Un art politique interactif : le discours de l’image satirique
p. 113-123
Texte intégral
1Sur l’échiquier de l’Histoire, les noirs – la monarchie de Juillet – affrontent les blancs – la République – (ill. 102). Face au roi Louis-Philippe, la reine Liberté, protégée par ses deux tours, la Société des Amis du Peuple et la Société des droits de l’homme, est soutenue par ses cavaliers, Le National et La Tribune, par ses fous, La Caricature et Le Charivari, et par ses pions en armes, coiffés du bonnet phrygien. Les blancs sont en position dominante. Le Charivari menace la tour du ministre de l’Intérieur, d’Argout, et le coq gaulois, roi des blancs, bat triomphalement des ailes car, dit l’explication, le mouvement républicain fait échec à la monarchie de Juillet. « Échec et mat », tel est l’avenir prédit par la légende, par Grandville peut-être (mais il n’y a pas de signature) à la monarchie de Juillet. La perspective du dessin n’est pas insignifiante : les blancs jouent en partant du fond vers l’avant et les noirs, vaincus, sont acculés au premier plan. En suivant du regard cette perspective nettement orientée, le lecteur de La Caricature est invité à entrer dans le jeu et à participer à ce mouvement qui va d’un présent assez sombre vers l’avenir éclairci qui s’ouvre à l’horizon de l’échiquier. Il comprend que c’est son histoire à lui, son histoire actuelle, qui se joue sous ses yeux. C’est à son intention que les deux tours, Les Amis du Peuple et la Société des droits de l’homme, témoignent de la continuité de la résistance républicaine face à la monarchie de Juillet. Il n’ignore pas qu’après l’écrasement de l’insurrection de juin 1832, c’est la seconde qui a pris le relais, et il n’a pas de peine à interpréter sa position en première ligne comme un appel à la lutte immédiate. Passé et avenir interpellent le présent du lecteur ainsi transformé en partenaire d’un jeu qui n’admet pas de spectateur passif.
2C’est essentiellement de ce caractère interactif du discours satirique qu’il va être traité ci-après. Car la situation politique de 1833 est particulièrement propre à le développer. À l’automne de cette année-là, l’opposition républicaine s’est déjà rétablie. Trois associations nationales la structurent : l’Association libre pour l’instruction du peuple, l’Association républicaine pour la défense de la liberté de la presse patriote et de la liberté individuelle et la Société des droits de l’homme et du citoyen. Un mouvement ouvrier naissant mais vigoureux commence à confluer avec elle1. 1833 est aussi l’année des mouvements de grève les plus importants que la France ait connus. La presse républicaine est pour beaucoup dans cette évolution des consciences et dans la formation du discours qui l’accompagne, qu’il s’agisse de la presse populaire et démocratique : Le Bon Sens, La Tribune et Le National, ou de la presse satirique : Le Charivari, La Caricature et L’Association Mensuelle. Cette dernière, notamment, se crée un lectorat fidèle, dont la compétence de décodage, régulièrement exercée, est indispensable au bon fonctionnement de son code spécifique. Le processus qui nous intéresse est un processus continu et complexe : comment la compétence de décodage du lecteur de caricatures, fondée sur un discours politique précurseur, devient-elle constitutive du discours de la satire par l’image, et comment, ensuite, ce discours en images retravaille-t-il le discours politique jusqu’à parvenir, en jouant sur la compétence de décodage de ses lecteurs, à en affiner l’argumentation ?
3En juillet 1833, à l’approche de l’anniversaire des Trois Glorieuses, la propagande républicaine bat son plein sur le thème des fortifications de Paris. Sous la pression d’une opinion convaincue que le gouvernement veut plutôt se protéger contre le peuple que contre de nouvelles invasions étrangères, les travaux sont provisoirement interrompus. Le Charivari triomphe immédiatement dans un article du 26 intitulé « Capitulation de la royauté-mitoyenne » :
« Depuis que la volonté de Juillet a reconquis au peuple sa souveraineté deux fois seulement le vœu national a trouvé l’occasion de se manifester éclatant et irrésistible, à savoir : contre l’hérédité de la pairie et contre les quatorze bastilles. Deux fois, la contre-révolution a dû reculer devant cette manifestation patriotique2. »
