Féminisme et caricature : la question du divorce dans Le Charivari de 1848
p. 249-256
Texte intégral
1Supprimé en 1816 sous la Restauration1, le divorce n’a été rétabli ni par la monarchie de Juillet 2, ni par la Seconde République, ni par le Second Empire, mais seulement en 1884, sous la IIIe République, avec la loi Naquet. Or la question du divorce a été au cœur des préoccupations féministes dès le début de la monarchie de Juillet : la révolution de 1830 aurait dû logiquement entraîner le rétablissement du divorce3 et Fourier, théorisant la critique du mariage, exerce alors une influence non négligeable. Toutes les féministes de ces premières années du règne de Louis-Philippe ont été d’accord en effet pour demander le rétablissement du divorce, quelles qu’aient été par ailleurs leurs divergences idéologiques et doctrinales et leur origine sociale. Ce ne sont pas seulement les tenantes d’un féminisme radical, Claire Démar, Flora Tristan par exemple, qui ont revendiqué ce droit pour les mal-mariées. Le journal des Femmes de Fanny Richomme, chrétien et bourgeois, prend lui aussi, et uniquement sur cette question, des positions radicales4. Après les ouvrières de la Tribune des Femmes5, les bourgeoises de la Gazette des Femmes6 ont réclamé le rétablissement du divorce, publié les pétitions7 organisées à ce sujet, demandant l’abrogation de plusieurs passages du Code civil relatifs à la femme mariée, en particulier celle de l’article 210 sur l’obéissance au mari. Vers 1840, il ne se passe guère d’année sans que paraisse une pétition à ce sujet8. La lecture des premiers romans de George Sand9, Indiana, paru en 1832, Valentine et Lélia en 1833, Le Secrétaire intime, Leone Leoni et Jacques en 1834, a certainement contribué à cette prise de conscience et de position. Bien qu’une large opinion féminine se soit ainsi prononcée pour le rétablissement du divorce, elle s’est heurtée à une opposition irréductible. Si la pétition en vue du divorce a fait l’objet d’un rapport à la Chambre10, le projet de loi sur le divorce n’a été discuté que pour être ridiculisé et finalement repoussé11. Ces considérations préliminaires sont indispensables pour savoir comment se pose la question du divorce au moment où, à la faveur de la révolution de 1848, les femmes ont espéré le succès de leur revendication.
2Le rejet, par le ridicule, du projet de loi sur le divorce est révélateur des mentalités contemporaines. Le poids de la tradition fait que le rôle d’épouses et de mères, dévolu aux femmes dans la société, est considéré comme naturel. Tout ce qui s’écarte ou paraît s’écarter de cette norme devient source de comique. La caricature du féminisme12 se fonde donc sur les signes de cette prétendue anormalité des femmes, qui contrairement aux idées reçues, revendiquent l’égalité dans le mariage, le droit à l’instruction, à la vie publique, au suffrage universel et au divorce pour les mal-mariées. En outre le fonctionnement de cette caricature implique toujours, pour son consommateur, le présupposé de la référence implicite à la norme, c’est-à-dire au statut de la femme tel que l’a établi le Code civil de 1804 : exclusivement vouée au mariage et à la maternité, la femme est une mineure à vie, soumise à l’autorité maritale, confinée dans son foyer, dont le rôle est de séduire par sa beauté, son silence et sa douceur. Quand la série des Divorceuses13 paraît d’août à octobre 1848 dans Le Charivari, la caricature du féminisme est déjà constituée en stéréotypes dont la fonction est toujours de réduire et de dénaturer de façon grotesque les revendications des femmes14 Graphisme et légende s’inspirent toujours de lieux communs de la satire du féminisme vulgarisés par des dessins satiriques, des vaudevilles et des articles journalistiques, mais l’impact de l’image, immédiatement intelligible à tous, qui frappe la sensibilité et l’imagination de façon à se graver dans le souvenir, est tel que le lecteur prend pour la représentation de la réalité ce qui n’est en fait qu’une représentation imaginaire. Ainsi se tisse peu à peu un réseau de signes métonymiques, d’allusions, de clins d’œil propres à susciter et à entretenir la connivence des habitués du Charivari. Il n’est donc pas possible de lire la série des Divorceuses sans considérer le point de vue du journal sur la question du divorce dans les mois qui ont précédé la parution des six planches de Daumier.
