapport aux indigènes, traduisent donc les rêves paradisiaques du quidam parisien, les fantasmes érotiques projetés par le petit-bourgeois frustré sur les territoires d’outre-mer civilises par ses compatriotes, les rodomontades du sous-prolétaire séduit par la propagande bonapartiste11. À l’opposé d’une démarche réaliste qui aurait cherché à informer le public français sur la violence du rapport colonial, Daumier préfère l’introduire dans la chambre noire de l’imagination collective et traiter ses clichés par l’ironie, en enlaidissant les visages pour bien marquer la distance de son point de vue au point de vue positif de la foule.
7Examinons ces dessins de plus près. Un Chinois observe deux marins en train de s’extasier devant un nid d’hirondelles garni de ses oiseaux (ill. 315). L’un des deux conquérants est persuadé de tenir en main le fameux délice culinaire du même nom, un plat chinois typique. Mais ce Français du peuple ignore ce dont est parfaitement informée la bourgeoisie parisienne, habituée à trouver sur ses tables cette spécialité exotique, à savoir que le nid d’hirondelles qui se mange n’a rien à voir avec un vrai nid d’hirondelles. Et ce dialogue dans son entier n’a rien à voir non plus avec la Chine authentique : étranger à cet échange de vues (métropolitaines), le mandarin détourne son regard, comme le ferait à Paris un figurant sur une scène de théâtre de boulevard. De même les allures de matador ou de coq gaulois de cet autre marin en bonne fortune ou la feinte admiration de cette dame chinoise pour celui-ci (s’il en croit, bien à tort, la traduction) (ill. 316 et 317) pourraient-elles au premier degré compenser le sentiment d’échec des Don Juan d’arrière-cour en leur ouvrant l’espoir d’une plus grande facilité outre-mer. Mais la vanité injustifiée de l’un et la naïveté de l’autre détruisent bien plutôt les clichés orientalistes (propagés par la peinture de salon, les romans-feuilletons et le théâtre de boulevard) qui promettent au plus laid des hommes, pour peu qu’il appartienne à la race soi-disant supérieure, de pouvoir disposer à sa guise de toutes les femmes de l’Orient proche ou lointain12.
8Dans la série En Chine, la satire ne se limite pas à relever les ridicules de l’exotisme colonial en vogue au cours de ces années de guerre 1859-1860, elle dénonce également sa malfaisance. Un marin se moque de l’éthylisme de deux Chinois qu’il a provoqués à boire et qu’il tient par leurs nattes comme par une laisse (ill. 318). Sa morgue et l’aspect de victimes donné à ses compagnons de beuverie malchanceux combattent la représentation raciste qui oppose la soi-disant vigueur de la race blanche à la prétendue décadence des races asiatiques. La légende aide à reconstituer le scénario : c’est le marin qui a engagé les Chinois, ignorants des conséquences de la consommation du vin français, à une compétition rendue inégale du fait de sa propre accoutumance à l’alcool. Peu importe que le vin soit pour les Chinois une drogue plus néfaste que l’opium même, dont leur longue pratique les aide à plus ou moins bien maîtriser les effets (ill. 319). Représentant de la mission civilisatrice française/occidentale, le marin se révèle donc le vrai responsable de cette décadence que l’on s’entend, en Occident, à déclarer spécifiquement chinoise et à laquelle il prétend, lui, apporter pour remède ce bon vieux bien culturel européen qu’est le vin. Ce qui compte, sous le couvert du discours civilisateur, c’est d’imposer une marchandise occidentale, si corruptrice soit-elle. Ici, le marin, au demeurant, est à la fois l’instrument et la victime de l’expansion économique européenne. Son asservissement à la civilisation du vin, accuse ainsi Daumier, le dégrade autant que le Chinois, avec lequel il se retrouve à égalité de misère, bras dessus, bras dessous, comme deux amis. Ne serait-ce pas cette analogie profonde des rôles que le caricaturiste signifierait par le même trait sémiotique : l’hypertrophie de la tête ? Ce qui est sûr, en tout cas, c’est que la critique de Daumier montre comment colonisateurs et colonises sont ensemble, à des titres différents, les victimes du discours civilisateur.
9Aussi bien l’officier britannique est-il traité de la même manière que son allié à l’échelon inférieur de la hiérarchie, le marin français : il souffre lui aussi d’une hypertrophie de la tête (ill. 320). Sans doute sa position de commandant et la distinction de son allure le rangent-elles dans l’upper class qui est la base sociale de l’impérialisme britannique. Mais les soldats qu’il passe en revue sont là pour persifler son arrogance civilisatrice : ce sont des mandarins occupés à fumer l’opium, que leur graisse et leur habitude de se tenir assis en tailleur ne prédisposent pas à porter les armes. Leur apparence prostrée dit tous les bienfaits de la marchandise dont les Anglais se servent depuis des décennies pour entretenir cette décadence qui, à leurs yeux, est censée légitimer à son tour leur mission civilisatrice. C’est bien pourquoi, si convaincu qu’il soit de sa supériorité raciale, l’officier anglais partage en quelque sorte la pathologie de ces troupes impropres au combat qu’il a la charge de commander : il paie de sa propre personne les perversions du discours civilisateur britannique.