4Or dès le 3 octobre suivant, un dessin de La Caricature fait écho au « vœu national », patriotique, que les textes du Charivari expriment à l’encontre de la politique internationale selon eux timorée du régime de Juillet : le roi des Français y est ridiculisé au premier rang des souverains européens (ill. 9). Le commentaire insiste et provoque : « Quelles sont les petites marionnettes que met en mouvement le prolétaire ? » Devant un homme du peuple coiffé du képi de la garde nationale se tiennent en effet, réduits à une taille de nains et dans une posture de chiens de cirque, Louis-Philippe, Charles X et les souverains de la Sainte-Alliance3. Le « prolétaire » a posé son fusil contre trois pavés. L’un des pavés porte une inscription en guise d’épitaphe : « Ici repose le dernier des forts détachés ». Ce vestige de barricade ne sert cependant pas seulement de tombe au projet gouvernemental de fortifications contre « l’ennemi de l’intérieur », mais il évoque également la révolution de 1830 et situe par conséquent la lutte des prolétaires dans la continuité de cette révolution. Cette mise en perspective socio-politique, cette réinterprétation iconique des concepts usuels du Charivari (« souveraineté du peuple », « vœu national », « manifestations patriotiques ») prolongent et résument une argumentation oppositionnelle dont des images antérieures du Charivari ont préparé la compréhension, en enrichissant la compétence de décodage des lecteurs d’un certain nombre de schémas graphiques dirigés contre la monarchie bourgeoise. Ainsi, dès le 28 juin, avant même l’article précédemment relevé, Le Charivari publie-t-il une lithographie de Grandville extraite de la série Caricatures politiques où deux ouvriers discutent des fortifications : « Tu crois que c’est pour les cosaques ?... t’es-t-encore un fameux parisien... c’est pour te ressoigner le cuir si t’es pas content du gouvernement » (ill. 116). À cette préparation iconographique anti-fortifications appartient encore un autre dessin paru dans Le Charivari du 26 juillet suivant, extrait de la même série. « Le fort et le faubourien » se réfère en effet explicitement au dessin et à la légende de Grandville. Mais il va plus loin : « Si tu bouges, faubourien, j’t’écrase !... — t’as beau faire ton fort, malin, on te démolira » (ill. 117). Le jeu de mots sur « fort » se passe de commentaire. C’est justement la forme iconographique de cette argumentation, ainsi devenue familière, que le dessin de Bouquet plus haut évoqué (ill. 9) reprend dans La Caricature en lui conférant une dimension d’avenir : le « prolétaire » y domine et y fait danser les anciens maîtres de l’Europe. La publication dans La Caricature de cette vision future d’une Europe républicaine constitue le dernier mot du dialogue poursuivi avec Le Charivari sur ce thème précis. Elle propose aussi une synthèse des deux stratégies discursives concurremment développées par Le Charivari : sa stratégie langagière (ses textes de tonalité nationale et patriotique) et sa stratégie iconique (sa figuration de l’ouvrier comme garant de la République).
5C’est en jouant d’une ironie toute littéraire que La Caricature décrit la fonction sociale du caricaturiste lorsque, dans son numéro du 5 décembre 1833, elle analyse la manière dont Daumier, dans le même numéro, traite d’un fait divers qui a impliqué Louis-Philippe et défrayé la chronique pendant la visite officielle en France du roi de Belgique (ill. 118) :
« La Caricature n’a pas seulement pour mission d’esquisser avec son crayon de malice bouffonne, et de joyeuse charge, les petits accidens secondaires dont le neuf août [i. e. Louis-Philippe, qui a prêté serment à la Charte le 9 août 1830] nous rend journellement témoins. Elle doit aussi représenter, d’après nature, les grands événemens qui de loin en loin apparaissent, et figurent les pater dans le chapelet de la gloire contemporaine. À ce titre, l’événement du Bourget méritait de fournir le sujet d’un tableau d’histoire qui vient trancher, au milieu de nos pochades, par le grandiose de son ensemble et la majesté de ses détails. »
6Daumier représente le roi-citoyen en train de pratiquer une saignée sur un blessé. Le « 9 août » est assisté par le duc d’Orléans et par le maréchal Lobau. La légende, en citant le texte du ballet du Malade Imaginaire, fait jouer à Louis-Philippe le rôle moliéresque du bachelier promu docteur en médecine et autorisé à tuer en toute impunité pourvu que ce soit dans les règles de l’art4. Mais on ne comprend la qualification de « tableau d’histoire » qu’à la double condition de savoir à quel événement il est fait allusion et, surtout, quelle interprétation en a propagée le discours républicain. Il n’est pas fortuit que les renseignements nécessaires aient été donnés deux mois plus tôt par Le Charivari, où un article rapporte l’accident arrivé à un garde lors du trajet en carrosse effectué par Louis-Philippe de Paris au Bourget afin d’accueillir le roi de Belgique en visite officielle en France5 :
« Un courrier nommé Varner est tombé de cheval, et la roue de l’omnibus lui a passé sur le corps. La Pensée immuable [i. e. Louis-Philippe] est descendue sur-le-champ, a tiré de sa poche une lancette qui ne l’abandonne jamais, dit La France Nouvelle, depuis son voyage en Amérique, et a saigné et pansé le courrier avec un soin et une TENDRESSE extraordinaire. Après quoi la Pensée a lié le bras du malheureux avec le mouchoir de Mme Adélaïde qu’elle a déchiré en deux fragmens. La France Nouvelle s’extasie, ce matin, sur cette action toute naturelle. « Voilà, s’écrie-t-elle, un de ces traits qui n’ont pas besoin d’éloges ! ». Je le crois pardieu bien qu’ils n’en ont pas besoin ! Le premier venu porteur d’une lancette, en eût fait autant à la place de la Pensée. Le Journal de la lune n’a pas su trouver des louanges aussi ampoulées lorsqu’il