3Ce point de vue, qui s’exprime dans une série d’articles, de dessins et de vignettes, parus de mars à juin 1848, et que nous jugeons aujourd’hui tout à fait conformiste et réactionnaire, témoigne en fait de l’opinion la plus communément répandue à ce moment-là. Loin de prendre en compte le problème posé par les femmes mal-mariées, Le Charivari fait comme s’il n’existait pas et renverse complètement la situation et le sens de la revendication : ce sont les maris mécontents qui ont l’initiative de réclamer le rétablissement du divorce, assez nombreux pour devoir choisir, comme lieu de réunion, la plaine Saint-Denis car « au Champ-de-Mars ils seraient trop à l’étroit15 » ! Au reste le divorce ne présente d’avantages que pour eux : il leur permettrait de réaliser leur fantasme de harem et de collectionner les épouses16... Le Charivari affirme que la proposition de rétablissement du divorce à l’Assemblée nationale a été accueillie « avec étonnement » et rejetée, ladite Assemblée renfermant « une majorité d’excellents maris tous possesseurs d’excellentes femmes17 ». Comme si la question posée pouvait se réduire à la vision stéréotypée de scènes de ménage héritées de la tradition farcesque... D’ailleurs la revendication féminine du droit au divorce est présentée comme étant le fait d’une minorité18, toute femme ambitionnant au contraire « le privilège » d’avoir un mari : seules les veuves et les célibataires désirent le rétablissement du divorce afin de « remettre dans la circulation un grand nombre d’hommes tenus jusqu’ici sous séquestre conjugal19 ». Au lieu de désirer le divorce, les femmes le redoutent plutôt20 : « les plus maussades deviendront douces comme des moutons quand elles apprendront qu’il peut être prochainement rétabli21 ». Aussi les révoltées sont-elles des « phénomènes22 » qui nient Dieu et ne respectent rien, ni mari ni famille et qu’on soupçonne de porter des moustaches ou une barbe23. Dans Le Charivari, l’action des femmes devient agressivité dérisoire, l’ombrelle se substitue à l’épée, épingles, éventails et « ongles roses » complétant l’armement féminin24. Ceux qui manifestent leur sympathie pour les revendications féministes sont déconsidérés par le ridicule : on raille Ernest Legouvé d’être devenu le « professeur des femmes » et on trouve « étrange » qu’un « établissement sérieux » comme le Collège de France « ait été s’affubler de ce cours cotillon25 ». Les maris des femmes insoumises sont moqués. La caricature les représente transformés en montures et cravachés par leurs épouses26 ou déposés au vestiaire du Club des Femmes comme un parapluie27, la revendication du droit au divorce ne pouvant être que le fait de viragos abusant de la faiblesse et du manque de virilité de leurs conjoints. Au reste le mari-tyran est une invention des femmes. Tout au plus existe-t-il quelques représentants du sexe masculin assez débiles pour se laisser tyranniser et pour consentir à écrire « des articles furibonds » contre leur propre sexe et à servir à l’occasion d’« échantillon » de « l’espèce qui asservit les femmes28 ». Pour recruter des adhérentes, les émissaires du Club des Femmes et sa directrice Eugénie Niboyet doivent avoir recours à des ruses de comédie analogues à celle du comte Almaviva jouant le soldat pris de vin dans Le Barbier de Séville29. Point fort de cette stratégie de la dérision, la confusion, entretenue grâce à des allusions constantes, entre la revendication du droit au divorce et la prétendue « révolte » des femmes contre les maris, dont le symbole est le Club des Femmes et son journal, la Voix des Femmes, invariablement brocardés par Le Charivari. Ce dernier affirme que le Club a été fondé pour obtenir le droit au divorce30 et présente systématiquement de façon grotesque les revendications des femmes à l’égalité, réduisant les questions débattues au Club des Femmes à des futilités : refus de recoudre les boutons de bretelles de pantalon, « abolition » de la gelée de groseille, de l’étude du point-arrière31 et des sous-jupes crinolines, suppression du privilège de la beauté32... La question du divorce est escamotée au profit de sous-entendus grivois33. L’allusion à la présence des Vésuviennes sert à déconsidérer le Club des Femmes : il suffit de citer leur nom