10Ainsi les grosses têtes de Daumier nous apparaissent-elles comme l’expression d’une critique humaniste radicale du discours colonial européen dans toutes ses variantes. Sa causticité niveleuse s’en prend à l’hybris de la race dominatrice, mais aussi à la concurrence nationaliste que se livrent la France et l’Angleterre dans leur recherche de la meilleure manière de civiliser les barbares ou les décadents du monde entier. Dans ce premier médium moderne qu’est l’image lithographiée, Daumier réemploie un procédé de l’ancestrale subversion carnavalesque pour combattre les monstres enfantés par l’imagination contemporaine. C’est, au fond, de la même manière que, pendant la guerre de Crimée, il se servait de personnages transformés en baudruches pour dégonfler, si l’on peut dire, la propagande nationaliste représentant les Russes d’alors sous les traits des Cosaques de 1814 (ill. 32113).
De l’art de singer la civilisation
11Compte tenu de cette fonction de la tête hypertrophiée, il peut paraître paradoxal que le redoublement d’appels à la vengeance qui envahit la presse du Second Empire dès septembre 1859, soit après le second assaut des alliés contre la forteresse chinoise à l’embouchure de Péiho, n’ait pas eu de retombées sémiotiques analogues dans la deuxième série de Daumier intitulée En Chine : ici, les Chinois ont une tête normalement proportionnée. Ce ne sont plus des gens du peuple, mais des dignitaires de la caste supérieure, depuis le mandarin (reconnaissable à la plume de paon qui orne sa coiffe) jusqu’à l’empereur. La plupart affichent un sourire grimaçant et rusé qui incite à voir en eux les véritables meneurs de jeu des scènes où ils sont impliqués en compagnie de civilisés. À y regarder de près, il s’avère en effet que Daumier s’en sert comme d’une source d’ambiguïté et s’est arrangé pour autoriser deux interprétations contraires selon le point de vue auquel on se place. Un contemporain abusé par les préjugés occidentaux pourrait rire de la naïveté et du primitivisme apparents de ces Chinois qui semblent croire suffisant de peindre un antique canon, aux roues en bois, pour en faire un canon rayé du dernier cri – de ce modèle spécifiquement français dont un dessin du Charivari lui-même vante les louanges (ill. 32214). Or le contexte historique de la vigoureuse contre-offensive militaire chinoise contraint à se demander si le mandarin et son aide ne sont pas en train de se moquer des Européens et de leurs fameux canons rayés : il serait tout aussi efficace, suggèrent-ils, de maquiller de vieux canons pour réussir à se faire battre par des sauvages d’Asie ! Selon un jeu dialectique inventé par l’artiste, l’apparence primitive des Chinois reflète l’image tout aussi primitive que la propagande guerrière européenne se fait d’eux et à laquelle, de leur côté, ils font semblant de correspondre pour mieux se gausser de la soi-disant supériorité technologique de leurs ennemis civilisés. Or, par transfert, ce système sémiotique purement iconique produit un second niveau de signification, plus astucieux encore que le premier. Car le rire au moyen duquel les mandarins affichent leur souveraineté ludique sur les préjugés des Européens, n’est autre, en dernier lieu, que le rire de l’artiste lui-même, sa seule et unique arme contre l’arrogance du pouvoir : c’est aux intellectuels du Céleste Empire, considérés comme ses pairs, que l’artiste Daumier confie la charge de représenter sa propre ironie, efficace et souveraine, à l’encontre d’un Empire français on ne peut plus terrestre.
12Les planches suivantes d’En Chine se révèlent pareillement des constructions sémiotiques réversibles, qui permettent à Daumier d’échapper à la censure. Il paraît en effet adhérer aux lieux communs de la propagande officielle, tout en délivrant à un petit nombre de lecteurs initiés à ses ruses un message des plus subversifs. Plus Daumier donne l’impression de se moquer des barbares, plus il critique en fait les préjugés racistes de la prétendue civilisation. L’inhabileté simulée des colonisés à utiliser les enviables produits de la civilisation colonisatrice finit par faire ressortir a contrario l’inutilité véritable de ces objets industriels tant vantés ainsi que, surtout, le ridicule d’un discours qui s’en sert comme d’instruments de propagande de la civilisation en terres barbares. Une patrouille chinoise aurait-elle la bêtise d’emprunter ainsi (ill. 323) à l’urbanisme hausmannien des réverbères qui la feraient voir comme en plein jour à des ennemis européens cachés dans l’obscurité15 ? De même, les trois mandarins d’« Une ruse chinoise » (Le Charivari, 23 mars 1860 — LD 3121) portent-ils leurs lances comme des poules qui auraient trouvé un couteau. Mais un jeu de mots dans la légende sur le « mot d’ordre » qui fonde leur stratégie conduit le familier de Daumier à se rappeler le bâton de Ratapoil, celui-là même dont l’artiste se servait, avant le coup d’État, lorsqu’il pouvait encore le faire librement, pour emblématiser les violences du « parti de l’ordre ». Leur façon maladroite de tenir ces armes, tout comme leur sourire de conjurés, doivent donc être interprétés comme le signifiant caricatural de leur refus d’adopter le bâton bonapartiste comme un bienfait de la civilisation moderne. Dépassant en cela les stratégies discursives de Montesquieu qui, dans ses Lettres persanes, se sert de la pseudo-naïveté des musulmans perses pour critiquer les travers des sociétés occidentales, Daumier pousse le paradoxe jusqu’à investir sa représentation caricaturale des Chinois vus par les puissances colonisatrices des signes de sa propre souveraineté intellectuelle d’artiste : l’ironie.