a fallu vanter l’héroique dévouement du brave marin d’Hénin qui a vingt fois exposé sa vie pour sauver des naufragés. Mais un roâ qui daigne descendre de voiture parce que ses chevaux viennent d’écraser un homme ; un roâ qui daigne sortir une lancette de sa poche, parce que ses chevaux viennent d’écraser un homme ! un roâ qui daigne panser une blessure, c’est un roâ modèle, un roâ pyramidal, le nec plus ultrà des roâs ! La France Nouvelle qui montre une exaltation si ébouriffée, à propos d’un acte si simple, eût donc trouvé tout naturel que la Pensée fît fouetter ses boiteuses [i. e. ses chevaux, en argot] sans s’inquiéter le moins du monde du malheureux que son omnibus venait d’écraser ? Il n’y a que la bonne presse pour comprendre ainsi l’humanité. »
7Le Charivari ne relate pas seulement l’événement du Bourget, il indique comment il est devenu dans l’opinion publique une parabole morale et politique : la presse ministérielle y voit une marque de la tendresse du roi-citoyen par elle transfiguré, en la circonstance, en « Bon Samaritain », alors que la presse d’opposition exploite l’anecdote en assimilant la « Royauté citoyenne » à une royauté-chirurgienne. Pour leur part, Le Charivari et La Caricature ne sont pas en reste pour jouer de la valeur métaphorique de la « saignée6 ». Ainsi, pour dénoncer l’incapacité de la monarchie constitutionnelle à remédier aux maladies sociales autrement que par la pire répression, Le Charivari ne se prive-t-il pas de parodier la fameuse sentence énoncée par Thiers sous la Restauration : « le roi règne, mais ne gouverne pas » devient : « le roi saigne, mais ne guérit pas7 ! » Ce commentaire de l’incident, qui constitue en l’occurrence la compétence de décodage du lecteur, sert de base à Daumier pour sa caricature. Il en fait un tableau d’histoire sous la forme d’un collage composé de deux parties. La moitié gauche met en scène l’événement du Bourget dans les termes mêmes de l’interprétation qui prévaut dans les rangs républicains (« le roi saigne, mais ne guérit pas » — « la Royauté chirurgienne »). En revanche, la moitié droite confère à l’intervention chirurgicale de Louis-Philippe une dimension socio-politique accentuée. Par la présence du fils aîné du roi, le duc d’Orléans, « médecine de roi » en mains, elle rappelle explicitement la répression, précisément menée sous le commandement de ce dernier, de la révolte des canuts de novembre 1831. L’adjonction d’un autre aide, en la personne du maréchal Lobau8, responsable de la répression du soulèvement républicain parisien de juin 1832, complète la mise en accusation politique. Ce que Daumier, par ce procédé de collage, au sens moderne du mot, met donc globalement en cause, c’est la chirurgie politique et militaire pratiquée par la monarchie de Juillet contre les forces sociales qui lui résistent, contre le peuple. Cette rétrospective du régime, qui parodie le genre du tableau d’histoire, explique les raisons historiques de la lutte engagée contre lui par le mouvement républicain. La perception visuelle du collage par le lecteur, jointe à sa connaissance du contexte discursif, lui permettent de saisir toute la portée de la caricature et d’interpréter sur le mode d’une discrète ironie l’explication précédemment citée.
8Il s’avère en somme que la caricature est une composante à part entière du journal satirique, que le caricaturiste y a statut de rédacteur et que la compréhension du langage iconique, loin d’être un phénomène spontané, requiert de la part du lecteur une compétence de décodage étroitement liée à la connaissance de l’actualité. En d’autres termes, le discours contextuel, première étape du processus, et la continuité de l’argumentation entre texte et image constituent et garantissent la lisibilité du jeu satirique, qui est un jeu herméneutique. Le talent du dessinateur s’évalue à sa maîtrise de ce jeu.
9Daumier peut ici encore servir d’exemple.
10En mars 1834, Le Charivari publie sans légende et sans explication une caricature qu’on pourrait croire de mœurs (ill. 119). De fait, cette lithographie, depuis Delteil, est interprétée comme « l’homme ivre » ou « les suites d’une bagarre9 ». L’image se compose de trois éléments distincts mis en perspective à la manière d’une mise en scène de théâtre. Sous les feux de la rampe, tourné vers le public, voici, au premier plan, la victime d’une bagarre – un bourgeois, à en juger par ses vêtements. Le décor figure un bien inoffensif quartier de tavernes. Sur la gauche, à l’entrée d’un établissement, un couple d’amoureux ; à droite, un client réajustant sa tenue pour rentrer chez lui. Au fond, sur une façade percée d’une fenêtre, on peut lire les premières lettres du mot Provo[cation], et sous la fenêtre, on aperçoit un objet oblong qui a la forme d’un gourdin. Avant d’analyser dans sa fonction la mise en scène de ces trois éléments graphiques – la victime d’une bastonnade, le quartier de tavernes et l’instrument évident d’une provocation –, il est de bonne méthode de vérifier s’ils n’ont pas été déjà codifiés dans une séquence discursive qui l’aurait préparée.