pour que le soupçon de mœurs douteuses et le mépris dont il est entaché rejaillissent sur le club d’E. Niboyet34. Les femmes capables d’organiser une réunion publique et de monter à la tribune pour revendiquer leurs droits ne peuvent être « honnêtes35 ». Les plaisanteries des rédacteurs du Charivari à leur sujet s’apparentent souvent au comique de corps de garde. Au moment de sa dissolution, on feint de défendre le Club des Femmes en le considérant comme un spectacle qui « amuse » le public masculin, une « aimable folâtrerie » qui fait « concurrence au théâtre du Palais-Royal36 ». Ce « spectacle » offert par le Club des Femmes est celui du « tumulte », du « désordre », de la confusion des mouvements et des cris37, car les femmes ne parlent pas, elles crient, toutes en même temps ; incapables de s’entendre entre elles, elles ne discutent pas, elles se chamaillent38, les séances dégénèrent en bagarres39 ; la « fureur40 », antonyme de la traditionnelle « douceur » féminine, ne connaît pas de bornes et la présidente est impuissante à la maîtriser, ce que signifie l’évocation récurrente de sa sonnette41, devenue ici le symbole grotesque d’un pouvoir fantôme.
4Telle a donc été la présentation de la question du divorce dans Le Charivari avant que paraisse la série des Divorceuses de Daumier. Le suffixe dépréciateur de ce nom annonce déjà le parti pris de dérision. La planche no 1 (ill. 246), du 4 août 1848, met en scène et en images le tumulte d’un club de femmes : violence du mouvement de l’oratrice dont le bras tendu, la chevelure en désordre, la bouche ouverte sur le cri, signifient le déchaînement ; tribune prise d’assaut ; d’autres bras levés signifient que les femmes ont l’habitude de crier toutes en même temps dans ce genre d’assemblée, tandis que la sonnette de la présidente, à l’horizontale, s’agite dans une vaine frénésie. La légende complète ces signes de la fureur des femmes en révolte :
« Citoyennes... on fait courir le bruit que le divorce est sur le point de nous être refusé. Constituons-nous ici en permanence et déclarons la patrie en danger !.. »
5La reprise parodique des formules révolutionnaires de 179242 produit, pour le lecteur de 1848, un effet grotesque, dû à la disproportion entre le mot d’ordre et sa cause. Tout se passe comme si les procédés de la caricature pouvaient être d’autant plus gros que la question du divorce paraît, en août 1848, définitivement classée, comme inepte et sans fondement. En outre, au lendemain des émeutes de Juin, la participation des femmes aux assemblées politiques a été officiellement condamnée comme contraire et préjudiciable aux bonnes mœurs. En témoigne le vote, à une très grande majorité43, de l’amendement ajouté au projet de dissolution des clubs masculins : « les femmes et les mineurs ne pourront être membres d’un club ni y assister ». La planche no 2 (ill. 247) (12 août 1848) signifie précisément le ridicule de celles qui jugent stupide et arriéré le seul comportement reconnu décent pour une femme, celui de la mère de famille, gardienne du foyer :
« Voilà une femme qui, à l’heure solennelle où nous sommes, s’occupe bêtement de ses enfants... Qu’il y a encore en France des êtres abruptes (sic) et arriérés ! »
6Or l’épithète « abrupt » convient plutôt au personnage central à qui ce discours est attribué : nez proéminent, menton fuyant, grimace de dégoût, bras croisés dans une indignation hommasse, laideur redoublée par la présence, à gauche, d’un(e) acolyte au profil non moins accusé... À ces deux mégères d’âge mûr est opposée la silhouette douce d’une jeune mère assise, un enfant sur les genoux, au jardin44 : on sait que le jardin, annexe de la maison, est alors considéré comme l’espace de la vie intime et féminine, antonyme de l’espace public interdit aux femmes. Étant donné la majorité qui a rejeté le divorce, la parodie de la formule de Voltaire, dans la légende de la planche no 3 (ill. 248), (23 août 1848), – « Les maris ne sont pas ce qu’un vain peuple pense »-, produit un effet grotesque, confirmant le sens du dessin : seule la passivité inerte d’un mari peut autoriser de tels excès mélodramatiques chez son épouse. La revendication du droit au divorce est si peu fondée qu’une femme, les mains jointes, supplie en vain son avocat de plaider une cause qu’il refuse manifestement de toute sa hauteur :