L’empereur s’amuse
13Cette subtilité sémiotique culmine dans « L’envoyé américain obtenant une audience de l’empereur de la Chine » (ill. 324). Daumier imagine l’ambassadeur de la première en date des démocraties occidentales modernes en train de présenter ses lettres de créance au Fils du Ciel. C’est une pure fiction, comme on sait – les ambassadeurs occidentaux refusant de se soumettre à l’humiliation d’un cérémonial si redoutable que son souvenir alimente aujourd’hui encore les milieux diplomatiques en anecdotes savoureuses. Point n’est besoin d’être grand clerc pour reconnaître, d’emblée, les clichés ordinaires sur le despotisme oriental et l’étiquette ultra-byzantine de la cour de Pékin. Une sorte de super-mandarin, un être sans éducation dont les traits mongoloïdes et les mains griffues évoquent les diables médiévaux, surplombe un troupeau de courtisans agenouillés comme des esclaves, le front dans la poussière (ill. 325). L’ambassadeur américain, mince et de noir vêtu – c’est le type même de l’économiste libéral tel que le dessine ordinairement Daumier – se tient, lui, debout et droit comme un i, au milieu de cette masse soumise, mais à distance respectable. N’ayant pas le droit, en tant que simple mortel, de lever les yeux sur le Fils du Ciel, l’ambassadeur ne voit pas non plus la cour : un bandeau sur les yeux et le haut-de-forme à la main, il donne l’impression d’être devant un peloton d’exécution. Admis, lui, à voir l’Empereur, le lecteur de Daumier comprend la mystification. Au bandeau qui symbolise l’aveuglement de l’idéologie occidentale des « Lumières » devant la prétendue barbarie orientale répondent la grimace carnavalesque et le pied de nez de l’Empereur de Chine. Cet aveuglement, il est vrai, est aussi un effet de la ruse de ce dernier, qui ne permet pas aux envoyés occidentaux de plonger leurs regards à l’intérieur même des arcanes de son pouvoir : cercle vicieux, dont le représentant officiel de la civilisation ne peut que sortir vaincu.
14Dans sa fonction sémioclastique (pour reprendre l’expression de Roland Barthes dans Mythologies), la grimace impériale n’est pas sans connoter un modèle célèbre dans l’imaginaire français : le Voltaire de Houdon (ill. 326) – à ceci près que le sourire ironique est ici remplacé par un geste et une grimace empruntés au répertoire populaire du carnaval. Daumier transpose de la sorte dans le langage moderne de la lithographie la technique voltairienne de désillusionnement, ce jeu dialectique avec des éléments discursifs antagonistes, et il projette du même coup sur ce masque de l’Autre une image de sa propre fonction de caricaturiste, un auto-portrait de l’artiste triomphant par le rire des manifestations de la bêtise.
Métamorphoses d’un parapluie
15La polysémie des dessins de Daumier, qualité foncièrement poétique, requiert du public une grande finesse. Elle joue des composantes du discours politique français d’une manière encore plus complexe lorsque la politique internationale lui sert à évoquer des enjeux de politique intérieure16.
16À preuve ces dessins consacrés à la guerre hispano-marocaine, que le caricaturiste publie durant l’hiver 1859-1860, en même temps que sa deuxième série chinoise17. Daumier s’y risque à de multiples allusions sur des sujets interdits. La réactivation de l’enthousiasme conquérant de la monarchie de Juillet à l’égard de l’Algérie à laquelle se livre alors Napoléon III, à l’occasion du conflit marocain18, lui fait, il est vrai, la partie belle. Le Second Empire, en cette affaire, exalte les mêmes références nationalistes et chrétiennes que l’Espagne, comme s’il s’agissait de rééditer contre le Maroc du XIXe siècle la Reconquista médiévale. Le prétexte de la guerre est pourtant futile : une provocation de la part des soldats marocains au poste frontière espagnol de Ceuta. À quoi la propagande française répliqua en ressortant de leur placard des mythes aussi anciens que le Cid. Le succès de la manipulation d’opinion bonapartiste ne fut pourtant pas négligeable, comme en témoigne le triomphe au Cirque d’hiver, en janvier 1860, de la première de L’Histoire d’un drapeau. Même s’ils avaient voulu lutter à visage découvert, les opposants à cette vague de chauvinisme auraient été ramenés à la prudence par la sévérité des coupes ordonnées par la censure dans Le Nouveau Cid, un drame en vers de M. Hugelmann à propos des expéditions italienne et marocaine de 185919. Daumier, quant à lui, ne fait donc figurer le personnage du Cid que sur deux de ses dessins – les six autres de la série étant exclusivement occupés par l’ennemi désigné : le sultan du Maroc. Il a soin, d’autre part, de piéger le lecteur naïf par de multiples références à l’idéologie de l’honneur national. C’est la polysémie de son sultan (anonyme, remarquons-le) qui met en éveil. Loin de viser à une quelconque ressemblance réaliste, Daumier surajoute à la représentation ordinaire du vieil ‘Abd al-Rahmân – mort en septembre 1859 – des traits empruntés aux despotes orientaux de Delacroix et de Chassériau (ill. 327), ainsi qu’au stéréotype du calife des Mille et une Nuits. L’attribut le plus marquant de cet oriental est un immense parasol dont il voudrait se servir comme d’une arme défensive (ill. 328). Le soleil contre lequel il cherche à se protéger, c’est, en vérité, cette civilisation franco-espagnole acharnée à faire son bonheur à coups de canon (ill. 329). On retrouve ici, dans sa pire acception historique, la métaphore de la lumière apollinienne installée au centre du discours européen depuis Louis XIV, qu’elle s’applique aux prétendus bienfaits d’un souverain, aux progrès de la connaissance et de la technologie ou aux acquis des religions humanitaires20. Ainsi, en transformant l’emblème de la souveraineté orientale en une arme anti-européenne, Daumier ne montre pas seulement la faiblesse militaire de l’adversaire auquel la France et l’Espagne se glorifient de faire la guerre : il signale la nature idéologique du conflit et prend parti pour un souverain qui se bat, avec et pour ses valeurs culturelles, contre des États qui, sous le symbole perverti de la civilisation, ne dissimulent rien d’autre que leur puissance militaire21.