11Février 1834 est un mois de troubles. Le Charivari en brosse une description qu’on pourrait croire exagérée, mais qui ne l’est pas :
« C’est effrayant, ce que nous avons d’ordre public. Depuis plus d’un mois les préfets ne dorment pas ; les généraux de division ont l’oreille au guet : le télégraphe manœuvre sans relâche entre les deux crépuscules, sans rencontrer nuages ni brouillards ; nos régimens s’éreintent sur les grandes routes ou bivouaquent sur les places publiques ; [...] À Strasbourg, des germes de mécontentement se manifestent parmi les ouvriers de la fabrique de tabacs. Vite le télégraphe et les courriers se mettent en mouvement ; les troupes se concentrent, et voilà la guerre civile en demeure d’ensanglanter les rues. À Marseille, la garnison reste deux jours sous les armes. […] À Lyon, l’ordre florit d’une manière bien plus rassurante encore. Les choses en sont arrivées à ce point, que dans la seconde ville de France, soixante-mille ouvriers sans travail se trouvent en présence de plus de trente mille soldats armés. Il faudra des miracles de prudence et de sang-froid, pour qu’on ne voie pas se renouveler dans Lyon, un 6 juin [allusion à la répression de l’insurrection républicaine du 6 juin 1832 à Paris] ou un 21 novembre [date initiale de la révolte des canuts à Lyon en 1831]10. »
12En vérité, le gouvernement contribuait sciemment à accroître la tension pour inciter sa majorité parlementaire à aggraver la législation répressive. Non content d’avoir promulgué une loi contre les crieurs publics destinée à entraver le colportage des journaux républicains, il poussait à l’adoption d’un amendement contre les droits d’association et de coalition, afin de donner un coup d’arrêt à la politisation croissante des luttes ouvrières. Les 23 et 24 février 1834, le point culminant de cette stratégie de la tension est atteint lorsque, engagés et payés par la police, des assommeurs armés de bâtons sèment la panique sur la voie publique en malmenant les passants à qui mieux mieux. Le Charivari accuse :
« L’ÉMEUTE C’EST VOUS SEULS QUI LA FAITES [...] Nulle part la presse patriote n’a vu l’émeute. Mais, en revanche, elle a vu, ici, des pelotons de gardes municipaux à pied, là, des escadrons entiers de gardes municipaux à cheval ; – sur les boulevards, circuler des files de dragons et de cuirassiers ; dans les rues et sur les places, stationner des officiers de paix en écharpe, ayant chacun sous leurs ordres vingt sergens de ville, ayant chacun sous leurs ordres trente ou quarante assommeurs armés de bâtons. Elle a vu, rue Neuve-Vivienne, des pierres lancées, par des mains suspectes, contre un officier commandant un piquet de dragons lequel, avec une modération qu’on ne saurait trop louer, s’est contenté de faire avancer sa troupe vers le côté d’où étaient partis les projectiles. Elle a vu, rue Vivienne, un jeune homme inoffensif, frappé de coups de bâtons, et meurtri de coups. Elle a vu, rue Notre-Dame-des-Victoires, des bandes d’assommeurs se ruer sur les passans. Elle a vu frapper, rue des Filles-St-Thomas, un jeune homme qu’on dit être le fils du maire d’Auteuil Elle a vu, rue de Richelieu, M. Grimaud assailli par des agens de police, et laissé gisant sur le pavé. Elle a vu trois mouchards fendre la tête de M. Fairu, à coups de bâtons ferrés. Elle a vu, rue du Port Mahon, M Simon renversé d’un coup d’épée, au moment où il sortait de sa maison, et assommé ensuite à coups de canne11... »
13L’énumération des violences commises dans la rue du Faubourg-Saint-Denis et sur la place de la Bourse n’en finit pas. Le prétexte de cette agression paramilitaire ? L’annonce par la presse populaire, par Le Bon Sens en particulier, de son intention de continuer, malgré l’interdiction, à vendre ses journaux à la criée sur la place de la Bourse. L’évocation de la topographie dans le communiqué inclut néanmoins l’ensemble du quartier et souligne qu’il s’agit de ce qu’on nomme le Vieux Paris. L’espace urbain ainsi délimité est un espace où les contrastes sociaux sont très marqués et où la peur de l’Autre, au sens social de l’expression, est particulièrement sensible. Cette peur n’est cependant pas exprimée dans les récits de l’événement, jusqu’à la parution de la caricature de Daumier, il ne se passe pas un jour sans que la presse d’opposition ne revienne sur les exactions des 23 et 24 février. Sa stratégie à elle est manifestement d’exploiter l’indignation des citoyens pour réunir une large alliance contre le gouvernement, le ministre de l’Intérieur d’Argout et la police12. Le Charivari pour sa part combat l’hostilité à base de réflexes psychologiques et idéologiques qu’ont déclenchée les assommeurs armés de bâtons et qui se mobilise en bloc contre les classes laborieuses (classes dangereuses, barbares, quartiers menaçants). Pour ce faire, il revient sans se lasser sur les détails et le mécanisme de la provocation manipulée par le gouvernement :
« Chaque jour de nouveaux détails viennent compléter la hideuse physionomie du guet-à-pens de la place de la Bourse. Aussi, peut-on remarquer qu’à mesure que le fait vieillit, le langage de la presse devient de plus en plus flétrissant, et l’indignation publique de plus en plus vive C’est au milieu de ces révélations accusatrices que le préfet de police a eu l’outrecuidance de faire afficher une proclamation où l’on remarque les passages suivans :
Habitans de Paris,
Depuis quelques jours, les ennemis incorrigibles du repos public et des lois ont encore essayé de porter le trouble dans le sein de la capitale.
Tout cela c’est du niais mensonge. Vous le savez mieux que personne, préfet de police ; vous savez que les gens que vous osez désigner ainsi, non seulement n’ont point troublé l’ordre, mais ont même résisté aux provocations de tout espèce [...] avec un courage d’inaction, dont la France leur sait gré, non moins que de leur courage d’action, en d’autres circonstances.
Des rassemblements tumultueux continuez-vous, composés de tout ce que Paris renferme de plus méprisable, ont troublé la tranquilleté de plusieurs quartiers, par des clameurs séditieuses et des actes de violence.