« Oh ! M’sieu l’avocat, tâchez de me faire divorcer... j’paierai ce qui faudra pour ça ! (planche no4, 6 septembre 1848) (ill. 249). »
7Comme celui de la planche no 1, le comique de la planche no 6 (ill. 250) (9 octobre 1848) se fonde d’abord sur la disproportion entre la cause (le divorce) et l’effet (la Révolution) :
« Eh ! ben, v’là du propre ! On dit qu’on a décidément retiré la loi du divorce ! Oh ! Madame Chapoulard, Madame Chapoulard, le volcan des révolutions n’est pas fermé ! »
8De plus, l’indignation vertueuse45 du personnage féminin à qui est attribuée cette déclaration contraste avec les mœurs douteuses dont il est suspect : ce que laissent entendre l’allusion aux Vésuviennes contenue dans le cliché du « volcan des révolutions », la vulgarité du nom Chapoulard, la pose à la fois disgracieuse et indécente de ce personnage féminin assis sur un divan dont le dessin satirique a fait l’attribut typique des lorettes46. Le « Toast porté à l’émancipation des femmes par des femmes déjà furieusement émancipées » (12 octobre 1848), no 5 de la série (ill. 251), la clôt en fait dans la chronologie de la parution. Est-ce une erreur involontaire du rédacteur en chef ? Cette planche assimile en effet l’émancipation des femmes à l’ivrognerie, à une ribote indigne de femmes « honnêtes » : l’abus de la boisson, ce que la légende appelle être furieusement émancipée, est signifié par l’excès gestuel de trois des femmes mises en scène, brandissant leur coupe, par la tenue indécente de la quatrième, affalée sur sa chaise, coupe en main, par la présence de deux bouteilles encore pleines, par le cadre du « cabinet particulier » que ne fréquentent pas les « honnêtes femmes »... Le Charivari n’a pas pour autant épuisé la question du divorce. Cette veine satirique sera de nouveau exploitée avec la série des Femmes socialistes de Daumier dont la première planche, publiée le 20 avril 1849, est précisément consacrée à l’« Insurrection contre les maris ».
9Concluons. La série des Divorceuses ne nous fait plus rire car le code socio-culturel et la représentation de la femme auxquels elle fait référence ne sont plus les nôtres. Nous sommes capables de voir à partir de quelles idées reçues, de quels présupposés idéologiques, la revendication féministe du droit au divorce en 1848 a été tournée en dérision. Nous pouvons confronter la réduction grotesque que la satire contemporaine a faite de cette revendication avec sa cause légitime, la situation précaire des mal-mariées. Ce qui nous intéresse donc aujourd’hui, c’est de voir comment a fonctionné cette caricature, quel réseau de signes, de stéréotypes, de clichés, elle a mis en jeu, sur quelles allusions, insinuations et associations dégradantes elle s’est fondée, quel rapport étroit elle a entretenu par conséquent avec l’actualité politique et culturelle contemporaine, dans quelle stratégie journalistique enfin elle s’est insérée. Qui plus est, bien que les six planches de la série des Divorceuses nous paraissent de valeur inégale, notre sensibilité esthétique y trouve son compte... Quand nous regardons par exemple la planche no 1 (ill. 246), nous apprécions la vigueur plastique du crayon de Daumier exploitant, pour les transposer en images, les lieux communs de la satire du féminisme. En 1848 toutefois, les lecteurs du Charivari ont été d’autant plus facilement pris au piège du talent de Daumier et de l’illusion réaliste produite par ses caricatures qu’ils partageaient, à une très large majorité, les présupposés idéologiques auxquels elles font référence. Inversement, les scènes dessinées par Daumier ont contribué à conforter ces mêmes lecteurs dans la représentation qu’ils se faisaient du statut social et juridique des femmes. La connivence sur laquelle se fonde le rire produit par ces caricatures nous a donné à voir leur conformisme. On ne saurait, en aucun cas, considérer la satire de la revendication féministe du droit au divorce comme un langage de résistance47, à moins de se permettre un (mauvais) calembour, dans le goût de ceux qu’ont parfois affectionnés les polémistes du Charivari, et d’entendre résistance... au progrès et à la liberté, comme a dit Fourier, ce « rêveur sublime48 ».