17Ce parasol ambigu ne tarde pas, au demeurant, à redevenir le parapluie louis-philippard dont il n’est, comme on pouvait le pressentir, qu’un avatar (ill. 330 et 331). En tant que tel, il évoque inévitablement son premier propriétaire dans l’histoire de la caricature, et avec lui l’orléanisme, autrement dit le libéralisme à l’anglaise. Il n’est donc pas interdit de se demander si cet objet emblématique décidément riche de sens ne ferait pas aussi allusion au soutien que l’Angleterre apporte alors au Maroc afin de maintenir en Méditerranée, depuis sa possession de Gibraltar, un équilibre favorable à son commerce : ce riflard auquel s’aggrippe le sultan a vraisemblablement empêché la prise définitive de Tanger.
Un duel de masques à la manière de Callot
18Le véritable terrain d’exercice de ces signes, pour tout dire, ce n’est cependant pas l’Afrique du Nord, mais bien la scène politique française. L’expédition africaine sert d’alibi à Daumier pour combattre, dans l’imaginaire et simultanément, les deux idéologies concurrentes et néanmoins complices que sont l’orléanisme et le bonapartisme.
19Le phénomène de projection est en particulier lisible dans une très remarquable caricature du 18 novembre 1859, qui prétend transposer le conflit avec le Maroc en un duel fictif (ill. 332). Face à un sultan qui remplit bien ses larges vêtements et qui brandit son parasol-parapluie comme une arme redoutable, se tient un filiforme chevalier en armure – le Cid lui-même, dont Daumier, la veille, a montré le triomphal départ en croisade (ill. 333). Mais le sultan n’est pas que le sultan, et le Cid n’est pas que le Cid.
20Commençons par le duelliste en armure. Il apparaît, tout d’abord, comme une variante burlesque du chevalier courtois des Aventures du chevalier Jaufre, cette figure que Gustave Doré, l’illustrateur de l’œuvre, avait opposée, en 1856, à la mode néogothique promue par le bonapartisme. C’est, ensuite, le fol chevalier en quête idéal de Cervantès, don Quichotte, tel que de nombreux illustrateurs en ont popularisé l’allure étique (ill. 334). Et c’est, enfin, par l’adjonction d’un élément sémiotique bien particulier, un déguisement hispanique transparent du bonapartisme. Car le Cid s’appuie sur le bâton de... Ratapoil (ill. 335). À la différence du héros du Cantar de Mio Cid, ce chevalier de la civilisation est si peu chevaleresque qu’en dépit du code de l’honneur, il pointe son épée non pas sur la poitrine, mais sur les yeux de son adversaire : déloyauté bien plus noire que la plus noire des barbaries, que pourtant il est appelé à combattre.
21Aussi bien le prétendu sultan est-il quant à lui très peu antipathique. En dépit du croissant islamique qui orne son turban et devrait en faire le champion détesté d’un fanatisme anachronique, sa posture de défense, qui est celle d’un vieillard abandonné, attire un sourire de commisération plus qu’un réflexe d’hostilité. Mais c’est surtout l’étrangeté de la présence du riflard entre ses mains qui mérite réflexion. Delacroix a lui-même attiré l’attention sur l’étonnante ressemblance du sultan ‘Abd al-Rahmân avec Louis-Philippe22. Mais le lecteur fidèle du Charivari n’a pas besoin de Delacroix pour s’apercevoir que Daumier vise des réalités bien françaises : depuis les années 1830 déjà, les caricaturistes l’ont habitué à reconnaître dans les figures de proue de l’orléanisme, riflard en mains, les tenants français du libéralisme économique à l’anglaise. Daumier, en l’occurrence, ramène le roi-citoyen et Ratapoil sur le devant de la scène non pas pour le plaisir gratuit de ressusciter des figures du passé, mais pour signifier le retour, sinon la permanence, de leur actualité à tous deux. Car ce « combat singulier », qui est singulier en ce sens aussi qu’il est étrange, trouve des origines dans le duel entre Thiers et Guizot mis en image en 1846 par Le Charivari (ill. 336) sur le modèle d’une célèbre eau-forte de Jacques Callot : le duel de Scaramouche et de Fricasso dans Balli di Sfessania, de 162223. On sait, du reste, que les masques de comédie dont Callot affublait ses personnages avaient eux-mêmes pour fonction de dissimuler des allusions tout en piquant la curiosité24.