Cette fois, vous dites vrai, M. le Préfet ; mais ces rassemblemens, composés de tout ce que Paris renferme de plus méprisable, ce sont précisément ces bandes de brigands, ces meutes de galériens, dignes souteneurs qu’une autorité protectrice a démuselés dans la tranquilleté de nos rues, et dont le bâton a assassiné des citoyens inoffensifs, sous les yeux mêmes du brûleur de drapeaux tricolores, maintenant ministre de l’intérieur [i. e. d’Argout13]. »
14Si ces articles qui fonctionnent de manière cumulative sont si longuement cités, c’est afin de mettre en évidence, par comparaison, la façon dont Daumier reprend ce discours et lui fait dire tout autre chose que ce qu’il disait. Par métonymie, pour commencer, il réduit les faits survenus les 23 et 24 février à deux éléments, les plus simples : un bourgeois, dans le rôle de la victime, et un bâton, qui résume à lui seul l’intervention provocatrice des assommeurs armés de bâtons. L’espace scénique, le prétendu lieu réel des événements, n’est qu’un décor – un quartier de tavernes, qui n’a, par lui-même, rien de menaçant. À l’évidence, il y a disproportion entre ce décor et la victime, démesurément grandie, de façon à faire apparaître aux yeux du lecteur une contradiction entre la nature du cadre de la provocation et la provocation elle-même. Ainsi Daumier coupe-t-il court à toute interprétation de l’événement comme d’une excursion dans des bas-fonds qui aurait mal tourné. Son procédé est celui du montage : il place sa victime dans le cadre populaire que la stratégie policière avait choisi dans le but exprès d’effrayer la bourgeoisie, mais, en décrivant ce cadre comme un lieu de paix, il bat en brèche le préjugé qui aurait imputé au peuple la responsabilité des exactions. Alors que les textes du Charivari ne traitent aucunement de la peur sociale éprouvée par la bourgeoisie devant l’altérité populaire, le dessin de Daumier, au contraire, force le lecteur à regarder pour de bon le cadre de vie du peuple et lui ouvre les yeux sur le piège idéologique tendu par les provocateurs. Dans ces conditions, la victime bourgeoise qu’il exhibe au premier plan est ainsi mise en position de témoin et d’accusateur de la violence étatique et de ses manœuvres pour se défausser sur le mouvement populaire. En somme, la caricature démontre ici une puissance d’analyse artistique bien supérieure à celle de l’argumentation verbale et logique des textes.
15Qu’on me permette un dernier coup d’œil – suggéré par mon collègue Gerhard Schneider – sur le montage opéré par Daumier. À l’arrière-plan, à gauche, au-dessus de l’entrée de la taverne, il y a une inscription aussi transparente pour les contemporains qu’obscure pour un lecteur non contemporain de Daumier : « GIROD/MD/DE VIN ». C’est une déformation évidente du nom de Girod, de l’Ain, l’ancien préfet de police de Paris, qui siège à la Chambre des pairs depuis 1833 et qui, à ce titre, sera l’un des accusateurs des Insurgés d’avril lors de leur procès collectif. Avec le gourdin, cet indice signe la responsabilité du Juste-Milieu au pouvoir.
16Les caricatures relatives aux événements des 23 et 24 février qui paraissent dans Le Charivari après le 3 mars 1834 présentent une argumentation nettement différente : ce n’y sont plus la victime, ni l’agression dans son intention provocatrice qui sont mises en scène, mais l’agresseur, exclusivement. L’objectif politique, en effet, a changé. Il ne s’agit plus de rassembler la bourgeoisie contre le régime en lui donnant à voir l’un des siens en position de victime du gouvernement, mais bien de braquer les regards sur la personne de l’agresseur, afin d’obtenir un profond remaniement gouvernemental. Le 31 mars, c’est directement la complicité des gendarmes et des assommeurs armés de bâtons que dénonce Bouquet (ill. 120). L’explication rappelle seulement que « M. B... avait croqué, d’après nature, le 23 février, sur la place de la Bourse, cette scène de suffrage unanime... ». Puis, le 4 avril, c’est le ministre de l’Intérieur d’Argout qui est pris à partie (ill. 121). L’explication de la planche présuppose sa responsabilité sans plus de discussion : « Napoléon disait à ses braves : Soldats, je suis content de vous. M. d’Argout dit à ses assommeurs : Mes amis, je suis content de vous14 ». S’ils ne renversent pas la monarchie constitutionnelle, les journaux de Philipon obtiennent au moins les têtes des ministres dont ils ont instruit le procès caricatural. Le 6 avril 1834, Barthe – le garde des Sceaux – et d’Argout cèdent leurs portefeuilles respectifs à Persil et à Thiers. Il est vrai, dira-t-on, que c’était là passer de Charybde en Scylla.
17À partir de 1833, Le Charivari a plus souvent recours au personnage du « prolétaire », du « laboureur » ou du « faubourien ». Mais ce personnage nouveau inspire deux discours distincts. D’une part, un certain discours iconique, dominant dans des séries comme Scènes familières, Miroir de Paris ou encore Métiers de Paris, se borne à rectifier la représentation de la classe ouvrière construite par le Juste-Milieu, et cherche à sensibiliser à la question sociale les couches influencées par les hommes au pouvoir en détruisant l’équivalence classes laborieuses = classes dangereuses15. C’est un discours purement sociologique, qui traite de l’inégalité entre riches et pauvres sous la monarchie de Juillet. D’autre part, un autre discours iconique, repérable dans la série Caricatures politiques ou dans la Série politique, exprime la vision de l’opposition républicaine : l’ouvrier y est une allégorie politique, il incarne l’avenir de la République ou personnifie les forces qui vaincront le régime bourgeois. Si le discours sociologique – celui qui se sert des portraits sociaux du peuple – critique les conditions de vie réelles des travailleurs et oblige le lecteur à regarder la réalité sociale telle qu’elle est, le discours de l’allégorie politique, lui, évoque l’idéal républicain et ses perspectives d’avenir. La satire sociale servant souvent de base à la satire politique, ces deux discours se définissent l’un par l’autre et, s’ils viennent à cohabiter dans une même caricature, leur tension contraint le lecteur à un travail d’interprétation.