Notes de bas de page
1 Quand la religion catholique est redevenue religion d’État.
2 Alors que la Charte avait enlevé au catholicisme son statut de religion d’État.
3 Voir supra n. 2. Selon Fourier le mariage bourgeois est une « prostitution composée ». « L’Harmonie » en revanche délivrera les femmes de la servitude maritale, morale et domestique. Enfantin, père des saint-simoniens, a lu Fourier, mais ce dernier juge insuffisant le culte saint-simonien de la femme (Le Phalanstère, 1834). À noter qu’une disciple de la première heure, Clarisse Vigoureux, a attiré à l’École sociétaire de nombreuses femmes de milieu bourgeois (voir Maïté Albistur et Daniel Armogathe, Histoire du féminisme français, Éd. Des Femmes, t. 2, p. 415).
4 « Le divorce est une loi morale que réclament notre civilisation et notre société telle qu’elle est. Le mariage est un trafic » Et d’appeler les lectrices « à la révolte », à « faire une guerre aux mariages d’argent », afin d’« abolir l’industrie matrimoniale » (M. Albistur, D. Armogathe, op cit., p. 437). Plusieurs écrivains se retrouvent autour de Fanny Richomme : Delphine Gay, George Sand, Anaïs Segalas, Alida de Savignac, Clémence Robert.
5 La Femme libre, revue saint-simonienne, fondée par Marie-Reine Guindorf et Désirée Véret en août 1832, prend le titre de Femme de l’Avenir, puis celui de la Femme nouvelle, La Femme affranchie, enfin devient La Tribune des Femmes, animée par Suzanne Voilquin, quand M-R Guindorf et D. Véret passent au fouriérisme.
6 Journal mensuel, La Gazette des Femmes paraît tous les mois de 1836 à 1838 Son directeur est Frédéric Herbinot de Mauchamps, ancien collaborateur en 1830 du Journal des Dames et des Modes.
7 Le droit de pétition, n’ayant pas été expressément interdit aux femmes par la Charte, est devenu leur principal moyen d’action sous la monarchie de Juillet En 1836 le numéro 3 de La Gazette des Femmes a reproduit la pétition la plus complète sur le problème du divorce L’argumentation démontre que la loi de séparation, invoquée par les adversaires du rétablissement du divorce, est insuffisante, le lien conjugal n’étant alors pas rompu mais relâché. Or le mariage doit contenir une clause résolutoire comme tout contrat d’association. Avec la loi de séparation, l’épouse, qui ne peut se remarier, se trouve dans une situation précaire, « seule dans la vie et sans protecteur » : l’union libre ne présente que des désavantages pour elle, la punition de l’adultère est également plus lourde pour elle et si, dans une nouvelle union elle a des enfants, ils appartiennent à son mari qui peut les lui enlever (voir M. Albistur, D Armogathe, op. cit., p. 432-433).
8 La pétition de Mlle Delpeschin a recueilli 500 signatures, chiffre imposant, la pétition n’ayant circulé que dans les milieux bourgeois parisiens (Évelyne Sullerot, Histoire de la presse féminine en France des origines à 1848 A. Colin, 1966).
9 Voir supra n. 4.
10 La tactique des pétitions n’a obtenu qu’un succès médiocre. Deux pétitions seulement ont fait l’objet d’un rapport à la Chambre, celle qui demandait que Louis-Philippe fût déclaré « roi des Français et des Françaises » (également rejetée) et celle qui concernait le rétablissement du divorce.