22En se servant à son tour du sultan et du Cid comme de personnages de la Commedia dell’arte, en mettant des masques aux protagonistes qu’il vise véritablement, Daumier ruse artistiquement avec la censure. La déloyale tentative du Cid/Ratapoil pour aveugler son adversaire paraît bien évoquer les manœuvres du bonapartisme pour tromper l’opposition libérale sur ses véritables intentions dans l’affaire marocaine : le but est de la gagner à sa politique d’expansion en lui en faisant miroiter les attraits économiques et idéologiques. Quant au geste impuissant et anachronique du sultan, il montrerait à l’évidence combien l’orléanisme est mal armé pour résister à cette attaque contraire à toutes les règles.
23Un indice supplémentaire en faveur d’une telle lecture franco-française de cette caricature en apparence consacrée à la politique extérieure est fourni par l’explication de ce duel donnée dans le journal. Car le sultan y reçoit inopinément le titre d’« Empereur », en principe réservé, évidemment, à Napoléon III. Or ce lapsus bizarre – qui ne simplifie pas les choses – peut être rapproché du fait que, dès avant le Second Empire, un article anonyme du Charivari, en date du 16 septembre 1849, et justement intitulé « Pour un parapluie », désignait déjà le sultan Mouley Abder-Rhaman comme l’« empereur d’un état barbaresque qui se nomme le Maroc ». L’article rappelait le comportement des Marocains après la bataille de l’Isly pour opiner que la République devait achever l’œuvre de civilisation commencée par la monarchie de Juillet et soumettre pour de bon les populations d’Afrique du Nord – une « nationalité de forbans et d’assassins », était-il dit. Enfin, Le Charivari de 1849 donnait ce très curieux détail : dans le butin saisi par le prince de Joinville, se serait trouvé un « parapluie vert, qui est chez eux [i. e. les Arabes] le signe du commandement suprême ». Et de commenter sarcastiquement l’information : plutôt que d’encombrer la coupole des Invalides où sont accrochés suffisamment d’étendards enlevés aux successifs ennemis de la France, ne vaudrait-il pas mieux restituer le parapluie ? Énoncé en 1849, un peu plus d’un an après la révolution de Février, le propos ne pouvait pas ne pas évoquer la défaite politique d’un autre et renommé porteur de parapluie – l’ex-roi-citoyen. S’agissant, de plus, des Invalides, le lieu symbolique, par excellence, du bonapartisme, où reposent, depuis la monarchie de Juillet et de par la volonté de ce régime, les cendres de Napoléon vaincu, il est permis de se demander si ce commentaire à plusieurs détentes ne revenait pas aussi à accuser l’ambitieux Louis-Napoléon Bonaparte de vouloir récupérer à son profit le symbole même du pouvoir orléaniste. Façon magistralement indirecte, en ce cas, de renvoyer dos à dos tous ceux qui, arabes ou français, orléanistes ou bonapartistes, prétendent au parapluie, autrement dit à un pouvoir monarchique, anti-républicain. Écrit pendant la Seconde République, sous la présidence de Louis-Napoléon Bonaparte, cet article paraît ainsi préparer la combinatoire réalisée par Daumier dix ans plus tard, dans son « Combat singulier », entre politique intérieure et politique extérieure. Puisque l’orléanisme a adopté les visées expansionnistes du bonapartisme, il ne se distingue plus de son adversaire, étant lui-même aveuglé par son combat civilisateur. Le même personnage peut désormais être tout à la fois porteur du riflard et empereur. Il n’est, du coup, plus besoin du Cid-Ratapoil : comme « l’empereur du Maroc » vient d’assumer la totalité de ses fonctions, le caricaturiste peut dorénavant renoncer à ce fantoche grotesque. Mais au cours de ces manœuvres, le libéralisme n’a pas pour autant pu sauvegarder son identité orléaniste : troué comme il est, le parasol-riflard auquel s’agrippe cet « empereur » pour se protéger contre la pluie de balles déversée sur lui par son ennemi civilisé, n’a guère conservé son ancienne valeur de symbole de souveraineté, ni même son aptitude à servir simplement d’arme défensive (ill. 337).