18« Vois-tu, mon cher Populus, la République ne nous convient pas, nous sommes trop corrompus ; crois-moi, je sais mieux que toi ce qu’il me... je veux dire, ce qu’il te faut ! ». C’est Louis-Philippe qui parle, attablé à une table richement garnie (ill. 122). Il s’adresse au peuple, à l’ouvrier, présent sous son identité latine (et donc républicaine) de Populus – tout à la fois image sociologique et allégorie politique. Le pantalon déchiré, les chaussures trouées de son interlocuteur expriment la misère, la pauvreté. La réalité socio-économique de l’ouvrier paraît conditionner la richesse qui s’étale : l’image sociologique analyse l’inégalité entre le luxe et l’indigence. En même temps, la figure de l’ouvrier a fonction d’allégorie politique porteuse de l’idéal républicain : l’ouvrier incarne la forme sociale de l’avenir et garantit sa possibilité. Cela se voit à sa posture : il se tient bien droit, les bras croisés, bonnet phrygien à la main, et il regarde le roi de haut. En désignant Louis-Philippe comme le symbole même de la richesse injuste et comme l’obstacle principal à la résolution de la contradiction entre réalité et idéal, la caricature suggère irrésistiblement une certaine idée de la République. Par le décodage qu’elle requiert, cette caricature produit sur le lecteur l’effet d’un programme républicain : partant d’une analyse de la condition des classes laborieuses, elle l’incite à se prononcer politiquement contre la monarchie de Juillet et à œuvrer pour instaurer un ordre social républicain.
19La tension entre l’image sociologique et l’allégorie politique peut aussi signifier d’une autre façon. Tandis que la caricature qu’on vient d’évoquer opère simultanément comme image sociologique et comme allégorie politique, il est des cas où, l’image sociologique étant dominante, l’allégorie politique n’est que suggérée, et d’autres où, l’allégorie politique l’emportant, l’image sociologique vire à l’abstraction. Ces changements de régime du langage iconique reflètent apparemment l’évolution des positions historiques et politiques des républicains. Deux exemples éclaireront la fonction de l’image sociologique dans l’allégorisation satirique. Le premier est emprunté à la phase ascendante du mouvement républicain, le second à sa phase déclinante, postérieure à avril 1834. Ces deux exemples ont été choisis parce qu’ils forment contraste avec celui qu’on vient d’analyser, où la convergence de l’allégorie politique et de l’image sociologique attestait, me semble-t-il, la consolidation – même relative – des sociétés républicaines et des associations ouvrières. Le premier exemple, daté du 9 juin 1833, est signé d’un pseudonyme, « Jean-Paul » (ill. 123). La dédicace à Félix Pyat n’est pas une énigme pour le lecteur du Charivari : le quotidien avait quelques mois auparavant fait allusion à sa pièce, Une Résolution d’autrefois, en insistant sur l’identification à Louis-Philippe du bœuf gras du carnaval16. En fait, la caricature comporte deux légendes, l’une implicite et indirectement énoncée par la dédicace (« Gros, gras et bête »), et l’autre explicite, qui figure au bas de l’image (« C’est le peuple qui porte tout »). Chacune de ces deux légendes détermine une interprétation particulière. La légende implicite tend à faire percevoir les bras et les jambes de l’ouvrier comme les membres moteurs de la monarchie de Juillet – figurée par le montage piriforme d’un tonneau chargé de sacs d’écus en guise de tête et d’épaulettes, doté, par-dessus le marché, de mains rapaces (une pelle et une ventouse). La légende explicite, toutefois, attire l’attention sur le fait que l’image se décompose en deux éléments antagoniques : d’une part, l’homme du peuple qui, comme Atlas portant la terre sur ses épaules, supporte tout le poids du régime, et, d’autre part, la charge elle-même, symbole satirique de la monarchie de Juillet. Image sociologique : l’ouvrier, vrai moteur de la société, consent encore à supporter le gros, gras et bête qui s’enrichit à ses dépens. Allégorie politique : la monarchie de Juillet est niée dans son principe par le vigoureux contraste satirique qui oppose l’élément négatif et l’élément positif, le poids mort de la charge et la force d’avenir qu’incarne la classe ouvrière. C’est cet idéal dont la satire appelle l’émergence.