11 Par le député des Basses-Pyrénées, Liadières (M Albistur, D. Armogathe op. cit p. 435).
12 Voir L. Czyba La caricature du féminisme de 1848 : de Daumier à Flaubert, in Colloque Honoré Daumier — Perspectives européennes (30 novembre-2 décembre 1984) Université de Bielefeld, Zentrum fur interdisciplinäre Forschung.
13 Série de 6 planches parues dans Le Charivari, no 1, 4 août 1848 ; no 2, 12 août 1848 ; no 3, 23 août 1848 ; no 4, 6 septembre 1848 ; no 5, 12 octobre 1848 ; no 6, 6 octobre 1848.
14 C’est ce que l’on constate en effet avec la série des Bas-Bleus, parue de janvier à août 1844. Voir supra n. 12.
15 Article intitulé « Une pétition de maris », Le Charivari 19 mars 1848. La plaine Saint-Denis serait également nécessaire à la réunion des maris voulant remercier le ministre de la Justice Crémieux d’avoir présenté le projet de loi sur le divorce à l’Assemblée nationale. Cf « Les femmes et le citoyen Crémieux » Le Charivari, 31 mai 1848. À noter, page suivante, une caricature de Daumier : « Une femme doit suivre son mari partout où il lui convient d’aller élire son domicile » (Tout ce qu’on voudra, no 46) ; portant le panier du pique-nique, une femme suit son mari en tenue de pêcheur.
16 Voir les 2e et 3e vignettes de la Revue comique de la semaine par Cham, Le Charivari, 9 avril 1848 : un citoyen a été marié onze fois en un mois. Un autre présente à un ami sa nouvelle femme qui porte au bas du dos le no 14. Cf. Le Charivari, 17 juin 1848, « Un Français quelque peu Turc ».
17 « Gare ! », Le Charivari, 29 mai 1848 Même réduction aux stéréotypes d’un comique de farce dans « Une pétition de maris » (voir supra n. 15) : « Les femmes demandent qu’on supprime tous les maris grondeurs, avares, ayant le nez trop retroussé et portant des lunettes vertes »...
18 Les femmes réunies pour remercier Crémieux d’avoir présenté le projet de loi sur le divorce à l’Assemblée nationale ne sont que deux cents d’après Le Charivari (voir supra n. 15)
19 « Le Club des Femmes, Appel au sexe », Le Charivari, 10 mai 1848. Et d’évoquer le « droit de voler les maris », puisque « tout privilège est un vol ». Le civisme d’une femme consistera à « renoncer » à son mari « dans l’intérêt général ». Tirage au sort des maris tous les mois, durée de chaque mariage limitée à un an et un jour. Voir « Attentat contre le Club des Femmes », Le Charivari, 24 mai 1848 : est proposée une loi « contre les accapareuses de maris ». Cf « Les Femmes de Rodez », Le Charivari, 8 juin 1848 : « Je m’attends à ce qu’une oratrice du club de Rodez propose prochainement le partage des hommes ».
20 Voir la première vignette de la Revue comique de la semaine par Cham, Le Charivari 9 avril 1848.
21 « Une pétition de maris », voir supra n. 15.
22 Qu’on montre dans les foires au XIXe siècle.
23 Voir « Les Femmes de Rodez ». Le Charivari, 8 juin 1848 et la première vignette de la Revue comique de la semaine par Cham, Le Charivari, 22 juin 1848, d’après laquelle la rédactrice de La Voix des Femmes (E. Niboyet) est dotée d’une énorme barbe.
24 Le Charivari, 17 avril, 24 mai 1848.
25 « Au citoyen Ernest Legouvé », Le Charivari, 30 mars 1848 Ernest Legouvé, fils de Gabriel Legouvé, l’auteur du Mérite des Femmes, faisait un cours sur l’Histoire morale de la Femme. La Voix des Femmes a fait campagne pour soutenir sa candidature à l’Assemblée nationale. Voir Le Charivari, 17 avril 1848.