24Le travail de Daumier ne s’arrête cependant pas là. Si l’on songe au sens métaphorique courant du mot nègre – celui qui met son talent au service d’un baron de la littérature industrielle25 –, l’esclave noir de l’orléanisme figuré en sultan peut être identifié comme un représentant des intellectuels et des artistes. Chargé d’annoncer au souverain les nouvelles les plus funestes (voir ill. 328 et 330), il semble en éprouver une joie perverse. Mais la panique change son rictus en un claquement de dents lorsque son maître ne peut plus le protéger des projectiles de l’ennemi (voir ill. 337). De même les artistes et les intellectuels, protégés par le libéralisme, conservent-ils à son égard une distance ironique qui fait place à l’effroi lorsqu’ils le voient malmené et investi par le bonapartisme. Probablement même, en dessinant ce noir terrifié, Daumier se renvoie-t-il sa propre image au moment où le ralliement de l’orléanisme à l’Empire risque de lui faire perdre son dernier rempart26. Le mois même où paraît la dernière feuille de la série marocaine, est celui où Daumier se voit écarté de l’équipe du Charivari pour plusieurs années.
25Les dessins de Daumier marqueraient ainsi les étapes d’une évolution esthétique de l’illustration qui, sous couleur de représenter des conflits de politique extérieure, produirait et communiquerait les idées à la fois les plus radicales et les plus subtiles sur les méandres du discours et de l’imaginaire du Second Empire. Regardées de la sorte, ses lithographies diffusées par la presse satirique quotidienne méritent, par leur densité conceptuelle et l’acuité de leur analyse, d’être considérées, à l’égal de son œuvre picturale et graphique, comme une magistrale exploration de la pathologie de l’humanité moderne.
Notes de bas de page
1 La méconnaissance traditionnelle du fonctionnement secret des caricatures politiques de Daumier relevant de l’époque du Second Empire se reflète encore dans l’ouvrage, par ailleurs très précieux, de Robert Justin Goldstein, Censorship of Political Caricature in Nineteenth-Century France, The Kent State University Press, Kent/Ohio, 1989, p. 179-184. Ce dernier reproduit en cela l’opinion émise par André Blum dans « La caricature politique en France sous le Second Empire », Revue des Études napoléoniennes, t. I. mars-avril 1919, p. 169-183, en part. p 176 : « ... l’intérêt de la caricature politique n’était pas dans ces facéties sur les Chinois et le nègre ». — Pour une étude comparative de la censure de théâtre, voir les ouvrages de Victor Hallays-Dabot, qui parle à partir de son expérience de censeur : Histoire de la censure théâtrale en France, Paris 1862, et La censure dramatique et le théâtre — Histoire des vingt dernières années (1850-1870), Paris 1871 ; ainsi que Odile Krakovitch, Hugo censuré. La liberté du théâtre au XIXe siècle, Paris 1985, et « Les ciseaux d’Anastasie. Le théâtre au XIXe siècle », Catalogue Paris 1987, p. 58-67.
2 Voir Baudelaire, « Quelques caricaturistes français », Œuvres complètes, Paris, Seuil, 1968, p. 380-384.
3 Catalogue Hamburg 1985, 470 p. (avec des contributions de Christiane Blaβ, Monika Bosse Dietmar Buschmann, Elizabeth Childs, Dieter Ewald, Werner Hofmann, Reinhart Kosellek, Michel Melot, Carl Hermann Middelanis, Mihaela Mosoia, Raimund Rütten, Birgit Schneider, André Stoll) ; version italienne étendue : catalogue Milan 1987, 520 p. Pour de plus amples perspectives sur le réseau des rapports critiques tissés par Daumier avec la littérature, la presse et les médias visuels à l’occasion de sa mise en scène des représentations du Noir qui ont cours sous le Second Empire, voir l’excellente thèse de doctorat de C. H. Middelanis, Impériale Gegenwelten. Haiti in den Text-und Bildmedien Frankreichs (1848-1870), Frankfurt am Main, 1995 Voir aussi C. H. Middelanis, « Moderni combattenti per i diritti umani », Il Giornale di Napoli, 23 décembre 1987 ; « Das schwarze Gewissen der Revolution », dans H.-J. Neyer, Vive la Révolution, Berlin, 1989, et A. Stoll, « Daumiers Barbaren. Ein graphisches Kabarett aus dem Geiste Voltaires », dans Wilhelm Busch-Jahrbuch 1986, éd. H. Guratzsch, p. 47-53 ; du même, « Daumiers Barbaren. Zur Monstrosität des Zivilisationsdiskurses », Merkur, no 462, août 1987, pp. 722-727, et « Il ballo in maschera di una civiltà egemonica », Provincia di Napoli, numéro spécial 2, a. X, 1988, p. 189-193. Le film vidéo, en allemand, français et italien, préparé pour accompagner l’exposition Die Rückehr der Barbaren... ouvre également d’intéressantes relations historiques et sémiotiques (scénario : C Blaβ, M. Bosse, C. H. Middelanis, A. Stoll ; mise en scène : W Blohm, AVZ de l’Université de Bielefeld, 1986).
4 Le mot de rébus est des Goncourt (E. et J. de Goncourt, Journal, Monaco, 1956, p. 54, cité d’après M. Bosse : introduction à la section VIII de l’exposition, catalogue Hambourg 1985, p. 371). Par la suite, cette piste de lecture semble avoir été oubliée. Ainsi Passeron trouve-t-il encore quelques « feuilles merveilleuses » parmi les œuvres de Daumier postérieures à 1851 (pp. 188 et 190) Mais à ses yeux, ces nombreuses scènes de genre lithographiées ne comportent pas un sens caché très profond (p. 187 et suiv.).