20Le second exemple (ill. 124) est de mai 1834. Le dialogue renvoie à une chanson très répandue à l’époque, dont le refrain était une question ironiquement prêtée à Louis-Philippe : « Et de quoi diable enfin vous plaignez-vous17 ? » La caricature elle-même résume la défaite républicaine. Attaché à un poteau, le peuple a les jambes amputées, les bras liés dans le dos. Réduit à l’impuissance par la « loi contre les Associations », aveuglé par un bandeau, privé de la parole par un cadenas qui symbolise la censure de la presse populaire, ce peuple ainsi mutilé se trouve dans l’incapacité absolue de toucher aux nourritures vitales étalées devant lui : la Charte de 1830, la Liberté Individuelle, la Liberté de la Presse et la Liberté d’Association. Ce martyre est mis en scène sur cette même place de la Bourse où s’étaient tristement illustrés, quelques mois plus tôt, les assommeurs de d’Argout. À l’arrière-plan, à gauche, un lecteur du Bon sens est roué de coups par l’un de ces sbires. De la révolte des canuts et des massacres d’avril, l’image ne dit rien : la satire n’a pas vocation à raconter l’Histoire, mais seulement, en réponse aux porte-parole du régime, à montrer la situation réelle du peuple. Dans ce cas-ci, Populus est avant tout une image sociologique, et l’idéal républicain ne s’allégorise qu’à travers cette représentation de la privation de toute liberté.
21Tandis que dans le premier dessin, la tension entre image sociologique et allégorie politique ouvre sur un avenir fondé sur la classe ouvrière, dans le second, au contraire, cet horizon est fermé. La négativité de la situation sociale et politique ainsi mise en image tend, certes, à la négation de la négation : c’est une dénonciation claire et véhémente. Mais la revendication de liberté exprimée dans l’allégorie politique ne dépasse pas l’état de désarroi et de résignation du lecteur. L’étape ultérieure dans cette évolution du discours iconographique et de l’allégorisation comme expression d’échec sera le passage à une allégorie politique excluant toute évocation de la réalité sociale. C’est ce qui pourrait être constaté dans Le Charivari à partir d’août 1834.
Notes de bas de page
1 Sur les républicains dans les premières années de la monarchie de Juillet, voir Gabriel Perreux, La Propagande républicaine au début de la Monarchie de Juillet, Paris, 1930, et Alessandro Galante Garrone, Philippe Buonarotti et les révolutionnaires du xixe siècle (1828-1837), Paris, 1975 (ch. iv et v). Sur le mouvement ouvrier, voir Jean-Pierre Aguet, Les Grèves sous la Monarchie de juillet (1830-1847), Études d’histoire économique, politique et sociale VII, Genève, 1954 ; Alain Faure et Jacques Rancière, La Parole ouvrière 1830-1851, Paris, 1976 Raimund Rütten et Gerhard Schneider, « Balzacs Realismus — ein « cäsaristisches » Programm der sozialen Befriedigung » [le réalisme de Balzac – un programme « césarien » pour instaurer la paix sociale], Postface à Jan Myrdal, Balzac und der Realismus, Berlin, 1978.
2 Voir aussi, par ex., le numéro du 27 juillet 1833 « Nous l’avons dit : “La question des forts détachés n’est point une question de parti à parti ; c’est une question de nation à pouvoir”. »
3 Auguste Bouquet se sert d’une scène parisienne classique, l’amuseur avec ses « marionnettes à la planche » : cf. les dessins de N.-T. Charlet dans Ernest Maindron, Marionnettes et Guignols, Paris 1902, p. 210, ou de Charles Vernet dans Max Bœhm, Puppenspiele, Bachmann Verlag, Münich 1929, p. 66. Voir également Hans Purschke, Puppenspiel in Graphik und Malerei, Frankreich 1, Fachblätter für Puppenspiel (13. Sonderheft 1976), Francfort 1976, ill. 7, 8, 11 13 et 16.
4 Au troisième intermède, on interroge le bachelier sur les « remedia/ Quae in maladia/ Ditte hydropisia/ Convenit facere » À quoi il répond : « Clysterium donare,/ Postea saignare,/ Ensuitta purgare ». Pour finir, élevé au grade de docteur, il reçoit le droit de soigner impunément et sans restriction jusques et y compris à la mort : « Medicandi,/ Purgandi,/ Saignandi,/ Perçandi,/ Taillandi,/ Coupandi,/ Et occidendi/ Impune per totam terram ».
5 Numéro du 29 octobre.
6 Ce sont principalement les mesures de censure gouvernementales qui sont raillées. Par exemple, la « royauté citoyenne ou plutôt chirurgienne » est présentée comme préparant avec les « lancettes de la législation » et le « bistouri judiciaire » une « nouvelle saignée » des journaux républicains (Le Charivari, 1er novembre 1833). Voir aussi dans ce registre La Caricature, no 156, 31 octobre 1833, col. 1244, no 157, 7 novembre 1833, col. 1256 ; no 158, 14 novembre 1833, col. 1260 et 1267.
7 Numéro du 11 novembre 1833
8 Ce ministre est identifié par la seringue à clystère, son emblème caricatural depuis l’utilisation sous ses ordres, en 1831, de lances à incendie contre une manifestation républicaine (N. D. L. R.).
9 Delteil, p 189 Égaré par Delteil, Robert Lejeune, par exemple, va jusqu’au bout de l’erreur : « De tels portraits trouveraient aisément leur place dans un journal apolitique : la représentation, tout à fait émouvante, d’un homme ivre qui regarde fixement devant soi, le regard perdu et qui est devenu conscient à ce moment de réveil soudain de la déchéance intérieure et extérieure de son existence, de la vacuité de sa vie. Si ce dessin à cause de la virulence de la représentation fait partie des créations les plus fortes de Daumier, il nous bouleverse par la force et la profondeur de l’expression – jamais la déchéance et la bassesse résultant de l’alcoolisme d’un homme n’ont été représentées de manière plus poignantes » (Lejeune 1946, p. 24).