26 « Plus de vilains maris... Vive le divorce ! », Le Charivari, 31 mars 1848 Caricature d’Henri Emy ?
27 Cham, « Le Bureau de parapluies au Club des Femmes », Le Charivari, 17 juin 1848.
28 Le Charivari 17 juin 1848 « Tout journal de femmes compte parmi ses rédacteures (sic) un homme chargé de servir de sujet de démonstration à la directrice lorsqu’elle veut fournir un exemple vivant de la laideur et de la grossièreté de l’espèce masculine. Dans ce cas elle appelle l’homme du journal qui est ordinairement son mari, son frère, ou quelque portier du voisinage tombé en enfance »... La fin de l’article précise qu’E. Legouvé, qui a pris La Voix des Femmes sous son patronage, se dispute avec Paulin Niboyet (en réalité le fils d’E. Niboyet), l’emploi d’homme-échantillon et le privilège de servir de sujet pour les démonstrations.
29 Le Charivari, 14 mai 1848. Il s’agit de déjouer la vigilance des maris de ces adhérentes potentielles.
30 « Le Club des Femmes, Appel au sexe », Le Charivari, 10 mai 1848.
31 « La Voix des Femmes », Le Charivari, 26 mars 1848.
32 « Attentat contre le Club des Femmes », Le Charivari, 24 mai 1848 ; voir « Le Club des Femmes, Appel au sexe » (voir supra n. 30) : « Abolition des cheveux longs » (et beaux) au nom de l’égalité (sic). Toutes les femmes se coifferont « à la Titus ». « Abolition des nuances dans la couleur des yeux »...
33 « Le Club des Femmes, Troisième représentation nocturne », 24 mai 1848 : « Le divorce pris sous son point de vue physique, voilà ce qui peut s’appeler une question palpitante d’intérêt »...
34 Voir « La Voix des Femmes », Le Charivari, 26 mars 1848 : « Je me plais encore à supposer que les rédactrices de la Voix des Femmes font partie de la légion vésuvienne » ; « Les émissaires du Club des Femmes », Le Charivari, 14 mai 1848 ; « Attentat contre le Club des Femmes », Le Charivari, 24 mai 1848 : « Les Vésuviennes ont voulu fuir, mais la plupart sont tombées entre les mains des défenseurs de l’ordre. Comme il n’y avait pas de prison préparée pour les recevoir, on assure que les vainqueurs ont poussé le zèle jusqu’à emmener les prisonnières chez eux, les plus jeunes s’entend Les vieilles ont été relâchées »...
35 La présence, au Club des Femmes, du primat Chatel, la caricature dont il est l’objet, contribuent à le signifier (Le Charivari, 18 mai 1848) : « ... primat ambulant, réduit jusqu’ici à transporter son église de porte cochère en porte cochère... et finalement dans une écurie du faubourg Saint-Martin [...] se croyant à l’église française lorsqu’il mariait par hasard une bonne et un tourlourou, il a prononcé ce fameux mot répété par tous les journaux : messieurs, n’oubliez pas que les dames de l’assemblée sont à votre discrétion ! » L’abbé Ferdinand-Toussaint-François Chatel (1795-1857) ne rompit ouvertement avec l’Église romaine qu’après juillet 1830. En janvier 1831 il créa une Église appelée successivement Église française, Église unitaire française, Église primatiale française, dont le siège principal fut successivement transféré dans divers quartiers de Paris. Ce nouveau culte n’honorait en Jésus-Christ qu’un « homme prodigieux », rejetait la confession, le jeûne, l’abstinence et remplaçait dans la liturgie la langue latine par la langue française. En 1842 un arrêté de police fit fermer l’église primatiale du faubourg Saint-Martin. L’abbé Chatel esssaya de rouvrir ses églises après la révolution de 1848 et prit plusieurs fois la parole dans quelques clubs particulièrement consacrés aux idées d’émancipation. En 1850 un arrêté suspendit pour la seconde fois l’exercice du nouveau culte (voir Vapereau, Dictionnaire universel des Contemporains, Paris, Hachette, 1858, p. 382). L’abbé Chatel avait déjà été pris comme cible de la satire anti-saint-simonienne des années 30 (cf. ici même Philippe Régnier, « Le saint-simonisme à travers la lettre et l’image »).