5 Voir la description et les commentaires de cette série par C. Blaβ, « Die List der Belagerten oder Wie Daumier mit der Zivilisation verfährt » [La ruse des assiégés ou le traitement de la civilisation par Daumier], Catalogue Hamburg 1985, section V, p. 275-313.
6 Première phase : après la prise par la flotte alliée, le 20 mars 1858, des fortifications de l’embouchure du Peiho, l’empereur de Chine obtient un délai d’un an pour obtempérer aux exigences commerciales de ses adversaires. Mais il en profite si bien pour développer sa défense, que les Européens, lorsqu’ils se présentent devant Pékin avec l’intention d’en finir, essuient une défaite retentissante. La métropole connaît alors des vagues d’indignation et d’appels à la revanche. Deuxième phase : de nouvelles troupes françaises, embarquées le 12 janvier 1860, entrent à Pékin le 13 octobre suivant, non sans avoir saccagé le Palais d’Été.
7 Voir par ex H. Walravens, China illustrata. Das europäische Chinaverständtnis im Spiegel des 16 bis 18. Jahrhunderts [La Chine illustrée. La vision européenne de la Chine du XVIe au XVIIIe siècle], Herzog August Bibliothek, Wolfenbüttel 1987. Quant à l’état de la recherche sur l’image de la Chine au siècle des Lumières, voir le chapitre d’introduction à Willy Richard Berger, China-Bild und China-Mode im Europa der Aufklärung, Böhlau, Köln-Wien 1990, p. 1-30. Documentation contemporaine de Daumier : C. Lavallée, Voyage en Chine, Paris 1852 ; R. E. Huc, L’Empire chinois, Paris 1854 ; W. C. Milne, La vie réelle en Chine, Paris 1858. Il est symptomatique que les premiers documents photographiques n’apparaissent la plupart du temps qu’après 1860-1861, et ce essentiellement du côté anglais (voir C. Carrington Goodrich, N. Cameron The Face of China 1860-1912, As seen by Photographers and Travellers, New York 1978 ; C. W. Worswick and J. Spence, Imperial China. Photographs 1850-1912, London 1978).
8 Voir la remarque de Baudelaire sur les œuvres de Daumier datant de la monarchie de Juillet : « Feuilletez son œuvre et vous verrez défiler devant vos yeux, dans sa réalité fantastique et saisissante, tout ce qu’une grande ville contient de vivantes monstruosités. Tout ce qu’elle renferme de trésors effrayants sinistres et bouffons, Daumier le connaît » (« Quelques caricaturistes français », p. 383).
9 L’abréviation « LD », usuelle chez les historiens de l’art et les marchands d’estampes, renvoie au catalogue illustré de l’œuvre de Daumier par Loÿs Delteil (N. D. L. R.).
10 Sur le roman-feuilleton en 1860, voir K. P Walter dans H.-J. Neuschäfer, D Fritz-El Ahmed, K.-P. Walter éds., Der französische Feuilletonroman Die Entstehung der Serienliteratur im Medium der Tagesieitung [Le roman-feuilleton en France Le surgissement de la littérature de série dans un medium, le journal quotidien], Darmstadt 1986, p. 174-202.
11 Middelanis 1985 donne une interprétation semblable de la figure du marin dans la série Haïti de Daumier (Cat Hamburg 1985, p. 95-125). Sur les mécanismes généraux de fonctionnement du public de masse moderne, voir F. Barbier, Le livre et l’espace industriel de production en France au XIXe siècle, 1979, et S Moscovici, L’Age des foules. Un traité historique de psychologie des masses, Paris 1981.
12 Voir A. Stoll, « L’Odalisque ou Regards sur la femme colonisée », Aspekte kolonisierter Weiblichkeit, Zif-Colloquium, Bielefeld 1982 ; « Die Entführung des Eremiten in die Wüste » [L’ermite entraîné dans le désert], postface à l’édition par le même du voyage en Orient de Flaubert, Reise in den Orient, Frankfurt am Main 1985, p. 363-421 en part, p. 405-412. On trouve des exemples parlants de cette conception de la peinture orientaliste chez Ph. Jullian, Les Orientalistes, Fribourg 1977 ; J. Harding, Les peintres pompiers. La peinture académique en France de 1830 à 1880, Catalogue Europa und der Orient 1800-1900, London-Paris 1980 ; G. Sievernich et H. Budde éds., Berliner Festspiele und Bertelsmann, 1989, en particulier les contributions de L. Thornton : « Frauenbilder. Zur Malerei der Orientalisten » [Images de femmes. A propos de la peinture orientaliste] et de K.-H. Kohl, « Cherchez la femme d’Orient » p. 342-267. Voir aussi L. Nochlin : « The Imaginary Orient », Exotische Welten — Europäische Phantasien, exposition de l’Institut für Auslandsbeziehungen und des Württembergischen Kunstvereins, Stuttgart 1987, p. 172-179. Sur d’autres aspects de la critique de l’exotisme chez Daumier, voir Stoll 1988, p. 429-439.