10 Numéro du 20 février 1834.
11 Numéro du 25 février 1834.
12 Sur la publicité faite à ces événements, voir « Les honnêtes gens de 1815 et ceux de 1834 », L’Echo de la Fabrique, no 61, 2 mars 1834 ; et Auguste Luchet, « Le Blessé de Juillet », publié dans Paris Révolutionnaire, dont la livraison, selon les annonces faites dans Le Charivari, commence au printemps de 1834 et qui, en 1838, est recueilli chez Pagnerre en quatre volumes (t. III, p. 63 et suiv.).
13 Numéro du 28 février 1834.
14 Autres caricatures du Charivari à propos des événements des 23 et 24 février 1834 : le 1er avril, Louis-Philippe cité comme intercesseur lors du procès dirigé contre les assommeurs armés de bâtons ; et le 5 avril, le portrait d’un assommeur présentant son gourdin (« Nous appelons ça une badine... c’est pour badiner »), avec ce commentaire :...« l’arme ci-contre, policièrement appelée badine, est destinée à inculquer l’amour de l’ordre de Chose à tous les citoyens »...
15 Par exemple, Scènes familières no 12 montre l’aide apportée par les habitants d’un quartier populaire à un passant évanoui, alors qu’un bourgeois déconseille de s’en mêler : « Laissez donc, c’est un ivrogne » (Le Charivari 21 août 1833). Le lecteur comprend que le jugement porté sur la situation est fonction de la situation sociale de l’énonciateur. Dans Métiers de Paris nos 3 et 4, « oisiveté » et « travail » contrastent par la juxtaposition du « millionnaire » et du « prolétaire » (Le Charivari, 10 et 16 septembre 1833). Le Miroir de Paris no 11 met en scène deux ouvriers. La réflexion des ouvriers (« Gueux nous sommes, gueux nous étions, gueux nous mourrons ») et leur situation de chômeurs obligent le lecteur à prendre conscience de la fonction économique et sociale des classes laborieuses (Le Charivari, 26 novembre 1833).
16 Voir Le Charivari du 18 février 1833 — Apparemment, c’est consécutivement à la parution de cette caricature du 9 juin 1833 que circule dans Paris la chanson d’Altaroche intitulée « Gros, gras et bête » Altaroche venait de devenir collaborateur du Charivari : serait-ce lui qui se cache derrière le pseudonyme de Jean-Paul ? On peut le supposer, d’autant plus que la chanson traite exactement la même idée que le dessin :
Gros, gras et bête,/ En quatre mots, c’est son portrait :/
Toisez-le des pieds à la tête,/ Aux yeux de tous, il apparaît/ Gros, gras et bête !//
Gros gras, et bête/ Bien qu’il ait peine à se mouvoir,/
Sa main s’avance toujours prête./ Dès qu’il s’agit de recevoir.../
Gros gras et bête !// Gros, gras et bête/La peur cramponne ses talons :/
S’il fait un pas vite il s’arrête,/ Et puis il roule à reculons,/ Gros, gras et bête !//
Gros gras et bête,/ Un laurier couvre son sourcil ;/
Mais sa couronne est dit-on faite/ De laurier-sauce et de persil.../
Gros, gras et bête !// Gros, gras et bête,/ En pelle s’élargit sa main,/
En poire s’allonge sa tête,/ En tonneau croît son abdomen,/ Gros, gras et bête !// Gros, gras et bête,/ La clé d’or à son frac suspend,/
En guise de double épaulette,/ Sur chaque épaule un sac d’argent,/ Gros, gras et bête !// Gros, gras et bête,/ Son sabre est là prêt à frapper :/
Mais cet instrument de conquête/ Lui sert de lame à découper./ Gros, gras et bête !// Gros gras et bête ;/ En commençant il est venu :/
Mais, depuis que dure la fête,/ De plus en plus on l’a connu/ Gros, gras et bête !// Gros, gras et bête/ Je dois expliquer mon sujet :/
À l’équivoque on dit qu’il prête,/ J’ai voulu peindre le budget/
Gros, gras et bête
Ce texte est reproduit dans Pierre Brochon, Béranger et son temps, Paris 1956, p. 155 et suiv.
17 En voici les première et dernière strophes :
Chers compagnons des barricades,/ Vous qui m’avez un beau jour nommé roi,/
Serait-il vrai, mes camarades,/ Que maintenant vous parlez contre moi ?/
Pour mériter ainsi de vous déplaire,/ Qu’ai-donc je donc fait,
et d’où vient ce courroux ?/
Ne suis-je plus à vos yeux populaire,/
Et de quoi diable enfin vous plaignez-vous ?//
[…]
Cessez enfin, excellens prolétaires,/ De murmurer contre mes douces lois :/
Si vous portez le fardeau des misères,/ Un jour aussi Jésus porta sa croix/
Pour le moment vous avez de l’ouvrage/
Et vous pouvez manger la soupe au choux,/
Jamais, je crois, vous n’eûtes davantage :/
Et de quoi diable enfin vous plaignez-vous ?
Texte intégral dans Pierre Brochon, op.cit. p. 142 et suiv.
Auteur
Université de Francfort
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Biographie & Politique
Vie publique, vie privée, de l'Ancien Régime à la Restauration
Olivier Ferret et Anne-Marie Mercier-Faivre (dir.)
2014