Avant-propos
p. 7-9
Texte intégral
1« Une jeunesse isolée ne consulte que ses caprices. En vain on lui prescrit une règle ; elle ne la suit pas... Pour l’assujettir à un plan quelconque, il faut que la réunion de plusieurs individus fasse naître entre eux une sorte d’émulation... Pourquoi chaque communauté d’habitants n’aurait-elle pas un général de la jeunesse ? ». Ainsi s’exprimait en 1783, dans ses Vues patriotiques sur l’éducation du peuple, Philipon de la Madelaine, l’un des moins connus parmi les nombreux auteurs de plans d’éducation, mais l’un des plus utilisés par les grands promoteurs de politiques éducatives à la fin du XIXème siècle. La charge du général de jeunesse aurait consisté à présider les jeux et exercices physiques des jeunes gens, à organiser des sorties et des fêtes. Grâce à ces dernières, le philanthrope veut créer des habitudes de sociabilité, en particulier dans les villages où, selon lui, elles ne se trouvent qu’à l’état rudimentaire. Il prend pour modèle celles des « provinces du Midi, où la gaité et la danse sont en quelque sorte naturalisées », et où de ce fait, le peuple songe moins à se plaindre. La fête, comme l’association de gymnastique, vient donc couronner un arsenal institutionnel qui comprend aussi des cours d’adultes, des bibliothèques, des musées, et dont la fonction proclamée est de gouverner.
2Philipon de la Madelaine n’ignorait pas, bien au contraire sans doute, que le galoubet et le tambourin conduisaient parfois les révoltes paysannes, que la sociabilité méridionale était liée à certaines formes de vie politique communale, que les rois de jeunesse conduisaient pendant quelques jours de fête la subversion ; mais il entend bien, moyennant quelques modifications, mettre tout cela au service du contrôle ou de la régulation sociale.
3On aurait donc tort d’opposer, comme des réalités distinctes et étrangères, le jeu, la fête, la culture populaire d’une part, l’éducation, la culture savante d’autre part. Ce sont les rapports complexes et contradictoires qui se nouent dans diverses formes éducatives, dans les fêtes, dans les activités sportives que nous nous sommes proposés d’explorer ici.
4Ce second volume de la collection Espace et socialisation n’est pas la réunion circonstancielle de textes épars, mais la manifestation différenciée, à un moment donné, de recherches qui, malgré leurs horizons divers, sont sous-tendues par une logique relativement cohérente. Le programme de recherche du Groupe de recherches sur le procès de socialisation s’était proposé de dépasser les cadres institutionnels établis - famille, école, équipements culturels, etc. - et leur traduction dans le découpage des champs sociologiques : sociologie de l’éducation, de la famille, sociologie urbaine, etc. Les études présentées ici concernent divers aspects de l’éducation et de la « culture » ; les analyses des petites écoles rurales, des Universités populaires, de l’apprentissage de la coiffure portent sur des processus de transmission de savoirs, de savoir-faire, de valeurs. Mais elles les présentent comme des lieux de rencontre, donc d’interaction, entre des institutions (l’école et la famille dans le cas de la coiffure, mais aussi d’une certaine façon dans le cas des petites écoles), des groupes sociaux (les intellectuels et les ouvriers des Universités populaires), des pratiques institutionnelles et des pratiques sociales enfin. De plus, ces interactions ne sont pas considérées comme des effets seconds des rencontres évoquées : elles sont constitutives des objets étudiés.
5L’analyse de pratiques et d’espaces qui se situent aux frontières de l’institution scolaire, – petites écoles qui ne sont pas vraiment des écoles, formation artisanale recherchée en marge du système scolaire par des catégories sociales très différentes, – l’analyse fine de ces pratiques (comment et où apprenait-on à lire et à écrire dans telle région à telle époque ? que signifiait savoir signer ?) permettent de préciser les rapports qu’elles entretiennent avec des structures, par exemple politiques, ou des types de relations sociales apparemment différentes. On a essayé de montrer en particulier comment l’espace scolaire de l’Ancien Régime était privé plus que public et comment l’enseignement s’était inséré dans les formes de la sociabilité villageoise.
6Tenter d’abolir les faux cloisennements ne signifie pas cependant, bien au contraire, effacer les oppositions et les conflits. Si l’on a voulu, dans l’analyse des fêtes, mettre en évidence la nocivité de la distinction entre espace et culture, c’était pour mieux montrer le jeu complexe et contradictoire entre des pratiques ludiques, festives, artistiques et les manifestations ou équipements qui les intègrent. De même peut-on apercevoir dans la brève mais riche histoire des Universités populaires un détournement des activités spécifiquement ouvrières, – opération dont les formes furent au demeurant fort diverses, et dont l’échec révéle des lignes de fractures destinées à s’étendre et à s’approfondir. Et si l’on se garde des oppositions faciles et manichéennes (par exemple celle de l’école comme lieu d’enfermement et de la me comme espace de liberté) pour analyser des contradictions multiples et liées entre elles, on se donnera sans doute le moyen de comprendre enfin comment l’enseignement peut être un facteur de transformation sociale.
7L’analyse attentive des pratiques nécessite, pour en saisir le sens, qu’on les resitue dans leur contexte : une pratique, par exemple sportive, peut revêtir des significations bien différentes selon qu’il s’agit d’un « exercice » physique, d’un jeu intégré dans une fête populaire (on s’est quelque peu attardé ici sur le cas des joutes nautiques) ou d’une rencontre de championnat. Bien plus, tout comportement – par exemple en matière d’orientation scolaire et de choix professionnel – renvoie à une manière d’être dans le monde, ou, pour parler un langage moins philosophique, à une manière, propre à chaque groupe, d’appréhender sa situation et de se donner un avenir. A des degrés et sous des formes diverses, les quatre études ici présentées prennent en compte cette historicité.
Auteur
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