13 Voir S Mosoia/Stoll 1985, explications sur la section III (Russie) de l’Exposition dans Catalogue Hambourg 1985, p. 171-231, en particulier p 182, 218, 226, 230. De manière caractéristique, Baudelaire utilise pour stigmatiser les utopies sociales et politiques de l’époque les mêmes figures de rhétorique que Daumier, quand il décrit la façon dont Delacroix les raille :... « et si, imprudemment, on lançait devant lui la grande chimère des temps modernes, le ballon-monstre de la perfectibilité et du progrès indéfinis, volontiers il vous demandait : « Où sont donc vos Phidias ? où sont vos Raphaël ? » (« L’œuvre et la vie d’Eugène Delacroix » (1863), Œuvres complètes, p. 537).
14 Voir le dessin de Vernier dans Le Charivari du 24 août 1859.
15 Un article de Gustave Aimard dans le feuilleton de La Patrie du 28 octobre 1859 incite à lire cette caricature comme une mise en image de l’association agression militaire/métaphore de la lumière civilisatrice : « Ce que nous avançons ici est si rigoureusement vrai que, peuple essentiellement militaire et conquérant, notre armée n’a jamais été pour nous que l’avant-garde destinée à répandre à profusion les lumières qui font de nous la reine des nations et nous ont placés dans une situation telle que le monde entier a constamment les yeux fixés sur nous afin de savoir de quelle façon il doit agir ». Cette rhétorique pourrait bien avoir inspiré à Daumier l’idée de travestir en patrouille chinoise cette représentation fantasmatique du monde fasciné par les éclaireurs français.
16 Voir M. Bosse, « Le despotisme oriental en difficulté » (contribution inédite au séminaire Erasmus sur les sciences de la communication et de la littérature à l’Université de Lyon II, mai 1989).
17 Pour un commentaire détaillé de cette série, voir M. Bosse, section VII (Maroc/Espagne) de l’Exposition, Catalogue Hambourg 1985, p. 331-367 (ou, dans la version italienne, plus développée, p. 377-419).
18 Napoléon III soutient la reine Isabelle d’Espagne contre le Maroc.
19 Voir V. Hallays-Dabot : « le Nouveau Cid de M. Hugelmann, drame en vers, qui met en scène la campagne de 1859, ne sera représenté qu’après de nombreux sacrifices » (La censure dramatique..., p. 48).
20 Voir J. Starobinski, 1789. Les emblèmes de la Raison, Paris 1979, p. 31-37 (analyse du « mythe solaire de la Révolution »)
21 Voir la théorie de la vraie civilisation selon Baudelaire : « Elle n’est pas dans le gaz, ni dans la vapeur, ni dans les tables tournantes, elle est dans la diminution des traces du péché originel Peuples nomades, pasteurs, chasseurs, agricoles, et même anthropophages, tous peuvent être supérieurs, par l’énergie, par la dignité personnelle, à nos races d’Occident. » (Mon Cœur mis à nu, Œuvres complètes, p. 637).
22 Voir Delacroix, Correspondance cité et analysé dans M Bosse, « Le despotisme oriental en danger » op. cit., p. 10.
23 Gravure reproduite dans J. Lieure, Catalogue de l’œuvre de J. Callot, no 389. — Voir, dans l’excellent catalogue de l’exposition de Nancy, Jacques Callot, 1591-1635, Réunion des Musées nationaux, Paris, 1992, les commentaires des Balii di Sfessania par Daniel Ternois, p. 215-224.
24 Voir le jugement du poète romantique allemand E. T. A. Hoffmann, dans ses Fantaisies à la manière de Callot (1813-1815) : « ... ces figures grotesques créées par Callot à mi-chemin de la bête et de l’homme découvrent à l’observateur sérieux, pour peu qu’il veuille bien aller au fond des choses, toutes les significations secrètes cachées sous le masque de la bouffonnerie » (cité d’après Jacques Callot, 1591-1635, p. 95-96). Quant aux stratégies de dissimulation développées par Callot, voir aussi A. Stoll « Nom si puὸ guardare. Dallo spettacolo della giustizia assolutista al crollo dei miti della civiltà. La guerra nell’opera grafica di Callot e di Goya », dans Le incisioni di Jacques Callot nelle collezioni italiane, a cura dell’Istituto Italiano per gli Studi Filosofici e dell’Istituto Nazionale per la Grafica, Mazzotta, Milano 1992 p. 85-108.
25 Alexandre Dumas et Gustave Doré, par exemple, sont connus pour avoir employé des nègres de cette sorte. La fécondité de Ponson du Terrail, le roi du roman-feuilleton, trouve probablement son explication dans la même pratique (voir les remarques de K. P. Wagner dans Der französische Feuilletonroman..., même réf. que supra n. 10, p. 202).
26 Pour la fonction, analogue en quelque sorte, dans la caricature de Daumier, du singe ou de l’éléphant en tant qu’alter ego de l’artiste entravé par la censure, voir A Stoll, « Le singe de Daumier ou le dépassement de l’exotisme dans l’art », dans A. Buisine, N. Dodille et C. Duchet éd., L’Exotisme, Cahiers CRLH-CIRAOI no 5, Paris 1989, p. 429-442.
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Biographie & Politique
Vie publique, vie privée, de l'Ancien Régime à la Restauration
Olivier Ferret et Anne-Marie Mercier-Faivre (dir.)
2014