36 « L’adresse du Club des Femmes, s’il vous plaît ? », Le Charivari, 9 juin 1848 Depuis 1831, le théâtre du Palais-Royal était consacré au vaudeville. Voir la représentation le 4 juin 1848 d’un vaudeville en un acte de MM. Louis F. N. Clairville et Jules Cordier, Le Club des maris et le Club des femmes : cette pièce, construite sur les clichés les plus rebattus de l’infidélité conjugale met en scène la revanche des femmes et conclut : « si les maris sont galants avec leurs épouses, ces dernières n’auront pas d’amants ! » Le no 41 de La Voix des Femmes (du 6 au 8 juin 1848) déplore les attaques par le ridicule, les « outrages », les « railleries », les « sarcasmes » dont sont victimes E. Niboyet et ses collaboratrices. Dans le no 42 (du 8 au 10 juin 1848) E. Niboyet annonce que le club a renoncé de lui-même à ses séances car « c’était depuis huit jours un parti pris de les troubler », d’« y jeter le désordre pour arriver à (...) leur dissolution » Et d’ajouter : « Nous ne voulons servir ni de spectacle ni de jouet à personne ».
37 Voir « Attentat contre le Club des Femmes », Le Charivari, 24 mai 1848.
38 « Le Club des Femmes, Troisième représentation nocturne », Le Charivari, 28 mai 1848.
39 Voir supra n. 37 et 32.
40 Voir « Gare ! », Le Charivari, 29 mai 1848. À noter l’effet burlesque produit par la citation de Virgile : « Furens quid femina possit ? Les clubistes présidées par Mme Niboyet seront certainement furieuses du rejet du divorce »... (souligné par nous L. C.).
41 Voir supra n. 36 et 37.
42 Le 11 juillet 1792, apprenant la prochaine arrivée de l’armée prussienne à la frontière de la Lorraine, l’Assemblée législative proclama la Patrie en danger, ordonna la mise en état d’activité permanente de tous les gardes nationaux. Effet de grotesque analogue dans « Gare ! », Le Charivari, 29 mai 1848, l’annonce du rejet du divorce faisant craindre à l’auteur de l’article « une nouvelle journée du 15 mai » : « pourvu que le sanctuaire législatif ne soit pas envahi par une émeute en collerettes, guidée par un pompier en bibi à plumes »...
43 Seuls les socialistes s’y sont opposés. Le pasteur Cocquerel lui-même, dont la candidature avait été patronnée par La Voix des Femmes, a justifié cet amendement par les incidents qu’avait fait naître la présence des femmes dans les assemblées (M. Albistur. D. Armogathe, op. cit., p. 454).
44 On connaît la fortune de ce sujet dans la peinture du XIXe siècle.
45 La reproduction de l’expression populaire « V’là du propre ! » ne nous paraît pas insignifiante dans ce contexte.
46 Voir en particulier Gavarni, créateur selon Baudelaire de la Lorette, à qui il a consacré 79 pièces ; elles ont été exécutées et ont paru souvent dans Le Charivari, entre 1841 et 1843.
47 Pour répondre à la question posée par le titre de ce colloque.
48 Le mot est de Stendhal, Mémoires d’un touriste, éd. Crès, t. III, p. 340. — « L’extension des privilèges des femmes est le principe de tous les progrès sociaux, car les progrès sociaux et changements de Période s’opèrent en raison du progrès des femmes vers la liberté, et les décadences de l’Ordre social s’opèrent en raison du décroissement de la liberté des femmes » (Fourier, Théorie des quatre mouvements et des destinées générales, dans Œuvres complètes, éd. Anthropos 1967, t. I, 2e partie, IV).
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La Caricature entre République et censure
Ce livre est cité par
- Bouyssy, Maïté. (2012) L’urgence, l’horreur, la démocratie. DOI: 10.4000/books.psorbonne.58882
La Caricature entre République et censure
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